ARBITRAGE
EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE
PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
(Chapitre B-1.1, r. 8)
Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment du Québec:
CENTRE CANADIEN D’ARBITRAGE COMMERCIAL
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE TERREBONNE
No. S22-040801-NP Investissement Bonzaï Inc./
Construction Bonzaï Inc.
Entrepreneur
c.
Pascal Franche
Bénéficiaire
Et :
La Garantie Construction Résidentielle (GCR)
Administrateur
DÉCISION ARBITRALE
Arbitre : Roland-Yves Gagné
Pour l’Entrepreneur : Me Émilie Paquin
Sylvie Pilon
Pour le Bénéficiaire : Pascal Franche
Pour l’Administrateur : Me Pierre-Marc Boyer
Camille Bélanger
Date de l’audience : 8 juin 2022
Date de la décision : 20 juin 2022
Description des parties
Bénéficiaire :
Monsieur Pascal Franche
[...]
Mirabel, Qc. [...]
Entrepreneur :
Investissement Bonzaï Inc./Construction Bonzaï Inc.
11800, De l’Avenir, bureau 500
Mirabel, Qc. J7G 0Y4
a/s Me Émilie Paquin
Trivium Avocats Inc.
215-30 rue de Martigny Ouest
Saint-Jérôme, Qc. J7Y 2E9
Administrateur :
La Garantie de construction résidentielle (GCR)
a/s Me Pierre-Marc Boyer
4101 3e étage, rue Molson
Montréal, Qc. H1Y 3L1
Liste des pièces
L’Entrepreneur a produit les pièces suivantes :
E-1 Commande de béton chez Béton du Parc ;
E-2 Commande de matériaux chez Kefor ;
E-3 Bon de livraison des portes et fenêtres ;
E-4 Cédule des travaux du [...] ;
E-5 Bon de commande de la structure, plans et ouverture de fenêtre ;
E-6 En liasse, listes de prix d’Évolution Structures pour octobre 2020, novembre 2020, janvier 2021 et mai 2022 ;
E-7 Séquence des travaux pour le bâtiment de quatre unités, [...]-[...]-[...]-[...] ;
E-8 En liasse, coupures de presse et Wikipedia (sous réserves de la pertinence – origine : cahier d’autorités).
L’Administrateur a produit les pièces suivantes :
Document(s) contractuel(s)
A-1 Attestation d’acompte signé par le Bénéficiaire et l’Entrepreneur 5 janvier 2020 ainsi qu’une copie de chèque ;
A-2 Contrat de garantie signé par le Bénéficiaire et l’Entrepreneur le 20 août 2020 ;
A-3 En liasse, le contrat préliminaire signé par le Bénéficiaire le 20 août 2020 et par l’Entrepreneur le 31 août 2020 ainsi qu’une annexe ;
A-4 Acte de vente signé par le Bénéficiaire et l’Entrepreneur le 13 septembre 2021 ;
Dénonciation(s) et réclamation(s)
A-5 En liasse, courriel de dénonciation envoyé par le Bénéficiaire à l’Entrepreneur le 1er novembre 2021 auquel sont joints :
Le formulaire de dénonciation envoyé le 1er novembre 2021 [note : et non 2020 comme indiqué sur la liste des pièces] ;
Des factures ;
Des échanges de courriels ;
Des relevés bancaires ;
Un bail ;
A-6 En liasse, courriel de réponse de l’Entrepreneur à la dénonciation daté du 18 novembre 2021 auquel sont joints :
Des échanges de courriels ;
Une liste des couleurs ;
Des plans ;
Le formulaire de programme d’urgence ;
Le contrat préliminaire ainsi que l’annexe déjà soumis en A-3 ;
Le formulaire d’inspection pré réception déjà soumis en A-11 ;
A-7 Formulaire de réclamation signé par le Bénéficiaire le 28 novembre 2021 ;
A-8 Courriel de l’avis de 15 jours envoyé à l’Entrepreneur le 7 décembre 2021 auquel sont joints :
Le formulaire des mesures à prendre par l’Entrepreneur, vierge, (non inclus à la présente) :
Le courriel de dénonciation déjà soumis en A-5 ;
A-9 Courriel de réponse de l’Entrepreneur à l’avis de 15 jours daté du 17 décembre 2021 auquel sont joints :
Le formulaire des mesures à prendre par l’Entrepreneur rempli ;
Des échanges de courriels ;
Correspondances
A-10 Courriel du Bénéficiaire à l’Administrateur daté du 21 décembre 2021 auquel sont joints:
Des échanges de courriels déjà soumis en A-6 ;
Autre document pertinent
A-11 Formulaire d’inspection préréception signé par le Bénéficiaire et l’Entrepreneur le 13 septembre 2021 ainsi qu’une annexe ;
Décision(s) et demande(s) d'arbitrage
A-12 La décision de l’Administrateur datée du 9 [note : et non le 22 comme indiqué sur sa liste des pièces] mars 2022 ;
A-13 Courriel de la notification de l’organisme d’arbitrage daté du 25 avril 2022 auquel sont joints :
Le formulaire de demande d’arbitrage ;
La lettre de demande d’arbitrage de l’avocate de l’Entrepreneur datée du 8 avril 2022 ;
La lettre de notification de l’organisme d’arbitrage datée du 26 avril 2022 ;
La décision de l’Administrateur déjà soumise en A-12 ;
A-14 Curriculum vitae de Camille Bélanger.
Le Bénéficiaire a produit les pièces suivantes :
B-1 Courriel du 14 mai 2021 à 17 :09 ;
B-2 Courriel du 16 avril 2021 ;
B-3 Courriel du 8 mars 2021 à Isabelle Lafleur.
INTRODUCTION 4
PREUVE 5
Décrets et arrêtés 5
Faits particuliers du dossier d’arbitrage 6
Sylvie Pilon 7
Courriels au dossier 10
Poursuite du témoignage de Sylvie Pilon 12
Pascal Franche 14
Camille Bélanger 14
PLAIDOIRIES 15
Entrepreneur 15
Administrateur 16
Bénéficiaire 17
Réplique de l’Entrepreneur 17
DÉCISION 18
Introduction 18
Recours en vertu du Règlement 18
Force majeure alléguée et obligations de l’Entrepreneur 18
FRAIS 25
CONCLUSION 25
[1] Le Tribunal d’arbitrage est initialement saisi du dossier à la suite d’une demande d’arbitrage par l’Entrepreneur, reçue par le Centre Canadien d’Arbitrage Commercial (CCAC) le 8 avril 2022, et par la nomination du soussigné comme arbitre le 16 mai 2022.
[2] L’Entrepreneur a produit sa demande d’arbitrage en vertu de l’Article 35[1] du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (ci-après nommé le Règlement).
[3] Lors de la conférence de gestion du 27 mai 2022, il a été noté que :
[3.1] la procureure de l’Entrepreneur a confirmé que le différend avec la décision de l’Administrateur du 9 mars 2022 qu’il demande au Tribunal de trancher est le Point 1 : Remboursement pour les frais de relogement et d’entreposage ;
[3.2] le quantum de $6,000 n’est pas contesté comme tel, mais l’Entrepreneur considère qu’il n’a pas à en être tenu responsable considérant qu’il allègue avoir été extrêmement diligent dans un contexte de force majeure.
[4] Puisque la situation sanitaire a été invoquée par l’Entrepreneur, le Tribunal débute la trame narrative au 13 mars 2020, date de l’émission du premier décret sur l’urgence sanitaire.
[5] Même s’il était déjà familier avec leur contenu, le Tribunal a parcouru pendant son délibéré la liste des décrets et arrêtés sur deux sites Internet[2], celui du Gouvernement du Québec et celui du CAIJ du 13 mars jusqu’en octobre 2020.
[6] Le 13 mars 2020, le Gouvernement du Québec a émis le décret 177-2020[3] et ordonne « QUE l’état d’urgence sanitaire soit déclaré pour une période de 10 jours à compter du présent décret », durée qui sera renouvelée par la suite.
[7] Le 24 mars 2020, le Gouvernement du Québec a émis le Décret 223-2020[4] et ordonne que « toute activité effectuée en milieu de travail soit suspendue » sauf à l'égard des « services prioritaires ».
[8] Le 19 avril 2020, l’arrêté 2020-025 de la ministre de la Santé et des Services sociaux[5] modifia l’annexe du décret 223-2020 pour permettre la reprise de la construction « pour tout immeuble où la prise de possession d’une unité résidentielle doit avoir lieu au plus tard le 31 juillet 2020 ».
[9] Le 11 mai 2020 pris effet le décret 505-2020[6], par lequel le Gouvernement du Québec a décrété que les activités du secteur de la construction sont autorisées dans l’ensemble des régions du Québec, ainsi que celles des fournisseurs de biens et de services requis pour ce secteur.
[10] Parmi les autres décrets, citons :
[10.1] celui du 25 juin 2020, date à laquelle le Gouvernement du Québec a émis le Décret 223-2020[7] à l’effet « QUE, sous réserve des mesures particulières prévues par le présent décret ou par tout décret ou arrêté pris subséquemment, dans tout lieu, une personne maintienne, dans la mesure du possible, une distance de deux mètres avec toute autre personne, sauf [...] » ; et
[10.2] celui du 22 juillet 2020, date à laquelle le Gouvernement du Québec a émis le décret 813-2020[8] à l’effet « Qu’il soit interdit à l’exploitant d’un service de transport collectif par autobus, minibus, métro, bateau, train ou avion d’y admettre une personne qui ne porte pas un couvre-visage ».
[11] Quant à la Prestation Canadienne d’Urgence (PCU), aussi invoquée par l’Entrepreneur, elle fut instituée dans la Loi sur la prestation canadienne d’urgence (L.C. 2020, ch. 5, art. 8) adoptée le 25 mars 2020.
[12] Pour des raisons à distraire du présent dossier (à la suite d’un changement d’usage d’un emplacement voisin par la Ville), le Bénéficiaire a demandé à l’Entrepreneur et a obtenu de l’Entrepreneur de changer d’emplacement pour son futur bâtiment résidentiel.
[13] Un nouveau contrat préliminaire pour une autre unité, soit celle qu’il occupe aujourd’hui, remplaçant le premier, est signé le 20 août 2020 par le Bénéficiaire et le lundi 31 août 2020 par un représentant de l’Entrepreneur qui n’a pas témoigné à l’audience.
[14] Deux clauses du contrat préliminaire (pièce A-3) signé par l’Entrepreneur le 31 août 2020 sont d’intérêts pour le présent dossier d’arbitrage, au chapitre : 9.1 Clôture de la vente et occupation (Article 4) :
[14.1] « 9.1.1 Date de clôture convenue (paragraphe 4.1.) : 15/06/2021 »
[14.1.1] note du Tribunal : ce paragraphe 4.1 se lit ainsi :
4.1 Date de clôture et date d’occupation L’acte de vente sera signé par l’acheteur au bureau du notaire désigné par le vendeur le ou vers la date convenue en page 5 à l’article 9 (sous-paragraphe 9.1.1), ci-après la « date de clôture ». L’expression « date de clôture » signifie partout où elle est employée dans le Contrat préliminaire, la date de signature de l’acte de vente par l’acheteur. L’acheteur aura droit à l’occupation de son Unité à compter de cette date
[14.2] « 9.1.2. Report de la date de clôture (paragraphe 4.2.) :
[ ] Applicable [X] Non applicable »
[14.2.1] note du Tribunal : le paragraphe 4.2 se lit ainsi :
4.2 Report de la date de clôture (Les parties doivent préciser en page 5 au sous-paragraphe 9.1.2 s’il souhaitent appliquer ou non la présente clause). Si applicable, l’acheteur reconnaît que la date de clôture mentionnée au paragraphe 4.1 est approximative. Si le vendeur n’est pas en mesure de respecter cette date de clôture, il s’engage à donner un avis écrit à l’acheteur d’au moins soixante (60) jours OU du nombre de jours déterminés en page 5 à l’alinéa 9.1.2.1 Dans ce cas, et afin de fixer une nouvelle date de clôture, les règles suivantes s’appliqueront : […]
[15] La directrice-gestion immobilière de l’Entrepreneur, Sylvie Pilon, a témoigné à l’audience de la suite des évènements.
[16] Sylvie Pilon est directrice-gestion immobilière et chargée de projet de l’Entrepreneur depuis 2017 pour la construction des villas avec un de ses collègues qui est sur le chantier.
[17] Elle n’est pas aux ventes, tout ce qu’elle sait, c’est qu’elle a eu un contrat avec lequel le Bénéficiaire changeait d’unités alors que le bâtiment qu’il avait d’abord choisi était déjà monté.
[18] Le bâtiment résidentiel du Bénéficiaire est dans Les Villas Cité Mirabel, ce projet a débuté en 2016, un projet de 238 maisons de ville, 170 sont actuellement construites, ce sont des bâtiments qui regroupent quatre maisons de ville jumelées, le projet est assujetti à deux déclarations de copropriété, la déclaration initiale et la déclaration concomitante.
[19] Quand ils ont présenté ce projet à la ville de Mirabel, il a fallu passer au « PIIA », le Plan d’implantation et d’intégration architecturale.
[20] Les Villas sont un projet qui a été approuvé par la ville et les villas doivent être toutes pareilles selon les plans déposés à la ville.
[21] On ne peut pas décider en cours de chantier s’il manque une fenêtre de dire qu’on va aller l’acheter ailleurs parce que la ville a approuvé les plans tels quels.
[22] S’il faut faire une modification, il faut repasser au même processus du PIIA, il faut présenter une demande, après la demande est étudiée, ça passe au comité consultatif d’urbanisme, après ils font des recommandations, puis le conseil doit se réunir et passer une résolution, tout ce processus qui peut prendre des mois.
[23] À chaque fois que l’Entrepreneur construit un bâtiment, il faut faire une demande de permis.
[24] En septembre 2020 « on » avait pris la décision de bâtir un bâtiment de quatre unités :
[24.1] à la question, le contrat préliminaire n’a-t-il pas été signé avant au mois d’août, le témoin répond qu’« on en était rendu là dans notre séquence ».
[25] Comme à chaque fois, elle a déposé la demande de permis à la ville avec tous les documents usuels et ensuite dès que c’est en branle, ce qu’elle fait depuis quatre ans, elle appelle son fournisseur de structure avec lequel elle a déjà un contrat et qui a déjà fait le modèle similaire et elle lui dit « on va débuter une série de quatre ».
[26] Elle affirme qu’on sait tous que la pandémie a commencé en mars 2020, et après ça on a eu un petit relâchement à l’été, tout était normal et en septembre 2020, il y a eu la deuxième vague qui a commencé, « c’est à ce moment-là que pour nous tout est devenu compliqué » et à l’heure actuelle, c’est encore compliqué.
[27] C’est là, en septembre 2020, qu’elle a appris que ça ne va plus, que les délais ce ne sont plus « nos » délais habituels au cours desquels on appelait, on envoyait un bon de commande et « trois semaines à peu près on l’avait ».
[28] Les maisons de ville sont des bâtiments pour lesquels elle reçoit les murs préfabriqués, tout se fait en usine.
[29] Le fournisseur de la structure lui dit : la Covid est en usine, « je ne peux pas te donner de date, on a un carnet de commandes rempli, l’usine est vide, nos travailleurs actuellement préfèrent recevoir de la PCU que de rentrer ».
[30] Elle affirme que « le 8 septembre on a déposé la demande de permis » et c’est là qu’elle apprend qu’il manquait des travailleurs en usine et que les délais seraient plus longs, car :
[30.1.1] il manquait des travailleurs en usine (maladie Covid, PCU) ; et
[30.1.2] il fallait qu’il (le fournisseur) respecte la distanciation sociale ;
il ne pouvait pas être à 100 % de capacité dans l’usine.
[31] À la question, « vous avez accepté le changement d’unité au mois d’août et en septembre vous avez appris qu’il y aurait des problèmes ? », le témoin a répondu « il ne s’est écoulé comme, sept jours même pas sept jours si on calcule qu’il y a la Fête du travail pour demander le permis, je pense qu’on est très raisonnable dans nos délais ».
[32] Elle poursuit en disant que là, on a commencé à comprendre qu’il y avait des délais au niveau de la réception de la structure, sans structure on est un petit peu limité, on a quand même commencé à creuser, à faire les semelles, à faire les fondations, on était prêt à recevoir la structure.
[33] Elle était en constantes discussions avec le représentant de son fournisseur dont ils étaient de bons clients ;
[33.1] elle a demandé si on pouvait trouver une solution, à un moment donné il lui a dit « envoie moi un bon de commande ».
[34] Le bon de commande (pièce E-2) est daté du 10 novembre pour deux raisons :
[34.1] ça faisait longtemps qu’elle voulait faire le bon de commande mais elle se faisait répondre par le fournisseur qu’il ne pouvait lui donner ni de date ni de prix ;
[34.2] la pièce E-2 n’a aucun prix, c’est inhabituel, on avait un contrat mais il ne pouvait pas donner de prix car il ne savait pas quand ça allait entrer dans l’usine.
[35] Pour être en usine il a fallu qu’elle envoie un bon de commande comme un chèque en blanc, c’est pour cela que sur ce bon de commande c’est écrit en bas « en attente d’une date de production ».
[36] La pièce E-2 (le bon de commande) énumère ce en quoi consiste la structure soit :
[36.1] Structure VB18-Garage gauche ;
[36.2] Ensemble de poutrelles ajournées sur mesures ;
[36.3] Ensemble de fermes de toit ;
[36.4] Ensemble de murs préfabriqués.
[37] Elle ne pouvait pas prendre un autre fournisseur car cela impliquait de refaire les plans de structure et de retourner à la ville.
[38] La solution était donc d’espérer et d’attendre, elle a appelé régulièrement le fournisseur - le même problème est venu avec les portes et fenêtres mais comme on n’avait toujours pas de structure ça n’aurait pas fonctionné.
[39] Quant à la pièce E-7 - on a une séquence de travaux à respecter pour ce bâtiment qui est pour quatre unités, pour pouvoir ériger l’immeuble une fois que le bâtiment est fermé aux intempéries on peut commencer la cédule des travaux intérieurs de l’unité vendue aux clients ;
[39.1] le délai sur cette séquence entre le 22 octobre 2020 et le 13 janvier 2021 est pour la réception de la structure, le 11 décembre le fournisseur l’a appelée pour dire qu’il pouvait livrer la structure mais vu le temps que ça prend pour l’installer et que le 18 décembre l’industrie de la construction doit fermer pour la période des Fêtes de par la Loi, ne voulant pas que ce soit laissé dehors aux intempéries, elle a demandé que ce soit livré au début janvier 2021.
[40] Donc au début janvier son sous-traitant est venu déneiger, nettoyer les semelles et quand cela a été livré le 13 janvier les travaux ont commencé à ce moment-là.
[41] Dans le but de respecter la chronologie, le Tribunal suspend ici la narration du témoignage de Sylvie Pilon pour rapporter les échanges de courriels au dossier de mars à mai 2021.
[42] Le 8 mars 2021 (11 :03) (B-3), en réponse à un courriel du 8 mars (8 :43) du Bénéficiaire (ce dernier courriel n’est pas produit au dossier), Isabelle Lafleur, adjointe administrative de l’Entrepreneur, informe le Bénéficiaire du retard de livraison, « nous sommes rendus vers une livraison au mois d’août » :
Effectivement nous accusons du retard étant donné les délais de réception des matériaux.
Je vous dirais que nous sommes rendus vers une livraison au mois d’août.
Si vous avez des questions n’hésitez pas à communiquer avec moi.
[43] Le 8 mars 2021 à 11 :42 (B-3), le Bénéficiaire répond à Isabelle Lafleur :
Donc avec un délai de 2 mois déjà, il faudra avoir une discussion sur une compensation pour notre logement, frais extra de déménagement et d’entreposage. Le contrat à la section 9.1.2 indique « Non Applicable ».
[44] Le 11 mars 2021 à 09 : 46 (B-3), le Bénéficiaire écrit à Isabelle Lafleur et Karen Piché :
Est-ce que vous offrez une option pour logement ou dédommagement durant le délai ? Sinon, je vais accumuler mais reçu de dépenses pour logement, entreposage et déménagements d’extra que je vais avoir du déboursé après le 15 juin pour vous rendre le dossier après la prise de possession.
J’attends de vos nouvelles pour une nouvelle date de livraison. J’assume qu’il y aura un document à signer avant le 11 avril pour ceci.
[45] Le 17 mars 2021 à 16 :39 (B-3), Isabelle Lafleur écrit au Bénéficiaire :
Compte tenu du contexte actuel la pandémie nous ne pouvons pas être tenus responsables des délais de livraison puisque ces délais sont liés à la réception des matériaux ainsi qu’un manque de main-d’œuvre dans plusieurs industries.
Tout ceci a un impact sur l’ensemble de notre chantier.
C’est pour cette raison que nous ne pouvons pas assumer des frais d’hébergements puisque cette situation est hors de notre contrôle.
Le gouvernement a mis en place des mesures pour aider les gens qui sont en attente de leur résidence/propriété je vous laisse le lien plus bas peut-être que ces mesures seront vous accommodées. [lien]
[…] lorsque la coulée de béton aura été faite, vous recevrez une cédule des travaux avec une date de livraison. À ce stade à moins d’une fermeture totale ou d’un événement majeur, la cédule est respectée.
Soyez assurés que nous déployons tous les efforts mais le contexte actuel nous cause des ralentissements.
[45.1] au sujet des mesures mises en place par le gouvernement citées dans le courriel précédent, le Bénéficiaire lui a répondu par courriel du 4 avril 2021 (pièce A-6) :
J'ai fait mon suivit avec le gouvernement [...] Donc puisque le contrat préliminaire avais été signé après le début de la pandémie, le gouvernement n'est pas responsable. J'ai aussi contacté la GCR et ils ont confirmés que ceci tombe sous votre responsabilité, puisque ceci n'est pas une guerre, désastre naturelle, etc...
[46] Le 16 avril 2021 à 15:39 (A-5), Sylvie Pilon a écrit au Bénéficiaire :
Nous avons pris connaissance de votre courriel transmis à Isabelle et actuellement nous sommes en mesure de vous fournir la soumission et vous indiquer que nous serons en mesure de préparer une cédule des travaux d’aménagement à l’intérieur à compter de mai prochain. Une copie de cette cédule vous sera transmise.
Aussi, nous devons vous aviser que nous ne serons pas en mesure de respecter la date de livraison qui avait été indiquée au contrat soit le 15 juin 2021.
Vous comprendrez que dans le contexte actuel cette date ne peut être de rigueur et que nous prévalons de notre droit de vous aviser du délai de retard de livraison pour cause de force majeure.
L’immeuble pour lequel vous avez signé un contrat préliminaire en août 2020, n’était pas érigé.
Les fondations ont été faites en octobre 2020.
Par la suite, nous avons dû attendre après notre fournisseur de mur préfabriqués, de poutrelles et de fermes de toit jusqu’au mois de janvier 2021 puisque ceux-ci éprouvaient de problème de main d’œuvre. Les gens qui travaillent en usine ont préférés recevoir de la PCU que de retourner au travail. À cet époque, il ne voulait même pas nous signer de commande en raison de la hausse du coût du bois ne sachant pas à quel moment il pouvait nous livrer compte tenu de leur manque de main d’œuvre.
Nous avons donc reçu une partie de la commande en janvier 2021. Par la suite les travaux se sont enchaînés avec des délais plus longs qu’habituellement puisque les fournisseurs sont constamment en recherche de matériaux. Compte tenu que les travaux doivent s’enchaîner vous comprendrez qu’un seul un manquement fait retarder le reste du chantier.
Maintenant, nous sommes rendus à l’étape de la commande des matériaux intérieurs, ce que nous ne pouvions faire avant compte tenu que les prix sont garantis pour une durée de temps.
Actuellement, nous estimons être en mesure de vous livrer la Villa en septembre 2021.
Compte tenu de ce qui précède, laissez-moi connaître vos intentions pour la suite des choses.
Je suis disponible si vous désirez discuter avec moi de vive voix.
Nous comprenons votre situation et nous en sommes sincèrement désolés.
Sachez que notre équipe met tout en œuvre pour vous livrer votre habitation, c’est ce que nous souhaitons tout comme vous.
Je vous remercie de votre compréhension.
[47] Le 16 avril 2021 à 23 :45 (B-2) le Bénéficiaire répond à Sylvie Pilon :
Merci de votre réponse. Pour la date de livraison, j'aurais besoin d'une date précise très bientôt. C'est requis pour obtenir une hypothèque et aussi changer mes dates de livraison et déménagement.
Voici certaines corrections que j'aimerais apporter à ton attention dans la soumission que vous m'avez envoyé: […]
J'aimerais organiser une pré-inspection après les travaux de l'électricien et plombier et avant que les murs soient fermés. Ceci nous sauverait beaucoup de troubles si certains éléments sont manquants ou mal installés.
[48] Le 14 mai 2021 à 15 :57 (A-5 et B-1), Sylvie Pilon envoie la cédule des travaux au Bénéficiaire en ces termes :
Vous trouverez ci-joint la cédule des travaux pour le [adresse caviardée par le Tribunal], dont la livraison est prévue le 13 septembre 2021.
Cette cédule a été transmise à tous les sous-traitants ainsi que les commandes.
Je profite de l’occasion pour vous transmettre les plans et choix qui ont été convenus et transmis à tous.
Nous vous transmettons le tout à titre indicatif pour que vous ayez un aperçu de l’avancement des travaux.
Il est important de noter qu’il n’est pas possible de visiter les lieux durant la construction puisque les politiques d’assurance chantier ainsi que de la CNESST ne le permettent pas. Avec la Covid, les agents de la CNESST passent régulièrement et à l’improviste. Des sanctions et amendes peuvent être appliquées de même que la fermeture du chantier.
[49] Le 14 mai 2021 à 17 :09 (B-1) – le Bénéficiaire écrit à Sylvie Pilon (le Bénéficiaire affirme à l’audience qu’il faut qu’on évite de prendre ce courriel comme preuve qu’il a accepté les délais de livraison, il n’y a aucune mention) :
Merci pour l'horaire. J'ai faite la révision et toute semble bien. Cependant, est-ce possible d'ajouter une prise 120V pour la station maquillage dans la salle de bain des maîtres? Si possible, nous aprécierons cette derniere petite modif. Nous garderont la prise à la gauche ainsi que l'ajoute d'une prise à la droite du lavabeau pour une meipleur accees lorsque nous utilisont la station de maquillage.
Merci de confirmer, et j'attend les instruction de votre part pour le payment des extras par virement electronique.
[50] Quant à la pièce E-4 - c’est la cédule des travaux qui est communiquée au client et qui explique la séquence des travaux à être réalisés, elle a été envoyée le 14 mai 2021 (pièce A-5, et confirmation de la date par le Bénéficiaire à l’audience) ;
[50.1] à la question, pourquoi sur cette cédule remise au client, la première date inscrite était le 17 mai 2021 alors que le contrat préliminaire avait été signé le 31 août 2020, la directrice-gestion immobilière a répondu qu’avant il fallait ériger l’immeuble et la cédule était remise quand on pouvait commencer à travailler à l’intérieur, ils ne la donnaient que quand l’immeuble était érigé et fermé aux intempéries, c’est pour ça que la pièce E-7 est la première étape à faire et après ça on arrive à pouvoir faire la pièce E-4.
[51] La cédule remise le 14 mai a été respectée quant aux travaux effectués (bien que certaines dates des étapes aient pu être modifiées à cause de la Covid) et quant à la date de livraison le 13 septembre 2021.
[52] Elle est fière comme entrepreneur d’affirmer que trois (sic!) mois à l’avance on ait communiqué cette cédule même si on a eu des embûches.
[53] Dans son courriel du 16 avril 2021, elle a laissé savoir au Bénéficiaire « Je suis disponible si vous désirez discuter avec moi de vive voix », elle n’a jamais reçu d’appel téléphonique donc pour elle Monsieur était satisfait de cette cédule ;
[53.1] le Tribunal note ici que la cédule a plutôt été envoyée le 14 mai 2021 ;
[53.2] à la question, si elle aurait pu rapprocher la date si le Bénéficiaire avait appelé, elle répond non, mais « on aurait discuté, c’est ce qu’on a toujours fait avec nos clients, n’importe quelle question qu’il aurait pu avoir on l’aurait écouté et on aurait peut-être pu trouver quelque chose ne serait-ce qu’une habitation pour l’accommoder, je dis ça comme ça mais je n’ai eu aucun appel ».
[54] Tout [le retard] origine de la structure ; tout le reste soit les semaines et les journées qui se sont écoulées sont essentielles pour construire une maison.
[55] La Covid a affecté la construction de l’unité du Bénéficiaire, « pour nous ça été le début en septembre 2020 de ce qu’on appelle actuellement encore le bordel », c’est là qu’on s’est rendu compte que la construction n’était plus la même, qu’il fallait vraiment comprendre la réalité du manque de main-d’œuvre et rendu en 2022 c’est le manque de matériel.
[56] On livre en moyenne une maison par semaine et leurs sous-traitants sont fidèles mais quand il arrive des problématiques mondiales on n’a pas benben le choix que d’accepter puis de vivre avec.
[57] En contre-interrogatoire du Bénéficiaire, qui demande à la directrice-gestion immobilière de commenter le passage suivant dans la décision produite par sa procureure (rendue par le soussigné, Khoukaz-Gamache et al. c. Maisons Laprise Inc. et GCR[9]), est-ce que dans cette décision l’entrepreneur avait raison de parler de rareté de main-d’œuvre et de la PCU dès le 8 juillet et non au début septembre comme elle l’invoque :
(paragraphe [16.3] de la décision, courriel de l’entrepreneur à la GCR du 8 juillet 2020, courriel que le Tribunal soussigné a jugé crédible au sous-paragraphe [163.4.1]) :
Puis le retour du confinement a creer une rareté de main-d'oeuvre. Nous sommes toujours a la recherche de maind'œuvre pour corriger les items du rapport
Et pour finir, la PCU a générer chez plusieurs de nos fournisseur un manque de main d'oeuvre car les gens qui travaille en usine ont, pour plusieurs, préférer recevoir la PCU que de retourner au travail. Ce qui cause des retards important sur la livraison des produits usine.
Pour ces raisons, je vous demande un délai supplémentaire
[57.1] elle répond que si on se remet en juillet, on venait de sortir d’un confinement de trois semaines, alors que « moi dans ma tête c’était fini, je n’avais pas eu écho d’aucuns de mes fournisseurs qu’il y avait un problème ».
[58] En contre-interrogatoire de l’Administrateur, elle admet qu’il n’y a pas eu de nouvelles restrictions au début septembre 2020.
[59] Elle ajoute qu’en septembre 2020 il n’y avait aucune pénurie de main-d’œuvre et que la deuxième vague a commencé le 2 septembre (le Tribunal note ici qu’elle n’a apporté aucune preuve à ce sujet).
[60] Elle affirme ne pas avoir eu à commander de la structure avant septembre 2020, elle n’était pas au courant qu’il y avait des problèmes dans les usines.
[61] Le Bénéficiaire affirme qu’il n’y a jamais eu d’entente entre lui et l’Entrepreneur à l’effet que les délais étaient acceptables et l’Entrepreneur n’a produit aucun document montrant qu’il (le Bénéficiaire) était est en accord avec les délais, il avait quant à lui conclu « qu’il irait avec la garantie GCR pour le délai ».
[62] Ses correspondances étaient pour travailler avec le constructeur pour avoir une date de livraison le plus vite possible mais il n’a jamais été en accord avec le constructeur qu’à cause de la Covid, ils avaient le droit de repousser la date de livraison.
[63] On avait déjà communiqué auparavant pour dire qu’on n’était pas en accord que la date soit repoussée mais il fallait quand même travailler avec le constructeur pour travailler en équipe pour livrer la maison, on veut quand même construire une maison.
[64] Il réfère à son courriel du 8 mars sur son recours après celui du 8 mars de l’adjointe qui annonce déjà qu’il aura le retard en août.
[65] Camille Bélanger est dans le domaine de la construction depuis 2012, conciliatrice à la GCR depuis 2019, son CV est produit en A-14.
[66] Le Bénéficiaire a emménagé 89 jours après la date prévue, soit le 13 septembre et la date prévue était le 15 juin 2021.
[67] Le contrat ne prévoyait aucun report de date de clôture, c’était une date convenue entre les parties, et elle n’a aucun document signé concernant l’acceptation de la date de report ultérieur.
[68] On ne peut pas parler de force majeure, le décret gouvernemental est du 24 mars 2020, le contrat signé le 31 août 2020, il est donc inexact de prétendre que les restrictions entourant la construction étaient des événements imprévisibles.
[69] La pénurie de main-d’œuvre dans le domaine de la construction est un problème régulier en fonction des corps de métiers, les entrepreneurs ont tendance à exagérer cette réalité, c’est sûr que ça été plus significatif avec la mise sur pause en mars 2020.
[70] Il s’agit d’un projet qui s’appelle « Les Villas Cité Mirabel », ce sont des maisons de ville toutes identiques, ça oblige l’Entrepreneur à faire affaire avec le même fournisseur pour respecter l’esthétique du quartier.
[71] Le 31 août 2020 le contrat préliminaire de copropriété a été accepté par l’Entrepreneur, la date de clôture est prévue le 15 juin 2021, le report de date est indiqué comme non applicable puisqu’à ce moment-là l’entrepreneur, un peu comme tout le monde, pensait que la pandémie était derrière nous.
[72] La deuxième vague est arrivée en septembre, le 10 novembre 2020 l’Entrepreneur a produit son bon de commande auprès du fournisseur de la structure, dont les travailleurs sont dans une usine, Madame Pilon a été avisée par ce fournisseur qu’il avait des limitations et des effectifs réduits dans les usines d’où la mention : en attente de la date de production.
[73] Le fournisseur n’était pas prêt à mettre un prix ou à donner une date tellement il était incertain du moment que les composantes en bois pouvaient être acheminées chez l’Entrepreneur pour les maisons de ville, l’Entrepreneur a dû composer avec ça, il était trop laborieux de passer par un autre fournisseur.
[74] L’Entrepreneur a reçu en janvier 2021 les composantes en bois pour monter la charpente et monter l’immeuble, Madame Pilon a informé le Bénéficiaire le 16 avril 2021 (pièce A-5) qu’un seul manquement avait retardé le tout.
[75] Le délai de deux mois dans la livraison du fournisseur équivaut au délai dans la livraison de la maison, sans ce retard la maison aurait été prête au 15 juin.
[76] La situation est malheureuse pour toutes les parties incluant le Bénéficiaire, pour l’Entrepreneur c’est son gagne-pain de livrer des maisons, donc il n’a pas bénéficié de la non-livraison de la maison, c’est une situation qui était inconnue et imprévisible.
[77] Madame Pilon a dit qu’elle n’était pas au courant de la pénurie de main-d’œuvre parce qu’avant septembre 2020 et octobre 2020, elle n’avait pas eu à commander quoi que ce soit auprès de son fournisseur de bois, c’était inconnu d’elle, de son fournisseur jusqu’à ce moment-là.
[78] Aux paragraphes [145] et [160] de la décision Khoukaz-Gamache et al. c. Maisons Laprise Inc. et GCR[10], le Tribunal soussigné a dit que la pandémie pouvait être qualifiée d’une situation qui est exceptionnelle :
[145] Le Tribunal d’arbitrage conclut de la preuve d’une situation actuelle exceptionnelle de pandémie, du droit en général et du Règlement en particulier, qu’il doit d’appliquer au présent dossier,
[145.1] l’arrêté 2020-4251[11] [...]
[145.2] et l’arrêté 2020-4303[12] [...]
[160] Le Tribunal d’arbitrage doit considérer l’applicabilité de l’arrêté 2020-4251 du 15 mars 2020, à l’article 18 du Règlement et à la décision de l’Administrateur du 11 mai 2020, dans la situation actuelle exceptionnelle de pandémie, où les tribunaux et les justiciables doivent faire face à une situation nouvelle.
[79] La pandémie est une situation exceptionnelle qui fait écho à la force majeure, la pénurie de main-d’œuvre était imprévisible à ce moment-là.
[80] C’était tellement imprévisible que l’Entrepreneur n’a pas inscrit de possibilités de report de clôture, pour eux c’était certain, il livre toujours leur maison à temps, cette situation les a pris de court, l’Entrepreneur a été extrêmement diligent.
[81] L’Entrepreneur a respecté sa cédule un coup que la charpente était montée.
[82] Nul n’est tenu à l’impossible et l’Entrepreneur a vraiment tout tenté et n’a aucun intérêt à rendre son client insatisfait, la situation était exceptionnelle, imprévisible, extérieure et irrésistible qui sont les critères de la force majeure.
[83] La question à trancher est simple : est-ce que le Tribunal est devant une situation de force majeure, est-ce que l’Entrepreneur a rencontré son obligation puisqu’il n’y avait pas de report de date de livraison possible, la seule façon pour l’Entrepreneur de s’exempter de son obligation de livraison est de prouver la force majeure, soit une situation imprévisible et irrésistible.
[84] Les pénuries de main-d’œuvre et de matériaux sont irrésistibles mais la vraie question : est-ce que c’était imprévisible.
[85] Il est inexact de dire que le bordel a commencé en septembre 2020, il y a eu un décret gouvernemental en mars 2020, donc dès le début des restrictions dans le domaine de la construction il y avait déjà une situation de pénurie de main-d’œuvre, les mesures de restrictions ont commencé en mars 2020 et le contrat a été signé le 31 août 2020.
[86] Le Tribunal n’a pas de preuve que le problème de pénurie de main-d’œuvre a commencé seulement en septembre 2020.
[87] Au 31 août 2020 les problèmes de pénurie de main-d’œuvre et de matériaux, de restrictions et de distanciation sociale sont déjà connus de l’Entrepreneur.
[88] Personne ne conteste que la situation problématique vécue par l’Entrepreneur soit réelle mais ça ne se qualifie pas de force majeure imprévisible.
[89] Quand un bénéficiaire a signé un contrat, il doit y avoir une certaine prévisibilité, on doit pouvoir garantir aux bénéficiaires qu’il y a une date de livraison et hormis une situation de force majeure imprévisible, l’Entrepreneur doit rencontrer ses obligations.
[90] C’est une sentence assez importante que le Tribunal va rendre parce que c’est une question de principe - son rôle comme procureur de l’Administrateur est de s’assurer que le Règlement est respecté - il y aurait une conséquence si le Tribunal ouvrait une porte que les entrepreneurs puissent invoquer à l’avenir ;
[90.1] le Tribunal a répondu qu’il allait mettre en « gros caractères » que la décision qui est rendue ici ne porte que sur ce dossier et non pas sur les autres.
[91] Il est en accord avec l’Administrateur, la date de livraison n’était pas flexible.
[92] On a signé un contrat une multitude de mois après le début de la pandémie et on invoque la pandémie qui a débuté en mars pour justifier de ne pas avoir livré.
[93] Le contrat de garantie, pièce A-2, clause 13, indique l’exception de force majeure pour les frais de relogement :
Article 13. Garantie de relogement, déménagement et entreposage
13.1 Sous réserve des limites et exclusions contenues aux présentes, l’Administrateur s’engage en faveur du Bénéficiaire, en cas de manquement de l’entrepreneur à ses obligations contractuelles et légales, à rembourser au Bénéficiaire les frais raisonnables de relogement, de déménagement et d’entreposage de ses biens dans la mesure dans l’un ou l’autre des cas suivants :
13.1.1 soit (i) le Bénéficiaire ne peut, autrement que par force majeure […], prendre réception du bâtiment à la date convenue aux contrats couverts avec l’Entrepreneur […]
[94] Ce n’est pas parce qu’un décret survient que tout le monde est au courant de tout et qu’on ne peut pas être surpris de rien, l’Entrepreneur n’avait aucun moyen de savoir qu’il y aurait pénurie de main-d’œuvre, de rareté des matériaux, il y a eu les vacances de la construction, il n’est resté que quelques semaines pour savoir, c’était vraiment imprévisible, ce l’était tout autant pour les fournisseurs.
[95] L’Entrepreneur a tout fait de ce qui est de son ressort pour tenter de limiter les dégâts mais il était pris avec ça, l’Entrepreneur en est très désolé auprès du Bénéficiaire.
[96] Le Tribunal d’arbitrage précise d’abord qu’il rend ici sa décision selon le droit applicable aux faits précis à la base du différend soulevé par l’Entrepreneur et non selon ce qui serait applicable aux différentes hypothèses ou situations invoquées par l’Administrateur sur ce qui peut se passer dans ses autres dossiers.
[97] Vu la preuve au présent dossier, vu le Règlement, vu le droit applicable, le Tribunal n’a d’autre option que de rejeter la demande d’arbitrage de l’Entrepreneur et maintenir la décision de l’Administrateur, pour les motifs qui suivent.
[98] La base du recours du Bénéficiaire à l’encontre de l’Administrateur et la demande d’arbitrage de l’Entrepreneur sont en vertu du Règlement.
[99] Ce Règlement a été décrété par le Législateur pour couvrir le bâtiment résidentiel du Bénéficiaire selon ses dispositions, Règlement que notre Cour d’appel[13] a jugé comme étant d’ordre public.
[100] Le recours du Bénéficiaire à l’encontre de l’Administrateur est prévu à l’article 26 du Règlement qui parle de date convenue :
26. La garantie d’un plan dans le cas de manquement de l’entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles avant la réception de la partie privative ou des parties communes doit couvrir: [...]
3° le relogement, le déménagement et l’entreposage des biens du bénéficiaire dans les cas suivants:
a) le bénéficiaire ne peut prendre réception du bâtiment à la date convenue avec l’entrepreneur à moins que les acomptes ne soient remboursés;
b) il ne peut prendre réception du bâtiment à la date convenue avec l’entrepreneur afin de permettre à l’administrateur de parachever le bâtiment
[101] Puisque le Règlement parle de « date convenue », le contrat de garantie (pièce A-2), qui doit légalement être conforme au Règlement[14], renvoie au droit des obligations qui prévoit une exonération de responsabilité en cas de force majeure :
[101.1] le contrat de garantie (pièce A-2) mentionne :
13.1.1 soit (i) le Bénéficiaire ne peut, autrement que par force majeure ou par sa fait ou son inaction, prendre réception du bâtiment à la date convenue aux contrats couverts avec l’Entrepreneur […]
[101.2] l’article 1470 du Code civil (Livre cinquième – Des obligations – Chapitre troisième – De la responsabilité civile – Section II – De certains cas d’exonération de responsabilité ) traite ainsi de la force majeure :
1470. Toute personne peut se dégager de sa responsabilité pour le préjudice causé à autrui si elle prouve que le préjudice résulte d’une force majeure, à moins qu’elle ne se soit engagée à le réparer.
La force majeure est un événement imprévisible et irrésistible; y est assimilée la cause étrangère qui présente ces mêmes caractères.
[102] Pour l’Administrateur dans sa décision objet du présent arbitrage :
Le décret [ajout du Tribunal : sur l’urgence sanitaire] portant le numéro 223-2020 daté du 24 mars 2020 sera annexé à la présente décision.
Le contrat a été signé le 31 août 2020, donc bien après le décret gouvernemental, alors il est inexact, rendu à ce stade, de prétendre que les restrictions entourant la construction sont des événements imprévisibles. Il ne s’agit donc pas d’une force majeure.
[103] L’Entrepreneur s’est pourvu en arbitrage et la Cour supérieure a confirmé dans 9264-3212 Québec Inc. c. Moseka[15] que l’arbitrage est un procès « de novo », au cours duquel le Bénéficiaire et l’Entrepreneur peuvent apporter toute preuve nouvelle :
[20] […] L’arbitre peut entendre des témoins, recevoir des expertises et procéder à l’inspection des biens ou à la visite des lieux.
[…] [24] Le Tribunal rappelle que l’arbitre ne siège pas en appel ou en révision de la décision du Conciliateur. Il ne procède pas non plus à décider en se basant uniquement sur le dossier transmis. […]
[104] L’Entrepreneur allègue dans sa demande d’arbitrage avoir été extrêmement diligent dans un contexte de force majeure.
[105] L’Entrepreneur plaide à l’audience que « c’était tellement imprévisible que l’Entrepreneur n’a pas inscrit de possibilités de report de clôture, pour eux c’était certain, il livre toujours leur maison à temps, cette situation les a pris de court pour tous les événements subis par Monsieur Franche, et l’Entrepreneur a été extrêmement diligent ».
[106] Le Tribunal n’a pas à décider si l’Entrepreneur a été de bonne foi ou non, mais s’il a rempli ses obligations cautionnées par l’Administrateur en vertu du Règlement.
[107] Il y a plus de vingt ans que la Cour d’appel dans Montréal (Communauté Urbaine de) c. Crédit commercial de France[16] a rappelé que, pour pouvoir invoquer la force majeure avec succès, il faut avoir démontré une « conduite juridiquement irréprochable » :
[40] En édictant l'article 1470 C.c.Q. le législateur s'est inspiré des articles 1071 et 1072 C.c.B.-C. :
"Le débiteur n'est pas tenu de payer les dommages-intérêts lorsque l'inexécution de l'obligation est causée par un cas fortuit ou force majeure, sans aucune faute de sa part, à moins qu'il ne s'y soit obligé spécialement par le contrat" (je souligne)
[41] Les auteurs Pineau, Burman et Gaudet reconnaissent que l'existence d'un cas de force majeure exclut la faute du débiteur:
"Compte tenu de ces deux… ou trois composantes, l'existence d'un cas de force majeure exclut la possibilité d'une faute de la part du débiteur. Inversement, il est permis de prétendre que l'existence d'une faute de la part du débiteur exclut l'éventualité d'une force majeure ; s'il y a faute, la cause du préjudice est imputable au débiteur."[15][17] [...]
[43] Notre Cour a appliqué cette règle en refusant de relever une partie de ses obligations, en raison de la force majeure, à moins d'une démonstration d'une conduite juridiquement irréprochable.[17][18]
[44] En l'espèce, la partie doit assumer l'erreur de son mandataire. Cette erreur ne saurait constituer pour le mandant une situation de force majeure.
[108] La preuve au dossier démontre que si le contrat contenant une date convenue, avec une possibilité « non applicable » de la changer, a été signé le 31 août 2020, la directrice de la gestion immobilière dit avoir su dès le 8 septembre, seulement une semaine après, que la structure ne pourrait pas être livrée et que « le bordel était pogné ».
[109] Il y a absence de « preuve probante » (à part l’affirmation de la directrice-gestion immobilière) que la situation au 8 septembre était différente de celle au 31 août 2020, absence de preuve probante que le « bordel a pogné » seulement au début septembre mais qu’il aurait été inexistant le 31 août, et imprévisible.
[110] Déjà avant la pandémie, les tribunaux ont reconnu que l’entrepreneur avait une obligation de renseignement envers ses clients.
[111] Bien avant la pandémie, la Cour supérieure a rappelé l’obligation de renseignement prévue à l’article 2102 du Code Civil quant au temps nécessaire pour effectuer sa tâche, dans l’affaire Construction R. Cloutier inc. c. Entreprises CJS inc.[19] :
[130] L'entrepreneur a aussi une obligation de renseignement auprès de son client telle qu'établie à l’article 2102 C.c.Q. qui prévoit:
« Art. 2102. L'entrepreneur ou le prestataire de services est tenu, avant la conclusion du contrat, de fournir au client, dans la mesure où les circonstances le permettent, toute information utile relativement à la nature de la tâche qu'il s'engage à effectuer ainsi qu'aux biens et au temps nécessaires à cette fin. »
[131] Dans son ouvrage, « Les contrats d'entreprise, de prestations de services et l'hypothèque légale »[19][20], le professeur Karim commente la portée de l'article 2102 C.c.Q. comme suit:
« Afin de donner un consentement valable, le client doit être en mesure de conclure le contrat d'entreprise ou de services en toute connaissance de cause, de façon libre et éclairée. C'est ce qui explique la nature protectrice et pré contractuelle du devoir d'information de l'article 2102 C.c.Q.. L'entrepreneur ou le prestataire de services est tenu à une obligation de renseignements ayant pour objet la divulgation des risques concernant la nature des tâches, les biens, la qualité et le coût des matériaux, et le temps nécessaire pour l'exécution des travaux, à moins d'indication contraire telle qu'une clause d'exonération. »
[132] L'obligation d'information de l'entrepreneur doit être évaluée en fonction de la nature du contrat mais également du degré de connaissances du client [20][21].
[112] Aussi avant la pandémie, le Tribunal soussigné a abordé dans Yu et
Groupe Pentian Developpements inc./Condos 2050[22] la question d’un engagement à livrer sans vérification préalable (un entrepreneur avait donné une date de livraison dans cinq semaines et demi, sans avoir préalablement vérifier si les armoires, dont la production prenait six semaines, avaient été mises en production) :
[102] L’article 2101 du Code civil stipule :
2101. À moins que le contrat n'ait été conclu en considération de ses qualités personnelles ou que cela ne soit incompatible avec la nature même du contrat, l'entrepreneur ou le prestataire de services peut s'adjoindre un tiers pour l'exécuter, il conserve néanmoins la direction et la responsabilité de l'exécution.
[103] Cinq semaines et demi avant le 30 novembre, l’Entrepreneur promet une livraison le 30 novembre tout en affirmant à l’audience que cela prend six semaines pour fabriquer des armoires - l’Entrepreneur n’a pas rempli ses engagements en promettant une livraison le 30 novembre sans vérifier auprès de son cuisiniste s’il avait mis en production les armoires.
[104] L’Entrepreneur a légalement « la direction et la responsabilité de l’exécution » mais n’a effectué aucune vérification pour savoir si les armoires avaient été mises en production (ce qui prend six semaines) avant de confirmer que la date de livraison du 30 novembre 2017 (dans cinq semaines et demi) était toujours valide.
[113] Ce qu’il y a de particulier dans le présent dossier d’arbitrage :
[113.1] d’une part, il y a la signature par un Entrepreneur d’un contrat, dans lequel l’Entrepreneur ajoute qu’il ne repoussera pas la date de livraison ; mais,
[113.2] d’autre part, l’Entrepreneur affirme ne s’informer que huit jours après auprès de son fournisseur pour la construction du bâtiment ; et
[113.2.1] que son fournisseur lui dise que c’est impossible vu les conditions actuelles ; et
[113.2.2] que l’Entrepreneur allègue ne pouvoir remplir son obligation de livraison car c’était imprévisible huit jours plus tôt au 31 août ;
[113.2.3] alors même que :
113.2.3.1. le Québec vivait une situation à risque, au 31 août il y avait des restrictions sanitaires ;
113.2.3.2. « l'entrepreneur a aussi une obligation de renseignement auprès de son client telle qu'établie à l’article 2102 C.c.Q », « une obligation de renseignements ayant pour objet la divulgation des risques concernant [...] le temps nécessaire pour l'exécution des travaux » (voir le paragraphe [111]).
[114] Dans le présent dossier, dans le cadre du Règlement, l’Entrepreneur ne peut pas invoquer avec succès la force majeure à l’encontre de sa responsabilité prévue à l’article 26 après avoir signé un contrat le lundi 31 août 2020 dans lequel :
[114.1] il inscrit une date de livraison du bâtiment résidentiel précise ;
[114.2] il coche une clause qui stipule que la date de livraison ne pourra pas être repoussée ;
alors que les travaux de ce bâtiment précis n’avaient même pas encore débuté ;
[114.3] et qu’il [par l’entremise d’une autre représentante] appelle son fournisseur huit jours après la signature (Sylvie Pilon : « il ne s’est écoulé comme, sept jours même pas sept jours si on calcule qu’il y a la fête du travail ») et que son fournisseur lui réponde ne pouvoir garantir de délai de livraison, ni de prix fixe, à cause des effets de la pandémie de Covid-19 ; et
[114.4] et plaider par la suite qu’au moment de la signature le 31 août 2020 [par l’entremise d’un autre représentant qui n’a pas témoigné à l’audience], il n’avait aucun doute quant à sa capacité à remplir son obligation.
[115] Des éléments de la plaidoirie n’ont pas fait l’objet d’une preuve ou d’une preuve complète :
[115.1] l’Entrepreneur a plaidé « c’était inconnu d’elle [Sylvie Pilon, qui n’est pas la signataire du contrat], de son fournisseur jusqu’à ce moment-là »,
[115.1.1] alors qu’il y absence de preuve quant à la non-connaissance de son fournisseur au 31 août 2020 ;
[115.2] l’Entrepreneur a plaidé « avant septembre 2020 et octobre 2020, elle n’avait pas eu à commander quoi que ce soit auprès de son fournisseur » ;
[115.2.1] alors qu’il n’y a pas eu de preuve sur la date de sa dernière commande avant septembre 2020 ;
[115.2.2] alors que ce n’est pas Sylvie Pilon qui a signé au nom de l’Entrepreneur le contrat contenant la date convenue, la personne qui a signé le contrat de garantie le 20 août et le contrat préliminaire le 31 août 2020 au nom de l’Entrepreneur n’a pas témoigné.
[116] Il y a un autre élément concernant l’obligation rapportée par la Cour d’appel dans Montréal (Communauté Urbaine de) c. Crédit commercial de France[23] qu’« il faut avoir démontré une conduite juridiquement irréprochable » :
[116.1] si d’une part, l’Entrepreneur, en temps de pandémie, ne s’est pas informé pour bien renseigner son client avant de signer et de s’engager le 31 août 2020 ;
[116.2] d’autre part, quand l’Entrepreneur a su dès le début septembre que « le bordel était pogné », il n’en a pas informé son client ;
[116.2.1] d’après la preuve, ce n’est qu’en mars suivant, et à la suite d’une demande du Bénéficiaire, que l’Entrepreneur l’a informé d’un retard dans la livraison (voir le courriel du 8 mars 2021, pièce B-3).
[117] Karim[24] écrit :
En d’autres termes, l’’entrepreneur ou le prestataire de services doit remplir son obligation de renseignement et s’acquitter de son devoir de conseil non seulement lors de la conclusion du contrat, mais aussi tout au long de sa durée.
[118] Sans citer ici l’ensemble des décisions de la Cour suprême et de la Cour d’appel sur l’obligation de renseignement de l’entrepreneur, en 2020, la Cour d’appel du Québec a démontré dans Cran-Québec II c. Excavations Mario Roy inc.[25] que l’obligation de renseignement prévue à l’article 2102 C.c.Q. (cité au paragraphe [111] ci-haut) se prolongeait après la conclusion du contrat:
[34] [...] l’entrepreneur [...] a l’obligation d’informer le client des difficultés ou risques afférents aux travaux (obligation qu’il doit satisfaire avant même la conclusion du contrat, conformément à l’article 2102 C.c.Q. Il doit de même signaler au client les vices ou défauts des biens que celui-ci lui fournit (art. 2104 C.c.Q.). Tant avant que pendant l'exécution du contrat, il ne peut pas fermer les yeux sur les écueils qu’il rencontre ou observe et qui peuvent, par exemple, mettre l’ouvrage en péril, faire en sorte qu’il ne réponde pas aux objectifs du client, compliquer sa réalisation, engendrer un risque de dégradation ou affecter sa qualité. Il doit en aviser le client et, le cas échéant, le conseiller à ce sujet.
[119] L’Entrepreneur a produit la décision Khoukaz-Gamache et al. c. Maisons Laprise Inc. et GCR[26], rendue le 8 septembre 2020 par le Tribunal soussigné ; comme le soussigné l’a souligné à l’audience, cette décision portait sur l’exécution d’une décision de l’Administrateur du 11 mai 2020 et non, sur une date de livraison convenue dans un contrat avec une clause qui a été cochée par l’entrepreneur à l’effet qu’il n’y aura pas de report, contrat signé pendant une période couverte par les décrets gouvernementaux sur l’urgence sanitaire.
[120] Dernier point avant de conclure : la directrice-gestion immobilière a soulevé avoir conclu en avril 2021, puis par la suite, que le client était satisfait de la nouvelle date de livraison parce qu’il ne l’avait pas appelée malgré son invitation à communiquer avec elle s’il voulait en parler de vive voix.
[121] La Cour suprême du Canada a écrit dans l'arrêt The Mile End Milling Co. v. Peterbourough Cereal Co.[27] :
La véritable règle de droit, c'est qu’on n’est jamais censé renoncer à un droit, et alors que l'acquiescement peut-être tacite, il doit être non-équivoque, c'est-à-dire l'intention d'acquiescer ou de renoncer doit être démontré.
[122] La Cour d’appel dans l’arrêt Société de cogénération de St-Félicien, société en commandite/St-Felicien Cogeneration Limited Partnership c. Industries Falmec inc.[28] a écrit :
[58] […] La renonciation peut être implicite mais elle «doit être non équivoque, c'est-à-dire, l'intention d'acquiescer ou de renoncer doit être démontrée». […]
[123] Déjà par courriel du 8 mars 2021, puis par courriel du 11 mars 2021 (cités aux paragraphes [43] et [44] ci-haut), le Bénéficiaire a fait part qu’il allait produire une réclamation pour retard de livraison, il est impossible pour le Tribunal de conclure de la preuve qu’il avait renoncé à son recours en vertu du Règlement.
[124] Pour tous ces motifs, la demande d’arbitrage de l’Entrepreneur est rejetée.
[125] L’article 123 du Règlement débute ainsi :
123. Les coûts de l’arbitrage sont partagés à parts égales entre l’administrateur et l’entrepreneur lorsque ce dernier est le demandeur. [...]
[126] Le Tribunal d’arbitrage conclut que les coûts de l’arbitrage seront partagés à parts égales entre l’Administrateur et l’Entrepreneur car ce dernier est le demandeur, avec[29] les intérêts au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la date de la facture émise par l’organisme d’arbitrage, après un délai de grâce de 30 jours.
[127] PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
[127.1] REJETTE, la demande d’arbitrage de l’Entrepreneur ;
[127.2] ORDONNE à l’Entrepreneur de rembourser au Bénéficiaire la somme de 6 000$ dans les trente (30) jours de la date de la présente décision envoyée le même jour par courriel aux parties, à noter qu’il s’agit d’un délai de rigueur ET QU’À DÉFAUT par l’Entrepreneur de rembourser cette somme au Bénéficiaire dans ce délai, ORDONNE à l’Administrateur, comme caution des obligations de l’Entrepreneur en vertu du Règlement, de rembourser au Bénéficiaire la somme de 6 000$ dans les trente (30) jours supplémentaires ET RÉSERVE à l’Administrateur ses recours subrogatoires contre l’Entrepreneur en cas de paiement au Bénéficiaire comme caution ;
[127.3] ORDONNE que les coûts d’arbitrage soient payés à parts égales, moitié par l’Administrateur moitié par l’Entrepreneur, avec les intérêts au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la date de la facture émise par l’organisme d’arbitrage CCAC, après un délai de grâce de 30 jours.
Montréal, le 20 juin 2022
__________________________
ROLAND-YVES GAGNÉ
Arbitre / CCAC
Entrepreneur :
Me Émilie Paquin
Trivium Avocats Inc.
Administrateur :
Me Pierre-Marc Boyer
Bénéficiaire :
Se représente seul
Décisions citées :
Khoukaz-Gamache et al. c. Maisons Laprise Inc. et GCR, 2020 CanLII 100510 (QC OAGBRN), CCAC S20-061001-NP, 8 septembre 2020, Roland-Yves Gagné, arbitre.
Giguère c. Construction Duréco inc. 2019 QCCA 2179.
Consortium M.R. Canada Ltée c. Office municipal d’habitation de Montréal 2013 QCCA 1211.
Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ inc. c. MYL 2011 QCCA 56.
La Garantie des Bâtiments Résidentiels Neufs de l’APCHQ Inc. c. Maryse Desindes et Yvan Larochelle, et René Blanchet mise en cause AZ-50285725, J.E. 2005-132 (C.A.).
9264-3212 Québec Inc. c. Moseka 2018 QCCS 5286 (Hon. Juge Johanne Brodeur, j.c.s.).
Montréal (Communauté Urbaine de) c. Crédit commercial de France 2001 CanLII 18592.
Construction R. Cloutier inc. c. Entreprises CJS inc. 2007 QCCS 652 (Hon. Juge Denis Jacques, j.c.s.).
Yu et Groupe Pentian Developpements inc./Condos 2050, AZ-51657816, 2020 CanLII 366 (QC OAGBRN), CCAC, S19-011801-NP, 7 janvier 2020, Roland-Yves Gagné.
Cran-Québec II c. Excavations Mario Roy inc. 2020 QCCA 91.
The Mile End Milling Co. v. Peterbourough Cereal Co. 1923 RCS 131.
Société de cogénération de St-Félicien, société en commandite/St-Felicien Cogeneration Limited Partnership c. Industries Falmec inc. 2005 QCCA 441.
Garantie Habitation du Québec inc c. Masson 2016 QCCS 5593 (Hon. Juge Marie-Anne Paquette, j.c.s.).
[1] 35. Le bénéficiaire ou l’entrepreneur, insatisfait d’une décision de l’administrateur, doit, pour que la garantie s’applique, soumettre le différend à l’arbitrage dans les 30 jours de la réception par poste recommandée de la décision de l’administrateur [...].
[2] Les décrets et arrêtés sont aux adresses suivantes :
https://www.caij.qc.ca/dossier/archives-legislatives-covid-19
[3] Décret 177-2020 concernant une déclaration d’urgence sanitaire conformément à l’article 118 de la Loi sur la santé publique, (2020) 152 G.O. II, 1101A; Décret 222-2020 concernant le renouvellement de l’état d’urgence sanitaire conformément à l’article 119 de la Loi sur la santé publique et certaines mesures pour protéger la santé de la population, 20 mars 2020.
[4] Gazette Officielle du Québec, 25 mars 2020, 152e année, no 13A, Partie 2, p. 1140A.
[5] https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/sante-services-sociaux/publications-adm/lois-reglements/AM_2020-025.pdf?1587337341 ; QUE l’annexe du décret numéro 223-2020 du 24 mars 2020, […] soit de nouveau modifiée par l’ajout, à la fin de la rubrique « 9. Secteur de la construction », du paragraphe suivant : « e. Construction et rénovation d’habitations résidentielles, pour tout immeuble où la prise de possession d’une unité résidentielle doit avoir lieu au plus tard le 31 juillet 2020, incluant la fourniture de biens et de services pouvant être requis aux fins de ces travaux, dont la fourniture de services par les courtiers immobiliers, les arpenteurs-géomètres, les inspecteurs et les évaluateurs en bâtiment et les évaluateurs agréés »
[6] Gazette Officielle du Québec, Partie 2, 7 mai 2020, no 19A, p. 1893A : « QUE la suspension applicable aux activités effectuées en milieux de travail en vertu du décret numéro 223-2020 du 24 mars 2020 soit levée à l’égard : [...]
3° des activités du secteur de la construction qui ne sont pas visées à la rubrique « 9. Secteur de la construction » de l’annexe du décret numéro 223-2020 du 24 mars 2020, modifiée par les arrêtés numéros 2020-021 du 14 avril 2020 et 2020-025 du 19 avril 2020;
4° des fournisseurs de biens et de services requis pour les secteurs minier, manufacturier et de la construction, qui ne sont pas visés à l’annexe du décret numéro 223-2020 du 24 mars 2020, modifiée par les arrêtés numéros 2020-010 du 27 mars 2020, 2020-011 du 28 mars 2020, 2020-013 du 1er avril 2020, 2020-014 du 2 avril 2020, 2020-015 du 4 avril 2020, 2020-016 du 7 avril 2020, 2020-017 du 8 avril 2020, 2020-018 du 9 avril 2020, 2020-021 du 14 avril 2020, 2020-023 du 17 avril 2020, 2020-025 du 19 avril 2020 et 2020-027 du 22 avril 2020 et par le décret numéro 500-2020 du 1er mai 2020;
5° des courtiers immobiliers, des arpenteurs-géomètres, des inspecteurs et des évaluateurs en bâtiment et des évaluateurs agréés; »
[7] https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/sante-services-sociaux/publications-adm/lois-reglements/decret-689-2020.pdf?1593122209
[8] G.O., partie 2, 23 juillet 2020, 152e année, no 30A, partie 2, page 3076A.
[9] 2020 CanLII 100510 (QC OAGBRN), CCAC S20-061001-NP, 8 septembre 2020, Roland-Yves Gagné, arbitre.
[10] 2020 CanLII 100510 (QC OAGBRN), CCAC S20-061001-NP, 8 septembre 2020, Roland-Yves Gagné, arbitre.
[11] Arrêté no 2020-4251 de la juge en chef du Québec et de la ministre de la Justice concernant la suspension de délais de prescription et de procédure civile et l’utilisation d’un moyen de communication en raison de la déclaration d’urgence sanitaire du 13 mars 2020, (2020) 152 G.O. II, 1105A.
[12] https://www.justice.gouv.qc.ca/fileadmin/user_upload/contenu/documents/Fr__francais_/centredoc/coronavirus/Arrete_27-CPC-2020-4303_VF.pdf
[13] Giguère c. Construction Duréco inc. 2019 QCCA 2179 ; Consortium M.R. Canada Ltée c. Office municipal d’habitation de Montréal 2013 QCCA 1211 ; Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ inc. c. MYL 2011 QCCA 56 ; La Garantie des Bâtiments Résidentiels Neufs de l’APCHQ Inc. c. Maryse Desindes et Yvan Larochelle, et René Blanchet mise en cause AZ-50285725, J.E. 2005-132 (C.A.).
[14] Article 5 : Toute disposition d’un plan de garantie qui est inconciliable avec le présent règlement est nulle.
[15] 9264-3212 Québec Inc. c. Moseka 2018 QCCS 5286 (Hon. Juge Johanne Brodeur). Voir aussi, au même effet : Immobilier Versant Ouest Inc. c. SDC de la Bâtisse Savage et Raymond Chabot Administrateur Provisoire Inc. ès qualités d’administrateur provisoire du plan de garantie La Garantie Abritat, CCAC S19-012101-NP, 19 juillet 2019, Michel A. Jeanniot, arbitre (paragraphes [89] et [90]); 3093-2313 Québec c. Létourneau et Bouchard et la Garantie des maisons neuves de l’APCHQ CCAC S15-022401-NP, Décision rectifiée du 12 novembre 2015, Roland-Yves Gagné, arbitre, paragraphe [335]; Syndicat des copropriétaires 6613-6635 boul. des Laurentides Laval c. 9141-0001 Québec Inc. et Garantie des Bâtiments Résidentiels Neufs de l’APCHQ, (CCAC S14-070901-NP, 1er juin 2015, Yves Fournier, arbitre), paragraphes [68] à [76]. Gauthier et Gagnon c. Goyette Duchesne Lemieux inc. et La Garantie des Bâtiment Résidentiels Neufs de l’APCHQ inc., SORECONI 050629001, 3 novembre 2006, Jeffrey Edwards, alors arbitre, aujourd’hui j.c.s., paragraphe [130].
[16] 2001 CanLII 18592
[17] [15] Jean PINEAU, Danielle BURMAN & Serge GAUDET, Théorie des obligations, 3e éd., Montréal, Éd.Thémis, 1996, no. 475, p. 679.
[18] [17] American Home (La Cie d'assurances) c. Inter-Tex Transport Inc., [1994] R.R.A. 21 (C.A.).
[19] 2007 QCCS 652 (Hon. juge Denis Jacques).
[20] [19] Vincent KARIM, Les contrats d'entreprise de prestations, de services et l'hypothèque légale, Montréal, Wilson et Lafleur, 2004, p. 66
[21] [20] V. Denys-Claude LAMONTAGNE, Droit spécialisé des contrats, vol. 2, Cowansville, Éd. Yvon Blais, 1999, p. 120; V. aussi Olivier F. KOTT et Claudine ROY, La construction au Québec: perspectives juridiques, Montréal, Wilson et Lafleur, 1998, p. 370 ss.
[22] AZ-51657816, 2020 CanLII 366 (QC OAGBRN), CCAC, S19-011801-NP, 7 janvier 2020, Roland-Yves Gagné.
[23] 2001 CanLII 18592
[24] 2e édition, 2011, p. 510 paragraphe 1208.
[25] 2020 QCCA 91.
[26] 2020 CanLII 100510 (QC OAGBRN), CCAC S20-061001-NP, 8 septembre 2020, Roland-Yves Gagné, arbitre.
[27] 1923 RCS 131.
[28] 2005 QCCA 441.
[29] Garantie Habitation du Québec inc c. Masson 2016 QCCS 5593 (Hon. Juge Marie-Anne Paquette, j.c.s.) paragraphes [54] et [61].