ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
(Décret 841-98 du 17 juin 1998)
Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment : CCAC
ENTRE : CHANTAL MARTIN & SÉBASTIEN CÔTÉ ;
(ci-après les « Bénéficiaires »)
ET : CONSTRUCTION FASMA 2011 Inc.;
(ci-après l’« Entrepreneur »)
ET : GARANTIE QUALITÉ HABITATION ;
(ci-après l’« Administrateur »)
Dossier CCAC : S17-100602-NP
Décision
Arbitre : Michel A. Jeanniot, CIArb
Pour les Bénéficiaires : Madame Chantal Martin
Monsieur Sébastien Côté
Pour l’Entrepreneur : Madame Suzie Poirier
Pour l’Administrateur : Me François-Olivier Godin
Date de l’audition : 22 mai 2018
Palais de justice de Granby
Date de la Décision : 5 juin 2018
Identification complète des parties
Bénéficiaires : Madame Chantal Martin
Monsieur Sébastien Côté
[...]
Granby (Québec) [...]
Entrepreneur : Construction Fasma 2011 Inc.
1780, du Charretier
Chambly (Québec) J3L 0G5
Administrateur : Garantie Qualité Habitation
9200, boul. Métropolitain Est
Montréal (Québec) H1K 4L2
Et leur procureur :
Me François-Olivier Godin
Bélanger Paradis
9200, boul. Métropolitain Est
Montréal (Québec) H1K 4L2
L’arbitre a reçu son mandat de CCAC le 10 novembre 2017.
Valeur en litige
Classes III et IV, valeur de 15 000 $ à 60 000 $.
Extraits pertinents du Plumitif
2017.10.06 Réception de la demande d’arbitrage par le greffe du CCAC
2017.11.10 Notification d’arbitrage transmise aux parties et nomination de l’arbitre
2018.01.30 Réception du cahier de pièces de l’Administrateur et comparution de Me François-Olivier Godin pour l’Administrateur
2018.01.30 LT aux parties : disponibilités pour fixer appel conférence/conférence de gestion
2018.02.07 LT aux parties : confirmation date et heure de l’appel conférence/conférence de gestion
2018.03.13 Appel conférence/conférence de gestion et transmission subséquente du procès-verbal aux parties
2018.04.26 LT des Bénéficiaires : rectification d’un fait en lien avec un point de la décision de l’Administrateur
2018.05.01 LT du procureur de l’Administrateur : l’Administrateur ne se prévaudra pas de son droit à une contre-expertise
2018.05.17 Réception d’un cahier de pièces supplémentaires par l’Administrateur
2018.05.17 LT aux parties : confirmation lieu, heure et salle de l’audience
2018.05.22 Audience en salle G2.52 du palais de justice de Granby
2018.06.05 Décision
Décision
Mise en contexte
[1] Avant d’amorcer l’analyse pour disposer du litige, il y a lieu de rappeler que le présent arbitrage se tient en vertu du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs B-1.1, r.8 (ci-après le « Règlement »). Bien que le tribunal puisse interpréter certaines dispositions d’autres Lois dans l’application de son mandat, c’est en vertu du Règlement qu’il doit déterminer les droits et obligations de chacun. Sa décision doit prendre sa source dans la règle de droit et s’appuyer sur la preuve soumise par les parties et au surplus, les tribunaux ont établi le caractère d’ordre public du Règlement. À cet effet, le tribunal réfère notamment aux propos de l’Honorable Pierrette Rayle qui s’exprimait pour la Cour d’appel du Québec sur cette question :
« Le Règlement est d’ordre public. Il pose les conditions applicables aux personnes morales qui aspirent à administrer un plan de garantie. Il fixe les modalités et les limites du plan de garantie ainsi que, pour ses dispositions essentielles, le contenu du contrat de garantie qui souscrit par les bénéficiaires de la garantie ».
[2] Il convient de rappeler que les parties sont liées par un contrat de garantie dont les termes sont dictés par la Loi et le Règlement. À cet égard, il y a lieu de citer les dispositions pertinentes du Règlement :
7. Un plan de garantie doit garantir l’exécution des obligations légales et contractuelles d’un entrepreneur dans la mesure et de la manière prévues par la présente section.
[…]
10. La garantie d’un plan dans le cas de manquement de l’entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception du bâtiment doit couvrir :
1. […]
2. […]
3. […]
4. la réparation des vices cachés au sens de l’article 1726 ou de l’article 2103 du Code civil qui sont découverts dans les 3 ans suivant la réception du bâtiment et dénoncés, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte des vices cachés au sens de l’article 1739 du Code civil ;
5. la réparation des vices de conception, de construction ou de réalisation et des vices du sol, au sens de l’article 2118 du Code civil qui apparaissent dans les 5 ans suivant la fin des travaux et dénoncés, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte ou survenance du vice ou, en cas de vices ou de pertes graduelles, de leur première manifestation.
[3] Ainsi, la garantie trouvera application si l’Entrepreneur est en défaut de respecter ses obligations légales ou contractuelles, plus précisément si l’exécution des travaux est affectée de vices ou de malfaçons. Pour bien cerner ces notions, je me réfère aux définitions fournies, à titre de guide, par la Régie du bâtiment du Québec. Cet organisme est chargé, en vertu de la Loi sur le bâtiment de l’application du Règlement :
[3,1] Règles de l’art : Ensemble des techniques et pratiques de construction reconnues, approuvées ou sanctionnées. Ces règles ont un caractère évolutif, car les méthodes de construction, les équipements et les matériaux disponibles évoluent constamment. Elles trouvent notamment leurs sources dans les documents suivants :
[3.1.1] les instructions ou guides fournis par les fabricants d’équipements ou de matériaux entrant dans la construction des immeubles ;
[3.1.2] les normes ou standards publiés par les organismes de normalisation ;
[3.1.3] les lois ou règlements contenant des prescriptions obligatoires relativement à l’ouvrage à construire ;
[3.1.4] les publications scientifiques ou techniques utilisées à des fins d’enseignement des professions ou des métiers, ou servant à la diffusion du savoir le plus récent.
[3,2] Vices ou malfaçons : Travail mal fait ou mal exécuté compte tenu des normes qui lui sont applicables. Ces normes se trouvent dans les conditions contractuelles et les règles de l’art (voir ci-dessus la notion de « Règles de l’art »). Ces défauts d’exécution se distinguent des vices cachés ou des vices de conception, de construction ou de réalisation par leur degré de gravité : il s’agit de défauts mineurs.
[3,3] Vices cachés : Un vice caché est un défaut d’une chose tel qu’il la rend impropre à l’usage auquel elle est destinée, ou qui diminue tellement cet usage que l’acquéreur ne l’aurait pas achetée ou l’aurait achetée à moindre prix s’il en avait eu connaissance.
[3,4] Vices de construction : Désordre ou malfaçon portant sur la qualité technique du bien ou d’un élément d’équipement faisant indissociablement corps avec lui qui rendent le bien ou lesdits équipements impropres à leur destination normale ou affectent la solidité de l’ouvrage.
[4] Il ressort de l’ensemble de ces dispositions :
« Le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, mis en vigueur en vertu de la Loi sur le bâtiment, a été institué par le gouvernement du Québec afin de protéger les acheteurs et d’améliorer la qualité des constructions neuves ».
Le Procureur général du Québec s’exprimait ainsi alors qu’il intervenait dans un débat concernant une sentence arbitrale rendue en vertu du Plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs où il avait été appelé :
« Les dispositions à caractère social de ce règlement visent principalement à remédier au déséquilibre existant entre le consommateur et les entrepreneurs lors de mésententes dans leurs relations contractuelles. En empruntant un fonctionnement moins formaliste, moins onéreux et mieux spécialisé, le système d’arbitrage vient s’insérer dans une politique législative globale visant l’établissement d’un régime complet de protection du public dans le domaine de la construction résidentielle. »
[5] C’est donc dans le cadre d’une relation fortement réglementée, dont le contenu est dicté par un règlement d’ordre public, que le présent tribunal est appelé à analyser le différend des parties à l’arbitrage.
Questions en litige et mise en contexte
[6] Les seuls points à trancher qui subsistent concernent, en tout ou en partie, les points 21 et 23 de la décision du conciliateur à savoir les joints de mortier craqués et le détachement (qui n’a pas été considéré par l’Administrateur comme étant couvert par la garantie prévue au Règlement). Ces points sont :
[6,1] « Point 21 : Maçonnerie : mortier
Ø Effritement, manque et craquement du mortier par endroit.
Ø Pierres complètement décollées.
Ø Effritement du mortier sous les fenêtres.
Ø Toit garage : manque de mortier, on voit la membrane rouge qui ressort.
Ø Lavage de la brique à faire. »
[6,2] « Point 23 : Revêtement extérieur : Maibec
Ø Mât électrique qui penche vers la rue (Maibec craqué).
Ø Il n’y a pas de ventilation au joint entre Maibec et crépis derrière le garage (garantie Maibec non valide dans ces conditions).
Ø Pas de moustiquaire au bas des murs de Maibec (comme requis dans la procédure d’installation de Maibec).
Ø Planches de Maibec soulevées. »
[7] Le Règlement énonce et encadre les obligations respectives de l’Entrepreneur et de l’Administrateur envers les Bénéficiaires. L’Administrateur assume à l’égard des Bénéficiaires les obligations légales ou contractuelles de l’Entrepreneur si celui-ci n’y satisfait pas, et ce, à l’intérieur des limites prévues au Règlement.
[8] Dans le présent dossier, la réclamation des Bénéficiaires a été transmise à l’Administrateur plus de trois (3) ans après la réception du bâtiment. Donc, la garantie prévue à l’article 10 du Règlement est applicable.
[9] La garantie d’un plan dans le cas de manquement de l’Entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception du bâtiment doit couvrir :
(…)
5. la réparation des vices de conception, de construction ou de réalisation et des vices du sol, au sens de l’article 2118 du Code civil, qui apparaissent dans les 5 ans suivant la fin des travaux et dénoncé, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable de la découverte ou survenance du vice ou, en cas de vices ou de pertes graduelles, de leur première manifestation significative ;
(…)
[10] L’article 2118 du Code civil du Québec énonce :
2118.
À moins qu’ils ne puissent se dégager de leur responsabilité, l’entrepreneur, l’architecte et l’ingénieur qui ont, selon le cas, dirigé ou surveillé les travaux, et le sous-entrepreneur pour les travaux qu’il a exécutés, sont solidairement tenus de la perte de l’ouvrage qui survient dans les cinq ans qui suivent la fin des travaux, que la perte résulte d’un vice de conception, de construction ou de réalisation de l’ouvrage, ou, encore, d’un vice du sol.
[11] Conséquemment, le Tribunal doit décider en vertu de la garantie qui couvre la réparation des vices majeurs menant à la perte de l’ouvrage, qui apparaissent dans les cinq (5) ans suivant la fin des travaux, lorsque dénoncé par écrit à l’Entrepreneur ainsi qu’à l’Administrateur, dans un délai raisonnable de la découverte ou survenance du vice ou, en cas de pertes ou de vices graduels, de leur première manifestation.
[12] La jurisprudence autant arbitrale qu’en provenance des tribunaux étatiques établit que le vice de conception, le vice de construction et de réalisation de l’ouvrage, souvent appelé vices majeurs, sont des vices qui sont graves, qui engendrent une dégradation du bâtiment, le rendent partiellement impropre à l’usage auquel il est destiné, mettent en péril sa solidité ou sa stabilité ou causent des inconvénients tellement sérieux qu’ils provoquent des difficultés importantes dans l’utilisation du bâtiment.
[13] Relativement aux notions de solidité, de qualité, de sécurité et de danger public, les auteurs et les tribunaux ont reconnu à l’article 2118 C.c.Q. que le courant jurisprudentiel et doctrinaire à l’effet que le but de l’article 2118 C.c.Q. est d’assurer la qualité et la solidité des constructions dans un souci d’assurer la sécurité du public en général ainsi que celle de leurs propriétaires.
[14] La jurisprudence nous enseigne également que les vices de conception et de construction ou de réalisation de l’ouvrage doivent entraîner la perte du bien, que cette perte ne doit pas nécessairement être totale, mais qu’elle peut être partielle ou même potentielle. L’interprétation faite par les tribunaux de la notion de perte de l’ouvrage dans le cadre de l’article 2118 du C.c.Q. est donc large et généreuse.
[15] Il en résulte que dans son analyse, le Tribunal arbitral devra évaluer si le dommage est majeur pour lui accorder la qualification de perte. Cette perte pourra être actuelle ou même à venir et, dans les deux (2) cas, en raison de l’interprétation large faite par la jurisprudence, la solution sera la même, la Garantie s’appliquera.
[16] En conséquence, pour chacun des points portés en arbitrage, le Tribunal arbitral déterminera d’une part, s’il s’agit d’un vice de construction ou de réalisation de l’ouvrage au sens de l’article 2118 C.c.Q. et d’autre part, si ce vice de construction ou de réalisation de l’ouvrage entraine des troubles graves qui engendrent une dégradation du bâtiment, le rendent partiellement impropre à l’usage auquel il est destiné, mettent en péril sa solidité ou sa stabilité ou causent des inconvénients tellement sérieux qu’ils provoquent des difficultés dans l’utilisation du bâtiment.
[17] Le Tribunal arbitral rappelle qu’aux termes des articles 2803 et 2804 du C.c.Q., le fardeau de la preuve de l’existence d’un vice de construction ou de réalisation de l’ouvrage et de la preuve de la perte actuelle ou potentielle qu’il entraîne repose sur les épaules du demandeur qui dans l’instance sont les Bénéficiaires :
« 2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu’un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.
2804. La preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n’exige une preuve plus convaincante. »
[18] Donc, pour avoir gain de cause sur les points soumis à l’arbitrage, les Bénéficiaires doivent avoir fait la preuve par prépondérance que chacune des déficiences dénoncées à l’Administrateur constitue un vice de construction ou de réalisation de l’ouvrage et que la perte (actuelle ou potentielle) résulte dudit vice.
Grille d’analyse et jugé
[19] Les questions en litige sont tant sur la forme (déclinatoire) que sur le fond des demandes d’arbitrage.
[20] Sur la forme, l’Administrateur nous représente que le délai de connaissance entre le moment où les Bénéficiaires sont informés d’une possible problématique et la date à laquelle la problématique a été dénoncée à l’Administrateur n’a pas été respecté.
[21] L’Entrepreneur recherche à démontrer qu’un délai de plus de six (6) mois s’est écoulé entre la survenance ou la première manifestation et la dénonciation à l’Administrateur, et ceci, en contravention avec le Règlement.
[22] Cette question (paragraphe [21]), est superfétatoire si, sur le fond, considérant la preuve offerte, sur la foi des pièces et documents mis en preuve et parce qu’il m’est acquis que nous sommes en quatrième (4e) année de garantie, le soussigné ne peut qualifier la problématique de « vice de construction » (en opposition à malfaçon ou vice caché), si je maintiens la décision de l’Administrateur sur ce point.
[23] La question de fond donc réside dans la définition de « vice de construction » et, plus particulièrement si les constats (points 21 et 23 au paragraphe [6] infra) constitue un tel vice.
La notion de vice de construction (au sens du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs)
[24] Nous savons que le vice caché relève de la garantie de qualité du vendeur (article 1726 C.c.Q.) alors que le vice de construction et/ou de conception où, à satiété, on utilise le sobriquet de « vice majeur » vise en conformité de l’article 2118 C.c.Q. la responsabilité (entre autres) de l’Entrepreneur pour les travaux qu’il a exécutés ou pour la perte de l’ouvrage.
[25] La doctrine et jurisprudence suggère que pour qu’il y ait vice de construction, il doit y avoir perte partielle ou totale et que la notion de perte d’ouvrage s’évalue en fonction du résultat de l’ouvrage (son utilisation et de sa destination).
[26] L’auteur Vincent Karim nous offre copie de certains chapitres de son ouvrage. J’extrais de cet ouvrage certains passages (p. 451) :
« … il suffit qu’un danger sérieux plane sur une partie importante de celui-ci et que le vice compromette cette solidité ou rend difficile son utilisation… »
(…)
« … démontrer la présence d’un risque ou d’un danger sérieux pouvant cause la perte potentielle de l’ouvrage… »
(…)
« … la seule menace de destruction de l’immeuble, attribuable à un vice de construction constitue en soi un préjudice réel et suffisant pour engager la responsabilité du constructeur au sens de 2118 C.c.Q.… »
[27] Nous savons que la notion de « perte » doit recevoir une interprétation large et s’il y a démonstration que le défaut de construction risque de nuire à la solidité et à l’utilité du bâtiment donc, une perte potentielle.
[28] Je note que ce même auteur, au chapitre précédent, à la page 438, paragraphes 1056 et suivants, rappelle que le but de la disposition de l’article 2118 C.c.Q. (qui est d’ordre public) est, entre autres, la sécurité du propriétaire ainsi que celle du public en général.
[29] Ces commentaires de l’auteur s’inscrivent dans la mouvance de la Cour d’appel sous la plume des juges McCartey, Proulx et Delisle où cette Cour, après un survol de la jurisprudence et de la doctrine pertinente, confirme que l’article 2118 C.c.Q. vise à assurer la qualité et la solidité de l’œuvre érigée dans un souci de ne pas compromettre la sécurité tant du maître d’ouvrage que le public en général. Faisant alors leurs les propos de Thérèse Rousseau-Houle :
« … il y a donc “un autre principe à la base de la responsabilité de l’architecte et de l’entrepreneur : c’est l’ordre public qui veut que les édifices ne constituent pas un danger pour la vie de l’homme en société…”
[30] J’accepte donc le courant jurisprudentiel et doctrinaire à l’effet que le but de l’article 2118 C.c.Q. est d’assurer la qualité et la solidité des constructions dans un souci d’assurer la sécurité du public en général ainsi que celle de leurs propriétaires.
[31] Dans certaines circonstances, le Tribunal se doit d’étudier le caractère du vice soulevé afin de déterminer quelle disposition du plan trouve application s’il en est. La jurisprudence et la doctrine ont fixé des paramètres différents à certains des critères que l’on retrouve visés aux différents alinéas de l’article 27 du Règlement.
[32] Un vice de conception ou de construction peut s’intégrer à la définition de vice caché, quoique le terme «vice» ne corresponde pas à la même notion juridique ; le vice de 1726 C.c.Q. est fondé sur l’usage du bien alors que celui de 2118 C.c.Q. est évalué par rapport au risque de la perte du bien ou du risque d’un «danger pour la vie de l’homme en société». Cette perte n’a pas à être totale, elle peut être partielle, potentielle ou elle peut même être de nature à rendre l’immeuble impropre à l’usage auquel il est destiné.
[33] Je rappelle que dans cette instance, ce sont les Bénéficiaires qui sont en demande. Ce sont ces derniers qui ont le fardeau de convaincre bien que l’article 2118 C.c.Q. établit une présomption de responsabilité de l’Entrepreneur.
[34] Certes, la situation présente est problématique. Outre la question préliminaire sur le délai, la situation a été dénoncée conformément aux dispositions du plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, l’Administrateur du plan de garantie est d’opinion qu’il se doit de défavorablement considérer la demande des Bénéficiaires.
[35] Selon la preuve offerte, nous sommes en présence d’un désordre ou malfaçon portant sur la qualité technique de l’ouvrage ou d’un élément de son assemblage faisant indissociablement corps avec lui, mais qui ne rendent pas l’ouvrage impropre et n’affecte l’intégrité de l’ouvrage et/ou ne constitue pas un danger «pour la vie de l’homme en société».
[36] J’accepte d’emblée, bien qu’aucune preuve directe ne m’en fut faite que le coût ($) pour corriger vice et malfaçon est outrageux puisqu’il s’agit de rejouer l’ensemble des parements extérieurs de la bâtisse. L’ampleur financière n’est toutefois pas un facteur à considérer. Il est de connaissance notoire que ces parements peuvent être retirés sans toutefois affecter l’intégrité structurale (ou autre) de la bâtisse et bien que certes, il s’agisse de malfaçon (Maibec) et vice caché (mortier et assemblage de façade en brique) et bien qu’il est évident que si des travaux à court terme ne sont pas entrepris, cette enveloppe cosmétique non seulement se dégradera, mais pourra alors ultimement et inévitablement dégrader l’ossature. C’est donc à regret que je dois réitérer que ce sont des désordres qui portent sur la qualité technique de l’ouvrage et de leur assemblage et bien qu’indissociables au bâtiment en faisant corps avec lui, leurs défauts ne rendent pas l’ouvrage impropre, n’affectent pas l’intégrité de l’ouvrage et ne constituent pas un danger «pour la vie des hommes en société».
[37] Pour cette raison, je ne peux donner droit à la demande d’arbitrage des Bénéficiaires et je me dois de maintenir la décision de l’Administrateur.
[38] Nous savons que l’arbitre désigné est autorisé par la Régie du bâtiment à trancher tout différend découlant des plans de garantie. Ceci inclut toute(s) question(s) de fait(s), de droit et de procédure(s). Par contre, la réclamation doit prendre source et/ou souche dans le Règlement.
[39] Suivant mon appréciation des faits et ma compréhension de la Loi et de la jurisprudence connue ainsi qu’en dépit qu’il s’agisse de malfaçon ou à la rigueur de vice caché et qu’il s’agisse, sans contredit, d’un manquement de l’Entrepreneur à ses obligations contractuelles, je ne peux faire droit à leur (les Bénéficiaires) demande.
[40] Pour l’ensemble des motifs ci-haut repris, je me dois d’accepter et de maintenir la décision de l’Administrateur et je me dois de rejeter la demande des Bénéficiaires, le tout sans préjudice et sous toute réserve du droit qui est leur (les Bénéficiaires) de porter devant les tribunaux civils leurs prétentions ainsi que leur droit de rechercher des correctifs et des compensations qu’ils réclament, sujets bien entendu aux règles de droit commun et à la prescription civile.
[41] En vertu de l’article 123 sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs et puisque les Bénéficiaires n’ont obtenu gain de cause sur aucun des aspects de leur réclamation, l’arbitre départage les frais en utilisant, cette fois-ci, à bon escient l’article 116 du Règlement et condamne les Bénéficiaires à payer la somme de 25,00 $ et le reliquat à l’Administrateur.
DÉCISION
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
REJETTE la demande d’arbitrage des Bénéficiaires.
MAINTIENT la décision de l’Administrateur.
LE TOUT, avec les frais de l’arbitrage à être départagé entre les Bénéficiaires pour la somme de 25,00 $ et le reliquat à Garantie Qualité Habitation et conformément au Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, avec les intérêts au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la date de la facture émise par l’organisme d’arbitrage, après un délai de grâce de 30 jours.
RÉSERVE à Garantie Qualité Habitation (l’Administrateur) ses droits à être indemnisé par les Entrepreneurs, pour tous travaux, toute(s) action(s) et toute somme versée incluant les coûts exigibles pour l’arbitrage (par.19 de l’annexe II du Règlement) en ses lieux et places, et ce, conformément à la Convention d’adhésion prévue à l’article 78 du Règlement.
Montréal, le 5 juin 2018
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Michel A. Jeanniot, ClArb.