ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
(Décret 841-98 du 17 juin 1998)
Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment : SORECONI
ENTRE : QI QIN
-et-
HUAN LING
(ci-après les « Bénéficiaires »)
ET : CONSTRUCTION JOMA INC.
(ci-après l’ « Entrepreneur »)
ET : LA GARANTIE QUALITÉ HABITATION INC.
(ci-après l’« Administrateur »)
No dossier SORECONI : 080206001
No bâtiment: n/d
DÉCISION INTERLOCUTOIRE
Arbitre : Me Michel A. Jeanniot
Pour les Bénéficiaires : Me Henry Altschuler
Pour l’Entrepreneur : Me Daniel Lévesque
Pour l’Administrateur : Me Avelino De Andrade
Date d’audience : 25 août 2008
Lieu d’audience : 1010, rue de la Gauchetière Ouest
Bureau 950
Montréal (Québec) H3B 2N2
Date de la sentence : 2 septembre 2008
Identification complètes des parties
Arbitre : Me Michel A. Jeanniot
Paquin Pelletier
1010, de la Gauchetière Ouest
Bureau 950
Montréal (Québec) H3B 2N2
Bénéficiaires : Me Henry Altschuler
Lazare Altschuler
1010, rue de la Gauchetière Ouest
Bureau 1305
Montréal (Québec) H3B 2N2
Entrepreneur: Me Daniel Lévesque
Lampron Lévesque, avocats
900, boul. Taschereau Ouest
Bureau A-210
Brossard (Québec) J4X 1C2
Administrateur : Me Avelino De Andrade
La Garantie Qualité Habitation Inc.
740, boul. Galeries-d’Anjou
Bureau 200
Anjou (Québec) H1M 3M2
Décision
L’arbitre a reçu son mandat de SORECONI le 26 mars 2008.
6 mai 2003 : Offre d’achat;
8 juillet 2003 : Acte de vente entre Groupe Frank Catania & Associés Inc. et les Bénéficiaires;
19 octobre 2003 : Independent Contractor Agreement signé par les Bénéficiaires et Construction Joma Inc.;
2 août 2007 : Correspondance de F. Catania & Associés Inc. aux Bénéficiaires;
14 août 2007 : Soumission pour l’installation de pompe submersible de Plomberie JL;
26 septembre 2007 : Rapport d’inspection de Les Consultants en construction R Santo Inc. au bénéfice des Bénéficiaires;
17 octobre 2007 : Avis de dénonciation;
24 janvier 2008 : Décision de l’Administrateur;
6 février 2008 : Demande d’arbitrage des Bénéficiaires;
18 mars 2008 : Réception par l’arbitre du cahier de pièces de l’Administrateur;
26 mars 2008 : nomination de l’arbitre;
27 mars 2008 : Lettre de l’arbitre aux parties les informant du processus de l’arbitrage;
1er avril 2008 : Correspondance de Gestion Lehoux & Tremblay Inc. relative à l’estimation des coûts pour corriger le problème d’élévation de la résidence des Bénéficiaires;
4 juin 2008 : Fixation de la date d’audition aux 25 et 26 août 2008;
15 juillet 2008 : Réception par l’arbitre des pièces des Bénéficiaires;
14 août 2008 : Correspondance de l’Administrateur demandant la convocation d’une audition pour la présentation d’une requête en irrecevabilité;
14 août 2008 : Correspondance de l’arbitre aux parties et remise sine die de l’audition et fixation d’une date pour procéder sur la requête en irrecevabilité de l’Administrateur au 25 août 2008.
Valeur en litige : estimée entre 390 000,00 $ et 400 000,00 $
Moyens préliminaires :
[1] Après nomination du soussigné, communication de cette information aux intéressés les Bénéficiaires, en date du ou vers les 14 mai 2008, ont judiciarisé certains de leurs griefs concernant le bâtiment résidentiel. Les parties en défense à la requête introductive d’instance, sont l’Entrepreneur Constructions Joma Inc. et un tiers à la procédure d’arbitrage un dénommé Michel Charron.
[2] En date du ou vers le 28 mai 2008, les Défendeurs à l’action civile précitée, renchérissent, et par le biais d’une requête introductive d’instance en garantie, recherchent la responsabilité de Les Excavations G.S.R.P. & Frères Inc. et Groupe Frank Catania & Associés Inc.
[3] En réaction à cette judiciarisation, l’Administrateur soulève devant le présent tribunal à la fois une exception de litispendance et subsidiairement, que les Bénéficiaires ont abandonné la voie de l’arbitrage. L’Administrateur plaide que le présent tribunal doit perdre juridiction.
[4] Considérant les récentes décisions de la Cour suprême du Canada dans les affaires Rogers[1] et Dell[2] lesquelles confirment qu’une fois il est déterminé que la clause compromissoire est parfaite, l’arbitre (ou le tribunal d’arbitrage) est seul compétent à se prononcer sur la question de juridiction et/ou de compétence; il appartient au soussigné de trancher.
[5] Puisque aucune partie ne remet en question la clause compromissoire, juridiction est acquise et le soussigné doit donc, à l’exclusion de tout autre trancher les questions de juridiction et/ou de compétence sur la base de litispendance ainsi que subsidiairement si la judiciarisation par les Bénéficiaires est la démonstration d’un choix qu’ils (les Bénéficiaires) abandonnent la voie de l’arbitrage.
[6] L’Administrateur plaide que si je réponds par l’affirmative à l’une ou l’autre de ces questions, je me devrai d’accueillir sa demande et de rejeter la demande d’arbitrage des Bénéficiaires.
[7] Nous savons que l’exception de litispendance qui a pour objet de débouter la demande formée devant le présent tribunal est lourde de conséquences, il faut donc bien prendre garde de ne pas faire droit à cette exception s’il n’y a pas de litispendance absolue à tout égard.
[8] Il y a lieu de faire preuve de prudence. Je fais miens les propos du juge Gonthier dans l’affaire Rocois[3] alors que discutant sur le sujet (litispendance) au nom de la Cour, il place les balises à l’intérieur desquelles le(s) décideur(s) est confiné et explique qu’essentiellement, les seuls guides dont disposent le tribunal sont les actes de procédures soumis. La Cour suprême (toujours sous la plume du juge Gonthier) précise qu’il en résulte que la détermination de la cause repose sur des allégations que l’on doit tenir pour avérer aux fins de l’analyse. La qualification juridique donnée aux faits au stade préliminaire relève en conséquence du domaine de l’hypothèse et pour cette raison, il s’agit d’un exercice délicat commandant une grande prudence.
[9] Le rejet erroné du processus d’arbitrage entraînerait la négation définitive des droits des Bénéficiaires, sans examen de l’affaire au mérite. Les graves conséquences qui en découlent exigent de conclure, en cas de doute, au rejet du moyen préliminaire. Par contre et puisque le tribunal possède les pouvoirs nécessaires d’émettre des ordonnances de suspension de procédure, un pouvoir qui prend source à l’article 46 du Code de procédure civile, (qui suppléent aux règles d’arbitrage et qui prévoit que le tribunal a tous les pouvoirs nécessaires à l’exercice de sa compétence incluant rendre toute ordonnance là où la loi n’a pas prévu de remède spécifique). Si l’exercice de ce pouvoir ne nous permet pas de créer des droits nouveaux ou de mettre de côté le droit applicable, le tribunal est certainement autorisé à suspendre les procédures si l’intérêt de la justice est mieux servi par une ordonnance dont l’objectif est de faciliter la marche normale d’une instance sans pour autant prendre le risque d’entraîner pour les Bénéficiaires une perte de droits.
Critères de litispendance
[10] Nous savons que pour qu’il y ait litispendance, trois (3) critères doivent se retrouver, soit l’identité de parties, d’objet et de cause.
Y a-t-il identité des parties?
[11] Il m’est acquis que les mots « parties » au sens juridique signifient « personne engagée dans un procès »[4].
[12] Bien que l’identité des parties aux présentes, ainsi que l’identification des parties ci-haut reprise aux paragraphes [1] et [2] s’expliquent d’eux-mêmes, il est ostensible que les parties ne sont pas identiques dans les deux dossiers, non plus que nous pourrions prétendre que l’ensemble des parties à un dossier se retrouve à l’autre.
[13] Considérant le sérieux et les conséquences d’accorder la demande de l’Administrateur, et puisque les parties dans les deux dossiers ne sont pas identiques, même si j’en venais à la conclusion qu’il y avait apparence de litispendance, le tribunal à ce stade des procédures déterminerait qu’à tout le moins il serait sage d’utiliser sa compétence inhérente pour ordonner la suspension du dossier jusqu’à ce que l’emporte force de chose jugée dans le dossier de la Cour supérieure numéro 500-17-043013-088 (plutôt qu’à son simple rejet).
Y a-t-il litispendance ou même apparence de litispendance?
[15] Je rappelle et précise ici qu’il s’agit d’une demande d’arbitrage des Bénéficiaires, suivant une décision de l’Administrateur rendue suivant les termes et conditions figurant au Contrat de garantie et adoptés conformément au Règlement sur le Plan de Garantie des Bâtiments Résidentiels Neufs[5] (ci-après le « Règlement ») et approuvés par la Régie du Bâtiment du Québec (ci-après une « Décision »).
[16] Un bénéficiaire tout comme un entrepreneur insatisfait de telle Décision ne peut (dans les trente (30) jours de la réception de telle Décision) exercer que deux (2) seuls recours, soit l’arbitrage ou la médiation. La clause compromissoire est parfaite, et contre la caution (l’Administrateur) aucune judiciarisation n’est possible.
[17] En l’absence de toute représentation à l’effet contraire et sur la foi des allégations que je me dois de tenir pour avérer aux fins de l’analyse, ma révision du dossier d’arbitrage m’indique que :
[17.1] la demande d’arbitrage a été soumise par les Bénéficiaires dans les trente (30) jours de la réception par courrier recommandé de la Décision de l’Administrateur; et,
[17.2] les postes de réclamation des Bénéficiaires ont source au Plan de Garantie.
[18] Le Règlement qui nous savons être d’ordre public prévoit (entre autres) que l’Entrepreneur (une personne titulaire d’une licence d’entrepreneur général l’autorisant à exécuter ou à faire exécuter, en tout ou en partie, pour un Bénéficiaire, des travaux de construction d’un bâtiment résidentiel visé par le Règlement) doit adhérer conformément aux dispositions de la Section I du Chapitre IV, à un plan qui garantie l’exécution des obligations légales et contractuelles prévues aux articles 7 et suivants du même Règlement et résultant d’un contrat conclu avec un Bénéficiaire.
[19] Un Bénéficiaire est une personne physique ou morale qui a conclu avec un Entrepreneur, un contrat pour la vente ou la construction d’un bâtiment résidentiel neuf.
[20] Tel que ci-haut repris au paragraphe [16], le Règlement prévoit que le Bénéficiaire ou l’Entrepreneur, insatisfait d’une décision de l’Administrateur rendue conformément au paragraphe [15] infra, doit, pour que la garantie s’applique, soumettre le différend à l’arbitrage.
[21] Le Règlement prévoit de plus que le Bénéficiaire, l’Entrepreneur ou l’Administrateur sont liés par la décision arbitrale dès qu’elle est rendue par l’arbitre et que cette décision arbitrale est finale et sans appel.
[22] Je résume :
[22.1] la clause compromissoire est parfaite et soustrait aux parties leur droit d’ester devant les tribunaux de droit commun;
[22.2] le Règlement est d’ordre public, les parties ne pouvant y déroger, même par convention.
[23] S’il y a litispendance, ce qui n’est pas admis ni même inféré, les tribunaux de droit commun n’ont ni compétence ni juridiction pour décider (trancher) d’un poste de réclamation si le litige a source dans une décision de l’Administrateur rendue selon les termes et conditions figurant à un contrat de garantie qui aurait été adopté conformément au Règlement (et approuvé par la Régie du Bâtiment du Québec); un constat qui serait en toute probabilité (tôt ou tard) repris par le (la) décideur(e) appelé(e) à présider sur le mérite du dossier de Cour supérieure puisque, nous le savons, l’absence de compétence d’attribution peut être soulevé en tout état de cause et peut même être déclarée d’office par le Tribunal.
Demande de suspension de l’instance :
[24] Les procédures en Cour supérieure participent de la nature d’un recours hybride recherchant :
[24.1] le coût des travaux nécessaires afin de rectifier le problème allégué;
[24.2] une somme pour prétendue perte de valeur marchande de la propriété;
[24.3] une somme pour trouble, inconvénients, perte de jouissance;
[25] Quant à la demande d’arbitrage, il s’agit pour le tribunal d’arbitrage de trancher sur le bien fondé d’une Décision de l’Administrateur, une décision qui comporte trois (3) volets. Ces trois (3) volets sont :
[25.1] Élévation de la propriété
Les questions auxquelles le décideur doit répondre sont :
a) les Bénéficiaires ont-ils dénoncé par écrit à l’Entrepreneur et à l’Administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder six (6) mois de la découverte des malfaçons, tel que cette exigence est requise à l’article 6.4.2.3 du plan de garantie?;
b) l’Administrateur avait-il raison de se prononcer dans le cadre d’un vice de construction au sens de l’article 2118 du Code civil du Québec (in fine 6.4.2.5 du plan de garantie)?;
[25.2] Dégagement du sol
Les questions auxquelles le décideur doit répondre sont :
a) S’agit-il d’une exclusion prévue à l’article 6.7.9 du plan de garantie (espace de stationnement et locaux d’entreposage situés à l’extérieur du bâtiment)?;
b) Y a-t-il eu dénonciation écrite à l’Administrateur et à l’Entrepreneur dans un délai raisonnable lequel ne peut excéder six (6) mois de la découverte (article 6.4.2.3 du plan de garantie)?;
c) L’Administrateur avait-il raison de se prononcer dans le cadre d’un vice de construction au sens de l’article 2118 du Code civil du Québec (in fine 6.4.2.5 du plan de garantie)?;
[25.3] Accumulation d’eau près du garage
a) S’agit-il d’une exclusion prévue à l’article 6.7.9 du plan de garantie (espace de stationnement et locaux d’entreposage situés à l’extérieur du bâtiment)?;
b) Y a-t-il eu dénonciation écrite à l’Administrateur et à l’Entrepreneur dans un délai raisonnable lequel ne peut excéder six (6) mois de la découverte (article 6.4.2.3 du plan de garantie)?;
c) L’Administrateur avait-il raison de se prononcer dans le cadre d’un vice de construction au sens de l’article 2118 du Code civil du Québec (in fine 6.4.2.5 du plan de garantie)?;
[26] Je rappelle que les sous-questions aux paragraphes [25.1], [25.2] et [25.3] sont spécifiquement ce que le législateur voulait soustraire aux tribunaux de droit commun.
[27] Le décideur en Cour supérieure n’aura pas à répondre à ces questions soumises au tribunal d’arbitrage (l’Administrateur n’étant d’ailleurs même pas partie à l’action en Cour supérieure).
[28] Si les tribunaux de droit commun n’ont pas juridiction pour trancher les réclamations concernant le bâtiment des Bénéficiaires lorsque ces réclamations font l’objet d’une Décision de l’Administrateur (rendue selon les termes et conditions figurant au contrat de garantie adopté en fonction du Règlement) il appartient encore moins au soussigné d’apprécier le mérite du débat tel qu’institué en Cour supérieure.
[29] En 2003, le législateur a amendé le Code de procédure civile afin d’alléger les règles et prévoir que, dans toute instance, le décideur et les parties doivent s’assurer que les actes et procédures sont en égard au coût et au temps exigé, proportionnés à la nature et la fidélité de la demande (et à la complexité du litige). Une lecture du plumitif informatisé informe le soussigné que le dossier de cour n’est pas complet, les parties sont à discuter d’un échéancier. Séance tenante, les procureurs des parties nous indiquent qu’ils ne peuvent suggérer une date où le dossier sera complet et/ou à quand l’émission du certificat d’état de cause; le seul consensus évident est qu’il s’agit d’une cause de longue durée (plus de deux jours). Au moment de rédiger la présente décision, le délai administratif pour une cause de longue durée entre la mise en état d’un dossier et son enquête et audition au mérite dans le district judiciaire de Montréal (dossier civil) est d’approximativement dix-huit (18) mois (et nous ne savons toujours pas quand le certificat d’état de cause sera émis).
[30] La (ou les) session(s) d’arbitrage et une décision peuvent aisément être rendues à l’intérieur de ce délai (référant au paragraphe [29]). Considérant la nature et la finalité de la décision d’arbitrage, je suggère (indépendamment qu’il n’y ait pas de litispendance) que cette décision risque d’influencer les parties au dossier civil et ainsi éviter de prévariquer d’importantes ressources financières.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
REJETE le moyen préliminaire de l’Administrateur;
LE TOUT avec dépens (sur le moyen préliminaire) contre la partie déboutée, à savoir l’Administrateur.
Montréal, le 2 septembre 2008
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Me Michel A. Jeanniot
Arbitre / SORECONI