TRIBUNAL D’ARBITRAGE

ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS

(Décret 841-98 du 17 juin 1998)

 

Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment du Québec:

CENTRE CANADIEN D’ARBITRAGE COMMERCIAL

 

ENTRE :                                                      FATOU BINETOU KONÉ

 

                                                                                   Bénéficiaire

                                                                       c.

 

                                                                       LE FAIRMONT ST-LAURENT INC.

 

L’Entrepreneur

 

Et :                                       

 

LA GARANTIE ABRITAT INC.

 

L’Administrateur

No dossier S13-021501-NP         

 

 

DÉCISION ARBITRALE

 

 

Arbitre :                                                         Me Roland-Yves Gagné

 

Pour la Bénéficiaire :                                  Madame Fatou Binetou Koné

                                                                       Monsieur Lamine Kane Diallo

           

Pour l’Administrateur :                                Me Élie Sawaya

 

Pour l’Entrepreneur :                                   Me David Ghavitian

                                                                       Monsieur Michael Nehemia

                                                                       Monsieur Arthur Cohen

 

Date de l’audience :                        19 avril 2013

 

Lieu :                                                              Palais de justice de Montréal,

1 est, rue Notre-Dame, salle 14.10

Montréal, Qc.

                                  

Date de la décision :                                   6 mai 2013


 

Description des parties 

 

Bénéficiaire

 

Madame Fatou Binetou Koné

[...]

Montréal, Qc.

H4M 0A7

 

Entrepreneur

 

Le Fairmont Saint-Laurent Inc.

4920 De Maisonneuve, Bureau 107

Westmount, Qc.

H3Z 1N1

a/s Me David Ghavitian

1255 University, Bureau 401

Montréal, Qc.

H3B 3B6

 

Administrateur

 

Me Élie Sawaya

Savoie Fournier

Contentieux de l’APCHQ

5930 boulevard Louis-H. Lafontaine

Anjou, Qc.

H1M 1S7

 

 

 


 

Dans son cahier de pièces, l’Administrateur a soumis les pièces suivantes :

A-1 : Contrat d’achat préliminaire;

A-2 : Contrat de garantie;

A-3 : Acte de vente notarié en date du 30 novembre 2011;

A-4 : Réception du bâtiment en date du 25 novembre 2011;

A-5 : Correspondances de la Bénéficiaire à l’Entrepreneur;

A-6 : Correspondances de l’Entrepreneur à la Bénéficiaire;

A-7 : Courriels de l’Entrepreneur à la Bénéficiaire;

A-8 : Courriels de la Bénéficiaire à l’Entrepreneur;

A-9 : Demande d’indemnisation en date du 19 mars 2012;

A-10 : Avis de 15 jours en date du 3 avril 2012;

A-11 : Facture de MFA Inc.;

A-12 : Relevé de compte MasterCard;

A-13 : Décision de l’Administrateur en date du 14 janvier 2013 et récépissé postal;

A-14 : Demande d’arbitrage en date du 15 février 2013 avec échange de lettres et courriels.

 

À l’audience, l’Administrateur a produit A-15 : courriels du 24 novembre 2011.

 

La Bénéficiaire n’avait pas de pièces supplémentaires autres que celles déjà contenues au cahier de pièces de l’Administrateur à produire.

 

L’Entrepreneur a produit comme pièce :

E-1 : Lettre du 11 mars 2013 de son procureur.

 


 

MANDAT ET JURIDICTION

 

[1]       Le Tribunal est initialement saisi du dossier suite à une demande d’arbitrage par la Bénéficiaire, reçue par le Centre Canadien d’Arbitrage Commercial le 15 février 2013, et par la nomination de l’arbitre soussigné en date du 18 février 2013. 

[2]       Aucune objection quant à la compétence du Tribunal n’a été soulevée par les parties et la juridiction du Tribunal est alors confirmée.

 

LE DROIT

 

[3]       La Bénéficiaire a produit une demande d’arbitrage en vertu de l’Article 35 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (ci-après nommé le Règlement)

Le bénéficiaire ou l'entrepreneur, insatisfait d'une décision de l'administrateur, doit, pour que la garantie s'applique, soumettre le différend à l'arbitrage dans les 30 jours de la réception par poste recommandée de la décision de l'administrateur à moins que le bénéficiaire et l'entrepreneur ne s'entendent pour soumettre, dans ce même délai, le différend à un médiateur choisi sur une liste dressée par le ministre du Travail afin de tenter d'en arriver à une entente. Dans ce cas, le délai pour soumettre le différend à l'arbitrage est de 30 jours à compter de la réception par poste recommandée de l'avis du médiateur constatant l'échec total ou partiel de la médiation.

 

[4]       La Cour d’appel du Québec, dans l’affaire La Garantie des Bâtiments Résidentiels Neufs de l’APCHQ Inc. c. Maryse Desindes et Yvan Larochelle, et René Blanchet mise en cause ( AZ-50285725 du 15 décembre 2004)  a jugé que ce Règlement était d’ordre public 

[11] Le Règlement est d’ordre public. Il pose les conditions applicables aux

personnes morales qui aspirent à administrer un plan de garantie. Il fixe les modalités et les limites du plan de garantie ainsi que, pour ses dispositions essentielles, le contenu du contrat de garantie souscrit par les bénéficiaires de la garantie, en l’occurrence, les intimés.

[12] L’appelante est autorisée par la Régie du bâtiment du Québec (la Régie) à agir comme administrateur d’un plan de garantie approuvé. Elle s’oblige, dès lors, à cautionner les obligations légales et contractuelles des entrepreneurs généraux qui adhèrent à son plan de garantie.

[13] Toutefois, cette obligation de caution n’est ni illimitée ni inconditionnelle. Elle

variera selon les circonstances factuelles […]

 

[5]       La Cour supérieure affirme dans Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ inc. c. Dupuis ( 2007 QCCS 4701 26 octobre 2007, Michèle Monast, juge)

[75] Il est acquis au débat que l'arbitre doit trancher le litige suivant les règles de droit et qu'il doit tenir compte de la preuve déposée devant lui.  Il doit interpréter les dispositions du Règlement et les appliquer au cas qui lui est soumis. Il peut cependant faire appel aux règles de l'équité lorsque les circonstances le justifient. Cela signifie qu'il peut suppléer au silence du règlement ou l'interpréter de manière plus favorable à une partie.

 

[6]       L’Article 26 du Règlement se lit ainsi (extraits) :

26.  La garantie d'un plan dans le cas de manquement de l'entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles avant la réception de la partie privative ou des parties communes doit couvrir: […] 

  3°    le relogement, le déménagement et l'entreposage des biens du bénéficiaire dans les cas suivants:

  a)      le bénéficiaire ne peut prendre réception du bâtiment à la date convenue avec l'entrepreneur à moins que les acomptes ne soient remboursés;

  b)      il ne peut prendre réception du bâtiment à la date convenue avec l'entrepreneur afin de permettre à l'administrateur de parachever le bâtiment.

 

[7]       L’article 140 du Règlement se lit ainsi :

140.  Un bénéficiaire ne peut, par convention particulière, renoncer aux droits que lui confère le présent règlement.

[8]       Le 11 mars 2013 (E-1), l’Entrepreneur envoyait, par l’intermédiaire de son procureur, une opposition écrite à la demande d’arbitrage, dans laquelle il écrit :

A cet égard, vous comprendrez que notre client est bien fondé en faits et en droit d’opposer une fin de non-recevoir, considérant que la requérante s’est renoncé explicitement à tout recours contre notre client concernant tout délai de livraison.  D’ailleurs, la requérante a elle-même admis avoir connaissance de ladite clause.  En outre, une décision motivée d’une administrateur de la Garantie Abritat Inc. corrobore nos arguments à cet effet.

[9]       La preuve soumise par la Bénéficiaire lors de l’audience du 19 avril 2013 fut entendue sous réserves de cette objection.

[10]    Suite à une conférence préparatoire tenue le 25 mars 2013 à laquelle les représentants de toutes les parties ont participé, pendant laquelle la question du quantum a été discutée, le tribunal soussigné a rendu une décision intérimaire datée du même jour, dans laquelle il

[11] DÉCLARE que

[11.1] le quantum des dommages réclamé, tel qu’établi par l’Administrateur dans sa décision du 14 janvier 2013, est retenu sans admission et sous toutes réserves de son admissibilité pour les fins de l’Arbitrage, soit :

[11.1.1] Déménagement : 121,47$

[11.1.2] Hébergement : 1 445$

[11.1.3] Repas : 481,26$

[11.2] la Bénéficiaire n’aura pas à faire la preuve de son quantum de dommages à l’audition, considérant qu’elle ne conteste pas les conclusions de l’Administrateur quant au quantum, mais le fait que sa réclamation fut rejetée pour les raisons exposées au chapitre « Analyse et Décision » à la décision du 14 janvier 2013.

[11]    Sauf indication contraire, les lettres et courriels cités dans cette décision sont incorporés dans l’onglet A-14 du cahier des pièces.

 

HISTORIQUE DU DOSSIER ET FAITS EN LITIGE

 

[12]    L’immeuble est situé au […], unité […], à Montréal.

[13]    Le 16 août 2010, la Bénéficiaire a signé avec l’Entrepreneur un contrat d’achat préliminaire (A-1).  Le contrat d’achat mentionne

à la page 1 -

Date d’occupation

L’unité de condo vendu sera substantiellement terminé et prêt pour l’occupation le ou avant _l’ete 2011_

à la page 3 -

Le vendeur ne sera pas responsable du retard à la livraison de l’unité de condo, si ce retard provenait […] d’une force majeure, ou de la survenance de toute autre cause indépendante de la volonté du vendeur […]

[14]    Le 31 août 2011, la Bénéficiaire quittait son logement loué dans l’attente de son unité de condo. Elle devait quitter les lieux car son bail était terminé et le logement était loué à quelqu’un d’autre.

[15]    D’après son témoignage, la Bénéficiaire a reçu le 8 septembre 2011 (lettre envoyée fin août - début septembre 2011 d’après le témoignage des représentants de l’Administrateur) une lettre non datée, onglet A-6, dans laquelle l’Entrepreneur donne des instructions à la Bénéficiaire et écrit :

Nous allons commencer la livraison sur ** Mardi, 20 Septembre 2011.  S’il vous plaît contacter […] pour planifier votre date et l’heure à condition que l’appareil (sic!) est prêt et votre banque a envoyé des instructions hypothécaires au notaire. (les caractères gras sont dans la lettre)

[16]    Dans une lettre datée du 20 septembre 2011 (A-14), la Bénéficiaire accuse réception le 7 (sic!) septembre 2011 de la lettre citée au paragraphe précédant et relate les démarches qu’elle a entreprises depuis.

[17]    Sa lettre du 20 septembre 2011 étant restée sans réponse, elle envoie une autre lettre datée du 28 septembre 2011 :

Nous sommes aujourd’hui le 28 septembre 2011 et je n’ai reçu d’appel ni de votre notaire, ni de vous […] Par ailleurs, mon bail a expiré depuis le 31 août dernier et cela fait donc quatre semaines maintenant que je suis sans domicile et que j’ai dû entreposer tant bien que mal.

[18]    L’Entrepreneur communique avec elle puisque le 3 octobre 2011, elle se rend sur le chantier avec Monsieur Limane Kane Diallo, témoin à l’audience. 

[19]    L’unité n’était pas prête.  Monsieur Diallo a témoigné à l’effet que la cuisine (pas de placard, ni d’évier) et les toilettes n’étaient pas terminées, il n’y avait pas de plinthes électriques.

[20]    Le 12 octobre 2011, la Bénéficiaire envoie une autre lettre

[…] Je voudrais aussi que vous me donniez une date pour la livraison de mon unité et que vous la respectiez car c’est une perpétuelle déception que de se faire dire à chaque deux semaines qu’il faut encore patienter deux semaines de plus et cela rend toute planification impossible.  Encore une fois, je vous prie de respecter vos engagements et de prendre conscience de la situation critique dans laquelle vous me placez et d’y remédier au plus vite. […]

[21]    Par lettre datée du 21 octobre 2011, l’Entrepreneur écrit

[…] En réponse à votre lettre reçue le 21 octobre 2011 (datée du 12 octobre 2011) je vous assure que nous faisons tout ce qui est possible pour compléter votre unité dans les plus brefs délais.  Tel que mentionné lors de la lettre que nous vous avons fait parvenir à la fin septembre par courrier recommandé, la finition des appartements se fait étage par étage, et ceci prend un certain temps.  Soyez assurée que la livraison de votre unité a toujours été une priorité pour nous.

[…] Madame Binetou, j’aimerais vous rappeler que nous avons fait du « tout sur mesure » dans votre unité et avons changé le plan original et tout cela sans aucun frais additionnel […] Toutes ces modifications au plan équivalent à un rabais d’au moins 15,000$ à 20,000$ sur votre achat.  Nous avons consenti à chacune de vos demandes avec le plus grand plaisir, mais nous vous demandons de ne pas en abuser […]

[22]    Le 28 octobre, la Bénéficiaire envoie une quatrième lettre :

[…] cette situation d’attente interminable et indéterminée ne peut plus perdurer. Je vous demande donc de me donner une date précise et pas plus tard que le 20 novembre pour la livraison de mon unité […].

[23]    Le même jour, l’Entrepreneur lui répond par courriel :

Votre unité sera prête pour livraison le ou vers le 20 novembre prochain […]

[24]    Le 10 novembre 2011, la Bénéficiaire envoie une mise en demeure de quatre pages (extraits) : […]

En tout état de cause, je vous mets en demeure par la présente :

- de prendre toutes les mesures utiles et nécessaires afin que mon unité soit intégralement conforme en tout point au plan annexé au contrat préliminaire et ce, sans aucun frais supplémentaires pour moi;

- de procéder à la livraison sans délai de ladite unité;

- de me donner votre accord sur le principe d’une indemnisation du préjudice que je subis du fait de la mauvaise exécution de vos obligations contractuelles à mon égard […]

[25]    Suite à sa lettre du 10 novembre 2011, la Bénéficiaire a enfin obtenu une date de rendez-vous chez le notaire pour la signature de l’acte de vente.  Le 15 novembre 2011, l’Entrepreneur lui envoie un courriel, répétant les termes de la lettre du 21 octobre et ajoutant ce qui suit :

[…] Si vous n’êtes pas satisfaite, nous pouvons rembourser votre dépôt et annuler le contrat d’achat préliminaire immédiatement. Vous devez comprendre que nous ne changerons pas la localisation de votre porte patio.  À l’exception d’ajustements mineurs qui seront corrigés rapidement, votre unité sera livrée tel quel.

Votre unité sera prête au plus tard vendredi le 25 novembre 2011.  Je crois qu’elle le sera avant cette date et si c’est le cas, vous serez avisée en conséquence. Si vous êtes toujours intéressée avec cet achat, je vous demanderais  de bien vouloir prendre rendez-vous avec M. Arthur Cohene pour l’inspection qui pourrait être faite lundi ou mardi de la semaine prochaine. Vous pouvez joindre M. Cohene au 514-[…]

[26]    Le 23 novembre 2011, la Bénéficiaire procède à une inspection préréception avec un expert en inspection d’immeubles et le représentant de l’Entrepreneur Monsieur Arthur Cohen.  La Bénéficiaire signe ce 23 novembre avec l’Entrepreneur

[26.1]    le contrat de garantie de l’Administrateur (A-2), qui lui est alors remis pour la première fois, et

[26.2]    et le formulaire d’inspection préréception (A-4) dans lequel il est écrit :

Date Prévue de fin des travaux : 25 novembre 2011;

Date de réception : 25 novembre 2011.

[27]    Le 24 novembre 2011, après qu’elle en a fait la demande au notaire, la Bénéficiaire reçoit par courriel vers 13 :00 (pièce A-15) le projet de contrat de vente, qu’elle envoie à une amie, qui travaille dans le domaine de l’assurance et qui est étudiante en droit - […] Je t’envoie ci-joint la documentation qui m’a été envoyée par l’assistante du notaire que je dois rencontrer demain matin à 10h. Penses-tu que tu aurais le temps d’y jeter un coup d’œil s’il te plait? Merci beaucoup de ton aide […]

[28]    Dans un acte de vente notarié daté du 30 novembre 2011 (signé par la Bénéficiaire le 25 novembre et par l’Entrepreneur le 30 novembre), ces deux dernières parties concluaient l’acte de vente de l’unité de condo (A-3).

[29]    A la fin de la page 3, au début de la page 4, du contrat de vente, une clause, objet du présent arbitrage, intitulée Possession, se lit comme suit :

L’acheteur deviendra le propriétaire absolu de l’immeuble présentement vendu en date des présentes, et en aura l’occupation à partir de la date de sa signature sur ces présentes et accepte cette dernière date comme date de livraison sans recours contre le vendeur pour tout délai de livraison.


 

[30]    La Bénéficiaire témoigne

[30.1]    ne pas avoir eu de réponse verbale ou écrite de la part de cette amie (qui travaille dans le domaine de l’assurance et qui est étudiante en droit) avant la signature du contrat le 25 novembre 2011 à 10 :00 du matin;

[30.2]    avoir lu le projet de contrat de vente mais ne pas avoir d’expertise juridique (elle est ingénieure en physique);

[30.3]    ne pas avoir compris le même sens à la clause Possession objet du litige que le sens donné par l’Administrateur et l’Entrepreneur :

[30.3.1]        elle a compris de cette clause, qu’en signant ce contrat, elle recevait les clés le 25 novembre 2011 et qu’elle ne pourrait pas poursuivre pour des dommages occasionnés par du retard au-delà du 25, puisqu’elle recevait ses clés le 25;

[30.3.2]        elle n’a pas compris, et ce n’était pas son intention, qu’elle renonçait à ses recours pour réclamer les dommages subis antérieurement causés par le retard dans la livraison entre la fin de l’été 2011 (20 septembre) et la date de livraison du 25 novembre;

[30.4]    n’avoir posé au notaire qu’une seule question quant à cette clause : elle a demandé au notaire si cela signifiait qu’elle aurait les clés le même jour (aujourd’hui), et le notaire a dit oui. Elle n’a posé aucune autre question sur cette clause;

[30.5]    que le notaire lui a dit qu’il s’agissait d’un contrat de vente standard signé par tous les acheteurs;

[30.6]    qu’au moment d’envoyer sa demande de compensation le 10 novembre 2011 (citée ci-haut), elle n’avait pas lu le contrat de garantie reçu le 23 novembre 2011, à l’effet qu’elle avait droit au remboursement de ses frais de relogement, entreposage et déménagement en cas de retard de livraison.

[31]    Elle a effectivement reçu les clés de son unité le 25 novembre, et a emménagé le 26 novembre.  L’Entrepreneur a quant à lui apposé sa signature au contrat de vente le 30 novembre 2011.

[32]    En contre-interrogatoire

[32.1]    sur sa compréhension sur cette clause intitulée Possession, la Bénéficiaire déclare qu’elle interprétait cette clause comme faisant référence à tout délai de livraison ultérieur au 25 novembre;

[32.2]    sur des contraintes ou des menaces qui l’auraient poussée indûment à signer le contrat, la Bénéficiaire admet qu’il n’y a pas eu de menace, mais elle affirme que le préjudice moral qu’elle subissait était équivalent à une contrainte - le préjudice moral suffisait comme pression.

[33]    A cet effet, la Bénéficiaire a déclaré au début de son témoignage que du 31 août au 26 novembre 2011,

[33.1]    elle n’avait pas d’appartement stable, elle a dû

[33.1.1]        entreposer ses biens,

[33.1.2]        manger à l’extérieur,

[33.1.3]        trouver un logement avec un bail temporaire,

[33.2]    elle était dans l’impossibilité de connaître la date définitive de son emménagement dans son unité, les représentants de l’Entrepreneur lui auraient dit

[33.2.1]        d’ici deux semaines,

[33.2.2]        d’ici trois semaines,

[33.2.3]        le notaire ne peut pas prendre plus de 5 clients par jour,

elle fut donc au dos du mur lors de la signature de l’acte de vente le 25 novembre, ou bien elle signait, ou bien elle continuait à être dans la rue dans une situation précaire.

[34]    Monsieur Limane Kane Diallo a témoigné qu’il a vu la Bénéficiaire pleurer à cause de sa situation précaire, qu’elle est venue parfois loger chez lui au début, qu’il l’a aidée à trouver un logement temporaire, à trouver quelqu’un pour déplacer et entreposer ses biens.

[35]    Par lettre du 10 février 2012, la Bénéficiaire envoie une demande de 2,688.47$ pour le remboursement des frais de déménagement, gîte et logis qu’elle a dû engager du fait du retard dans la livraison de son unité de copropriété. 

[36]    Le 19 mars 2012, la Bénéficiaire envoie un autre courriel à l’Entrepreneur (A-8) et signe une demande d’indemnisation auprès de l’Administrateur (A-9).

[37]    L’Administrateur envoya à l’Entrepreneur la correspondance du 10 février 2012 (partie de A-10).

[38]    Les factures de la Bénéficiaire produites en A-11 et A-12 ne sont pas objets du débat, puisque le quantum des dommages est admis, sous réserves de la responsabilité quant au paiement de cette somme, objet du présent arbitrage - le Tribunal les a toutefois bien regardées.

[39]    Le 14 janvier 2013, l’Administrateur rend sa décision.  A la page trois, il écrit À la lumière des informations transmises par les parties impliquées, l’administrateur est d’avis que le retard de livraison est imputable à l’entrepreneur.  L’Analyse et décision se lisent comme suit :

Analyse et décision

Dans l’acte de vente relatif à l’unité privative de la bénéficiaire portant la date du 30 novembre 2011, notamment au paragraphe portant sur la possession, nous lisons le suivant :

L’acheteur deviendra propriétaire absolu de l’immeuble présentement vendu en date des présentes, et en aura l’occupation à partir de la date de sa signature sur ces présentes et accepte cette dernière comme date de livraison sans recours contre le vendeur pour tout délai de livraison. (nos soulignés (sic!))

Ce paragraphe contient une clause de renonciation de la part de la bénéficiaire relativement à tout recours contre son vendeur concernant tout délai de livraison.

Lors de l’enquête, la bénéficiaire a informé l’administrateur qu’elle était au courant de ladite clause, ayant préalablement obtenu du notaire à la signature de l’acte de vente, un exemplaire de l’acte de vente pour vérification et étude.

Conséquemment, la demande de remboursement de la bénéficiaire pour retard de livraison est refusée.

POUR TOUS CES MOTIFS, L’ADMINISTRATEUR :

NE PEUT DONNER SUITE à la demande d’indemnisation pour retard de livraison soumise par la bénéficiaire.

[40]    La décision est reçue par la Bénéficiaire le 22 janvier 2013, et elle produit une demande d’arbitrage en vertu de l’Article 35 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (ci-après nommé le Règlement) (A-14), reçue au CCAC le 15 février 2013.

[41]    La Bénéficiaire écrit dans sa demande d’arbitrage :

[…] Au final, la date de livraison promise lors de la signature du contrat préliminaire était le 21 septembre 2011 et la date effective de livraison tel que spécifié à l’acte de vente est le 25 novembre 2011.  Il n’est spécifié nulle part dans l’acte de vente que celui-ci rend les dispositions du contrat d’achat préliminaire nulles et non avenues.  Par ailleurs, le notaire Maitre Uriel Barzilay n’a rien spécifié de la sorte (enregistrement de la conversation avec le Notaire disponible si désiré).

Dans ces conditions,

-      sachant qu’il est clair que le retard de livraison est sans contredit la faute du vendeur,

-      sachant qu’il a manqué à ses obligations du contrat d’achat préliminaire,

-      sachant que le contrat de vente n’annule pas les dispositions du contrat préliminaire mentionné,

-      sachant que j’ai été tenue en otage, sans logement fixe durant 65 longs jours

j’estime que je dois bénéficier de la garantie en cas de retard pour couvrir les frais de couvert, de relogement et de double déménagement que j’ai dû encourir.


 

PLAIDOIRIE

La Bénéficiaire

[42]    La Bénéficiaire allègue s’être pourvue en arbitrage car la décision de l’Administrateur est, quant à elle, injuste, il est clair qu’il y a eu un retard de 65 jours dans la livraison de son unité par rapport au contrat préliminaire, et que la décision n’a pas tenu compte des circonstances entourant la signature du contrat de vente et le fait qu’il y a un déséquilibre entre l’Entrepreneur dont la profession est de vendre des logements et elle, qui n’a pas d’expérience juridique et qui a acheté son premier immeuble de sa vie.

[43]    Elle a été surprise par la décision du 14 janvier 2013 car pour elle, la clause en litige n’est pas claire, elle avait déjà demandé avant le 25 novembre qu’on la compense pour ses dommages causés par le retard de la livraison, et personne, ni le notaire qui était là ni l’Entrepreneur qui n’était pas présent lors de sa signature, ne lui a expliqué qu’elle perdait ainsi ses recours en dommages subis avant la signature.

[44]    Elle reconnaît avoir signé le contrat après l’avoir lu mais dit qu’elle n’avait pas compris le sens donné par les autres parties et qu’il n’a jamais été de son intention de renoncer à ses recours pour obtenir l’indemnisation qu’elle avait déjà demandée. Ce contrat, tel qu’interprété par l’Administrateur et l’Entrepreneur, ne reflète pas son intention.

[45]    Elle cite les articles du Plan de Garantie (section D, article 3; section B, article 2.3) qui sont les reproductions des articles 26 (3) et 140 du Règlement (cités au début de cette décision) pour conclure que l’Entrepreneur qui est bien au courant des détails du Plan de Garantie n’est pas censé mettre une clause dans un contrat de vente qui l’exonère de ses obligations envers elle.

[46]    Elle ne demande que le remboursement des dépenses, et non une compensation pour son stress et son préjudice moral et demande que le Tribunal fasse appel à l’équité prévue à l’article 116 du Règlement vu le déséquilibre économique entre les parties.

[47]    Elle ajoute que quand elle a posé des questions au sujet du contrat, le notaire lui aurait dit qu’il s’agissait d’un contrat standard et elle suppose qu’il n’aurait pu le changer juste pour elle.

[48]    Elle était dos au mur et son préjudice moral subit l’a contrainte à signer le contrat de vente.

[49]    Elle conclut :

[49.1]    la garantie : le Bénéficiaire ne peut renoncer aux frais de logement, l’Entrepreneur a souscrit au contrat de garantie - la clause d’occupation (ou Possession) est donc contraire à la garantie et n’a pas à être là;

[49.2]    l’article 1425 du Code civil est là l’effet qu’il faut chercher l’intention commune des parties et la clause ne reflète pas son intention à elle;

[49.3]    son témoignage démontre les circonstances dans lesquelles elle a signé cette clause : elle était dans une situation précaire, elle a payé des frais de plus de 2,000$, le projet de contrat de vente lui a été remis moins de 24 heures avant la signature, elle n’a pas d’expertise juridique et l’Entrepreneur ne s’est pas présenté au moment où elle a signé;

[49.4]    l’article 1375 du Code civil dit que les parties doivent agir de bonne foi, et l’Entrepreneur a manqué à son obligation en ne s’assurant pas qu’elle avait bien compris le sens de sa renonciation à ses recours alors qu’elle avait envoyé une lettre auparavant dans laquelle elle demandait une compensation pour ses frais;

[49.5]    l’article 116 du Règlement dit que l’arbitre peut faire appel à l’équité et vu le déséquilibre économique entre les parties, son manque d’expérience versus l’expérience de l’Entrepreneur, l’équité devait entrer en ligne de compte dans la décision de l’arbitre.

L’Entrepreneur

[50]    L’Entrepreneur plaide :

[50.1]    l’Entrepreneur a toujours agi de bonne foi - les échanges de lettres démontrent qu’à plusieurs reprises, il a essayé de faire des accommodements, citant les lettres du 21 octobre et du 15 novembre 2011 (voir ci-haut), qui démontrent la bonne foi de l’Entrepreneur, qui a même offert d’annuler le contrat préliminaire et lui remettre les acomptes;

[50.2]    la preuve démontre qu’il n’y a eu aucune contrainte, aucune pression, aucune menace pour forcer la Bénéficiaire à signer le contrat de vente; elle est une femme intelligente, elle connaissait le contenu du contrat, personne ne l’a obligé à le signer;

[50.3]    la clause d’occupation (ou Possession) est claire - elle renonce à tout recours à la date de possession et elle ne peut pas dire qu’elle ne savait pas ce que cela voulait dire;

[50.4]    il cite l’affaire Michel Dufresne et Ligne Lefebvre et le Groupe Trigone Construction Inc. et la Garantie des Bâtiments Résidentiels Neufs de l’APCHQ[1], citée plus loin dans cette décision.

L’Administrateur

[51]    L’Administrateur plaide :

[51.1]    la Bénéficiaire ne peut pas contredire une clause qu’elle a acceptée dans un acte authentique, signé devant notaire - si elle prétend que la clause n’est pas ce qu’elle avait accepté, la seule procédure qui s’ouvrait à elle est d’alléguer le faux intellectuel (ou inscription en faux);

[51.2]    la Bénéficiaire a fait une préinspection le 23 novembre, date à laquelle elle a reçu le contrat de garantie;


 

[51.3]    la Bénéficiaire savait avant la signature du contrat le 25 novembre

[51.3.1]        qu’elle avait des droits de poursuite, tel que le démontre sa lettre du 10 novembre 2011 - elle y admet implicitement qu’elle comprenait qu’elle avait le droit à une indemnisation;

[51.3.2]        elle n’est pas une néophyte;

[51.3.3]        elle a reçu le contrat de garantie le 23 novembre et le projet de contrat le 24 novembre, elle avait tous les éléments pour comprendre l’impact de la clause d’occupation (ou Possession), elle a accepté de signer le contrat contenant une clause aux termes très clairs;

[51.3.4]        le contrat de garantie reçu le 23 novembre ne fait que reproduire fidèlement les dispositions du Règlement, et l’ignorance de la Loi n’est pas un argument valide - elle ne peut pas alléguer qu’elle ignorait quels étaient ses droits;

[51.4]    la Bénéficiaire comprenait qu’elle avait droit à une indemnité, le fait qu’elle allègue avoir lu ou non le contrat ne change rien, c’était plutôt son devoir que d’agir en personne raisonnable.  Elle a même tenté d’avoir l’opinion d’une amie étudiante en droit et elle ne peut pas plaider l’aveuglement volontaire;

[51.5]    bien que l’article 140 du Règlement dise qu’on ne peut renoncer à la garantie, le juge Baudouin dans son Traité a bien expliqué que le Règlement en était un d’ordre public de protection et non de direction - ainsi, un Bénéficiaire, s’il a acquis son droit, peut renoncer à la garantie en toute connaissance de cause -

[51.5.1]        à partir du 10 novembre elle est au courant de son droit à une compensation;

[51.5.2]        le 25 novembre toutes les conditions étaient réunies pour renoncer ou non à la compensation, et elle a signé l’acte de vente;

[51.5.3]        on ne peut donner une autre interprétation que celle de l’Administrateur, ni à la clause d’occupation (Possession), ni à  l’application du Règlement quant à la décision de la Bénéficiaire de signer le contrat de vente.

Réplique

[52]    En réplique à l’Entrepreneur, la Bénéficiaire ajoute :

[52.1]    elle a toujours agi de bonne foi - le contrat préliminaire, spécifiant que la date de livraison était avant la fin de l’été 2011, restait en vigueur malgré les échanges de correspondances - d’autre part, si l’Entrepreneur savait qu’elle aurait son unité avec un retard de deux mois, il aurait dû lui dire plus tôt;

[52.2]    elle a agi sous contrainte - elle ne pouvait avoir de date précise de livraison alors qu’elle était dans une situation précaire;

[52.3]    elle n’a aucune expérience en droit - c’est seulement depuis qu’elle a présenté sa présente réclamation qu’elle s’est informée sur ses droits, qu’elle ignorait au moment des évènements;

[52.4]    elle a lu le projet de contrat de vente car elle voulait absolument son unité, mais il ne m’a pas été explicité que je perdais tous mes recours pour les dommages du 21 septembre au 25 novembre, je ne l’ai pas compris comme cela, je croyais que je renonçais aux délais après le 25 novembre.

[53]    En réplique à l’Administrateur, la Bénéficiaire ajoute :

[53.1]    le notaire a dit qu’il s’agissait d’un contrat standard, donc si elle avait demandé au notaire de biffer cette clause, il aurait refusé;

[53.2]    elle n’a jamais contredit le contenu du contrat de garantie reçu le 23 novembre, elle ne nie pas l’avoir lu et compris;

[53.3]    à sa mise en demeure du 10 novembre, si elle parle de compensation, c’était en général comme dans tout contrat de vente, sans référence aux, ou connaissance des, dispositions du contrat de garantie reçu le 23 novembre;

[53.4]    elle estime que même en dehors du droit il est la moindre des choses d’avoir du respect et de la déférence pour offrir de rembourser les frais - elle a dû vivre dans des valises, alors qu’elle fait l’achat de sa vie, elle a dû planifier les frais, tel les frais de notaire, la taxe de bienvenue, etc., et cette dépense de plus de 2,000$ étant sans aucun doute une contrainte lors de la signature du contrat de vente, contenant une clause qui ne reflète pas son intention;

[53.5]    elle donne comme référence Construction Fargnoli Ltée c. Orlando[2], cité plus loin dans cette décision;

[53.6]    en conclusion, lors de la signature du contrat de vente le 25 novembre, les conditions n’étaient pas réunies pour faire une renonciation valide de mes droits.

DÉCISION

 

[54]    Chaque cause est un cas d’espèce et cette décision ne saurait être interprétée comme décidant de la portée de la clause de renonciation aux recours dans tous les cas.  La présente décision est rendue spécifiquement considérant la preuve soumise dans ce dossier.

[55]    Le Tribunal, après avoir analysé la preuve, la loi, la jurisprudence et les auteurs de doctrine, n’a d’autres choix que d’accueillir la demande de la Bénéficiaire, pour les raisons qui suivent.


1. La clause de possession en litige constitue-elle une transaction?

 

[56]    Le Tribunal répond par la négative. L’article 2631 du Code Civil définit ainsi la transaction :

2631. La transaction est le contrat par lequel les parties préviennent une contestation à naître, terminent un procès ou règlent les difficultés qui surviennent lors de l'exécution d'un jugement, au moyen de concessions ou de réserves réciproques.

Elle est indivisible quant à son objet

 

[57]    Il n'est pas suffisant qu'il y ait accord de volontés pour caractériser une transaction. Cet acte doit également satisfaire à d’autres dispositions, particulièrement celles du Code civil du Québec et du Règlement, et que cette transaction se fasse au moyen de concessions ou de réserves réciproques.

1er nécessité de concessions réciproques.  Contrairement à l’article 1918 C.c.B.c. qui permet de faire une transaction où les concessions ne sont pas nécessairement réciproques, l’article 2631 édicte que les concessions ou les réserves doivent être réciproques […] Dorénavant, la réciprocité des concessions est, aussi, en droit québécois, de l’essence de la transaction. Ce dernier caractère permet de distinguer la transaction du désistement d’action (article 262 à 264 C.p.c.) ou de l’acquiscement, qui constituent des renonciations unilatérales consenties par une partie[3].

[58]    Il y a ici, clairement, absence de concessions réciproques.  Dans le cas présent,  l’Entrepreneur a exigé, non pas des concessions réciproques, mais une remise de dette ou renonciation unilatérale à titre gratuit, alors même que la Bénéficiaire n’a pas compris qu’il exigeait d’elle une renonciation à quelque indemnisation que ce soit pour les dommages subis antérieurement à la date de signature et qu’elle n’en avait jamais eu l’intention.

[59]    Dans Droit des obligations, Didier Lluelles et Benoît Moore[4] écrivent :

Paragraphe 2 - La question de la renonciation, après-coup, à un droit protégé par l’ordre public […] Sous-paragraphe 1- La règle à l’état brut

1939. La renonciation après coup est cette renonciation qui n’intervient qu’une fois que le droit établi par le texte - ou le principe - d’ordre public de protection est acquis.  En effet, jusque là, le contractant protégé ne pouvait intelligemment renoncer à un droit.  Dès que le droit est acquis, il peut alors, dans le cadre d’une transaction, par exemple, savoir ce à quoi il renonce et ce que l’autre contractant lui concède en contrepartie.


 

[60]    Le contrat de vente entre l’Entrepreneur et la Bénéficiaire ne mentionne nulle part

[60.1]    qu’il s’agit d’une transaction de leur litige concernant la réclamation de cette dernière pour l’indemnisation quant à ses frais de relogement, de déménagement et d’entreposage antérieurs à la date de signature;

[60.2]    quelle est la concession de l’Entrepreneur envers la Bénéficiaire pour sa renonciation à ces frais.

[61]    Au moment de la signature, la Bénéficiaire n’obtenait aucune concession en contrepartie de sa renonciation que les clés de son unité, donc, qu’une prestation incluse au contrat d’entreprise.

[62]    Le contrat préliminaire prévoyait un prix de vente pour 286,100.59$ plus les taxes, le contrat de vente notarié est en considération d’un prix de 286,100.59$ plus les taxes.

[63]    En l’absence de concession de la part de l’Entrepreneur et d’intention commune des parties, le Tribunal conclut qu’il n’y a eu aucune transaction entre les parties.

 

2. La Bénéficiaire devait-elle procéder par inscription en faux?

 

[64]    L’Administrateur allègue que la Bénéficiaire, pour contredire le contrat notarié, devait procéder par inscription en faux.  Le Tribunal ne partage pas cet avis. 

[65]    L’arrêt Vallée c. Corriveau, [1947] B.R. 674 , à la page 683, cité par l’Administrateur, parle d’instructions données par les parties que le notaire aurait mal relatées

Or, le premier devoir du notaire dans les actes qu'il est chargé de recevoir comme tel, c'est de traduire fidèlement les conventions que les parties lui ont donné instructions de relater. S'il exprime erronément ou inexactement ces déclarations, s'il les dénature, il manque à son devoir. 

 

[66]    Dans l'affaire Fournier c. Deluxe Cleaners (500-09-000137-760 (C.A. Mtl), 5 novembre 1976), (citée par la Cour supérieure en 2011 dans Cayer c. Migneault 2011 QCCS 54 (Hon. L. Matteau, j.c.s.), la Cour d'appel précise notamment ce qui suit:

[…] En droit, l'omission du notaire de représenter dans son acte les termes de la convention sur laquelle les parties se sont préalablement entendues et qu'il avait mission de constater donne lieu à l'inscription de faux. De plus, ce droit à l'inscription de faux subsiste même si le notaire était de bonne foi et si l'inexactitude de son acte repose sur une simple erreur de sa part. Mais encore faut-il que l'erreur provienne du notaire et non des parties et que son acte soit contraire aux instructions reçues. (nos soulignés)

 

[67]    La Bénéficiaire n’a jamais témoigné à l’effet que le notaire avait agi d’une façon contraire aux instructions reçues de la Bénéficiaire, surtout qu’elle a dit n’avoir donné aucune instruction au notaire instrumentant quant à cette clause de possession ou n’avoir posé aucune autre question que si cela voulait dire qu’elle allait recevoir ses clés le jour même. 

[68]    La Bénéficiaire

[68.1]    a témoigné n’avoir jamais consenti à la renonciation aux recours pour les frais antérieurs à la signature du contrat de vente et n’avoir rien dit au notaire à ce sujet, sinon lui demander si cela voulait dire qu’elle aurait ses clés le jour même -

de son côté, l’Entrepreneur

[68.2]    ne consentait à remettre les clés que si la Bénéficiaire renonçait à ses recours passés, présents et futurs (mais cette précision en italiques n’apparaît pas au contrat) pour le retard de livraison et il a donné mandat au notaire (aux dires de la Bénéficiaire, citant le notaire qui n’a pas témoigné à l’audience) de rédiger un contrat standard à être signé par tous les acheteurs. 

[69]    Dans le présent dossier, la Bénéficiaire, n’ayant donné aucune instruction au notaire instrumentant quant à la clause de Possession, n’avait donc pas à procéder par une inscription en faux pour réussir son présent recours.

 

3. La renonciation - quittance à titre gratuit est-elle admissible dans le présent dossier, vu la preuve, les dispositions du Code civil et l’article 140 du Règlement?

 

[70]    Le Tribunal répond par la négative à cette question.

[71]    L’Administrateur et l’Entrepreneur ont soumis chacun une décision arbitrale qui traitait de quittance en cas de retard de délai de livraison. 

[72]    Dans la première, l’arbitre a déclaré nulle, la quittance comme étant contraire à l’ordre public, dans la seconde, il accepte la quittance qui a fait suite à une négociation entre les Bénéficiaires et l’Entrepreneur et à une entente chiffrée et payée au chapitre des ajustements.

[73]    Dans l’affaire Sandra Dubois Monette c. Construction LMA (6109315 Canada Inc.) et la Garantie des Bâtiments Résidentiels Neufs de l’APCHQ Inc. (2 octobre 2009, Me Jean Morissette, arbitre), l’arbitre résume ainsi le droit applicable, après que les avocats de chaque partie, soit l’Administrateur, l’Entrepreneur et la Bénéficiaire, ont plaidé par écrit:

[49] Voici comment la juge L’Heureux-Dubé de la Cour Suprême du Canada s’exprime dans l’affaire Garcia Transport[5] qui concerne la légalité pour une partie à intervenir à une renonciation d’un droit d’ordre public, à la page 30 :

« La règle générale veut que la renonciation ne soit valide que si elle intervient après que la partie, en faveur de laquelle la loi a été édictée, a acquis le droit qui découle de cette loi. C’est alors, et alors seulement, que la partie la plus faible, tel le débiteur en l’espèce, peut faire un choix éclairé entre la protection que la loi lui accorde et les avantages qu’elle compte obtenir de son cocontractant en échange de la renonciation de cette proposition, comme l’explique Gérout, loc. cit, fasc.2, à la p.10

          … l’apparition de plus en plus fréquente de règles de protection dans l’ordre public économique a multiplié les cas où les parties peuvent renoncer à un ordre public édicté dans leur seul intérêt. Mais il faut s’entendre sur la portée de cette affirmation : l’ordre public protecteur intervient pour assurer l’entière liberté du contractant le plus faible contre le contractant le plus fort: il manquerait complètement son but si la personne protégée pouvait y renoncer au moment où elle contracte […] Il faut qu’en toute connaissance de cause, au moment où la protection doit produire ses effets, l’intéressé ne risque plus de subir les pressions de son adversaire.

C’est pourquoi la renonciation à une protection légale l’ordre public ne peut se concevoir que pour des droits acquis.  La loi  n’impose pas de droits aux  individus, mais leur permet de les acquérir; elle n’interdit que la renonciation à un droit qui n’est pas encore né; la seule condition de validité de la renonciation à ces droits est l’accomplissement de leurs conditions d’acquisitions.

Couturier, lot.cit., souligne aussi la nécessité d’assurer la protection constante du contractant placé dans une situation d’infériorité, et ce, jusqu’à ce que le droit lui soit acquis (à la p. 106)

Mais les règles ressortissant à l’ordre public de protection ne sont pas seulement impératives, elles visent à protéger un contractant placé dans une situation d’infériorité; comme il s’agit de le prémunir contre les faiblesses prévisibles de son propre consentement, on ne saurait lui permettre d’abdiquer la protection légale : ce serait ruiner cette protection même. Tant que subsiste la situation d’infériorité qui explique et justifie l’intervention du législateur, la renonciation au bénéfice de la loi, lors même qu’elle porterait sur des droits acquis, paraît porter atteinte aux exigences de  l’ordre public de protection.

Ou, comme le fait observer Ghestin dans Le contrat dans le nouveau droit québécois et en droit français, op.cit., à la p.42 ;

Enfin, il est logique d’autoriser la personne qui était protégée, lorsqu’il s’agit d’ordre public de protection, à renoncer à cette protection, à la condition d’ailleurs qu’elle le fasse lorsque celle-ci n’est plus nécessaire.

Pour conclure sur ce point, disons qu’il est possible de renoncer à une disposition d’ordre public économique de protection puisque sa violation n’est sanctionnée que par une nullité relative.  En raison de la nature même de la protection accordée, toutefois, cette renonciation n’est valide que si elle est consentie après l’acquisition du droit et non avant.  À mon avis, le juge Jacques de la Cour d’appel a correctement exposé l’état du droit lorsqu’il a écrit, à la page 929 ;

Il est maintenant acquis que la partie qui bénéficie de la protection d’une loi d’ordre public économique de protection peut y renoncer. Cependant, cette renonciation ne peut être anticipée.  Elle ne peut avoir lieu que lorsque le droit que cette loi accorde est né et peut être exercé en toute connaissance de cause, tout comme, par analogie, un acte de ratification d’une obligation annulable doit exprimer, entre autres, l’intention de couvrir la cause de l’annulation (art. 1214 C.C.) »         

 

[50] Dans le volume, Les obligations des auteurs Baudouin et Jobin à la section F. « Sanctions de l’ordre public » on peut lire :

« De plus, il faut maintenant distinguer selon qu’on est en présence d’une règle  d’ordre public de protection ou de direction. Lorsque la règle touche l’ordre public de protection, il est logique, pour éviter des effets pervers, que seul celui que la règle a pour but de protéger puisse invoquer la nullité. Aussi, dans les contrats tombant sous le coup de la Loi sur la protection du consommateur, seul le consommateur et non le commerçant peut s’en prévaloir.

Par ailleurs, contrairement à ce qui est le cas pour l’ordre public de direction, la partie protégée peut renoncer à ses droits, mais à certaines conditions : cette renonciation ne sera valide que lorsque la partie sera en position de se rendre compte de ses droits concrètement (par exemple, elle a découvert le vice qui était caché et sait qu’elle dispose d’un recours) et de faire un choix éclairé entre la protection que lui accorde la loi et les avantages de la renonciation (par exemple, une indemnité). Le droit est donc né et actuel à ce moment. Une telle renonciation constitue essentiellement une transaction (article 2631). Parfois une telle renonciation survient au moment même de la formation du contrat, alors que la règle d’ordre public de protection a été violée (par exemple, le bien vendu comporte un défaut de durabilité, que connaît l’acheteur); la renonciation est valide quand elle satisfait les conditions précitées. On voit même des cas de renonciation tacite à exercer un droit d’ordre public de protection, par simple défaut de le faire valoir en justice pendant un temps significatif et alors que la partie est pleinement consciente de ses droits ». [6]

[51] Le Règlement sur le Plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs est d’ordre public.  L’article 140 édicte : 

‘’140.  Un bénéficiaire ne peut, par convention particulière, renoncer aux droits que lui confère le présent règlement. ‘’

[52] Il est ainsi prévu que la personne bénéficiaire du plan de garantie est protégée puisque placée en situation d’infériorité vis-à-vis l’Entrepreneur qui devait lui livrer une maison lui servant, comme c’est le cas sous étude, de domicile familial.

[53] Ainsi, tout bénéficiaire du plan de Garantie ne peut renoncer à un droit prévu dans le règlement jusqu’au moment où ce droit est né et peut être exercé, en toute connaissance de cause.  Est-ce que la bénéficiaire, le 15 août 2007, date de la signature de la pièce E-3, possédait un droit né et en avait-elle connaissance ?

[54] En d’autres termes, pour que la renonciation soit valide, je devrais être convaincu, selon la balance des probabilités, que la bénéficiaire était, lors de la signature de la pièce E-3, en position de se rendre compte de ses droits concrètement et de faire un choix éclairé entre la protection que lui accorde le règlement et les avantages de la renonciation, c'est-à-dire entre l’indemnité qu’elle pourrait obtenir et le montant de la transaction ou avantage transigé;

[74]    Dans l’affaire précitée, la Bénéficiaire avait signé le 15 août 2007 une modification au contrat qui stipulait qu’aucun dédommagement ne sera pris par l’acheteur pour le délai de livraison de l’immeuble, alors que la Bénéficiaire avait eu livraison le jour du contrat notarié du 28 août 2007 - l’arbitre avait conclu que la renonciation était nulle, car contraire à l’article 140 du Règlement, puisque le 15 août 2007, la Bénéficiaire ne pouvait savoir quel serait son préjudice et elle n’était donc pas en mesure de faire un choix éclairé entre la protection que lui accorde le Règlement et les avantages de la renonciation :

[55] La preuve soumise me convainc que la bénéficiaire ne pouvait connaître son droit parce qu’il n’était pas encore né. Oui, Madame Sandra Dubois-Monette savait qu’elle bénéficiait d’un recours pour retard le matin de la signature de la pièce E-3. mais en connaissait-elle la valeur? Sûrement pas, puisqu’elle n’a eu possession de sa maison que le 28 août 2007, date de la signature du contrat notarié, pièce E-4 ou le 17 août selon le témoignage de Monsieur Azar qui, rappelons-le, se dit le représentant de l’Entrepreneur.  Incidemment, le contrat notarié (A-4) mentionne à la page 4 que l’acheteur reçoit la délivrance de l’immeuble cette même journée du 28 août. Ce n’est qu’au moment où elle obtient la délivrance de la maison (1716 et ss. C.c.Q.) que la bénéficiaire connaît précisément le montant dont elle peut obtenir paiement pour le délai de livraison qui n’a pas été respecté.

[75]    Dans l’affaire Michel Dufresne et Ligne Lefebvre et le Groupe Trigone Construction Inc. et la Garantie des Bâtiments Résidentiels Neufs de l’APCHQ[7], l’arbitre rejette la réclamation des bénéficiaires quant aux dommages causés par le retard de livraison, toutefois, les faits sont différents -

[75.1]     il y avait eu des négociations entre l’Entrepreneur et les Bénéficiaires avant la signature du contrat de vente chez le notaire quant à la clause de quittance mutuelle, et les (paragraphe 53) bénéficiaires avaient accepté et signé un document d’ajustements au prix d’achat de leur propriété, sur lequel un rabais de 879$ avait notamment été consenti pour « compensation finale sur délai de livraison »)- dans le présent litige devant le soussigné, il n’y a aucune rencontre chez le notaire ou d’entente contractuelle de compensation;

[75.2]    l’arbitre avait conclu que la maison était habitable au moins six semaines avant la signature du contrat de vente - (paragraphe 52 - Certes, l’entrepreneur a exercé des pressions : toutefois, les bénéficiaires s’étaient mis eux-mêmes dans l’embarras en refusant d’emménager après avoir signé la déclaration de réception du bâtiment […])

[76]    La Bénéficiaire a cité la décision de la Cour du Québec dans Construction Fargnoli c. Orlando[8], dans laquelle un entrepreneur de maison neuve avait menacé les acheteurs de ne pas signer le contrat de vente à moins que les (par. 2) acquéreurs s’engageaient à rembourser au vendeur Fargnoli, sur réception, le crédit pour TPS et TVQ qu'ils recevraient des gouvernements (extraits - seul le Code Civil est cité) :

[19] Selon le notaire Teesdale, les défendeurs ont signé la convention P-2 à contre-cœur, parce qu'ils n'avaient pas le choix et y étaient acculés. Elle affirme qu'on ne leur avait jamais expliqué cette question de crédit pour taxes, non plus que leur « engagement » en vertu de la clause 1.2 de l'offre d'achat à le rembourser à leur vendeur. Ce remboursement est doublement coûteux pour eux compte tenu qu'ils doivent à la fois le payer au vendeur et l'ajouter comme revenu dans leur déclaration de revenus. Ils voulaient donc être compensés pour cette incidence fiscale.

[20] Les défendeurs sont formels dans leur témoignage : ils n'ont entendu parler de cette question de remboursement de crédit pour taxes qu'au jour de la signature de l'acte de vente chez le notaire Teesdale; ils ne voulaient pas signer; la discussion a pris trois heures et le notaire Teesdale les a convaincus de signer, ce qu'ils ont fait même s'ils n'étaient pas du tout d'accord; ils estimaient avoir droit à ce crédit. Compte tenu qu'ils devaient laisser leur maison le lendemain, ils n'ont pas eu le choix de signer la convention

[27] Il est clair selon les témoignages que les défendeurs ont signé la convention P-2 contre leur volonté et sous la menace de Monsieur Fargnoli de quitter les lieux et de tout annuler s'ils ne signaient pas.

[31] […] « […] Lorsque l'un des futurs contractants occupe une position privilégiée par rapport à l'autre, soit en raison de la connaissance qu'il a de certaines informations, soit en raison de la possibilité d'y avoir accès, il doit parfois, pour ne pas tromper la confiance légitime de l'autre, prendre l'initiative de fournir à ce dernier certains renseignements cruciaux. L'obligation précontractuelle d'information se fonde donc, soit sur les articles 6 et 1375, soit, plus précisément, sur l'article 1401 C.c. » BAUDOUIN Jean-Louis et JOBIN Pierre-Gabriel, Les Obligations, 5e éd., Éditions Yvon Blais, 1998, p. 264  (soulignés dans le texte)

[77]    Le Tribunal d’arbitrage soussigné a fait une longue analyse jurisprudentielle.

[78]    Dans Gourgue et 9123-7750 Québec inc. (Développements Petite Italie)[9], l’arbitre déclare valide la clause qui se lit ainsi;

 MISCELLANEOUS

The Vendor hereby freely and without any obligation compensates the Purchaser the amount of 1 000.00$ for any and all expenses the Purchaser has incurred for any problems, inconveniences and/or delays of delivery of the above mentioned condo unit, the purchaser acknowledged having received, whereof TOTAL QUIT. 1 000.00$

The parties accept the above mentioned adjustments and give each other a quittance. Furthermore the parties declare to have taken communication of the relevant documents and/or the verbal and/or written information which have been served to the preparation of the said adjustments; if any other adjustments are required, they will be made between and by the parties at the same date.

9123-7750 Quebec inc. Purchaser »

[4] Les Bénéficiaires admettent avoir pris connaissance du document signé le novembre 2006. Ils invoquent les circonstances ayant donné lieu à la signature de ce document à savoir, on leur a dit que la prise de possession de leur condo était conditionnelle à ce qu’ils signent ce document.

[5] Examinons les effets juridiques de ce document.

Les effets juridiques du document signé le 23 novembre 2008

[6] Le document signé le 23 novembre 2006 mentionne que les Bénéficiaires renoncent à réclamer la totalité des frais encourus en raison du retard de l’Entrepreneur à leur livrer leur condo dans le temps imparti.

[7] De son côté, l’Entrepreneur convient de verser aux Bénéficiaires la somme de $1 000, en compensation des dommages subis par ceux-ci à cause de la non livraison de l’immeuble.

[8] Ainsi, les Bénéficiaires et l’Entrepreneur font des concessions réciproques. Il s’agit d’une transaction au sens de l’article 2631 du Code civil du Québec. Cette transaction fait autorité entre les deux parties et envers l’Administrateur, à titre de caution. (nos soulignés)

[79]    Dans l’affaire Qi Qin et Huan Ling c. Construction Joma Inc. et La Garantie Qualité Habitation (17 avril 2012, Soreconi 080206001, Me Michel A. Jeanniot, arbitre), l’arbitre

[79.1]    considère que ce qui constitue un atermoiement, serait donc contraire à l’ordre public;

[79.2]    considère valide une entente faute de preuve qu’elle soit résultante de diminuer, atténuer, soustraire ou d’enlever un quelconque droit reconnu aux Bénéficiaires par le Règlement;

[18] J’accepte d’emblée que le législateur ait voulu interdire aux Bénéficiaires d’un plan de garantie de renoncer à un droit et/ou un bénéfice qui leur est accordé par Règlement voir même qu’il est possible qu’ils ne peuvent, par convention,  accepter un atermoiement de ce qui leur a déjà été reconnu par l’Administrateur (d’un plan de garantie) ou accepter des travaux moindres ou inférieurs et/ou possiblement accepter un règlement forfaitaire en argent alors qu’ils ont droit à l’exécution réelle et concrète des travaux qui leurs auraient été reconnu. J’accepte que ce qui constitue un atermoiement, serait donc contraire à l’ordre public;

 

[19] Les dispositions légales du Règlement qui nous concerne, nous le savons, constituent le strict minimum imposé et il est donc impossible d’y déroger;

 

[20] Tout contrat, tout plan de garantie, toute clause de limitation ou d’exclusion de la garantie sera donc réputée ne jamais avoir été écrite;

 

[21] Si les clauses ou conventions pouvant limiter ou exclure la garantie prévue par le Règlement sont de nul effet, ceci cependant n’interdit pas aux parties de s’entendre sur des clauses, termes et conditions équivalentes voir même possiblement plus avantageuses;

 

[…] [25] Aucune représentation directe ou indirecte n’a été faite voir même suggérée à l’effet qu’il ne s’agissait pas d’un consentement libre et éclairé des parties, du moins quant aux parties essentielles à l’opération (24.1) [pièce A-6] non plus qu’il ne fut insinué que quiconque n’avait la capacité requise (24.3);

 

[…] [28] Une fois que preuve fut close de part et d’autre et bien qu’on m’ait plaidé à satiété que le Règlement est d’ordre public, je n’ai bénéficié d’aucune représentation quel qu’elle soit à l’effet que la considération de 47 000 $ ainsi que subsidiairement les travaux de creusage, de connexion et d’installation d’un regard d’égout dans l’entrée de la résidence des Bénéficiaires constitue (directement et/ou indirectement), une enveloppe compensatoire qui constitue des conditions moins avantageuses (moindres ou inférieures) que ce qui est prévu au Règlement et/ou que A-6 a eu comme résultante de diminuer, atténuer, soustraire ou d’enlever un quelconque droit reconnu aux Bénéficiaires par le Règlement;

 

[80]    La Cour d’appel dans l’affaire Banque de Montréal c. Marcotte[10] déclare:

[128] Une renonciation par une personne à la protection que lui accorde une loi, sauf s'il s'agit d'une loi d'ordre public de direction, est possible une fois le droit acquis, mais non en anticipation de celui-ci (Garcia Transport Ltée c. Cie Trust Royal, [1992] 2 R.C.S. 499 ). Cette renonciation peut alors être expresse, écrite, implicite ou tacite; dans tous les cas, elle doit néanmoins être claire, non ambiguë ou équivoque. En d'autres mots, on ne peut validement renoncer qu'en pleine connaissance de cause et en démontrant l'intention suffisante. (nos soulignés)

[81]    Dans la cause qui est devant le Tribunal d’arbitrage soussigné, la clause de renonciation incluse au contrat de vente a, justement, comme résultante de diminuer, atténuer, soustraire ou d’enlever un quelconque droit reconnu aux Bénéficiaires par le Règlement - celle qui accorde la renonciation ne reçoit rien d’autres que la prestation du contrat de service - les clés de son unité - alors qu’elle fut contrainte de vivre dans un logement loué aux deux semaines avec ses biens entreposés ailleurs, qu’elle n’avait jamais eu l’intention de renoncer à être indemnisée pour ses dommages causés par le retard antérieur au 25 novembre et qu’elle ignorait cette possible conséquence lors de sa signature au contrat de vente.

[82]    La Cour d’appel dans l’affaire Desindes (citée ci-haut) ayant déclaré le Règlement d’ordre public, même s’il s’agit d’un ordre public de protection, le bénéficiaire d’une telle protection ne peut renoncer à son droit qu’en pleine connaissance de cause et en démontrant l’intention suffisante.

[83]    Pour citer encore une fois Baudouin (voir ci-haut) :

cette renonciation ne sera valide que lorsque la partie sera en position de se rendre compte de ses droits concrètement (par exemple, elle a découvert le vice qui était caché et sait qu’elle dispose d’un recours) et de faire un choix éclairé entre la protection que lui accorde la loi et les avantages de la renonciation (par exemple, une indemnité)

quels avantages la Bénéficiaire avait-elle devant elle en renonçant à ses recours - aucun, sinon le respect du contrat préliminaire, soit, finalement, la livraison de la maison. 

[84]    La Bénéficiaire a convaincu le Tribunal qu’elle était dans une situation précaire au moment de la signature du contrat de vente et qu’elle ignorait qu’on lui demandait de renoncer à l’indemnisation pour ses dommages subis avant le 25 novembre, ce dont elle n’avait jamais eu l’intention de faire.

[85]    Pendant plusieurs semaines (voir, plusieurs mois), elle a ignoré la date à laquelle elle pourrait emménager, elle a dû entreposer ses biens, coucher chez des tiers jusqu’à ce qu’elle loue un logement sur une base temporaire (bail aux deux semaines), ce qui a entraîné des dépenses imprévues au moment de la signature du contrat préliminaire mentionnant une date de livraison le ou avant _ l’ete 2011.  Elle l’a d’ailleurs écrit à l’Entrepreneur le 28 septembre 2011, près de deux mois avant la date de livraison - Par ailleurs, mon bail a expiré depuis le 31 août dernier et cela fait donc quatre semaines maintenant que je suis sans domicile et que j’ai dû entreposer tant bien que mal

[86]    Pour sa part, l’Entrepreneur n’a jamais confirmé la date de livraison avant le 15 novembre. Le Tribunal d’arbitrage note l’absence de contrepreuve de la part de l’Entrepreneur à l’effet que la Bénéficiaire n’a su que par la lettre du 15 novembre 2011 la date de livraison de son unité, prévu au contrat préliminaire pour l’été 2011.

 

[87]    En résumé, quant au Règlement et au Plan de garantie,

[87.1]    d’une part,

[87.1.1]        le Législateur a prévu d’insérer dans le Règlement les articles 26 et 140

[87.1.2]        la Cour d’appel a dit que le Règlement est d’ordre public

[87.1.3]        la Cour suprême et la Cour d’appel ont dit que la renonciation à un droit d’ordre public de protection était possible quand le bénéficiaire du droit avait obtenu son droit et que le bénéficiaire du droit renonçait à son droit d’une façon non équivoque et en pleine connaissance de cause (choix éclairé) alors que

87.1.3.1.    la Bénéficiaire a témoigné à l’effet n’avoir jamais eu l’intention de renoncer à être indemnisée pour ses frais passés,

87.1.3.2.    que c’est par erreur qu’elle avait signé la clause de possession si l’interprétation qu’en avait fait l’Entrepreneur (et l’Administrateur) était la bonne, et

87.1.3.3.    point important qui rend ce dossier particulier, il y a absence de transaction au sens de l’article 2631 du Code civil

[87.1.4]        la Bénéficiaire qui signe le contrat préliminaire avec l’Entrepreneur est couverte par le Règlement et le Plan de garantie géré par l’Administrateur

[87.1.5]        la Bénéficiaire vivait dans une situation précaire, dans un logement loué aux deux semaines, ses biens étaient entreposés ailleurs que dans son logement, elle subissait des dommages pécuniaires causés par le retard de livraison, retard dont l’Entrepreneur fut tenu responsable par la décision de l’Administrateur (sauf quant à la responsabilité de compenser ces dommages vu la clause de Possession)


 

[87.2]    d’autre part,

[87.2.1]         l’Entrepreneur considère qu’il a le droit de limiter le Bénéficiaire à deux seules options en cas de retard de délai de livraison

Option 1. L’annulation du contrat préliminaire et la remise au Bénéficiaire de ses acomptes versés - 10 jours avant la livraison il écrit : Si vous n’êtes pas satisfaite, nous pouvons rembourser votre dépôt et annuler le contrat d’achat préliminaire immédiatement

Option 2. Le Bénéficiaire accepte de changer la date de livraison et renonce à tout recours, passé, présent et futur, pour retard, sans compensation,

et l’Entrepreneur est totalement déchargé de ses obligations sous le Règlement sans concession

et le Bénéficiaire doit subir les dommages sans compensation

[87.2.2]        dans les deux cas (Option 1 et Option 2),

1.    le Bénéficiaire ne bénéficie aucunement des bénéfices que le Législateur lui a donnés car dans les deux cas, on ne laisse aucun choix au Bénéficiaire que de renoncer totalement, sans compensation, aux bénéfices du Règlement et du Plan de garantie, l’option 3 restante, disponible au Bénéficiaire si elle avait compris le sens de la clause, était d’augmenter ses dommages en se cherchant un autre logement;

2.    la renonciation aux droits que lui donne le Règlement n’est faite en considération d’aucune concession, la seule contrepartie est la livraison de son unité contre le paiement du prix de vente déjà prévu au contrat préliminaire, l’Entrepreneur imposant donc l’ajout d’une clause supplémentaire de renonciation unilatérale au contrat préliminaire, clause qui n’y apparaissait nulle part, et dont on ne pouvait même pas inférer l’existence ou la possibilité à la lecture du Règlement ou du contrat de garantie;

[87.3]    le Tribunal d’arbitrage doit conclure des faits particuliers du présent dossier que la renonciation sans indemnisation ou concession de la Bénéficiaire trouvée dans la clause Possession du contrat de vente pour les frais encourus dans le passé à cause du retard de livraison était contraire au Règlement et donc de nul effet.


 

[88]    Après avoir analysé les faits particuliers de la présente cause et la preuve présentée à l’audience, les dispositions du Règlement et du Code Civil, la jurisprudence, la doctrine, le Tribunal conclut qu’il y a lieu d’accueillir la demande de la Bénéficiaire.

 

FRAIS

[89]    L’Article 37 du Règlement stipule : 

Les coûts de l'arbitrage sont partagés à parts égales entre l'administrateur et l'entrepreneur lorsque ce dernier est le demandeur.

Lorsque le demandeur est le bénéficiaire, ces coûts sont à la charge de l'administrateur à moins que le bénéficiaire n'obtienne gain de cause sur aucun des aspects de sa réclamation, auquel cas l'arbitre départage ces coûts.

 

[90]    La Bénéficiaire ayant eu gain de cause les frais de l’arbitrage seront assumés par l’Administrateur du Plan de Garantie

 

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE

ACCUEILLE la demande de la Bénéficiaire du 15 février 2013;

REJETTE les conclusions de la décision de l’Administrateur au chapitre « Analyse et décision » en date du 14 janvier 2013;

ORDONNE à l’Entrepreneur et, à défaut, à l’Administrateur, de payer à la Bénéficiaire la somme de 2,047.73 $ avec intérêts au taux légal à compter du 30e jour de la date de cette décision.

DÉCLARE que les frais d’arbitrage sont à l’entière charge de l’Administrateur.

Montréal, le 6 mai 2013

(s) Me Roland-Yves Gagné

__________________________

Me ROLAND-YVES GAGNÉ

Arbitre / CCAC

Procureurs :

 

Me David Ghavitian

pour l’Entrepreneur

 

Me Élie Sawaya

pour l’Administrateur

 

Madame Fatou Binetou Koné

(se représente seule)

Bénéficiaire

 

 

Jurisprudence et doctrine citées :

La Garantie des Bâtiments Résidentiels Neufs de l’APCHQ Inc. c. Maryse Desindes et Yvan Larochelle, et René Blanchet mise en cause ( AZ-50285725 du 15 décembre 2004).  

 

Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ inc. c. Dupuis ( 2007 QCCS 4701 26 octobre 2007, Michèle Monast, juge).

 

John E.C. Brierley, « Chapitre XVII De la transaction Articles 2631-2637 », dans La réforme du Code Civil,  Obligations, contrats nommés, Le Barreau du Québec et la Chambre des notaires du Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1993, p. 1064 et 1065.

 

Didier Lluelles et Benoît Moore, Droit des obligations, 2e édition, Les Éditions Themis, 2012, p. 1087.

 

Vallée c. Corriveau, [1947] B.R. 674 .

 

Fournier c. Deluxe Cleaners (500-09-000137-760 (C.A. Mtl), 5 novembre 1976).

 

Cayer c. Migneault 2011 QCCS 54 (Hon. L. Matteau, j.c.s.).

 

Sandra Dubois Monette c. Construction LMA (6109315 Canada Inc.) et la Garantie des Bâtiments Résidentiels Neufs de l’APCHQ Inc. (2 octobre 2009, Me Jean Morissette, arbitre).

 

Compagnie Royal Trust Banque fédérale de développement c. Garcia Transport Ltée et al (1992) 2 R.C.S. 499 .

 

Baudouin et Jobin, Les obligations, 6e édition, Éditions Yvon Blais.

 

Michel Dufresne et Ligne Lefebvre et le Groupe Trigone Construction Inc. et la Garantie des Bâtiments Résidentiels Neufs de l’APCHQ (12 AVRIL 2004, 2004 CALII 58597 (QC OAGBRN).

 

Construction Fargnoli c. Orlando 2005 Can LII 2962 (Suzanne Vadboncoeur, j.c.q.).

 

Gourgue et 9123-7750 Québec inc. (Développements Petite Italie) Gourgue et 9123-7750 Québec inc. (Développements Petite Italie), Me Bernard Lefebvre, arbitre, Groupe d'arbitrage et de médiation sur mesure (GAMM), PG 2008-08, 2008-12-018 et A-20171/U-501673, 2008-11-12.

 

Qi Qin et Huan Ling c. Construction Joma Inc. et La Garantie Qualité Habitation (17 avril 2012, Soreconi 080206001, Me Michel Jeanniot, arbitre).

 

Banque de Montréal c. Marcotte 2012 QCCA 1396 .

 



[1] 12 avril 2004, 2004 CALII 58597 (QC OAGBRN).

[2] 2005 Can LII 2962 QC

[3] John E.C. Brierley, « Chapitre XVII De la transaction Articles 2631-2637 », dans La réforme du Code Civil,  Obligations, contrats nommés, Le Barreau du Québec et la Chambre des notaires du Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1993, p. 1064 et 1065.

[4] 2e édition, Les Éditions Themis, 2012, p. 1087.

[5] Compagnie Royal Trust Banque fédérale de développement c. Garcia Transport Ltée et al (1992) 2 R.C.S.

[6] Les obligations, Baudouin et Jobin, 6e édition, Éditions Yvon Blais

[7] 12 AVRIL 2004, 2004 CALII 58597 (QC OAGBRN)

[8] 2005 Can LII 2962 (Suzanne Vadboncoeur, j.c.q.)

[9] Gourgue et 9123-7750 Québec inc. (Développements Petite Italie), Me Bernard Lefebvre, arbitre, Groupe d'arbitrage et de médiation sur mesure (GAMM), PG 2008-08, 2008-12-018 et A-20171/U-501673, 2008-11-12.

[10] 2012 QCCA 1396 .