ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES
BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
(Décret 841-98)
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
Groupe d’arbitrage et de médiation sur mesure (GAMM)
Dossier no : GAMM : 2017-06-001
APCHQ : 186643-1 / Accréditation : 209068
DOYLE : 1500-088
NNANTEL : 17-012 (jp)
ENTRE:
SYNDICAT DES COPROPRIÉTAIRES LAURIER-8IÈME AVENUE
(ci-après le« Bénéficiaire»)
ET :
IDEVCO DÉVELOPPEMENT 2011 INC.
(ci-après l’« Entrepreneur »)
-ET-
RAYMOND CHABOT ADMINISTRATEUR PROVISOIRE INC. ès qualités d’administrateur provisoire du plan de garantie LA GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS DE L’APCHQ INC.
DEVANT L’ARBITRE : Me Jean Doyle
Pour les Bénéficiaires : Mme Geneviève Hérard
Mme Andrée-Anne Pelletier
Pour l’administrateur de la Garantie : Me Nancy Nantel
Pour l’Entrepreneur : Mme Véronique Desjardins
A-1 (en liasse) États de renseignements d’une entreprise morale au registre des entreprises du bénéficiaire en 2015 et en 2016;
A-2 Déclaration de copropriété en date du 22 mars 2011;
A-3 Formulaire d’inspection préréception en date du 26 septembre 2011;
A-4 Procès-verbal de l’assemblée générale du SDCLaurier-8ième Avenue en date du 3 mai 2011
A-5 Lettre de dénonciation du bénéficiaire en date du 19 janvier 2012;
A-6 (en liasse) Lettre du bénéficiaire à l’administrateur en date du 13 avril 2012 et compte-rendu des rencontres entre le conseil d’administration du SDC Laurier-8ième Avenue et Idevco;
A-7 Procès-verbal de l’assemblée générale, du 10 juin 2015;
A-8 Lettre de dénonciation en date du 1er septembre 2015;
A-9 Lettre de dénonciation du bénéficiaire à l’entrepreneur en date du 9 septembre 2015;
A-10 Lettre de dénonciation du bénéficiaire à l’entrepreneur en date du 15 septembre 2015;
A-11 Lettre du bénéficiaire à l’entrepreneur en date du 24 septembre 2015;
A-12 Demande de réclamation en date du 2 octobre 2015;
A-13 Lettre du bénéficiaire à l’entrepreneur en date du 7 octobre 2015;
A-14 (en liasse) Avis de 15 jours à l’administrateur à l’entrepreneur en date du 16
octobre 2015;
A-15 Lettre de l’entrepreneur, par l’entremise de ses avocats, à l’administrateur en date du 21 octobre 2015;
A-16 Rapport d’expert de NOVOEX en date du 23 octobre 2015;
A-17 Lettre de l’entrepreneur, par l’entremise de ses avocats, à l’administrateur en date du 2 novembre 2015;
A-18 (en liasse) Avis de 15 jours de l’administrateur à l’entrepreneur en date du 6 novembre 2015;
A-19 Lettre du bénéficiaire à l’entrepreneur en date du 30 novembre 2015;
A-20 Lettre du bénéficiaire à l’entrepreneur en date du 9 août 2016;
A-21 Courriel du bénéficiaire à l’administrateur en date du 18 août 2016;
A-22 (en liasse) Avis de 15 jours de l’administrateur à l’entrepreneur en date du 26 août 2016;
A-23 (en liasse) Lettres et décision de l’administrateur en date du 5 décembre 2016;
A-24 (en liasse) Lettre du centre d’arbitrage (GAMM) en date du 11 janvier 2017 et la demande d’arbitrage.
B-1 Lettre du 26 septembre 2016 adressée à l’Entrepreneur et un tableau résumé des dénonciations à Idevco Développement préparée pour l’audience du 30 octobre 2017;
1. Le mandat du soussigné lui a été confié par le Groupe d’Arbitrage et de
Médiation sur Mesure (GAMM), le 11 janvier 2017 suite à une demande du Bénéficiaire qui se lit comme suit :
« Madame, Monsieur,
Suite à la réception, en date du 10 décembre 2016, de la décision de l’APCHQ concernant certaines réclamations, le SDC Lauirier-8e avenue désire déposer une demande d’arbitrage pour les points suivants :
1- Absence d’accès au drain français et au clapet anti retour de l’unité
101 du 5105 8e avenue
2- Infiltration d’eau dans l’unité 401 du 5115 8e avenue
La copie de la décision est jointe à cette missive.
Veuillez agréer, Madame, Monsieur, nos salutations distinguées. »
2. Cette demande faisait suite à la décision du 5 décembre 2016 de madame
Anne Delage, inspectrice-conciliatrice auprès de l’Administrateur de la garantie.
3. L’objection préliminaire soulevée par l’Administrateur est relative à la demande d’arbitrage additionnelle du Bénéficiaire pour inclure, à la juridiction du soussigné, le point numéro 3 de cette décision, apparaissant en onglet 23 du cahier de pièces de l’Administrateur et qui se lit comme suit :
« INFILTRATION D’EAU DANS L’UNITÉ 401 DU 5105, 8E AVENUE
Au cours du mois de novembre 2013, soit en troisième année de garantie, le syndicat a constaté une infiltration d’eau en provenance du dessous de la fenêtre de la mezzanine de l’unité 401 du 5105, 8e avenue.
À cette époque, l’entrepreneur avait effectué des réparations et l’infiltration a cessé.
Le 20 août 2015, une nouvelle infiltration d’eau a été constatée au même endroit, laquelle a été corrigée à nouveau par l’entrepreneur.
ANALYSE ET DÉCISION (point 3)
Le syndicat a déclaré avoir découvert la situation décrite au point 3 au cours du mois de novembre de l’année 2013.
Quant à l’administrateur, il fut informé par écrit de l’existence de cette situation pour la première fois le 4 septembre 2015.
En ce qui a trait au délai de dénonciation, les paragraphes 3e, 4e ou 5e de l’article 10 ou 27 du Règlement, selon le type de bâtiment, stipule que les malfaçons, les vices cachés ou les vices majeurs, selon le cas, doivent être dénoncés par écrit à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder six (6) mois de leur découverte ou survenance ou, en cas de vices ou de pertes graduels, de leur première manifestation.
Dans le cas présent, il appert que le délai de dénonciation excède le délai raisonnable (6 mois) et par conséquent, l’administrateur ne peut donner suite à la demande de réclamation du syndicat à l’égard de ce point. »
4. L’Administrateur de la garantie fait valoir, au soutien de son objection préliminaire relative à la demande d’arbitrage récente des Bénéficiaires, que cette demande est hors délai en vertu du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (ci-après appelé le Règlement) et de la tendance jurisprudentielle dont la procureure fait part au tribunal.
5. Avant d’analyser les faits relativement simples mis en preuve, il nous apparait utile de nous situer immédiatement dans le contexte d’autorités mis en place par des auteurs et des décideurs confrontés dans des situations similaires à la nôtre.
6. La première décision qui nous est soumise est la cause classique de 1La
Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ Inc. c. Maryse Desindes et Yvan Larochelle et René Blanchet, alors que la Cour d’appel du
Québec rappelait à tous que l’obligation des parties, ressortant du contrat préliminaire avec l’Administrateur de la garantie, répond, non pas à un contrat d’adhésion, mais plutôt à un contrat basé sur un Règlement donc contenant des dispositions voulues par le Législateur et mandatoires, selon les termes souhaités par ce dernier.
7. Les obligations incluses dans le contrat et prévues au Règlement doivent par conséquent être respectées dans le cadre des commentaires énoncés par la
Cour d’appel :
« 19. Le bénéficiaire ou l’entrepreneur insatisfait dune décision de l’administrateur, doit pour que la garantie s’applique, soumettre le différend à l’arbitrage dans les 15 jours de la réception par poste recommandée de la décision de l’administrateur à moins que le bénéficiaire et l’entrepreneur ne s’entendent pour soumettre, dans ce même délai, le différend à un médiateur choisi sur une liste dressée par le ministre du Travail afin de tenter d’en arriver à une entente. Dans ce cas, le délai pour soumettre le différend à l’arbitrage est de 15 jours à compter de la réception par poste recommandée de l’avis du médiateur constatant l’échec total ou partiel de la médiation.
[38] Avec égards pour l’opinion contraire, je suis d’avis que l’article 1432 C.c.Q. ne s’applique pas en l’espèce. Les droits des parties et les difficultés d’interprétation susceptibles de se poser, le cas échéant, ne découlent pas du contrat mais du Règlement lui-même, ce qui exclut le recours à une règle d’interprétation qui ne s’applique qu’à certains types de contrats. D’ailleurs, comme je l’ai indiqué antérieurement, il est admis que les intimés auraient bénéficié d’une protection identique même si un contrat de garantie n’avait pas été signé le 14 décembre 2001.
[39] Au mieux, nous sommes en présence d’un contrat réglementé, c’est-à-dire d’un contrat dont le contenu est imposé par le législateur et non par l’appelante, elle aussi obligée de se plier aux volontés du législateur et de faire approuver son plan par la Règle.
8. Cette décision suivie par les tribunaux des diverses instances a été commentée et reprise avec intérêt, dans, entre-autres, les décisions suivantes soumises au Tribunal.
9. Le soussigné a eu l’occasion d’appliquer cette décision dans une cause de 2Denis Richard et Lucie Mezzapelle et les Habitations Classique V Inc. et La Garantie Abritat de la façon suivante :
«14. CONSIDÉRANT que cette décision a été reçue par les
Bénéficiaires, tel qu’il appert de la pièce A-10, le 29 avril 2015;
15. CONSIDÉRANT que les Bénéficiaires ont la capacité de
comprendre les directives relatives au processus d’arbitrage;
14. CONSIDÉRANT que leur demande d’arbitrage a été formulée au GAMM le 2 juin 2015, soit plus de trente (30) jours après la réception de la décision de l’inspecteur conciliateur;
17. CONSIDÉRANT que le délai de trente (30) jours prévu à l’article
19 du Règlement n’a pas été respecté;
18. CONSIDÉRANT que la jurisprudence a, unanimement et constamment, retenu la rigueur du délai de trente (30) jours prévu au Règlement; »
15. Dans une cause de 3Louison Fortin et Guy Lessard et Construction Gilles Rancourt et Fils Inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ Inc., l’arbitre Claude Dupuis, ingénieur, apportait un autre angle à cette rigueur souvent énoncée par les décideurs :
« [27] Mais depuis le jugement de l’honorable Ginette Piché, juge à la Cour supérieure, les arbitres prorogent ce délai lorsque les circonstances le justifient.
[28] La juge Piché a procédé à une analyse de la doctrine et de la jurisprudence pour démontrer que la déchéance ne se présume pas, qu’un délai de procédure peut être prorogé s’il existe de bonnes raisons; s’il s’agit d’un délai de déchéance spécifié dans la loi, la prorogation est impossible.
[29] A l’article 19 du plan de garantie, le délai de trente (30) jours de la demande d’arbitrage est un délai de procédure n’étant pas qualifié de déchéance.
[30] Dans ces circonstances, ce délai peut être prorogé par
l’arbitre, à condition toutefois que les bénéficiaires démontrent qu’ils étaient dans l’impossibilité d’agit à l’intérieur du délai prescrit ou qu’ils n’ont pas été négligents, et à condition qu’une prorogation ne soit pas préjudiciable à la partie poursuivie.
[32] Toutefois, en ce qui a trait à l’autre condition, les bénéficiaires, en cours d’audience, n’ont pas prouvé qu’ils avaient agi avec diligence dans la présente affaire.
[33] En fait, le seul motif invoqué par eux, c’est qu’ils n’avaient pas pris connaissance de la clause relative au délai de la demande d’arbitrage.
[34] Or, cette clause leur a été présentée en deux occasions lors du processus; la première fois, lors de la signature du contrat préliminaire, et la seconde fois, par l’administrateur, lors de l’émission de son rapport de décision ayant conduit à la présente demande d’arbitrage. »
16. Un autre courant jurisprudentiel plus nuancé nous amène à questionner davantage la rigueur du délai, quant à la demande d’arbitrage.
17. Dans une cause de 4Karyne Agostino et 3858081 Canada Inc./Les Maisons Dominus et La Garantie Habitation du Québec Inc., l’arbitre Me Albert
Zoltowski, s’exprime comme suit :
« 26. Malgré le fait que le délai de trente (30) jours prévu à l’article 19 du Règlement n’est pas un délai de rigueur ou de déchéance, et dans certaines circonstances, les arbitres permettent aux demandeurs de le dépasser, il faut néanmoins que la durée du retard soit raisonnable et qu’elle puisse être justifiée par des motifs sérieux.
27. La position de la Bénéficiaire est que si l’Administrateur enlevait le revêtement du mur arrière et exposait ainsi le cadre de la porte patio, elle ferait elle-même la réparation de la porte. C’est pour cette raison qu’elle n’a pas porté à l’arbitrage le point numéro 6 la décision de l’Administrateur du 20 février 2015. Elle ne décide de le porter à l’arbitrage qu’à la fin octobre 2015 lorsque l’Administrateur l’informe que le revêtement du mur arrière ne sera pas refait dans le cadre de la réparation du point no 1 de la décision.
Le tribunal rejette la demande d’arbitrage des Bénéficiaires;»
18. Dans une sentence rendue le 20 octobre 2005, l’arbitre Me Jeffrey Edwards, maintenant juge à la Cour du Québec, dans la cause de 5Carlo Fioramore et Françoise Drouin Fioramore contre Construction Yvon Loiselle Inc. et la
Garantie des bâtiments résidentiels neuf de l’APCHQ, commentait comme suit à la page 4:
« Les Bénéficiaires prirent possession de la maison en février 2002.
Au cours de la première année, ils constatent notamment qu’il y a des fissures aux murs du sous-sol. Ils rejoignent l’Entrepreneur, lequel les rassure sur le fait qu’il s’agit de fissures normales dues à l’humidité et au retrait. L’Entrepreneur accepte tout de même, à ce moment, de les réparer.
Or, en mars 2004, les mêmes fissures, aux mêmes murs du sous-sol, réapparaissent au même endroit, mais sont beaucoup plus large.
Les Bénéficiaires ont fait une demande de réclamation auprès de l’Administrateur le 31 mai 2004.
Page 5
Une inspection du bâtiment fut faite par madame Johanne Tremblay, inspectrice-conciliatrice, pour l’Administrateur, le 24 septembre 2004.
L’expert des Bénéficiaires dans ce dossier d’arbitrage monsieur René Vincent ingénieur . . . explique avec beaucoup de clarté l’incapacité absolue du sol de supporter toute maison en l’absence de pieux.
Il est donc manifeste qu’il y a lieu à l’application de l’article 2118 du Code civil du Québec dans la cause actuelle, et que nous sommes en présence d’un vice au sens de cet article, à savoir un vice qui entraîne :
« une perte de l’ouvrage qui survient dans les cinq (5) ans qui suivent la fin des travaux, que la perte résulte d’un vice de conception, de construction ou de réalisation de l’ouvrage, ou, encore, d’un vice du sol. »
. . . le rapport fut reçu par les bénéficiaires le 28 octobre 2004. En conséquence les parties avaient jusqu’au 12 novembre 2004 pour porter en appel la décision de l’inspectrice-conciliatrice.
. . . la lettre fut effectivement reçue par les Bénéficiaires le 12 novembre 2004 et la demande d’arbitrage fut faite le 15 novembre 2004. La demande d’arbitrage fut donc présentée hors délai de trois (3) jours.
Est-ce que le délai prévu à l’article 19 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (ci-après appelé « Règlement ») est un délai de rigueur et qui, par conséquent, ne peut être prorogé par l’arbitre? »
19. L’arbitre passe ensuite à l’analyse de ce qui précède de la façon suivante :
« Une analyse exhaustive des principes d’interprétation est faite concernant précisément l’article 19 du Règlement dans le jugement Takhmizdjian contre Soreconi rendu le 9 juillet 2003 par l’Honorable Ginette Piché, juge à la Cour Supérieure du Québec. L’appel de ce jugement a été rejeté par la Cour d’appel, sur requête le 20 octobre 2003 (500-09-013670-039).
« La juge Piché conclut que le délai de 15 jours prévu à l’article 19 du Règlement n’est pas de rigueur.
Depuis que cette décision a été rendue, elle a été suivie par la jurisprudence et ce, de façon constante.
Au surplus, la présence de l’article 116 du Règlement, lequel permet au tribunal de juger en équité lorsque les circonstances le justifient, tend à indiquer que le délai en question ne peut être de rigueur.
L’article 116 du Règlement se lit comme suit :
« Un arbitre statue conformément aux règles de droit; il fait aussi appel à l’équité lorsque les circonstances le justifient. »
En effet, si le délai de l’article 19 (et d’autres articles) du Règlement devait être de rigueur, le législateur aurait, en toute logique, imposé une restriction en ce qui concerne les délais et le pouvoir de l’arbitre de tempérer les rigueurs d’un formalisme juridique et judiciaire.
En conclusion, le tribunal est d’avis que le délai de l’article 19 du Règlement n’est pas un délai de rigueur. Le tribunal considère cependant que le délai indiqué à l’article 19 du Règlement doit être respecté et que celui-ci ne doit être prorogé que si les circonstances le justifient. »
20. L’arbitre conclut par la suite comme suit :
« PROROGE le délai de production de la demande d’arbitrage;
DÉCLARE recevable la demande d’arbitrage déposée par les
Bénéficiaires;
ACCUEILLE en partie la demande d’arbitrage des Bénéficiaires; »
21. L’arbitre Claude Dupuis, ingénieur, dans la cause 6d’André Hébert – Syndicat de copropriété et 9122-9385 Québec Inc. (Les Habitations Signature Inc. et
La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ Inc., le 17 septembre 2004, rendait la décision suivante :
« [23] Le procureur de l’administrateur soutient que le délai de 15 jours prévu à l’article 19 du Règlement est de rigueur et de déchéance, et que la demande d’arbitrage doit par conséquent être rejetée.
[24] L’arbitre soussigné a déjà souscrit à la jurisprudence préconisant cette interprétation, et peut-être a-t-il même contribué à son élaboration, jusqu’à ce qu’il prenne connaissance d’un jugement récent prononcé par l’honorable Ginette Piché, juge à la Cour supérieure1, dont les conclusions lui apparaissent davantage conformes au but visé par le Règlement, soit la protection du consommateur.
[25] La décision de la juge Piché porte sur une requête en évocation d’une décision rendue par un arbitre en vertu du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs; dans sa décision, l’arbitre avait rejeté la demande d’arbitrage des bénéficiaires du fait que ces derniers n’avaient pas respecté le délai spécifié à l’article 19 du Règlement, délai qui, selon lui, était de rigueur. »
22. L’arbitre Claude Dupuis conclut à la suite de cette analyse de la façon suivante :
« REJETTE l’objection préliminaire soulevée par l’entrepreneur; et
PROROGE le délai de production de demande d’arbitrage; et
DÉCLARE recevable la demande d’arbitrage soumise par le bénéficiaire. »
23. Il y a lieu, selon nous, de rappeler ici les éléments fondamentaux de la décision du juge Piché qui, depuis sa publication, ne cesse d’influencer les décisions des tribunaux d’arbitrage.
[20] Il ne faut jamais oublier en effet que « la procédure ne sert qu’à faire apparaître le droit et non à l’occulter »
[21] La Cour d’appel dans l’arrêt de Entreprises Canabec Inc. c. Raymond Laframboise dira que « la déchéance n’est pas la règle et ne se présume pas. Hormis les cas où le législateur s‘est exprimé de façon claire, précise et non ambiguë, il n’existe aucun délai de déchéance véritable. »
[22] Dans la cause de Marc Deschambault c. Patrick DeBellefeuille
M. le juge Hébert rappellera que « pour décider s’il existe une raison véritable de proroger le délai, les tribunaux prennent en compte les circonstances générales et lorsque la partie poursuivie pouvait ne subir aucun préjudice réel autre que la perte du droit de se prévaloir de la prescription, la prorogation paraît être dans le meilleur intérêt de la justice ». (…)
[23] Il faut rappeler aussi, dira la Cour d’appel dans l’arrêt de Tribunal des professions c. Verreault « qu’il convient d’avoir à l’esprit la philosophie rémédiatrice du Code de procédure civile auquel fait expressément référence l’article 165 du Code des professions ». Il y a enfin l’article 9 du Code de procédure qui dit qu’un juge « peut, aux conditions qu’il estime justes, proroger tout délai qui n’est pas dit de rigueur ». (…)
[24] M. le juge Charrette dans la cause de Champagne c. Racicot rappellera que si le délai est un délai de procédure, il peut être prorogé.
S’il s’agit d’un délai de déchéance, la prorogation est impossible.
[25] Le Tribunal estime que l’article 2878 s’applique ici au Règlement en cause. Le délai de 15 jours n’est pas indiqué nulle part comme étant de déchéance ou de rigueur. On peut considérer qu’il s’agit d’un délai de procédure pouvant être prorogé. Le Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs prévoit spécifiquement à son article 116 que si l’arbitre doit statuer conformément aux règles de droit « il faut aussi appel à l’équité lorsque les circonstances le justifient. » Le Tribunal estime que les circonstances du présent cas justifiaient amplement l’arbitre d’agir avec équité et proroger le délai de 15 jours. »
24. Dans la cause de 7Construction Gilles Paquette Ltée, appelante contre Les Entreprises Végo Ltée, intimée, la Cour Suprême du Canada décidait comme suit :
22 « L’alinéa 2 de l’art. 523 C.p.c., accorde à la Cour d’appel un pouvoir discrétionnaire. Pour reprendre les termes de la disposition, la Cour d’appel « peut rendre toutes ordonnances propres à sauvegarder les droits des parties », elle n’a pas l’obligation de le faire. »
25. « Avec égards pour la majorité de la Cour d’appel, je conclus que la Cour d’appel aurait dû user de son pouvoir général accordé à l’al. 2 de l’art. 523 C.p.c. afin de remédier à l’effet de la désertion d’appel, et ainsi sauvegarder les droits de l’appelante. L’avocat de la partie appelante reconnaît avoir commis une erreur quant au droit applicable. Néanmoins, l’erreur de l’avocat ne doit pas empêcher la sauvegarde des droits de la partie qu’il représente lorsqu’il est possible d’y remédier sans injustice pour la partie adverse. En l’espèce, il n’apparaît pas que l’intimée subirait un quelconque préjudice. De plus, on ne prétend pas que l’appel soit futile, abusif ou dilatoire. De fait, le pourvoi devant notre Cour n’est pas contesté. Enfin, l’avocat de l’appelante, hormis son ignorance de la modification de la loi, a fait preuve de diligence. Avant l’expiration du délai imparti pour produite son mémoire, il a envoyé une lettre à son confrère, d’une part pour l’informer du parachèvement prochain de son mémoire et, d’autre part, pour invoquer la possibilité de présenter une requête en prolongation de délai. Cette lettre est restée sans réponse. Averti de la désertion, le procureur de l’appelante a déposé promptement une requête pour y remédier. »
25. Revoyons maintenant les faits, à la lumière de ces enseignements de nos confrères arbitres ainsi que des tribunaux supérieurs.
26. Le Syndicat des copropriétaires, Bénéficiaire et demandeur en l’instance, demande l’autorisation de porter en arbitrage la décision de l’Administrateur au point 3 (onglet 23 des pièces de l’Administrateur) de la décision du 5 décembre 2016.
27. L’élément principal de l’objection préliminaire de l’Administrateur, quant à cette demande d’arbitrage, évidemment tardive, selon les dates mentionnées, soit : la décision du 5 décembre 2016 par rapport à une demande d’arbitrage en 2017.
28. La demande d’arbitrage du point numéro 3 apparait pour la première fois au dossier le 28 septembre 2017, tel qu’il appert au procès-verbal de cette conférence téléphonique de gestion datée du 29 septembre 2017.
29. Il va de soi que cette demande est plus que tardive, selon les termes de l’article 35 du Règlement.
« 35. Le bénéficiaire ou l’entrepreneur, insatisfait d’une décision de l’administrateur, doit, pour que la garantie s’applique, soumettre le différend à l’arbitrage dans les 30 jours de la réception par poste recommandée de la décision de l’administrateur à moins que le bénéficiaire et l’entrepreneur ne s’entendent pour soumettre, dans ce même délai, le différend à un médiateur choisi sur une liste dressée par le ministre du Travail afin de tenter d’en arriver à une entente. Dans ce cas, le délai pour soumettre le différend à l’arbitrage est de 30 jours à compter de la réception par poste recommandée de l’avis du médiateur constatant l’échec total ou partiel de la médiation. »
30. Comme il appert à la décision de l’Administrateur, madame Anne Delage, inspectrice-conciliatrice auprès de la garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ Inc. s’exprimait comme suit :
« Le 20 août 2015 une nouvelle infiltration d’eau a été constatée au même endroit, laquelle a été corrigée à nouveau par l’Entrepreneur. »
31. Lors de son inspection du 21 septembre 2016, madame Delage, selon ce que nous rapportent les représentantes du Syndicat demandeur, a pu constater que les réparations relatives à la problématique d’infiltration d’eau à l’unité 401, du 5105, 8e avenue, avaient été corrigées par l’Entrepreneur et que seul des travaux à l’extérieur restaient à compléter. L’intérieur avait été corrigé.
32. Ainsi, lorsque la décision du 5 décembre 2016 fut remise au Bénéficiaire, le point numéro 3, constaté, commenté et décidé négativement par madame
Delage ne fit pas l’objet d’une demande d’arbitrage, puisque les travaux correctifs avaient été exécutés contrairement aux points numéros 1 et 2 de la même décision qui, eux, ont été portés en arbitrage.
33. Il est clair, à la lecture de l’article 35 du Règlement, que les Bénéficiaires ou l’Entrepreneur, selon le cas, doivent demander l’arbitrage dans le délai de trente jours prescrit à cet article.
34. Cependant, pour demander l’arbitrage, soit la révision « en appel » de la décision de l’Administrateur, il nous apparait que cette décision doit être toujours d’actualité.
35. Dans le cas présent, au moment de la décision et par la suite, dans le délai de trente jours prescrit, le Bénéficiaire, satisfait des travaux correctifs effectués par l’Entrepreneur, n’avait aucun motif de demander l’arbitrage sur ce point. Cela eut été superfétatoire.
36. En effet, si, par hypothèse, ce point numéro 3, quant à l’infiltration d’eau à l’unité 401 du 5105 de la 8e avenue avait été le seul point en litige, même si décidé négativement par l’inspectrice, représentante de l’Administrateur, il nous apparait évident que le Bénéficiaire n’aurait eu aucun motif pour présenter quelque demande d’arbitrage que ce soit, puisque les travaux correctifs avaient été effectués, volontairement, en respect du contrat d’entreprise faisant l’objet de la garantie, ou de la couverture du contrat de garantie. Il serait quant à nous illogique d’exiger que le Bénéficiaire visé à l’article 35 du Règlement, doive porter en arbitrage une décision qui n’a plus sa raison d’être pratique, au moment où elle est rendue.
37. De plus, à l’audience, l’Administrateur de la garantie n’a fait valoir au tribunal aucun élément de fait, susceptible de démontrer quelque préjudice que ce soit à la tenue d’une audience au mérite de la problématique faisant l’objet de la présente décision sur objection préliminaire. Rien dans la preuve n’amène le tribunal sur une des voies analysées dans la jurisprudence et particulièrement par la Cour Suprême du Canada, dans Constructions Gilles Paquette, pouvant porter le tribunal à hésiter dans sa décision.
38. Considérant que la demande d’arbitrage tardive de la décision de l’Administrateur du 5 décembre 2016 n’avait, au moment des faits pertinents pas sa raison d’être, puisque les travaux correctifs faisant l’objet du point numéro 3 de la décision du 5 décembre 2016 avaient été exécutés.
39. Considérant que l’Administrateur de la garantie, selon la preuve, ne subit aucun préjudice de cette dénonciation tardive.
40. Considérant les autorités analysées favorables à la demande du Bénéficiaire, le tribunal considère devoir autoriser le Syndicat de Copropriété du Laurier 8e avenue Inc., à procéder avec sa demande d’arbitrage quant au point numéro 3 de la décision de l’Administrateur datée du 5 décembre 2016.
POUR CES MOTIFS LE TRIBUNAL :
REJETTE l’objection préliminaire soulevée par l’Administrateur de la garantie;
PROROGE le délai de production de la demande d’arbitrage;
DÉCLARE recevable la demande d’arbitrage soumise par le Bénéficiaire;
ORDONNE la tenue d’une audience sur le fond à une date qui sera déterminée ultérieurement après consultation des parties;
Conformément aux dispositions de l’article 123 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, CONDAMNE l’Administrateur à payer les coûts engendrés par l’objection préliminaire et la présente décision.
MONTRÉAL, le 23 janvier 2018
___________________________________
Jean Doyle, avocat
Arbitre
JDY-1500-088-GAMM
1La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ Inc. c. Maryse Desindes et Yvan Larochelle et René Blanchet,
2Denis Richard et Lucie Mezzapelle et les Habitations Classique V Inc. et La Garantie Abritat
3Louison Fortin et Guy Lessard et Construction Gilles Rancourt et Fils Inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ Inc.,
4Karyne Agostino et 3858081 Canada Inc./Les Maisons Dominus et La Garantie Habitation du Québec Inc., l’arbitre Me Albert Zoltowski,
5Carlo Fioramore et Françoise Drouin Fioramore contre Construction Yvon Loiselle Inc. et la Garantie des bâtiments résidentiels neuf de l’APCHQ
6d’André Hébert – Syndicat de copropriété et 9122-9385 Québec Inc. (Les Habitations Signature Inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ Inc.
7Construction Gilles Paquette Ltée, appelante contre Les Entreprises Végo Ltée