ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment du Québec: CCAC
ENTRE : WILLIAM ALLIANCE INC.
(ci-après l’ « Entrepreneur »)
ET : JASMIN MYRE et NICOLAS SIROIS
(ci-après les « Bénéficiaires »)
ET : LA GARANTIE CONSTRUCTION RÉSIDENTIELLE
(ci-après l’« Administrateur »)
Dossier CCAC : S19-041801-NP
DÉCISION
Arbitre : Me Jacinthe Savoie
Pour l’Entrepreneur : Me Mélissa Dionne
Pour les Bénéficiaires : Monsieur Jasmin Myre
Monsieur Nicolas Sirois
Pour l’Administrateur : Me Pierre-Marc Boyer
Date de l’audition : 20 novembre 2019
Date de la Décision : 15 mai 2020
Identification complète des parties
Entrepreneur : William Alliance inc.
656, rue Sagard, bureau 200-A
Saint-Bruno-de-Montarville (Québec) J3V 6C1
Et son procureure :
Me Mélissa Dionne
Bénéficiaires : Monsieur Jasmin Myre
Monsieur Nicolas Sirois
[...]
La Prairie (Québec) [...]
Administrateur : Garantie Construction Résidentielle
4101, Rue Masson, 3e étage
Montréal (Québec) H1Y 3L1
Et son procureur :
Me Pierre-Marc Boyer
Mandat
L’Arbitre a reçu son mandat du CCAC le 22 mai 2019.
Historique du dossier
18-04-2019 Réception de la demande d’arbitrage par le greffe de CCAC
24-04-2019 Notification d’arbitrage transmise aux parties
27-05-2019 Réception du cahier de pièces de l’Administrateur
25-06-2019 Conférence téléphonique tenant lieu et place de conférence préparatoire
27-06-2019 Émission du procès-verbal de la conférence du 25 juin 2019 et Avis de convocation pour l’enquête et audition fixée les 28 et 29 octobre 2019
19-08-2019 Réception d’une demande de remise et l’établissement d’un nouvel échéancier de la part de l’Entrepreneur
09-09-2019 Deuxième conférence téléphonique tenant lieu et place de conférence préparatoire
11-09-2019 Réception d’une demande de remise de l’Entrepreneur concernant l’audition fixée les 4 et 13 novembre 2019
12-09-2019 Émission du procès-verbal de la conférence du 9 septembre 2019 et Avis de convocation pour l’enquête et audition fixée aux 4 et 13 novembre 2019
30-09-2019 Conférence téléphonique tenant lieu et place de conférence préparatoire
02-10-2019 Émission du procès-verbal de la conférence du 30 septembre 2019 et Avis de convocation pour l’enquête et audition fixée aux 20 et 22 novembre 2019
24-10-2019 Réception du rapport de l’expert mandaté par l’Entrepreneur
13-11-2019 Réception des pièces des Bénéficiaires
20-11-2019 Visite des lieux et poursuite de l’enquête et audition aux bureaux de Savoie Cloutier, avocats
15-05-2020 Décision
Admissions
[1] Il s’agit d’une partie privative détenue en copropriété divise et située au [...] à La Prairie (Unité).
[2] Le 15 juin 2018, la réception de l’Unité est intervenue, avec réserve.
[3] Le 10 août 2018, les Bénéficiaires transmettaient une liste de déficiences à l’Entrepreneur.
[4] Les 11 et 25 novembre 2018, les Bénéficiaires transmettaient des listes à jour de travaux à parachever et à corriger.
[5] Le 19 mars 2019, l’Administrateur émettait une décision comprenant 28 points (Décision).
[6] Dans cette Décision, l’Administrateur constatait notamment :
Point 3 RÉPARATION DES LATTES BRISÉES AU PLANCHER DE BOIS FRANC
«Lors de notre visite, nous avons effectivement constaté la présence de lattes fissurées ou écornées à plusieurs endroits au plancher, lesquelles devront être remplacées par l’entrepreneur qui devra porter une attention particulière pour minimiser les différences de teintes inévitables avec les lattes adjacentes.»
Point 7 VARIATIONS DE TEINTE AUX JOINTS DE COULIS DU CARRELAGE CÉRAMIQUE DE LA SALLE DE BAIN ET DE LA CUISINE
«Lors de notre visite, nous avons été à même de constater que certains joints de coulis au carrelage céramique du plancher de la salle de bain et de la cuisine ne sont pas de teinte uniforme.»
Point 10 INTERSTICES ANORMAUX ENTRE CERTAINES LATTES DU PLANCHER
«L’administrateur a été à même de constater la présence d’interstices anormaux entre les lattes du plancher, à trois endroits.»
Point 11 PENTE ANORMALE AU NIVEAU DU PLANCHER DE LA CHAMBRE SECONDAIRE
«Lors de notre visite, nous avons été en mesure de constater une pente au plancher de la chambre secondaire menant de la porte-fenêtre vers la porte intérieure de la chambre.
Il semble y avoir une différence prononcée de la hauteur au plancher, le long du mur arrière, ce qui semble créer une pente du plancher allant vers l’intérieur sur une distance de +/- 32 po, la dénivellation mesurée étant d’environ 5/8 pouce sur 32 pouces, ce qui excède les tolérances admissibles dans l’industrie.»
Point 12 DÉNIVELLATION DU NEZ DE L’ESCALIER
«Lors de notre visite, nous avons été en mesure de constater une pente au nez de l’escalier, de même que nous avons remarqué une variance au niveau de la hauteur du plancher versus le nez de l’escalier.
[…] il est possible de remarquer un dénivelé d’une hauteur de 0 mm allant jusqu’à 2 mm, soit l’épaisseur d’une pièce de 10 cents.
Pour ces raisons, le nez de marche devra être corrigé de façon à se situer à la même hauteur que les lattes sur toute sa longueur.»
Point 13 DÉNIVELLATION AU NIVEAU DU PLANCHER DU SALON
«Lors de notre visite, nous avons été en mesure de constater une pente trouvant son point de départ au plancher du salon pour se diriger vers la salle à manger, ce qui est contraire au sens des poutrelles et signifiant que la déflexion mentionnée par le manufacturier ne s’applique pas dans le présent cas.
La pente du plancher en partant du mur avant (point haut) vers la salle à manger sur une distance d’environ 48 pouces est de 5/8 pouce, ce qui excède la tolérance de ¼ pouce sur 32 pouces.
Après cette distance, les dénivellations du plancher rencontrent les tolérances admissibles.»
[7] Quant aux points 3, 7 et 10 à 13 de la Décision, l’Administrateur a conclu qu’ils rencontraient les critères de la malfaçon non apparente au sens du paragraphe 3 de l’article 27 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs[1] (Règlement). En conséquence, il a accueilli la réclamation des Bénéficiaires au regard desdits points.
[8] Le 18 avril 2019, l’Entrepreneur a porté ces six points en arbitrage.
Visite des lieux et audition
[9] Les parties, les procureurs de l’Entrepreneur et de l’Administrateur, l’expert de l’Entrepreneur ainsi que l’Arbitre ont procédé à la visite des lieux le 20 novembre 2019.
[10] L’audition de la présente affaire s’est par la suite déroulée aux bureaux de l’Arbitre.
[11] D’entrée de jeu, les parties ont confirmé qu’il y avait une entente concernant les points 3, 7 et 10 de la Décision.
[12] En conséquence, le litige portera sur les points 11, 12 et 13 de la Décision.
[13] Étaient présents lors de l’audition:
Pour les Bénéficiaires : Monsieur Jasmin Myre
Monsieur Nicolas Sirois
Pour l’Entrepreneur : Monsieur Jean-Marc Lebel, représentant de l’Entrepreneur
Monsieur Sami Chahine, expert
Me Mélissa Dionne
Pour l’Administrateur : Monsieur Normand Pitre, conciliateur
Monsieur Éric Schwen, chargé de projet chez l’Administrateur
Me Pierre-Marc Boyer
Position de l’Entrepreneur
Jean-Marc Lebel
[14] L’Entrepreneur fait d’abord entendre monsieur Lebel, président de l’Entrepreneur.
[15] Ce dernier explique au Tribunal que:
[15.1] il est responsable du suivi du chantier avec les clients;
[15.2] dans ce projet, il y a 25 bâtiments comprenant 4 unités chacun;
[15.3] il n’y a eu aucune plainte similaire;
[15.4] l’Entrepreneur tente toujours de satisfaire ses clients en effectuant les correctifs demandés, et ce, afin d’éviter les litiges;
[15.5] afin d’accommoder les Bénéficiaires, l’Entrepreneur leur a permis d’effectuer certains travaux;
[15.6] il admet que le dossier est compliqué et qu’il y a eu un problème de communication avec les Bénéficiaires;
[15-.7] au regard des portes de la garde-robe de la chambre secondaire, l’Entrepreneur a vendu le cadrage et les portes coulissantes aux Bénéficiaires. Ce sont ces derniers qui devaient procéder à l’installation. À première vue, l’installation des portes n’est pas conforme et on ne peut se fier à ces portes pour déterminer si la dénivellation du plancher de la chambre secondaire se situe à l’intérieur des tolérances.
[16] En contre-interrogatoire, monsieur Lebel précise que :
[16.1] les plans de la structure et des poutrelles des bâtiments sont toujours les mêmes dans le projet mais il peut arriver qu’il y ait eu certains changements;
[16.2] il est possible qu’il y ait eu également des changements de matériaux pour une question de coûts ou pour d’autres raisons mais la performance desdits matériaux n’a pas été affectée;
[16.3] il assure que le poteau dans le garage est identique à celui prévu aux plans et est le même que l’immeuble situé au [...].
Sami Chahine
[17] Le deuxième témoin entendu est monsieur Sami Chahine, ingénieur spécialisé notamment dans les problèmes de structure de bâtiments.
[18] Personne n’ayant contesté son statut d’expert, il est reconnu comme tel par le Tribunal. Monsieur Chahine a émis un rapport en date du 22 octobre 2019 sur les points 11, 12 et 13 de la Décision.
[19] Le témoignage et le rapport de ce dernier se résument ainsi :
Inspection
[19.1] il a inspecté les planchers de l’Unité le 18 septembre 2019. Lors de ladite inspection, il a effectué une série de mesures ponctuelles avec un pointeur laser, et ce, tout au long d’un axe parallèle situé à 32 po du mur extérieur autant dans le salon que dans la chambre secondaire;
[19.2] le niveau laser utilisé est un instrument à niveau ajustable muni de trois faisceaux lumineux laser de précision. Ce type d’instrument permet de faire des lectures plus précises qu’avec un ruban à mesurer;
Point 11
[19.3] dans la chambre secondaire, ses mesures indiquent une dénivellation qui n’excède pas 6 mm, le long d’un axe parallèle à 32 po du mur extérieur;
[19.4] il conclut que les planchers de la chambre sont conformes aux tolérances acceptables;
Point 12
[19.5] pour la planche de bois du nez de l’escalier, il a obtenu les mêmes résultats que l’Administrateur, soit une dénivellation allant de zéro à 2 mm. Par conséquent, il conclut que la dénivellation est inférieure à la limite de la tolérance permise;
[19.6] cette tolérance est indiquée dans le guide de performance de l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (Guide de performance) qui spécifie que :
«Les transitions entre les différents matériaux de plancher ne devraient pas présenter de dénivellation verticale supérieure à 1/16 po (2 mm). Cela inclut la rencontre de deux revêtements différents sur la surface d’un même plancher. […]»;
Point 13
[19.7] dans le salon, «la pente de dénivellation est variables [sic], non-uniforme et augmente jusqu’à (9) mm dans la direction diagonale allant du coin extérieur éloignée [sic] du salon allant vers la direction de l’extrémité du nez de l’escalier. Ceci veut dire que c’est le point d’appui des poutrelles de la charpente en bois sur le bord de l’ouverture de l’escalier qui est la source la plus probable de l’inclinaison.»;
[19.8] «Le différentiel de cette inclinaison étant minime que la cause ne peut être une déflection des poutrelles de la charpente ni un mauvais niveau d’installation (ou de malfaçon) lors de la construction. Nous pensons que la cause la plus probable est un simple séchage ponctuel du bois à l’assise de la poutrelle de plancher sur le bord de l’ouverture de l’escalier. C’est un comportement propre au bois surtout si il [sic] a été installé dans une période hivernale ou très humide. Cependant, cette inclinaison ne représente aucun risque sur la structure et est strictement d’ordre visuel.»;
[19.9] il croit également «que la dénivellation mesurée est dans les marges acceptables des tolérances permises d’un point de vue visuel, car le plancher du salon étant beaucoup plus grand, large et profond, alors l’effet visuel causé par un différentiel ne dépassant pas les 3 mm par rapport à une performance souhaitée est minimale.»;
[19.10] il reproche à l’Administrateur de baser ses décisions sur une «interprétation directe et rigide du guide de performance de l’APCHQ» qui se lit comme suit :
«Les planchers ne devraient pas avoir de bosses ou déflexions supérieures à ¼ po (6 mm) à l’intérieur de toute mesure de 32 po (813 mm) […]»;
[19.11] de plus, «l’impact visuel et esthétique n’est pas facilement observable qu’avec des instructions de mesurage et les causes ne découlant ni de malfaçon, ni de défauts structuraux». «Par conséquent, le tout ne porte donc, pas préjudice ni sur l’aspect de l’utilisation des lieux ni sur la valeur marchande du bâtiment. L’impact visuel de cette manifestation peut donc être, facilement et économiquement, réduit par certains travaux de finition.»;
Guide de performance
[19.12] il précise que le Guide de performance est «une bonne indication du souhait de performance recherchée.» Ce guide essaie de quantifier la règle de l’art. Toutefois, il affirme que ce guide doit être nuancé et qu’il existe d’autres livres et guides de performance émis notamment par les institutions spécialisées ou les manufacturiers;
[19.13] même si la règle énoncée dans le Guide de performance «reste la plus communément utilisée, il n’en demeure pas moins, qu’elle n’est pas la seule et qu’elle ne doit donc pas faire figure de «code» ou de «loi» dans le sens propre des mots et donc son utilisation ne doit pas en principe, être strictement applicable à la lettre tels [sic] que semble le faire l’administrateur du plan de garantie».
Position de l’Administrateur
Éric Schwen
[20] L’Administrateur fait d’abord entendre monsieur Éric Schwen, chargé de projet au sein de son organisation.
[21] Monsieur Schwen accompagnait monsieur Pitre lors de la visite de l’Unité en date du 10 janvier 2019. Il est retourné sur les lieux le 13 février 2019 afin de prendre des mesures au moyen d’un laser avec un niveau ainsi qu’un ruban à mesurer.
[22] Les mesures prises sont les suivantes:
- à la chambre secondaire, la dénivellation est d’environ 5/8 po sur 32 po;
- au nez de marche, le dénivelé est d’une hauteur de 0 mm allant jusqu’à 2 mm; et
- au salon, la pente du plancher, en partant du mur avant vers la salle à manger sur une distance d’environ 48 po est de 5/8 po.
[23] Il explique les différences de mesures avec monsieur Chahine en raison de la manière de prendre lesdites mesures. En effet, monsieur Chahine a pris ses mesures sur plusieurs axes alors que lui-même les a prises sur un seul axe.
Normand Pitre
[24] Par la suite, monsieur Pitre explique les motifs justifiant la Décision, de la manière suivante:
Point 11
[24.1] la dénivellation mesurée à la chambre secondaire est de 5/8 po sur 32po, ce qui excède la tolérance;
[24.2] il y a plusieurs tolérances dans l’industrie mais la plus utilisée est le Guide de performance. À tout évènement, les manufacturiers utilisent la même norme ou une norme similaire;
Point 12
[24.3] dans la mesure où la dénivellation du nez de l’escalier est «croche», il n’y a pas de tolérance applicable. En effet, il est possible de remarquer un dénivelé d’une hauteur de 0 mm allant jusqu’à 2 mm;
Point 13
[24.4] au salon, la dénivellation est de 5/8 po sur 48 po alors qu’elle est de ½ po sur 32 po, ce qui excède la tolérance prévue au Guide de performance.
Position des Bénéficiaires
Nicolas Sirois
[25] En premier lieu, monsieur Sirois refait l’historique contractuel des parties ainsi que le détail des réclamations formulées par les Bénéficiaires auprès de l’Entrepreneur et de l’Administrateur.
[26] En ce qui a trait à la dénivellation à la chambre secondaire, il mentionne qu’elle est très apparente si on observe les portes de la garde-robe. Des calles ont été nécessaires afin de mettre à niveau le cadrage desdites portes. De plus, ils n’ont pas été en mesure d’installer les rails pour ces portes, et ce, en raison de la dénivellation.
[27] Il remet en question la construction d’une colonne qui ne serait pas identique aux plans. Cette colonne se situe au garage, près de l’escalier.
[28] Il précise notamment que les dénivellations sont si importantes dans le salon qu’ils ne peuvent même pas installer une bibliothèque. Dans les faits, ils ne peuvent jouir pleinement de leur Unité.
Arguments de l’Entrepreneur
[29] Me Dionne débute en précisant que les Bénéficiaires sont exigeants et que la construction n’est pas une science.
[30] En ce qui a trait aux points 11 et 12 de la Décision, elle souligne qu’il ressort du rapport de monsieur Chahine que les tolérances sont rencontrées. En conséquence, elle considère que les règles de l’art sont respectées et qu’il ne peut s’agir de malfaçon.
[31] Au regard du point 13 de la Décision, Me Dionne souligne que :
[31.1] les mesures effectuées par M. Chahine démontrent qu’il existe des dénivellations variables et non-uniformes résultant en une pente qui culmine à 9 mm, soit seulement 3 mm au-dessus des mesures suggérées par le Guide de performance. Cette mesure à elle seule ne peut constituer une malfaçon;
[31.2] quant au concept de «malfaçon», Me Ewart cite plusieurs sources définissant cette notion dans l’affaire MV et al. c. Constructions Raymond et Fils inc et Raymond Chabot administrateur provisoire inc.[2], soit :
«[59] Les tribunaux se sont penchés sur la question des normes applicables à la malfaçon; dans l’affaire Bordeleau22 la Cour écrit au sujet du concept de ‘malfaçon’ :
« [L’article 2120 C.c.Q.] garantit l’absence de ‘malfaçons’ dans l’ouvrage immobilier. Une ‘malfaçon’ étant un travail mal fait, il faut se demander quelles sont les normes qui sont applicables pour déterminer si le travail a été ou non mal fait. […].
[60] Avec appui et citations jurisprudentielles, la doctrine entre autres sous la plume du Pr Karim définit bien la malfaçon et son caractère (apparent ou non) :
« Elle [ndlr : malfaçon] peut découler d’une condition contractuelle, écrite ou verbale, qui n’a pas été remplie conformément à ce qui était prévu. Elle peut être, également, le résultat du non-respect des règles de métier de l’entrepreneur ou des sous-traitants23. Il y a aussi des malfaçons lorsque l’ouvrage est incomplet ou déficitaire ou encore non conforme aux règles de l’art ni aux ententes contractuelles24.»
Comportement normal des matériaux
[31.3] le faible différentiel de l’inclinaison serait provoqué par un simple séchage ponctuel du bois à l’assise de la poutrelle sur le bord de l’ouverture de l’escalier, ce qui constitue un comportement normal des matériaux. Le conciliateur a par ailleurs rejeté le point 19 de la réclamation des Bénéficiaires intitulé «fissuration du joint de gypse à la jonction du mur et plafond de la cuisine», justement en raison de l’assèchement de l’ossature de bois;
[31.4] le comportement normal des matériaux est exclu de l’application du Règlement[3] et la situation telle qu’elle se manifeste ne peut résulter que de ce phénomène;
[31.5] dans la décision de MV[4], l’arbitre conclut que :
[137] La preuve d’un manquement de l’Entrepreneur à ses responsabilités et obligations n’a pas été faite, de sorte que le Tribunal est d’avis que l’argument de l’Administrateur doit être retenu selon lequel les fissures sont le résultat du comportement normal des matériaux, situation exclue de la garantie par l’article 12.2 du Règlement. La réclamation quant aux fissures est rejetée, car il s’agit d’un problème qui ne constitue pas une malfaçon au sens du Règlement.»
Guide de performance
[31.6] pour accueillir la réclamation des Bénéficiaires, l’Administrateur se base uniquement sur le Guide de performance de même que sur une recommandation du manufacturier;
[31.7] l’Entrepreneur soumet, tel que confirmé par son expert, que les tolérances mentionnées au Guide de performance ne peuvent, à elles seules, permettre de déterminer si des travaux ont été bien exécutés ou non;
[31.8] le Tribunal n’est en aucun temps lié par lesdites tolérances puisque le Guide de performance n’a pas force de loi;
[31.9] Me Ewart[5] traite des normes applicables en ces termes :
[68] Ces ‘normes acceptables’ peuvent être qualifiées de critères respectant les règles de l'art, et nos tribunaux de souligner, ce qui demeure un principe directeur pour le Tribunal :
« [87] On ne peut donc séparer les mots malfaçons de règles de l'art. Il n'y aura pas de malfaçons si les travaux respectent les règles de l'art. Or, il n'existe pas de perfection en matière de construction. De légères anomalies, de petites imperfections, de petits défauts ou de minimes irrégularités ne pourront faire l'objet de malfaçons, puisque la construction est faite de matériaux pouvant comporter des défectuosités. Les matériaux de construction ne sont pas toujours parfaits. C'est pourquoi il faut établir en quoi un travail peut être acceptable, même s'il comporte certaines anomalies, alors qu'un autre ne le sera pas. Il faut donc des règles qui guident la façon de construire. »
[88] […] des spécialistes de la construction de différents corps et métiers se sont réunis et ont élaboré des critères et des normes, afin qu'une construction soit acceptable, rencontrant par le fait même les règles de l'art. »
[69] Le Tribunal fait preuve d’une retenue à l’endroit des normes établies par le Guide et autres publications, mais retient aussi toutefois que la doctrine et notre jurisprudence sur le sujet nous enseignent d’autre part, quant aux guides d’instruction, normes et autres sources, et plus particulièrement pour nos fins la Cour d’appel dans l’affaire Groulx c Pilacan:
«On trouve souvent des règles de pratique dans les guides d’instructions des fabricants, des normes élaborées par différents organismes, sans qu’aucune de ces sources ne soit obligatoire en soi31 ni ne lie les tribunaux32. […] Il importe de préciser qu’il est possible de déroger aux normes du Code national du bâtiment33 dans la mesure où une telle dérogation n’entraîne pas une diminution de la qualité de l’ouvrage ou ne pourra pas être perçue comme un vice de construction ou une malfaçon34. »35;
[les soulignés sont de Me Ewart]
[31.10] l'inclinaison ne présenterait aucun risque sur la structure de l’Immeuble ni sur l’utilisation de l’Unité.
Impact visuel
[32] Selon les prétentions de l’Entrepreneur, l’Unité ne serait affectée que visuellement, et ce, «à condition de se coller le nez sur le point le plus élevé et de le mesurer».
[33] Me Dionne plaide que les conséquences de l’impact visuel de la dénivellation sont minimes, peu visibles et tout à fait acceptables. De plus, la situation n’a aucune conséquence sur la valeur marchande de l’Unité ou sur l’usage de cette dernière.
[34] L’Entrepreneur soumet qu’un préjudice esthétique ne sera couvert par le Règlement que dans l’optique où ledit préjudice résulte d’un travail mal fait ou d’une dérogation aux obligations contractuelles de l’Entrepreneur. À cet effet, elle fait sien les propos suivants de Me Ewart [6]:
«[79] En sommaire, dans une réclamation de préjudice ou problématique esthétique, il est requis qu’il y ait malfaçon, soit (i) quant à un travail fait avec des matériaux déficients ou d’un travail mal fait ou mal exécuté, compte tenu des normes qui lui sont applicables ou (ii) un travail fait ou des matériaux utilisés en contravention de stipulations contractuelles spécifiques.»
Correctifs
[35] Me Dionne poursuit en mentionnant que, dans la mesure où le Tribunal en venait à la conclusion qu’il s’agissait d’une malfaçon, il y a lieu de tenir compte de la nature du préjudice dans la détermination du remède approprié.
[36] Au soutien de cette prétention, elle cite la décision de Nicolas Rousseau et Noémie Leblanc c. Développement immobilier Titan inc. et La Garantie Qualité Habitation inc.[7] :
«[98] Par ailleurs, si certains décideurs ont pu considérer comme étant exclu du Règlement le préjudice esthétique, le présent Tribunal d’arbitrage n’est pas de cet avis. Le fait que le préjudice soit uniquement ou principalement esthétique aura certainement un impact sur la décision qui sera rendue quant au remède approprié. L’équité pourra alors entrer en jeu quant à savoir si le remplacement doit être ordonné ou si, au contraire, il existe une solution alternative acceptable pour remédier à la situation. Cependant, il faut d’abord qualifier la situation avant de penser au remède approprié.»
[37] Me Dionne poursuit en précisant qu’il serait largement disproportionné pour le Tribunal d’ordonner une reprise des travaux pour la correction d’une très légère dénivellation. Il est plus risqué de procéder à des travaux correctifs que de conserver la dénivellation.
[38] Elle rappelle que le Tribunal peut également faire appel à l’équité dans certaines circonstances, afin de conserver un équilibre entre les parties.
Conclusions
[39] En résumé, l’Entrepreneur soumet que :
[39.1] il a fait la preuve que les points portés en arbitrage ne contiennent aucune malfaçon nécessitant une reprise des travaux;
[39.2] en effet, les dénivellations seraient causées par l’assèchement du bois et donc, par le comportement normal des matériaux, lequel est exclu de l’application du Règlement;
[39.3] pour rendre sa décision, le conciliateur ne s’est basé que sur le Guide de performance, lequel a une force probante mitigée qui ne peut, à lui seul, déterminer les règles de l’art en l’espèce;
[39.4] sa preuve d’expert ne fut pas contredite par les Bénéficiaires;
[39.5] au surplus, un préjudice esthétique seul, lequel ne découle d’aucun travail mal fait, n’est pas couvert par la garantie;
[39.6] une simple anomalie n’est pas une malfaçon;
[39.7] le Tribunal, dans l’optique où il conclurait à la reprise des travaux par l’Entrepreneur, devra tenir compte de la nature du préjudice allégué et de la disproportion entre la solution corrective et ledit préjudice.
Arguments de l’Administrateur
[40] Me Boyer rappelle que c’est l’Entrepreneur qui a le fardeau de la preuve et ce dernier ne s’en est pas déchargé. De plus, la preuve de l’Entrepreneur est contredite.
[41] En ce qui a trait au salon, les mesures prises par l’Entrepreneur indique une dénivellation de 9 mm, ce qui excède la tolérance.
[42] Quant à la chambre secondaire, les mesures de l’Administrateur et de l’Entrepreneur diffèrent soit 16 mm de dénivellation pour l’Administrateur et 6 mm pour l’Entrepreneur. Pour monsieur Pitre, indépendamment des mesures, la dénivellation est visible d’emblée.
[43] Pour le nez de l’escalier, il n’est pas question de tolérance puisque c’est juste croche.
Guide de performance
[44] Me Boyer convient que le Guide de performance n’est qu’un guide et non le code. Toutefois, il faut établir un barème.
[45] L’Entrepreneur plaide que le Tribunal ne doit pas se fier uniquement au Guide de performance pour établir les balises. Là où le bât blesse, c’est que l’Entrepreneur ne précise pas qu’est-ce qui est applicable. Dans le salon, la dénivellation excède de 3 mm la tolérance prévue au Guide de performance. Mais si on ne prend pas ce guide, comment établit-on la limite ? Est-ce 3 mm ou 4 mm?
[46] De plus, la tolérance ne devrait pas exister : «ça le dit : « tolérance »».
[47] Selon Me Boyer, la seule preuve nécessaire est que les mesures excèdent la tolérance. En effet, il faut simplement prouver que l’obligation de résultat n’est pas respectée.
Préjudice esthétique
[48] Il ajoute que tous s’entendent pour dire que le préjudice esthétique est couvert par le Règlement.
[49] Dans la décision citée par Me Dionne[8], Me Ewart conclut qu’il doit y avoir une anomalie. Me Boyer comprend mais ajoute que cette anomalie doit être déterminée objectivement. Dans le présent cas, le dépassement de la tolérance équivaut à une anomalie et le Tribunal n’a pas à chercher plus loin.
Séchage de matériaux
[50] Me Boyer poursuit en indiquant qu’effectivement, le séchage des matériaux est exclu de la couverture de la garantie. Toutefois, rien dans la preuve ne démontre qu’il s’agit de séchage et non d’un problème structural. En effet, monsieur Chahine déduit qu’il s’agit du séchage du bois sans un signe ou une manifestation quelconque. Le Tribunal ne peut conclure qu’une preuve a été administrée à ce sujet puisqu’il s’agit d’une déduction par défaut sans manifestation physique.
[51] À tout évènement, si on pouvait exclure la dénivellation en raison de l’assèchement du bois, on ne parlerait pas du Guide de performance.
Correctifs
[52] En réponse à l’argument de l’Entrepreneur à l’effet que les conséquences du statu quo seraient moins grandes que les conséquences résultant de travaux correctifs, Me Boyer rétorque que la question n’est pas là. Le Règlement n’est pas construit comme ça. L’Entrepreneur doit respecter son obligation de résultat et le coût des travaux correctifs ne doit pas être pris en considération dans la décision du Tribunal.
Conclusions
[53] Il conclut en réitérant que le fardeau de preuve de l’Entrepreneur n’ayant pas été rencontré, la demande d’arbitrage doit être rejetée.
Arguments des Bénéficiaires
[54] Monsieur Sirois débute en affirmant que tout le monde s’entend pour dire que les planchers sont croches. Même s’il y a eu deux prises de mesures par des méthodes différentes, il est clair qu’à l’œil, il y a dénivellation des planchers.
[55] Il poursuit en soulignant qu’il y a des conséquences esthétiques et qu’il est certain que cela aura un impact sur de futurs acheteurs.
[56] Il rappelle que l’Entrepreneur avait une obligation de résultat et qu’il devait faire des planchers plats et droits.
[57] L’Entrepreneur a plaidé que les conséquences d’une correction seraient plus dommageable« que de laisser les planchers tels quels, mais il n’y a aucune preuve à cet effet.
[58] La dénivellation est apparue après la prise de possession qui s’est faite 3 mois après la construction, et ce, avant même qu’il y ait un ou deux cycles de séchage de complétés. Cet état de fait rend la théorie de l’assèchement des matériaux impossible.
[59] De plus, il indique qu’il y a eu un manque au niveau de la poutre près de l’escalier et aucune preuve n’a été faite que la poutre avait été construite conformément aux plans.
[60] Monsieur Sirois ajoute qu’en payant un prix assez élevé pour l’Unité, les Bénéficiaires étaient en droit de s’attendre à un travail de qualité.
[61] Par la suite monsieur Myre ajoute que l’écart du nez de marche est important et qu’un ami a perdu pied à deux reprises.
[62] Que la dénivellation au salon est de 50% plus grande que la tolérance prévue au Guide de performance. De plus, si on ne peut se baser sur ledit guide, on peut prendre l’interprétation que l’on veut.
DÉCISION
[63] Le Tribunal rappelle que l’Entrepreneur est la partie en demande et que c’est ce dernier qui a le fardeau de la preuve.
[64] Ainsi, l’Entrepreneur a l’obligation de convaincre du caractère erroné de la Décision de l’Administrateur relativement aux trois points en litige.
Malfaçon
[65] La Décision visée se fonde sur l’article 27 alinéa 3 du Règlement, qui se lit comme suit :
«27. La garantie d’un plan dans le cas de manquement de l’entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception de la partie privative ou des parties communes doit couvrir:
(…)
3° la réparation des malfaçons existantes et non apparentes au moment de la réception et découvertes dans l’année qui suit la réception, visées aux articles 2113 et 2120 du Code civil et dénoncées, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte des malfaçons;
[…]».
[66] Me Rodrigue et Me Edward définissent la malfaçon de la façon suivante :
«Comme son nom l’indique, une «malfaçon» est un travail mal fait ou mal exécuté. Or, un travail donné est considéré «bien» ou «mal» fait selon les normes qui lui sont applicables. Deux types de normes sont couramment employées [sic] pour établir l’existence d’une malfaçon. Premièrement, ce sont les conditions contractuelles fixées, que celles-ci soient écrites ou verbales, entre les parties. Deuxièmement, en l’absence de conditions précises expressément arrêtées, recours est fait aux «règles de l’art» qui sont suivies par chaque corps de métier ou secteur pertinent. Les règles de l’art sont considérées comme intégrées par renvoi dans le contrat.[9]»
Point 11 - Pente anormale au niveau du plancher de la chambre secondaire
[67] L’Administrateur a mesuré une dénivellation de 5/8 po sur une distance de plus ou moins 32 po. Cette mesure a été prise au moyen d’un laser avec un niveau ainsi qu’un ruban à mesurer.
[68] Quant à l’Entrepreneur, son expert a affirmé qu’aucune mesure n’excède 6 mm dans la chambre secondaire. Monsieur Chahine a pris ces mesures au moyen d’un niveau laser, lequel est ajustable et muni de trois faisceaux lumineux laser de précision.
[69] Monsieur Schwen, chargé de projet auprès de l’Administrateur, a expliqué cet écart important entre les 2 prises de mesures. En effet, il justifie cette différence par les instruments utilisés pour effectuer les lectures. Il a précisé que l’Administrateur prend ses lectures sur un axe alors que monsieur Chahine les a pris sur plusieurs axes.
[70] Les parties s’entendent sur la tolérance applicable, soit l’article 2-21 du Guide de performance qui se lit comme suit :
«Constat : Bosse ou déflexion apparaissant sur le plancher
Performance minimale attendue
Les planchers ne devraient pas avoir de bosses ou déflexions supérieures à ¼ po (6 mm) à l’intérieur de toute mesure de 32 po (813 mm).
[…]»
[71] L’Administrateur ayant, pour ainsi dire, admis que les mesures de monsieur Chahine sont plus précises que les siennes, il appert que la dénivellation du plancher de la chambre secondaire respecte les tolérances applicables.
[72] En conséquence, il ne s’agit pas d’une malfaçon au sens du Règlement et la demande d’arbitrage est accueillie quant à ce point.
Point 12 - Dénivellation du nez de l’escalier
[73] L’Administrateur a remarqué un dénivelé au nez de l’escalier d’une hauteur de 0 mm allant jusqu’à 2 mm. Il ajoute que puisque le nez de marche est croche, aucune tolérance n’est applicable. L’Administrateur conclut que le nez de marche devra être corrigé de façon à se situer à la même hauteur que les lattes, et ce, sur toute la longueur du nez de l’escalier.
[74] Monsieur Chahine a pris la même mesure que l’Administrateur, soit un dénivelé maximum de 2 mm. Toutefois, il indique que ce dénivelé se situe à l’intérieur de la tolérance prévue au Guide de performance. Cette tolérance prévoit que : «Les transitions entre les différents matériaux de plancher ne devraient pas présenter de dénivellation verticale supérieure à 1/16 po (2 mm). Cela inclut la rencontre de deux revêtements différents sur la surface d’un même plancher.»
[75] Le Tribunal partage l’opinion de l’Administrateur quant à ce point, maintient la décision rendue et rejette la demande d’arbitrage quant au point 12 de la Décision.
Point 13 : Dénivellation au niveau du plancher du salon
[76] L’Administrateur et l’Entrepreneur conviennent que le dénivelé du salon atteint 9 mm sur une longueur de 32 po.
[77] L’Administrateur conclut qu’il s’agit d’une malfaçon puisque ce dénivelé excède la tolérance prévu au Guide de performance. En effet l’article 2-21 stipule que la déflexion ne doit pas excéder 6 mm.
[78] L’Entrepreneur invoque plusieurs motifs pour convaincre le Tribunal que cette dénivellation ne constitue pas une malfaçon.
Guide de performance
[79] Il est pour le moins curieux que l’Entrepreneur invoque le Guide de performance comme référence aux points 11 et 12 alors qu’il rejette son application au point 13.
[80] Il reproche à l’Administrateur de se baser uniquement sur le Guide de performance pour conclure à une malfaçon. Toutefois, tout en plaidant que le Tribunal peut se baser sur d’autres normes et guides, il n’en soumet aucun autre en preuve.
[81] Rappelons que l’Entrepreneur a une obligation de résultat. Toutefois, il est vrai que lors de l’exécution de travaux de construction, il arrive que tout ne soit pas parfait. C’est pour cette raison que l’industrie a accepté qu’il y ait certaines tolérances.
[82] La seule tolérance mise en preuve devant le Tribunal est le Guide de performance. En conséquence, c’est cette balise dont se servira le Tribunal pour évaluer si le dénivelé de 9 mm correspond à la tolérance permise par les règles de l’art.
Aspect esthétique
[83] Contrairement à la prétention de l’Entrepreneur, le Tribunal ne croit pas que, dans les circonstances, un dénivelé de 9 mm, soit 3 mm de plus que la tolérance, est acceptable.
[84] Avec respect, le Tribunal ne partage pas l’opinion de l’expert de l’Entrepreneur à l’effet que le plancher présente un aspect esthétique satisfaisant. Le dénivelé est très apparent et l’impact visuel est important.
Impact sur la valeur de l’Unité
[85] L’Entrepreneur affirme que la valeur de l’Unité ne sera pas affectée par la dénivellation au plancher du salon, le tout sans offrir de preuve satisfaisante à cet effet.
Malfaçon
[86] Le dénivelé ne respectant pas les règles de l’art, le Tribunal le qualifie de malfaçon.
Assèchement du bois
[87] L’Entrepreneur soumet que ce point est exclu de l’application de la garantie puisque la dénivellation résulte du comportement normal des matériaux soit le séchage du bois.
[88] Il réfère l’Arbitre à l’alinéa 2 de l’article 29 du Règlement qui se lit comme suit :
«Sont exclus de la garantie:
[…]
2° les réparations rendues nécessaires par un comportement normal des matériaux tels les fissures et les rétrécissements;»
[89] Toutefois, il aurait été opportun de poursuivre la lecture de cet article avant de conclure à son application au point en litige.
[90] En effet, le dernier paragraphe de l’article 29 du Règlement stipule :
«Toutefois, les exclusions visées aux paragraphes 2 et 5 ne s’appliquent pas si l’entrepreneur a fait défaut de se conformer aux règles de l’art ou à une norme en vigueur applicable au bâtiment.»
[91] En conséquence, puisque le Tribunal a conclu que l’Entrepreneur ne s’était pas conformé aux règles de l’art, cette exclusion ne peut trouver application.
Équité
[92] Le Tribunal ne donnera pas suite à la demande de l’Entrepreneur et ne se servira pas de l’équité pour dénaturer le texte même du Règlement.
Méthode corrective
[93] De plus, le Tribunal ne se prononcera pas sur la méthode corrective. En effet, aucun débat n’a eu lieu quant au bien-fondé d’une quelconque méthode corrective par rapport à une autre. Dans la Décision, l’Administrateur n’ordonnait pas à l’Entrepreneur d’utiliser une méthode corrective spécifique. En conséquence, le Tribunal se prononcera uniquement sur le bien-fondé de la décision de l’Administrateur.
[94] L’Entrepreneur ne s’est pas déchargé de son fardeau de preuve et n’a pas convaincu le Tribunal du bien-fondé de ses prétentions quant au point 13 de la Décision.
[95] En conclusion, le dénivelé constitue une malfaçon au sens du Règlement et le Tribunal maintient le point 13 de la Décision.
Conclusions
[96] Suivant l’appréciation des faits, des témoignages et de la preuve offerte à l’audience ainsi que de la compréhension du Règlement, de la jurisprudence connue, le Tribunal se doit d’accueillir la demande d’arbitrage concernant le point 11 et de la rejeter en ce qui a trait aux points 12 et 13 de la Décision, le tout sans préjudice et sous toute réserve du droit des parties de porter devant les tribunaux civils leurs prétentions.
[97] Après avoir pris connaissance des pièces, des témoignages et des arguments des parties, le Tribunal d’arbitrage, sur demande, rend les conclusions suivantes :
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
ACCUEILLE la demande d’arbitrage de l’Entrepreneur quant au point 11 de la décision du 19 mars 2019 de l’Administrateur;
REJETTE la demande d’arbitrage de l’Entrepreneur quant aux points 12 et 13 de la décision du 19 mars 2019 de l’Administrateur;
RÉSERVE à l’Administrateur ses droits à être indemniser par l’Entrepreneur, pour tous travaux, toute(s) actions(s) et toute somme versée incluant les coûts exigibles pour l’arbitrage (par. 19 de l’annexe II du Règlement) en ses lieux et place, et ce, conformément à la Convention d’adhésion prévue à l’article 78 du Règlement;
LE TOUT avec les frais de l’arbitrage à la charge de l’Entrepreneur et de l’Administrateur, en parts égales, conformément au Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, avec les intérêts au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la date de la facture émise par l’organisme d’arbitrage, après un délai de grâce de 30 jours.
Boucherville, le 15 mai 2020
______________________________
Me Jacinthe Savoie
Arbitre / CCAC
[1] RLRQ c. B-1.1, r.8
[2] 17 décembre 2018, CCAC, S17-061301-NP, Me Jean Philippe Ewart, arbitre
[3] Article 29 alinéa 2 du Règlement
[4] Idem note 2
[5] Idem note 2
[6] Idem note 2
[7] 10 mai 2015, GAMM : 2013-16-007, Me Karine Poulin, arbitre
[8] Idem note 2
[9] Sylvie RODRIGUE et Jeffrey EDWARD, «La responsabilité légale pour la perte de l’ouvrage et la garantie légale contre les malfaçons», dans Olivier F. KOTT et Claudine ROY (dir.), La construction au Québec : perspectives juridiques, Montréal, Wilson & Lafleur, 1998, p. 409, aux pages 453 et 454