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Habitations Sylvain Ménard inc. c. LeBire

2008 QCCS 2686

JS 0733

 
 

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-17-034723-075

 

 

 

DATE :

Le 15 mai 2008

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

PIERRETTE SÉVIGNY, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

Les Habitations Sylvain Ménard Inc.

Demanderesse/Défenderesse reconventionnelle

 

c.

 

Gilles Lebire

Défendeur

 

et

 

Lucien Kimpe et Marie-Claire Van Bekbergen

Défendeurs/Demandeurs reconventionnels

 

et

 

La Garantie des Bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ Inc.

           Mise en cause

et

 

Le Procureur Général du Québec

           Intervenant

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]                Le Tribunal est saisi d’une requête en annulation de la sentence arbitrale rendue le 29 septembre 2006, par l’arbitre monsieur Gilles LeBire, et de sa sentence rectificative rendue le 10 octobre 2006. Cette requête est intentée par Les Habitations Sylvain Ménard Inc.

[2]                Le Tribunal note que la décision rectificative du 10 octobre 2006 se lit intégralement comme suit :

« Attendu que la décision du 29 09 2006, comporte, par inadvertance, une erreur de transmission et d’impression;

Au paragraphe 157 : à la dernière ligne après le mot nette : colmater les fissures à la fondation et aux parements de briques. Les travaux correctifs devront être complétés à l’intérieur de 30 jours ouvrables après la réception de la présente décision.

Paragraphe 159 : sous la dernière ligne : conséquemment compte tenu de l’article précité, et la preuve, le tribunal d’Arbitrage ne peut pas acquiescer aux demandes des bénéficiaires concernant la récupération des frais judiciaires.

Pour ces motifs la décision corrigée se lit :

157- Sachant que l’entrepreneur peut employer la ou les méthodes, qu’il croit la meilleure et moins coûteuse, les experts ont mentionné, lors de l’audition, quelques suggestions pour remédier aux problèmes des fissures. L’entrepreneur devra stabiliser les fondations du bâtiment enrober le drain français et le couvrir de pierres nettes; colmater les fissures à la fondation et aux parements de briques. Les travaux correctifs devront être complétés à l’intérieur de 30 jours ouvrables après la réception de la présente décision.

159- Le tribunal d’arbitrage doit se référer à l’article 125 du règlement, qui stipule : Les dépenses effectuées par les parties intéressées et l’administrateur pour la tenue de l’Arbitrage sont supportées par chacun d’eux. Conséquemment, compte tenu de l’article précité, et la preuve, le tribunal d’arbitrage ne peut acquiescer aux demandes des bénéficiaires concernant la récupération des frais judiciaires. »

[3]                Cette requête est contrée par une requête reconventionnelle en homologation de ces mêmes sentences arbitrales, accompagnée d’une demande formulée par les défendeurs/demandeurs reconventionnels en dommages-intérêts ainsi qu'en remboursement des honoraires et déboursés extrajudiciaires.

1. Les Faits

[4]                Monsieur Kimpe et Madame Van Bekbergen (ci-après appelés les acheteurs) ont fait l’acquisition d’une nouvelle maison construite par Les Habitations Sylvain Ménard Inc. (ci-après appelée la demanderesse/défenderesse reconventionnelle), un entrepreneur général accrédité au plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs offert par la mise en cause, la Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ Inc. (ci-après appelée la Garantie), tel qu’il appert du contrat de vente de cette propriété immobilière, pièce P-2.  

[5]                La Garantie est un administrateur autorisé par la Régie du bâtiment du Québec (ci-après appelée la Régie) à administrer un plan de garantie approuvé en vertu du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (ci-après appelé le Règlement).

[6]                Les acheteurs ont transigé avec la demanderesse qui était un entrepreneur accrédité auprès de la Garantie. Ils jouissent, donc, du plan de garantie administré par la Garantie, tel qu’il appert du contrat de garantie, déposé comme pièce P-3.

[7]                Au début de l’année 2002, les acheteurs, après la découverte de fissures aux murs de  fondation de leur immeuble et au revêtement de briques extérieur de leur maison, ont formulé leur première réclamation auprès de la demanderesse et de la Garantie.

[8]                Le 6 janvier 2003, la Garantie, après la première plainte des acheteurs, émet un premier avis et mandate une firme d’experts pour effectuer une étude approfondie reliée aux dites fissures.

[9]                Le 29 octobre 2003, après réception et étude du rapport d’expertise de la firme d’experts alors mandatée, la Garantie a rendu une décision par laquelle elle rejetait la réclamation des bénéficiaires, ici les défendeurs/demandeurs reconventionnels, pour le motif qu’elle n’entrait pas dans le cadre du contrat de Garantie. C’est-à-dire, que les fissures alléguées par les défendeurs/demandeurs reconventionnels ayant formulé leur réclamation ne se qualifiaient pas comme des malfaçons de nature à porter atteinte à la qualité, à la sécurité ou à l’utilisation de leur bâtiment, tel qu’il appert de l’addenda au rapport d’inspection de la Garantie, pièce P-5.

[10]            Le 7 novembre 2003, les acheteurs, n’étant pas satisfaits, demandaient l’arbitrage de la décision rendue par la Garantie, en s’adressant à l’organisme d’arbitrage autorisé par la Régie et dont relève le défendeur, monsieur Gilles Lebire, soit la Société pour la résolution des conflits Inc. - Soreconi (Soreconi).

[11]            Les acheteurs, après la découverte de nouvelles fissures à la dalle de béton du sous-sol de leur maison, font une seconde réclamation à la Garantie.

[12]            Le 7 janvier 2005, la Garantie rendait une deuxième décision par laquelle elle rejetait également la deuxième réclamation des acheteurs pour le motif que leur réclamation n’entrait pas dans le cadre du contrat de garantie, tel qu’il appert de la décision de la Garantie, ici déposée comme pièce P-7.

[13]            Le 5 février 2005, les acheteurs demandaient, encore une fois, l’arbitrage de cette deuxième décision en s’adressant, de nouveau, à Soreconi.

[14]            Le  29 septembre 2006, après une complète audition sur l’arbitrage, monsieur l’arbitre Gilles Lebire, le défendeur, rendait sa décision dans cette affaire, tel qu’il appert de la sentence arbitrale, déposée au dossier de la Cour comme pièce P-9.

[15]            Le 10 octobre 2006, monsieur l’arbitre Gilles Lebire émettait une décision rectificative quant à sa décision arbitrale précitée, tel qu’il appert de la pièce P-10 dont le texte fut repris, in extenso, au paragraphe 2 du présent jugement.

[16]            Après que la décision arbitrale ait été rendue, la demanderesse/défenderesse reconventionnelle a visité, à nouveau, la propriété, avec le consentement des acheteurs afin, selon eux, de donner suite à la sentence arbitrale. Aucun correctif n’a été apporté par la demanderesse par la suite.

[17]            La demanderesse présente maintenant devant cette Cour une requête en annulation des sentences arbitrales rendues par monsieur l’arbitre Gilles Lebire.

[18]            Pour leur part, les défendeurs ont formulé une demande reconventionnelle dans le cadre de leur requête reconventionnelle en homologation de cette même sentence arbitrale qui réclamait initialement la somme de 25 000$ qui, par la suite, a été amendée séance tenante pour refléter le montant total de 33 321 $ à titre de perte de jouissance, troubles, inconvénients, préjudice moral et en remboursement des déboursés extrajudiciaires qu’ils ont dû encourir.

 

2. Analyse

I. Les dispositions législatives pertinentes 

i.                    Code de procédure civile, L.R.Q. c. C-25.

[19]            En vertu, de l’article 947 du C.p.c. « la demande d’annulation de la sentence arbitrale est le seul recours possible contre celle-ci ».

[20]            L’article 947.2 du C.p.c. nous précise que les articles relatifs à la demande d’homologation d’une sentence arbitrale (soit les articles 946.2 à 946.5 du C.p.c.) s’appliquent dans tous les cas d’une demande d’annulation de sentence arbitrale avec les modifications nécessaires.

[21]            L’article 946.2 du C.p.c. prévoit spécifiquement ce qui suit :

« 946.2 Le tribunal saisi d'une requête en homologation ne peut examiner le fond du différend.»

[22]            Les seuls critères permettant à la Cour d’annuler une sentence arbitrale sont prévus à l’article 946.4 C.p.c. et cet article se lit intégralement comme suit :

« 946.4 Le tribunal ne peut refuser l'homologation que s'il est établi:

1° qu'une partie n'avait pas la capacité pour conclure la convention d'arbitrage;

 

2° que la convention d'arbitrage est invalide en vertu de la loi choisie par les parties ou, à défaut d'indication à cet égard, en vertu de la loi du Québec;

 

3° que la partie contre laquelle la sentence est invoquée n'a pas été dûment informée de la désignation d'un arbitre ou de la procédure arbitrale, ou qu'il lui a été impossible pour une autre raison de faire valoir ses moyens;

 

4° que la sentence porte sur un différend non visé dans la convention d'arbitrage ou n'entrant pas dans ses prévisions, ou qu'elle contient des décisions qui en dépassent les termes; ou

5° que le mode de nomination des arbitres ou la procédure arbitrale applicable n'a pas été respecté. 

Toutefois, dans le cas prévu au paragraphe 4°, seule une disposition de la sentence arbitrale à l'égard de laquelle un vice mentionné à ce paragraphe existe n'est pas homologuée, si cette disposition peut être dissociée des autres dispositions de la sentence Le tribunal saisi d'une requête en homologation ne peut examiner le fond du différend.»

[23]            Il va sans dire, de plus, qu’un Tribunal ne peut intervenir au mérite de la décision. Il doit plutôt uniquement examiner si, entre autres, les principes de justice naturelle ont été respectés[1].

[24]            Si l’arbitre excède la convention d’arbitrage ou excède son mandat, alors le Tribunal annulera la sentence arbitrale[2]

[25]            Il est d’usage que lorsqu’il est question du non-respect de la justice naturelle, le Tribunal n’a pas à déterminer la norme de révision judiciaire applicable[3].

[26]            En l’espèce, la demanderesse exige et plaide vigoureusement que la sentence arbitrale en question devrait être annulée par le présent Tribunal pour les motifs suivants :

1) L’arbitre a excédé sa compétence en exigeant que des correctifs soient apportés par l’entrepreneur au drain français des acheteurs (art. 964.4 (4) C.p.c.)

2) Il y a eu un manquement aux règles fondamentales de justice naturelle.

ii.                  Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, D. 39-06, 2006, G.O. 2, 994.

[27]            L’article 10 de ce règlement énumère les manquements qui peuvent donner ouverture à une réclamation de la part des acheteurs. Cet article se lit intégralement comme suit :

« 10. La garantie d'un plan dans le cas de manquement de l'entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception du bâtiment doit couvrir:

1° le parachèvement des travaux relatifs au bâtiment et dénoncés, par écrit, au moment de la réception ou, tant que le bénéficiaire n'a pas emménagé, dans les 3 jours qui suivent la réception;

2° la réparation des vices et malfaçons apparents visés à l'article 2111 du Code civil et dénoncés, par écrit, au moment de la réception ou, tant que le bénéficiaire n'a pas emménagé, dans les 3 jours qui suivent la réception;

3° la réparation des malfaçons existantes et non apparentes au moment de la réception et découvertes dans l'année qui suit la réception, visées aux articles 2113 et 2120 du Code civil et dénoncées, par écrit, à l'entrepreneur et à l'administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte des malfaçons;

4° la réparation des vices cachés au sens de l'article 1726 ou de l'article 2103 du Code civil qui sont découverts dans les 3 ans suivant la réception du bâtiment et dénoncés, par écrit, à l'entrepreneur et à l'administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte des vices cachés au sens de l'article 1739 du Code civil;

5° la réparation des vices de conception, de construction ou de réalisation et des vices du sol, au sens de l'article 2118 du Code civil, qui apparaissent dans les 5 ans suivant la fin des travaux et dénoncés, par écrit, à l'entrepreneur et à l'administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte ou survenance du vice ou, en cas de vices ou de pertes graduelles, de leur première manifestation. »

 

 

[28]            L’article 18.1 du Règlement énonce la procédure à suivre par les acheteurs qui prétendent qu’ils ont droit à une quelconque réclamation. L’article 18 se lit en partie comme suit :

« 18. La procédure suivante s'applique à toute réclamation fondée sur la garantie prévue à l'article 10:

1° dans le délai de garantie d'un, 3 ou 5 ans selon le cas, le bénéficiaire dénonce par écrit à l'entrepreneur le défaut de construction constaté et transmet une copie de cette dénonciation à l'administrateur en vue d'interrompre la prescription […] »

 

[29]            Le mandat de l’arbitre est précisé à l’article 106 de ce même règlement qui  énonce ce qui suit :

 

« 106. Tout différend portant sur une décision de l'administrateur concernant une réclamation ou le refus ou l'annulation de l'adhésion d'un entrepreneur relève de la compétence exclusive de l'arbitre désigné en vertu de la présente section. »

 

[30]            Selon ce Tribunal, l’arbitre devait, donc, se prononcer sur l’ensemble des décisions soumises à l’arbitrage.

[31]            Le Tribunal rappelle, aussi, que l’article 116 du Règlement permet à un arbitre saisi d’un arbitrage dans le cadre de sa décision arbitrale de « faire appel à l’équité lorsque les circonstances le justifient ».

II. Extraits pertinents des décisions arbitrales  

i.                    Décision arbitrale du 29 septembre 2006

[32]            Voici l’extrait jugé critique de la décision arbitrale du 29 septembre 2006 de l'arbitre Gilles Lebire qui est au cœur même du présent litige. À sa décision initiale, l’arbitre se prononçait ainsi : 

« Les fissures

[…]

156- Le tribunal d’arbitrage en vient aux décisions suivantes non sans avoir recours à l’article 116 qui édicte : Un arbitre statue conformément aux règles de droit ; il faut aussi appel à l’équité lorsque les circonstances le justifient.

En conséquence , le tribunal d’arbitrage estime qu’en l’instance les circonstances le justifient de décider en équité. […]

157- Sachant que l’entrepreneur peut employer la ou les méthodes, qu’il croit la meilleure et moins coûteuse, les experts ont mentionné lors de l’audition, quelques suggestions pour remédier aux problèmes des fissures. L’entrepreneur devra stabiliser les fondations du bâtiment et enrober le drain français et le couvrir de pierre nette. »

                                                                                                              [Nos soulignements]

[33]            Néanmoins, le Tribunal rappelle que l’arbitre Lebire a rendu une décision rectificative le 10 octobre 2006, dont le texte est reproduit au paragraphe 2 du présent jugement.

[34]            En somme, l’arbitre a donné gain de cause partiel aux acquéreurs, monsieur Lucien Kimpe et madame Marie-Claire Van Bekbergen, ici, les défendeurs/demandeurs reconventionnels et leur a, de plus, accordé  la somme de 12,500$ en paiement de leurs frais d’expertise.

III. Cadre juridique d’une Requête en annulation/homologation de la sentence arbitrale

[35]            Le cadre dans lequel la Cour doit agir lorsqu’il s’agit d’une requête en annulation d’une décision arbitrale est très circonscrit.

[36]            Les articles 947 et suivants du C.p.c. restreignent, en effet, les pouvoirs d’un Tribunal saisi d’un pareil litige qui ne peut conclure à l’annulation de la sentence arbitrale que lorsque l’un ou l’autre des critères prévus exhaustivement par le législateur à l’article 946.4 du C.p.c. sont rencontrés.

[37]            La Cour se doit, aussi, de vérifier si les principes de justice naturelle ont été entièrement respectés.

[38]            Le Tribunal doit, donc, en principe, en l’espèce, déterminer si l’arbitre a agi strictement en conformité avec son mandat ou s’il a excédé sa compétence en se prononçant sur la question du drain français.

[39]            Notons, que le fardeau de la preuve repose entièrement sur les épaules de celui qui demande l’annulation de la sentence arbitrale, ici la demanderesse, à cause de la présomption de validité de la décision arbitrale[4].

IV. Excès de compétence de l’arbitre

i. Mandat de l’arbitre

[40]            Dans un premier temps, le Tribunal se doit de déterminer quelle était l’étendue du mandat de l’arbitre, monsieur Gilles Lebire.

[41]            À la lumière des articles 10 et 106 du Règlement reproduits ci-haut, l’arbitre devait  se prononcer sur l’ensemble des décisions rendues par la Garantie dans le cadre du Règlement et il devait se limiter aux dénonciations de problèmes par les acheteurs.

[42]            Dans leurs deux réclamations formulées à la Garantie, les acheteurs, dans le respect de la procédure prévue à l’article 18.1 du Règlement, dénonçaient une série de problèmes à la Garantie et à l’entrepreneur, dont les multiples fissures.

[43]            De plus, ils demandaient à la Garantie de se prononcer sur la cause de ces fissures, tel que constaté dans les lettres de dénonciation qu’ils ont envoyées et qui ont été déposées au dossier de la Cour comme pièces MC-1, MC-2 et MC-4.

[44]            Dans leur première plainte, les acheteurs ont dénoncé les fissures aux murs de fondation et au revêtement de briques de leur demeure. Dans leur deuxième réclamation, ils ont dénoncé les fissures qu'ils auraient constatées à la dalle de béton du sous-sol de leur demeure.

[45]            L’arbitre avait, donc, entre autres, pour mandat de se prononcer sur la cause de ces multiples fissures et de déterminer si elles étaient couvertes ou non par la Garantie.

[46]            Le Tribunal note que le problème du drain français n’a pas été formellement dénoncé par les acheteurs dans leurs lettres de dénonciation, car ils se sont contentés de décrire comme problème simplement l’apparence de fissures sans plus de détails quant à la causa causane de celles-ci.

[47]            L’arbitre, dans son jugement, a évalué l’ensemble de la problématique soumise  et il a exigé, en bout de ligne, que l’entrepreneur remédie à la non-conformité du drain français, car il a constaté que le problème des fissures se rapportait, entre autres, au drain français.

[48]            Il est évident que l’arbitre, après avoir entendu toute la preuve et soupesé les témoignages de tous les experts, a déterminé qu’il existait un lien certain entre le drain français qui n’avait pas été construit en conformité avec les règles de l’art et du Code du bâtiment et le problème des fissures constaté par les acheteurs eux-mêmes. Il a donc exigé que l’entrepreneur corrige ce problème qu’il a considéré comme contribuant à la problématique des fissures. 

[49]            Le Tribunal, tel qu’établi par la jurisprudence et la loi, n’a pas à se prononcer sur le fond du différend en litige ni à se substituer à l’arbitre[5].

[50]            Le Tribunal n’a pas à déterminer la cause des fissures ou à interpréter la preuve soumise lors de l’arbitrage[6]

[51]            La Cour doit plutôt déterminer s’il existe un lien de connexité entre les conclusions de l’arbitre et la preuve présentée à l’arbitrage. Le Tribunal doit, en d’autres mots, se demander si le résultat de la sentence arbitrale se rattache à un élément de preuve avancé lors de l’arbitrage et si l’arbitre a agi dans le cadre strict de son mandat[7].

[52]            Il convient, ainsi, de citer les éléments de preuve pertinents qui ont poussé l’arbitre à conclure que la non-conformité du drain français était une des causes concluantes des fissures.

[53]            Il est évident pour ce Tribunal en lisant attentivement la décision arbitrale que l’arbitre a considéré attentivement non seulement la totalité de la preuve faite devant lui, mais tout comme Me Alerte, procureur des défendeurs/demandeurs reconventionnels, le résume, il a aussi considéré, notamment, entre autres,  les faits suivants:

« Il a été spécifiquement mis en preuve que la non-conformité du drain français faisait partie de la cause des fissures à l’immeuble. Voir à cet égard, la sentence (P-9 à la page 15 pour l’opinion de l’expert Bélanger, aux pages 18 et 19 pour l’opinion de l’Expert Hosséini, et aux pages 33 argumentation et 42, MC-8, page 9, par. 3). »

[54]            Quant au commentaire de l’arbitre en relation avec le manque de professionnalisme de l’entrepreneur on peut lire au paragraphe 149 de la sentence arbitrale du 29 septembre 2006 que l’arbitre s’est manifestement basé, pour faire ce commentaire, notamment, sur les faits suivants, comme le rapporte de nouveau Me Alerte dans son plan d’argumentation :

a)      « L’entrepreneur a affirmé ne pas avoir à suivre les normes du Code National du Bâtiment pour la construction des maisons modèles (P-9 page 40, par. 149) ;

b)      L’entrepreneur a affirmé au bénéficiaire dès l’année 2002 qu’il devait s’attendre à avoir d’autres fissures, pour ensuite nier ses dires, pour enfin affirmer lors de la réouverture de l’enquête que c’était une farce (P-9 page 40 par. 147) ;

c)      L’entrepreneur admet ne pas avoir fait une étude de sol malgré que cela était mentionné au plan de construction (P-9 page 39, par. 147)

d)      L’entrepreneur reçoit une mise en demeure le 27 juin 2002 (MC-3) relativement à l’absence de pare vapeur dans la maison, il n’avait rien révélé aux bénéficiaires relativement à son absence sous la dalle. Les bénéficiaires le découvre par la suite lors des sondages de Monsieur Hosseini (P-9 page 42, par. 154)

e)      Madame Gervais dûment mandatée pour l’entrepreneur pour agir dans le présent dossier a affirmé qu’il y avait 5 à 5 ½ de remblai sous les semelles et Monsieur Ménard a affirmé par la suite que c’était une erreur alors que la preuve établit qu’il y avait du remblai à l’intérieur et à l’extérieur des semelles rendant invraisemblable l’affirmation de l’entrepreneur (P-9 page 39, par. 147)

f)        Les représentations de l’entrepreneur à l’effet que la maison ne reposait pas sur du remblai, amis sur du sol naturel, ce sont avérées fausses avec les rapports de Monsieur Hosseini (P-9 page 40, par. 147). »

[55]            Le Tribunal fait siennes ces savantes représentations de Me Alerte et conclut que le commentaire de l’arbitre quant au manque de professionnalisme de l’entrepreneur était fondé.

[56]            Au paragraphe 64 de la décision arbitrale datée du 29 septembre 2006, l’arbitre reprend en ses mots les dires du rapport d’expertise de monsieur Mohammad Hosseini, un expert retenu par les acheteurs, et il écrit ce qui suit:

« 64. L’ensemble de ces données montre la présence d’une cuvette argileuse remblayée avec des matériaux granulaires perméables, ce qui favorise l’accumulation d’eau, appelée communément (nappe perchée), ce phénomène a pour conséquence d’augmenter la teneur en eau et diminuer à long terme la capacité portante de l’argile en place. De plus, le drain français n’est pas construit selon les règles de l’art, ne favorise pas l’égouttement des eaux vers l’égout, il favorise plutôt l’accumulation d’eau et contribue au problème de la nappe d’eau perchée. »

[57]            Dans son rapport d’expertise déposé lors de l’arbitrage monsieur Hosseini arrive, entre autres, à la conclusion suivante :

« 8) Nous sommes d’avis que les éléments de construction suivants ne sont pas conformes aux exigences des plans consultés. Selon les plans fournis par l’Entrepreneur : […]

ii) Le drain français devrait être entouré d’une toile filtrante, ce qui n’est pas le cas présentement  […]

Ces déficiences et vices de construction doivent être corrigés»

[58]            L’arbitre a clairement tranché, selon l’ensemble de la preuve, et a retenu, entre autres, l’opinion de l’expert Hosseini en  ordonnant que l’entrepreneur corrige la non-conformité du drain français.

[59]            Cette conclusion de l’arbitre était basée sur la preuve complète soumise lors des multiples journées d’audience qu’il a présidées et cette conclusion ne peut faire l’objet d’une quelconque révision de la part du présent Tribunal, puisque rien dans la preuve présentée à l’audience ne nous permet de conclure que l’arbitre a outrepassé son mandat.

[60]            Le Tribunal ne fait, donc, pas sien l’argument avancé par Me Franco, procureur de la demanderesse, que l’arbitre a conclu ultra petita.

[61]            Le Tribunal rejette aussi l’argument voulant que l’arbitre ne pouvait faire appel à l’équité, car il est expressément prévu à l’article 116 du Règlement cité plus haut, que l’arbitre avait droit de faire appel à l’équité tout comme il l’écrit au paragraphe 156 de sa décision[8].

[62]            En conséquence, le Tribunal conclut que l’arbitre a agi dans les limites de son mandat et n’a pas outrepassé celui-ci.

V. Manquement aux règles de justice naturelle

[63]            Le Tribunal souligne que Me Franco, procureur de la demanderesse, a longuement fait état qu’il y a eu manquement aux règles de justice naturelle dans ce dossier par l’arbitre Lebire.

[64]            Nous ne pouvons adhérer d’aucune façon à ces prétentions.

[65]            En effet, Me Jeffrey Edwards a témoigné à l’audience de façon entièrement  crédible, sur sa très brève implication dans ce dossier, au tout début de l’affaire. Essentiellement, il n’a fait qu’obtenir des documents pour les acheteurs et il a, aussi, obtenu un sursis pour leur permettre une préparation adéquate de leur dossier.

[66]            D’ailleurs, Me Edwards a témoigné que constatant un possible conflit d’intérêt il s’est retiré du présent dossier et a confié ce litige et ce mandat à une autre avocate de son bureau, Me Alerte, qui a pris ce dossier en main et a, par la suite, représenté les défendeurs/demandeurs reconventionnels.

[67]            Me Edwards a, de plus, témoigné de façon crédible qu’il ne connaissait point l’arbitre monsieur Gilles Lebire, même s’il agit lui aussi comme arbitre pour la même organisation.

[68]            Le Tribunal rejette, donc, la totalité de l’argumentation de la demanderesse concernant la possible partialité de l’arbitre Lebire en l’espèce.

VI. Requête en annulation de la sentence arbitrale

[69]            En conclusion, pour tous ces motifs énoncés plus haut, le Tribunal REJETTE la requête de la demanderesse en annulation des sentences arbitrales et les CONFIRME.

VII. Demande reconventionnelle en dommages

i.                    Dommages-intérêts

[70]            Abordant maintenant la demande reconventionnelle des défendeurs/demandeurs reconventionnels présentée pour et en leur nom par Me Alerte, les défendeurs/demandeurs reconventionnels soutiennent que le recours de la défenderesse, les Habitations Sylvain Ménard Inc., était abusif et que ceci leur a causé divers dommages qu’ils quantifient globalement être de 15 000$.

[71]            À cet égard, ils allèguent avoir subi la perte de jouissance de leur sous-sol qu’ils quantifient avoir une superficie d’environ 900 pieds, dans lequel ils prévoyaient faire le réaménagement peu après leur emménagement, ce qui leur aurait permis de recevoir leurs enfants qui vivent à l’étranger ainsi que leurs amis.

[72]            Ils ont donc dû héberger leurs enfants et petits-enfants, lors de leurs séjours, dans un hôtel avoisinant, et ils ont défrayé une partie des coûts d’hôtel pour pouvoir recevoir leur famille proche lors de leurs vacances au Canada.

[73]            Ils se disent prisonniers de leur demeure, puisqu’à cause des infiltrations d’eau par les fissures dans leur maison, ils doivent continuellement essuyer les dégâts d’eau afin d’éviter des dommages additionnels à leur propriété.

[74]            Selon les demandeurs reconventionnels, ils ne peuvent, jusqu’à ce jour, quitter leur maison pour de longues période de temps, car ils doivent toujours être attentifs aux dégâts d’eau et ils sont contraints de nettoyer rapidement ces dégâts pour éviter éventuellement  que la moisissure s’installe.

[75]            Aussi, ils allèguent que leurs coûts de chauffage sont élevés, puisqu’ils doivent non seulement chauffer leur maison mais, aussi, voir à ventiler le sous-sol en hiver comme en été pour pallier au possible problème d’humidité. 

[76]            Selon eux, ils ne peuvent pas non plus vendre leur maison au prix du marché, car ils considèrent que cette demeure a subi une dévalorisation importante, causée par les différents vices de construction (inflitrations d’eau, humidité, moisissure) qui l’affectent.

[77]            Ils allèguent aussi avoir subi un préjudice moral important relié au stress, à la frustration, aux multiples pertes de temps, auquel s'est ajouté le découragement qui accompagnait toutes les procédures judiciaires.

[78]            Le Tribunal souligne, entre autres, qu’aucune preuve écrite comme, par exemple, des factures d’hôtel ou relevés d’Hydro-Québec, n’a été présentée au Tribunal qui lui permettrait d'évaluer avec précision le quantum des dommages allégués.

[79]            Dans les circonstances, le Tribunal REJETTE EN PARTIE la demande des défendeurs/demandeurs reconventionnels pour la somme de 15 000$.

[80]            Le Tribunal, usant de sa discrétion, OCTROIE, néanmoins, aux demandeurs reconventionnels la somme de 5000$, afin de les dédommager pour l'ensemble de leurs troubles et inconvénients. 

ii.                  Frais extrajudiciaires

[81]            Les défendeurs/demandeurs reconventionnels allèguent que la demanderesse était de mauvaise foi. Selon eux, en l’espèce, la demanderesse a multiplié les procédures inutiles, frivoles et dilatoires. Selon les défendeurs/demandeurs reconventionnels, ceci donne ouverture à leur droit d’être compensés pour leurs frais extrajudiciaires encourus.

[82]            Une facture a été présentée à la Cour, lors de l’audition, qui établit que leurs frais extrajudiciaires s’élèvent à la somme de 18 321$, pièce MC-20.

[83]            Le Tribunal note, en lisant attentivement cette note d'honoraires, qu’une portion importante de ce compte d’honoraires extrajudiciaires se rapporte au volet constitutionnel en lien avec le présent litige, ouvert par la demanderesse elle-même, lorsqu’elle attaqua la constitutionnalité du Règlement.

[84]            Le Tribunal souligne que cette portion du dossier a été abandonnée par la demanderesse à la veille même de la présente audition, alors que toute la préparation avait été faite incluant les divers cahiers et la recherche, etc. Le dossier avaient été amplement préparés pour contrer cet argument par les procureurs des défendeurs/ demandeurs reconventionnels.

[85]            Le Tribunal se déclare, en principe, satisfait de la preuve offerte quant à cette partie de la réclamation des défendeurs/demandeurs reconventionnels reconventionnels pour les frais extrajudiciaires et ACCORDE donc aux demandeurs reconventionnels  la somme de 12 500$ seulement pour les compenser à cet égard.

[86]            POUR TOUTES CES RAISONS:

[87]            Le Tribunal REJETTE la requête de la demanderesse avec DÉPENS et DÉCLARE HOMOLOGUÉE les sentences arbitrales dans leur entier émises par l'arbitre Gilles Lebire.

[88]            Le Tribunal ACCUEILLE en partie la demande reconventionnelle des défendeurs/demandeurs reconventionnels. 

[89]            Le Tribunal ORDONNE à la demanderesse/défenderesse reconventionnelle de payer aux défendeurs/demandeurs reconventionnels la somme totale de 17 500$ afin de les compenser en partie pour tous les dommages et frais extrajudiciaires qu'ils ont encourus et subis.

[90]            Avec dépens.

 

 

 

__________________________________

PIERRETTE SÉVIGNY, J.C.S.

 

 

Me Alexandre Franco

Crochetière Pétrin

5800, boul. Louis-H.-Lafontaine

Montréal (Québec) H1M 1S7

PROCUREUR DE LA DEMANDERESSE

 

 

Me Valérie Alerte

Tutino Edwards Joseph

1080 Côte du Beaver Hall, bur. 600

Montréal (Québec) Canada H2Z 1S8

PROCUREUR DES DÉFENDEURS/DEMANDEURS RECONVENTIONNELS

 

 

Me François Laplante

Savoie Fournier Contentieux APCHQ

5930, boul. Louis-H.-Lafontaine

Montréal (Québec) H1M 1S7

PROCUREUR POUR l’APCHQ

 

 

 

Dates d'audience: 2 et 3 avril 2008

 



[1] Voir Rogers sans fil inc. c. Manuel Folla et all, 500-05073111-01 2003 (C.S.) , The Gazette, une division de Southam inc. c. Rita Blondin et all, REJB2003-45981 (C.A.) et Compagnie d’Assurance Standard Life du Canada c. Jeannine Lavigne et Claude Lapierre, EYB 2008-131079 (C.A.).

[2] Les Éditions Chouette 1997 Inc. et Christine L’Heureux c. Desputeaux et all, REJB2003-28952 (C.S.C.).

[3] Rénovation Marc Cléroux Inc. c. Société pour la résolution des conflits et all, 2007 QCS 1116 (C.S.).

[4] Compagnie d’Assurance Standard Life du Canada c. Jeannine Lavigne et Claude Lapierre, EYB 2008-131079 (C.A.) au para. 47.  et Béchard, Donald. « Homologation et annulation de la sentence arbitrale », Développements récents en arbitrage civil et commercial (1997), Service de la formation permanente du Barreau du Québec, 1997 à la p. 4.

[5] Compagnie d’Assurance Standard Life du Canada c. Jeannine Lavigne et Claude Lapierre, EYB 2008-131079 (C.A.) au para. 51-52, De Luca c. 9032-Québec inc., REJB 2003-44726 au para. 14 et article 946.2 C.p.c.

[6] Rénovation Marc Cléroux inc. c. Société pour la résolution des conflits inc. et all, EYB 2007-116661 (C.S.) aux para. 84 et 86.

[7] Côté c. Lebire, C.Q. Beauharnois, no 760-02-005262-006, 29 janvier 2007 à la p. 4 et Rogers sans fil inc. c. Folla, AZ-50402259 à la p. 10, au para. 43.

[8] De Luca c. 9032-Québec inc., REJB 2003-44726 au para. 15 et Côté c. Lebire, C.Q. Beauharnois, no 760-02-005262-006, 29 janvier 2007 à la p. 6.