ARBITRAGE EN VERTU DU
RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE
DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS (Décret 841-98)
CENTRE CANADIEN D’ARBITRAGE COMMERCIAL
(Organisme d’arbitrage accrédité par la Régie du bâtiment du Québec)
ENTRE :
SYNDICAT DES COPROPRIÉTAIRES LE MARCONI (7219, 7227, rue Marconi)
(ci-après le « Bénéficiaire »)
ET
HABITATIONS DEVIMMO INC.
(ci-après l’« Entrepreneur »)
ET
RAYMOND CHABOT ADMINISTRATEUR PROVISOIRE INC., ÈS QUALITÉS D’ADMINISTRATEUR PROVISOIRE DU PLAN DE GARANTIE DE LA GARANTIE ABRITAT INC.
(ci-après l’« Administrateur »)
Dossier CCAC : S20-102103-NP
DÉCISION ARBITRALE SUR UN MOYEN PRÉLIMINAIRE
Arbitre : Me Karine Poulin
Pour le Bénéficiaire : Me Ludovic Le Draoullec
Pour l’Entrepreneur : Me Joël Roy
Pour l’Administrateur : Me Marc Baillargeon
Date de l’audience : -
Date de la décision : 24 mars 2021
Identification complète des parties
BÉNÉFICIAIRE :
Syndicat des Copropriétaires Le Marconi
a/s Me Ludovic Le Draoullec
De Grandpré Jolicœur, s.e.n.c.r.l.
1600-2000 avenue McGill College
Montréal (Québec) H3A 3H3
ENTREPRENEUR :
Habitations Devimmo inc.
a/s Me Joël Roy
Mercier Leduc, s.e.n.c.r.l.
164, rue Notre-Dame Est
Montréal (Québec) H2Y 1C2
ADMINISTRATEUR :
Raymond Chabot Administrateur Provisoire inc., ès qualités d’administrateur provisoire du plan de garantie de La Garantie Abritat inc.
a/s Me Marc Baillargeon
Contentieux des garanties Abritat/GMN
7333 Place des Roseraies, 4e étage
Anjou (Québec) H1M 2X6
I
LE RECOURS
[1] Le Bénéficiaire conteste en vertu de l’article 35 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (ci-après le « Règlement ») la décision de l’Administrateur rendue le 28 septembre 2020 par laquelle il rejette sa réclamation au motif que celle-ci est tardive, les éléments en litige ayant été dénoncés après l’échéance de la garantie.
[2] À la suite de deux (2) conférences de gestion et du consentement de toutes les parties, la présente décision est rendue sur vue du dossier, sans audition viva voce.
II
LES FAITS
[3] La réception des parties communes a eu lieu le 2 juillet 2015 et la fin des travaux est survenue le 27 septembre 2014.
[4] Une première décision est rendue par l’Administrateur le 27 mai 2019. Cette décision n’a pas été contestée en arbitrage et a donc acquis la force de la chose jugée.
[5] Les 1er juin et 6 août 2020, l’Administrateur reçoit du Bénéficiaire une réclamation écrite, laquelle donne lieu à la décision ici contestée. La contestation est reçue par le centre d’arbitrage le 21 octobre 2020, et elle porte uniquement sur le point 1 de la décision. L’arbitre soussignée est nommée au dossier le 30 octobre 2020.
[6] Le 25 novembre 2020, une première conférence de gestion est tenue dans le présent dossier, et une seconde le 15 janvier suivant. À ces deux (2) dates, le procureur de l’Administrateur soulève verbalement un moyen préliminaire de prescription du recours, mais se réserve le droit d’y renoncer selon les arguments qui pourront être soulevés par le Bénéficiaire dans le cadre de communications en parallèle qui doivent avoir lieu, conformément à l’engagement pris par le Bénéficiaire le 25 novembre.
[7] Par ailleurs, les procureurs du Bénéficiaire ne communiquent pas avec celui de l’Administrateur et c’est à la suite d’une ordonnance intimant au Bénéficiaire de dénoncer sommairement ses moyens de défense sur le moyen préliminaire que le procureur de l’Administrateur confirme par écrit, le 18 janvier 2021, qu’il maintient son dit moyen, et sa demande reçoit l’appui du procureur de l’Entrepreneur.
[8] En vertu du principe de proportionnalité, et comme discuté avec les parties le 15 janvier 2021, la présente décision est rendue sans audition, après que les parties ont eu l’opportunité de soumettre chacune leur argumentaire détaillé appuyé des autorités pertinentes, incluant un droit de réplique. Le dernier délai prévu à l’échéancier expirait le 5 mars et l’arbitre a confirmé la prise du dossier en délibéré, sans objection de l’une ou l’autre des parties.
[9] Conséquemment, c’est dans ce contexte qu’est rendue la présente sentence arbitrale sur le moyen préliminaire de prescription.
III
ARGUMENTAIRES
Bénéficiaire
[10] Le Bénéficiaire soumet au Tribunal d’arbitrage que le moyen préliminaire de tardiveté devrait être rejeté et la cause entendue au mérite au motif que la preuve sur le fond du litige démontrera que nous sommes en présence d’un vice majeur généralisé affectant « I’ensemble ou une majorité des fenêtres de I'Immeuble qui a déjà fait I'objet d'une décision favorable par I'Administrateur et qui ne peut par conséquent être rejeté (…)[1]».
[11] Il plaide que cette décision, datée du 27 mai 2019, n’a pas été contestée en arbitrage de sorte qu’il serait désormais impossible à l’Administrateur, selon lui, de rejeter la présente réclamation, somme toute au même effet que la première.
[12] Plus particulièrement, il soumet que la décision du 27 mai ci-devant reconnaît ce même vice pour l’unité 302 du bâtiment situé au 7223, rue Marconi et que de fait, il appert que le problème « est en réalité un vice généralisé affectant l'ensemble des fenêtres de la copropriété, tel qu'il le sera plus amplement démontrer au fond; [2]».
[13] Au soutien de sa position, il soumet au Tribunal les décisions SDC 209 Anne-Martin[3] et Lafrenière[4] qui énoncent qu’un problème d’étanchéité des fenêtres et d’infiltrations d’eau peut constituer un vice majeur de construction couvert par le plan de garantie.
[14] Le procureur soutient que « la raison d'être de la Garantie est de couvrir la réparation résultante de vices et de déficiences affectant l’immeuble à court, moyen ou long terme et le Bénéficiaire-Demandeur a là un intérêt certain à adresser la question. [5]»
[15] Quant à la question des frais d’arbitrage, le procureur rappelle que le délai pour porter une décision de l’Administrateur en arbitrage est de 30 jours et qu’il s’agit-là d’un court délai.
[16] Il soumet au Tribunal que l’argument de l’Administrateur selon lequel le Bénéficiaire doit être condamné à payer la totalité des frais d’arbitrage afin de « passer un message clair que lorsque la période de couverture de garantie est échue, il est inutile de présenter une demande d'arbitrage, qui sera inévitablement vouée à I'échec. [6]» est irrecevable en droit.
[17] En effet, le droit de porter une décision de I’Administrateur en arbitrage est un droit fondamental du Bénéficiaire prévu au Règlement, dont l'objectif « est de porter assistance aux bénéficiaires et d'assurer une garantie là où I'Entrepreneur ne I'assure pas.[7] »
[18] Il soutient ensuite que le rôle du Tribunal d'arbitrage est d’assurer « I'application et la continuité de cette assistance[8] » prévue au Règlement « en cas d'erreur de I'Administrateur. [9]»
[19] Il termine son argumentaire comme suit :
« De plus, le Bénéficiaire-Demandeur ne croit pas que son recours soit inévitablement voué à l'échec avec I'existence des deux (2) décisions récentes soumises au paragraphe 6 de la présente. [10]»
[20] Pour fins de référence, le paragraphe 6 de l’argumentaire du procureur se lit comme suit :
« Le vice concerné par le point un (1) de la décision 3437381/1 est en réalité un vice généralisé affectant l'ensemble des fenêtres de la copropriété, tel qu'il le sera plus amplement démontrer au fond; [11]»
Administrateur
[21] L’Administrateur allègue principalement ce qui suit :
[22] L’argument soumis par le Bénéficiaire quant à la gravité du vice affectant l’immeuble est non pertinent puisque l’Administrateur n’a rendu aucune décision sur le mérite du dossier. En effet, l’Administrateur soutient que le recours est tardif et donc, prescrit en vertu du Règlement. Par conséquent, il ne se prononce pas sur le fond du recours.
[23] Quant aux autorités soumises par le Bénéficiaire en lien avec la gravité du vice, elles sont également non pertinentes puisque dans les deux (2) cas, les vices avaient été dénoncés à l’intérieur du délai de garantie, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
[24] Selon les informations transmises par le Bénéficiaire, le désordre allégué et qui affecte l’immeuble visé par le présent recours (le 302-7227, rue Marconi) est survenu le 23 juin 2020, soit en dehors de la période de garantie. Conséquemment, le Tribunal ne peut donner suite. Il soumet, au soutien de sa position, l’affaire Rénovation Michel Roberge inc.[12], une cause très similaire à la présente.
[25] Il affirme ensuite ce qui suit:
«« La raison d’être de la Garantie » comme il est indiqué, n’est pas « de couvrir la réparation résultante de vices et de déficiences affectant l’immeuble à court, moyen ou long terme » comme le prétend le Syndicat, mais bien comme il est prévu et selon les limites, modalités et conditions prévues au Règlement. [13]»
et cite au soutien de son argument la décision de la Cour d’appel dans l’affaire Desindes[14].
[26] Le procureur rappelle la maxime selon laquelle la loi est dure, mais c’est la loi (Dura lex sed lex) et indique à l’arbitre qu’en aucun temps le Bénéficiaire ne répond au moyen préliminaire de prescription. Il n’indique pas davantage en quoi la décision est erronée et devrait être infirmée.
[27] Quant aux coûts de l’arbitrage, il réitère ses arguments contenus à sa missive du 18 janvier 2021 à 16h17 où il soutient que le présent cas en est un où le Bénéficiaire doit être condamné à la totalité des frais d’arbitrage vu les circonstances particulières de l’affaire.
Entrepreneur
[28] Le procureur de l’Entrepreneur ne soumet aucun argumentaire et déclare s’en remettre aux arguments soulevés par le procureur de l’Administrateur.
V
ANALYSE ET DÉCISION
[29] La présente affaire est régie par le Règlement, tel qu’il existait avant sa modification entrée en vigueur le 1er janvier 2015. L’article 27 du Règlement stipulait alors ce qui suit :
27. La garantie d’un plan dans le cas de manquement de l’entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception de la partie privative ou des parties communes doit couvrir:
1° le parachèvement des travaux dénoncés, par écrit:
a) par le bénéficiaire, au moment de la réception de la partie privative ou, tant que le bénéficiaire n’a pas emménagé, dans les 3 jours qui suivent la réception;
b) par le professionnel du bâtiment, au moment de la réception des parties communes;
2° la réparation des vices et malfaçons apparents visés à l’article 2111 du Code civil et dénoncés, par écrit, au moment de la réception ou, tant que le bénéficiaire n’a pas emménagé, dans les 3 jours qui suivent la réception;
3° la réparation des malfaçons existantes et non apparentes au moment de la réception et découvertes dans l’année qui suit la réception, visées aux articles 2113 et 2120 du Code civil et dénoncées, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte des malfaçons;
4° la réparation des vices cachés au sens de l’article 1726 ou de l’article 2103 du Code civil qui sont découverts dans les 3 ans suivant la réception et dénoncés, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte des vices cachés au sens de l’article 1739 du Code civil;
5° la réparation des vices de conception, de construction ou de réalisation et des vices du sol, au sens de l’article 2118 du Code civil, qui apparaissent dans les 5 ans suivant la fin des travaux des parties communes ou, lorsqu’il n’y a pas de parties communes faisant partie du bâtiment, de la partie privative et dénoncés, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte ou survenance du vice ou, en cas de vices ou de pertes graduelles, de leur première manifestation. [nos soulignements]
[30] Dans l’affaire Desindes[15] , la Cour d’appel s’exprime comme suit au sujet du Règlement:
[11] Le Règlement est d’ordre public. Il pose les conditions applicables aux personnes morales qui aspirent à administrer un plan de garantie. Il fixe les modalités et les limites du plan de garantie ainsi que, pour ses dispositions essentielles, le contenu du contrat de garantie souscrit par les bénéficiaires de la garantie, en l’occurrence, les intimés.
[12] L’appelante est autorisée par la Régie du bâtiment du Québec (la Régie) à agir comme administrateur d’un plan de garantie approuvé. Elle s’oblige, dès lors, à cautionner les obligations légales et contractuelles des entrepreneurs généraux qui adhèrent à son plan de garantie.
[13] Toutefois, cette obligation de caution n’est ni illimitée ni inconditionnelle. Elle variera selon les circonstances factuelles, notamment selon que le défaut de l’entrepreneur général survient avant ou après la « réception du bâtiment », soit : « l’acte par lequel le bénéficiaire déclare accepter le bâtiment qui est en état de servir à l’usage auquel on le destine… ».
(…)
[15] La réclamation d’un bénéficiaire est soumise à une procédure impérative. Les dispositions pertinentes du Règlement quant à la réclamation se trouvent aux articles 18, 19 et 20. Ils prévoient :
18. La procédure suivante s’applique à toute réclamation faite en vertu du plan de garantie :
1o dans le délai de garantie d’un, 3 ou 5 ans selon le cas, le bénéficiaire dénonce par écrit à l’entrepreneur le défaut de construction constaté et transmet une copie de cette dénonciation à l’administrateur en vue d’interrompre la prescription;
(…) [Nos soulignements; références omises]
[31] L’article 18 du Règlement s’applique aux bâtiments non détenus en copropriété divise et son équivalent, pour les bâtiments détenus en copropriété divise, se trouve à l’article 34 qui se lit comme suit :
34. La procédure suivante s’applique à toute réclamation fondée sur la garantie prévue à l’article 27 :
1o dans le délai de garantie d’un, 3 ou 5 ans selon le cas, le bénéficiaire dénonce par écrit à l’entrepreneur le défaut de construction constaté et transmet une copie de cette dénonciation à l’administrateur en vue d’interrompre la prescription;
(…) [nos soulignements]
[32] Comme l’exprime la Cour d’appel[16], la protection qui découle du plan de garantie n’est pas illimitée : le Règlement en fixe les modalités et les limites.
[33] La procédure de réclamation est impérative et la dénonciation écrite à l’entrepreneur et à l’administrateur est un acte interruptif de la prescription[17]. Conséquemment, l’absence de dénonciation écrite n’interrompt pas la prescription et celle-ci peut dès lors survenir par le seul écoulement du temps. C’est ce qui s’est produit ici.
[34] Dans l’affaire Lafrenière[18], mon collègue arbitre décrit comme suit le rôle du Tribunal d’arbitrage :
[68] Le Tribunal doit souvent agir en pesant les probabilités. Rien ne peut être mathématiquement prouvé. La décision doit être rendue judiciairement et par conséquent en conformité aux règles de preuve généralement admises devant les tribunaux. Le Règlement étant d’ordre public, l’arbitre ne peut décider par complaisance et par le fait que la preuve présentée par l’une des parties se veut sympathique.
[69] Le rôle du Tribunal est d’analyser la preuve soumise quant à un différend découlant d’une décision du conciliateur (Administrateur) touchant une ou des dénonciations et, par conséquent, de reconnaître ou pas si ce dernier a correctement analysé la ou les dénonciations dans le cadre de la Garantie et, par voie de conséquence, si l’entrepreneur ou le bénéficiaire a manqué ou non à ses obligations tant contractuelles que légales. [nos soulignements]
[35] C’est donc avec raison que le procureur de l’Administrateur plaide que le plan de garantie doit couvrir les vices dans les limites et selon les modalités prévues au Règlement, contrairement aux prétentions du Bénéficiaire.
[36] Par son moyen préliminaire, l’Administrateur cherche à obtenir le rejet de la demande du Bénéficiaire sans audition au mérite au motif que le recours est prescrit. Autrement dit, quand bien même les faits seraient avérés, le recours que le Bénéficiaire aurait pu exercer en vertu du Règlement s’est éteint par voie de prescription, laquelle est analysée ici uniquement sous l’angle du Règlement et n’affecte aucunement les autres recours qui peuvent exister en droit civil.
[37] En l’instance, la réception des parties communes a eu lieu le 2 juillet 2015, de sorte que la garantie contre les vices cachés, en vertu du Règlement, venait à échéance 3 ans plus tard, en juillet 2018.
[38] Quant à la fin des travaux, elle est survenue le 27 septembre 2014 et la garantie contre les vices majeurs de construction, en vertu du Règlement, prenait fin à l’échéance d’un délai de 5 ans suivant cette date, soit en septembre 2019.
[39] Le seul point en arbitrage est le point 1 qui s’intitule : « Infiltration d’eau par la fenêtre du salon de l’unité 7227-302 ». C’est là le seul point dont le Tribunal est saisi.
[40] La preuve a démontré que ladite infiltration d’eau est survenue le 23 juin 2020 (pièce A-4).
[41] Même en admettant, aux fins d’argumentation, que la problématique rencontrée constitue un vice majeur, conformément à l’article 27 (5) du Règlement, pour être couvert par la garantie, le vice en question devait être découvert au plus tard le 26 septembre 2019 et être dénoncé par écrit à l’Administrateur et à l’Entrepreneur au plus tard le 26 mars 2020.
[42] En l’espèce, le vice fut découvert près de 9 mois après l’échéance de la garantie et ceci est fatal au recours.
[43] En aucun temps le procureur du Bénéficiaire n’indique que l’infiltration d’eau aurait eu lieu à une date antérieure au 23 juin 2020 (et avant l’échéance de la garantie) et qu’il aurait été dénoncé dans le délai prescrit. Il n’allègue aucune erreur de l’Administrateur dans la trame factuelle qui aurait pu influencer sa décision.
[44] Force est de conclure que le Bénéficiaire, dans son argumentaire, occulte complètement cet aspect, pourtant fondamental, et qui est au cœur du moyen préliminaire soulevé par l’Administrateur. Une prudence et une diligence minimale auraient permis de constater que le délai de prescription, en vertu du Règlement, était dépassé.
[45] Ainsi, c’est à tort que le procureur du Bénéficiaire plaide la gravité du vice pour faire échec au moyen préliminaire, le délai de prescription étant de rigueur. Conséquemment, je ne traiterai pas des autorités soumises ni des arguments avancés relativement à la décision rendue le 27 mai 2019. Qu’il suffise de dire que la décision du 27 mai 2019 est sans lien avec un problème d’infiltration à la fenêtre de l’unité 302 ici en cause.
[46] Le Tribunal fait donc droit au moyen préliminaire et rejette le recours du Bénéficiaire, ce dernier étant prescrit.
Frais
[47] Sur la question des frais, l’article 123 du Règlement énonce ce qui suit :
123. Les coûts de l’arbitrage sont partagés à parts égales entre l’administrateur et l’entrepreneur lorsque ce dernier est le demandeur.
Lorsque le demandeur est le bénéficiaire, ces coûts sont à la charge de l’administrateur à moins que le bénéficiaire n’obtienne gain de cause sur aucun des aspects de sa réclamation, auquel cas l’arbitre départage ces coûts.
Seul l’organisme d’arbitrage est habilité à dresser le compte des coûts de l’arbitrage en vue de leur paiement. [nos soulignements]
[48] Conséquemment, ce n’est que lorsque le bénéficiaire n’a gain de cause sur aucun point, autrement dit, s’il perd sur toute la ligne, qu’il y aura un départage des frais. Dès lors que le bénéficiaire a gain de cause sur au moins 1 point, les frais de l’arbitrage sont à la charge de l’Administrateur et l’arbitre n’a pas à effectuer de départage.
[49] En l’espèce, le Bénéficiaire n’a pas eu gain de cause relativement au seul point en litige. Il y a donc lieu de procéder au départage des frais, comme le prévoit le Règlement.
[50] Le procureur de l’Administrateur me demande de condamner le Bénéficiaire à la totalité des frais d’arbitrage. Il invoque les circonstances particulières de l’affaire au soutien de sa demande :
« Nous vous demandons de maintenir ces deux décisions, et de condamner les Syndicats concernés à payer l’ensemble des frais d’arbitrage, selon le 2e par. de l’art. 123 du Règlement, vu les circonstances particulières du présent dossier et afin de passer un message clair, que lorsque la période de couverture de garantie est échue, il est inutile de présenter une demande d’arbitrage, qui sera inévitablement vouée à l’échec. [19]»
[51] Pour sa part, le procureur du Bénéficiaire soumet, à juste titre, que le droit de porter en appel une décision rendue par l’Administrateur est un droit fondamental du Bénéficiaire qui est prévu au Règlement. Il s’oppose donc à la condamnation réclamée par l’Administrateur et soumet 3 décisions au soutien de sa position.
[52] Or, les décisions soumises sont de peu d’utilité, notamment eu égard au fait que dans deux (2) d’entre elles[20], les bénéficiaires ont eu gain de cause sur au moins un (1) point et donc, aucun départage n’a eu lieu, conformément au Règlement.
[53] Dans la troisième[21], le bénéficiaire n’a pas eu gain de cause et rien dans la sentence ne laisse entendre qu’il y ait eu des difficultés au niveau de la gestion du dossier ou du déroulement de l’instance. Par ailleurs, dans cette affaire, les parties, à l’exception de l’administrateur, se représentaient seules.
[54] Chaque cas étant un cas d’espèce, à mon avis, condamner le Bénéficiaire en l’instance à la totalité des frais d’arbitrage serait une mesure trop sévère qui pourrait décourager ceux que le Règlement veut protéger de contester une décision de l’Administrateur par crainte d’être condamnés aux frais. Ce n’est pas là l’objectif recherché par le Règlement et le droit de contester une décision est un droit fondamental qu’il faut s’abstenir de limiter indûment.
[55] Ceci étant, je suis d’accord avec le procureur de l’Administrateur pour dire que les circonstances de la présente affaire méritent une attention particulière. Sans qu’il soit nécessaire d’élaborer longuement, qu’il suffise de dire que toutes les parties étaient ici représentées par procureurs, que le comportement des parties et/ou de leurs procureurs dans le déroulement de l’instance peut être pris en compte au moment de statuer sur les frais d’arbitrage dans le cas où un départage des frais doit avoir lieu, et que c’est le cas en l’espèce.
[56] De l’avis du Tribunal, il y a eu ici manque de collaboration et de diligence et le Tribunal déplore particulièrement le fait que l’argumentaire du Bénéficiaire est silencieux sur la question des délais et n’adresse aucunement le moyen préliminaire soulevé par l’Administrateur. Le Bénéficiaire ne répond d’aucune façon au moyen qui lui est opposé. La présente sentence parle d’elle-même.
[57] Pour cette raison, le Tribunal ordonnera aux procureurs de notifier à leurs clients respectifs, avec la présente décision, le procès-verbal du 3 décembre 2020 et celui du 15 janvier 2021.
[58] De plus, le Tribunal condamnera le Bénéficiaire à payer la somme de 500 $ à titre de frais d’arbitrage, la balance étant à la charge de l’Administrateur.
EN CONSÉQUENCE, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
REJETTE la demande d’arbitrage du Bénéficiaire;
ORDONNE aux procureurs de notifier à leurs clients respectifs, avec la présente décision, le procès-verbal du 3 décembre 2020 et celui du 15 janvier 2021;
CONDAMNE le Bénéficiaire à payer la somme de 500,00 $ à titre de frais d’arbitrage;
CONDAMNE l’Administrateur à payer les frais d’arbitrage liés à la demande du Bénéficiaire, sauf pour une somme de 500,00 $;
RÉSERVE à Raymond Chabot Administrateur Provisoire Inc. ès qualités d’administrateur provisoire du plan de garantie de la Garantie Abritat Inc. (« l’Administrateur ») ses droits à être indemnisé par l’Entrepreneur, pour les coûts exigibles pour l’arbitrage (par.19 de l’annexe II du Règlement) en ses lieux et place, et ce, conformément à la Convention d’adhésion prévue à l’article 78 du Règlement.
Montréal, ce 24 mars 2021
_______________________ ___
Me Karine Poulin, arbitre CCAC
Procureurs :
Bénéficiaire :
Me Ludovic Le Draoullec
De Grandpré Jolicœur s.e.n.c.r.l.
Entrepreneur :
Me Joël Roy
Mercier Leduc, s.e.n.c.r.l.
Administrateur :
Me Marc Baillargeon
Contentieux des garanties Abritat/GMN
[1] Extrait de l’argumentaire du Bénéficiaire.
[2] Extrait de l’argumentaire du Bénéficiaire.
[3] SDC 209 Anne-Martin c. Les constructions LGF inc. et La Garantie habitation du Québec inc., CCAC, S14-071601-NP, 29 juin 2015, Me Jean Robert LeBlanc, arbitre.
[4] Kathleen Lafrenière et Dominic Lachance c. 9140-2347 Québec inc. et Raymond Chabot Administrateur Provisoire inc. ès qualité d’administrateur de garantie de La garantie Abritat inc., 2020 CanLII 8834 (QC OAGBRN).
[5] Extrait de l’argumentaire du Bénéficiaire.
[6] Extrait de l’argumentaire du Bénéficiaire, citant l’Administrateur.
[7] Extrait de l’argumentaire du Bénéficiaire.
[8] Id.
[9] Id.
[10] Id.
[11] Id.
[12] Rénovation Michel Roberge inc. c. SDC 325 et 327 Ovila-Rhéaume et Raymond Chabot Administrateur Provisoire inc. ès qualité d’administrateur de garantie de La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ, CCAC, S16-051602-NP, 23 mars 2017, Me Michel Jeanniot, arbitre.
[13] Extrait de l’argumentaire de l’Administrateur.
[14] La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ c. Maryse Desindes et als., 2004 CanLII 47872 (QC CA).
[15] La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ c. Maryse Desindes et als., précitée note 14.
[16] La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ c. Maryse Desindes et als., précitée note 14.
[17] Règlement, art. 34.
[18] Kathleen Lafrenière et Dominic Lachance c. 9140-2347 Québec inc. et als., précitée note 4.
[19] Extrait d’un courriel de Me Baillargeon adressé à l’arbitre le 18 janvier 2021 à 16h19.
[20] Sébastien Lepage c. Deltec construction inc et La Garantie habitation du Québec inc., 2019 CanLII 70698 (QC OAGBRN); Syndicat de copropriété lofts chevrier 4474390 c. 9201-0776 Québec inc. et La Garantie habitation du Québec inc., 2016 CanLII 60547 (OAGBRN).
[21] Maryse Jobin et Michel Plourde c. Carrefour St-Lambert Lemoyne inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ, 2007 CanLII 54590 (QC OAGBRN).