ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
(Décret 841-98 du 17 juin 1998)
Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment : CCAC
ENTRE : LISE LABONNE ET ROGER GENDRON ;
(Ci-après le « Bénéficiaire »)
ET : LE GROUPE PLATINUM CONSTRUCTION 2001 INC. ;
(Ci-après l’« Entrepreneur »)
ET : LA GARANTIE DE CONSTRUCTION RÉSIDENTIELLE (GCR) ;
(Ci-après l’« Administrateur »)
Dossier CCAC : S17-042601-NP
Décision
Arbitre : Me Christian Villemure
Pour le Bénéficiaire : Me Mélany Renaud
Pour l’Entrepreneur : Me Maude Mongrain
Pour l’Administrateur : Me Pierre-Marc Boyer
Date de la Décision : 28 septembre 2017
Identification complète des parties
Bénéficiaire : Lise Labonne et Roger Gendron
[...]
Sainte-Thérèse (Québec) [...]
Et son représentant :
Me Mélany Renaud
Avocats Laval
3090, boul. Le Carrefour, bureau 200
Laval (Québec) H7T 2J7
Entrepreneur : Le Groupe Platinum Construction 2001 Inc.
C.P. 24213 Carrefour des Sources
Sainte-Thérèse (Québec) J7E 5T8
Et son représentant :
Me Maude Mongrain
Bissonnette Fortin Giroux
490, Laviolette
Saint-Jérôme (Québec) J7Y 2T9
Administrateur : Garantie de construction résidentielle
7171, rue Jean-Talon Est
Bureau 200
Anjou (Québec) H1M 3N2
Et son procureur :
Me Pierre-Marc Boyer
7171, rue Jean-Talon Est
Bureau 200
Anjou (Québec) H1M 3N2
L’arbitre a reçu son mandat de CCAC le 18 mai 2017.
Valeur en litige
Demande en remboursement d’un acompte : valeur de 10 000,00 $
Demande en annulation d’un contrat préliminaire : valeur de 394 900,00 $
Plumitif
27.04.2017 Réception de la demande d’arbitrage par le greffe du CCAC
09.05.2017 Comparution du procureur de GCR
09.05.2017 Cahier des pièces de l’Administrateur
18.05.2017 Nomination de l’arbitre
25.05.2017 Comparution du procureur des Bénéficiaires
06.06.2017 Convocation à la conférence de gestion téléphonique
27.06.2017 Procès-verbal d’appel conférence et conférence de gestion (incluant la demande concernant la compétence juridictionnelle)
07.07.2017 Cahier des pièces de l’Entrepreneur
27.07.2017 Cahier des pièces des Bénéficiaires
27.07.2017 Exposé sommaire de droit de l’Administrateur
28.07.2017 Exposé sommaire de droit du procureur de l’Entrepreneur
18.09.2017 Enquête et audition
19.09.2017 Enquête et audition
28.09.2017 Décision
Introduction
[1] L’Entrepreneur et les Bénéficiaires sont parties à un contrat préliminaire pour la vente de l’unité de condominium situé au [...], unité [...], Blainville, province de Québec. Ce contrat préliminaire a été signé par les parties le 29 mars 2016 (pièce A-3) ;
[2] Le 29 mars 2016, les parties ont également signé le contrat de garantie pour bâtiments détenus en copropriété divise (pièce A-1) ;
[3] Le 29 mars 2016, les Bénéficiaires ont remis à l’Entrepreneur la somme de 10 000,00 $, représentant l’acompte prévu à la rubrique « modalités de paiement » du contrat préliminaire A-3 (pièce A-2) ;
[4] Le 23 février 2017, les Bénéficiaires font parvenir à l’Administrateur de la Garantie Construction Résidentielle, par l’intermédiaire de leur procureur, une lettre demandant le remboursement de leur acompte de 10 000,00 $ ; cette lettre est annexée à la décision de l’Administrateur, laquelle est produite comme pièce A-9 ;
[5] Le 19 avril 2017, l’Administrateur rend une décision dans laquelle il accueille la réclamation des Bénéficiaires, et ordonne à l’Entrepreneur de rembourser la somme de 10 000,00 $ aux Bénéficiaires, dans les trente (30) jours suivant la réception de la décision ;
[6] Dans cette décision, l’Administrateur explique les raisons de sa décision :
« Dans un premier temps, il est mentionné que ses clients ont désiré procéder à la visite des lieux avant la signature chez le notaire.
Avant la visite, le représentant de l’Entrepreneur les informe que l’unité avait fait l’objet d’un sinistre (fuite d’eau). Les Bénéficiaires mentionnent qu’ils auraient pu observer les travaux correctifs exécutés, pour lesquels des traces de réparation subsistaient.
Soucieux et inquiets de la transparence de l’Entrepreneur, ils ont remis les instructions à leur procureur afin d’obtenir toutes les informations concernant le sinistre survenu.
Les informations obtenues par le sous-traitant concerné, démontrent les dommages et les traces de moisissures bien apparentes. De ce fait, les Bénéficiaires ont communiqué avec leur assureur qui leur a spécifié que la situation devra être dénoncée dans le futur à d’éventuels acheteurs de leur unité.
(…)
Dans le présent cas, le fait que l’Entrepreneur ait tenté de cacher le sinistre survenu, que les travaux correctifs exécutés semble (sic) être perceptibles d’autant plus qu’aucun document émis par une firme experte en analyse d’air n’a été émis prouvant l’absence totale de moisissures, sont toutes des raisons suffisantes pour les Bénéficiaires pour ne plus vouloir faire l’acquisition de l’unité.
Les photos transmises démontrant la moisissure dans l’unité après le sinistre sont suffisantes pour démontrer que l’Entrepreneur n’a pas respecté ses obligations légales de vendre un bien libre de tout vice, puisque aucun test d’analyse d’air n’a été fait démontrant que l’unité n’est plus contaminée.
De plus rien n’est indiqué dans la lettre du sous-traitant que les travaux correctifs ont été exécutés selon le protocole de New York, ce qui permet d’affirmer qu’ils sont incomplets et mal faits en plus de n’être appuyés sur aucun test d’analyse d’air. »
(Décision de l’Administrateur du 19 avril 2017, pages 3 et 4)
[7] L’Entrepreneur étant insatisfait de la décision de l’Administrateur, il soumet le différend à l’arbitrage, tel que le permet l’article 35 du Règlement ;
Juridiction du Tribunal d’arbitrage
[8] Lors de la conférence de gestion du 27 juin 2017, le procureur de l’Entrepreneur a informé le Tribunal d’arbitrage qu’il avait déposé une demande introductive d’instance devant la Cour Supérieure du Québec, visant la passation des titres entre l’Entrepreneur et les Bénéficiaires, et relativement à la propriété objet du contrat préliminaire A-3 ;
[9] En conséquence, le procureur de l’Entrepreneur a soulevé la question de la compétence juridictionnelle du Tribunal d’arbitrage, quant à sa capacité d’adjuger sur la question du remboursement des acomptes ;
[10] Le Tribunal d’arbitrage a statué qu’une décision serait rendue à ce propos lors de l’enquête et audition, et les parties ont été invité à transmettre leurs exposés sommaires de droits relativement à cette question, préalablement à l’enquête ;
Position de l’Entrepreneur
[11] Selon l’Entrepreneur, le sort des acomptes versés en rapport avec le contrat préliminaire devait suivre le sort du contrat lui-même, puisqu’il en est un accessoire. Aussi, l’autorité compétente pour décider du sort du contrat préliminaire A-3 est la Cour Supérieure, en vertu des dispositions du Code de procédure civile du Québec, plus particulièrement les dispositions établissant la compétence des tribunaux aux articles 33 et 35 ;
[12] L’Entrepreneur ajoute qu’il n’y a aucune disposition au Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, octroyant à l’Administrateur un pouvoir juridictionnel pour annuler un contrat. Suivant l’Entrepreneur, ni l’Administrateur, ni l’arbitre n’ont juridiction pour statuer sur la validité ou la nullité d’un contrat préliminaire, a fortiori sur une demande de remboursement d’un acompte convenu à l’intérieur d’un contrat préliminaire ;
[13] L’Entrepreneur demande donc le rejet de la demande d’arbitrage ou encore la suspension de l’arbitrage jusqu’à ce que la Cour Supérieure ait rendu jugement dans l’action en passation de titre, dans l’affaire C.S.T. 700-17-014271-174 ;
Position de l’Administrateur et des Bénéficiaires
[14] Selon l’Administrateur, le débat quant à la compétence juridictionnelle du Tribunal d’arbitrage prévu aux articles 35 et suivants du Règlement a déjà été réglé par la décision arbitrale de principe dans Desrochers c Sotramont Québec Inc., (CCAC), S09-170401-NP, du 18 janvier 2010 ;
[15] En citant cette décision arbitrale, le procureur de l’Administrateur indique :
« Au paragraphe 184, l’arbitre conclut que l’Administrateur, tout comme le Tribunal d’arbitrage, détient également la compétence de se prononcer relativement à un contrat entre un bénéficiaire et un Entrepreneur.
D’autre part, le soussigné ajoute que le plan de garantie et le Règlement sur le plan de garantie existent depuis 1999. Dans ce contexte, les tribunaux d’arbitrage ses sont prononcés à de nombreuses reprises (plusieurs dizaines voire plusieurs centaines de fois) lors de demande d’arbitrage portant sur des demandes de remboursement d’acompte faites par des Bénéficiaires. Or, il tombe sous le sens que lorsque l’Administrateur d’un plan de garantie (ou le tribunal d’arbitrage) ordonne le remboursement d’acomptes, il s’ensuit juridiquement que le contrat est résolu. Il s’agit, à notre avis, de la seule conclusion logique. L’un est donc indissociable de l’autre. »
Décision concernant la juridiction
[16] Ce sont les articles 35, 106 et suivants du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs qui donnent compétence au Tribunal d’arbitrage afin que lui soit soumis le différend entre le bénéficiaire et l’Entrepreneur, lorsque l’un d’eux est insatisfait de la décision rendue par l’Administrateur ;
[17] Dans la présente affaire, l’Administrateur a rendu une décision, en application de l’article 26 du Règlement qui se lit comme suit :
« La garantie d’un plan dans le cas de manquement de l’Entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles avant la réception de la partie privative ou des parties communes doit couvrir :
1o dans le cas d’un contrat de vente.
a) Soit les acomptes versés par le bénéficiaire ;
b) Soit le parachèvement des travaux si le bénéficiaire est détenteur des titres de propriété, à la condition qu’il n’y ait pas d’enrichissement injustifié de ce dernier ;
2o dans le cas d’un contrat d’entreprise
a) Soit les acomptes versés par le bénéficiaire à la condition qu’il n’y ait pas d’enrichissement injustifié de ce dernier ;
b) Soit le parachèvement des travaux à la condition qu’il n’y ait pas d’enrichissement injustifié de ce dernier ;
3o le relogement, le déménagement et l’entreposage des biens du bénéficiaire dans les cas suivants :
a) Le bénéficiaire ne peut prendre réception du bâtiment à la date convenue avec l’Entrepreneur à moins que les acomptes ne soient remboursés ;
b) Il ne peut prendre réception du bâtiment à la date convenue avec l’Entrepreneur afin de permettre à l’Administrateur de parachever le bâtiment. »
[18] Au moment de ses plaidoiries sur le fond du litige, la procureure des Bénéficiaires a demandé au tribunal d’arbitrage de prononcer explicitement l’annulation du contrat préliminaire A-3 dans le cadre de la décision arbitrale ;
[19] Or le Tribunal d’arbitrage n’a pas à se prononcer sur la question de l’annulation du contrat préliminaire A-3, afin de trancher le différend dont il est saisi.
[20] Le Tribunal d’arbitrage partage l’avis de l’arbitre Me Jean-Philippe Ewart dans l’affaire Desrochers c Sotramont Québec Inc.[1] lorsqu’il écrit :
«[179] Le Tribunal est plutôt d’avis que l’Administrateur se doit de statuer sur la réclamation de remboursement d’acompte dans le cadre de son mandat sous le Règlement où il agit sous une fonction juridictionnelle, organisme administratif statuaire qui en certaines circonstances accomplit des actes quasi-judiciaires, non pas en tentant de déterminer comme objet principal s’il y a nullité, résolution ou résiliation de contrat mais, tel que le spécifie le Règlement, en déterminant si les faits permettent de conclure à un « …cas de manquement de l’Entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles avant le (sic) réception du bâtiment.. dans le cas d’un contrat de vente … [ou] dans le cas d’un contrat d’entreprise… » et dans chaque cas de pourvoir à la détermination des éléments mixtes de fait et de droit permettant le choix d’application de la disposition appropriée de l’article 9 du Règlement ; »
[21] Le pouvoir conféré par le Règlement à l’Administrateur, et à l’arbitre, se limite à la question de l’acompte versé, soit à l’accessoire et non pas au principal ; adjuger sur l’accessoire n’implique pas les conséquences que plaide le procureur de l’Administrateur, sur le principal ;
[22] Ainsi, ce Tribunal d’arbitrage a pleinement compétence pour statuer sur le sort de l’acompte versé, en application de l’article 26, tout comme l’avait l’Administrateur ;
[23] Toutefois, le libellé de l’article 26 du Règlement n’octroie aucun pouvoir au Tribunal d’arbitrage (ou à l’Administrateur) pour adjudiquer sur la résolution ou l’annulation du contrat préliminaire ; si le législateur avait voulu octroyer un tel pouvoir à l’Administrateur ou à l’arbitre, concernant des contrats dont la valeur économique se chiffre généralement en centaines de milliers de dollars, alors il l’aurait indiqué de façon explicite ;
[24] Rien ne permet d’inférer un tel pouvoir juridictionnel à l’intérieur des articles 9 et 26 du Règlement ;
[25] En conséquence, ce Tribunal d’arbitrage déclare avoir la compétence juridictionnelle pour rendre une décision arbitrale sur la demande de l’Entrepreneur, et la demande de rejet d’arbitrage, ainsi que la demande en suspension de l’instance arbitrale sont rejetées ;
[26] La demande en déclaration de nullité du contrat préliminaire A-3, faite par les Bénéficiaires est quant à elle rejetée ;
DÉCISION SUR LE FOND
[27] À l’enquête, les parties ont fait l’admission que la demande des Bénéficiaires adressée à l’Administrateur a été faite avant la réception de la partie privative concernée par la présente demande ;
[28] En application de l’article 26 du Règlement, il faut donc déterminer s’il y a eu manquement de l’Entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles, envers les Bénéficiaires ;
[29] Quant aux obligations contractuelles de l’Entrepreneur, elles se retrouvent dans le contrat préliminaire A-3 ; l’article 1 concerne l’une des obligations du vendeur, se lit comme suit :
« 1. Le vendeur s’engage à vendre avec la garantie légale et à fournir un titre valable sur l’immeuble, libre de toute charge, à l’exception de toute hypothèque mentionnée ci-dessus et assumée par le promettant-acheteur, des servitudes d’utilités publiques et des servitudes de régularisation des ouvertures et vues de l’immeuble sur les propriétés voisines et vice-versa, s’il y a lieu, ainsi que des servitudes suivantes » [nos soulignements] ;
[30] En ce qui concerne les obligations légales qui incombent au vendeur, il convient de rappeler les obligations suivantes issues du Code civil du Québec :
« Art. 1716 le vendeur est tenu de délivrer le bien, et d’en garantir le droit de propriété et la qualité.
Ces garanties existent de plein droit, sans qu’il soit nécessaire de les stipuler dans le contrat de vente. »
« Art. 1561 le créancier ne peut être contraint de recevoir autre chose que ce qui lui est dû, quoique ce qui est offert soit d’une plus grande valeur. »
[31] L’Entrepreneur a-t-il manqué à ses obligations légales ou contractuelles ? ;
RAPPEL DES FAITS
[32] La preuve instruite à l’enquête et audition révèle ce qui suit :
[33] Aux termes du contrat préliminaire A-3, la livraison de l’unité de condominium était prévue pour le 15 novembre 2016 ;
[34] Dans le cadre de discussions entre l’Entrepreneur et les Bénéficiaires, cette date a été repoussée jusqu’en décembre 2016, dans le but de permettre aux Bénéficiaires de vendre leur résidence au préalable ;
[35] Le 28 novembre 2016, le représentant de l’Entrepreneur a communiqué avec les Bénéficiaires afin qu’une date pour signer l’acte de vente notarié soit convenue ;
[36] À l’occasion de cet appel téléphonique, les Bénéficiaires ont demandé de faire une visite de leur condominium, pour vérifier notamment si certaines modifications et certains ajouts demandés à l’Entrepreneur durant l’été avaient été réalisés dans le condominium ;
[37] Devant l’absence d’une réponse claire de la part du représentant de l’Entrepreneur, les Bénéficiaires se sont immédiatement rendus au bureau des ventes de l’Entrepreneur, situé à proximité du condominium objet du litige ;
[38] À l’occasion de cette rencontre entre les Bénéficiaires et Monsieur Jacques Dubuc, représentant de l’Entrepreneur, ce dernier les a informés qu’une petite fuite d’eau avait été découverte dans la salle de bain de leur condominium, ajoutant qu’elle avait été réparée ; ce faisant, Monsieur Dubuc a remis les clés du condominium aux Bénéficiaires pour qu’ils puissent en faire la visite ;
[39] Durant la visite de leur condominium, le 28 novembre 2016, les Bénéficiaires ont réalisé que les travaux avaient causé certains dommages à l’unité de condominium, et ils ont pris des photographies qui ont été déposées sous la cote B-3 ;
[40] Désirant connaître la nature précise et l’ampleur du sinistre survenu à l’intérieur du condominium, les bénéficiaires ont mandaté un procureur qui a adressé une lettre à l’Entrepreneur le 1er décembre 2016. La lettre demandait à l’Entrepreneur de fournir « plus de détails et précisions quant à la nature, la portée et l’étendue des dommages. » ;
[41] De plus le procureur demandait à l’Entrepreneur des renseignements sur l’identité de l’entreprise ayant procédé aux travaux de réfection des lieux, ainsi que tous renseignements concernant des travaux de décontamination « pour éviter la présence de moisissures ou champignons susceptibles de nuire à leur santé ». (Pièces A-4, R-3) ;
[42] Le 7 décembre 2016, le représentant de l’Entrepreneur adresse un courriel (voir également pièces A-4, R-4) dans lequel il indique :
« J’ai bien reçu votre lettre hier. Nous avons demandé à la compagnie ORAM de nous transmettre l’information concernant le dégât d’eau, puisqu’ils en sont responsables et qu’ils ont dirigé les corrections. Dès que nous aurons les informations, il nous fera plaisir de vous les communiquer. »
[43] Il est assez particulier que suivant le courriel de l’Entrepreneur, celui-ci ne semble pas de prime abord informé de l’étendue des dégâts ainsi que des travaux exécutés pour leur réfection ;
[44] Dans une lettre datée du 9 décembre 2016 (pièces A-4, R-5), la société ORAM adresse une réponse à l’Entrepreneur, laquelle est accompagnée de photographies des traces et des moisissures laissées dans le condominium par la fuite d’eau ;
[45] Il convient de reproduire le contenu de cette lettre :
« À qui de droit
Voici un bref résumé de l’incident concernant le condo CC22-204 du [...], Blainville, condo [...]
Nous avons installé une toilette au condo CC22-204 le 17 juin 2016, la toilette a été testée après l’installation et par la suite nous avons fermé l’Eau du condo (comme requis par nos procédures internes) et à ce moment aucune coulisse d’eau n’était apparente.
Un appel de service a été soumis par Lucien Ouellette surintendant de Platinum, au début d’octobre 2016 pour une coulisse sur notre toilette. Nous nous sommes déplacés afin de constater l’ampleur des dommages puisque la toilette avait coulé (goute à goute) durant plusieurs mois. Dès le lendemain, nous avons commencé à retirer les biens abimés par l’eau. C’est-à-dire le plancher de bois du corridor en sortant de la salle de bain jusqu’à l’ilot de la cuisine et également en face de l’ilot jusqu’au mur extérieur du condo, le tout pour une superficie approximative de 180 pieds carrés. Nous avons également complètement enlevé la vanité de la salle de bain ainsi que le gypse du mur à l’arrière de la toilette. Nous avons fait assécher les dessous des planchers à l’aide de déshumidificateurs et procéder à l’application de produits anti moisissures dans la salle de bain pour éviter la propagation. Par la suite nous avons fait appel à un sous-traitant qualifié pour la réinstallation des planchers et Platinum a pris en charge la réinstallation du gypse, les plinthes ainsi que de la peinture. Nous avons finalisé en réinstallant la toilette ainsi que le lavabo de la salle de bain. Nous avons toutes les factures à l’appui.
Espérant le tout conforme à vos attentes
Merci
Steve Turner
Répartiteur et chargé de projet rés. »
[46] Mis à part cette lettre, aucune autre information ou détail ne sera fourni aux Bénéficiaires ou à l’Administrateur ultérieurement par l’Entrepreneur, concernant la nature et le détail des travaux effectués dans le condominium suite à la fuite d’eau ;
[47] La preuve démontre qu’un courriel adressé par l’Entrepreneur au procureur des Bénéficiaires a permis à ces derniers de prendre connaissance du contenu de la lettre de la société ORAM ;
[48] Le 19 décembre 2016, le procureur des Bénéficiaires a informé par écrit l’Entrepreneur que les Bénéficiaires désiraient résilier le contrat préliminaire, et qu’ils demandaient le remboursement de l’acompte de 10 000,00 $ versé (pièces A-4, R-6) ;
[49] À cela l’Entrepreneur répond, par la plume de son procureur le 12 janvier 2017, à l’effet qu’il juge les raisons invoquées par les Bénéficiaires injustifiées, ajoutant qu’il insiste à ce que la transaction ait lieu (pièces A-4, R-7) ;
[50] Le 23 février 2017, l’Administrateur reçoit la réclamation des Bénéficiaires pour l’application de la garantie ; cette lettre est annexée comme ANNEXE A à la décision de l’Administrateur (pièce A-9) ;
DISCUSSION
[51] La décision rendue par l’Administrateur le 19 avril 2017 résume adéquatement les motifs pour lesquels les bénéficiaires ont présenté leur demande de remboursement d’acompte en vertu de la garantie, et tel qu’exprimé lors de leurs témoignages à l’enquête et audition ;
[52] En effet les photographies annexées à la lettre de la société ORAM du 9 décembre 2017 démontrent clairement les conséquences de la fuite d’eau, notamment la présence évidente de moisissure dans la salle de bain du condominium au début d’octobre 2016 ;
[53] Or lors de leur visite du 28 novembre 2016, les Bénéficiaires n’avaient constaté aucune trace de moisissures, puisque les travaux de ORAM étaient complétés ;
[54] Que s’est-il passé exactement entre-temps ? ;
[55] L’Entrepreneur qui désirait procéder à la signature de l’acte de vente en novembre 2016 était-il toujours en mesure de respecter ses obligations légales et contractuelles envers les Bénéficiaires ? ;
[56] Dans un jugement rendu en novembre 2013, la Cour Supérieure[2], sous la plume de l’Honorable Robert Castiglio, a rendu une décision dans une affaire où la trame factuelle avait de nombreux points communs avec le présent dossier ;
[57] Le juge devait trancher un litige en vices cachés où les acheteurs d’un duplex avaient été informé préalablement à la transaction, que d’importants travaux visant à corriger un problème d’infiltration d’eau et de moisissures avaient été réalisé par les vendeurs ;
[58] Or la contamination fongique ayant fait l’objet d’une réfection préalablement à la transaction était réapparue quelques années après la transaction, d’où le recours en vices cachés des acheteurs contre les vendeurs ;
[59] Le juge Castiglio écrit :
« [99] Bien que le Tribunal ne doute aucunement de la bonne foi de Lemay, qui s’est fiée à une firme recommandée par ses assureurs, il demeure que celle-ci n’a pas livré aux acheteurs l’immeuble convenu.
[100] Malgré un investissement de plus de 35 000 $ en juin et juillet 2008 afin de corriger les déficiences de l’immeuble, la situation n’a pas été corrigée adéquatement.
[101] En premier lieu, des analyses auraient dû être complétées à l’époque afin d’identifier correctement le type de contamination affectant l’immeuble. Ces analyses n’ont pas été faites.
(…)
[105] Confrontée à la présence de ce champignon particulièrement dommageable, la codéfenderesse se devait d’appliquer un protocole de décontamination précis et rigoureux.
[106] Rien de tel n’a été fait.
(…)
[118] Lorsque ces travaux ne sont pas correctement effectués, la contamination peut demeurer latente pendant un certain temps et réapparaitre par la suite. Ce fut le cas en l’espèce.
(…)
[125] Dans Labrie c Vanasse, la Cour d’appel retient la responsabilité du vendeur qui avait faussement représenté à l’acheteur que la maison était pourvue d’une fosse septique, d’un champ d’épuration et d’un puisard collecteur d’eaux.
[126] Notant que tel n’était pas le cas, la Cour conclut :
« [8] À proprement parler, il ne s’agit pas d’une situation de vices cachés, mais bien d’un manquement du vendeur à l’obligation de délivrance qui lui impose les articles 1561 et 1716 du Code civil du Québec. Cette obligation comprend celle de délivrer un bien rigoureusement conforme à celui qui a été convenu. »
(…)
[128] De même, dans Ronis c Pavillet, la Cour d’appel retient la responsabilité du vendeur qui avait faussement représenté aux acheteurs que l’immeuble avait été décontaminé :
« [37] La juge a également déterminé que l’appelante, par les agents immobiliers qui la représentaient, a donné aux intimés la garantie que l’immeuble qui leur était vendu était complètement décontaminé. Comme la preuve a établi clairement que tel n’était pas le cas, l’appelante est redevable envers les intimés des dommages que leur a causés la persistance de la contamination. »
(Soulignement du Tribunal) »
[60] Rappelons d’abord quelques éléments clés émanent du résumé des travaux produits par la société ORAM le 9 décembre 2016 :
Ø Les représentants de la société ORAM ont procédé eux-mêmes aux constats de l’ampleur des dommages ;
Ø La toilette du condominium avait coulé (goute à goute) durant plusieurs mois ;
Ø Au lendemain du constat de la fuite, ORAM a commencé à retirer les matériaux abîmés par l’eau ;
Ø Plus de 180 pieds carrés de plancher de bois a été retiré ;
Ø Apparemment, aucun spécialiste de décontamination n’a été impliqué à quelque étape que ce soit des travaux réalisés par la société ORAM. (Ce constat est confirmé par le témoignage de Lucien Ouellette, le représentant de l’Entrepreneur chargé de la surveillance des travaux de réfection exécutés par ORAM) ;
[61] L’Entrepreneur et les Bénéficiaires ont eu recours chacun au témoignage d’un expert à l’audition ;
[62] Le chimiste Patrick Champagne dont le rapport a été déposé sous la cote E-4 a témoigné à la demande de l’Entrepreneur ;
[63] Monsieur Champagne confirme que son rapport d’expertise contient essentiellement le résultat d’une analyse d’air réalisée dans le condominium dont il est question ;
[64] Les conclusions de son rapport mentionnent notamment que l’air intérieur du condominium présente un profil fongique normal, « sans considération de l’état des matériaux » (page 10 du rapport) ;
[65] Lors du contre-interrogatoire, monsieur Champagne a expliqué sommairement les tenant et aboutissant du Protocole de New York, auxquels l’Administrateur fait référence dans sa décision ;
[66] Le Tribunal d’arbitrage souligne qu’aucune des parties n’a jugé pertinent de déposer en preuve des extraits du Protocole de New York, de sorte que le Tribunal d’arbitrage s’en remettra aux interprétations que les experts en ont fait à l’enquête et audition ;
[67] L’expert Champagne a témoigné à l’effet qu’en matière de décontamination, peu importe si la contamination résulte d’une infiltration d’eau, les règles de l’art militent en faveur de l’application de ce protocole ;
[68] Monsieur Champagne explique que l’application du Protocole de New York fait en sorte qu’une entreprise spécialisée en décontamination est impliquée dès le début du processus de décontamination, pour déterminer et les étapes à suivre ; l’entreprise spécialisée interviendra également dans le cadre d’un contrôle après l’enlèvement des biens contaminés, et avant l’installation des matériaux de remplacement ;
[69] Les Bénéficiaires ont quant à eux déposé le rapport d’expertise de la chimiste Lucie Marcotte, sous la cote B-1, et celle-ci a témoigné à l’enquête et audition ;
[70] Madame Marcotte rappelle d’abord qu’à la lumière de la lettre de la société ORAM, la fuite d’eau à l’origine des dommages dans le condominium a persisté pendant plusieurs mois ; il s’agit là d’un élément déterminant puisque toute fuite d’eau où des matériaux de construction demeurent humides pendant plus de 72 heures commande à l’application de protocoles de décontamination, dont le Protocole de New York ;
[71] La durée de la fuite d’eau qui touche les matériaux de construction est donc déterminante, et commandait dans le présent cas l’application du Protocole de New York ; qui plus est, la superficie touchée par la fuite d’eau, qui a conduit la société ORAM à retirer plus de 180 pieds carrés de plancher de bois, augmentait le niveau de gravité de la contamination, suivant le protocole ;
[72] Madame Marcotte précise que la situation signifiait également l’application d’un protocole pour le traitement des matériaux atteints et que de façon évidente l’application d’un fongicide seul, tel que précisé par la société ORAM, était insuffisante pour répondre aux règles de l’art applicables à de tels travaux de décontamination ;
[73] Le Tribunal d’arbitrage retient également que le test de qualité de l’air exécuté par la firme d’expertise de Patrick Champagne était pertinent pour évaluer le résultat du travail de décontamination, mais il est assurément à lui seul insuffisant, pour répondre aux règles de l’art et assurer la qualité des travaux de décontamination ;
DÉCISION
[74] Le Tribunal d’arbitrage conclu donc que l’Entrepreneur a bel et bien manqué à ses obligations légales de délivrance d’un bien conforme à celui qui avait été convenu aux termes du contrat préliminaire A-3 ;
[75] L’Entrepreneur se devait d’appliquer un Protocole de décontamination, et il ne l’a pas fait, ni ne l’a-t-il offert par la suite aux Bénéficiaires, dans le cadre d’une reprise des travaux ; il se devait de livrer aux Bénéficiaires un condominium conforme à ce qui a été convenu, soit un condominium dans une condition neuve, et il ne l’a pas fait ;
[76] Par ailleurs le Tribunal distingue la présente affaire de la décision Robitaille & al -c- Le Groupe Platinum Construction 2001 Inc.[3], du 2 septembre 2016, où l’arbitre Me Pierre Boulanger écrivait :
« [29] Dans l’ensemble, les problèmes dont se sont plaints les bénéficiaires n’apparaissent pas suffisamment grave pour justifier l’annulation de la vente et la remise en état des parties. L’Entrepreneur s’est montré disposé à effectuer des corrections et plusieurs ont été faites, notamment le garde-corps de la terrasse.
[30] Il ressort plutôt de la preuve entendue que l’enthousiasme des bénéficiaires pour cette propriété s’est évaporé après la fonte des neiges, possiblement en considération de difficultés qu’ils n’avaient pas prévues pour l’installation de la piscine extérieure creusée qu’ils souhaitaient. En ce sens, les problèmes invoqués pour quitter les lieux relèvent davantage de prétextes que de manquements de l’entrepreneur. On ne peut pas conclure, dans les circonstances, qu’il y a eu un « manquement » de l’entrepreneur avant la « réception ». »
(Page 6 de la décision)
[77] Dans la présente affaire, la preuve ne révèle aucune intention de la part de l’Entrepreneur de procéder à quelques travaux additionnels, de façon à remplir ses obligations ;
[78] Loin d’être aux prises avec les caprices de Bénéficiaires difficiles à satisfaire, l’Entrepreneur se trouve à faire face à son propre défaut de respecter ses obligations légales envers les Bénéficiaires[4] ;
[79] En ce qui concerne les frais d’experts, les Bénéficiaires ont déposé deux factures de la société Benjel, relativement aux services rendus par Madame Lucie Marcotte, soit :
Ø Facture du 25 juillet 2017 au montant de 542,68 $ (faisant partie de la pièce B-3) ;
Ø Facture du 18 septembre 2017 au montant de 1 195,74 $ (faisant partie de la pièce B-6) ;
[80] Le total des frais d’experts des Bénéficiaires s’élève donc à 1 738,42$, que le Tribunal d’arbitrage juge raisonnable vu l’importance du témoignage d’expert livré par Madame Marcotte à l’enquête et audition ;
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
MAINTIEN juridiction pour rendre une décision arbitrale sur la demande de l’Entrepreneur ;
REJETE la demande de l’Entrepreneur quant à l’absence de juridiction du Tribunal d’arbitrage, ainsi que la demande de suspension de l’instance arbitrale ;
REJETE la demande en déclaration de nullité du contrat préliminaire A-3, faite par les Bénéficiaires ;
MAINTIEN la décision de l’Administrateur Normand Pitre, du 19 avril 2017 dans le dossier numéro 107592-457 ;
ORDONNE à l’Entrepreneur de rembourser l’acompte de dix mille dollars (10 000,00 $) versés et ce, dans les trente (30) jours de la réception de la présente décision ;
CONDAMNE l’Entrepreneur et l’Administrateur à rembourser aux Bénéficiaires la somme de 1 738,42 $ en frais d’experts, en parts égales entre eux, vu l’article 124 du Règlement sur les bâtiments résidentiels neufs et ce, dans les trente (30) jours de la réception de la présente décision, avec des intérêts au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, après ce délai de grâce de trente (30) jours ;
RÉSERVE les recours de l’Entrepreneur et des Bénéficiaires devant les Tribunaux de juridiction civile, s’il y a lieu ;
LE TOUT, avec les frais de l’arbitrage à la charge de l’Entrepreneur et de l’Administrateur, en parts égales, vu l’article 123 sur le Règlement sur les bâtiments résidentiels neufs, avec des intérêts au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter de la date de la facture émise par l’organisme d’arbitrage, après un délai de grâce de 30 jours ;
RÉSERVE à l’administrateur ses droits à être indemnisé par l’Entrepreneur, pour tous travaux, toute (s) action (s) et toute somme versée incluant les coûts exigibles pour l’arbitrage (par. 19 de l’annexe II du Règlement) en ses lieux et place, et ce, conformément à la convention d’adhésion prévue à l’article 78 du Règlement sur les bâtiments résidentiels neufs.
Mirabel, le 28 septembre 2017
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Christian Villemure Arb.
Arbitre / CCAC
Décisions consultées et non mentionnées :
Wilhem Ahlfors c Crevier & al, 2016 QCCS 2803 ;
Marichal & al c Coulson, 2016 QCCS 4369 ;
Le Blanc & al c Pigeon & al, 2010 QCCS 4401 ;
Garantie Habitation du Québec Inc. c Masson, 2016 QCCS 5593 ;
9187-0725 Québec Inc. c Cunningham, 2016, S15-031301-NP ;
Godin c Constructions Nomade Faubourg Boisbriand, 2011, 2011-11-006 ;
Pouliot c Groupe CFR Inc., 2009, 2009-10-003 ;
Arsenault c 9158-0001 Québec Inc., 2008, S08-200501-NP ;
Guilbault c 9120-4867 Québec Inc. 2008, 2008-09-004 ;
Lalande c 9149-1126 Québec Inc., 2006, 060611001 ;
Thouin c Les Habitations Iso-Confort Inc., 2006, 051223001 ;
Galibois c Gignac construction Inc., 2000, 00-0204 ;