TRIBUNAL D’ARBITRAGE
(constitué en vertu du règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs sous l’égide de la SOCIÉTÉ POUR LA RÉSOLUTION DES CONFLITS INC. (SORECONI), organisme d’arbitrage agréé par la RÉGIE DU BÂTIMENT DU QUÉBEC chargée d’administrer la Loi sur le bâtiment (l.r.q. c. b-1.1))
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE MONTRÉAL
DOSSIER N° : 050718001
(067379 GMN)
MONTRÉAL, le 1er juin 2006
ARBITRE : Me ROBERT MASSON, ing., arb.
Karine Beausoleil et Martin Lepage
Bénéficiaires - Demandeurs
c.
Construction André Taillon Inc.
Entrepreneur
et
La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ Inc.
Administrateur de la garantie
MOTIFS ÉCRITS DE LA SENTENCE ARBITRALE
RENDUE ORALEMENT LE 1ER JUIN 2006
SENTENCE ARBITRALE SUR LA CONTESTATION DE LA QUALITÉ D'EXPERT
DE STÉPHANE BOSSUS
[1] Le procureur de l'administrateur de la garantie conteste la qualité d'expert de Stéphane Bossus, un inspecteur en bâtiments retenu par les bénéficiaires, à laquelle contestation concourt le procureur de l'entrepreneur.
[2] Le premier argument de la contestation est que la comparution de Bossus devant le Comité de discipline de l'Ordre des ingénieurs du Québec, survenue durant la période allant du le 1er mai 2003 au 27 février 2006, et les condamnations prononcées par le Comité de discipline suffisent à lui dénier la qualité d'expert et au surplus à lui faire perdre le détachement, la sérénité et l'indépendance nécessaires pour lui permettre de témoigner devant ce Tribunal d'arbitrage.
[3] Le second argument de la contestation est qu'il a déjà, dans une autre affaire concernant le Plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs portée devant un autre arbitre, été déclaré inapte à témoigner comme témoin expert par l'arbitre qui présidait ce Tribunal d'arbitrage au motif des condamnations prononcées à son encontre par le Comité de discipline de l'Ordre des ingénieurs du Québec et au motif que l'arbitre en question, monsieur Jacques E. Ouellet, est un collègue arbitre du soussigné présidant ce Tribunal d'arbitrage et qu'il est aussi l'administrateur de la Société pour la résolution des conflits (soréconi), l'organisme qui a nommé le soussigné comme président de ce Tribunal d'arbitrage. Ce qui suffit à enlever à ce Tribunal d'arbitrage toute apparence d'impartialité quant à la décision sur la qualité d'expert de Bossus.
[4] Le troisième argument de la contestation est au motif que Bossus attaque en justice la décision de l'arbitre Ouellet et réclame des dommages, ce qui, encore une fois, enlève à ce Tribunal d'arbitrage toute apparence d'impartialité quant à la sa décision à rendre sur la qualité d'expert de Bossus et, d'ajouter le procureur de l'entrepreneur, ce qui est à la fois contraire aux intérêts de la justice et aux intérêts des bénéficiaires.
[5] Les chefs d'accusation contenus à la plainte du 1er mai 2003 devant le Comité de discipline de l'ordre des ingénieurs du Québec, et qui intéressent ce Tribunal d'arbitrage, reprochent à Bossus d'avoir contrevenu aux articles 2.04 et 3.02.04 du Code de déontologie des ingénieurs.
[6] L'article 2.04 du Code de déontologie des ingénieurs impose l'obligation à tout ingénieur qui exprime un avis, que cet avis soit basé sur des connaissances suffisantes et sur d'honnêtes convictions.
[7] L'article 3.02.04 du même Code de déontologie prohibe à un ingénieur d'exprimer des avis ou de donner des conseils contradictoires ou incomplets.
[8] Le Comité de discipline a exprimé l'avis que les articles 2.04 et 3.02.04 faisaient appel à des concepts similaires en droit et qu'il ne pouvait en conséquence condamner deux fois un individu pour la même infraction. Il a donc ordonné l'arrêt des procédures à l'égard des infractions reprochées sous l'article 3.02.04.
[9] Le Comité de discipline a déclaré Bossus coupable à l'égard des infractions reprochées sous l'article 2.04 dans trois (3) chefs d'accusation.
[10] Dans sa décision sur la sanction[1], le Comité de discipline indique :
"[26] Appréciant ces facteurs suivant les circonstances du présent dossier, le Comité [de discipline] souligne dans un premier temps que la protection du public n'a pas été menacée en raison des agissements de l'intimé. De plus les infractions commises constituent d'avantage un cas isolé, car elles sont toutes en lien avec la même expertise. Elles se sont aussi échelonnées sur une courte période de temps.
...
[28] Le Comité de discipline souligne par ailleurs que ce dossier est la première faille disciplinaire dans la pratique de l'intimé qui a exécuté un nombre impressionnant d'expertises. L'intimé a une très bonne expérience dans le domaine de la pyrite et contribue à informer plusieurs intervenants dans ce domaine.
...
[30] Le Comité de discipline note par ailleurs que les versions du rapport de l'intimé n'ont pas causé de graves conséquences pour ses clientes qui, en bout de ligne, ont obtenu un règlement à l'amiable. Les travaux d'enlèvement de la pyrite ont également été exécutés par la suite à la demande de M. Brault. Les travaux et calculs de l'intimé à ce niveau étaient justes...
[31] Le comité de discipline ne peut manquer de souligner comme facteur atténuant la volonté certaine de l'intimé de s'amender. En effet, l'intimé, même avant la décision sur culpabilité, a changé ses façons de faire au niveau de la rédaction de ses rapports, rédigeant ceux-ci suivant une procédure plus rigoureuse et utilisant des termes plus « probabilistes » écartant ainsi les formulations faisant état d'une certitude absolue. Il est plus prudent lorsqu'il fait la cueillette des faits en lien avec une expertise, exigeant à ce niveau des déclarations écrites. Il indique aussi clairement qu'un rapport n'en est qu'à une version préliminaire en utilisant entre autres, la version « projet ». Bref, par ces modifications apportées à ses façons de faire, l'intimé a démontré qu'il voulait vraiment éviter les lacunes identifiées dans sa pratique."
[11] Bossus a obtenu un diplôme d'ingénieur de l'École Polytechnique de Montréal en 1991. Il n'est plus membre de l'Ordre des ingénieurs du Québec par choix personnel.
[12] N'être plus ingénieur membre de l'ordre des ingénieurs du Québec ne lui enlève pas les connaissances en génie acquises par ses études et par ses expériences de travail comme ingénieur antérieurement à sa décision de quitter l'Ordre des ingénieurs.
[13] Parallèlement à ses études et à son expérience comme ingénieur, Bossus a développé une solide expérience comme témoin expert par ses nombreuses présences devant différentes cours de justice.
[14] Le fait qu'il ait démissionné de l'Ordre des ingénieurs du Québec ne lui a pas fait perdre du coup toutes les connaissances et l'expérience acquises au cours de sa carrière.
[15] D'autre part, bien que la Loi sur les ingénieurs et le Code des professions établissent le domaine de pratique des ingénieurs comme un champ de pratique exclusive, le domaine des petits bâtiments ne fait pas partie de cette pratique réservée. C'est pourquoi on y retrouve plusieurs experts en bâtiments résidentiels ou inspecteurs en bâtiments qui ne sont pas ingénieurs. Le fait d'avoir démissionné de l'Ordre des ingénieurs du Québec ne peut lui faire perdre l'opportunité d'agir comme témoin expert.
[16] Quant à la décision d'un autre arbitre, présidant une autre cause en matière du Plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, de nier la qualité d'expert de Bossus selon la preuve qui lui a été présentée, celle-ci ne lie pas le présent Tribunal d'arbitrage.
[17] Et le fait que cet autre arbitre soit aussi un administrateur de soréconi, l'organisme qui a mandaté le président de ce Tribunal d'arbitrage, n'est d'aucune incidence quant à l'apparence d'impartialité du président de ce Tribunal d'arbitrage. Non plus le fait que Bossus ait décidé de prendre action à l'encontre de l'arbitre prénommé "pour faire reconnaître ses droits et son statut" comme il l'a indiqué. Et ce, même s'il y a joint une réclamation en dommages.
[18] Enfin, le Tribunal d'arbitrage fait siennes les déclarations de l'Honorable juge Louis Crête, j.c.s., dans l'affaire Di Milo c. Cie d'Assurance Guardian du Canada[2], une affaire similaire :
"[2] Attendu que la raison pour laquelle M. Sauvé ne pourrait plus être considéré comme témoin expert par le tribunal tient au fait qu'il a démissionné de son ordre professionnel des ingénieurs et qu'il a, de toute manière, été radié de cet ordre par décision rendue par le comité (sic) de discipline de l'ordre des ingénieurs ;
...
[4] Considérant cependant que même si l'ex-ingénieur Sauvé peut voir la crédibilité de ses opinions d'expert être sérieusement mise en doute lors de son témoignage, il n'en demeure pas moins que ses connaissances et son expérience antérieure, tant à titre d'ancien ingénieur qu'à titre d'actuel inspecteur en bâtiment, font en sorte qu'il pourra néanmoins éclairer le tribunal sur des sujets techniques... ;
...
[6] Considérant que la démission de M. Sauvé de son ordre professionnel des ingénieurs et la sanction disciplinaire... imposée par son comité de discipline n'enlèvent rien à ses connaissances techniques en matière de construction et d'inspection des bâtiments, connaissances acquises depuis plus de 25 ans ;
[7] Considérant que l'admissibilité de M. Sauvé à cette étape-ci du procès ne préjudicie en rien sur le jugement que le tribunal pourra porter, le cas échéant, sur la crédibilité et sur la valeur probante de son témoignage ;
[8] Considérant que rien n'empêchera la défenderesse, en l'espèce, le moment venu, de tenter de mettre en doute la crédibilité de M. Sauvé ainsi que la valeur de son témoignage, soit lors du contre-interrogatoire, soit par le témoignage d'autres experts ;
[9] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
...
DÉCLARE le témoin à titre de témoin expert ;"
[19] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D'ARBITRAGE :
[20] REJETTE les objections du procureur de l'administrateur de la garantie et du procureur de l'entrepreneur.
[21] RECONNAÎT à Stéphane Bossus la qualité de témoin expert.
[22] LE TOUT frais à suivre le sort de la demande d'arbitrage.
(S) Robert Masson
Me Robert MASSON, ing., arb.