ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN

Pour l'entrepreneur :

ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN

DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS

(décret 841-98 du 17 juin 1998)

 

Organisme d'arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment :

Le Groupe d'arbitrage et de médiation sur mesure (GAMM)

 

 

 

ENTRE :

 

André Hébert - Syndicat de copropriété

 

 

(ci-après le « bénéficiaire »)

ET :

 

9122-9385 Québec inc.

(Les Habitations Signature inc.)

 

 

(ci-après l'« entrepreneur »)

ET :

 

La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ inc.

 

 

(ci-après l'« administrateur »)

 

No dossier de La Garantie des maisons neuves de l'APCHQ : 036373

 

 

SENTENCE ARBITRALE

SUR UNE OBJECTION PRÉLIMINAIRE

 

 

 

Arbitre :

M. Claude Dupuis, ing.

 

 

Pour le bénéficiaire :

M. André Hébert

 

 

M. Normand Lamoureux

 

 

Pour l'administrateur :

Me Robert Guertin

 

 

Date d’audience :

24 août 2004

 

 

Lieu d'audience :

Brossard

 

 

Date de la sentence :

17 septembre 2004

INTRODUCTION

[1]  À la suite d'une demande de réclamation du bénéficiaire, l'administrateur, en date du 17 février 2004, a déposé son rapport d'inspection comportant 26 points relativement aux parties communes de l'immeuble en copropriété situé au 8150, rue Ouimet, à Brossard.

[2]  Dans une lettre datée du 13 avril 2004, le président du syndicat de la copropriété, M. André Hébert, insatisfait de la décision de l'administrateur au sujet des points énumérés ci-après, demandait que le litige soit soumis à l'arbitrage :

P    Point 6 :    Peinture sur les murs de l'entrée principale

P    Point 8 :    Protection contre le feu d'une lisse de bois au sous-sol

P    Point 12 :  Moulures endommagées aux portes des logements

P    Point 13 :  Certificats de conformité pour le panneau d'alarme-incendie et d’installation des foyers

P    Point 15 :  Séparation coupe-feu nécessaire à la toiture

P    Point 21 :  Installation d'extincteurs portatifs

[3]  Avant l'ouverture de l'enquête, il y eut visite des lieux.

[4]  Dès l'ouverture de l'enquête, l'entrepreneur a soulevé une objection préliminaire relative au délai de présentation de la demande d'arbitrage du bénéficiaire.

[5]  En cours d'enquête, les personnes suivantes ont témoigné : M. Gilles Boulanger, copropriétaire, ainsi que M. Pierre Rocheleau, conciliateur.

POSITION DES PARTIES

Position de l'entrepreneur

[6]  L'entrepreneur mentionne que l'avis de réception de Postes Canada indique que le bénéficiaire a reçu le rapport d'inspection de l'administrateur le 5 mars 2004, alors que sa demande d'arbitrage est datée du 13 avril 2004.

[7]  L'entrepreneur soumet que le délai de 15 jours prévu au plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs a été dépassé et que la demande d'arbitrage est hors délai.

[8]  M. Lamoureux se souvient que M. Hébert, lors de l'inspection en février 2004, avait annoncé qu'il serait à l'extérieur du pays pour deux mois; or, M. Rocheleau aurait dit à M. Hébert de prendre des arrangements à cet effet.

[9]  Le syndicat étant une personne morale, M. Hébert aurait pu mandater quelqu'un d'autre pour s'occuper du dossier.

Position de l'administrateur

[10]      Le procureur de l'administrateur souligne que le contrat de garantie a été signé par toutes les parties et que ledit contrat traite des délais.

[11]      De plus, poursuit-il, l'article 19 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs indique que le délai est de rigueur et qu'il doit être respecté « pour que la garantie s'applique »; il s'agit là d'un règlement d'ordre public.

[12]      Puisque le délai de 15 jours est de rigueur et qu'il a été excédé, le procureur est d'avis que la demande du bénéficiaire est irrecevable.

[13]      Il aurait fallu une preuve claire, sans zone grise, indiquant qu'il y avait eu une entente contractuelle entre les parties lors de l'inspection; or, l'entente verbale alléguée par le bénéficiaire est contestée à la fois par M. Rocheleau (conciliateur pour l'administrateur) et l'entrepreneur.

[14]      Et même s'il existait une preuve verbale, nul ne peut contredire une loi publique. Le procureur indique que M. Rocheleau n'avait pas, lors de l'inspection, l'obligation de rappeler la loi aux parties.

[15]      M. Rocheleau témoigne à l'effet qu'il se souvient que M. Hébert, lors de l'inspection, a mentionné qu'il s'absentait pour vacances à l'extérieur du pays, mais il ne se rappelle pas avoir discuté de délai.

Position du bénéficiaire

[16]      Comme il est expliqué dans sa lettre de demande d'arbitrage du 13 avril 2004, M. Hébert soumet que lors de la visite d'inspection, il avait indiqué qu'il ne pourrait s'occuper du dossier qu'à son retour deux mois plus tard. Tous les participants étaient d'accord et personne n'a soulevé d'objection relativement à son départ dans les jours suivant cette visite; si tel avait été le cas, il aurait demandé le report de la visite d'inspection.

[17]      M. Gilles Boulanger, copropriétaire, qui était présent lors de cette visite, corrobore les dires de M. Hébert.

[18]      Le président du syndicat de copropriété est convaincu qu'il y a eu une entente verbale lors de l'inspection, les autres intervenants n'ayant soulevé aucune objection.

[19]      M. Hébert affirme que M. Rocheleau ne lui a jamais procuré d'information sur les délais.

[20]      Il estime que l'objection préliminaire soulevée par l'entrepreneur est inacceptable compte tenu de l'existence d'un contrat verbal.

[21]      M. Hébert est d'avis que le représentant de l'administrateur, en l'occurrence M. Rocheleau, aurait dû l'informer des conséquences de son absence.

DÉCISION ET MOTIFS

[22]      Il a été prouvé qu'un délai de 39 jours s'est écoulé entre la date de réception du rapport d'inspection expédié au bénéficiaire et la date de la demande d'arbitrage de ce dernier auprès du GAMM, organisme autorisé par la Régie du bâtiment pour organiser l'arbitrage prévu au plan de garantie.

[23]      Le procureur de l'administrateur soutient que le délai de 15 jours prévu à l'article 19 du Règlement est de rigueur et de déchéance, et que la demande d'arbitrage doit par conséquent être rejetée.

[24]      L'arbitre soussigné a déjà souscrit à la jurisprudence préconisant cette interprétation, et peut-être a-t-il même contribué à son élaboration, jusqu'à ce qu'il prenne connaissance d'un jugement récent prononcé par l'honorable Ginette Piché, juge à la Cour supérieure[1], dont les conclusions lui apparaissent davantage conformes au but visé par le Règlement, soit la protection du consommateur.

[25]      La décision de la juge Piché porte sur une requête en évocation d'une décision rendue par un arbitre en vertu du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs; dans sa décision, l'arbitre avait rejeté la demande d'arbitrage des bénéficiaires du fait que ces derniers n'avaient pas respecté le délai spécifié à l'article 19 du Règlement, délai qui, selon lui, était de rigueur.

[26]      L'article 19 du Règlement se présente comme suit :

Le bénéficiaire ou l'entrepreneur, insatisfait d'une décision de l'administrateur, doit, pour que la garantie s'applique, soumettre le différend à l'arbitrage dans les 15 jours de la réception par poste recommandée de la décision de l'administrateur à moins que le bénéficiaire et l'entrepreneur ne s'entendent pour soumettre, dans ce même délai, le différend à un médiateur choisi sur une liste dressée par le ministre du Travail afin de tenter d'en arriver à une entente. Dans ce cas, le délai pour soumettre le différend à l'arbitrage est de 15 jours à compter de la réception par poste recommandée de l'avis du médiateur constatant l'échec total ou partiel de la médiation.

[27]      Voici quelques extraits du jugement de l'honorable Ginette Piché :

[19]      Dans son volume sur l'Interprétation des Lois(2), Pierre-A Côté dira, au sujet de l'emploi du mot "doit" (ou "shall") que, s'il fait présumer le caractère impératif d'une disposition, il ne crée qu'une présomption relative pouvant être écartée. Il dira:

"Il ne suffit pas qu'une disposition soit impérative pour que sa violation entraîne une nullité, il faut que son observation soit imposée à peine de nullité, ou, si l'on préfère, qu'elle soit de rigueur. La présence du mot "doit" ne devrait jamais permettre, à elle seule, de décider si une prescription a été imposée à peine de nullité. L'article 51 de la Loi d'interprétation québécoise, comme l'article 11 de la loi canadienne, "établit bien la distinction entre ce qui est facultatif et ce qui ne l'est pas, mais n'édicte par la nullité de ce qui n'a pas été fait (selon la loi)." (p. 299)

"À défaut de texte formel, l'intention du législateur de sanctionner ou non de nullité l'inobservation d'une règle de forme devra être déduite d'un ensemble de facteurs. À ce sujet, il a été dit qu'"aucune règle générale ne peut être formulée et que, dans chaque cas d'espèce, on doit considérer l'objet de la loi." (p. 300)

"Les tribunaux porteront une attention particulière au préjudice causé dans les circonstances par le vice de forme et au préjudice que causerait une déclaration de nullité." (p. 302)

"Le législateur n'étant pas censé vouloir que sa loi produise des résultats injustes, on présumera qu'il n'entend pas assortir une disposition d'une sanction de nullité s'il en résulte un mal social ou individuel trop important compte tenu de l'objet de la disposition." (p. 303)

[...]

[21]      La Cour d'appel dans l'arrêt de Entreprises Canabec inc. c. Raymond Laframboise(4) dira que "la déchéance n'est pas la règle et ne se présume pas. Hormis les cas où le législateur s'est exprimé de façon claire, précise et non ambiguë, il n'existe aucun délai de déchéance véritable".

[...]

[23]      Il faut rappeler aussi, dira la Cour d'appel dans l'arrêt de Tribunal des professions c. Verreault(6) "qu'il convient d'avoir à l'esprit la philosophie rémédiatrice du Code de procédure civile auquel fait expressément référence l'article 165 du Code des professions". Il y a enfin l'article 9 du Code de procédure qui dit qu'un juge "peut, aux conditions qu'il estime justes, proroger tout délai qui n'est pas dit de rigueur". (...)

[24]      M. le juge Charrette dans la cause de Champagne c. Racicot(7) rappellera que si le délai est un délai de procédure, il peut être prorogé. S'il s'agit d'un délai de déchéance, la prorogation est impossible. On sait aussi qu'en l'absence d'un texte exprès, l'expiration du délai n'emporte pas déchéance. Dans son volume sur Les Obligations(8), le juge Baudouin rappelle que comme elle est exceptionnelle, la déchéance ne se présume pas, mais doit résulter d'un texte exprès. C'est l'article 2878 du Code civil du Québec qui édicte d'ailleurs que:

"Le tribunal ne peut suppléer d'office le moyen résultant de la prescription. Toutefois, le tribunal doit déclarer d'office la déchéance du recours lorsque celle-ci est prévue par la loi. Cette déchéance ne se présume pas; elle résulte d'un texte exprès."

[25]      Le Tribunal estime que l'article 2878 s'applique ici au Règlement en cause. Le délai de 15 jours n'est pas indiqué nulle part comme étant de déchéance ou de rigueur. On peut considérer qu'il s'agit d'un délai de procédure pouvant être prorogé. Le Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs prévoit spécifiquement à son article 116 que si l'arbitre doit statuer conformément aux règles de droit "il fait aussi appel à l'équité lorsque les circonstances le justifient." Le Tribunal estime que les circonstances du présent cas justifiaient amplement l'arbitre d'agir avec équité et proroger le délai de 15 jours.

[...]

[29]      Par la suite, il y a erreur ou oubli de l'avocat. Il n'informera pas ses clients de cette lettre et de la façon dont le processus d'arbitrage doit être fait devant un organisme d'arbitrage, qu'à la fin juin. Le délai de 15 jours est dépassé. Cette erreur pouvait-elle faire perdre tous leurs droits aux requérants? Le Tribunal estime que non. Il serait aussi contraire à l'intention du législateur de faire perdre des droits à un justiciable pour une question de procédure due à une erreur de son avocat.

[30]      Dans l'arrêt de la Cour suprême, Hamel c. Brunelle(9), on a rappelé que "c'est le rejet du formalisme injuste qui a motivé l'intervention de la Cour sur des questions de procédure". (...)

"Quand la décision sur une question de forme a pour conséquence qu'un justiciable perd son droit, elle cesse d'être une question de forme et devient une question de droit."

[...]

[33]      [...] Tout formalisme indu doit donc être écarté et les droits des parties sauvegardés lorsque l'erreur ou l'omission d'une partie ou de son procureur n'a pas de conséquences irréparables sur l'autre partie au litige.

[Les soulignements sont de nous]

[28]      La juge Piché a évidemment accueilli la requête.

[29]      Voici maintenant un parallèle entre trois dossiers.

[30]      Dans le dossier d'arbitrage révisé par la juge Piché, les bénéficiaires ont soumis le différend à l'arbitrage dans les délais; toutefois, ils l'ont soumis à l'administrateur plutôt qu'à un organisme d'arbitrage comme le prévoit l'article 107 du Règlement; le délai de présentation de la demande d'arbitrage à un organisme a été d'environ 37 jours.

[31]      Dans une sentence arbitrale[2] portant sur le même sujet, l'arbitre Marcel Chartier, après s'être référé au jugement de l'honorable Ginette Piché, proroge le délai de la demande d'arbitrage; dans cette cause, le délai de présentation de la demande d'arbitrage à un organisme avait été de l'ordre de 116 jours.

[32]      Dans le présent dossier, M. Hébert, représentant du bénéficiaire et seul gestionnaire du syndicat, avait avisé l'administrateur et l'entrepreneur, lors de l'inspection en février 2004, qu'il quittait le pays dans les jours suivant l'inspection et qu'il serait absent pour une période prolongée. Le délai de présentation de la demande d'arbitrage à un organisme, en l'occurrence le GAMM, a été de 39 jours.

[33]      Le principe qui se dégage de la récente jurisprudence est à l'effet que le non-respect des délais n'entraîne pas automatiquement la déchéance, à moins que le texte ne le prévoie expressément.

[34]      Il appartient donc à l'arbitre d'apprécier les circonstances de l'affaire.

[35]      Pour ces motifs, considérant la preuve recueillie, les dispositions du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs ainsi que la récente jurisprudence, le tribunal

REJETTE                   l'objection préliminaire soulevée par l'entrepreneur; et

PROROGE                 le délai de production de demande d'arbitrage; et

DÉCLARE                  recevable la demande d'arbitrage soumise par le bénéficiaire; et

ORDONNE                 la tenue d'une audience sur le fond, à une date qui sera déterminée ultérieurement après consultation des parties.

[36]      Conformément aux dispositions de l'article 123 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, les coûts du présent arbitrage sont à la charge de l'administrateur.

 

BELOEIL, le 17 septembre 2004.

 

 

 

 

 

 

__________________________________

Claude Dupuis, ing., arbitre [CaQ]

 



1            Takhmizdjian et Barkakjian c. Soreconi (Société pour la résolution des conflits inc.) et Betaplex inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'A.P.C.H.Q. inc., C.S. Laval 540-05-007000-023, Mme la juge Ginette Piché, 2003-07-09.

2            Roy et Pronovost c. Les Résidences Pro-Fab inc. et LA GARANTIE Qualité-Habitation (arbitrage en vertu du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs), Me Marcel Chartier (Soreconi), arbitre, 2004-02-06.