ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS

(Décret 841-98 du 17 juin 1998)

 

Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment : CCAC

 

 

ENTRE : SDC DU 16350-16390 SHERBROOKE EST

 

(ci-après les «Bénéficiaires»)

 

C. : CONSTRUCTION DOMAINE POINTE-DE-L’ÎLE INC.

 

(ci-après l«Entrepreneur»)

 

ET : RAYMOND CHABOT ADMINISTRATEUR PROVISOIRE INC., ès qualité d’administrateur provisoire du plan de garantie de La Garantie Abritat inc.

 

(ci-après l’«Administrateur»)

 

Dossier SORECONI : 211702001

 

 

DÉCISION ARBITRALE

 

 

Arbitre : Michel A. Jeanniot, CIArb

 

Pour les Bénéficiaires :  Me Richard Letendre

 

Pour l’Entrepreneur : Me Nathalie Charron

 

Pour l’Administrateur : Me Marc Baillargeon

 

Date de l’audition :  7 octobre 2021

 

Date de la Décision : 16 mai 2022

 

 

 

 

Identification complète des parties

 

 

 

Bénéficiaires :   Syndicat de la copropriété 16350 à 16390, Sherbrooke Est

 

 16350 à 16390, rue Sherbrooke Est

 Montréal (Québec)

H1A 0B5

 

Et leur procureur :

 

Me Richard Letendre

 

 

 

 

Entrepreneur : Construction Domaine Pointe-de-l’Île inc.  

 1100-1200, av. McGill College

 Montréal (Québec)

 H3B 4G7

 

Et leur procureur :

 

Me Nathalie Charron

 

 

 

Administrateur :  Raymond Chabot Administrateur provisoire inc.

 600, rue de la Gauchetière Ouest, bureau 2000

Montréal (Québec) H3B 4L8

 

Et son procureur :

 

Me Marc Baillargeon

 

 


Mandat

 

L’arbitre a reçu son mandat de SORECONI le 25 février 2021.

 

Extraits pertinents du Plumitif

 

13.10.2015 Réception des parties communes

15.01.2018 Réclamation écrite à l’Administrateur

04.11.2019 Décision de l’Administrateur

20.06.2020 Demande de suspension des travaux de la part du procureur du Bénéficiaire jusqu’à obtention des expertises de NATIV Architecture et L2C Experts-conseils

30.10.2020 Réception des expertises de NATIV Architecture et L2C Experts-conseils

10.11.2020 Demande d’addenda auprès de l’Administrateur

18.01.2021 2e décision de l’Administrateur

17.02.2021 Réception par le greffe de SORECONI de la demande d’arbitrage par les Bénéficiaires

25.02.2021 Transmission aux parties de la notification d’arbitrage et nomination de Michel A. Jeanniot à titre d’arbitre

30 03.2021 Réception du cahier de pièces de l’Administrateur

11.06.2021 Lettre de Me Charron – 2 objections préliminaires

15.06.2021 Conférence téléphonique préparatoire

14.07.2021 Appel conférence / conférence de gestion et transmission subséquente du procès-verbal

16.07.2021 LT Me Charron

04.10.2021 Réception du cahier de pièces des Bénéficiaires

05.10.2021 Réception du cahier des sources

07.10.2021 Audience

16.05.2022 Décision

 

 


INTRODUCTION

 

[1]          Le Tribunal est saisi du dossier conformément au Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (L.R.Q. c. B-1.1, r.02) (le « Règlement ») adopté en vertu de la Loi sur le bâtiment (L.R.Q. c. B-1.1) (« LBQ »), par nomination du  soussigné en date du 25 février 2021, le tout suivant une réclamation pour couverture sous le plan de garantie au Règlement visé par les présentes (le « Plan de garantie ») relativement à une demande d’arbitrage des bénéficiaires parvenue au greffe le 17 février 2021.

 

[2]          La présente demande d’arbitrage a source dans la décision de l’Administrateur du 18 janvier 2021, laquelle faisait suite à une demande du Bénéficiaire de compléter des points en lien avec une décision préalable de l’Administrateur.

 

[3]          Le Bénéficiaire, sous la plume de son procureur, conteste et porte en arbitrage le 17 février 2021 pour les points suivants de la décision du 18 janvier 2021:

 

 

[4]          Plus spécifiquement, le Bénéficiaire se désole des deux aspects suivants de la décision :

 

[5]          En somme, le Bénéficiaire reproche à l’Administrateur son refus d’ordonner que les travaux correctifs quant au parement de brique et aux balcons arrière des bâtiments soient effectués suivant les recommandations de ses experts, soit NATIV Architecture et de L2C Experts-conseils.

 

[6]          Depuis, l’Entrepreneur, par la plume de sa procureure, a soumis deux objections préliminaires :

 

 

 

HISTORIQUE

 

[7]          Je crois pertinent de faire ici un bref sommaire des faits admis.

 

[8]          Le 13 octobre 2015, les Bénéficiaires reçoivent les parties communes.

 

[9]          Ceux-ci transmettent une réclamation écrite le 15 janvier 2018.

 

[10]      Le 4 novembre 2019, l’Administrateur rend une première décision (Dossier : 341336-1) sous la plume de son inspecteur, Michel Hamel. Décision somme toute favorable aux Bénéficiaires, on ordonne à l’Entrepreneur de procéder à des travaux correctifs.

 

[11]      Le 20 juin 2020, le procureur du Bénéficiaire demande la suspension des travaux jusqu’à l’obtention des expertises commandées par son client auprès de NATIV Architecture et L2C Experts-conseils.

 

[12]      Ces expertises additionnelles sont reçues en date des 16 octobre et 29 octobre 2020.

 

[13]      Par la suite, les Bénéficiaires formulent une demande d’addenda auprès de l’Administrateur le 10 novembre 2020.

 

[14]      Le 18 janvier 2021, l’Administrateur émet un « addenda » relativement au même dossier.

 

[15]      Le 17 février 2021, les Bénéficiaires font parvenir au greffe de SORECONI une demande d’arbitrage.

 

 

 

LA DÉCISION (SOURCE) DE L’ADMINISTRATEUR

 

[16]      La décision source de la présente demande d'arbitrage porte la date du 18 janvier 2021 et est sous la plume de M. Michel Hamel, architecte pour l'Administrateur. Elle survient suite à une autre décision datée du 4 novembre 2019 impliquant les mêmes parties et ayant pour fond la même trame factuelle.

 

[17]      Depuis la décision du 4 novembre 2019, de nouveaux rapports d’experts ont été déposés au dossier, soit :

 

 

 

[18]      Concernant les points 15, 51, 54 et 63 (Parement de briques – travaux saisonniers), l’inspecteur conciliateur Hamel, parlant alors pour l'Administrateur, fait le constat que tous les points détaillés par les différents experts ont déjà été reconnus par lui-même lors de sa décision du 4 novembre 2019, et que seule la méthode corrective varie d’un expert à l’autre.

 

[19]      Il conclut qu’il est de la responsabilité de l’Entrepreneur d’effectuer les correctifs nécessaires afin de rendre la construction du parement conforme aux normes applicables ou autres méthodes approuvées par un expert, et précise que l’Entrepreneur devra corriger la situation en suivant les recommandations de son expert, M. Gauthier, ing., de Artimon consultant.

 

[20]      Relativement au point 102 (Pente des balcons arrière), le Bénéficiaire soumet, en s’appuyant sur le rapport de son expert NATIV architecture, que la proposition de l’architecte de l’Entrepreneur ne serait pas efficace.

 

[21]      L’Administrateur rejette cet argument du Bénéficiaire et déclare être d’avis que la proposition de l’architecte de l’Entrepreneur est tout aussi efficace que celle de l’expert du Bénéficiaire. Conséquemment, il décide qu’il est loisible à l’Entrepreneur d’opter pour la proposition de l’expert qui lui convient.

 

[22]      L’Administrateur rend également décision sur des nouveaux points sur lesquels il ne s’était pas prononcé dans sa décision du 4 novembre 2019. Parmi ceux-ci, on retrouve notamment le point C (Pare-air non scellé à sa base) - suite à une ouverture exploratoire, l’expert du Bénéficiaire NATIV Architecture a constaté que la membrane pare-air n’était pas jointe avec le solin.

 

[23]      Or, comme l’Administrateur n’est pas en mesure d’établir que la situation observée est de nature à causer la perte de l’ouvrage, et donc que celle-ci ne constitue pas un vice majeur de construction au sens de l’article 27.5 du Règlement, il rejette la réclamation du Bénéficiaire sur ce point.

 

 

OBJECTIONS PRÉLIMINAIRES (PRÉTENTIONS)

 

[24]      Le 11 juin 2021, en prévision de la conférence téléphonique préparatoire, l’Entrepreneur annonce par la plume de sa procureure qu’il entend présenter deux objections préliminaires :

 

 

Premier moyen préliminaire

 

[25]      Pour la première objection préliminaire, l’Entrepreneur soumet que par sa décision rendue le 4 novembre 2019, l’Administrateur s’est déjà prononcé sur les points 15, 51, 54, 63 et 102, et donc qu’il n’y avait pas lieu pour lui de traiter de ces items dans sa décision subséquente du 18 janvier 2021.

[26]      Ainsi, en portant la 2e décision de l’Administrateur (soit celle du 18 janvier 2021) en arbitrage, le Bénéficiaire logeait en fait « un appel déguisé » (sic) de la décision du 4 novembre 2019 puisqu’il ne s’agissait pas points nouveaux.

 

[27]      L’Entrepreneur renchérit d’ailleurs que la décision du 18 janvier 2021 n’est pas une « nouvelle décision », puisque l’Administrateur la présente comme étant un addenda au rapport de conciliation du 4 novembre 2019.

 

[28]      À ce sujet, l’Entrepreneur souligne à juste titre que l’Administrateur ne peut réviser une décision puisque la révision d’une décision par l’Administrateur n’est pas un mécanisme prévu au Règlement.

 

[29]      Il ajoute que si le Bénéficiaire n’était pas satisfait de la 1ere décision rendue le 4 novembre 2019, rien ne l’empêchait alors de soumettre son différend à l’arbitrage dans le délai de 30 jours prévu à l’article 35 du Règlement sur le plan de garantie, reproduit ci-dessous :

 

35.  Le bénéficiaire ou l’entrepreneur, insatisfait d’une décision de l’administrateur, doit, pour que la garantie s’applique, soumettre le différend à l’arbitrage dans les 30 jours de la réception par poste recommandée de la décision de l’administrateur à moins que le bénéficiaire et l’entrepreneur ne s’entendent pour soumettre, dans ce même délai, le différend à un médiateur choisi sur une liste dressée par le ministre du Travail afin de tenter d’en arriver à une entente. Dans ce cas, le délai pour soumettre le différend à l’arbitrage est de 30 jours à compter de la réception par poste recommandée de l’avis du médiateur constatant l’échec total ou partiel de la médiation.

 

[30]      La procureure de l’Entrepreneur invoque donc lexpiration du délai, qu’elle considère de rigueur, comme premier moyen d’objection préliminaire.

 

 

Deuxième moyen préliminaire

 

[31]      Ensuite, la procureure de l’Entrepreneur invoque l’absence de compétence de l’arbitre quant à la question des correctifs appropriés à apporter en l’espèce.

 

[32]      Selon sa position, il n’appartient ni à l’Administrateur, ni à l’Arbitre d’imposer les méthodes correctives à apporter, mais à l’Entrepreneur exclusivement.

 

[33]      Celui-ci détiendrait le libre choix de la méthode corrective à mettre en place, à la seule condition que son obligation de résultat soit remplie.

 

[34]      À cet effet, la procureure de l’Entrepreneur cite les propos de l’arbitre Roland-Yves Gagné dans l’affaire Développement P10 inc. c. Syndiciat de copropriété du 5366, 10e Avenue, 2019 CanLII 96091 (QC OAGBRN) :

 

[84] L’Entrepreneur reproche à l’Administrateur de ne pas lui avoir donné les détails des travaux correctifs à effectuer lors de sa première décision du 26 janvier 2010 – ainsi, l’Administrateur ne serait pas justifié de se plaindre des travaux décidés par l’Administrateur.

 

[85] L’Administrateur a précisé qu’il préférait qu’il en soit ainsi lors d’une première décision, puisque l’Entrepreneur est celui qui connaît le mieux son immeuble.

 

[86] La position de l’Administrateur est conforme aux dispositions de l’article 2099 du Code civil du Québec – le choix de moyens appartient à l’Entrepreneur :

 

L’entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d’exécution du contrat et il n’existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

 

[87] Si l’entrepreneur a le libre choix des moyens d’exécution de contrat, son obligation de se conformer au Code du Bâtiment en est une de résultat.

 

[88] Dans l’affaire Demers-Brisson et 9141-1074 Québec inc. (Construction Norjo), le tribunal écrit :

 

[16] Considérant de plus qu’un entrepreneur (ou le prestataire de services) a le libre choix des moyens d’exécution et qu’il n’existe entre ce(s) dernier(s) et l’administrateur et les bénéficiaires aucun lien de subordination ; le choix des correctifs et/ou la méthode de correction appartient à l’entrepreneur (in fine, article 2099 C.c.Q.) sujet bien entendu, et tel que ci-haut repris, à son obligation de résultat.

 

[35]      La procureure de l’Entrepreneur conclut qu’aucun élément ne laisse présager que les méthodes correctives utilisées par l’Entrepreneur entraînent un non-respect de son obligation de résultat, et que par conséquent, il n’y a pas lieu de réviser la décision de l’Administrateur.

 

 

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[36]      Tout ceci étant étalé, nous pouvons à présent aborder la question des objections préliminaires présentées par l’Entrepreneur.

 

[37]      Le délai pour porter en appel la décision de l’Administrateur est-il expiré ?

 

[38]      L’arbitre a-t-il compétence pour ordonner les correctifs appropriés en l’espèce ?

 

 

 

GRILLE D’ANALYSE ET DE JUGÉ

 

Expiration du délai pour porter en appel la décision de l’Administrateur

 

[39]      Tout d’abord, le Tribunal arbitral doit décider si le délai pour contester la décision de l’Administrateur prévu à l’article 35 du Règlement est expiré.

 

[40]      D’emblée, et alors que les procureurs de l’Administrateur furent accordés l’opportunité de faire des représentations; ils ne disent mot. Cet argument n’est ni allégué ni supporté, directement ou indirectement, par l’Administrateur, ce qui confirme la connaissance [de l’Administrateur] du fait que le délai prévu à l’article 35 n’en est pas un de rigueur.

 

[41]      Effectivement, la jurisprudence abonde à ce sujet, tel qu’énoncé l’arbitre Karine Poulin dans Barcelo et Développement Domont inc., 2021 CanLII 140473 (QC OAGBRN) :

 

[19]  Après avoir entendu les parties, et à la lumière des autorités plaidées, force est de constater que le délai prévu à l’article 19 du Règlement n’en est pas un de rigueur ni de déchéance. C’est la conclusion à laquelle la Cour en arrive, après une analyse de la jurisprudence pertinente, dans l’affaire Takhmizdjian[2], suivie de façon constante[3] depuis 2003.

(notre souligné)

 

[42]      Dans cette affaire, l’Entrepreneur avait formulé une demande d'être relevé de son omission d'avoir contesté une décision dans le délai prévu.

 

[43]      L’arbitre Poulin avait alors acquiescé à cette demande, en motivant que refuser de relever l’Entrepreneur de son défaut serait faire preuve d’un formalisme excessif, ce qui serait contraire aux principes directeurs de l’arbitrage même.

 

[44]      Soit dit en passant, Me Poulin avait également pris soin de spécifier que ce délai pouvait être prorogé (lorsque les circonstances le justifient), venant ainsi avaliser que le délai de 30 jours n’en est pas un de rigueur.

 

[45]      Certes, on désignait dans cette décision le délai prévu à l’article 19 du Règlement alors que l'on traite dans le dossier présent de celui à l’article 35. Force est de constater toutefois que le libellé de ces deux articles n’est pas seulement similaire, mais identique.

 

[46]      Le délai prévu à l’article 35 du Règlement n’est pas de rigueur.

 

[47]      Pouvons-nous néanmoins considérer ce délai comme étant expiré, en l’espèce, puisque débutant du 4 novembre 2019 (tel que préconisé par la procureure de l’Entrepreneur) et non du 18 janvier 2021 ?

 

[48]      À cela, je me dois de répondre par la négative.

 

[49]      Pour que le soussigné puisse considérer que le délai parte du 4 novembre 2019 au lieu du 18 janvier 2021, il faut préalablement être en accord avec le postulat de l’Entrepreneur à l’effet que la décision du 18 janvier 2021 n’est pas une nouvelle « décision », mais seulement un addenda.

 

[50]      Or, un addenda, suivant la définition du Larousse, se veut des « notes additionnelles à fin d’un ouvrage ». Étymologiquement parlant, ce terme provient du latin et signifie « choses à ajouter ».

 

[51]      Manifestement, le document du 18 janvier 2021 excède les confins de ces définitions, puisque l’Administrateur y traite de trois (3) « nouveaux points sur lesquels l’administrateur ne s’est pas prononcé ».

 

[52]      Sans nul doute l’Administrateur était au fait qu’aucune procédure de révision/reconsidération/amendement par l’Administrateur n’est prévue au Règlement, ce qui explique son choix fignolé du terme « addenda ».

 

[53]      Dans tous les cas, le document du 18 janvier 2021 titré « Décision de l’Administrateur » précise en introduction et je cite : « Le présent addenda a pour but de prendre position, de commenter et de rendre de nouvelles décisions […] », l’Administrateur donnant ainsi son aval à l’auteur Michel Hamel, T.P., que l’Administrateur a pris « de nouvelles décisions » suite aux différents rapports d’expertise qui leur ont été soumis.

 

[54]      D’ailleurs, plus loin dans l’introduction, l’Administrateur énonce : « À la lecture de ces nouveaux rapports [les expertises commandées par le Bénéficiaire], l’administrateur a constaté qu’il y avait des points sur lesquels il ne s’était pas prononcé. Ainsi une décision sera rendue sur ces points ».          (mon soulignement)

 

[55]      L’argumentaire sémantique de la procureure de l’Entrepreneur étant débouté, en prenant la décision du 18 janvier 2021 comme point de départ, la demande d’arbitrage formulée par le procureur du Bénéficiaire le 17 février 2021 respecte les délais.

 

[56]      La Demande ayant été formulée dans les 30 jours, le soussigné prend juridiction sur tous les accords qui ont source de la décision du 18 janvier 2021.

 

 

Compétence de l’arbitre

[57]      La procureure de l’Entrepreneur plaide, d’autre part, qu’on doit laisser à l’Entrepreneur la possibilité, si besoin est, de corriger les problèmes selon la solution qu’il préconise puisqu’en application de l’article 2099 C.c.Q., il (l’Entrepreneur) a le libre choix de la méthode corrective.

 

[58]      Au risque de redite, l’article 2099 C.c.Q. stipule que :

 

2099. L’entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d’exécution du contrat et il n’existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

 

[59]      Ce droit comporte toutefois, en corollaire, un certain nombre d’obligations, dont celle prévue à l’article 2100 C.c.Q. :

 

2100. L’entrepreneur et le prestataire de services sont tenus d’agir au mieux des intérêts de leur client, avec prudence et diligence. Ils sont aussi tenus, suivant la nature de l’ouvrage à réaliser ou du service à fournir, d’agir conformément aux usages et règles de leur art, et de s’assurer, le cas échéant, que l’ouvrage réalisé ou le service fourni est conforme au contrat.

 

Lorsqu’ils sont tenus du résultat, ils ne peuvent se dégager de leur responsabilité qu’en prouvant la force majeure.

 

[60]      Certes, le principe de l’autonomie de l’Entrepreneur dans le choix des méthodes doit recevoir une application rigoureuse lors de la construction d’une résidence, à défaut de quoi l’Entrepreneur serait entièrement soumis aux exigences, voir aux caprices, de son client au regard des moyens d’exécution de son contrat.

 

[61]      Toutefois, le Tribunal croit que des nuances doivent être apportées quand il s’agit d’effectuer des travaux correctifs requis à la suite de la découverte d’une malfaçon, d’un vice caché ou d’un vice de construction reconnu par l’Administrateur, comme c’est (en partie) le cas en l’espèce. Faire autrement serait d’appliquer à outrance la règle générale.

 

[62]      Ainsi, lorsque le Tribunal est appelé à se prononcer sur les travaux correctifs appropriés pour répondre aux exigences des règles de l’art, il doit analyser la situation dans son ensemble considérant les droits et obligations de chacune des parties.

 

[63]       S’il y a des travaux de correction à effectuer, considérant la preuve offerte de part et d’autre, est-ce que les moyens envisagés par l’Entrepreneur pour corriger la situation permettront d’atteindre la performance attendue dans le respect du droit, du contrat, des règles de l’art et des usages du marché ?

 

 

 

 Discussion sur le libre choix des moyens d’exécution

 

[64]      Rappelons que le contrat de service peut être d’ordre matériel ou intellectuel. En exécutant leur travail, les prestataires de service sont responsables de la qualité de ceux-ci puisque, en vertu de l’article 2099 C.c.Q., ils ont le libre choix des moyens d’exécution. Il n’existe pas, non plus, de lien de subordination entre le client et le prestataire de service (entre les Bénéficiaires d’une part et les Entrepreneurs/constructeurs d’autre part).

 

[65]       Les auteurs Lluelles et Moore écrivent que, contrairement aux subtilités de l’interprétation, la qualification des contrats relève d’une méthodologie assez simple. Ils s’expriment ainsi :

 

1047. […] Le juge essaie de déterminer, tantôt le but qui a présidé à la convention, tantôt — en fait, le plus souvent — la prestation essentielle au cœur de l’entente. […]

 

[66]      Lorsque plusieurs obligations se retrouvent dans le même contrat, il est donc fort important, pour sa qualification, de déterminer laquelle est la prestation essentielle et lesquelles sont accessoires. Pour ce faire, on peut examiner le contrat, mais également en rechercher le but qui peut ressortir de l’intention des parties lors de la négociation.

 

[67]      Sauf erreur, cet article est apparu au C.c.Q. en 1994. Dans ses commentaires, le ministre écrivait ceci :

 

« Cet article est de droit nouveau. Il vise un meilleur équilibre entre les parties en assurant la protection du client sans imposer un fardeau trop lourd à l’entrepreneur. »

 

[68]       Les Bénéficiaires peuvent donc avoir un certain droit de regard sur le déroulement des travaux effectués par l’Entrepreneur ; ce dernier (l’Entrepreneur) conserve le libre choix des moyens d’exécution des travaux — ceci implique le choix de la main-d’œuvre et des matériaux, l’organisation des travaux, etc. Cette autonomie dans l’exécution des travaux a, d’une part, pour effet de refuser aux Bénéficiaires le droit de s’immiscer dans l’exécution des travaux et, d’autre part, de faire assumer la responsabilité de l’ouvrage à l’Entrepreneur.

 

[69]      Pourtant, et surtout lorsque l’on porte une décision de l’Administrateur en arbitrage spécifiquement afin que le Tribunal arbitral tranche sur le choix et la méthode corrective à apporter à une situation donnée, rien ne proscrit l’identification par le Tribunal des désordres et/ou sur l’étendue des possibles désordres prévisibles, sources des travaux proposés.

 

[70]      L’arbitre tranche le différend conformément aux règles de droit, ce qui s’étend également à l’équité lorsque les circonstances le justifient, et, sous réserve des limites imposées par le Règlement, il peut ordonner l’exécution d’un remède lorsque ce dernier fait l’objet du différend (toujours bien entendu sous réserve des limites imposées par le Règlement).

 

[71]      Je rappelle que l’ordonnance d’exécution est le mode normal et général d’exécution des obligations (art. 1601 et suivants C.c.Q.).

 

[72]      En l’espèce, les parties ont convenu contractuellement que relève de la compétence (exclusive) de l’arbitre désigné le pouvoir d’ordonner l’exécution en nature (ici la résolution) de tout différend portant sur les décisions de l’Administrateur concernant leurs réclamations.

 

[73]      La Cour d’appel dans l’arrêt Nearctic Nickel Inc. c. Canadian Royalties Inc. enseigne que les pouvoirs confiés à un arbitre dans une convention d’arbitrage (ou mieux encore, tel que pour le présent forum, un programme réglementaire qui est d’ordre public) doivent être interprétés de façon large et libérale [2012 QCCA 385, par. 49], et donc que l’arbitre peut prononcer des « ordonnances de nature injonctive ».

 

[74]      Ces enseignements de la Cour d’appel sont clairs. Un arbitre peut prononcer des ordonnances de « nature injonctive », mais il faut que ce soit en lien avec le mandat qui lui est confié, lequel doit recevoir une interprétation large et libérale.

 

[75]      Depuis, le législateur a modifié le Code de procédure civile pour codifier en partie ce que la Cour d’appel avait déjà reconnu.

 

[76]      Sur ce, il est de longtemps reconnu qu’en lisant un texte législatif, on doit en outre présumer que chaque terme, chaque phrase, chaque alinéa, chaque paragraphe ont été rédigés délibérément en vue de produire un effet spécifique. Le législateur est économe de ses paroles : il ne « parle pas pour ne rien dire ». Ce principe, appelé principe de l’effet utile, est repris à l’article 41.1 de la Loi d’interprétation du Québec. Notons que dans l’arrêt Subilomar Properties (Dundas) Ltd. c. Cloverdale Shopping Center Ltd., il a été ainsi énoncé par le juge Spence :

 

« C’est évidemment un truisme qu’aucune législation, loi ou règlement, ne doive être interprétée de manière que certaines parties en soient considérées comme simplement superflues ou dénuées de sens […]. »

 

[77]      Ainsi, le pouvoir de l’arbitre en matière d’ordonnances est directement lié à sa compétence, laquelle est établie soit par Règlement, soit contractuellement ou encore décidée par celui-ci.

 

[78]      C’est pourquoi j’ai la compétence nécessaire pour me prononcer sur le différend entre les parties portant sur des décisions de l’Administrateur concernant les questions en litige qui me furent soumises.

 

[79]      Tel que préalablement repris supra, la limite que connaît la prérogative prévue à l’article 2099 C.c.Q. est la nuisance qu’elle peut causer à l’Entrepreneur dans sa libre exécution des travaux, pourvu qu’elle ne fasse pas obstacle à l’identification (de l’ensemble) des correctifs utiles ou nécessaires. Elle peut être exercée, dans certains cas, pour s’assurer notamment du respect des règles de l’art par l’Entrepreneur. De manière générale, la surveillance, pour être appropriée, ne requiert qu’une volonté de s’assurer que l’Entrepreneur remplisse ses obligations. Une intervention justifiée par les circonstances qui entourent l’exécution des travaux n’empêche pas l’Entrepreneur de demeurer le maître de l’œuvre et d’exercer son autonomie dans le choix de la méthode d’exécution et des matériaux. En d’autres termes, un différend sur l’étendue des travaux n’instaure en rien un lien de préposition ou de subordination à l’endroit de l’Entrepreneur, mais n’a que pour but d’assurer la pérennité de l’ensemble des composantes importantes de l’immeuble. Non pas quand et comment faire les correctifs, mais « où » et « ce qui » est nécessaire comme correctifs - l’Entrepreneur demeure le maître d’œuvre.

 

 

CONCLUSION

 

[80]      Nous savons que l'arbitre désigné est autorisé par la Régie à trancher tout différend découlant des plans de garantie. Ceci inclut toute disposition de faits, de droit et de procédures, mais la réclamation doit prendre souche ou source dans le Règlement (et le plan qui est son accessoire).

 

[81]      Pour l'ensemble des motifs ci-haut repris, et désirant demeurer constant avec moi-même, je me dois de rejeter les objections préliminaires de l’Entrepreneur.

 

 

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :

 

 

REJETTE les moyens préliminaires de l’Entrepreneur.

 

CONSERVE juridiction pour la poursuite de l’instance.

 

LE TOUT, vu l’article 123 du Règlement, avec frais d’arbitrage pour la présente décision interlocutoire, à la charge de la Garantie avec intérêt autolégal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter de la date de la facture émise par le Centre après un délai de grâce de trente (30) jours.

 

RÉSERVE à la Garantie ses droits à être indemnisée par l’Entrepreneur, pour les coûts exigibles pour l’arbitrage (paragraphe 19 de l’annexe 2 du Règlement) en ses lieu et place, et ce, conformément à la convention d’adhésion prévue à l’article 78 du Règlement.

 

 

 

 

Montréal, le 16 mai 2022

 

 

 

 

 

 

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Michel A. Jeanniot, ClArb.