ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS (Décret 841-98)
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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Groupe d’arbitrage et de médiation sur mesure (GAMM) |
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Dossier no : |
GAMM : 2014-15-001 |
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Abritat : 14-099FL |
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ENTRE : GENEVIÈVE PAQUETTE
ET : YOUSSEF BENSLIMANE
(ci-après les «Bénéficiaires»)
ET :
CONSTRUCTION H. URBAIN INC.
(ci-après l’ «Entrepreneur») ET :
LA GARANTIE ABRITAT INC.
(ci-après l’«Administrateur») |
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DEVANT L’ARBITRE : |
Me Karine Poulin |
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Pour l’entrepreneur : |
Me Jean-François Latreille, Dubé Latreille avocats |
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Pour les Bénéficiaires : |
Me Mathieu Miljours, Miljours Paquette |
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Pour l’administrateur : |
Me Jacinthe Savoie, Cloutier Savoie |
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Date d’audience : |
1er juillet 2014 |
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Date de la sentence : |
5 juillet 2014 |
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SENTENCE ARBITRALE sur la permission d’amender
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I
LE RECOURS
[1] L’Entrepreneur conteste en vertu des articles 106 et suivants du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (ci-après le «Règlement») la décision de l’Administrateur rendue le 4 novembre 2013 lui enjoignant de procéder aux travaux correctifs requis relativement aux points 1 à 230. Reçue le 19 novembre 2013, la décision est portée en arbitrage le 18 décembre de la même année.
[2] La demande de l’Entrepreneur se lit comme suit :
Liste des points contestés :
Le 4 novembre 2013, l’administrateur du plan de garantie Abritat rendait une décision enjoignant l’entrepreneur d’apporter des travaux correctifs à l’immeuble sis au 14, du Forgeron à Ste-Adèle. L’entrepreneur n’a cependant reçu la décision que le 19 novembre 2013. Bien que l’entrepreneur est disposé à retourner sur le chantier pour terminer/corriger certains travaux, il s’oppose au mutisme des bénéficiaires du plan de garantie et ce, malgré les demandes répétées des procureurs de l’entrepreneur. Sans l’autorisation des bénéficiaires, il est impossible pour l’entrepreneur d’effectuer une reprise des travaux. Vu leur mutisme, il est également impossible de déposer une demande conjointe de médiation qui porterait sur les modalités de reprise des travaux. Vu ce qui précède et afin de conserver les droits de notre client, nous déposons ce jour une demande de recourir à l’arbitrage.
II
LES FAITS
[3] Le 28 septembre 2012, les Bénéficiaires ont signé avec l’Entrepreneur un contrat pour la construction de leur propriété.
[4] Le 4 novembre 2013, l’Administrateur rendait une première décision portant sur plus de 200 points contestés. Sur les quelques 271 points dénoncés par les Bénéficiaires, ces derniers ont eu gain de cause sur 231 points.
[5] Le 18 décembre 2013, l’Entrepreneur porte la décision en arbitrage dans les termes reproduits ci-haut.
[6] Le 10 mars 2014, une seconde décision est rendue par l’Administrateur et le 27 mai de la même année, l’Entrepreneur, par l’entremise de son procureur, amende sa demande d’arbitrage pour y ajouter la contestation de la date de réception du bâtiment telle qu’établie par l’Administrateur dans sa décision du 4 novembre 2013 de même que la contestation de la décision du 10 mars 2014.
[7] En conférence préparatoire, les Bénéficiaires se sont objectés à l’amendement déposé par l’Entrepreneur.
III
LES PLAIDOIRIES
Entrepreneur
[8] Il rappelle au Tribunal les principes qui sous-tendent l’amendement, soit le droit à une défense pleine et entière, que la procédure est la servante du droit et enfin, que l’amendement est la règle et non l’exception.
[9] C’est l’article 199 du Code de procédure civile qui établi le droit à l’amendement. Ainsi, l’amendement sera permis en tout temps avant jugement si celui-ci est utile, qu’il n’est pas contraire aux intérêts de la justice et enfin, s’il n’en résulte pas une demande tout à fait nouvelle.
[10] Le procureur souligne au passage plusieurs décisions à cet effet et indique que son amendement se situe dans le cadre des décisions citées. Il ne résulterait pas, de son amendement, une demande entièrement nouvelle. Il ajoute simplement des motifs au soutien de sa demande. Au surplus, l’amendement tire sa source de la même obligation, soit la décision de novembre 2013.
[11] Enfin, son droit à l’arbitrage découle du Règlement. Partant, une fois la demande introduite dans les délais, tout amendement pertinent doit être permis. Dans le doute, il faut permettre l’amendement et réserver pour le fond du dossier la décision sur cette question. L’amendement proposé n’est pas contraire aux intérêts de la justice et il est pertinent. Il plaide l’effet domino de la décision de novembre 2013 sur celle de mars 2014, la seconde devenant incohérente advenant le renversement de la première décision et non de la seconde. Pour ces motifs, il demande au Tribunal de permettre l’amendement.
Bénéficiaires
[12] Les Bénéficiaires, pour leur part, estiment qu’il résulte de l’amendement proposé une demande entièrement nouvelle, contraire aux intérêts de la justice. De fait, ils plaident que la finalité de la demande initiale était à l’effet que l’Entrepreneur retourne sur le chantier, en aménageant certains éléments alors qu’avec l’amendement, l’Entrepreneur demande au Tribunal de ne pas retourner sur le chantier, changeant diamétralement la nature de sa demande et sa finalité. De plus, la demande d’ajouter à l’arbitrage la décision du 10 mars 2014 est faite hors délai.
[13] Ils rappellent que le corollaire à une défense pleine et entière est la stabilité juridique. Ainsi, une partie serait en droit, une fois le délai de contestation expiré, de compter sur le droit acquis par la prescription extinctive. Ici, l’Entrepreneur ayant fait défaut de contester le fond de la décision lors de sa demande d’arbitrage du 18 décembre 2013 aurait perdu son droit de le faire par le biais d’un amendement dont il résulte une demande entièrement nouvelle. Il rappelle que les Bénéficiaires détiennent un droit acquis aux correctifs ordonnés par l’Administrateur.
[14] Le procureur indique que la demande initiale étant d’aménager le retour de l’Entrepreneur sur le chantier, les discussions n’auraient pas été les mêmes et le dossier aurait été piloté différemment s’il avait su que l’Entrepreneur entendait contester la date de réception du bâtiment. Il souligne que les Bénéficiaires n’ont toujours pas emménagé dans leur nouvelle propriété et qu’il en résulte, pour eux, un grave préjudice.
[15] Le procureur dépose ensuite une lettre datée du 25 novembre 2013 dans laquelle l’Entrepreneur indique sa disponibilité à compléter les travaux. En aucun temps il n’est question de contester le fond de la décision de l’Administrateur. Cette lettre constituerait une admission du bienfondé de la décision de l’Administrateur.
[16] Finalement, il dépose et commente une série de décisions jurisprudentielles et maintient que l’amendement doit être refusé.
Administrateur
[17] Quant à lui, l’Administrateur ne s’objecte pas à ce que l’amendement soit accueilli concernant la date de réception puisque celle-ci fait partie de la décision du 4 novembre 2013. Par ailleurs, l’Administrateur s’oppose à l’amendement visant à contester la décision du 10 mars 2014. Il rappelle que la source des droits et obligations des parties réside dans le Règlement, celui-ci étant d’ordre public et d’application stricte.
[18] Ainsi, il soutient que le délai pour porter en arbitrage la décision du 10 mars 2014 est expiré et qu’il ne saurait être question de faire revivre ce droit, prescrit, par le biais de l’amendement.
IV
ANAYSE ET DÉCISION
[19] Le Tribunal doit décider s’il permet l’amendement demandé par l’Entrepreneur.
[20] D’emblée, le Tribunal est d’avis que l’Entrepreneur ne peut, par le biais de l’amendement demandé, contester la décision du 10 mars 2014. Le Règlement étant d’ordre public, les parties doivent s’y conformer à tous égards. Ainsi, toute et chacune des décisions rendue par l’Administrateur doit, pour qu’un arbitre en soit valablement saisi et habilité à rendre une décision, être contestée conformément au Règlement.
[21] En l’espèce, l’Entrepreneur n’a jamais contesté cette décision. Ce n’est que le 27 mai 2014, par le biais de son amendement, qu’il en demande réformation.
[22] Conformément à la jurisprudence établie, l’amendement ne peut être permis pour faire revivre un droit autrement prescrit[1]. Il ne s’agit pas là du bon recours, sans compter que la décision du 10 mars 2014 n’est pas déposée au dossier du Tribunal. Le Tribunal n’est pas en mesure d’apprécier l’effet domino invoqué, ignorant totalement la teneur de ladite décision. Le Tribunal ajoute que l’Entrepreneur n’allègue aucune impossibilité d’agir ni aucun motif justifiant le Tribunal de statuer en équité et de proroger ledit délai. S’il en résulte effectivement une incohérence, l’Entrepreneur devra vivre avec celle-ci, ayant fait défaut de contester cette décision en temps utile.
[23] Par ailleurs, en ce qui concerne la contestation de la date de réception établie dans la décision du 4 novembre 2013, le Tribunal permet l’amendement.
[24] Dans son appréciation de la preuve, le Tribunal doit évaluer les conséquences de l’amendement demandé.
[25] Le juge Pierre Isabelle rappelle que :
[5] Dans l’affaire Hamel c. Brunelle, la Cour suprême du canada énonce que l’on ne doit pas refuser un amendement nécessaire sans motif valable, puisqu’il est devenu évident que le législateur a voulu permettre aussi bien en appel qu’en première instance, tout amendement nécessaire pour juger le litige objectivement.
[6] Ainsi, les exceptions de l’article 199 C.p.c. doivent s’interpréter restrictivement.
(…)
[8] Le Tribunal bénéficie donc d’un pouvoir discrétionnaire pour accepter ou refuser un amendement. Cette discrétion s’exerce principalement en examinant les critères de l’article 199 C.p.c., c’est-à-dire après avoir considéré si, dans les faits, l’amendement est inutile, contraire aux intérêts de la justice, ou encore constitue une demande entièrement nouvelle, sans rapport avec la demande originaire.
[9] Il doit donc exister une connexité entre l’amendement et la demande principale pour qu’il soit autorisé.
(…)
[19](…) Pour la Cour d’appel, il y a connexité lorsqu’il existe entre les deux demandes un lien tel qu’elles ne pourraient sans danger de jugement contradictoire, être entendues par des tribunaux différents[2].
[26] Citant les auteurs Ferland et Emery, la Cour, dans l’affaire Dunkin Donuts maître franchisé Québec inc.[3], rappelle les principes suivants :
De plus, la connexité n’exige pas qu’il y ait identité de nature. Il suffit qu’il y ait entre les deux recours suffisamment de rapports étroits pour que, d’une part, les fins de la justice requièrent que les deux recours soient entendus ensemble et que, d’autre part, il n’en résulte pas une complication des procédures originales qui serait préjudiciable au demandeur.
[27] Enfin, l’honorable Pierre Isabelle, dans l’affaire 6608604 Canada inc. c. Ville de Gatineau[4], apporte les précisions suivantes qui doivent guider le tribunal :
[45] Ainsi, il faut déduire du texte de l’article 199 C.p.c. que dans la mesure où l’amendement apporte des précisions à la demande principale, celle-ci sera admissible. Par contre, dans l’application de ce principe, il doit y avoir connexité entre l’amendement et la demande principale. Dans la mesure où l’amendement ajoute des motifs, celui-ci sera accepté. Si par contre l’amendement vise à ajouter une conclusion, celle-ci doit être implicite à l’action telle qu’intentée.
[28] Quoi que sensible à l’argument de stabilité juridique invoqué par les Bénéficiaires et les droits acquis par prescription, le Tribunal ne partage pas l’avis des Bénéficiaires quant à la finalité des conclusions demandées.
[29] En effet, dans la demande originale, l’Entrepreneur demande à retourner sur le chantier, tout en demandant l’assistance du Tribunal vu l’impossibilité d’accéder au chantier en raison de l’interdiction faite par les Bénéficiaires.
[30] Dans la demande amendée, l’Entrepreneur, contrairement aux prétentions des Bénéficiaires, ne demande pas à ne pas retourner sur le chantier. Il prétend plutôt que la réception n’a jamais eu lieu et, par conséquent, il demande à continuer les travaux entrepris.
[31] Dans un cas comme dans l’autre, l’Entrepreneur entend retourner sur le chantier. Cependant, dans la demande amendée, il situe le cours au stade préréception, auquel cas la garantie ne s’applique, à toutes fins utiles, qu’au remboursement des acomptes, le cas échéant. Ce n’est qu’une fois la réception arrivée que l’Administrateur peut intervenir pour déclarer que les travaux sont atteints d’une malfaçon, d’un vice caché ou d’un vice majeur. Dans les circonstances en l’espèce, l’Entrepreneur prétend, somme toute, que la décision de l’Administrateur est prématurée.
[32] Le Tribunal considère que la finalité des demandes ne sont pas diamétralement opposées comme le prétend le procureur des Bénéficiaires. Dans les deux cas, l’Entrepreneur veut retourner sur le chantier. De plus, la demande originale est rédigée de manière suffisamment large que les Bénéficiaires, et le Tribunal, sont en mesure de comprendre que l’Entrepreneur n’est pas nécessairement en accord avec la décision rendue. L’écrit déposé par les Bénéficiaires et daté du 25 novembre 2013 ne peut constituer une admission du bien fondé de la décision ni une renonciation à la contester. De l’avis du Tribunal, cet écrit se situe dans le cadre de négociation entre les parties et ne devrait pas préjudicier aux droits de l’Entrepreneur en cas d’impasse dans les négociations. Il existe plusieurs raisons pour lesquelles une partie peut, initialement, choisir de ne pas porter une décision en appel, et le Tribunal n’a pas à s’immiscer dans cette prise position initiale et à en tirer des conclusions défavorables à l’encontre d’une partie. Ainsi, l’amendement demandé résulte de la même source d’obligation et il existe une connexité suffisante pour que l’amendement soit permis. De plus, cette demande n’est ni inutile, ni contraire aux intérêts de la justice.
LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
ACCUEILLE en partie la requête de l’Entrepreneur;
PERMET l’amendement pour ce qui est de contester la date de réception du bâtiment;
REFUSE la permission d’amender pour contester la décision du 10 mars 2014;
FRAIS à suivre.
Montréal, ce 5 juillet 2014
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________ ________ Me Karine Poulin, arbitre
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[1] Muffy Eames Van Nostrand c. Carolyn Hagan et 6379800 Canada inc., 2012 QCCS 6344 (CanLii); 6608604 Canada inc. et Martin Gascon c. Ville de Gatineau, 2009 QCCS 3282 (CanLii).
[2] Muffy Eames Van Nostrand c. Carolyn Hagan et 6379800 Canada inc., précitée note 1.
[3] Dunkin Donuts maître franchisé Québec inc. c. Claude St-Pierre, 2009 QCCQ 19502 (CanLii), p. 6.
[4] 6608604 Canada inc. et Martin Gascon c. Ville de Gatineau, précitée note 1.