ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS

(Décret 841-98 du 17 juin 1998)

 

Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment : SORECONI

 

 

ENTRE :                                                        MANON GAUTHIER & PATRICK ST-PIERRE         

(ci-après les « Bénéficiaires »)

 

ET :                                                                CORPORATION IMMOBILIÈRE DOMICIL INC.

 

(ci-après l’ « Entrepreneur »)

 

ET :                                                                LA GARANTIE QUALITÉ HABITATION

 

(ci-après l’« Administrateur »)

 

Dossier SORECONI : 180803001

 

 

DÉCISION SUR LES MOYENS PRÉLIMINAIRES

 

 

 

Arbitre :                                                          Me Jacinthe Savoie

 

 

Pour les Bénéficiaires :                                Madame Manon Gauthier

                                                                        Monsieur Patrick St-Pierre

           

 

Pour l’Entrepreneur :                                     Me Charles E. Bertrand

 

 

Pour l’Administrateur :                                  Me François-Olivier Godin

 

Dates de l’audition :                                      1er juin 2018

                                                                       

Date de la Décision :                                   19 juillet 2018


 

 

Identification complète des parties

 

 

 

 

Bénéficiaire :                                                 Madame Manon Gauthier

                                                                        Monsieur Patrick St-Pierre

[...]

Longueuil (Québec) [...]

                                                                         

                                                                                  

 

 

Entrepreneur:                                                Corporation Immobilière Domicil inc.

Monsieur François Barnabé

Monsieur Luc Robitaille

1000, montée des Pionniers, bureau 228

Terrebonne (Québec) J6V 1S8

 

Et son procureur :

                                                                       Me Charles E. Bertrand

                                                                                 

                                                                      

 

Administrateur :                                            La Garantie Qualité Habitation 

9200, boul. Métropolitain Est

Anjou (Québec) H1K 4L2

 

Et son procureur :

                                                                       Me François-Olivier Godin

 

                       

 


Mandat

 

L’arbitre a reçu son mandat de SORECONI le 16 mars 2018;

 

 

Historique du dossier

 

08-03-2018             Réception de la demande d’arbitrage par le greffe de SORECONI

23-03-2018             Réception de la confirmation du paiement de la provision pour frais

12-04-2018             Transmission du cahier de pièces de l’Administrateur

08-05-2018             Conférence téléphonique tenant lieu et place de conférence préparatoire

19-05-2018             Réception d’un courriel de la Bénéficiaire demandant la confirmation que la dénonciation du vice est le 30 octobre 2015

22-05-2018             Émission du procès-verbal de la conférence du 8 mai 2018 comprenant l’avis de convocation pour enquête et audition           

23-05-2018             Réception d’un courriel du procureur de l’Administrateur confirmant le 30 octobre 2018 comme étant la date de dénonciation du vice allégué

 

 

Admissions

 

[1]       Il s’agit d’une maison non détenue en copropriété divise et située au [...] à Longueuil (Bâtiment);

 

[2]       La réception du Bâtiment est intervenue le 29 août 2014 et aucune réserve ne concerne l’état des planchers;

 

[3]       Les Bénéficiaires ont pris possession du Bâtiment le 30 août 2014;

 

[4]       L’Entrepreneur a requis l’intervention de l’Administrateur le 30 octobre 2015 pour la déformation des planchers ;

 

[5]       L’Administrateur a émis une décision en date 8 février 2018, laquelle rejetait le point 1 intitulé «revêtement de plancher : parquet de bois endommagé», et ce, pour deux motifs, soit :

 

[5.1]       il s’est écoulé un délai d’environ 12 mois entre les premières manifestations à l’été 2014 et la date de la demande d’intervention du 30 octobre 2015 ; et

 

[5.2]       l’exclusion prévue à l’article 12.3 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs[1] (Règlement);

 

[6]       Les Bénéficiaires ont porté la décision en arbitrage le 8 mars 2018;

 

 

Question préliminaire en litige

 

[7]       Dans un souci d’efficacité, il a été convenu de scinder l’audition de la présente affaire. En conséquence, la seule question en litige à ce stade-ci du dossier est de déterminer si le point 1 du rapport de l’Administrateur a été dénoncé conformément à l’article 10 alinéa 3 du Règlement?

 

 

Position des Bénéficiaires

 

Manon Gauthier

 

[8]       Le témoignage de la Bénéficiaire se résume ainsi :

 

[8.1]       Les Bénéficiaires ont suivi de près la construction du Bâtiment et avaient une très bonne relation avec le gérant de chantier, François Bouchard;

 

[8.2]       Connaissant l’importance de la réception du Bâtiment, ils ont complété le Formulaire d’inspection préréception avec beaucoup de minutie;

 

[8.3]       Le Bâtiment était vide lors de l’inspection, ce qui leur a permis d’avoir une bonne vue d’ensemble des planchers;

 

[8.4]       Si le formulaire ne porte aucune mention relative aux planchers, c’est qu’ils étaient parfaits;

 

[8.5]       À l’hiver 2014 - 2015, les Bénéficiaires ont remarqué de la condensation à leurs fenêtres;

 

[8.6]       Monsieur Bouchard les a rassurés en leur expliquant qu’une maison neuve prenait de 12 à 18 mois afin de «sécher»;

 

[8.7]       Selon ce dernier, il était normal d’avoir un taux d’humidité élevé et il leur a recommandé d’essuyer leurs fenêtres et de retirer les moustiquaires en période hivernale;

 

[8.8]       À l’été 2015, lors des canicules, les Bénéficiaires n’étaient pas confortables dans leur Bâtiment en raison du taux d’humidité élevé;

 

[8.9]       Dès le retour des vacances de la construction, ils ont avisé monsieur Bouchard  que les planchers avaient l’air de vouloir réagir et qu’il y avait un vide sous ces derniers le long des murs;

 

[8.10]     Monsieur Bouchard leur a alors fait 3 recommandations : 1) mettre en fonction le climatiseur, 2) monter le chauffage au sous-sol et 3) fermer les fenêtres en tout temps;

 

[8.11]     Le 19 août 2015, monsieur Bouchard a recommandé également d’installer un déshumidificateur;

 

[8.12]     Les Bénéficiaires ont suivi toutes ces recommandations mais ont remarqué du relief dans les planchers;

 

[8.13]     En conséquence, ils ont communiqué de nouveau avec monsieur Bouchard le 26 août 2015;

 

[8.14]     À la demande de l’Entrepreneur, le sous-traitant en ventilation s’est présenté sur les lieux en octobre 2015 et a conclu qu’il ne s’agissait pas d’un problème avec son système;

 

[8.15]    Par la suite, l’Entrepreneur a dénoncé le point à l’Administrateur;

 

[9]       Au soutien de ses prétentions, la Bénéficiaire a produit une série de photographies qui montre l’évolution de l’état des planchers du 16 octobre 2014 au 17 novembre 2015;

 

[10]    En contre-interrogatoire, le procureur de l’Entrepreneur a référé la Bénéficiaire a un extrait de la décision de l’Administrateur, qui se lit comme suit :

 

«Le bénéficiaire P. St-Pierre admet que le parquet de bois émet des craquements excessifs depuis l’été 2014 et nous informe que le réglage du système de chauffage et de ses composantes (climatisation et échangeur d’air) est plutôt compliqué.»  (Extrait);

 

[11]    Elle explique qu’ils ne vivaient pas dans le Bâtiment à l’été 2014 et qu’elle a entendu des craquements à l’été 2015;

 

[12]    Elle ne peut confirmer la déclaration de son conjoint puisqu’elle n’était pas présente lors de l’inspection du 19 novembre 2015 ;

 

 

Patrick St-Pierre

 

[13]    Le Bénéficiaire témoigne à son tour et réitère les propos de sa conjointe;

 

[14]    De plus, il précise les éléments suivants :

 

[14.1]     Le 19 août 2015, il a communiqué avec monsieur Bouchard pour l’aviser que des craquements dans les planchers se faisaient entendre et c’est à ce moment que monsieur Bouchard aurait recommandé l’installation d’un déshumidificateur;

 

[14.2]     Le 26 août 2018, il a de nouveau communiqué avec monsieur Bouchard pour l’informer que non seulement les planchers craquaient mais gondolaient. C’est à ce moment, qu’il commence vraiment à s’inquiéter;

 

[15]    En contre-interrogatoire, le procureur de l’Entrepreneur a également référé le Bénéficiaire à l’Extrait;

 

[16]    Le Bénéficiaire confirme qu’il a discuté de cet aspect avec l’inspecteur de l’Administrateur  mais conclut que ce dernier a erré en indiquant l’été 2014, et ce, puisqu’ils ne vivaient pas dans le Bâtiment à l’été 2014;

 

[17]    Il répète que lors de l’hiver 2014 - 2015, c’est un problème de condensation dans les fenêtres qu’ils ont constaté mais qu’ils n’ont rien remarqué de particulier avec les planchers;

 

[18]    À cette époque, monsieur Bouchard leur a assuré qu’un taux d’humidité élevé dans une maison neuve était normal;

 

[19]    Suite à une question du procureur de l’Administrateur, le Bénéficiaire précise que pour lui, l’été se termine avec la rentrée scolaire, soit au début du mois de septembre;

 

 

Position de l’Entrepreneur

 

Monsieur Robitaille

 

[20]    Le représentant de l’Entrepreneur, monsieur Robitaille, a produit une lettre que les Bénéficiaires ont adressée à l’Entrepreneur en date du 8 octobre 2015;

 

[21]    L’un des passages de ladite lettre se lit comme suit :

 

«Il a été noté au cours des semaines suivant la prise de possession de la demeure (septembre 2014) qu’un taux humidité anormalement élevé persistait au sein de l’habitation. Le problème ayant d’abord été attribué à la phase de séchage, on nous a proposé un déshumidificateur afin de corriger le problème. Pendant la saison froide, le système de chauffage devait par la suite permettre de diminuer et corriger le taux d’humidité toujours anormalement élevé, ce qui fût en partie constaté. Le fort taux humidité ayant persisté par la suite, nous avons constaté certains effets indésirables tels moisissures au bas des fenêtres, ondulation des planchers et boiseries et refoulements des joints bois-céramiques causés par le déplacement des planchers. Tous ces problèmes ont été d’abord signalés à François Bouchard, qui devait s’assurer d’une part de les transmettre à ses supérieurs de chez Domicil et d’autre part d’y apporter les correctifs nécessaires. Bien que certains travaux aient été effectués, le problème d’humidité persiste à ce jour (octobre 2015)

 

[22]    En contre-interrogatoire, il reconnaît que les matériaux ont été affectés par la pluie lors de la construction;

 

[23]    Il admet également que l’Entrepreneur a rassuré les Bénéficiaires à plusieurs reprises quant à la normalité d’un taux d’humidité élevé dans une maison neuve;

 

 

Position de l’Administrateur

 

Michel Labelle

 

[24]    L’Administrateur fait entendre l’inspecteur qui a rendu la décision visée;

 

[25]    En résumé, ce dernier explique :

 

[25.1]    Qu’il est fréquent qu’un entrepreneur demande la conciliation;

 

[25.2]     Dès la première visite en date du 19 novembre 2015, il savait qu’il allait refuser la demande en  raison du non-respect du délai de dénonciation prévu au Règlement;

 

[25.3]     En ce qui a trait aux commentaires du Bénéficiaire repris dans l’Extrait, il les a recueillis le 19 novembre 2015;

 

[25.4]     Monsieur St-Pierre lui a parlé de craquements excessifs des planchers  survenus à l’été 2014 et non de déformation. Il précise «j’ai noté ça»;

 

[25.5]     Il a rendu sa décision le 8 février 2018, pour permettre aux parties de régler le litige à l’amiable et pour laisser le temps aux planchers de se replacer, ce qui arrive parfois;

 

[25.6]     Il est clair que les Bénéficiaires n’avaient pas une très bonne compréhension de leur système de ventilation;

 

[25.7]     Au retour des vacances d’été 2017, monsieur Labelle a annoncé à monsieur St-Pierre ses couleurs quant au délai, et ce, lors d’une conversation téléphonique;

 

[25.8]     Lors de cette conversation, monsieur St-Pierre n’a jamais remis en cause l’apparition du problème à l’été 2014 mais a manifesté son mécontentement et ses doutes quant à l’objectivité et aux compétences de monsieur Labelle;

 

[25.9]     En conséquence, monsieur Labelle a été étonné de la teneur du témoignage de monsieur St-Pierre lors de l’audition;

 

[26]    En contre-interrogatoire, monsieur Labelle précise :

 

[26.1]     Il n’a fait que rapporter les propos de monsieur St-Pierre dans l’Extrait, lequel  est corroboré par la lettre du 8 octobre 2015 des Bénéficiaires;

 

[26.2]     Il ne prend pas de notes lors de ses inspections puisqu’il a une bonne mémoire;

 

[26.3]     Il a commencé à rédiger son rapport le jour même de l’inspection, soit le 19 novembre 2015;

 

[26.4]    Il est certain que monsieur Gauthier a dit l’été 2014 et non 2015;

 

[26.5]    Il prend des notes lors des inspections mais ne prend pas tout en notes;

 

[26.6]     À la page 19 de son rapport, il a indiqué qu’il serait requis de mettre en fonction l’échangeur d’air pendant la période de chauffe;

 

[26.7]     À la page 21 du rapport, il a écrit que l’échangeur d’air n’était pas en fonction le 14 décembre 2017, ce qui est «normal en période de chauffe»;

 

[26.8]     Il admet qu’il a commis une erreur et qu’il manque un «a» au mot normal et que nous aurions dû lire «anormal»;

 

 

Sommaire de la plaidoirie des Bénéficiaires

 

[27]    La Bénéficiaire rappelle que la première manifestation du problème aux planchers est survenue après les vacances de la construction 2015, soit dans l’année de la réception du Bâtiment et a été dénoncée dans un délai raisonnable;

 

[28]    Elle revient sur l’Extrait et allègue que son conjoint n’a pas raisonnablement pu affirmer que les manifestations du problème ont débutées à l’été 2014 puisqu’ils ont pris possession du Bâtiment le 30 août 2014 et que, pour eux, l’été se termine avec la rentrée scolaire au début du mois de septembre;

 

[29]    Elle réitère que les photographies prises en octobre 2014 et au début de l’hiver 2015 montrent des planchers en bon état, contrairement aux photographies des mêmes points de vues pris à l‘automne 2015;

 

[30]    Elle souligne que tout le monde convient qu’il est normal qu’une maison neuve ait un taux d’humidité élevé, lequel se résorbe dans les 12 à 18 mois de la construction, une fois le séchage des matériaux terminé;

 

[31]    Dans la mesure où l’Entrepreneur a tenu des propos rassurants quant à la condensation et au taux d’humidité élevé, les Bénéficiaires étaient en droit de lui faire confiance;

 

[32]    La Bénéficiaire rappelle qu’ils ont dénoncé le problème de planchers                  au moment où ils en ont vraiment pris conscience;

 

[33]    Au soutien de ses prétentions, elle soumet au Tribunal diverses décisions arbitrales traitant du délai de dénonciation;

 

Sommaire de la plaidoirie de l’Administrateur

 

[34]    Le procureur de l’Administrateur rappelle d’entrée de jeu l’importance du délai de dénonciation, lequel est de rigueur;

 

[35]    Il précise que le délai de dénonciation débute au premier signe appréciable ou tangible du problème;

 

[36]    Il est d’opinion que le problème de planchers n’est pas apparu du jour au lendemain;

 

[37]    Selon lui, les craquements ont été les premiers signes du problème qui, graduellement, a évolué jusqu’à la déformation concave des lattes du plancher;

 

[38]    En ce qui a trait au moment où les craquements excessifs se sont faits entendre, il les situe à l’été 2014, tel qu’il appert des propos du Bénéficiaire rapportés par monsieur Labelle;

 

[39]    Le procureur de l’Administrateur souligne la crédibilité de monsieur Labelle;

 

[40]    Il ajoute que l’été se termine le 21 septembre. En conséquence, il est tout à fait possible que des planchers parfaits le 29 août 2014, aient craqué excessivement avant le 21 septembre 2014;

 

[41]    De plus, la lettre du 8 octobre 2015 des Bénéficiaires vient corroborer la première manifestation du problème à l’été 2014;

 

 

Sommaire de la plaidoirie de l’Entrepreneur

 

[42]    Le procureur de l’Entrepreneur réitère les propos de l’Administrateur quant au délai de dénonciation, lequel est de déchéance;

 

[43]    Il conclut également que, puisque la réclamation émane de l’Entrepreneur, le Tribunal ne peut être saisi du dossier. Pour que la réclamation soit recevable, elle devait être formulée par les Bénéficiaires;

 

[44]    Selon lui, la crédibilité de monsieur Labelle ne peut être remise en doute, ce dernier n’ayant aucun intérêt dans le débat;

 

[45]    Il situe également le point de départ du délai de dénonciation à l’été 2014, soit le moment où les craquements excessifs se sont fait entendre. Le problème était là depuis le début et n’a pas été dénoncé dans les délais;

 

 

ANALYSE ET DÉCISION

 

[46]    Puisque les Bénéficiaires contestent le bien-fondé de la décision de l’Administrateur, le fardeau de la preuve repose sur leurs épaules[2]. C’est la règle de la prépondérance des probabilités qui s’applique, soit la preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence[3];

 

[47]    La décision visée se fonde sur l’article 10 alinéa 3 du Règlement, qui se lit comme suit :

 

«10. La garantie d’un plan dans le cas de manquement de l’entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception du bâtiment doit couvrir:

(…)

3° la réparation des malfaçons existantes et non apparentes au moment de la réception et découvertes dans l’année qui suit la réception, visées aux articles 2113 et 2120 du Code civil et dénoncées, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte des malfaçons;»

 

[48]    Dans la décision du Syndicat des copropriétaires Lot 3 977 437 c. Gestion Mikalin Limitée et La Garantie Abritat inc.[4], l’arbitre Jean Morissette résume bien les principes qui s’appliquent à la dénonciation dans un délai raisonnable ne pouvant excéder 6 mois :

 

«[26]     Les principes afférents à cette disposition ont été maintes fois exprimés dans les décisions d’arbitrage ou par les tribunaux de droit commun. Le procureur de l’Entrepreneur a résumé ces divers principes de la façon suivante, jurisprudences à l’appui:

 

a            Le délai de 6 mois est de rigueur;

b            Il s’agit d’un délai de déchéance qui ne peut être ni suspendu ni prorogé;

c            Le pouvoir d’agir en équité de l’arbitre ne lui permet pas de passer outre à ce délai en le suspendant ou en le prorogeant;

d            L’ignorance du bénéficiaire ou sa bonne foi ne peuvent justifier qu’il soit passé outre à ce délai;

e            Il en est de même des représentations et des promesses de l’entrepreneur et même des travaux de correction qu’il aurait entrepris et/ou effectuées;

f             Ce délai commence au moment où le bénéficiaire a connaissance d’un problème même s’il n’en connaît pas la cause;

g            Dans ce délai, une dénonciation écrite doit être reçue de l‘entrepreneur et de l’administrateur;

h            Il est impératif que cette dénonciation soit reçue par l’entrepreneur et par l’administrateur dans ce délai de 6 mois;»

 

[49]    Le Tribunal souscrit à ces principes;

 

[50]    Différentes décisions arbitrales, soumises par les parties, soulignent des applications desdits principes et il est pertinent dans reproduire certains passages:

 

[50.1]     Marie-Pierre Larouche et Stéphane Bauer c. Les Placements Serbeau Ltée et Garantie Habitation du Québec[5]

             

«[126] L’évaluation de l’existence potentielle d’un dommage, d’un vice ou de sa présomption ne s’analyse pas uniquement eu regard au Bénéficiaire mais de tout acheteur raisonnable.

 

[133]   On comprend qu’à cette date les Bénéficiaires ont observé depuis le mois d’août 2015 que le plancher faisait comme des bosses, qu’il craquait, qu’il craquait tout le temps et qu’il craquait davantage malgré les consignes de l’Entrepreneur.

 

[134]   Le conciliateur situe en octobre 2015 le moment où les Bénéficiaires auraient dû dénoncer la problématique.

 

[135]   Les Bénéficiaires se doivent d’agir avec une diligence raisonnable i.e. qu’ils aient un degré de jugement, d’attention et de prudence auxquels on peut raisonnablement s’attendre d’une personne placée dans une situation similaire. Pour le Tribunal ces manifestations répétitives et cumulatives sur plusieurs mois et sous plusieurs formes auraient dû amener les Bénéficiaires à dénoncer la situation. Celle-ci n’était certes pas anodine ou négligeable, elle était devenue inquiétante et fort problématique.»

           

[50.2]  Anatasios Tsonis c. Quorum Habitations inc. et la Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc.[6]

 

«[21]   Il n’y a pas de preuve au dossier d’une date alléguée spécifique de découverte de la problématique par le Bénéficiaire mais celui-ci allègue sous diverses indications en témoignage de sa part et sous courriel du Bénéficiaire à la Régie du bâtiment (Pièce A-9) qu’il considérait qu’il devrait tenir compte des craquements de planchers comme étant normaux pour environ 6 à 8 mois, ce qui fixerait alors selon lui une «découverte problématique» en début de l’année 2013.

 

[22]     Toutefois, la preuve démontre et force est de constater que le Bénéficiaire admet qu’il y a eu des visites préalables à la mise en demeure de 24 juillet précitée par l’Entrepreneur et l’installateur de planchers, et surtout, clairement, qu’il considère que le plancher est défectueux depuis 2012, affirmant d’autre part ne pas avoir pourvu à dénonciation plus tôt parce qu’il y avait des discussions entre lui-même, l’Entrepreneur, l’installateur et le fournisseur du bois du plancher, ce qui le portait à croire qu’il y aurait une solution à ce problème.

 

[23]     Toutefois, tel que la jurisprudence constante l’a indiqué, le délai de dénonciation de 6 mois prévu au Règlement pour la période visée par les faits de cette cause identifie que ce délai de 6 mois est de rigueur et de déchéance et ne peut être continué ou prorogé par le Tribunal nonobstant toute cause, incluant tels des indications de discussion avec l’Entrepreneur ou des tiers relativement à un problème, s’il n’y a pas de dénonciation à l’Administrateur tel que requis.»

 

[50.3]     Martin Lapointe & Marie-Claude Fortin c. Construction Réjean D’Astous inc. et la Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc.[7]

 

«[65]   De l’avis du soussigné, il ne suffit pas d’affirmer avoir pris conscience de l’importance d’un problème à une date donnée pour qu’automatiquement, la compilation du délai pour aviser par écrit l’entrepreneur et l’administrateur commence à cette date.

 

[66]     Il faudrait à tout le moins que cette affirmation soit corroborée par certains faits concrets, comme cela peut se produire lors de dommages progressifs, par exemple.»

 

[50.4]  Élizabeth Séguin et Gilles Séguin c. Constructions Cholette et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc.[8]

 

«[21]   La preuve révèle que des dommages mineurs sont survenus à la toiture de 2003 à 2006, et que ces dommages ont été réparés par l’entrepreneur.

 

[22]     Pour les bénéficiaires, il s’agissait de problèmes mineurs causés par le vent, puisque la région de Mont St-Hilaire est réputée pour ses vents forts et fréquents.

 

[23]     Le 17 février 2006, les dommages à la toiture sont importants et suite à l’avis d’un expert, le bénéficiaire prend conscience que l’ensemble de la toiture est affecté par un défaut majeur, soit l’installation déficiente des bardeaux de recouvrement.

 

[25]’     Dans le présent dossier, la prise de conscience de la gravité de la situation a été provoquée d’abord par l’occurrence d’un dommage beaucoup plus important le 16 février 2006 et par le dépôt d’un rapport d’expert qui affirme que l’ensemble des bardeaux du toit ont mal été cloués et collés.

 

[26]     Ainsi l’arbitre soussigné estime que la date du 17 février 2006 doit être considérée comme étant la date de départ pour la compilation du délai.»

 

[50.5]  Carlo Fioramore et Françoise Drouin Fioramore c. Construction Yvon Loiselle inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc.[9]

 

«En l’instance, les fissures qui, au départ, sont apparues comme étant des fissures de retrait sont réapparues en mars 2004. Il n’est pas raisonnable de soumettre que les Bénéficiaires ont pu soupçonner et encore moins connaître l’existence du vice à leur bâtiment avant mars 2004, date à laquelle l’Entrepreneur écrit aux Bénéficiaires et leur indique qu’il nie toute responsabilité relativement aux fissures causées par le vice du sol (Pièce A-3). Compte tenu que l’Entrepreneur avait, jusqu’à ce moment, toujours tenus à l’endroit des Bénéficiaires des propos rassurants à l’effet qu’il n’y avait aucun problème, il était tout à fait normal que les Bénéficiaires se soient fiés à l’Entrepreneur vu la teneur de ces déclarations. Étant donné que le point de départ du délai est le mois de mars 2004, les Bénéficiaires ont respecté tous les délais mentionnés aux articles 10(4) et 10(5) du Règlement.»

 

[54.6]  Linda Jacques et Alain Beaudoin c. A.G.P. Couture et fils inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc.[10]

 

«[63]   Il s’agit évidemment, et la preuve à cet égard apparaît évidente au soussigné, d’une situation où le vice allégué provoque des manifestations à l’immeuble qui se découvrent graduellement et dont l’importance s’accentue, pour certaines de ces manifestations, dans le temps, la preuve est à l’effet que moins de six (6) mois se sont écoulés entre la demande de réclamation et la première manifestation du vice allégué par les Bénéficiaires qui se manifeste, rappelons-le, graduellement. À l’été 2009, le représentant de l’Entrepreneur s’est rendu à la résidence des Bénéficiaires et a constaté une dénivellation de 6mm à 8mm. Cette dénivellation n’apparaissait aucunement problématique à l’Entrepreneur puisqu’il a qualifié, selon les dires des Bénéficiaires, cet écart comme étant négligeable. Force est de constater qu’un an plus tard, l’écart était de 27mm selon les mesures des Bénéficiaires et encore plus important après les vérifications de la firme LVM à leur rapport A-5. C’est à ce moment que les Bénéficiaires ont véritablement eu connaissance du vice selon le Tribunal. Lors de l’arbitrage, tous ont constaté que l’affaissement de la résidence s’était également aggravé depuis la visite de l’Entrepreneur à l’été 2009 et les experts ont même invoqué de possibles tassements différentiels additionnels pour le futur. La demande a donc été formulée à l’intérieur du délai de six (6) mois de la connaissance, en juin 2010, du vice par les Bénéficiaires.»

 

[51]    Dans le présent cas, quand doit-on débuter la computation du délai de 6 mois?;

 

[52]    Deux théories nous ont été soumises. D’un côté,  l’Entrepreneur et l’Administrateur plaident pour une apparition à l’été 2014 alors que les Bénéficiaires soumettent que le problème de planchers s’est manifesté à l’été 2015;

 

 

Théorie de l’été 2014

 

Admission rapportée par l’inspecteur

 

[53]    Cette théorie est en grande partie basée sur l’admission du Bénéficiaire rapportée par monsieur Labelle, ce dernier étant certain que le Bénéficiaire a dit 2014;

 

[54]    Toutefois, monsieur labelle affirme avoir «noté ça», puis indique qu’il ne prend pas de notes et, quelques minutes plus tard, dit prendre des notes lors de ses inspections, mais pas de tout;

 

[55]    De plus, en contre-interrogatoire, il admet qu’il y a commis une erreur dans son rapport en écrivant «normal» au lieu d’«anormal» relativement à la mise en fonction de l’échangeur d’air en période de chauffe, donnant ainsi aux Bénéficiaires deux recommandations totalement contradictoires;

 

 

Réception

 

[56]    Par ailleurs, le Tribunal ne peut ignorer la réception minutieuse du Bâtiment intervenue 29 août 2014. Le formulaire de réception ne fait aucune réserve concernant le problème de planchers soulevé dans la présente décision. À tout évènement, ni l’Entrepreneur ni l’Administrateur n’ont allégué que le problème  était apparent lors de la réception;

 

[57]    En conséquence, pour endosser la théorie de l’été 2014, le problème de craquements excessifs doit s’être manifesté entre le 30 août 2014 et le 22 ou 23 septembre 2014;

 

[58]    Le Petit Robert définit l’été comme la saison la plus chaude de l’année qui suit le printemps et précède l’automne. Dans l’hémisphère nord, l’été commence au solstice de juin (21 ou 22) juin et se termine à l’équinoxe de septembre (22 ou 23);

 

[59]    Pour les Bénéficiaire, l’été se termine à la rentrée scolaire;

 

 

Lettre du 8 octobre 2015

 

[60]    L’Entrepreneur et l’Administrateur ont également allégué que la lettre du 8 octobre 2015 des Bénéficiaires corroborait la théorie de l’été 2014;

 

[61]    Le Tribunal n’en fait pas la même lecture et conclut plutôt qu’elle appuie les allégations des Bénéficiaires;

 

[62]    Reprenons un passage de cette lettre : «Il a été noté au cours des semaines suivant la prise de possession de la demeure (septembre 2014) qu’un taux humidité anormalement élevé persistait au sein de l’habitation. Le problème ayant d’abord été attribué à la phase de séchage, on nous a proposé un déshumidificateur afin de corriger le problème. Pendant la saison froide, le système de chauffage devait par la suite permettre de diminuer et corriger le taux d’humidité toujours anormalement élevé, ce qui fût en partie constaté. Le forts taux humidité ayant persistés par la suite, nous avons constaté certains effets indésirables tels moisissures au bas des fenêtres, ondulation des planchers et boiseries et refoulements des oints bois-céramiques causés par le déplacement des planchers.»

 

[63]    Ainsi, les Bénéficiaires ont remarqué un taux d’humidité élevé, qui devait diminuer en période de chauffage. Les forts taux d’humidité ayant persisté par la suite, les problèmes aux planchers se sont manifestés. Avec respect, rien dans cette lettre ne contredit la version des Bénéficiaires;

 

 

Théorie de l’été 2015

 

[64]    Au soutien de leurs allégations, les Bénéficiaires ont offert tous les deux un témoignage cohérent et crédible;

 

[65]    De plus, ils ont produit des photographies des planchers qui appuient leur thèse;

Juridiction

 

[66]    En terminant, le Tribunal écarte l’argument  à l’effet qu’il n’a pas juridiction puisque la dénonciation émane de l’Entrepreneur;

 

[67]    Il serait contraire à l’esprit du Règlement que les Bénéficiaires soient contraints de dénoncer de nouveau un problème déjà dénoncé par l’Entrepreneur;

 

[68]    De plus, l’Administrateur a admis que la date de dénonciation du vice allégué était le 30 octobre 2015;

 

 

Conclusions

 

[69]    Le Tribunal est d’opinion que les premières manifestations appréciables et tangibles du problème des planchers sont survenus à l’été 2015;

 

[70]    Considérant la balance des probabilités et suivant l’appréciation des faits, des témoignages et de la preuve offerte à l’audience ainsi que de la compréhension du Règlement, de la jurisprudence connue, le Tribunal en arrive à la conclusion que le problème de planchers a été dénoncé dans un délai raisonnable de sa manifestation, lequel délai n’a pas excédé 6 mois;

 

[71]    Après avoir pris connaissance des pièces, des témoignages et des arguments des parties, le Tribunal d’arbitrage, sur demande, rend les conclusions suivantes :

 

 

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :

 

 

RECONNAÎT que le point 1 du rapport de l’Administrateur a été dénoncé conformément à l’article 10 alinéa 3 du Règlement;

 

MAINTIENT sa juridiction concernant le deuxième motif de refus de l’Administrateur quant au point 1 de la décision de celui-ci.

 

RÉSERVE à l’Administrateur ses droits à être indemniser par l’Entrepreneur pour toute somme versée incluant les coûts exigibles pour l’arbitrage (par. 19 de l’annexe II du Règlement) en ses lieux et place, et ce, conformément à la Convention d’adhésion prévue à l’article 78 du Règlement;

 

LE TOUT avec les frais de cette décision sur les moyens préliminaires à la charge de l’Administrateur, conformément au Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, avec les intérêts au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la date de la facture émise par l’organisme d’arbitrage, après un délai de grâce de 30 jours.

 

 

       Boucherville, le 19 juillet 2018

 

 

 

       ______________________________

       Me Jacinthe Savoie

       Arbitre / Soreconi

 



[1] Décret 841-98 du 17 juin 1998

[2] Article 2803 du Code civil du Québec

[3] Article 2804 du Code civil du Québec

[4] GAMM, 2013-15-011, 24 avril 2015

[5] CCAC, S-17-011501-NP, 1er juin 2017

[6] SORECONI, 130701001, 3 août 2015

[7] SORECONI, 051223004, 25 octobre 2006

[8] SORECONI, 061110001, 30 janvier 2007

[9] GAMM, 13 185-3, 20 octobre 2015, page 8

[10] CCAC, S10-241202-NP, 5 septembre 2012