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Centre Canadien d’Arbitrage Commercial

Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du Bâtiment du Québec conformément au Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (c. B-1.1, r. 0.2)

 

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

 

DOSSIER N°:           S08-151001-NP

 

DATE                         :           Le 11 mars 2009

 

 

 


ARBITRE       :           Me PIERRE BOULANGER

 

 

 


DOMINIQUE DUCHESNE,

-et-

CHRISTIAN JOBIN,

 

Bénéficiaires

 

c.

CONSTRUCTION JACQUES VENNE,

 

Entrepreneur

 

et

LA GARANTIE HABITATION DU QUÉBEC INC.

 

Administrateur de la garantie

 

 

 


DÉCISION ARBITRALE

 

 


[1]        Dans leur demande d’arbitrage du 7 octobre 2008, les bénéficiaires contestent la décision rendue le 22 septembre 2008 par le conciliateur Denis Robillard qui a rejeté leur réclamation concernant des fissures dans la fondation et les infiltrations d’eau au sous-sol.

 

[2]        Ces infiltrations se produisent autour de la porte extérieure du sous-sol située à l’arrière de la maison.  Cette porte est située au bas d’un escalier extérieur de quelques marches de béton qui sont encastrées dans un caisson de béton qui fait partie de la fondation de la maison.


 

[3]        Dans sa décision, le conciliateur a reconnu que cette entrée extérieure n’était pas protégée de façon adéquate contre le gel.  Lors de l’audition tenue le 16 février 2009, tous ont pu constater la gravité des fissures principalement situées à la jonction du muret du caisson extérieur et du mur de fondation de la maison.  L’administrateur a toutefois rejeté la réclamation des bénéficiaires en concluant que les fissures et les infiltrations résultent, au sens de l’article 6.7.3 du contrat de garantie, d’une mauvaise utilisation du bâtiment par les bénéficiaires.  C’est le seul motif qu’il a invoqué dans sa décision et c’est le seul motif qu’il a plaidé devant moi.

 

[4]        Suivant cette prétention, qui émane de l’entrepreneur, le caisson d’escalier en béton n’avait pas à être isolé contre le gel, parce qu’il devait être recouvert par un abri fermé et cela par les bénéficiaires une fois la maison livrée (alors que tel n’est pas le cas).

 

[5]        Les bénéficiaires contestent la décision de l’administrateur tout en insistant sur le fait qu’il n’avait jamais été question, au moment de la conclusion de ce contrat « clé en main », qu’ils recouvriraient le caisson d’escalier et qu’ils n’ont jamais voulu, d’ailleurs, d’un abri qui bloquerait la lumière du jour.

 

[6]        La question à trancher, comme l’a d’ailleurs plaidé l’avocat de l’administrateur, est de déterminer l’étendue des obligations de l’entrepreneur en relation avec ce caisson d’escalier extérieur.  Devait-il être isolé contre le gel par l’entrepreneur ou, au contraire, les bénéficiaires se sont-ils chargés de le recouvrir d’un abri fermé ?  Les écrits n’allant pas jusqu’à préciser ce fait, il faut recourir aux témoignages et à l’analyse des faits et circonstances pour cerner l’intention des parties.

 

[7]        Les témoins ont été entendus sous affirmation solennelle le 16 février 2009 à la résidence des bénéficiaires.  Les deux bénéficiaires, leur témoin Luc Gendron, technicien en architecture, le représentant de l’entrepreneur, monsieur Jacques Venne et le conciliateur Denis Robillard ont témoigné.

 

[8]        Je précise d’entrée de jeu qu’il s’agirait, si les bénéficiaires avaient raison, d’un vice de construction au sens de l’article 2118 du Code Civil du Québec en ce sens que les fissures sont sérieuses, que le caisson d’escalier a été « perdu » dans les cinq ans suivant les travaux et qu’il doit être refait.  L’administrateur n’a d’ailleurs pas plaidé que la réclamation des bénéficiaires, datée du 1er juin 2008, est tardive alors que la livraison du bâtiment remonte au 1er septembre 2004.

 

[9]        J’annonce aussi, d’entrée de jeu, que la preuve entendue, analysée et soupesée, mène inéluctablement à la conclusion qu’il revenait à l’entrepreneur d’isoler convenablement le caisson d’escalier extérieur en béton contre le gel.  La prétention de l’entrepreneur à l’effet qu’il n’avait pas à le faire parce que les bénéficiaires s’étaient chargés de recouvrir le caisson d’un abri fermé n’est pas suffisamment convaincante, cela dit avec égards.


 

[10]     Résumons les faits.  Au printemps 2004, les bénéficiaires font des démarches afin de faire construire une maison unifamiliale sur le terrain qu’ils avaient acheté l’année précédente à Saint-Liguori.  Ils ont alors en leur possession des plans d’usage général qu’ils ont acquis de la firme Dessins Drummond.  Leur choix s’arrête sur l’entrepreneur Construction Jacques Venne qui leur a présenté une soumission au prix de 80,000.00$ plus taxes (pièce B-2).

 

[11]     Comme il arrive fréquemment lorsqu’on utilise des plans d’usage général, les bénéficiaires apportent certaines modifications aux plans.  En l’occurrence, ils demandent notamment à l’entrepreneur de construire une entrée donnant sur le sous-sol à l’arrière de la maison, entrée non prévue aux plans.  Cette demande est exprimée et acceptée dès le début.  Ainsi, la soumission de l’entrepreneur, pièce B-2, qui ne comprend que quelques lignes, mentionne expressément : « entrée cave arrière ».

 

[12]     Les discussions se poursuivent entre les parties pour régler plusieurs autres détails de construction.  Vers juin 2004, la date exacte n’apparaissant pas sur l’écrit, les parties complètent et signent le formulaire « contrat d’entreprise et de garantie obligatoire - maison neuve », formulaire qui émane de l’administrateur (pièce A-3).  Le prix indiqué est le même: 80,000.00 $ plus les taxes.

 

[13]     Suivant le témoignage des bénéficiaires, que j’estime fort crédible, une annexe a été rédigée à la même occasion. Il s’agit de la pièce B-1 qui est aussi un formulaire émanant de l’administrateur.  Il a été complété à la main par la bénéficiaire Dominique Maltais.  Le texte manuscrit mentionne que sont inclus au contrat divers items tels fenêtres au gaz, entrée arrière au sous-sol, plancher de bois franc en érable au salon, céramique dans la cuisine et salle de bain, etc.[1]  De son côté, l’entrepreneur affirme qu’il n’a pas obtenu cette annexe qu’il voit pour la première fois à l’audition.  Par contre, il reconnaît que tous les éléments qui y sont mentionnés sont exacts et qu’il les a d’ailleurs réalisés.  Là-dessus, tout le monde s’entend.

 

[14]     Le point précis où il y a divergence est le suivant:  le caisson de béton de l’escalier extérieur arrière menant au sous-sol devait-il être isolé contre le gel du sol ou, au contraire, devait-il, comme le prétend l’entrepreneur, être recouvert d’un abri fermé par les bénéficiaires ?  Dans ce dernier cas, plaide l’entrepreneur, le caisson n’avait pas à être isolé.

 

[15]     Les bénéficiaires ont produit le témoin Luc Gendron, technicien en architecture qui a produit un rapport daté du 28 octobre 2008, lequel avait été communiqué avant l’audition.  Le procureur de l’administrateur s’est objecté à ce que ce rapport soit considéré comme une expertise quant à la cause des fissures en faisant valoir l’article 4.2.2.1 du Code National du Bâtiment qui se lit comme suit :

 


 

4.2.2.1                Reconnaissance du sol

 

1)           Une reconnaissance du sol et de la nappe souterraine doit être effectuée, ou dirigée, par un ingénieur qui possède les connaissances et l’expérience nécessaires à la planification et à l’exécution du niveau d’étude appropriée pour le bâtiment compte tenu de son utilisation, du terrain et des conditions du site (voir l’annexe A).

 

 

[16]     Ayant pris cette objection sous réserve et ayant entendu le témoignage de Luc Gendron, qui s’est avéré prudent, posé et crédible, je considère que les explications de ce témoin, d’un point de vue architectural, me sont utiles à la compréhension du problème.

 

[17]     La cause du problème vient du fait que la présence de la descente d’escalier expose la fondation à l’air ambiant (et au gel) alors que le tout aurait été enfoui sous le sol s’il n’y avait pas eu d’entrée menant au sous-sol.  Il faut donc prévoir de l’isolation suffisante pour protéger la fondation exposée à l’air des effets du gel.  On peut le faire en excavant plus profond pour la fondation (ce qu’on appelle le « frost pit »).  Ou encore en installant des panneaux d’isolant rigide, notamment sous le plancher du caisson d’escalier.

 

[18]     Comme mesure corrective, le témoin Luc Gendron écarte l’idée de modifier la construction existante en y ajoutant un mur de fondation « frost pit » car ce serait trop onéreux.  Il propose de démolir le caisson de l’escalier existant et d’en construire un nouveau en l’isolant avec des panneaux d’isolant afin de conserver la chaleur naturelle contenue dans le sol.

 

[19]     L’entrepreneur Jacques Venne, lors de son témoignage, a déclaré que c’est la technique qu’il aurait d’ailleurs utilisée, savoir l’installation de panneaux d’isolant, s’il avait eu à isoler le caisson d’escalier.  Il a aussi affirmé que cela aurait été peu coûteux de le faire à l’époque de la construction.  Il a toutefois ajouté qu’il n’avait pas à isoler ce caisson parce qu’il devait être recouvert par un abri fermé par les bénéficiaires après la livraison du bâtiment.

 

[20]     Le fait matériel sur lequel est basé son argumentation est la présence de deux lisses de bois (madriers) qu’il a fixées, de chaque côté du caisson (sur la paroi extérieure).  Selon sa prétention, s’il a installé ces lisses, c’est pour permettre aux bénéficiaires d’y fixer une boîte en bois ou un cabanon.

 

[21]     Le conciliateur Denis Robillard a expliqué qu’il avait retenu cet élément (la présence des lisses de bois) pour conclure que c’était aux bénéficiaires de construire un abri fermé recouvrant le caisson.  C’est pour cette raison qu’il a écrit dans sa décision que le problème résulte d’une mauvaise utilisation par les bénéficiaires.


 

[22]     Le conciliateur a aussi affirmé que, dans le présent cas, la construction d’un cabanon par-dessus le caisson est plus théorique que pratique car une telle construction, dans l’état actuel des choses, serait empêchée par la présence du patio de bois (construit par l’entrepreneur avec la maison).  L’extrémité de ce patio se situe vis-à-vis du côté gauche du caisson (lorsqu’on fait face, à l’extérieur, à la porte du sous-sol).  Comme l’a exprimé le conciliateur: « le patio est trop grand ».

 

[23]     Hormis la présence du patio de bois, il y a d’autres faits concrets qui corroborent la version des bénéficiaires :

 

1°        L’éclairage naturel au sous-sol :    le bénéficiaire Christian Jobin a expliqué l’importance de l’éclairage naturel au sous-sol par la porte d’entrée du sous-sol.  J’ai pu constater que les deux autres fenêtres sont de dimensions restreintes. Il m’apparaît difficile de croire, dans les circonstances, que les bénéficiaires aient pu accepter de masquer la lumière entrant par la fenêtre de la porte du sous-sol par un abri fermé;

 

2°        Le chauffage de l’abri fermé :  tant le témoin Luc Gendron que le représentant de l’entrepreneur, Jacques Venne, ont témoigné qu’il faudrait chauffer l’abri fermé afin de prévenir le gel de la fondation de béton (non isolée).  Or, aucun moyen de chauffage n’a été prévu par l’entrepreneur à cet égard.  Faudrait-il installer un petit calorifère électrique en le branchant à l’intérieur du sous-sol ?  Suffirait-il, comme l’a mentionné l’entrepreneur, de laisser la fenêtre de la porte ouverte afin que la chaleur du sous-sol se propage dans l’abri fermé ?  Tout cela ne m’apparaît ni pratique ni réaliste;

 

3°        Enfin, comme l’a souligné le bénéficiaire Christian Jobin, il y a aussi la présence de la fenêtre de la cuisine qui entre en considération.  Cette fenêtre est située à l’étage au-dessus de la porte du sous-sol.  Elle complique l’architecture d’un cabanon.  L’entrepreneur a évoqué la construction d’une boîte fermée au lieu d’un cabanon.  Encore là, cela ne m’apparaît ni pratique, ni réaliste;

 

 

[24]     Ma visite des lieux m’a aussi permis de constater que les deux lisses de bois concernés sont présentement utilisées.  Du côté droit, les bénéficiaires y ont appuyé un garde-corps.  Du côté gauche, ils y ont appuyé des poteaux retenant le treillis masquant le dessous du patio de bois.

 

[25]     Je peux comprendre que le conciliateur Denis Robillard ait conclu que la présence de deux lisses de bois était un élément donnant raison à l’entrepreneur.  Cependant, après avoir écouté et pesé tous les témoignages et considéré l’ensemble des éléments, je ne peux que donner raison aux bénéficiaires quant aux obligations contractuelles de l’entrepreneur résultant de ce contrat « clé en main ».


 

[26]     Parmi les éléments que j’ai considérés, se trouve aussi l’argument soulevé par le procureur de l’administrateur en relation avec la lettre des bénéficiaires datée du 1er juin 2008 (pièce A-4).  Dans cette lettre, les bénéficiaires font part à l’entrepreneur de leur refus de son offre de réparer les fissures en contrepartie du paiement d’une partie des frais (600.00 $ à 700.00 $).  Selon le témoignage de l’entrepreneur, cette somme représente le coût de construction d’un abri fermé.  Le procureur de l’entrepreneur voit dans cette lettre une preuve de l’intention des parties d’installer un abri fermé.

 

[27]     Primo, il s’agit d’une lettre a posteriori datée du 1er juin 2008, alors qu’il faut rechercher l’intention des parties quatre ans plus tôt, à l’été 2004. Secundo, il n’est pas précisé, dans cette lettre, qu’il s’agit de construire un abri fermé.  Tertio, les bénéficiaires expriment, de façon catégorique, leur refus de payer quoi que ce soit en faisant valoir que : «…les travaux devaient être bien effectués ».  Avec égards, je ne vois aucun élément favorable à l’entrepreneur dans cette lettre, au contraire.

 

[28]     Il s’avère maintenant plus onéreux, pour l’entrepreneur, de reprendre le travail en démolissant le caisson, en réparant les fissures à la fondation de la maison et en reconstruisant un escalier et un caisson bien isolés, le tout en béton.  Mais il aurait facilement pu éviter ce coût en isolant le caisson convenablement lors de la construction, ce qui aurait alors été peu onéreux, suivant son propre témoignage.

 

[29]     Compte tenu que nous sommes présentement en saison d’hiver, j’accorde un délai de six mois à l’entrepreneur pour effectuer les travaux de correction.

 

[30]     Sous la cote B-4, les bénéficiaires ont produit la facture (469.58$) de leur témoin expert Luc Gendron pour la préparation de son rapport.  L’avocat de l’administrateur a fait valoir que ce rapport est davantage une estimation de coûts qu’un rapport d’expertise.  Tel que mentionné plus haut, l’opinion de ce témoin expert m’a été utile pour la compréhension du problème.  Ledit montant de 469.58$ m’apparaît raisonnable et je l’accorde en entier conformément à l’article 124 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs.

 

 

POUR CES MOTIFS, L’ARBITRE SOUSSIGNÉ :

 

 

            ACCUEILLE la demande des bénéficiaires.

 

            RENVERSE la décision de l’administrateur datée du 22 septembre 2008.

 

            ORDONNE à l’entrepreneur, dans un délai de six (6) mois de la présente décision, d’exécuter les travaux de correction requis en démolissant le caisson de béton de l’escalier extérieur du sous-sol,  en


 

réparant les fissures à la fondation de la maison et en reconstruisant un nouveau caisson et un escalier de béton, le tout dûment isolé contre le gel.

 

            DÉCLARE, conformément à l’article 124 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, que les bénéficiaires ont droit à un remboursement, par l’administrateur, d’un montant de 469.58$ pour frais d’expertise.

 

            DÉCLARE que les autres frais d’arbitrage sont à la charge de l’administrateur, conformément à l’article 123 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs.

 

 

 

 

                                                                       Pierre Boulanger

                                                                                                                                                        

                                                           Me PIERRE BOULANGER

                                                           Arbitre

 

 

Dominique Duchesne

Christian Jobin

Bénéficiaires

 

 

Jacques Venne

Pour l’entrepreneur

 

 

Me Avelino De Andrade

Pour l’administrateur



[1]  Mon souligné.