ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
(Décret 841-98 du 17 juin 1998)
Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment:
ENTRE: SDC 740 RUE DE L'ÉGLISE, VERDUN
(ci-après «le Bénéficiaire»)
ET: CONSTRUCTIONS DANIEL RAYNAULT INC.
(ci-après «l’Entrepreneur»)
ET: LA GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS DE L’APCHQ INC.
(ci-après «l’Administrateur»)
No dossier CCAC: S11-071802-NP
No dossier APCHQ: 124270-3
Arbitre: Me Philippe Patry
Pour le Bénéficiaire: Madame Annabelle Fecteau
Pour l’Entrepreneur: Monsieur Daniel Raynault
Pour l’Administrateur: Me Manon Cloutier
Monsieur Manuel Lago,
inspecteur-conciliateur
Date de la sentence: 20 décembre 2011
Identification complète des parties
4563 avenue Wilson
Montréal (Québec) H4A 2V5
Bénéficiaire: SDC 740 rue de l'Église, Verdun
Madame Annabelle Fecteau
3721, rue André-Ste-Marie
Saint-Hubert (Québec) J3Y 8G7
Entrepreneur: Constructions Daniel Raynault Inc.
Monsieur Daniel Raynault
278-A, rue Birch
Châteauguay (Québec) J6J 3S8
Administrateur: La Garantie des Maisons Neuves de l’APCHQ
5930, Louis-H. Lafontaine
Anjou (Québec) H1M 1S7
et son procureur:
Me Manon Cloutier
Monsieur Manuel Lago,
inspecteur-conciliateur
Décision
L’arbitre a reçu son mandat du CCAC le 22 juillet 2011.
24 octobre 2007: Déclaration de copropriété;
28 octobre 2007: Contrat préliminaire et contrat de garantie (condominium);
19 septembre 2007: Déclaration de réception des parties communes;
20 novembre 2007: Acte de vente;
2 mars 2008: Lettre de Madame Fecteau à l'Entrepreneur;
31 janvier 2009: Mise en demeure de Madame Fecteau à l'Entrepreneur;
29 juin 2009: Mise en demeure de Madame Fecteau à l'Entrepreneur; dénonciation de Madame Fecteau à l'Administrateur;
24 janvier 2011: Mise en demeure de Madame Fecteau à l'Entrepreneur;
10 mars 2011: Mandat de Madame Fecteau de représenter le Bénéficiaire;
14 mars 2011: Mise en demeure du Bénéficiaire à l'Entrepreneur;
31 mars 2011: Avis de 15 jours de l'Administrateur à l'Entrepreneur;
18 avril 2011: Lettre de l'Entrepreneur au Bénéficiaire;
19 mai 2011: Inspection de l'Administrateur;
13 juin 2011: Décision de l’Administrateur;
19 juillet 2011: Réception par le CCAC de la demande d’arbitrage du Bénéficiaire datée du 18 juillet 2011;
28 septembre 2011: Audience préliminaire par conférence téléphonique; réception du cahier de pièces de la part de l'Administrateur;
7 décembre 2011: Audience au Palais de justice de Longueuil.
Introduction
[1] Le Bénéficiaire a interjeté appel de la décision de l’Administrateur du 13 juin 2011, soit du rejet de sa demande de réclamation concernant le gel des tuyaux de douche dans l'unité 201 lors de grands froids, au motif qu'il n'a pas dénoncé ce problème par écrit à l'Administrateur dans un délai raisonnable ne pouvant excéder six (6) mois de la découverte du problème.
[2] Dans sa décision, l’Administrateur indique que:
«Les bénéficiaires ont déclaré avoir découvert la situation décrite au point 1 au cours du mois de février de l'année 2008.
Quant à l'administrateur, il fut informé par écrit de l'existence de ces situations pour la première fois, le 31 janvier 2011»[1].
[3] Il est à noter que l'Administrateur ne s'est pas prononcé sur la nature du problème dénoncé.
[4] Le tribunal a entendu les témoignages de Madame Annabelle Fecteau, propriétaire de l'unité 201, pour le Bénéficiaire, et de Monsieur Manuel Lago, inspecteur-conciliateur, pour l'Administrateur. Quant à l'Entrepreneur, il n'a pas participé à l'audience préliminaire par conférence téléphonique et ne s'est pas présenté à l'audience.
Faits:
[5] Dans des lettres datées du 2 mars 2008[2], 31 janvier 2009[3], 29 juin 2009[4] et 24 janvier 2011[5], Madame Fecteau a dénoncé à l'Entrepreneur des incidents de gel des tuyaux de douche survenus les 28 au 29 février 2008, 1er janvier 2009, 15 au 19 janvier 2009 et 23 janvier 2011 au cours desquels l'eau ne s'écoulait plus ni par le pommeau de douche, ni par la robinetterie du bas.
[6] Dans sa décision, l'Administrateur mentionne avoir reçu l'ensemble de ces lettres le 31 janvier 2011. Or, il ressort de la preuve que la réception de la lettre du 29 juin 2009 ait eu lieu via télécopieur le 29 juin 2009. D'ailleurs, l'avocate de l'Administrateur a admis lors de l'audience que cette preuve constituait un avis de dénonciation par écrit à l'Administrateur. Questionné à l'audience, M. Lago a indiqué que même en tenant compte de cette preuve, sa décision aurait été la même, puisque le premier incident de gel remontait du 28 au 29 février 2008, soit seize (16) mois avant la dénonciation à l'Administrateur.
Question en litige:
[7] Est-ce que le Bénéficiaire a dénoncé par écrit à l'Administrateur le problème de gel des tuyaux de douche lors de grands froids dans un délai raisonnable ne pouvant excéder six (6) mois de sa découverte?
Analyse et décision:
[8] D'entrée de jeu, le tribunal limite son analyse à la question du délai, puisque la question concernant l'existence ou l'absence d'un problème de gel des tuyaux de douche dans l'unité 201 lors de grands froids, et de sa qualification (malfaçon existante et non apparente ou vice caché) n'a pas été l'objet de la décision de l'Administrateur.
[9] Pour les fins de son analyse, le tribunal considère comme pertinents les paragraphes 27(3) et 27(4) du Règlement sur le Plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs[6] (le Règlement) qui se lisent comme suit:
«27. La garantie d'un plan dans le cas de manquement de l'entrepreneur
à ses obligations légales ou contractuelles après la réception de la partie
privative ou des parties communes doit couvrir:
(1) …
(2) …
(3) la réparation des malfaçons existantes et non apparentes au moment
de la réception et découvertes dans l'année qui suit la réception, visées aux
articles 2113 et 2120 du Code civil et dénoncées, par écrit, à l'entrepreneur
et l'administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois
de la découverte des malfaçons;
(4) la réparation des vices cachés au sens de l'article 1726 ou de l'article
2103 du Code civil qui sont découverts dans les 3 ans suivant la réception
et dénoncés, par écrit, à l'entrepreneur et à l'administrateur dans un délai
raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte des vices cachés
au sens de l'article 1739 du Code civil;
(5) ...»
[10] Le texte du Règlement est clair et il n’y a pas eu de débat jurisprudentiel à cet effet. Une dénonciation à l’Entrepreneur seul ne suffit pas pour répondre aux exigences des paragraphes 27(3) et 27(4) du Règlement; le problème doit être dénoncé par écrit à la fois à l’Entrepreneur et à l’Administrateur à l’intérieur d’un délai raisonnable de sa découverte, ce délai ne pouvant excéder six (6) mois.
[11] Le Bénéficiaire plaide qu'en début mars 2008, il ne possédait pas les éléments nécessaires pour dénoncer la situation à l'Administrateur, car l'Entrepreneur lui avait affirmé qu'il estimait qu'il s'agissait d'un problème mineur. Il ajoute que le délai est raisonnable compte tenu que le problème de gel des tuyaux de douche lors de grands froids apparaît de façon intermittente dans des circonstances exceptionnelles. De plus, il opine que la preuve démontre que ce problème constitue un vice caché. Il invite donc le tribunal à baser sa décision sur le paragraphe 27(4) du Règlement cité précédemment.
[12] Le paragraphe 27(4) du Règlement réfère à l'article 1739 du Code civil qui se lit comme suit:
«Art. 1739. l'acheteur qui constate que le bien est atteint d'un vice doit,
par écrit le dénoncer au vendeur dans un délai raisonnable depuis sa
découverte. Ce délai commence à courir, lorsque le vice apparaît
graduellement, du jour où l'acheteur a pu en soupçonner la gravité et
l'étendue.
Le vendeur ne peut se prévaloir d'une dénonciation tardive de l'acheteur
s'il connaissait ou ne pouvait ignorer le vice».
[13] Pour qu'il y ait découverte au sens de l'article 1739 du Code civil, la jurisprudence indique[7]:
«... il est requis une connaissance d'un bénéficiaire prudent et averti qui
agissant de façon diligente puisse soupçonner qu'une malfaçon ou vice est existante (sic), ce qui requiert à tout le moins une indication suffisante d'un problème, et une connaissance que ce problème causera un préjudice certain».
[14] Par ailleurs, la procureur de l'Administrateur argumente que la découverte du problème date du 28 au 29 février 2008, soit dans la première année suivant la réception des parties communes le 19 septembre 2007 et qu'ainsi, le paragraphe 27(3) s'applique en l'espèce. Elle souligne que la lettre adressée à l'Entrepreneur du 2 mars 2008 ne fut jamais communiquée à l'Administrateur. Jurisprudences à l'appui, elle affirme que le délai raisonnable de six (6) mois est un délai de rigueur et de déchéance qui ne peut être prolongé. Compte tenu du délai de seize (16) mois entre le 29 février 2008 et le 29 juin 2009, elle demande au tribunal de rejeter l'appel du Bénéficiaire et de condamner ce dernier au paiement de tous les frais d'arbitrage.
[15] Premièrement, le tribunal note que l'avocate de l'Administrateur n'a pas testé la crédibilité de Mme Fecteau lors de son contre-interrogatoire et n'a pas abordé cette question lors de sa plaidoirie. En conséquence, le tribunal considère ce témoignage comme crédible.
[16] Deuxièmement, le tribunal doit déterminer la période de la découverte du problème dénoncé par le Bénéficiaire.
[17] Suite au premier incident du gel des tuyaux de douche du 28 au 29 février 2008, Mme Fecteau a mentionné avoir suivi la suggestion de l'Entrepreneur, soit de tremper le pommeau de douche et la champelure dans une solution décalcifiante, ce qui rectifia la situation.
[18] Suite au deuxième incident de gel des tuyaux de douche du 1er janvier 2009, Mme Fecteau a dit avoir utilisé le même procédé avec la solution décalcifiante. Cependant deux semaines plus tard, soit du 15 au 19 janvier 2009, la douche cessa de fonctionner.
[19] Avec respect, le tribunal ne partage pas la position de l'Administrateur, soit que le Bénéficiaire connaissait la gravité du problème le 2 mars 2008. En effet, de l'aveu même de M. Lago lors du contre-interrogatoire, il s'agit d'un problème difficile à cerner qui nécessite d'«ouvrir l'intérieur d'un mur intérieur» pour une analyse appropriée. Le Bénéficiaire a aussi témoigné à ce sujet et a fait alors référence au travail et au rapport d'un inspecteur de bâtiment effectué en septembre 2011.
[20] D'une part, dans la lettre du 2 mars 2008[8], Mme Fecteau s'exprime de façon succincte pour faire appel aux services de l'Entrepreneur:
«[…] Comme mentionné au téléphone, les tuyaux de la douche ont gelés (sic)
jeudi et vendredi passés. Le bain et le lavabo fonctionnaient, mais aucun
filet d'eau ne coulait ni du haut ni de bas de la douche. Même si elle
fonctionne maintenant depuis le redoux, pourriez-vous venir jeter un coup
d'oeil s.v.p.?»
[21] Considérant le contenu de cette lettre et considérant le témoignage de Mme Fecteau quant à la résorption efficace du problème suite à l'emploi suggéré par l'Entrepreneur de la solution décalcifiante, il est normal que le Bénéficiaire n'ait pas dénoncé cette situation par écrit à l'Administrateur.
[22] D'autre part, après les épisodes du 1er janvier et du 15 au 19 janvier 2009, voici comment Mme Fecteau qualifie la situation le 31 janvier 2009[9]:
«[…] Je ne tiens pas à ouvrir un nouveau dossier à l'APCHQ, mais compte
tenu qu'il s'agit d'un problème majeur, des démarches seront entreprises
si je n'ai pas de réponse satisfaisante de votre part d'ici 15 jours […]»
[Caractères gras ajoutés]
[23] Pour toutes ces raisons, le tribunal est d'avis que le Bénéficiaire a commencé à soupçonner la gravité et l'étendue du problème dénoncé entre le 15 et 19 janvier 2009.
[24] Il s'ensuit que la période entre la découverte du problème du gel des tuyaux de douche lors de grands froids qui, selon la preuve retenue par le tribunal, est survenue du 15 au 19 janvier 2009 et sa dénonciation à l'Administrateur le 29 juin 2009, n'a pas excédé les six (6) mois. Le tribunal conclut donc que ce délai de dénonciation était raisonnable. Qui plus est, sans que cela soit nécessaire pour juger de la raisonnabilité du délai de dénonciation, le tribunal note l'absence de suivi de l'Entrepreneur en février 2009 et le non-retour d'appel de l'Entrepreneur suite aux contacts téléphoniques en mai-juin 2009 du Bénéficiaire.
[25] En résumé, le tribunal déclare que le Bénéficiaire a dénoncé par écrit à l'Entrepreneur et à l'Administrateur le problème de gel de tuyaux de douche lors de grands froids dans un délai raisonnable qui n'a pas excédé six (6) mois de sa découverte, conformément aux paragraphes 27(3) et 27(4) du Règlement.
Les frais d’arbitrage:
[26] Considérant que le Bénéficiaire a obtenu gain de cause, les coûts du présent arbitrage sont à la charge de l'Administrateur conformément à l'article 37 du Règlement.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE:
ACCUEILLE l'appel du Bénéficiaire;
ORDONNE à l'Administrateur de procéder sur le mérite de la réclamation du Bénéficiaire dans les 30 jours à partir du 9 janvier 2012, date de retour au travail des employeurs et employés de la construction;
CONDAMNE l'Administrateur à payer les coûts du présent arbitrage.
Montréal, le 20 décembre 2011
__________________________
ME PHILIPPE PATRY
Arbitre / CCAC
[1] Cahier de pièces, A-13, page 4.
[2] Cahier de pièces, A-5.
[3] Cahier de pièces, A-6.
[4] Cahier de pièces, A-7.
[5] Cahier de pièces, A-8.
[6] Décret 841-98.
[7] Carmelina Coloccia et Guiseppe Borreggine c. Trilikon Construction Inc et la Garantie des Bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ (CCAC S09-231001-NP), Ewart, 30 juillet 2010.
[8] Supra, note 2.
[9] Supra, note 3.