ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
(Décret 841-98 du 17 juin 1998)
Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment : CCAC
ENTRE : BRIGITTE HÉBERT ET DANIEL MICHAUD;
(ci-après le « Bénéficiaire »)
ET : CONSTRUCTION D.M. TURCOTTE T.R.M. INC.;
(ci-après l’ « Entrepreneur »)
ET : GARANTIE DES MAISONS NEUVES DE L’APCHQ;
(ci-après l’« Administrateur »)
Dossier CCAC : S14-040901-NP
Décision interlocutoire
Arbitre : Me Michel A. Jeanniot
Pour les Bénéficiaires : Me Pierre Soucy
Pour l’Entrepreneur : Monsieur Jacques Turcotte
Pour l’Administrateur : Me Pierre-Jérôme Bouchard
Me Miguel Bourbonnais
Date de la sentence : 6 février 2015
Identification complète des parties
Bénéficiaire : Madame Brigitte Hébert
Monsieur Daniel Michaud
[…] Trois-Rivières (QC) […]
Et son procureur :
Me Pierre Soucy
Lambert Therrien
473, rue Radisson, C.P. 1900
Trois-Rivières (QC) G9A 5M6
Entrepreneur: Construction D.M. Turcotte T.R.M. inc.
Attention de : Monsieur Jacques Turcotte
6685, boulevard Marion
Trois-Rivières (QC) G9A 7L3
Administrateur : Garantie des maisons neuves de l’APCHQ
5930, boul. Louis-H.-Lafontaine
Montréal (QC) H1M 1S7
Et ses procureurs :
Me Pierre-Jérôme Bouchard
Me Miguel Bourbonnais
McCarthy Tétrault
1000, de la Gauchetière, bureau 2500
Montréal (QC) H3B 0A2
Plumitif
09.04.2014 Réception de la demande d’arbitrage du Bénéficiaire au CCAC;
15.04.2014 Notification de la demande d’arbitrage et nomination du soussigné et réception du mandat par le CCAC;;
10.06.2014 Réception d’une correspondance du procureur des Bénéficiaires
16.07.2014 Réception d’une correspondance des procureurs de l’Administrateur
05.08.2014 Transmission d’une correspondance recherchant disponibilités pour fixer un appel conférence préparatoire;
06.08.2014 Transmission d’une correspondance recherchant de nouvelles disponibilités pour fixer un appel conférence préparatoire;
26.08.2014 Transmission d’une correspondance recherchant de nouvelles disponibilités pour fixer un appel conférence préparatoire;
29.08.2014 Transmission de la confirmation de la date et heure pour l’appel conférence préparatoire;
09.09.2014 Appel conférence préparatoire et transmission du procès-verbal d’appel conférence et conférence de gestion;
30.10.2014 Transmission d’une correspondance confirmant la tenue d’un deuxième appel conférence pour le 3 octobre 2014;
03.10.2014 Appel conférence préparatoire et transmission du procès-verbal d’appel conférence et conférence de gestion;
15.10.2014 Réception d’une correspondance de la part de l’Administrateur demandant précisions;
20.11.2014 Transmission d’une correspondance aux parties demandant au procureur des Bénéficiaires de faire part de ses commentaires;
24.11.2014 Transmission d’une correspondance aux parties indiquant la tenue d’un appel conférence prévu le 27 novembre 2014;
26.11.2014 Réception d’une correspondance des procureurs des Bénéficiaires concernant des précisions à apporter avant la conférence préparatoire;
26.11.2014 Réception d’une correspondance des procureurs de l’Administrateur en réponse à la missive du procureur des Bénéficiaires;
27.11.2014 Appel conférence préparatoire et transmission du procès-verbal d’appel conférence et conférence de gestion;
05.12.2014 Réception d’une correspondance des procureurs de l’Administrateur faisant part de leurs représentations;
12.12.2014 Réception d’une correspondance du procureur des Bénéficiaires réitérant sa demande de scission de l’instance et sa demande au Tribunal de se prononcer;
Décision
Mise en contexte
[1] En date du 11 mars 2014, l’Administrateur signe une décision au sein de laquelle il exige de l’Entrepreneur de remettre en place les éléments inclus au contrat d’origine (tels que définis au contrat préliminaire et à ses annexes) en fonction des termes, conditions et limites prévus au contrat de garantie;
[2] Les parties (Bénéficiaires, Entrepreneur et Administrateur) ne s’entendent pas sur l’étendue des obligations concernant la remise en état de la propriété (des Bénéficiaires); ces derniers requièrent des précisions à savoir si les obligations (de l’Entrepreneur et de l’Administrateur sont limités aux éléments inscrits au contrat d’origine tels que définis au contrat préliminaire ou s’il s’agit de la remise en état selon l’état actuel du bâtiment);
Gestion de l’instance
[3] Dans le cadre d’une gestion particulière d’instance, il y eu des appels conférences (et conférence de gestion) les 9 septembre et 3 octobre 2014;
[4] La conférence de gestion du 3 octobre fut fixée dans le but de faciliter la mise au rôle et donc que soit identifié :
Ø nature(s) du litige;
Ø question(s) en litige;
Ø conclusion(s) recherchée(s);
Ø admission(s) et pièce(s) déjà communiquée(s);
Ø admission(s) requise(s);
Ø annonce(s) et délai pour la production de toute(s) pièce(s) supplémentaire(s);
Ø liste des témoins en prévision de l’enquête et audition;
Ø but et durée des témoignages;
Ø temps d’argumentation;
[5] Préalable à l’ajournement de la conférence de gestion du 3 octobre 20014, Me Pierre Soucy (Lambert Therrien Avocats), procureur des Bénéficiaires, suggère l’opportunité d’une scission de l’instance;
[6] Les Bénéficiaires ont alors représentés que leur demande était à deux (2) volets :
[6.1] Que, dans un premier temps, le tribunal se prononce sur l’obligation (ou non) de l’Administrateur d’une «remise en état des lieux» lorsque les travaux (qui ont déjà été reconnus) seront complétés, c’est-à-dire s’il y a obligation de «remise en état» et;
[6.2] et dans un deuxième temps, s’il y a obligation de «remise en état» :
[6.2.1] cette remise en état est-elle telle que lors du contrat source de l’obligation de l’Administrateur; ou alternativement
[6.2.2] une remise en état tels que se trouvaient les lieux lors des travaux initiés après avoir été reconnus par l’Administrateur;
[7] En temps utile, après la conclusion de cette conférence de gestion et réception par les parties de son procès-verbal, le procureur des Bénéficiaires informe le tribunal qu’il s’est entretenu avec ses clients, confirme (officialise) sa demande à l’effet que soit déterminé dans un premier temps, l’étendue des obligations de l’Entrepreneur et de l’Administrateur concernant la remise en état de la propriété et de faire préciser si les obligations de l’Administrateur (et Entrepreneur) sont limitées aux éléments inscrits au contrat d’origine ou s’il s’agit d’une remise en état selon l’état du bâtiment lors des travaux;
[8] Le procureur de l’Administrateur, Me Miguel Bourbonnais (McCarthy Tétreault), après consultation avec sa cliente, conteste la demande de scission d’instance;
Sommaire des représentations des parties
Pour les Bénéficiaires
[9] Les Bénéficiaires suggèrent qu’il est opportun ainsi que dans l’intérêt de la justice que le président du tribunal se prononce, dans un premier temps, s’il y a ou non obligation de remise en état et s’il y a remise en état, est-elle limitée à la liste de finitions prévus au contrat préliminaire de l’Entrepreneur ou si elle s’étend à la remise en état de la propriété telle qu’elle se trouve avant le début des travaux. Dans l’hypothèse où le président du tribunal répond en tout ou en partie par l’affirmative aux questions qui précèdent, qu’il conserve juridiction afin de trancher tout différend et/ou désaccord ultérieur sur le sujet (bien entendu, à l’intérieur des limites prévues au Règlement);
[10] Les Bénéficiaires considèrent qu’il serait :
«… inutile et coûteux pour l’ensemble des parties de faire un débat théorique sur les travaux à envisager si vous (comprendre le tribunal) répondiez par la négative aux premières questions en litige…)»;
Position de l’Administrateur
[11] Les procureurs de l’Administrateur suggèrent que le Règlement d’application ne contient aucune disposition habilitant le tribunal d’arbitrage à scinder l’arbitrage dont il est saisi et préconisent une interprétation de l’article 106 du Règlement, qui, selon ces derniers, suggère qu’une réclamation ne peut être dissociée des faits sur lesquels elle repose;
[12] Se référant, par la suite, à certaines décisions des tribunaux étatiques, est plaidé qu’un règlement d’application qui déroge à la compétence générale des tribunaux de droit commun (tel que le prévoit l’article 106 du Règlement d’application) doit être interprété de manière restrictive;
[13] Les procureurs de l’Administrateur, ensuite, nous suggèrent qu’une lecture combinée des articles 117 à 126 du Règlement révèlent un dictat du législateur à l’effet que la procédure se doit d’être expéditive «(…) et ne réfère qu’à une seule audition pour trancher un différend concernant une réclamation dont l’arbitre est saisi»;
[14] Accessoirement, les procureurs de l’Administrateur plaident que le tribunal ne peut se prononcer sur la réclamation des Demandeurs sans en connaître les tenants et aboutissants avant de conclure que la demande de scission excède la compétence du tribunal d’arbitrage, laquelle compétence ne doit porter que sur «… une décision précise d’un administrateur concernant une réclamation donnée»;
[15] Selon l’Administrateur «(…) il est clair que la demande de scission ne rencontre aucun des critères établis par la jurisprudence.»;
[16] Quels sont donc ces critères ? (J’aborderai plus tard les représentations concernant l’application des articles 106, 117 à 126 du Règlement). Nous savons que les tribunaux ont développés une série de critères (7) à examiner pour déterminer ou non l’opportunité de scinder un recours;
[17] Ces critères furent énumérés dans une décision du juge Noël dans la décision Real Search Inc. c. Valone Kone Brunette Ltée[1];
[18] Il s’agissait d’une décision en Cour fédérale et concernant une affaire de brevet; ces sept (7) critères ont depuis été, adoptés par la Cour supérieure dans diverses décisions et tout récemment sous la plume du 29 septembre dernier de l’honorable Richard Nadeau J.C.S. dans l’affaire Construction Polaris Inc. c. Hydro-Québec[2], (lui-même se référant aux décisions : Procureur général du Canada c. la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada[3], 6384366 Canada Inc. c. G-M[4], Minibus Paquin c. Dessercrom Inc.[5] et BAL Global Finance Canada Corporation c. Aliments Breton (Canada Inc.)[6]);
[19] Ces critères sont :
[19.1] la simplicité relative des questions en litige dans le premier procès;
[19.2] la mesure dans laquelle les questions sont jugées dans le premier procès sont étroitement liées à celles qui seraient abordées dans le second;
[19.3] la question de savoir si la décision qui sera rendue à l’issue du premier procès est susceptible de mettre fin à l’action en son entier, à limiter la portée des questions en litige dans le second procès ou à augmenter sensiblement les chances d’en arriver à un règlement;
[19.4] la mesure dans laquelle les parties ont déjà consacrées des ressources à l’ensemble des questions en litige;
[19.5] la date retenue pour la requête et les risques de délais;
[19.6] tout avantage que la disjonction est susceptible de procurer aux parties ou tout préjudice qu’elles risquent de subir;
[19.7] la question de savoir si la requête est présentée de consentement ou si elle est contestée par une ou plusieurs parties;
[20] L’honorable Richard Nadeau (JCS), par la suite, suggère que si la totalité ou la majorité de ces critères s’appliquent, le tribunal, peut décider de scinder;
Discussion
Première Partie
[21] La demande de scission rencontre-elle la majorité des sept (7) critères ? Le tribunal estime que oui;
Premier Critère : La simplicité relative des questions en litige dans la première instance
[22] Contrairement à ce qui est plaidé par l’Administrateur, la demande de se prononcer sur l’obligation ou non de l’Administrateur d’une «remise en état des lieux» lorsque des travaux qui ont été reconnus seront complétés et si cette réponse est donnée dans l’affirmative, est-ce que cette «remise en état des lieux» est telle que lors du contrat source de l’obligation de l’Administrateur ou alternativement dans un état tels que se trouvaient les lieux lorsque les travaux ont été initiés ne requièrent aucune longue preuve puisqu’il pourrait s’agir vraisemblablement de lecture, possiblement d’interprétation et très certainement d’argumentation (il s’agit ici possiblement de la principale raison pour laquelle scission s’impose);
Second Critère : La mesure pour laquelle les questions sont décidées dans la première enquête sont étroitement liées à celles qui seraient abordées dans la seconde
[23] La question à débattre, dans un premier temps, ne nécessite pas que soit abordé les dommages, lesquels pourraient (éventuellement) faire l’objet d’une deuxième enquête. Ce qui doit être décidé, à cette première enquête, est essentiellement qu’elles seraient les limites de l’obligation de l’Administrateur. Il m’appert essentiel de se prononcer sur l’obligation ou non de l’Administrateur (et Entrepreneur) d’une remise en état des lieux (et s’il y a lieu, de l’étendue de cette obligation) avant de se pencher sur la myriade de questions sur lesquelles s’interrogent les procureurs de l’Administrateur alors qu’ils suggèrent dans leurs missive du 15 octobre 2014 :
«… il serait indéniablement pertinent de connaître les travaux correctifs demandés afin de déterminer notamment :
Ø si la valeur des travaux correctifs requis excèdent ou non la limite de garantie prévue au Règlement;
Ø si eu égard à la nature même des travaux, ces derniers sont susceptibles d’être couverts ou exclus par le plan de garantie, notamment au terme de l’article 19 du Règlement;
Ø si les Bénéficiaires ont mitigés ou au contraire aggravés les risques pour quelles que raisons que ce soit, rendant ainsi inadmissible leur réclamation;
Ø si l’exécution de travaux requis aurait pour effet de conférer un enrichissement injustifié aux Bénéficiaires;
(note de l’arbitre; il ne s’agit pas ici d’une énumération exhaustive des questionnements);
Troisième Critère : La question de savoir si la décision qui sera rendue est susceptible de mettre fin à l’action en son entier, à limiter la portée des questions en litige dans le second procès ou à augmenter sensiblement les chances d’en arriver à un règlement
[24] La décision à venir sur l’obligation ou non de l’Administrateur d’une remise en état des lieux et, s’il y a obligation, est-elle en fonction du contrat source de l’obligation ou tel que se trouvaient les lieux lorsque les travaux furent initiés, couvre aisément ce critère;
Quatrième Critère : La mesure dans laquelle les parties ont déjà consacrées des ressources pour l’ensemble des questions en litige
[25] Ici, rien ne nous suggère que l’Administrateur ait dû dépenser argent, effort et/ou ressources pour préparer et/ou entreprendre sa défense. Les correspondances antérieures (demande de précisions et production de documents des procureurs de l’Administrateur) nous suggèrent que leur processus est, à tout le moins, embryonnaire. À ces premiers stades, il m’appert donc d’autant plus légitime de faire trancher les questions préliminaires avant d’investir afin de faire déterminer (tel que le suggéraient les procureurs de l’Administrateur sous leur plume du 15 octobre 2014) :
Ø si la valeur des travaux correctifs requis excèdent ou non la limite de garantie prévue au Règlement;
Ø si l’exécution des travaux requis aurait pour effet de conférer un enrichissement injustifié aux Bénéficiaires, notamment en raison de la dépréciation des biens dont ils requièrent le remplacement par des travaux correctifs;
Ø si les travaux requis en l’espèce sont matériels et répondre aux critères de la proportionnalité prévus à l’article 4.2 du Code de procédures civiles;
(note de l’arbitre; il ne s’agit encore ici que d’une liste partielle des questionnements)
[26] Il m’appert, dans l’intérêt des deux (2) parties, de réduire les dépenses pour faire le débat de l’étendue de l’application du Règlement avant tout autre chose;
Cinquième Critère : La date retenue pour la première enquête et les risques de délais
[27] Nous sommes ici en matière d’arbitrage, le premier débat peut être tenu dans un avenir (très) rapproché et s’il n’en tenait que du soussigné, il s’agit d’une question de semaines, et la seconde enquête, si nécessaire, dans les semaines du prononcé sur la ou les questions préliminaires;
[28] Contrairement aux délais occasionnés devant les tribunaux étatiques, ici, rien ne milite contre la scission;
Sixième Critère : Tout avantage que la disjonction est susceptible de procurer aux parties ou tout préjudice qu’elle risque de subir
[29] Tel que ci-haut repris, tous vont profiter d’une décision qui soit décidera de la fin de l’affaire ou soit des paramètres de la suite en tout ou en partie du dossier. Encore ici, la scission prime;
[30] Les procureurs de l’Administrateur suggèrent, par contre, que cette disjonction sera et/ou autrement fera subir à sa cliente un préjudice et qu’accorder la scission d’instance serait à son détriment puisque la privant de faire valoir ses droits sur l’une ou l’autre des questions en litige. Renchérissant, les procureurs de l’Administrateur font part de leur intention de mettre en preuve des détails afférant à la réclamation des Bénéficiaires afin de déterminer l’étendue de la couverture du plan de garantie;
[31] Avec respect pour toute opinion à l’effet contraire, les détails afférents à la réclamation des bénéficiaires indifférent et sont inutiles au prononcé sur l’obligation, ou non, de l’Administrateur d’une «remise en état des lieux» lorsque les travaux (qui ont été reconnus par l’Administrateur) seront complétés;
[32] Je ne peux adhérer à la suggestion des procureurs de l’Administrateur à l’effet que :
Ø «l’obligation alléguée de «remise en état» ne peut être scindée dans un vaccum et doit être analysée en fonction des faits[7]»;
[33] Il ne m’est pas concevable que la scission de l’instance puisse avoir pour effet de priver l’Administrateur, en tout ou en partie, de la preuve qu’il entend présenter pour faire valoir sa position et je m’explique :
[34] À l’appui de leurs représentations, les procureurs de l’Administrateur, se référant à la décision Celluland Canada Inc.[8] et faisant alors référence aux propos du décideur, suggèrent que la scission est adaptée aux instances dans lesquelles les dommages sont évidents ou ne font l’objet d’un débat que sur l’étendue ou la valeur. Avec respect, ceci m’appert calqué de la présente instance;
[35] Le lien de causalité n’étant pas contesté, il est aisé, dans le cadre du présent dossier, de se prononcer sur la responsabilité de (ou absence de…) l’Administrateur sans même aborder la preuve sur les dommages;
[36] À l’appui de leurs arguments, les procureurs de l‘Administrateur nous représentent que la preuve de dommages n’est pas complexe et pas dispendieuse puisque, en ce qui les concerne, «…il s’agit d’une simple réclamation concernant des travaux à effectuées sur une résidence privée»;
[37] Je diffère d’opinion, avant de se rendre à une «simple réclamation concernant des travaux à effectuer sur une résidence privée», l’on se doit de déterminer si, à la conclusion de ces travaux, une remise en état des lieux doit être assumée par l’Administrateur (et s’il y a remise en état, doit-elle être telle que lors du contrat source de l’obligation ou tels que se trouvaient les lieux lorsque les travaux furent initiés) alors qu’une preuve factuelle détaillée (ventilée) sera alors nécessaire;
[38] Les procureurs de l’Administrateur soumettent quelques décisions à l’effet qu’une scission ne peut avoir lieu si elle a pour effet de priver une partie de la preuve qu’il entend présenter pour faire valoir sa position. La majorité des décisions déposées repose sur des principes longtemps établis en matière de responsabilité médicale alors qu’il n’est habituellement pas possible de se prononcer sur la responsabilité (d’un défendeur) sans faire la preuve des dommages et de vérifier le lien de causalité. Ici, contrairement aux dossiers de responsabilité médicale, les dommages et l’existence du lien de causalité est ostensible, seule l’obligation, en tout ou en partie d’indemniser, doit être déterminée;
[39] En conclusion, procéder tel que le suggère l’administrateur à l’effet qu’«il convient plutôt faire la preuve de la réclamation des demandeurs (sic) et voir si celle-ci est couverte par le plan de garantie», m’appert contraire à la chronologie bien établie à l’effet qu’une partie qui a le fardeau de la preuve (ici le Bénéficiaire) se doit, dans un premier temps de convaincre le tribunal qu’il y existe une obligation du défendeur (l’Administrateur) et, s’il y a obligation, quelle est l’étendue de cette obligation. Par la suite, la partie qui a le fardeau de convaincre devra faire la preuve des divers postes de réclamations (en fonction de l’assiette de l’obligation);
[40] L’ensemble des faits sommairement exposés suggère fortement que la scission de l’instance ne serait pas au détriment de l’une ou l’autre des parties de faire valoir ses droits sur l’une ou l’autre du litige;
Septième Critère : La question de savoir si la requête est présentée de consentement ou si elle est contestée par une ou plusieurs parties
[41] Il n’y a, évidemment ici, pas de consentement, bien au contraire, d’où l’obligation du soussigné à trancher;
Discussion
Deuxième Partie
Sur les articles 106 et 117 à 126 du Règlement, ainsi que les autorités soumises par l’Administrateur au soutien de ses prétentions
[42] Les procureurs de l’Administrateur plaident que la scission d’instance est une mesure exceptionnelle et qu’il y existe un principe par lequel un tribunal saisi d’une cause doit la décider toute entière par un seul et même jugement et n’a pas le pouvoir de la scinder en deux (2) étapes sauf dans le cas exceptionnel où la Loi lui permet par un texte clair d’agir ainsi. Les procureurs de l’Administrateur s’appuient sur une première décision de la Cour d’appel, une affaire de 1975, Hôpital Joice Memorial c. Gélinas[9] reprise par cette même cour en 1994 dans Roy c. Pateneaud[10]. Ces décisions qui datent de vingt-neuf (29) à trente-neuf (39) ans, bien que par la suite régulièrement citées, elles se sont vues plus que considérablement atténuées le 1er janvier 2003 lors des mises en application par le législateur des nouvelles dispositions qui gouvernent la scission de l’instance (alors circonstances considérablement élargies);
[43] Donc, et bien que les procureurs de l’Administrateur ont suggérés à l’appui de leurs prétentions, quelques décisions qui reprennent à satiété les principes de Joice Memorial et Roy (précités), je remarque que ces décisions sont antérieures à la réforme de janvier 2003 sauf quelques-unes d’entre elles qui concernent des dossiers dont le forum source de la demande de révision judiciaire était soit un arbitrage en relations de travail, un forum prévu par convention sous seing privé (collective), soit un arbitrage suivant la procédure de conciliation et d’arbitrage des comptes d’honoraires des avocats;
[44] J’accepte qu’en matière d’arbitrage de grief en relation de travail que «…normalement l’arbitre devrait disposer du grief complètement en une seule sentence…»[11];
[45] J’accepte de plus la proposition des tribunaux étatiques à l’effet qu’un arbitrage en vertu du Règlement sur la procédure de conciliation et l’arbitrage des comptes des avocats reçoive une interprétation restrictive;
[46] Je rappelle que le Règlement sur la procédure de conciliation et d’arbitrage des comptes des avocats est une procédure qui résulte soit d’une convention librement arrêtée d’une partie ou d’une initiative unilatérale d’une partie, le «client de l’avocat». (Il y existe toujours l’opportunité pour «le client de l’avocat» d’opter pour les tribunaux de droit commun);
[47] Le forum ici est autre que suggérer;
[48] Notre Cour d’appel a souligné dans l’affaire Desindes[12] sous son intitulé «La révision de la décision de l’arbitre» nommé en vertu du présent Règlement et qui régit la présente instance :
«… l’arbitre désigné est autorisé par la Régie à trancher les différends découlant des plans de garantie (article 83.1 de la Loi).
La Loi et le Règlement ne contiennent pas de clause privative complète. L’arbitre a compétence exclusive, sa décision lie les parties et elle est finale et sans appel (articles 19, 20, 106 et 120 du Règlement). Enfin, il doit statuer conformément aux règles de droit, il fait aussi appel à l’équité lorsque les circonstances le justifient (article 116 du Règlement)»
[49] Le Règlement, nous le savons, est d’ordre public et donc nul ne peut y déroger même de consentement, une autre confirmation jurisprudentielle importante et utile pour supporter un angle différent de celui suggéré par l’Administrateur, soit la détermination par la Cour suprême en 2006 que :
«… il est bien établi en droit que les tribunaux administratifs créés par une Loi qui sont investis du pouvoir de trancher les questions de droit sont présumés avoir le pouvoir d’aller au-delà de leurs lois habilitantes pour appliquer l’ensemble du droit à une affaire dont ils sont dûment saisis…»[13]
[50] M’inspirant donc plus librement des critères retenus par les tribunaux étatiques dans des dossiers ayant source au présent Règlement plutôt que des courants issus de l’arbitrage de griefs en matière des relations de travail, je ferai miens les propos de l’Honorable Yves Alain J.C.S. dans sa décision Chantal Gagnon c. Dr. Anne-Marie Geoffroy[14]; et bien que les procureurs de l’Administrateur attiraient notre attention sur le paragraphe 7 de cette décision, lequel se lit :
« [7] …même avec l’élargissement, l’unicité du procès demeure la norme et il incombe à la partie qui fait la demande de scission d’en établir la pertinence, notamment en regard avec la règle de la proportionnalité prévue à l’article 4.2 C.p.c.»
[51] Pour ma part, ce paragraphe 7, je suggère, est un léger aternoiement aux paragraphes 5 et 6 qui le précède, lesquels s’inscrivent dans la mouvance majoritaire à laquelle le soussigné adhère et je cite :
« [5]… l’article 273.1 C.p.c. a été amendé lors de la réforme entrée en vigueur en janvier 2003 dans le but d’élargir de façon très significative l’accès à cette mesure dont l’objectif était et demeure de limiter les coûts et de favoriser un meilleur accès à la justice…
[6]… la scission n’est plus réservée aux cas de responsabilité civile et ne constitue plus une exception…»
*le soulignement est du soussigné
Jugé
[52] Nous le savons, dans une instance, lorsqu’il y a plusieurs points de contestation ou questions en litige, il peut être parfois utile de la scinder en deux (ou plusieurs) volets;
[53] Ainsi, lorsque dans le cadre d’une réclamation, une partie réclame es dommage(s) et intérêt(s) sur la foi d’une responsabilité (tant contractuelle qu’extra-contractuelle) et que la (les) partie(s) appelée(s) à reconnaître leur(s) responsabilité(s), et subsidiairement indemniser, et qu’une preuve s’annonce sur chacun de ces deux (2) volets, le Tribunal a le pouvoir, sur demande, de scinder l’instance (art. 273.1, C.p.c.);
[54] Historiquement, une première audition a pour but d’avoir lieu sur l’établissement d’un lien de droit, comme dans le cas présent, si le(s) poste(s) de réclamation peuvent être «reconnus» par l’Administrateur et donc qu’une première décision soit rendue et ceci, avant que ne soit prévariqué (possiblement inutilement) pour établir dommage(s) et réparation(s) dans une deuxième (2e) audition éventuelle, laquelle impliquerait l’annonce d’une preuve que j’estime considérablement plus longue;
[55] Nous savons que l’arbitre est maitre du déroulement de la preuve (et de ce qui est pertinent)[15], que la décision concernant la scission de l’instance appartient au président du Tribunal et que, tout comme, devant les tribunaux étatiques où toute décision à ce sujet est sans appel (art. 273.2 C.p.c.), toute décision à ce sujet par le président d’un tribunal d’arbitrage n’est pas sujette à révision judiciaire. Le législateur ainsi que les décideurs au sein des tribunaux étatiques appelés à se prononcer dans le cadre de révision(s) judiciaire sont unanimes et la saine administration de la justice ne commande pas qu’une scission de l’instance (aussi mal fondée qu’elle puisse paraître) soit susceptible de révision;
[56] La Cour d’appel dans l’affaire «Endorecherche c. Université Laval»[16] rappelle que :
«(…) l’intervention des tribunaux de droit commun, pendant le déroulement d’un processus d’arbitrage, doit être limité à des cas d’exceptions, afin que soit préservé l’autonomie de l’arbitrage et son déroulement efficace (…)»;
[57] Depuis le 1er janvier 2003, le champ d’application des dispositions qui gouvernent la scission d’une instance a été considérablement élargi. La demande peut être faite, en tout état de cause, verbalement lors de la présentation ou subséquemment (par requête); elle n’est plus limitée aux litiges en matière de responsabilité civile et la partie qui demande la scission n’a également plus à démontrer qu’il s’agit d’une situation exceptionnelle;[17]
[58] Qui plus est, puisque la scission de l’instance ne touche essentiellement que le déroulement du procès et non le fond des droits des justiciables, elle repose on ne peut plus solidement au sein des pouvoirs discrétionnaires du décideur;
[59] La scission de l’instance s’inscrit dans le contexte d’efficacité connu, à la fois par les amendements de 2003 au Code de procédure civile (la scission de l’instance, la gestion de l’instance et l’introduction des règles de la proportionnalité) et elle est un des fers de lance de modes alternatifs des résolutions des conflits tel que le présent Tribunal d’arbitrage;
[60] la question de la responsabilité n’est pas intimement liée à la détermination des dommages et il sera beaucoup plus simple d’en disposer sans avoir à traiter des sommes réclamées;
[61] Ici, la contestation du quantum s’annonce différente et distinctive des questions concernant la «couverture» (ou absence de couverture). Scinder l’instance permettra de possiblement de réduire de façon significative le coût et la durée de l’enquête et audition à venir (procès), il ne restera qu’à déterminer que ce qui est définitivement pertinent;
[62] L’article 116 du Règlement prévoit, de plus, que l’arbitre :
«statue conformément aux règles de droit, il fait aussi appel à l’équité lorsque les circonstances le justifient»;
[63] Avec circonspection et bonne mesure, j’entends faire une utilisation logique, raisonnable et judicieuse de cette disposition (art. 116 du Règlement) et statue que, en sus d’être conforme aux règles de droit, la scission s’impose d’équité;
[64] Le Tribunal fera donc droit à la demande de scission d’instance;
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
ACCEUILLE la demande des Bénéficiaires;
ORDONNE la scission de l’instance afin que, dans un premier temps, le tribunal se prononce sur l’obligation de l’Administrateur vis-à-vis la «remise en état des lieux» lorsque les travaux (qui ont déjà été reconnus) seront complétés, c’est-à-dire s’il y a obligation de «remise en état» et dans un deuxième temps, s’il y a obligation de «remise en état»; cette remise en état est-elle telle que lors du contrat source de l’obligation de l’Administrateur ou alternativement une remise en état tels que se trouvaient les lieux juste avant les travaux reconnus par l’Administrateur;
LE TOUT, avec dépens contre l’Administrateur.
Montréal, le 6 février 2015
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Me Michel A. Jeanniot
Arbitre / CCAC
[1] 2003 CFPI 669, [2003] 4 CF 1012
[2] 2014 QCCS 4530
[3] 2007 QCCS 3889
[4] 2012 QCCS 5364
[5] 2012 QCCS 3270
[6] 2007 QCCS 5834
[7] Page 7, correspondance des procureurs de l’Administrateur du 5 décembre 2014
[8] Celluland Canada Inc. c. Rogers Wireless, 2006 QCCS 6296
[9] Hôpital Joice Memorial c. Madeleine D. Gélinas [1975] C.A. 838
[10] Roy c. Patenaud [1994] C.A. 6107
[11] UAP Inc. c. Me Jean-Guy Clément ès qualité d’arbitre de grief, 20.4 QCCS 189
[12] Desindes
[13] Tranchemontagne c. Ontario 2006, CSC 14,
[14] 2013 QCCS 6755
[15] Balian c. Morneau, C.S. Mtl, AZ-50408177, J.E., 2007-510; req. Pour permission d’en appeler rejetée : AZ- 50420153, J.E 2007-560
Endoceutics inc. c. Philippon 2013 Q 1742
Louis Dreyfus, s.a.s. (SA Louis Dreyfus & Cie) c. Holding Tusculum, b.v., 2008 QCCS 5903, J.E. 2009-372
Holding Tusculum, b.v. c. Louis Dreyfus, s.a.s. (SA Louis Dreyfus & Cie), 2008 QCCS 5904, J.E. 2009-451
Nikiforosc. Petropoulos, 2009 QCCS 1876. J.E. 2009-1129
Viandes du Breton inc. c. Samson, AZ-50659299, 2010 QCCS 3349; CONFIRMÉ PAR :
Viandes du Breton inc. c. Samson, 2010 QCCA 1799
Corporation de l’externat St-Jean Berchmans c. Habitations consultants HL inc., 2010 QCCS 3893; CONFIRMÉ PAR : Habitations consultants HL inc. c. Corporation de l’externat St-Jean-Berchmans, 2010 QCCA 1867
Joris Immobilier c. Huneault Immobilier Inc. 2010 QCCQ 8675
Superior Energy Management, a Division of Superior Plus Inc. c. Manson Insulation Inc. 2011 QCCS 05100
[16] Endorecherche c. Université Laval , 2010 QCCA 1867
[17] François Bousquet, Réforme du Code de procédures civiles, Service de la formation permanente, Barreau du Québec.