SENTENCE ARBITRALE
ARBITRAGE EN VERTU DU
RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE
DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
(décret 841-98 du 17 juin 1998)
Organisme d’arbitrage autorisé par la
Régie du bâtiment : Le Groupe d’arbitrage
et de médiation sur mesure (GAMM)
MICHEL DUFRESNE
et
LIGNE LEFEBVRE,
bénéficiaires;
- et -
LE GROUPE TRIGONE
CONSTRUCTION INC.,
entrepreneur;
- et -
LA GARANTIE DES BÂTIMENTS
RÉSIDENTIELS NEUFS DE
L’APCHQ INC.,
administrateur.
M. Claude Dupuis, ing., arbitre
Audience tenue à Longueuil le 16 mars 2004
Sentence rendue le 12 avril 2004
I : INTRODUCTION
[1] Il s’agit ici d’une demande d’indemnisation de la part des bénéficiaires en vertu de l’article 9 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs. En effet, dans une lettre datée du 18 août 2003, les bénéficiaires réclament 8 703,04 $ à l’entrepreneur en frais de relogement, de déménagement et d’entreposage pour ne pas avoir livré l’unité d’habitation à la date convenue; toutefois, à la fin de l’enquête, les bénéficiaires ont réduit cette demande à 5 000 $ afin de se conformer à l’article 13.2° du Règlement.
[2] Relativement à cette demande d’indemnisation, l’administrateur statuait comme suit dans une lettre datée du 7 novembre 2003 :
[...]
Les documents que vous nous avez soumis indiquent notamment au contrat préliminaire, que l’immeuble vendu sera substantiellement terminé et prêt pour l’occupation en date du 1er mai 2003.
Accompagné de votre contrat préliminaire, nous a également été soumis votre contrat de vente daté du 20 août 2003. Nous constatons qu’à la section Possession dudit contrat, l’entrepreneur-vendeur et vous, vous êtes accordés une quittance mutuelle sur toute question relative à la date de livraison de l’immeuble.
Par conséquent, puisqu’à la signature du contrat de vente, vous étiez en pleine connaissance du retard à livrer en fonction de la date prévue au contrat préliminaire, nous ne pouvons que constater que vous avez délibérément renoncez (sic) à vos recours sur cette question.
Nous espérons que vous comprendrez que la Garantie des maisons neuves doit se référer aux clauses contractuelles convenues entre les parties et que dans le présent cas, elle ne pourra donner suite à votre demande d’indemnisation.
[...]
[3] En cours d’enquête, les bénéficiaires étaient représentés par Me Claude Coursol, l’entrepreneur par M. Patrice St-Pierre, et l’administrateur par Me Jacinthe Savoie.
[4] En plus du dépôt de pièces, les parties ont fait entendre les témoins suivants :
M. Michel Dufresne, technicien en informatique
Mme Ligne Lefebvre, agente de bureau
M. François Dussault, inspecteur en bâtiment
M. Robert Duplessis, représentant aux ventes
M. Serge Rouillard, vice-président, Le Groupe Trigone Construction inc.
Me André Lassonde, notaire
M. Ronald Ouimet, directeur, Service d’inspection
II : LES FAITS
[5] Les faits pertinents sont résumés ci-après.
[6] Le 26 octobre 2002, signature d’un contrat préliminaire entre les bénéficiaires et l’entrepreneur pour la livraison d’une unité d’habitation le 1er mai 2003.
[7] Le 13 décembre 2002, lettre de l’entrepreneur aux bénéficiaires annonçant un report de livraison au 15 juin 2003.
[8] Le 27 janvier 2003, signature par les bénéficiaires et l’entrepreneur d’une annexe au contrat préliminaire confirmant, entre autres, la date de livraison du 15 juin 2003.
[9] Le 18 juin 2003, inspection de la propriété en présence des représentants des bénéficiaires et de l’entrepreneur; une liste d’anomalies est préparée par l’entrepreneur.
[10] Les bénéficiaires considèrent qu’il ne s’agissait pas d’une inspection pré-livraison, car les anomalies étaient trop nombreuses.
[11] Par contre, le représentant de l’entrepreneur, M. Duplessis, témoigne à l’effet que le 18 juin 2003, rien n’empêchait les clients de prendre possession de façon sécuritaire et confortable. Selon le témoin, il n’a pas été question du problème de l’escalier lors de cette inspection. Peu après, les bénéficiaires auraient exigé que toutes les anomalies soient corrigées avant de prendre possession.
[12] Le 25 juin 2003, les bénéficiaires adressent à l’entrepreneur une lettre indiquant qu’ils devront quitter leur habitation actuelle le 30 juin et qu’à compter de cette date, il y aura des frais d’entreposage et de relocalisation.
[13] Le 27 juin 2003, l’entrepreneur avise les bénéficiaires par lettre que leur maison est complétée depuis le 18 juin 2003.
[14] Le 4 juillet 2003, après discussions, une autre inspection de la propriété est effectuée en présence de M. Duplessis, représentant de l’entrepreneur, ainsi que des bénéficiaires et de leur inspecteur, M. Dussault. Le document de pré-livraison indiquant les éléments à parachever et à corriger est signé par les parties.
[15] Après signature, le représentant de l’entrepreneur quitte les lieux. Toutefois, peu après l’inspection, M. Dussault remarque une hauteur inégale des contremarches sur un escalier intérieur, présentant ainsi un risque d’accident.
[16] Le lendemain, 5 juillet, les bénéficiaires ont signalé cette nouvelle anomalie à l’entrepreneur. Ce dernier a reconnu cette irrégularité et a aussi reconnu que les corrections nécessiteraient environ trois jours d’ouvrage. Toutefois, compte tenu de la période estivale et des vacances de la construction, les travaux relatifs aux marches de l’escalier intérieur n’ont été complétés que le 13 août 2003. Les bénéficiaires, qui vivaient à l’hôtel depuis le début juillet, n’ont pas voulu prendre possession de leur maison avant la terminaison de ces travaux, soit le 13 août.
[17] Entre-temps, soit le 1er août, de même que le 18 août 2003, les bénéficiaires faisaient parvenir à l’entrepreneur leurs réclamations relatives au retard de livraison. L’entrepreneur refuse ces réclamations, alléguant que la résidence était disponible pour occupation depuis la mi-juin.
[18] Le 20 août 2003, signature devant le notaire Me André Lassonde de l’acte de vente.
[19] Sous la rubrique « POSSESSION » de cet acte, on peut lire ce qui suit :
[...]
Les parties conviennent de plus de l’acceptation mutuelle de cette date de livraison nonobstant toute autre date de livraison ayant fait l’objet d’entente précédente, convenant, par la signature des présentes, de se donner quittance de quelques réclamations que ce soient à l’égard de ladite date de livraison.
[20] Préalablement à la signature, soit le 18 août, il y avait eu une rencontre chez le notaire impliquant les deux bénéficiaires ainsi que l’entrepreneur, représenté par M. Serge Rouillard.
[21] Les bénéficiaires témoignent à l’effet que M. Rouillard, lors de cette rencontre, leur aurait souligné que l’entrepreneur ne signerait pas l’acte de vente s’ils maintenaient leurs réclamations.
[22] Par l’intermédiaire de leur propre notaire, les bénéficiaires ont essayé de faire enlever cette clause, sans succès toutefois.
[23] M. Dufresne nous informe qu’il a finalement accepté cette clause, car les bénéficiaires voulaient cette maison, ils en avaient ras le bol de rester à l’hôtel et l’argent commençait à manquer; il ajoute que lors de la rencontre chez le notaire, l’entrepreneur avait toutefois accepté de payer un mois d’entreposage.
[24] Relativement à cette rencontre du 18 août chez le notaire, M. Rouillard, vice-président du Groupe Trigone Construction inc., nous explique qu’il a eu une discussion d’une durée de trente minutes avec les bénéficiaires au sujet de leurs réclamations ayant trait au retard de livraison et que les parties se sont alors quittées sans qu’une entente ne soit intervenue.
[25] Toutefois, avant de signer le contrat chez le notaire le 20 août, les parties ont convenu d’une compensation finale sur délai de livraison pour un montant de 879,00 $; cette entente apparaît sur un document (pièce E-1) intitulé « AJUSTEMENTS - en date du 20 août 2003 », signé par les deux parties.
[26] Le directeur du Service de l’inspection de la Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ nous informe d’une part que l’article 9 du plan fait référence à une garantie avant réception, soit le 4 juillet 2003 dans le présent dossier; d’autre part, il est d’avis que la non-conformité des contremarches de l’escalier méritait une attention, mais que cela n’empêchait toutefois pas l’occupation.
III : POSITION DES PARTIES
Argumentation des bénéficiaires
[27] Les bénéficiaires, questionne le procureur, ont-ils eu raison de ne point prendre possession avant la date qu’ils ont choisie?
[28] L’administrateur, quant à lui, n’a opposé qu’un seul motif au refus de la réclamation, soit la quittance signée par les parties.
[29] Relativement à l’escalier intérieur, le procureur estime qu’il s’agissait d’une situation très problématique, car cet escalier menait aux chambres ainsi qu’à la salle de bain. Les bénéficiaires avaient raison de ne pas vouloir prendre possession; en effet, à cause du danger qu’il présentait pour la sécurité des occupants et des visiteurs, cet escalier a bel et bien été réparé.
[30] Le procureur soumet que la quittance sur laquelle s’est basé l’administrateur pour prendre sa décision n’est pas valable. L’arbitre, dit-il, n’a pas le pouvoir d’annuler le contrat, mais il a le pouvoir de ne point tenir compte de la quittance.
[31] Il est d’avis que la décision de l’administrateur est mal fondée, car elle est basée sur un certain nombre de documents qui ne reflètent pas la situation dans son entier. En effet, les bénéficiaires n’ont jamais voulu laisser tomber leur réclamation.
[32] Le procureur demande une indemnité de 5 000 $ pour ses clients, soit le montant maximum permis à l’article 13.2° du plan de garantie.
[33] À l’appui de son argumentation, le procureur a déposé les documents suivants :
Commentaire sur la partie 9 du Code national du bâtiment du Canada, 1990, p. 41-42.
Diane Richard Martel c. Charles Sauvageau, M. le juge Benoit Moulin, CS 200-05-016110-012, 16 février 2004.
Art. 2631 C.C.Q., art. 1918 C.C.B.C.
OUELLETTE LAUZON, Monique, étudiante au D.E.S. « Des transactions: effets et rapprochements avec d’autres opérations juridiques », La Revue Juridique Thémis de l’Université de Montréal, no 1, 1968, p. 101-105.
BAUDOUIN, Jean-Louis, et Pierre-Gabriel JOBIN. Les obligations, 5e éd., Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., [s. d.], p. 225-231.
Argumentation de l’entrepreneur
[34] M. St-Pierre explique qu’il n’a jamais reçu de documents relatifs aux marches, sauf la lettre des bénéficiaires datée du 8 juillet 2003. Combien de marches étaient impliquées?
[35] M. St-Pierre souligne que Trigone a construit environ 2 000 propriétés à date et il ne se souvient pas avoir eu à relocaliser des clients pour une réparation d’escalier.
[36] Dans un tel cas, l’entrepreneur enlève les marches, les répare et les repose, sans troubler l’occupation paisible des lieux.
[37] Cependant, dans la présente affaire, il y a eu discussions et les deux parties se sont entendues; cette entente a été négociée, signée et révisée par un notaire.
Argumentation de l’administrateur
[38] La procureure est d’avis que le 20 août 2003, les clients ont signé un document de renonciation en connaissance de cause; ils demandent aujourd’hui d’annuler ce document et de ne point tenir compte des ententes intervenues entre les parties.
[39] La preuve n’a démontré aucune raison justifiant l’annulation d’un acte notarié; il n’existe aucune preuve de menace.
[40] Subsidiairement, la procureure établit une distinction entre la garantie avant la réception du bâtiment (article 9 du plan) et la garantie après la réception du bâtiment (article 10 du plan). Ainsi, le véritable retard ne serait que du 1er au 4 juillet (date de réception du bâtiment par les bénéficiaires).
[41] Les bénéficiaires n’ont pas voulu occuper leur maison avant que la réparation de l’escalier soit complétée; or, le règlement prévoit que les bénéficiaires doivent subir les inconvénients que peuvent entraîner les correctifs puisqu’ils habitent déjà la propriété.
[42] À l’appui de son argumentation, la procureure a déposé les documents suivants :
QUÉBEC. Loi sur la protection du consommateur : LRQ, chapitre P-40.1, art. 1, 260.24 à 267.
L’HEUREUX, Nicole. Droit de la consommation, 5e éd., Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 2000, p. 39-42.
MASSE, Claude. Loi sur la protection du consommateur : analyse et commentaires, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 1999, p. 967-970.
Mercedes-Benz Crédit du Canada inc. c. Heger, [1995] R.J.Q. 1439 à 1446.
Brodeur et Joly et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc. et Goyette, Duchesnes et Lemieux, T.A., Me Bernard Lefebvre, arbitre, 9 avril 2003.
IV : DÉCISION ET MOTIFS
[43] Le 4 juillet 2003, les bénéficiaires ont signé la déclaration de réception du bâtiment; ce document fait état des éléments à parachever ou à corriger, soit trois à l’intérieur et d’autres à l’extérieur.
[44] À ce moment-là, aucune preuve n’existe à l’effet que la propriété n’est pas habitable.
[45] De toute façon, après signature de cette déclaration, les réparations qui restent à faire sont exécutées, selon l’article 10 du plan, après réception du bâtiment et lorsque les bénéficiaires l’habitent.
[46] Ce même jour (4 juillet 2003), après réception du bâtiment, l’inspecteur des bénéficiaires découvre une autre anomalie, soit la hauteur inégale des contremarches d’un escalier intérieur menant du rez-de-chaussée à l’étage.
[47] D’une certaine façon, l’inspecteur des bénéficiaires a manqué de vigilance s’il a autorisé ses clients à signer le document de réception avant qu’il ait complété son inspection.
[48] Même si l’entrepreneur a subséquemment reconnu son erreur en ce qui a trait aux contremarches, la preuve n’est point convaincante que cette anomalie présentait un danger sérieux. En effet, il ne s’agissait pas d’un escalier menant au sous-sol où l’intensité de la lumière est plus faible. De plus, c’était une situation temporaire dont les bénéficiaires étaient conscients.
[49] Nous sommes donc en présence d’une anomalie supplémentaire, non apparente au moment de la réception, entraînant des inconvénients que doivent malheureusement subir les bénéficiaires en cours d’habitation.
[50] L’administrateur a refusé la présente réclamation après avoir constaté que les parties, à la section « POSSESSION » (citée précédemment) du contrat de vente, avaient accepté mutuellement de se donner quittance sur toute question relative à la date de livraison.
[51] Les bénéficiaires prétendent quant à eux que c’est sous la menace qu’ils ont donné quittance de cette réclamation. Malgré la longue preuve relative au contexte de cette affaire, le soussigné ne peut conclure à des menaces de la part de l’entrepreneur qui auraient pu causer un préjudice sérieux aux bénéficiaires.
[52] Certes, l’entrepreneur a exercé des pressions; toutefois, les bénéficiaires s’étaient mis eux-mêmes dans l’embarras en refusant d’emménager après avoir signé la déclaration de réception du bâtiment le 4 juillet 2003, tel que prévu au plan.
[53] En plus d’avoir accepté cette clause de « POSSESSION » dans le contrat de vente du 20 août 2003, la preuve a aussi démontré que préalablement à la signature de l’acte, les bénéficiaires avaient accepté et signé un document (E-1) d’ajustements au prix d’achat de leur propriété, sur lequel un rabais de 879 $ avait notamment été consenti pour « compensation finale sur délai de livraison ».
[54] Accepter la réclamation des bénéficiaires reviendrait à invalider trois documents valablement signés par eux, soit la déclaration de réception du bâtiment en date du 4 juillet 2003, la liste des ajustements en date du 20 août 2003 et l’acte de vente en date du 20 août 2003, une mesure qui m’apparaît irrationnelle.
[55] Pour ces motifs, la présente réclamation est rejetée.
[56] Conséquemment, conformément à l’article 123 du plan, l’arbitre doit départager les coûts de l’arbitrage entre l’administrateur et les bénéficiaires.
[57] Comme l’a à juste titre indiqué la procureure de l’administrateur, les bénéficiaires doivent subir les inconvénients des réparations lorsque celles-ci sont exécutées après la réception du bâtiment.
[58] Au risque de se répéter, le soussigné est d’avis que le plan de garantie n’enlève pas à l’entrepreneur la responsabilité professionnelle qui est sienne d’inspecter ses travaux en cours de construction et en fin de construction, et ce, avant l’inspection pré-réception conjointe. Il n’incombe point aux seuls bénéficiaires et/ou à leur inspecteur de détecter les anomalies.
[59] Compte tenu des inconvénients que les bénéficiaires auraient eu à subir s’ils avaient habité leur propriété à compter du 4 juillet 2003, les frais du présent arbitrage sont totalement à la charge de l’administrateur.
Dispositif
[60] Le tribunal
REJETTE la réclamation des bénéficiaires relative au retard de livraison de leur propriété; et
DÉCRÈTE que les coûts du présent arbitrage sont totalement à la charge de l’administrateur.
SENTENCE rendue à Beloeil, ce 12e jour d’avril 2004.
Claude Dupuis, ing., arbitre