ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
(Décret 841-98 du 17 juin 1998)
Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment : SORECONI
ENTRE |
Syndicat de la copropriété 1975 lofts
(ci-après le « Bénéficiaire » ou « Syndicat ») |
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C. |
9211-4057 Québec inc.
(ci-après l’ « Entrepreneur ») |
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Raymond Chabot Administrateur provisoire inc. ès qualité d’administrateur provisoire du Plan de garantie autrefois administré par la Garantie Habitation du Québec inc.
(ci-après l’ « Administrateur »)
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Dossier SORECONI : 2031088001 |
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Sentence arbitrale
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Arbitre : |
Me Saleha Hedaraly |
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Pour le Bénéficiaire : |
Madame Stéphanie Frigon |
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Pour l’Entrepreneur : |
Me Harold Rousselle, avocat |
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Pour l’Administrateur : |
Me François-Olivier Godin, avocat |
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Date de l’audition : |
7 décembre 2020 |
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Date de la décision : |
8 février 2021 |
Identification complètes des parties |
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Bénéficiaire |
Syndicat de la copropriété 1975 lofts 312-1975, Avenue de La Gare Mascouche (Québec) J7K 0M4 Courriels : syndic1975delagare@gmail.com
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Entrepreneur |
9211-4057 Québec inc. 1981, Bernard Pilon Beloeil (Québec) J3G 4S5
Et son avocat : Me Harold Rousselle Affaires juridiques et contentieux 1981, Bernard Pilon Beloeil (Québec) J3G 4S5 Courriel : hrousselle@habitationstrigone.com
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Administrateur |
Raymond Chabot Administrateur provisoire inc. ès qualité d’administrateur provisoire du Plan de garantie autrefois administré par la Garantie Habitation du Québec inc. 9200, boul. Métropolitain Est Montréal (Québec) H1K 4L2
Et son avocat : Me François-Olivier Godin 9200, boul. Métropolitain Est Montréal (Québec) H1K 4L2 Courriel : godinfo@belanger-paradis.com |
Mandat
L’arbitre a reçu son mandat de SORECONI le 10 septembre 2020.
Valeur en litige
La valeur en litige est estimée à une valeur correspondant à la classe 2 (entre 7001 et 15 000 $).
Extraits pertinents du plumitifs
31.08.2020 Réception par le greffe de SORECONI de l’avis d’arbitrage du Bénéficiaire
10.09.2020 Nomination de Me Saleha Hedaraly à titre d’arbitre
11.09.2020 Comparution de Me Harold Rousselle pour l’Entrepreneur
24.09.2020 Réception du cahier de pièces de l’Administrateur et comparution de Me François-Olivier Godin pour l’Administrateur
22.10.2020 Conférence préparatoire et transmission subséquente du procès-verbal
07.12.2020 Audience
08.02.2021 Décision
Sentence arbitrale
FAITS
Infiltrations d’eau au garage (point 1)
[1] Le bâtiment en litige est situé au [...], à Mascouche (« Immeuble »);
[2] Le 29 juillet 2015, la fin des travaux est constatée sur les parties communes de l’Immeuble[1];
[3] Le 30 novembre 2016, le Bénéficiaire reçoit un rapport d’inspection de la firme Ro-Max [pièce A-6] qui constate notamment la présence de cernes d’eau sur le plafond du garage de l’Immeuble[2]:
« Des cernes d'eau non humide et trace de saline minéral a été observé sur le plafond, ceci est signe d'infiltration d'eau. Il nous est impossible de savoir si d'autre infiltrations se produira éventuellement. Afin de déterminer l'amplitude de la situation, une inspection plus approfondie pour déterminer la source de l'humidité et faire les correctifs nécessaires.» ;
[4] Le 12 août 2017, le Bénéficiaire relate que d’autres fuites d’eau ont lieu dans le garage;
[5] Le 18 août 2017, le Bénéficiaire dénonce par courriel les infiltrations d’eau au garage à l’Entrepreneur uniquement [pièce B-2];
[6] Le 20 novembre 2017, suite à plusieurs échanges entre le Bénéficiaire et l’Entrepreneur, ce dernier confirme que « [l]es correctifs nécessaires seront exécutés au printemps 2018 ».
[7] Le 16 octobre 2018, le Bénéficiaire continue de remarquer d’autres fuites d’eau dans le garage et recontacte l’Entrepreneur pour les travaux correctifs;
Infiltrations d’eau à la toiture principale (point 4)
[8] Au courant de l’hiver 2018, le Bénéficiaire constate que des fuites d’eau s’écoulent du plafond de la toiture principale[3];
[9] Le 8 mars 2019, un rapport de Toiture F.B. indique qu’il y a « un véritable problème d’évacuation de l’eau sur la toiture en hiver » sur la toiture principale;
[10] Le 15 janvier 2020, le Bénéficiaire met en demeure l’Entrepreneur de réparer les infiltrations d’eau à la toiture principale (point 4);
Dénonciation à l’Administrateur
[11] Lors des évènements susmentionnés, l’Administrateur ne fait pas partie des échanges entre le Bénéficiaire et l’Entrepreneur;
[12] Le 7 juin 2019, le Bénéficiaire transmet sa dénonciation écrite relativement à l’infiltration d’eau à la toiture du garage par courriel à l’Administrateur (point 1);
[13] Le 17 janvier 2020, le Bénéficiaire transmet sa dénonciation écrite relativement à l’infiltration d’eau à la toiture principale par courriel à l’Administrateur (point 4);
[14] Le 15 juin 2020, Monsieur Michel Labelle, conciliateur, agissant pour l’Administrateur, inspecte le Bâtiment. Dans son rapport de conciliation (pièce A-3), il écrit que les délais de dénonciation et possiblement de prescription n’ont pas été respectés et qu’il ne peut « reconnaître ce[s] point[s] dans le cadre de son mandat »;
Éléments portés en arbitrage
[15] La demande d’arbitrage est instituée par le Bénéficiaire relativement à la décision de l’Administrateur datée du 15 juin 2020. Lors de la conférence de gestion du 22 octobre 2020, le Bénéficiaire confirme que seuls les points nos 1 et 4 (respectivement l’étanchéité de la toiture du garage et de la toiture principale) sont portés en arbitrage;
Objections sous réserve
[16] L’Administrateur et l’Entrepreneur s’objectent à la production de certaines pièces par le Bénéficiaire, notamment le Contrat de garantie pour bâtiment résidentiel en inventaire ainsi que pour des méthodes de correction des problèmes. Le Tribunal a entendu les arguments de toutes les parties mais rejette l’objection et permet la production des documents comme preuve du Bénéficiaire.
Sommaire des positions et des preuves respectives des parties
Le Bénéficiaire
[17] Le Bénéficiaire fait entendre comme témoin M. Gilbert Neault, ancien président du Bénéficiaire qui a constaté les premières infiltrations d’eau dans le garage en août 2017 et a assuré les premiers suivis avec l’Entrepreneur. Mme Carole Cloutier témoigne par la suite relativement à l’implication des syndicats horizontaux et verticaux sur la gestion des infiltrations d’eau aux parties communes et des suivis avec l’Entrepreneur. Finalement, Mme Stéphanie Frigon explique les démarches entreprises par le Bénéficiaire auprès de l’Administrateur et de l’Entrepreneur depuis qu’elle est présidente du Bénéficiaire.
[18] Le Bénéficiaire soutient que les infiltrations d’eau à la toiture du garage et de la toiture principale sont des vices cachés et qu’il a tenté de bonne foi de respecter les délais de prescription en dénonçant les infiltrations d’eau à l’Entrepreneur et se fiant à la bonne entente qui existait entre ce dernier et le Bénéficiaire. À titre subsidiaire, le Bénéficiaire ajoute que l’Entrepreneur n’est propriétaire d’aucune unité lors de la réception de l’Immeuble et que le délai de prescription de cinq (5) ans s’applique en l’espèce.
[19] Le Bénéficiaire ajoute que les parties communes sont la responsabilité non seulement d’un syndicat vertical mais d’un syndicat horizontal, que les administrateurs travaillent bénévolement et ont agi de bonne foi au meilleur de leur connaissance. Un préjudice appréciable a été causé au Bénéficiaire et celui-ci plaide pour que le Tribunal fasse preuve d’équité dans sa décision.
L’Administrateur
[20] L’Administrateur fait entendre comme témoin M. Michel Labelle, le conciliateur au dossier. Celui-ci explique le processus à partir de la réception de la dénonciation par l’Administrateur. Dans sa plaidoirie, l’avocat de l’Administrateur explique que la garantie du Règlement n’est pas illimitée mais est soumise à des considérations strictes. Le respect des délais est une de ces considérations. Relativement au point 1, en se référant au témoignage de M. Neault, l’Administrateur plaide que les premières infiltrations d’eau au garage ont eu lieu en août 2017 mais n’ont été dénoncées à l’Administrateur qu’en juin 2019, soit environ 22 mois plus tard. Relativement au point 4, en se référant au Rapport de Toiture F.B., l’Administrateur plaide que les infiltrations d’eau sur la toiture principale ont eu lieu en mars 2019 mais n’ont été dénoncées qu’en janvier 2020, soit environ 9 mois plus tard. Les délais de dénonciation sont donc déraisonnables en l’espèce.
[21] L’Administrateur réfère à la décision Syndicat des copropriétaires Lot 3977 437 c. Gestion Mikalin Limitée et La Garantie Abritat inc.[4], qui démontre que l’arbitre ne peut outrepasser les délais d’ordre public prévus par le Règlement et ne peut rendre une décision en équité lorsque le Bénéficiaire ne s’y est pas conformé;
L’Entrepreneur
[22] L’Entrepreneur ne fait pas entendre de témoins et réitère les arguments de l’Administrateur relativement à la prescription du recours du Bénéficiaire.
ANALYSE
LE DROIT
[23] Les délais de dénonciation sont notamment prévus à l’article 10 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs[5] (ci-après « Règlement »):
3° la réparation des malfaçons existantes et non apparentes au moment de la réception et découvertes dans l’année qui suit la réception, visées aux articles 2113 et 2120 du Code civil et dénoncées, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable de la découverte des malfaçons;
4° la réparation des vices cachés au sens de l’article 1726 ou de l’article 2103 du Code civil qui sont découverts dans les 3 ans suivant la réception du bâtiment et dénoncés, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable de la découverte des vices cachés au sens de l’article 1739 du Code civil; [notre emphase]
[24] Les articles 27 et 34 du Règlement prévoient également ce que le plan de garantie doit couvrir. Plus particulièrement, l’article 34 prévoit que:
La procédure suivante s’applique à toute réclamation fondée sur la garantie prévue à l’article 27:
1° le bénéficiaire dénonce par écrit à l’entrepreneur le défaut de construction constaté et transmet une copie de cette dénonciation à l’administrateur en vue d’interrompre la prescription; [notre emphase]
[25] Les dispositions pertinentes du Code civil du Québec relativement à la prescription sont reproduites ci-après :
2113. Le client qui accepte sans réserve, conserve, néanmoins, ses recours contre l’entrepreneur aux cas de vices ou malfaçons non apparents.
2120. L’entrepreneur, l’architecte et l’ingénieur pour les travaux qu’ils ont dirigés ou surveillés et, le cas échéant, le sous-entrepreneur pour les travaux qu’il a exécutés, sont tenus conjointement pendant un an de garantir l’ouvrage contre les malfaçons existantes au moment de la réception, ou découvertes dans l’année qui suit la réception.
2925. L’action qui tend à faire valoir un droit personnel ou un droit réel mobilier et dont le délai de prescription n’est pas autrement fixé se prescrit par trois ans. [notre emphase]
[26] La version courante de l’article 10 du Règlement est entrée en vigueur le 1er janvier 2015 et donc, avant la réception de l’Immeuble en l’espèce. Ce nouvel article ne fait aucune référence au délai de dénonciation de six (6) mois, contrairement à l’ancienne version dudit article[6].
[27] La Cour d’appel du Québec a rappelé que les délais mentionnés au Règlement étaient d’ordre public.[7]
L’APPLICATION AUX FAITS
[28] En l’espèce, il ressort clairement de la preuve que le Bénéficiaire n’a pas dénoncé les infiltrations d’eau sur la toiture du garage (point 1) et sur la toiture principale (point 4) en temps opportun. Les premiers cernes d’eau sur la toiture du garage sont visibles dès le 30 novembre 2016 mais n’ont été dénoncés que le 7 juin 2020, soit plus de quarante-deux (42) mois plus tard.
[29] Dans le même ordre d’idées, les premières apparitions d’infiltrations à la toiture principale surviennent à l’hiver 2018. Ce problème survient donc près de vingt-quatre (24) mois avant la dénonciation à l’Administrateur en janvier 2020. Même si le Tribunal retenait la date du Rapport Toiture F.B. du 8 mars 2019 comme découverte du vice caché, la dénonciation à l’Administrateur survient dix (10) mois plus tard.
[30] Or, le Règlement est clair à l’effet que pour interrompre le délai de prescription et d’obtenir compensation sous l’égide du Règlement, le Bénéficiaire doit dénoncer par écrit non seulement à l’Entrepreneur, mais également à l’Administrateur. La jurisprudence arbitrale réitère cet élément de manière constante[8] :
[70] C’est une erreur de croire que le délai de dénonciation débute lorsque la Bénéficiaire découvre que son recours est à l’encontre de l’Entrepreneur et non du fabricant. Ce qui doit être dénoncé est la survenance d’un problème et non la découverte de nos droits.
[71] Ainsi, le Tribunal ne peut retenir la date de juin 2014 proposée par la Bénéficiaire pour calculer le délai écoulé entre la découverte du problème et la dénonciation écrite à l’entrepreneur et à l’Administrateur.
[72] En l’espèce, la dénonciation à l’Entrepreneur a eu lieu le 2 avril 2013, mais n’a eu lieu qu’en février 2014 à l’endroit de l’Administrateur.
[73] La conjonction ET indique que ce sont des conditions cumulatives et non alternatives de sorte que c’est la date du 14 février 2014 qui est retenue comme date de dénonciation.
[31] Le Tribunal comprend la confusion qui a pu exister chez le Bénéficiaire relativement au délai de dénonciation. Cependant, malgré sa sympathie, le Tribunal doit rendre une décision basée sur le Règlement. Toutefois, le Bénéficiaire conserve un recours devant les tribunaux civils, assujetti aux règles de droit commun ainsi que de la prescription civile.
[32] En vertu de l’article 123 du Règlement, puisque le Bénéficiaire n’a eu gain de cause sur aucun des aspects de sa réclamation, le Tribunal doit départager les coûts de l’arbitrage entre le Bénéficiaire et l’Administrateur. Le Bénéficiaire ne peut utiliser son ignorance de la loi pour justifier la tardivité de sa dénonciation à l’Administrateur. Toutefois, les témoins présentés par le Bénéficiaire ont démontré que ce dernier s’est basé sur les représentations de l’Entrepreneur pour solutionner les problèmes d’infiltrations d’eau. Le Tribunal juge ces témoignages crédibles.
[33] En conséquence, tant en vertu du droit, notamment des articles 116 et 129 du Règlement, qu’en vertu des principes d’équité, le Bénéficiaire paiera la somme de 50,00$ et l’Administrateur, la balance des coûts du présent arbitrage.
DÉCISION
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
MAINTIENT la décision de l’Administrateur du 15 juin 2020;
REJETTE la demande d’arbitrage du Bénéficiaire relativement aux points 1 et 4;
LE TOUT, avec les frais de l’arbitrage à être départagés entre le Bénéficiaire pour la somme de 50,00$ et la balance par l’Administrateur et avec les intérêts au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la date de la facture émise par l’organisme d’arbitrage, après un délai de grâce de 30 jours.
RÉSERVE à Raymond Chabot administrateur provisoire Inc. ès qualités d’administrateur provisoire du plan de garantie de La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ Inc. autrefois administré par la Garantie Habitation du Québec inc. (l’Administrateur) ses droits à être indemnisé par l’Entrepreneur, pour tous travaux, toute(s) action(s) et toute somme versée incluant les coûts exigibles pour l’arbitrage (par.19 de l’annexe II du Règlement) en ses lieux et places, et ce, conformément à la Convention d’adhésion prévue à l’article 78 du Règlement.
Montréal, le 8 février 2021
____________________________
ME SALEHA HEDARALY, Arbitre
[1] Avis de fin des travaux A-7.
[2] Rapport d’inspection A-6, p. 15.
[3] Rapport de conciliation A-3, p. 17.
[4] Dossier no 2013-15-011, 24 avril 2015, (Groupe d’arbitrage et de médiation sur mesure), en ligne : <http://citoyens.soquij.qc.ca>.
[5] RLRQ c B-1.1, r 8.
[6] Règlement modifiant le Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, (2006) 39 G.O. II, 995. Voir également Huard et Villeneuve c. Les Constructions Berchard inc. et Raymond Chabot Administrateur Provisoire Inc. ès qualités d’administrateur provisoire du plan de garantie de La Garantie Abritat Inc., 2019 CanLII 66808 (QC OAGBRN), paras 52 et 53.
[7] Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ c. Desindes, 2004 CanLII 47872 (QC CA), para 11; Racaniello c. Développement Domont Inc., 2019 CanLII 102576 (QC OAGBRN), paras 77-79.
[8] Chalhoub c. Entreprises Devco Dufresne inc. et La Garantie Abritat inc., 2005 CanLii 15433, paras 70 à 74 (QC OAGBRN). Voir également Deschênes c. Groupe Nordco et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc., 2005 CanLii 59132, para 17 (QC OAGBRN).