(Décret 841-98 du 17 juin 1998)
Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment :
Centre canadien d’arbitrage commercial (CCAC)
No dossier CCAC : S12-103002-NP
No dossier Garantie : 196011-1
Date: 5 avril 2013
ENTRE: Madame Nancy Audette
Monsieur Daniel Savignac
(ci-après « les Bénéficiaires »)
ET
Consruction Louis-Seize et Associés Inc.
(ci-après « l’Entrepreneur »)
ET :
La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ Inc.
(ci-après « l’Administrateur »)
L'Arbitre : Me France Desjardins
Pour les Bénéficiaires : Monsieur Daniel Savignac
Pour l’Entrepreneur : Monsieur Yves Gervais
Pour l’Administrateur : Me Élie Sawaya, Savoie Fournier;
Monsieur Richard Berthiaume
Mandat
Le Tribunal est saisi d’une demande d’arbitrage par nomination du CCAC en date du 6 novembre 2012 en conformité du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (ci-après le Règlement)[1]
Historique et pièces
26 janvier 2011 |
Contrat préliminaire et de garantie |
16 février 2011 |
Modifications suite à un contrat préliminaire |
15 juin 2011 |
Acte de vente |
15 juin 2011 |
Formulaire d'inspection pré-réception du bâtiment |
14 juin 2012 |
Lettre des Bénéficiaires à l'Entrepreneur et à l'Administrateur |
|
Réclamation des Bénéficiaires à l'Administrateur |
26 juin 2012 |
Avis de 15 jours de l'Administrateur à l'Entrepreneur |
23 août 2012 |
Inspection de l'Administrateur |
22 octobre 2012 |
Décision de l'Administrateur |
30 octobre 2012 |
Demande d'arbitrage des Bénéficiaires |
5 décembre 2012 |
Conférence préparatoire téléphonique |
10 décembre 2012 |
Dépôt rapport d'expertise par les Bénéficiaires |
14 février 2013 |
Dépôt rapport d'avis technique par l'Entrepreneur |
19 février 2012 |
Visite des lieux et audition |
LES FAITS
[1] Le 26 janvier 2011, les Bénéficiaires signent avec l’Entrepreneur, un contrat préliminaire pour la construction d’une résidence à Repentigny. Le 16 février de la même année, les parties conviennent par écrit de modifications postérieures au contrat préliminaire, dont l'installation d'un plancher chauffant au garage et au sous-sol ainsi que l'agrandissement du garage, lequel est double, en forme de L et mesure 7,5 m de largeur, 6 m de profondeur à une moitié et 13 m de profondeur à l'autre moitié.
[2] Quelques semaines après la réception du bâtiment, qui a eu lieu le 15 juin 2011, les Bénéficiaires font appliquer une finition de type Polyurea sur la dalle de béton du garage. Avant le recouvrement, la firme Zone Garage procède à la réparation de fissures d'environ 90 pieds linéaires dans la dalle de béton.
[3] Les fissures réapparaissent en plus grand nombre et sur une plus grande surface (maintenant 140 pieds linéaires) si bien qu'en juin 2012, les Bénéficiaires mettent l'Entrepreneur en demeure de corriger la situation, puis, adressent une réclamation à l'Administrateur. Ce dernier rend, le 22 octobre 2012, une décision rejetant la réclamation au motif que la situation dénoncée est attribuable au comportement normal des matériaux lors du séchage et, de ce fait, est exclue de la garantie en vertu de l'article 12 du Règlement.
LA PREUVE ET L'ARGUMENTATION
[4] À l'audition, le Bénéficiaire, monsieur Savignac, témoigne à l’effet que sa résidence est située dans un quartier haut de gamme, qu'il ne comprend pas que le plancher du garage comporte autant de fissures. Référant aux conclusions de son expert relatives à l'absence de joints de contrôle, le Bénéficiaire donne pour exemple les trottoirs qui ont de tels joints. Il ajoute qu'il aurait été prêt à payer plus cher pour ne pas avoir de fissures si on lui en avait mentionné la nécessité.
[5] Madame Mladenka Saric, ingénieur, PH.D., témoigne pour les Bénéficiaires. Expliquant le rapport d'expertise qu'elle a dressé, madame Saric indique que l'ouverture des fissures ne dépasse pas 1mm. Elle ne comprend toutefois pas l'absence de traits de scie considérant la dimension de la dalle de béton, en forme de L, avec deux puisards. Elle est d'avis que l'exécution de traits de scie fait partie des règles de l'art et des bonnes pratiques dans le domaine du béton.
[6] Contre-interrogée par Me Sawaya sur la version du Code du Bâtiment (ci-après le Code) qui s'applique, le témoin indique avoir cité les versions 2005 et 2010. Madame Saric convient que le Code 2010 n'est pas encore en vigueur mais elle en applique les normes. Elle se dit surprise que la Ville de Repentigny n'ait pas adopté la section 9 du Code relative aux travaux de béton pour maisons et petits bâtiments. Selon les informations qui lui ont été fournies, ce serait pour des raisons administratives et non techniques. Sur l'aspect technique, elle trouve d'ailleurs difficilement conciliable que les exigences sur la qualité des constructions puissent varier d'une ville à l'autre.
[7] À savoir si elle fait fi de la norme adoptée par le législateur et si on doit exiger de l'Entrepreneur qu'il applique le Code 2010, madame Saric indique que l'entrepreneur doit faire fleurir sa 'business' en offrant le maximum car il n'utilise pas des matériaux de 1995 mais de 2012. Selon elle, c'est le Code 2005 et les règles de bonne pratique qui s'appliquent en l'espèce.
[8] Madame Saric confirme que la fissure la plus large mesure moins de 1 mm et la dénivellation la plus importante est de 1mm.
[9] Quant à la norme A-438 à laquelle son rapport d'expertise réfère, madame Saric indique que les notes apparaissant à la page 9 du document établissant cette norme sont des recommandations.
[10] Le procureur réfère ensuite le témoin expert à la page 3 de son rapport traitant de l'espacement requis entre les joints de rupture pour les patios et les voies d'accès privées pour automobiles. Longuement contre-interrogée sur la définition d'une voie d'accès privée pour automobile et d'un 'driveway', madame Saric indique que c'est ce qui se rapproche le plus d'un garage, selon sa compréhension des langues française et anglaise.
[11] Invitée à identifier les traits de scie sur le plan du garage qu'elle a produit en annexe de son rapport, madame Saric indique qu'elle en aurait fait deux sur la largeur de 7,5m et 3 sur la largeur de 13m. Elle est d'avis que le fait d'installer des tuyaux pour le chauffage radiant sous la dalle ne change rien.
[12] Les Bénéficiaires font ensuite entendre monsieur Erik Gravel, président de Zone Garage. Le témoin indique avoir traité 2000 à 3000 garages et confirme avoir rencontré fréquemment un problème de fissures. Pour un garage de 500 p.c., on voit 20 pieds linéaires de fissures et pour un garage double, environ 40 pieds linéaires. Les fissures de 140 pieds linéaires sont donc exagérées.
[13] En contre-interrogatoire, monsieur Gravel confirme avoir posé le Polyurea 2 mois après le coulage du béton. Il indique que c'est une bonne pratique puisque le produit peut être installé à partir de 30 jours. Il indique que c'est la première fois qu'il voit le revêtement fissurer à nouveau après l'apposition du produit.
[14] Questionné sur la rubrique 'Substrate Repairs' de l'Annexe relative aux spécifications du produit Polyurea que l'on retrouve au rapport d'expertise de madame Saric, monsieur Gravel croit qu'on parle de la même chose dans l'industrie du béton lorsqu'on invoque les joints d'expansion et les joints de rupture.
[15] Monsieur Yves Gervais témoigne pour l'Entrepreneur. Il explique qu'il ne pouvait pas offrir de faire des traits de scie à cause du chauffage. Pour qu'un trait de scie soit efficace ajoute-t-il, il faut qu'il soit entre 1/3 et 1/4 de l'épaisseur de la dalle. Ainsi, la hauteur du treillis au centre de la dalle est de 75mm, auquel est attaché le chauffage radiant à 1 1/4 pouce du haut de la dalle. Il s'agit de béton Demix, le finisseur est le même depuis 15 ans et il travaille selon les règles de l'art.
[16] Contre-interrogé par le Bénéficiaire, monsieur Gervais confirme qu'il ne lui a pas offert les traits de scie parce que ce n'était pas possible à cause du chauffage. Il indique l'offrir à l'occasion mais souvent, les clients ne le veulent pas.
[17] Questionné sur la façon dont le treillis arrive au milieu de la dalle, monsieur Gervais explique qu'il est soulevé en coulant le béton.
[18] Selon monsieur Gervais, si le produit posé par Zone Garage était aussi flexible que prétendu, il n'y aurait pas de litige avec l'Entrepreneur, qui n'a pas réparé les fissures ni posé le recouvrement. Il ajoute que le Bénéficiaire ne l'a jamais informé de son intention de faire un si beau garage. Enfin, il croit que le Bénéficiaire est allé trop vite pour faire le recouvrement et la finition.
[19] Monsieur Gervais rappelle enfin qu'à son avis, le produit Polyurea n'est pas flexible et élastique et si on avait attendu que le retrait soit complété, Zone Garage poserait une autre couche et ce serait correct. À la question 'si vous aviez le même garage, que feriez-vous', monsieur Gervais répond 'je referais une autre couche'.
[20] L'Entrepreneur fait entendre monsieur Benoit Moreau, ingénieur à l'emploi de Technorm. indique que la section 9.3 du Code relative aux exigences en matière de béton, est exclue de la réglementation applicable à la Ville de Repentigny.
[21] Contre-interrogé par Me Sawaya, monsieur Moreau convient que les traits de scie minimisent le risque mais ne le réduit pas à zéro. Quant à savoir s'il est recommandable d'apposer un produit après 2 mois suivant le coulage du béton, monsieur Moreau explique qu'il ne connaît pas le produit Polyurea mais ajoute que les fissures apparaissent lorsque le retrait excède la résistance de tension du béton.
[22] À la question combien de temps attendre avant d'appliquer un produit, monsieur Moreau se fierait aux recommandations du fabricant. Monsieur Moreau opine que les joints d'expansion et de contrôle sont différents. Les joints d'expansion concernent la dilatation des matériaux, ce dont il n'est pas question ici selon le témoin.
[23] Contre-interrogé par le Bénéficiaire sur les raisons qui expliqueraient la présence de fissures dans le garage alors qu'il n'y en a pas au sous-sol, monsieur Moreau opine que ce pourrait être à cause de la présence de deux puisards et la forme en L du garage.
[24] Monsieur Gervais intervient pour expliquer que ce n'est pas le même béton dans les deux pièces. De plus, au sous-sol, l'armature n'est pas soulevée et l'épaisseur de la dalle est moindre. À la question de madame Saric sur la possibilité d'installer des supports de treillis pour tenir en place les tuyaux de chauffage, monsieur Gervais répond que ces tuyaux, en rouleau, sont très difficiles à travailler.
[25] Monsieur Richard Berthiaume témoigne pour l'Administrateur. Il explique avoir constaté des fissures de retrait de 1mm, attribuables au comportement normal des matériaux, la dalle étant sur le sol et non structurale. Il a donc conclu à l'exclusion de la garantie. Il dépose le Guide de performance de l'APCHQ relatif aux largeurs et dénivellation acceptables.
[26] Interrogé par Me Sawaya sur l'absence de traits de scie, monsieur Berthiaume indique que, si le Bénéficiaire l'avait dénoncée, il aurait rejeté la réclamation parce que la règle A 438 est une recommandation et non une norme. De plus, un garage n'est pas une voie d'accès privée. Enfin ajoute-t-il, c'est le Code 1995 et non pas le Code 2005 qui s'applique à la Ville de Repentigny.
[27] Monsieur Berthiaume croit que faire des traits de scie comporte des risques élevés de sectionner les conduits et pourrait entraîner le non-respect de la garantie du manufacturier.
[28] Contre-interrogé par le Bénéficiaire sur les problèmes qui pourraient survenir si les fissures se remplissent de calcium, monsieur Berthiaume réitère qu'il doit appliquer le Règlement et, en l'espèce, conclure à exclusion de la garantie. Référant au Guide de performance de l'APCHQ, le Bénéficiaire demande ce qu'il en est du nombre de fissures acceptables par pied linéaire. Monsieur Berthiaume répond que les fissures ne sont pas définies sur la longueur mais sur la largeur.
[29] À la question de madame Saric concernant les autres moyens de faire des joints que des traits de scie, monsieur Berthiaume réitère qu'il ne s'agit pas d'une obligation de l'Entrepreneur. À la question de l'Arbitre concernant les règles de l'art, monsieur Berthiaume indique que la majorité des entrepreneurs ne font pas de joints de contrôle.
[30] A la question de Me Sawaya si on doit faire fi des règles de l'art qui exigeraient de faire des joints de contrôle lorsqu'on installe un produit spécial comme un plancher radiant, monsieur Berthiaume répond qu'on doit effectivement tenir compte de cela. Référant à la note de calcul quadrillé du rapport d'expertise, Me Sawaya demande si on aurait éliminé toutes les fissures avec des joints de contrôle, monsieur Berthiaume opine qu'on aurait pu en éliminer 50%.
[31] En argumentation, le Bénéficiaire rappelle qu'il s'attendait à une construction de qualité, qu'on ne l'a jamais informé qu'il s'exposait à ce problème et si on l'avait fait, il aurait déboursé le nécessaire pour l'éviter.
[32] Pour sa part, le représentant de l'Entrepreneur argue qu'il était impossible de savoir qu'il y aurait autant de fissures de retrait. Il convient qu'il y en a plus qu'habituellement mais la dalle est plus grande. Il plaide avoir pris toutes les mesures pour avoir le meilleur produit possible. Il réitère que la fissuration est inévitable mais que si le Bénéficiaire avait attendu que le retrait soit complété pour appliquer le revêtement, il n'y aurait pas eu de réclamation.
[33] Le procureur de l'Administrateur rappelle le caractère d'ordre public du Règlement. Il représente que l'utilité des joints de rupture n'est qu'esthétique. Il ajoute qu'une certaine profondeur est requise pour faire des traits de scie.
[34] Me Sawaya plaide que les notes dans le document de la norme CSA-A438 ne sont que des recommandations et que les codes 2005 et 2010 ne s'appliquent pas en l'espèce. Il dépose un extrait du Code 1995 relatif à la définition de garage de stationnement et réitère qu'une voie d'accès privée n'est pas un garage. À cet effet, il dépose deux jugements.[2] S'appuyant sur ces décisions, le procureur argue qu'il ne s'agit pas 'pick and choose’.
[35] Concluant à l'absence de recommandation sur la dalle de garage, Me Sawaya dépose six décisions prononçant l'exclusion de la garantie en présence de fissures qui résultent du comportement normal des matériaux.[3] En l'espèce, plaide Me Sawaya, les fissures sont en deçà de la tolérance prévue au Guide de performance de l’APCHQ.
[36] Enfin, Me Sawaya représente que les règles de l'art sont prévues dans les codes, les fiches techniques et autres. Or, argue-t-il, si on suit à l'aveugle une recommandation et on cause un problème au chauffage radiant, on n'applique pas les règles de l'art.
L'ANALYSE ET LES MOTIFS
[37] Dans le présent dossier, les Bénéficiaires ont porté en arbitrage une décision rendue par l’Administrateur le 22 octobre 2012 Essentiellement, le point en litige concerne la fissuration sur la dalle de béton du garage.
[38] Il importe de rappeler que le présent arbitrage se tient en vertu du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs.[4](ci-après le Règlement). C’est donc sur les dispositions du Règlement que l’arbitre doit fonder sa décision.
[39] Il convient donc de répertorier d’abord les dispositions légales et réglementaires qui encadrent les obligations des parties.
[40] La Loi sur le bâtiment[5] (ci-après la Loi) impose aux entrepreneurs généraux l’obligation de détenir une licence qu’ils ne peuvent obtenir qu’à certaines conditions, dont l’adhésion à un plan de garantie de leurs obligations, prescrite également par l’article 6 du Règlement.
[41] En vertu de l’article 79.1 de la Loi, «l'entrepreneur est tenu de réparer tous les défauts de construction résultant de l'inexécution ou de l'exécution de travaux de construction couverts par le plan» de garantie auquel il a adhéré.
[42] Les dispositions pertinentes du Règlement en regard des travaux couverts par le plan de garantie sont les suivantes:
7. Un plan de garantie doit garantir l’exécution des obligations légales et contractuelles d’un entrepreneur dans la mesure et de la manière prévues par la présente section.
10. La garantie d'un plan dans le cas de manquement de l'entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception du bâtiment doit couvrir:
1° le parachèvement des travaux relatifs au bâtiment ...
2° la réparation des vices et malfaçons apparents visés à l'article 2111 du Code civil...
3° la réparation des malfaçons existantes et non apparentes au moment de la réception et découvertes dans l'année qui suit la réception, visées aux articles 2113 et 2120 du Code civil...
4° la réparation des vices cachés au sens de l'article 1726 ou de l'article 2103 du Code civil qui sont découverts dans les 3 ans suivant la réception du bâtiment ...
5° la réparation des vices de conception, de construction ou de réalisation et des vices du sol, au sens de l'article 2118 du Code civil, qui apparaissent dans les 5 ans suivant la fin des travaux ...
12. Sont exclus de la garantie:
.....
2° les réparations rendues nécessaires par un comportement normal des matériaux tels les fissures et les rétrécissements
[43] Tel qu’établi dès les premières lignes de l’article 10 du Règlement, tout vice ou malfaçon dans la construction donnera ouverture à l'application de la garantie. Au surplus, les tribunaux ont établi le caractère d’ordre public (les parties ne peuvent y déroger, même par convention) du Règlement.. À cet effet, le Tribunal réfère notamment aux propos de l’Honorable Pierrette Rayle qui s’exprimait pour la Cour d’appel du Québec sur cette question:
Le Règlement est d’ordre public. Il pose les conditions applicables aux personnes morales qui aspirent à administrer un plan de garantie. Il fixe les modalités et les limites du plan de garantie ainsi que, pour ses dispositions essentielles, le contenu du contrat de garantie souscrit par les bénéficiaires de la garantie, en l’occurrence, les intimés.[6]
[44] Pour bien cerner ces notions, le Tribunal réfère aux définitions fournies, à titre de guide, dans une brochure[7] publiée par la Régie du bâtiment du Québec. Cet organisme est chargé, en vertu de la Loi sur le bâtiment,[8] de l’application du Règlement :
Vices ou malfaçons : Travail mal fait ou mal exécuté compte tenu des normes qui lui sont applicables. Ces normes se trouvent dans les conditions contractuelles et les règles de l’art (voir ci-dessus la notion de « règles de l’art »). Ces défauts d’exécution se distinguent des vices cachés et des vices de conception, de construction ou de réalisation par leur degré de gravité : il s’agit de défauts mineurs.
Règles de l’art : Ensemble des techniques et pratiques de construction reconnues, approuvées ou sanctionnées. Ces règles ont un caractère évolutif car les méthodes de construction, les équipements et les matériaux disponibles évoluent constamment.
Elles trouvent notamment leurs sources dans les documents suivants :
· les instructions ou guides fournis par les fabricants d’équipements ou de matériaux entrant dans la construction des immeubles;
· les normes ou standards publiés par les organismes de normalisation;
· les lois ou règlements contenant des prescriptions obligatoires relativement à l’ouvrage à construire;
· les publications scientifiques ou techniques utilisées à des fins d’enseignement des professions ou des métiers, ou servant à la diffusion du savoir le plus récent.»
[45] De plus, pour adhérer à un plan de garantie et obtenir un certificat d’accréditation, l’entrepreneur doit d’ailleurs, conformément à l’article 78 du Règlement, signer la convention d’adhésion fournie par l’administrateur, comportant les engagements énumérés à l’annexe II du Règlement. L’entrepreneur accrédité s’y engage, entre autres :
….. «3e à respecter les règles de l’art et les normes en vigueur applicables au bâtiment
[46] C’est donc dans un contexte législatif et réglementaire bien encadré et d’ordre public, visant à assurer l’exécution de ses obligations par l’Entrepreneur, que le Tribunal doit analyser la demande d’arbitrage.
[47] L’Entrepreneur et l'Administrateur ne nient pas qu’il y ait fissuration de la dalle de garage mais pour leurs représentants, les fissures résultent du comportement normal des matériaux. Par ailleurs, les Bénéficiaires, par leur expert, soumettent que l'Entrepreneur aurait dû exécuter des joints de contrôle pour empêcher la production de fissures aléatoires sur toute la surface de la dalle et, ce faisant, se conformer aux règles de l'art et aux bonnes pratiques dans le domaine du béton.
[48] Considérant la preuve soumise par les parties, le Tribunal doit établir si la décision de l’Administrateur est fondée. Autrement dit, la situation est-elle attribuable au comportement normal des matériaux?
[49] Lors de la visite des lieux et à l'audition, il a été établi que les fissures répondent aux caractéristiques de fissures de retrait au séchage du béton. Il a également été déterminé que la largeur des fissures atteint au maximum 1mm alors qu'une seule dénivellation est observée et mesure 1mm.
[50] Tous les intervenants ont cependant convenu que le nombre et l'étendue des fissures est très important. Peut-on parler alors de comportement normal des matériaux?
[51] La preuve a démontré que le garage a une très grande superficie, en forme de L et qu'il comporte deux puisards. De plus, un chauffage radiant est installé dans le plancher, sur lequel un revêtement en Polyurea a été posé. Selon le témoignage du représentant de l'Entrepreneur, c'est la plus grande dalle qu'il fait dans la construction résidentielle.
[52] De l'avis du Tribunal, le comportement des matériaux doit être examiné à la lumière des particularités du garage, une situation inhabituelle selon le témoignage même du représentant de l'Entrepreneur, laquelle ne peut donc être qualifiée de normale.
[53] Considérant ces spécificités, l'experte des Bénéficiaires a fait valoir que l'Entrepreneur aurait dû contrôler les matériaux en effectuant des joints de contrôle (traits de scie). L'Entrepreneur et l'Administrateur réfutent les prétentions de l'experte invoquant que l'entrepreneur n'avait pas l'obligation légale ou réglementaire de faire de tels joints.
[54] La preuve soumise par l'Entrepreneur a en effet bien démontré que les constructions dans la Ville de Repentigny ne sont pas soumises à la partie 9 du Code, relative aux exigences en matière de matériaux, dont le béton, pour les maisons et petits bâtiments. Toutefois, le Tribunal ne peut pour autant souscrire aux prétentions de l'Entrepreneur, celui-ci n'étant pas dispensé de son engagement de respect des règles de l'art
[55] De l'avis du Tribunal, la preuve prépondérante est à l'effet que l'Entrepreneur aurait dû prendre les mesures nécessaires et planifier la réalisation des travaux de manière à contrôler la fissuration de la dalle du garage. D'ailleurs, après avoir témoigné toujours offrir des traits de scie (joints de contrôle) à ses clients, monsieur Gervais indique ne pas l'avoir offert aux Bénéficiaires à cause de l'installation du chauffage radiant.
[56] Or, si l'exécution des traits de scie fait partie des usages dans les constructions standards, raison de plus pour en tenir compte dans le cas d'une construction exceptionnelle. À cet effet, le Tribunal retient du témoignage de l'inspecteur-conciliateur qu'en exécutant des joints de contrôle, on aurait éliminé plus ou moins 50% des fissures.
[57] Qui plus est, loin de diminuer les obligations de l'Entrepreneur, l'installation d'un chauffage radiant dans le plancher doit répondre aux exigences des règles de l’art. Il appartient alors à l'Entrepreneur de prendre toutes les mesures pour assurer une construction de qualité et empêcher que ne survienne la situation dénoncée. L'Entrepreneur ne peut se soustraire à ses obligations en invoquant que le Bénéficiaire ne lui a 'jamais dit qu'il ferait un si beau garage'
[58] Par ailleurs, contrairement aux prétentions de l'Administrateur, les notes explicatives apparaissant à la suite de l'article 6.6.1 dans la norme A-438 édictée par l'Association canadienne de normalisation, ne peuvent être ignorées. De l'avis du Tribunal, ces notes éclairent sur les normes ou standards publiés par les organismes de normalisation qui composent les règles de l'art selon la définition qu'en donne la Régie du bâtiment.
[59] Il n'y a pas lieu non plus de rejeter l'expertise produite par les Bénéficiaires, laquelle réfère aux standards concernant les vois d'accès privées pour automobiles, puisque la note qui est citée en référence par l'experte traite aussi des exigences pour les dalles de plancher.
[60] Enfin, l'Entrepreneur n'a fourni aucune preuve au soutien de ses prétentions à l'effet que les Bénéficiaires auraient fait installer trop rapidement le revêtement de Polyurea sur la dalle. La preuve technique soumise par les Bénéficiaires démontre plutôt que ledit produit peut être posé 30 jours après la construction de la dalle alors que dans le cas sous analyse, le recouvrement a été effectué deux mois après.
[61] Considérant les particularités du garage, le Tribunal conclut que la décision de l'Administrateur, qui impute la situation au comportement normal des matériaux, n'est pas fondée. L'Administrateur a invoqué la section 15-I du Guide de performance de l'APCHQ qui traite des fissures dans la dalle de béton du garage pour appuyer sa décision.
[62] Or, comme l'écrit l'arbitre Me Jeffrey Edwards:[9]
Le Guide de performance de l’APCHQ est rédigé par l’Association provinciale des constructeurs d’habitation du Québec. Il constitue, selon le point de vue de cet organisme, une codification des règles de l’art. Il y a cependant beaucoup de sources des règles de l’art. Or, ce sont les tribunaux civils et les tribunaux d’arbitrage qui ont le dernier mot pour déterminer les règles de l’art applicables et, en particulier, en quelle mesure les principes contenus dans le Guide de performance de l’APCHQ peuvent constituer un reflet fidèle des règles de l’art.
[63] L'Entrepreneur doit corriger les défauts. Cependant, considérant qu'en vertu de l'article 2099 du Code civil du Québec, l'Entrepreneur a le libre choix des moyens d'exécution, la méthode de correction lui appartient, sujet à son obligation de résultat.
LES FRAIS D'EXPERTISE
[64] Les Bénéficiaires réclament les frais d’expertise encourus pour les services professionnels de la firme Qualitas (1 490,43$) et la présence à l’audience de madame Mladenka Saric (730,09$). La somme des deux comptes représente un montant de 2 220,52$.
[65] Comme convenu à l'audition, le procureur de l'Administrateur a fait parvenir ses commentaires le 27 février 2013. Il y rappelle essentiellement les points soulevés lors de l'audition pour démolir l'expertise soumise par les Bénéficiaires pour conclure à son absence de pertinence au différend soumis à l'arbitrage.
[66] L'article 22 du Règlement stipule:
22. L'arbitre doit statuer, s'il y a lieu, quant au quantum des frais raisonnables d'expertises pertinentes que l'administrateur doit rembourser au demandeur lorsque celui-ci a gain de cause total ou partiel.
[67] Cette disposition établit trois critères de recevabilité au remboursement des frais d’expertise engagés par la Bénéficiaire. Il doit avoir gain de cause, les frais réclamés doivent être raisonnables par rapport à la nature du problème et l’expertise doit avoir été utile.
[68] De l’avis du Tribunal, le rapport d'expertise a été très utile à l'établissement des règles de l'art et pertinent au débat. Considérant la décision de l'Administrateur, les Bénéficiaires n'avaient d'autre choix que de commander une expertise. Le témoignage de l’expert à l’audience a permis la tenue de véritables échanges sur les problèmes potentiels et les règles de l'art dans le domaine.
[69] Dans les circonstances, il y a donc lieu de faire droit à la demande de la Bénéficiaire et d’ordonner le remboursement par l’Administrateur de 70% des frais totaux réclamés, soit un montant de 1 554,36$.
LA DÉCISION
[70] Le Tribunal d'arbitrage doit statuer «conformément aux règles de droit; il fait aussi appel à l’équité lorsque les circonstances le justifient».[10] Sa décision lie les parties et elle est finale et sans appel.[11]
[71] En vertu de l’article 21 du Règlement et vu que le Bénéficiaire a obtenu gain de cause sur le point 1, les frais d’arbitrage sont à la charge de l’Administrateur;
21. Les coûts de l'arbitrage sont partagés à parts égales entre l'administrateur et l'entrepreneur lorsque ce dernier est le demandeur.
Lorsque le demandeur est le bénéficiaire, ces coûts sont à la charge de l'administrateur à moins que le bénéficiaire n'obtienne gain de cause sur aucun des aspects de sa réclamation, auquel cas l'arbitre départage ces coûts.
POUR LES MOTIFS EXPOSÉS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
ACCUEILLE la demande d’arbitrage.
ORDONNE à l’Entrepreneur d’effectuer au plus tard le 30 juin 2013, les travaux correctifs requis selon les règles de l’art.
ORDONNE à l’Administrateur de procéder auxdits travaux dans les trente (30) jours suivant l’expiration du délai alloué à l’Entrepreneur.
ACCUEILLE EN PARTIE la demande des Bénéficiaires de rembourser ses frais d’expertise et en limite le montant à 1 554,36$.
CONDAMNE l’Administrateur à payer les frais d’arbitrage.
___________________________________________
Me France Desjardins
Arbitre / CCAC
[1] L.R.Q. c. B-1.1, r.02
[2] Ville de Montréal c. Jeffrey Deeprose et Windi Peterson, 2003 CanL II, 55350 (Qc CM); Ville de Laval c. Marcel Fortin, 2011, CanL II, 66341 (Qc CM)
[3] Marielle et Jacques Banville c. Construction Yvon Marquis Inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ Inc., 24 octobre 2001, Arbitre Claude Dupuis; Lillo Treassi et Maria Matteo c. Construction Tivoli Inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ Inc., SORECONI 050706002, 23 janvier 2006, Arbitre Me Jeffrey Edwards; Fadi Badaro c. La Maison Bond Inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ Inc., GAMM, 6 janvier 2006, Arbitre Claude Dupuis; Solange Fortin et Claude Cazelais c. Les Habitations Majeska Inc. et La Garantie Qualité Habitation, GAMM, 16 septembre 2003, Arbitre Claude Dupuis; Sylvie Martineau c. Habitations Beaux Lieux Inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ Inc., SORECONI, 051025001, 19 mai 2006, Arbitre Alcide Fournier; SDC du 5545 à 5573 rue St-Denis c. Inc. et Jardin en ville et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ Inc., GAMM 0412-8203, 24 avril 2005, Arbitre Johanne Despatis.
[4] L.R.Q. c.B.-1.1 r.0.2
[5] L.R.Q., c. B.-1.1
[6] La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCH Inc. c. Maryse Desindes et Yvan Larochelle et René Blanchet, ès qualité d’arbitre au CCAC, Cour d’appel, 15 décembre 2004, motifs de la juge Pierrette Rayle
[7] Brochure : Mesures à prendre pour votre maison concernant le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, Publication de la Régie du Bâtiment du Québec, dépôt légal 2007, Archives nationales du Québec.
[8] LRQ, c.B-1.1
[9] Les Habitations Signature Inc. c. Peter Folco et Marylin Folco et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ Inc., GAMM 2008-09-007, 10 juin 2009.
[10] Article 116 du Règlement
[11] Articles 20 et 120 du Règlement