ARBITRAGE
EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE
PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
(Chapitre B-1.1, r. 8)
Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment du Québec :
SOCIÉTÉ POUR LA RÉSOLUTION DES CONFLITS (SORECONI)
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE MONTREAL
No. 210705001
LES ENTREPRISES RIXTON INC.
Entrepreneur
c.
LA GARANTIE CONSTRUCTION RÉSIDENTIELLE (GCR)
Administrateur
SENTENCE ARBITRALE
Arbitre : Me Karine Poulin
Pour l’Entrepreneur : Me Luc Bellemare
Me Samia Benlamara
Pour l’Administrateur : Me Nancy Nantel
Date de l’audience : 12 et 16 juillet 2021
Date de la décision 26 juillet 2021
Description des parties
Entrepreneur :
Les Entreprises Rixton inc.
a/s Me Luc Bellemare
Gravel Bernier Vaillancourt avocats
600-6300, avenue du Parc
Montréal (Québec) H2V 4S6
Administrateur :
La Garantie de construction résidentielle (GCR)
a/s Me Nancy Nantel
4101, rue Molson
3e étage
Montréal (Québec) H1Y 3L1
APERÇU
[1] L’Entrepreneur est une entreprise incorporée depuis le 27 mai 2005 et œuvre dans le domaine de la construction.
[2] L’entreprise est titulaire d’un certificat d’accréditation émis par l’Administrateur depuis le 3 mars 2020.
[3] En mars 2021, il enregistre auprès de l’Administrateur le bâtiment situé au [...] à Laval.
[4] Le 21 avril 2021, l’Administrateur informe l’Entrepreneur qu’il lui retire son accréditation dans les termes suivants :
« Monsieur,
La présente vise à vous informer que nous annulons l’adhésion de votre entreprise (« entreprise » ou « entrepreneur ») auprès du plan de La Garantie de Construction Résidentielle (« GCR » ou « administrateur »). Cette décision est effective immédiatement.
En effet, cette entreprise se trouve dans la ou les situation(s) suivante(s) qui peuvent être en lien avec certains articles du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, RLRQ, c. B-1.1, r.8. (« Règlement ») :
- Nous avons constaté que l’actionnaire majoritaire de Les entreprises Rixton inc. est maintenant M. Sandro Mauro. Vous n’avez pas notifié l’administrateur à cet effet dans le délai requis. M. Mauro est ou a été actionnaire de la société Construction Sandro Mauro inc. (RBQ : 5703-3201), laquelle était accréditée chez GCR. Cette personne morale a fait défaut d’honorer les obligations lui incombant en vertu de la convention d’adhésion.
Nous vous référons aux dispositions applicables en l’espèce :
2° en cas de réticence ou de fausse déclaration de sa part;
8° dans le cas où l’entrepreneur est une personne morale, l’un ou plusieurs de ses actionnaires ou dirigeants a ou ont été, à quelque moment que ce soit, actionnaires ou dirigeants d’une autre personne morale accréditée ou ayant été accréditée et ayant fait défaut d’honorer les obligations lui incombant en vertu d’une convention d’adhésion.
(…)
Denis Lefebvre,
Coordonnateur
denislefebvre@garantiegcr.com »
[5] L’Entrepreneur en appelle de cette décision.
[6] L’Entrepreneur allègue principalement que l’Administrateur n’a aucun reproche à lui adresser, pas plus qu’à Quintino Rico ou à Roxanne Lakdawala, ses véritables et seuls actionnaires. Selon lui, la décision de l’Administrateur n’est basée que sur les agissements de Sandro Mauro lequel aurait été ajouté comme actionnaire majoritaire de l’Entrepreneur à l’insu de ses actionnaires véritables. L’Entrepreneur soutient que l’Administrateur n’a pas agi de bonne foi en ne se fiant qu’à l’information inscrite au Registre des entreprises pour rendre sa décision, dès lors qu’il a été informé d’une erreur au registre.
[7] L’Administrateur, pour sa part, soutient essentiellement que la preuve révèle sans équivoque que Sandro Mauro est ou a été dirigeant et actionnaire majoritaire de l’Entrepreneur et que ce dernier a omis de le déclarer à l’Administrateur. En raison du défaut passé de Sandro Mauro d’honorer les obligations lui incombant en vertu d’une convention d’adhésion de même que d’autres fautes connexes, l’Administrateur allègue qu’eût-il su qu’il [Sandro Mauro] était actionnaire et/ou dirigeant de l’Entrepreneur il n’aurait jamais accepté l’adhésion de l’Entrepreneur à son plan de garantie et n’aurait pas émis de certificat d’accréditation à l’Entrepreneur. L’Administrateur soutient ne pas s’être fié qu’au Registre des entreprises pour rendre sa décision et avoir effectué une enquête approfondie.
[8] En l’instance, l’arbitre soussignée est d’avis que les règles de justice naturelle n’ont pas été respectées et qu’il y a lieu d’infirmer la décision de l’Administrateur.
II
ANALYSE ET DÉCISION
[9] Le retrait de l’accréditation de l’Entrepreneur prend appui sur les dispositions suivantes du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (ci-après le « Règlement »)[1]:
79. La fusion, la vente ou la cession d’une société ou personne morale, la modification de son nom, de son conseil d’administration ou de ses dirigeants doit être notifiée à l’administrateur dans les 30 jours de l’événement.
93. L’administrateur peut annuler une adhésion lorsque l’entrepreneur se trouve dans l’une des situations suivantes:
(…)
2° en cas de réticence ou de fausse déclaration de sa part;
(…)
8° dans le cas où l’entrepreneur est une personne morale, l’un ou plusieurs de ses actionnaires ou dirigeants a ou ont été, à quelque moment que ce soit, actionnaires ou dirigeants d’une autre personne morale accréditée ou ayant été accréditée et ayant fait défaut d’honorer les obligations lui incombant en vertu d’une convention d’adhésion;
(…)
LISTE DES ENGAGEMENTS DE L’ENTREPRENEUR
L’entrepreneur s’engage:
(…)
4° sans restreindre la responsabilité qui est sienne en vertu des lois en vigueur au Québec, à respecter la garantie lui incombant en vertu du plan de garantie approuvé par la Régie et, le cas échéant, à parachever les travaux ou à réparer les vices et malfaçons couverts par la garantie et ce, dès que l’administrateur est d’avis qu’une réclamation est fondée, sauf au cas de contestation;
(…)
[10] Aucun désaccord n’existe concernant les motifs de l’Administrateur au soutien de sa décision de retirer l’accréditation à l’Entrepreneur : les fautes passées de Sandro Mauro.
[11] De même, l’Administrateur reconnaît n’avoir rien à reprocher personnellement à Quintino Rico et à Roxanne Lakdawala, outre leur omission de l’avoir informé des modifications à l’actionnariat de Les entreprises Rixton inc. et de la présence d’un nouveau dirigeant. Il ne détient aucune information compromettante lui permettant de douter de la probité de monsieur Rico et de madame Lakdawala.
[12] La preuve non contredite démontre également que monsieur Rico est impliqué dans des projets de construction depuis l’âge de 15 ans et qu’il possède une formation technique en génie civil.
[13] De plus, Les entreprises Rixton inc. est une entreprise de régime fédéral constituée le 27 mai 2005. Aucune plainte à son endroit n’a été enregistrée auprès de la Régie du bâtiment du Québec ni de l’Office de la protection du consommateur. Aucune preuve contradictoire n’a été administrée à ce sujet.
[14] Il n’est pas contesté que monsieur Quintino Rico est le seul répondant de l’entreprise pour toutes les catégories et sous-catégories de licence, tant en administration, gestion de la sécurité, gestion de projets et de chantiers qu’en exécution de travaux de construction.
[15] Par ailleurs, monsieur Rico affirme avoir appris de l’Administrateur le statut de Sandro Mauro auprès de la GCR et son lourd dossier, de même que le fait que son nom apparaissait au Registre des entreprises le 21 avril 2021. L’Administrateur a confirmé que ce dernier avait eu l’air surpris. Monsieur Lefebvre a admis que monsieur Rico a réagi rapidement pour faire corriger les informations apparaissant au Registre.
[16] Là où les parties s’opposent, c’est sur le rôle et l’implication de Sandro Mauro au sein de l’Entrepreneur.
La preuve contradictoire
Entrepreneur
[17] Monsieur Rico affirme être le seul administrateur de l’entreprise. Il soutient que jusqu’en janvier 2021, il était également l’unique actionnaire. Depuis, sa conjointe, madame Lakdawala, possède 40% des actions de l’entreprise et lui, 60%. Sandro Mauro ne détient aucune action.
[18] Monsieur Rico affirme être le seul à signer des chèques au nom de l’entreprise et être également le seul à octroyer les contrats de sous-traitance. Il est également la seule personne en relation avec les fournisseurs et sous-traitants.
[19] Il affirme que Sandro Mauro n’a jamais été actionnaire ni dirigeant de l’entreprise. Il indique toutefois lui avoir confié le rôle d’influenceur afin de promouvoir son entreprise.
[20] Il ignore pour quel motif le nom de Sandro Mauro est apparu au Registre des entreprises comme étant actionnaire majoritaire. Il reconnaît que Sandro Mauro et lui font affaire avec le même notaire. Cependant, il affirme n’avoir donné aucune instruction audit notaire en ce sens, et n’avoir signé aucun document. C’est donc avec surprise qu’il a appris par l’Administrateur que tel était le cas, et il s’est empressé de faire corriger la situation la journée même.
[21] Monsieur Rico indique au Tribunal que Sandro Mauro ne fait plus rien depuis la décision de l’Administrateur qui soit en relation avec son entreprise et qu’il ne veut plus rien savoir de lui. Il affirme que Sandro Mauro n’a pas les clés de la résidence en construction, et que celles-ci sont en la possession d’un certain monsieur Kelly. Il soutient être victime de Sandro Mauro et n’avoir aucune participation aux faits reprochés.
[22] Il déplore que l’Administrateur maintienne sa décision à son endroit puisqu’il n’a lui-même commis aucune faute.
Administrateur
[23] Monsieur Denis Lefebvre est coordonnateur à l’accréditation et auteur de la décision rendue. Il confirme que l’Entrepreneur a été accrédité auprès de l’Administrateur du 3 mars 2020 au 21 avril 2021. Il a procédé au retrait de l’accréditation de l’Entrepreneur à la suite d’informations reçues du service d’enquête.
[24] Plus particulièrement, monsieur Alexandre Héroux l’a avisé que le chantier relatif au bâtiment enregistré par l’Entrepreneur en mars 2021 est, dans les faits, géré par Sandro Mauro et que ce dernier serait possiblement actionnaire de l’Entrepreneur.
[25] Une vérification au Registre des entreprises lui confirme que Sandro Mauro est effectivement actionnaire majoritaire depuis le 11 mars 2021. Par ailleurs, il reçoit aussi les informations suivantes de monsieur Héroux et ces informations sont réitérées sous serment à l’audience par monsieur Héroux:
[26] Monsieur Héroux a reçu un appel le 21 avril 2021 l’informant que Sandro Mauro construit une maison au [...] à Laval.
[27] Surpris, vu le refus de l’accréditation de mars 2020, monsieur Héroux fait certaines vérifications. Il constate alors que le bâtiment a été enregistré par l’Entrepreneur en mars 2021 et que Sandro Mauro apparaît au Registre des entreprises comme actionnaire majoritaire.
[28] Monsieur Héroux note également que Sandro Mauro est indiqué, au dossier d’accréditation de l’Entrepreneur, comme personne à contacter en cas de besoin.
[29] Monsieur Héroux se rend ensuite au [...] à Laval. Il discute avec Nicolas Bachand, le sous-traitant en charpente. Il se présente comme enquêteur au plan de garantie GCR. Il souligne que le logo de l’Administrateur apparaît d’ailleurs sur le chandail qu’il porte.
[30] Il demande à parler au responsable du chantier. C’est alors que monsieur Bachand le réfère à Sandro Mauro et lui fournit son numéro de téléphone. Il lui indique que c’est Sandro Mauro le responsable du chantier, mais que le donneur d’ouvrage est l’entreprise Rixton qui a 2 associés avec Sandro Mauro.
[31] Outre le Registre des entreprises, l’enregistrement du bâtiment et la visite de chantier, monsieur Héroux consulte également le registre foncier. Il constate alors que le terrain appartient à l’Entrepreneur et qu’une hypothèque est enregistrée en faveur de Senna Trust et de Roxanne Lakdawala. Senna Trust est représentée par ses fiduciaires, Sandro Mauro et Snezana Vukanic.
[32] Par la suite, monsieur Héroux consulte les réseaux sociaux impliquant Rixton et madame Lakdawala. Dans les 2 cas, et plus précisément sur la page Facebook de madame Lakdawala et celle de Groupe Rixton, il voit des vidéos dans lesquelles Sandro Mauro est sur le chantier et décrit les étapes de la construction. Il voit également des vidéos dans lesquelles Sandro Mauro indique être partenaire dans Rixton Group (Cooking with Sandro) de même que des Like et des Thumbs up de madame Lakdawala.
[33] À la suite de la réception de ces informations, monsieur Lefebvre transmet à l’Entrepreneur, le jour même, soit le 21 avril 2021, sa décision par laquelle il lui retire son accréditation.
[34] Il explique que non seulement l’Entrepreneur a omis de divulguer à l’Administrateur la présence au sein de son entreprise d’un nouveau dirigeant et actionnaire, mais la présence de Sandro Mauro à titre d’actionnaire et/ou de dirigeant est jugée indésirable par l’Administrateur en raison de son lourd passé dont il fait largement état.
[35] Qu’il suffise, pour les fins de la présente décision, d’indiquer que l’Administrateur a dû débourser, en 2017, des sommes importantes (de l’ordre de 227 000 $) à la suite d’une réclamation faite sur le seul bâtiment enregistré par une entreprise appartenant à Sandro Mauro, que ce dernier a illégalement utilisé le logo de l’Administrateur, ce qui a nécessité l’envoi d’une mise en demeure, et qu’il a aussi construit une maison neuve sans détenir l’accréditation requise. Bref, Sandro Mauro a commis plus d’une faute et sa seule présence constitue un risque pour l’Administrateur et une menace pour les consommateurs.
[36] Pour l’Administrateur, il est clair que Sandro Mauro tente de se faire accréditer de manière détournée à travers Les entreprises Rixton inc. puisqu’une demande d’accréditation qu’il a faite le 10 janvier 2019 a été refusée le 20 mars suivant et qu’il sait pertinemment qu’elle lui sera de nouveau refusée s’il présente une nouvelle demande.
[37] Monsieur Lefebvre indique qu’il ne peut nier qu’il est possible que l’Entrepreneur puisse avoir été berné par Sandro Mauro et qu’il en soit victime. Dans ce contexte, il confirme qu’il est possible que monsieur Rico et sa conjointe aient pu être de bonne foi.
[38] Quoiqu’il en soit, selon lui, le rapport d’enquête de monsieur Héroux est accablant et malgré qu’il soit informé par monsieur Rico des correctifs apportés au Registre des entreprises le 21 avril 2021, soit le jour même de sa décision, il refuse de la modifier pour les motifs qui suivent :
[39] En effet, le lendemain de la décision ici contestée, monsieur Héroux retourne sur les pages Facebook de madame Lakdawala et de Groupe Rixton et constate que les vidéos ont été retirées.
[40] Plus tard, le 29 avril 2021, monsieur Héroux retourne sur le chantier et constate la présence d’un fourgon blanc, sans lettrage. Selon ce qu’il est en mesure de voir, il semble y avoir 1 ou 2 travailleurs à l’intérieur. Il voit également le véhicule de Sandro Mauro (une Jeep rouge) au bout de la rue. Ce dernier est à l’intérieur de son véhicule.
[41] Il voit monsieur Mauro descendre de son véhicule pour se rendre sur le chantier et pénétrer à l’intérieur du bâtiment en construction. Lorsque monsieur Mauro en ressort, monsieur Héroux suit la Jeep qui se rend directement chez Sandro Mauro. Il n’a aucun doute qu’il s’agit bien de Sandro Mauro. Il le reconnaît, connaît son véhicule de même que son adresse.
[42] Sur la foi des informations reçues de monsieur Héroux, et malgré les correctifs apportés au Registre des entreprises relatives à l’actionnariat, monsieur Lefebvre maintient sa décision.
[43] C’est ainsi qu’il écrit à monsieur Rico, le 29 avril 2021, le courriel qui suit :
« Bonjour M. Rico, suite à nos récentes discussions et échange (sic) de courriels, la direction de la GCR a rendu une décision. Nous détenons des preuves de M. Sandro Mauro est celui qui gère les chantiers de Les entreprises Rixton inc. Il est donc hors de question que GCR réactive l’accréditation de Les entreprises Rixton inc.
Je vous invite à consulter la lettre GCR Décision de l’administrateur datée du 21 avril 2021 pour y retrouver les coordonnés des organismes d’arbitrages autorisés par le gouvernement. » [Nos soulignements]
[44] Le courriel ci-dessus apparaît à la contestation de l’Entrepreneur. Bien qu’il n’ait pas été déposé en preuve, personne n’a nié que ce courriel ait été transmis à l’Entrepreneur par monsieur Lefebvre de sorte que le Tribunal tient ce fait pour avérer, d’autant plus qu’il en a été question lors de l’audition.
[45] À l’audience, l’Administrateur maintient sa décision.
[46] En effet, à une date non précisée, mais ultérieure au 29 avril, monsieur Héroux voit de nouveau Sandro Mauro sortir de la maison en construction et retourner à son véhicule. Monsieur Héroux pénètre alors sur le chantier et se présente comme inspecteur chez GCR. Il discute alors avec un représentant du sous-traitant en plomberie. Il demande si le bâtiment sera vendu ou loué. Le représentant le réfère à Sandro Mauro et lui donne son numéro de téléphone. Le représentant ajoute qu’il l’a manqué de peu puisqu’il [Sandro Mauro] vient juste de quitter le chantier.
[47] Début mai (vers le 5 ou le 6), monsieur Héroux se rend de nouveau sur le chantier de l’Entrepreneur pour voir s’il y a des travaux en cours. Il n’en voit aucun, mais constate la présence de débris sur le bord du chemin, dont un emballage de matériau électrique identifié au nom de Sandro Mauro.
[48] Par la suite, un samedi de juin, il se rend sur le chantier et voit Sandro Mauro assis dans son véhicule, face au chantier.
[49] Il y retourne une autre fois la semaine précédant l’audition. Il voit le véhicule de Sandro Mauro dans l’entrée du chantier. Il voit ensuite ce dernier sortir de la résidence et fermer le cadenas. Monsieur Héroux prend alors 2 photos.
[50] Le procureur de l’Entrepreneur s’objecte au dépôt de ces photos et l’objection est prise sous réserve. Vu les conclusions auxquelles le Tribunal parvient, il n’est pas nécessaire de trancher cette objection puisque son acceptation ou son rejet n’a aucune incidence sur le sort du litige.
[51] Le témoin termine le récit de son enquête en indiquant qu’il a reçu, avant le 8 juillet 2021, trois (3) appels lui indiquant que Sandro Mauro se trouvait sur le chantier du [...] à Laval.
[52] Pour toutes ces raisons, l’Administrateur a annulé l’accréditation de l’Entrepreneur et refuse de le réaccréditer.
Décision du Tribunal
[53] Sans disposer du fond du litige, le Tribunal fera droit à la demande de l’Entrepreneur en raison d’un manquement aux règles de justice naturelle.
Le droit applicable
[54] Le Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs est pris en application de la Loi sur le bâtiment. Ce Règlement est d’ordre public et vise la protection des bénéficiaires.
[55] Afin d’être autorisé à construire des bâtiments résidentiels neufs, l’entrepreneur doit obligatoirement adhérer à un plan de garantie administré par un administrateur[2], la GCR en l’instance, seul administrateur depuis le 1er janvier 2015. Le contenu de la convention d’adhésion est dicté, en grande partie, par le législateur et l’Administrateur a pour mission de s’assurer que les entrepreneurs qu’il accrédite satisfont aux exigences[3].
[56] L’Administrateur a, outre le pouvoir d’émettre un certificat d’accréditation, le pouvoir de renouveler[4] une accréditation, ou encore de la refuser ou de l’annuler[5] lorsqu’il constate que l’entrepreneur ne satisfait pas ou ne satisfait plus les critères prévus au Règlement. La perte de l’accréditation entraîne le retrait des sous-catégories 1.1.1 et 1.1.2. par la Régie du bâtiment.
[57] Les décisions de l’Administrateur en matière d’accréditation emportent des conséquences graves pour les entrepreneurs, surtout lors du retrait d’une accréditation.
[58] En l’instance, la preuve a démontré que la décision de l’Administrateur de mettre fin à l’adhésion de l’Entrepreneur tient compte de plusieurs d’éléments et pas seulement des informations contenues au Registre des entreprises comme l’a soutenu l’Entrepreneur. Ces éléments ont été recueillis à différents moments, dans une sorte de continuum.
[59] Pour décider de la présente affaire, il faut d’abord cerner les éléments à considérer dans le cadre du présent débat.
[60] Dans l’affaire Construction H. Urbain[6], Me Jeanniot est appelé à trancher un moyen préliminaire portant sur l’admissibilité de la demande d’arbitrage, celle-ci ayant été déposée hors délai, selon les prétentions de l’administrateur. Selon les faits qui sont rapportés, la décision de l’administrateur avait été rendue le 7 février 2013, à la suite de laquelle des échanges ont lieu entre les parties et aux termes desquels une correspondance finale du procureur de l’administrateur datée du 30 avril 2013 est transmise à l’entrepreneur. Celle-ci est désignée par le procureur de l’entrepreneur comme étant une fin de non-recevoir à toute demande de réouverture et c’est à la suite de cette correspondance que la demande d’arbitrage est formulée.
[61] Me Jeanniot écrit alors ceci :
[4] Après discussion entre les parties et afin d’habiliter l’Administrateur à déposer des éléments de preuve recueillis entre le 7 février et le 30 avril 2013, l’Administrateur accepte que soit considéré la correspondance du 30 avril 2013 (pièce A-12 du cahier de pièces émis par l’Administrateur) pour valoir Décision;(…)
[Nos soulignements]
[62] Il faut donc comprendre de cette décision que les éléments dont il doit être tenu compte sont ceux connus de l’administrateur au moment de rendre sa décision.
[63] En l’instance, une décision est rendue par l’Administrateur le 21 avril 2021 par laquelle il informe l’Entrepreneur du retrait de son accréditation, avec effet immédiat.
[64] Subséquemment, le 29 avril, l’Administrateur transmet à l’Entrepreneur un courriel dont le contenu est reproduit plus haut à la suite du paragraphe 43. Aux fins des présentes, le Tribunal considérera que le courriel du 29 avril 2021 est une décision de l’Administrateur et qu’elle fait partie intégrante de celle rendue le 21 avril 2021, en étant la continuité, et qu’elle fait partie de la contestation ayant fait l’objet de l’arbitrage.
[65] Suivant les enseignements de Me Jeanniot, la soussignée estime que la seule preuve recevable est celle recueillie jusqu’au 29 avril 2021. Il est logique qu’il en soit ainsi puisque les faits découverts après cette date étaient inconnus de l’Administrateur au moment où il rend sa décision. Tout au plus ils peuvent expliquer que l’Administrateur maintienne sa position au jour de l’audience sans pour autant avoir un quelconque impact sur l’analyse que doit faire le Tribunal d’arbitrage en l’instance.
[66] Ainsi, au moment de rendre sa décision le 21 avril 2021, puis le 29, l’Administrateur possédait les informations suivantes :
[67] Dans l’affaire Riodel[7], Me Jean Philippe Ewart détermine, à la lumière de la jurisprudence, que les décisions de l’administrateur constituent des actes de nature quasi judiciaires qui emportent l’obligation d’agir selon un processus quasi judiciaire[8]. Les extraits suivants de cette décision sont d’une pertinence certaine pour le présent dossier de sorte qu’il convient de les reproduire au long:
L’Administrateur
(…)
[40] La Cour suprême, à diverses reprises[10], appuie les critères énoncés dans l’arrêt phare en 1979 de M.R.N. c. Coopers and Lybrand[11] et la portée de ceux-ci soulignés dans l’arrêt subséquent en 1996 de la Régie des alcools[12], le tout permettant de bien cerner l’état du droit sur lequel nous devons nous appuyer, soit cet extrait sous la plume de Dickson, J. :
« J’estime qu’il est possible de formuler plusieurs critères pour déterminer si une décision ou ordonnance est légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire. Il ne s’agit pas d’une liste exhaustive.
(1) Les termes utilisés pour conférer la fonction ou le contexte général dans lequel cette fonction est exercée donnent-ils à entendre que l’on envisage la tenue d’une audience avant qu’une décision soit prise?
(2) La décision ou l’ordonnance porte-t-elle directement ou indirectement atteinte aux droits et obligations de quelqu’un?
(3) S’agit-il d’une procédure contradictoire?
(4) S’agit-il d’une obligation d’appliquer les règles de fond à plusieurs cas individuels plutôt que, par exemple, de l’obligation d’appliquer une politique sociale et économique au sens large?
Tous ces facteurs doivent être soupesés et évalués et aucun d’entre eux n’est nécessairement déterminant. Ainsi, au par. (1), l’absence de termes exprès prescrivant la tenue d’une audience n’exclut pas nécessairement l’obligation en common law d’en tenir une. Quant au par. (2), la nature et la gravité, le cas échéant, de l’atteinte aux droits individuels, et la question de savoir si la décision ou ordonnance est finale sont importantes, mais le fait que des droits soient touchés n’entraîne pas nécessairement l’obligation d’agir judiciairement.
En termes plus généraux, il faut tenir compte de l’objet du pouvoir, de la nature de la question à trancher et de l’importance de la décision sur ceux qui sont directement ou indirectement touchés par elle …. Plus la question est importante et les sanctions sérieuses, plus on est justifié de demander que l’exercice du pouvoir soit soumis au processus judiciaire ou quasi judiciaire.
L’existence d’un élément assimilable à un lis inter partes et la présence de procédures, fonctions et actes équivalents à ceux d’un tribunal, ajoutent du poids au par. (3). Mais encore une fois, l’absence de règles de procédure analogues à celles des tribunaux ne sera pas fatale à l’existence d’une obligation d’agir judiciairement.
La décision de nature administrative ne se prête pas à une classification rigide de fonctions. Au contraire, on découvre en réalité un continuum… Il faut soupeser ce qui prêche pour ou contre la conclusion que la décision doit être soumise à un processus judiciaire.»[13]
[41] L’Administrateur est un organisme de l’ordre administratif qui exerce des fonctions de régulation économique (l’administration d’un plan de garantie permettant une couverture financière en faveur de bénéficiaires acquéreurs (et subséquents selon les délais) de certaines obligations de tout entrepreneur en construction autorisé au Québec à offrir des bâtiments résidentiels neufs), mais aussi exerçant, en certaines circonstances, des fonctions quasi judiciaires lorsque l’Administrateur statue par décision affectant, sous les critères élaborés par nos tribunaux, les droits ou intérêts des administrés.
[42] L’attribution de ce pouvoir de décision, et l’obligation de l’Administrateur d’exercer ce pouvoir dans le cadre du Règlement, oblige l’Administrateur à agir suivant un processus quasi judiciaire lorsqu’il accomplit des actes quasi judiciaires.
[43] Entre autres, la détermination d’une couverture pour vices ou malfaçons, les remboursements d’acomptes et plus encore une annulation de l’adhésion de l’Entrepreneur au Plan sont, selon le Tribunal, des actes qui portent atteinte à des droits individuels (soit au bénéficiaire pour remboursements ou couverture dans le cadre de l’achat d’une résidence) et quant à l’entrepreneur :
□ relativement aux conséquences financières potentielles de ses manquements ou non-respect subséquent des décisions émises par l’Administrateur,
□ et plus encore lorsque son adhésion au Plan est annulée, et que la Régie peut suspendre ou annuler une licence[14] lorsque le titulaire ne remplit plus l'une des conditions requises par la Loi pour obtenir une licence, soit d’avoir adhéré à un plan de garantie (art. 60 (4) de la Loi),
sont des décisions de l’Administrateur d’une nature et gravité appropriées à être des actes quasi judiciaires et à requérir que l’Administrateur agisse alors sous, et soit soumis à, un processus quasi judiciaire.
[44] La jurisprudence nous enseigne que l’Administrateur (tenant compte de l’ensemble des paramètres du Règlement) se doit, selon le Tribunal, d’assurer un processus quasi judiciaire à ses décisions qui emportent acte quasi judiciaire, soit le respect des règles de justice naturelle ou fondamentale (ce qui toutefois ne requiert pas en toutes circonstances une procédure contradictoire telle une audience[15] formelle au cadre strict, mais à tout le moins l’opportunité aux parties d’être présentes aux inspections de l’Administrateur et de pouvoir alors présenter les faits pertinents et leur position en découlant) et la nécessité, afin d’assurer ces règles, que ses décisions soient motivées de façon appropriée.
[45] En effet, depuis l’arrêt Nicholson[16], l’équité procédurale est une composante fondamentale du droit administratif canadien, principe qui sera repris et élargi de nouveau par la Cour suprême dans les arrêts Cardinal[17] et Baker[18], dont certains des principes directeurs sont analysés ci-dessous à la rubrique ‘Règles de justice naturelle’; quoique non essentiel aux présentes, car il n’est pas inféré que les décisions de l’Administrateur sous étude sont d’une nature autre que quasi judiciaire, notons que la Cour Suprême confirme de plus, en 2011 dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Mavi[19], que même un acte ‘administratif’ ou décision administrative est sujet à une obligation d’équité procédurale, dont toutefois l’acuité d’application varie selon la nature de la décision administrative en cause.
(…)
Règles de justice naturelle – Équité procédurale et Nécessité de décisions motivées
[52] Nous avons souligné que l’Administrateur (tenant compte de l’ensemble des paramètres du Règlement) se doit, selon le Tribunal, d’assurer un processus quasi judiciaire à ses décisions qui emportent acte quasi judiciaire, soit entre autres :
[52.1] lorsque l’Administrateur statue par décision affectant, sous les critères élaborés par nos tribunaux, les droits ou intérêts des administrés, donc porte atteinte à des droits individuels, et
[52.2] tenant compte de la nature et gravité de la décision et son importance (impact) sur ceux qui sont directement ou indirectement touchés par celle-ci, incluant les conséquences financières potentielles,
plus la question est importante et les sanctions sérieuses, tel (sic) une annulation de l’adhésion de l’Entrepreneur, plus l’acte et fonction sont caractérisés chacun de quasi judiciaire et le respect des règles de justice naturelle est alors clairement requis et essentiel.
(…)
[58] Les décisions CIC et la Cour supérieure (para. 186 à 188, 197) qui invalident les ordonnances de la CCQ s’appuient entre autres à ce que la CCQ sous ses décisions :
□ n’a pas précisé le fondement de sa position, n’a pas indiqué quels travaux elle considérait assujettis à la Loi R-20, et
□ n’a pas accordé un délai raisonnable permettant aux personnes visées de communiquer leur point de vue (le Tribunal notant que cet élément est une exigence statutaire prévue à l’art. 7.4) – alors que la CCQ plaide urgence puisque les travaux étaient sur le point d’être entrepris – ce que la Cour supérieure considère ne pas constituer un motif suffisant pour écarter les règles d’équité procédurale.
[59] La Cour supérieure souligne que la notion d’équité procédurale est variable et tributaire du contexte particulier de chaque cas reprenant la liste non exhaustive de critères énoncés par la juge L’Heureux-Dubé dans l’affaire Baker[24] de notre Cour suprême, soit :
▪ la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir;
▪ la nature du régime législatif et les termes de la loi en vertu de laquelle agit l’organisme en question;
▪ l’importance de la décision pour les personnes visées;
▪ les choix de procédure que l’organisme fait lui-même.
[60] D’autre part, la Cour considère que la CCQ en précisant le fondement de sa position aurait donné aux personnes visées l’opportunité de fournir de l’information additionnelle, le cas échéant, et de préciser leur position en toute connaissance de cause.
[61] De plus, dans son analyse de la norme de contrôle applicable aux questions de la procédure suivie par la CCQ, la Cour supérieure, sur la question de l’équité procédurale, réfère (en supplément de l’affaire Baker précitée) aux décisions de notre Cour suprême dans, d’une part, l’affaire Cardinal[25] qui souligne l’obligation de respecter l’équité dans une procédure de décisions d’organisme public qui ne sont pas de nature législative et qui touchent les droits, privilèges ou biens d’une personne, de même que dans l’affaire Dunsmuir[26] traitant des limites imposées à l’attribution du pouvoir décisionnel par la règle de droit, où la Cour suprême souligne de nouveau l’obligation d’équité procédurale. La Cour supérieure conclut que la CCQ devait dans ces deux dossiers « … appliquer, à un niveau élevé, les règles d’équité procédurale. » (para. 172).
[62] L’affaire récente Artcad c. Régie du bâtiment du Québec[27] est aussi d’intérêt pour nos fins, non particulièrement parce qu’elle traite de dispositions de la Loi sur le Bâtiment (L.R.Q., c. B-1.1), mais parce qu’elle vise des circonstances où la Régie du Bâtiment (« Régie ») est investie d’un pouvoir discrétionnaire (soit ici d’approuver l’emploi de solutions de rechange [i.e. les mesures différentes] des dispositions du Code National du Bâtiment – Canada 2005 (mod.) sous référence du Code de construction (L.R.Q. c. B-1.1, r.0.01.01) (le « CNB ou Code »)).
(…)
[65] Notons pour nos fins le sommaire du plaidoyer de la Régie à la décision:
« [28] Elle [Régie] plaide qu’en regard des objectifs de qualité des travaux et de sécurité du public de la Loi sur le bâtiment et de son pouvoir discrétionnaire prévu à son article 127, la décision rendue est raisonnable. Cette décision relève d’une fonction administrative de la Régie et elle a été rendue conformément à son devoir d’agir équitablement. En effet, le Comité a eu des rencontres avec la requérante, des échanges de courriels, l’envoi d’un préavis de décision défavorable et la décision elle-même. »
[66] Un certain parallèle peut se retrouver aux circonstances applicables aux décisions de l’Administrateur sous étude, soit une analyse qualitative de la Régie, selon certaines normes, paramètres ou objectifs identifiés, un estimé quant à la sécurité du public et l’existence ou absence d’opportunité pour la personne visée par la décision de répondre au pouvoir discrétionnaire du décideur préalablement à une décision.
(…)
[68] La commissaire juge de la CRT considère que :
▪ diverses affirmations de la Régie ne sont pas motivées,
▪ que la source de certaines affirmations ne sont pas même mentionnées,
▪ que l’incidence d’affirmation dans l’analyse par la Régie de la demande du requérant n’est pas motivée,
et, soulevant de plus d’autres constats de manquements similaires, la Commission CRT conclut que la motivation de la Régie est insuffisante, voire, parfois inintelligible et par conséquent déraisonnable (para. 54).
(…)
[71] La juge Grenier dans Ozanam (p.13) cite d’à propos la Cour suprême dans l’affaire Paccar lorsqu’elle écrit :
« […] l'approche préconisée par le juge LaForest dans l'arrêt Paccar lorsqu'il écrit que pour déterminer si une décision d'un tribunal administratif est déraisonnable,
" l'accent devrait être mis non pas sur le résultat auquel est arrivé le tribunal, mais plutôt sur la façon dont le tribunal est arrivé à ce résultat[31] " ».
Sommaire - Équité procédurale
[72] En sommaire, l’Administrateur dans le cadre de décisions qui touchent les droits, privilèges ou biens d’une personne et tenant compte de l’importance de la décision pour les personnes visées, se doit d’agir dans un cadre quasi judiciaire et de respecter les règles de justice naturelle, d’obligation d’équité procédurale, qui regroupent la règle audi alteram partem, soit le droit d‘être entendu, dans un cadre de procédure quasi judiciaire, et la nécessité d’assurer que la décision comprenne les éléments qui supportent, ou précisent si requis, le fondement de la position adoptée par le décideur. Ceci requiert entre autres :
□ l’opportunité, pour la personne visée par une décision, de fournir préalablement dans un délai raisonnable de l’information, et de préciser sa position en toute connaissance de cause, et
□ que toute telle décision se doit d’être motivée, ce qui signifie entre autre(sic) :
▪ non seulement de faire référence à une norme, niveau de performance minimal ou objectifs et énoncés fonctionnels, mais que les affirmations qui en découlent soit (sic) énoncées,
▪ et que l’incidence d’une affirmation conséquente dans l’analyse du décideur soit clairement indiquée,
▪ et donc que les faits et les questions mixtes de faits et de droit soient adressés.
se rappelant des commentaires précités de la Cour supérieure:
‘l’insuffisance de motivation engendre l’arbitraire’ et
‘le décideur ne peut se contenter de conclure sans s’expliquer’.
(…)
Considérations
[83] Le Tribunal prend entre autres en considération, pour sa détermination d’une suspension d’annulation, tenant compte d’une part des critères requis pour le maintien d’adhésion et des causes d’annulation, et que l’adhésion est généralement pour un maximum d’un an et donc sujette à renouvellement périodique (art. 89 et 91 du Règlement), mais d’autre part :
[83.1] du poids important dans une telle détermination, du respect ou non des règles de justice naturelle, d’équité procédurale, dans le processus décisionnel et au contenu de la décision visée,
[83.2] équité procédurale qui requiert que soit respecté le droit d‘être entendu, dans un cadre de procédure quasi judiciaire, donc l’opportunité, pour la personne visée par une décision, de fournir préalablement dans un délai raisonnable de l’information, et de préciser sa position en toute connaissance de cause,
[83.3] la nécessité de décisions motivées, qui identifient clairement les motifs et le ou les fondement(s) sous-jacents, non seulement un énoncé de normes ou de causes règlementaires, mais une corrélation aux faits de la situation sous étude et que l’incidence des affirmations du décideur sur son analyse et décision soit clairement indiquée,
[83.4] que les éléments reprochés à l’Entrepreneur et cause(s) de l’annulation ne sont pas purement factuels (tel par exemple le non-dépôt d’états financiers en la forme et dans les délais prévus), alors que dans les circonstances sous étude ils doivent plutôt découler d’une analyse qualitative par l’Administrateur, et
[83.5] la chronologie des réclamations, inspections et décisions de l’Administrateur ordonnant correctifs et l’interrelation de celles-ci avec les Décisions Adm R-13, Adm R-14 et 41Q-14 et la rencontre précitée du 14 janvier 2014, chronologie qui souligne à ces dates décisionnelles la connaissance des problématiques tant par l’Administrateur que l’Entrepreneur (et 41Q, et leurs administrations respectives).
[Nos soulignements; références omises]
[68] Cette longue analyse de Me Ewart confirme la nature quasi judiciaire des décisions rendues par l’Administrateur et la nécessité pour ce dernier d’exercer son pouvoir de manière quasi judiciaire, ce qui exige le respect des règles de justice naturelle.
[69] D’abondant, le Règlement prévoit que l’Administrateur doit se conformer aux politiques d’encadrement émises par la Régie du bâtiment, et notamment la Politique sur l’éthique[9] qui énonce ce qui suit :
1. Contexte
L’article 65.1 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (le « Règlement ») prévoit que l’administrateur doit, pour assurer l’application du plan de garantie approuvé (le « Plan »), respecter les politiques d’encadrement élaborées par la Régie du bâtiment du Québec (RBQ). Ces politiques sont adoptées par le conseil d’administration de la RBQ et sont publiées sur son site Internet.
La Politique sur l’éthique vise l’administrateur, de même que son conseil d’administration, ses dirigeants ainsi que tout son personnel.
(…)
2. Objectifs
La présente politique vise à établir les valeurs, les comportements et les principes fondamentaux qui permettront d’assurer que l’administrateur ait une conduite empreinte d’éthique. Elle vise aussi à guider les actions et les comportements de celui-ci et à orienter sa prise de décision dans l’exercice des fonctions qui lui sont dévolues, et ce, afin de renforcer le lien de confiance du grand public en général et particulièrement des bénéficiaires du Plan en ce qui a trait à son intégrité et son impartialité dans l’administration du Plan.
(…)
4. La conduite éthique
L’administrateur adhère pleinement aux valeurs suivantes : l’absence de conflit d’intérêts, la diligence, la confidentialité, l’impartialité, le respect des règles et des personnes et la transparence.
(…)
4.4 L’impartialité
L’administrateur, un de ses membres ou son personnel doivent prendre des décisions de façon à accorder à tous un traitement équitable, en évitant toute préférence ou en évitant d’avantager l’une ou l’autre des parties. Ces décisions doivent être basées sur une connaissance éclairée des faits et du droit applicable.
4.5 Le respect des règles et des personnes
L’administrateur doit faire preuve de courtoisie envers le bénéficiaire d’un Plan et envers l’entrepreneur qui fournit la garantie. Il doit assurer le respect des délais et des procédures prévus au Règlement et à la présente politique, ainsi que la conformité aux principes contenus aux politiques d’encadrement auxquelles il est assujetti.
4.6 La transparence
L’administrateur doit communiquer de façon claire et compréhensible avec les bénéficiaires ou avec les autres intervenants, sur tous les sujets susceptibles de les concerner, notamment les activités de l’administrateur, sa structure, ses politiques et directives, ses données financières exigées par le Règlement et les modifications significatives apportées à ces différents éléments.
[70] Cette politique encadre le travail de ceux qui œuvrent au sein de l’Administrateur. Elle s’applique lorsqu’ils rendent des décisions, que celles-ci affectent les droits des bénéficiaires ou des entrepreneurs. Elle fait écho, dans une certaine mesure, aux valeurs et principes sous-jacents aux règles de justice naturelle, lesquelles englobent non seulement le droit d’être entendu, mais également le droit à une défense pleine et entière et celui d’être entendu par un décideur impartial.
[71] En l’instance, la preuve a démontré qu’au moment de rendre sa décision, l’Administrateur n’avait pas communiqué avec l’Entrepreneur au préalable ni transmis un préavis de décision défavorable. Aucune preuve n’a démontré que l’Entrepreneur avait eu une opportunité et un délai raisonnable pour faire valoir son point de vue et soumettre des faits ou des éléments pertinents pour la décision à rendre.
[72] Comme l’indiquait Me Ewart, l’Administrateur du plan de garantie « est un organisme de l’ordre administratif qui exerce des fonctions de régulation économique »[10]. De l’avis du Tribunal, malgré l’absence de disposition dans le Règlement exigeant de l’Administrateur qu’il transmette à l’Entrepreneur un préavis de décision défavorable, ce dernier se devait de le faire, dans le respect des règles de justice naturelle et par souci de cohérence avec les obligations de la Régie du bâtiment.
[73] En effet, le retrait d’une accréditation entraîne l’annulation de la licence de l’entrepreneur en ce qui concerne les sous-catégories 1.1.1 et 1.1.2 puisque lors de l’annulation ou du non-renouvellement d’une adhésion, l’Administrateur doit transmettre l’information à la Régie du bâtiment[11].
[74] L’article 70 de la Loi sur le bâtiment prévoit que la Régie peut annuler la licence de l’entrepreneur en certaines circonstances, et notamment lorsqu’il n’adhère plus à un plan de garantie.
[75] Dans l’affaire Les constructions Milan inc.[12], La Garantie Qualité Habitation inc. avait transmis à l’entrepreneur, le 3 juin 2010, un préavis l’informant qu’elle exerçait son droit de procéder à l’annulation de son adhésion à son plan de garantie et que la désaccréditation prendrait effet le 13 juillet suivant. Ce délai avait été octroyé à l’entrepreneur pour lui permettre d’adhérer à un autre plan de garantie et ainsi faire échec à la sanction, soit la perte de sa licence relative aux sous-catégories 1.1.1 et 1.1.2.
[76] Or, depuis le 1er janvier 2015, la Garantie de Construction Résidentielle (GCR) est le seul administrateur de plan de garantie autorisé par la Régie du bâtiment. Ainsi, malgré l’emploi du mot peut à l’article 70 de la Loi sur le bâtiment, en pratique, la perte des sous-catégories 1.1.1 et 1.1.2 est automatique dès lors que l’entrepreneur n’est plus accrédité par la GCR.
[77] Par ailleurs, avant de procéder à l’annulation de la licence de l’entrepreneur, la Régie doit lui transmettre un préavis de décision défavorable conformément à l’article 75 de la Loi sur le bâtiment[13] et lui permettre, dans un délai raisonnable, de fournir des éléments pertinents pour la décision à rendre.
[78] Cependant, une fois son adhésion annulée, l’entrepreneur aura beau fournir à la Régie du bâtiment toute la preuve qu’il veut pour démontrer que l’Administrateur a eu tort d’annuler son adhésion, si cette décision n’a pas été infirmée par un arbitre, celle-ci acquiert la force de la chose jugée et entraîne l’annulation de la licence requise pour la construction de bâtiments résidentiels neufs. En effet, la Régie n’a pas compétence pour infirmer une décision de l’Administrateur et elle ne peut l’obliger à réaccréditer l’Entrepreneur. En cette matière, seul l’arbitre a juridiction[14].
[79] Compte tenu de ce qui précède, il serait illogique de croire que l’Administrateur puisse retirer une adhésion, emportant de graves conséquences pour un entrepreneur, sans se soumettre à un processus quasi judiciaire. Il ne peut se soustraire à l’équité procédurale. Autrement, le préavis de décision défavorable prévu à l’article 75 de la Loi sur le bâtiment perd tout son sens et devient illusoire.
[80] Ainsi, de l’avis du Tribunal, l’Administrateur doit transmettre à l’Entrepreneur un préavis écrit indiquant son intention de procéder à l’annulation de son adhésion, l’ensemble des éléments de preuve en sa possession, et lui octroyer une opportunité et un délai raisonnable pour présenter tout fait pertinent et toute preuve pertinente avant que ne soit rendue la décision. C’est là le sens des propos de la Cour dans l’affaire Commission de la construction du Québec c. Larivière[15] ainsi que ceux de Me Ewart dans l’affaire Riodel[16].
[81] L’Administrateur se devait de faire preuve de transparence dans ses communications avec l’Entrepreneur, conformément à la Politique sur l’éthique à laquelle il est assujetti, et de rendre une décision basée sur une connaissance éclairée de tous les faits.
[82] En l’instance, l’Administrateur a rendu une décision précipitée alors qu’il n’y avait pas d’urgence. Et même s’il y avait eu urgence, ce qui n’est ni prouvé ni allégué, la Cour supérieure a déjà décidé que l’urgence d’une situation ne peut justifier un manquement à l’équité procédurale[17].
[83] Ici, l’équité procédurale n’a pas été respectée dans le cadre du processus ayant mené au retrait de l’adhésion de l’Entrepreneur et ceci constitue un motif suffisant pour infirmer la décision de l’Administrateur.
[84] Mais il y a plus. Outre le fait que l’Administrateur n’a pas rendu sa décision dans un cadre quasi judiciaire, la décision elle-même n’est pas conforme au Règlement qui prévoit que la décision doit être motivée.
[85] Une décision motivée n’est pas celle qui énonce des normes auxquelles l’Entrepreneur aurait fait défaut de se conformer ou qui énonce sommairement des faits[18] sans analyse détaillée ni source d’information[19]. Ce n’est pas non plus celle qui indique que le décideur détient des preuves d’un manquement quelconque à une norme, sans plus.
[86] Une décision motivée doit énoncer clairement les motifs et le ou les fondement(s) sous-jacents à la décision, mettant en évidence la corrélation que fait l’Administrateur entre les normes applicables qui auraient été bafouées et les faits spécifiques, source à l’appui, sur lesquels repose l’analyse ayant mené à la décision d’annuler l’adhésion de l’Entrepreneur.
[87] En l’instance, la décision de l’Administrateur du 21 avril 2021, si elle sous-entend que l’Administrateur tient son information quant aux actionnaires de Les entreprises Rixton inc. du Registre des entreprises, la preuve a démontré que la décision de l’Administrateur repose sur bien d’autres motifs que celui-là.
[88] Et que dire de celle du 29 avril où l’Administrateur indique détenir des preuves que Sandro Mauro est celui qui gère le chantier (voir sous le paragraphe 43 plus haut) sans plus ?
[89] En tout respect, l’Administrateur n’a pas rendu une décision motivée et ceci a entraîné des répercussions sur la preuve administrée par l’Entrepreneur à l’audience. Ce dernier a appris l’existence d’un rapport interne lors du témoignage de monsieur Héroux de même que l’existence de témoins qui auraient fait certaines affirmations qui lui étaient hautement préjudiciables.
[90] Lors de l’audience, le procureur de l’Entrepreneur s’est objecté au témoignage de monsieur Héroux principalement au motif que son témoignage s’appuierait sur des informations contenues dans un rapport, non produit au dossier du Tribunal, et dont il n’a eu connaissance que le matin même. De plus, ce rapport contient, selon lui, des affirmations qui ne sont que du ouï-dire. Il s’objecte vigoureusement à ce que de tels propos soient rapportés devant le Tribunal.
[91] L’objection a été rejetée.
[92] Comme indiqué par la procureure de l’Administrateur, le rapport dont il est question n’est ni plus ni moins qu’un résumé des notes personnelles de monsieur Héroux où ce dernier y consigne ses propres démarches d’enquête et les propos qui lui ont été dits personnellement. Il s’agit d’un document interne non destiné à l’usage du public, ni à être déposé au dossier du Tribunal pour faire preuve de son contenu. Il ne s’agit pas non plus d’un rapport d’expert.
[93] L’auteur Claude Marseille écrit ceci au sujet du ouï-dire :
26-1. L'article 2843 C.c.Q. prévoit ceci :
2843. Le témoignage est la déclaration par laquelle une personne relate les faits dont elle a eu personnellement connaissance ou par laquelle un expert donne son avis.
Il doit, pour faire preuve, être contenu dans une déposition faite à l'instance, sauf du consentement des parties ou dans les cas prévus par la loi.
26-2. A contrario, cette disposition exprime la prohibition du ouï-dire en droit civil québécois, c'est-à-dire : une déclaration qui n'est pas contenue dans une déposition faite en bonne et due forme à l'instance — une déclaration « extrajudiciaire » — ne constitue pas un témoignage valable en droit civil et ne peut faire preuve de son contenu. Par exemple, un témoin relate un fait qu'il n'a pas constaté lui-même, mais qui lui a été rapporté par un tiers. Ce témoignage par personne interposée — le « ouï-dire » au sens strict du terme — est interdit, car le véritable témoin des événements n'est pas entendu par le tribunal et sa déclaration, supposant même qu'elle soit fidèlement rapportée, n'offre pas les garanties de fiabilité d'un témoignage rendu à l'instance, notamment, le déclarant n'était pas sous serment lorsqu'il l'a faite, n'a pu être observé par le tribunal et n'a pas été soumis à l'épreuve du contre-interrogatoire.[20] [Nos soulignements]
[94] Catherine Piché s’exprime ainsi :
707 - Généralités - La notion de ouï-dire requiert l'existence de deux conditions. Il faut l'existence d'une déclaration extrajudiciaire et que celle-ci soit offerte en preuve pour établir la véracité de son contenu. Les tribunaux ont de plus limité cette notion en permettant la preuve d'une déclaration extrajudiciaire, lorsque celle-ci est un élément du fait litigieux.[21]
712 - Rapport d'un enquêteur - En principe, l'exclusion du témoignage écrit vise les rapports des enquêteurs ou des agents vérificateurs au service du gouvernement ou des organismes publics ou semi-publics. La simple production de ces documents n'est pas en principe une preuve suffisante des faits qu'ils contiennent1031. Cependant, les articles 2870 et 2871 C.c.Q. et 292 C.p.c. facilitent la recevabilité en preuve des rapports d'un enquêteur comme preuve des faits qu'il a constatés1032. De façon générale, ces faits présentent des garanties suffisamment sérieuses de fiabilité. La production du rapport d'un enquêteur ne doit pas cependant faire preuve de la véracité des faits relatés par un témoin et contenus dans ce document1033.
2. La vérité du contenu de la déclaration
720 - But de la preuve - La deuxième condition nécessaire à l'existence du ouï-dire est que la preuve d'une déclaration extrajudiciaire soit offerte pour établir la véracité du fait qu'elle contient1058. Dans l'arrêt R. c. O'Brien1059, M. le juge Dickson, de la Cour suprême du Canada, déclare :
Il est bien établi en droit que la preuve d'une déclaration faite à un témoin par une personne qui n'est pas elle-même assignée comme témoin est une preuve par ouï-dire, qui est irrecevable lorsqu'elle cherche à établir la véracité de la déclaration ; toutefois, cette preuve n'est pas du ouï-dire et est donc recevable lorsqu'elle cherche à établir, non pas la véracité de la déclaration, mais simplement que celle-ci a été faite.1060
Par la suite, les tribunaux ont repris souvent cette règle et ont reçu en preuve une déclaration extrajudiciaire offerte dans le seul but d'en établir l'existence1061.
Dans l'arrêt R. c. Khelawon1062, la Cour suprême du Canada a donné l'exemple suivant afin de distinguer le but de la preuve présentée :
Au procès d'un accusé inculpé de conduite avec les facultées affaiblies, un policier témoigne qu'il a intercepté l'automobile de l'accusé à la suite d'un appel d'un inconnu l'informant que le véhicule était conduit par une personne en état d'« ébriété avancée » qui venait tout juste de quitter une taverne de quartier. Si la déclaration concernant l'état d'ébriété du conducteur est présentée dans le seul but d'établir les motifs que le policier avait d'intercepter le véhicule, il importe peu de savoir si la déclaration de l'auteur inconnu de l'appel est exacte, exagérée ou même fausse. Même si la décalaration (sic) est totalement dénuée de fondement, cela n'enlève rien à l'explication que le policier a donné au sujet de ses actes. Si, par contre, la déclaration est présentée dans le but de prouver que l'accusé avait effectivement les facultés affaiblies, l'incapacité du juge des faits d'en vérifier la fiabilité suscite des préoccupations réelles. Ce n'est donc que dans ce dernier cas que la preuve relative à la déclaration de l'auteur de l'appel constitue du ouï-dire et est assujettie à la règle d'exclusion générale.1063
[Nos soulignements; références omises]
[95] En l’instance, les témoins de l’Administrateur sont venus expliquer leurs démarches de même que les motifs pour lesquels l’accréditation de l’Entrepreneur a été annulée.
[96] Dans la mesure où monsieur Héroux témoigne à l’audience, sous serment, et rapporte ce qui lui a été dit personnellement, propos qu’il a consignés dans ses notes personnelles, organisées sous forme de rapport interne, ce n’est pas du ouï-dire. Il en irait autrement si seul monsieur Lefebvre avait témoigné en se basant sur les notes de monsieur Héroux.
[97] Quant à savoir si ce qui a été dit à monsieur Héroux est véridique, tout ce que son témoignage prouve c’est que ces propos lui ont été tenus et qu’il en a été tenu compte par l’Administrateur pour décider du sort de l’adhésion de l’Entrepreneur. Cela ne démontre pas la véracité desdits propos et c’est là une nuance importante.
[98] Me Nantel a indiqué au Tribunal que le présent dossier nécessite de départager le bon grain de l’ivraie et de tenir compte du contexte dans lesquelles les déclarations ont été faites et de la crédibilité des témoins.
[99] Avec égards, le présent dossier n’appelle pas à ce genre d’exercice puisque la décision de l’Administrateur est entachée d’une irrégularité telle que le Tribunal ne peut, sans manquer aux règles de justice naturelle et d’équité procédurale, maintenir cette décision.
[100] S’il est vrai que la décision du 29 avril indique qu’elle fait suite aux échanges entre les parties, aucun de ces échanges n’a été mis en preuve et personne n’a même soutenu que l’Entrepreneur avait eu l’opportunité de présenter des éléments de preuve pertinents à ce dernier avant que l’Administrateur n’oppose une fin de non-recevoir à reconsidérer sa décision.
[101] Même si la crédibilité des représentants de l’Entrepreneur a été fortement ébranlée en raison de contradictions et d’incohérences dans les témoignages entendus, l’Entrepreneur avait malgré tout le droit de présenter une défense pleine et entière, ce qu’il a été empêché de faire dans les circonstances actuelles. Ceci est d’autant plus grave qu’il fait face à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire de l’Administrateur[22].
[102] La soussignée est d’avis qu’en pareille matière, la preuve que l’Administrateur doit avoir recueillie avant de rendre sa décision, suivant un processus quasi judiciaire, doit être particulièrement claire et convaincante.
[103] Même si une certaine déférence est due à l’Administrateur qui demeure ultimement celui qui devra assumer les obligations de l’entrepreneur fautif, la gravité des conséquences de la décision de l’Administrateur sur les droits de l’Entrepreneur et les conséquences financières qui en découlent justifient une preuve de haute qualité, exempte de tout vice. Ceci étant, cela n’a pas pour effet de renverser ni de modifier le fardeau de preuve qui demeure celui de la balance des probabilités et repose sur l’Entrepreneur.
[104] En l’instance, l’absence d’équité procédurale empêche le Tribunal d’analyser la preuve soumise de part et d’autre et de déterminer si Sandro Mauro est actionnaire ou dirigeant de Les entreprises Rixton inc. La décision de l’Administrateur sera donc infirmée au motif d’absence d’équité procédurale uniquement, sans se prononcer sur le mérite de la décision de l’Administrateur.
[105] En terminant, le Tribunal souhaite souligner que les arguments de l’Administrateur eu égard à la présence de Sandro Mauro au sein de l’Entrepreneur et, de façon générale, sur un chantier de construction, ont bien été entendus. Le Tribunal constate que son expérience passée avec ce dernier suffit à justifier ses craintes qui sont on ne peut plus légitimes, à la lumière de la preuve faite et non contestée à cet égard.
[106] Son empressement à rendre une décision par laquelle il retire l’accréditation de l’Entrepreneur est à la hauteur de sa crainte. La preuve démontre que l’Administrateur a agi sous le coup de l’émotion, rendant bien malgré lui une décision arbitraire.
[107] Cela ne démontre pas, comme le prétend l’Entrepreneur, qu’il ait été de mauvaise foi.
Engagements de l’Entrepreneur
[108] À l’audience, les parties ont admis que des discussions de règlement avaient eu lieu et que certaines offres ont été formulées par l’Entrepreneur afin de garantir ses engagements envers l’Administrateur et démontrer sa bonne foi.
[109] L’Entrepreneur a consenti, advenant que la décision de l’Administrateur soit infirmée et son accréditation rétablie, à ce que le Tribunal prenne acte de certains engagements faits en sa présence.
[110] Il s’agit principalement de l’engagement de l’Entrepreneur à ne plus faire affaire d’aucune manière avec Sandro Mauro, à rembourser le prêt garanti par hypothèque à la fiducie Senna Trust d’ici la fin du mois d’août 2021, et de bonifier son cautionnement, qui est présentement de 150 000 $, à 175 000 $.
[111] Il découle des propos qui ont été tenus à l’audience que l’engagement de l’Entrepreneur à ne plus faire affaire avec Sandro Mauro d’aucune façon est en réalité autant l’engagement de Les entreprises Rixton inc. que de Quintino Rico et de Roxanne Lakdawala personnellement. Le Tribunal tire cette conclusion du fait que ces derniers ont affirmé « on ne veut plus rien avoir à faire avec lui ». Il est clair qu’au moment où ils exprimaient ces propos que tous deux (2) le faisaient en leur nom personnel et c’est conséquemment de cette façon que l’engagement, dont acte, a été compris et sera rédigé.
[112] Bien que rien dans le Règlement ou dans la Loi sur le bâtiment ne prévoit que l’Administrateur ou l’arbitre puisse ordonner à un entrepreneur de ne plus faire affaire avec certains individus, rien n’interdit toutefois à la soussignée de prendre acte d’un engagement librement consenti et qui ne contrevient pas au Règlement qui est d’ordre public.
[113] D’ailleurs, les craintes de l’Administrateur relativement à Sandro Mauro sont fondées et il apparaît juste et équitable de donner acte à l’Entrepreneur de son engagement librement formulé, quand bien même la décision de l’Administrateur est annulée pour cause de vice procédural.
[114] L’Entrepreneur ayant soutenu avec force et vigueur que Sandro Mauro n’est ni actionnaire ni dirigeant de Les entreprises Rixton inc. et qu’il ne fait plus rien pour lui depuis la décision de l’Administrateur, cette ordonnance ne devrait conséquemment lui imposer aucune contrainte.
Frais
[115] Conformément à l’article 123 du Règlement, les frais du présent arbitrage sont partageables en parts égales entre l’Entrepreneur et l’Administrateur.
EN CONSÉQUENCE, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
ACCUEILLE la demande d’arbitrage de l’Entrepreneur;
INFIRME la décision de l’Administrateur;
RÉTABLI l’accréditation de l’Entrepreneur;
PREND ACTE de l’engagement de l’Entrepreneur et de ses actionnaires Quintino Rico et Roxanne Lakdawala de ne pas faire affaire avec Sandro Mauro, de ne jamais l’admettre à titre d’actionnaire, d’administrateur ou de dirigeant de Les entreprises Rixton inc. ou toute autre entreprise œuvrant directement ou indirectement en construction et généralement, dans l’ensemble de leurs entreprises, de ne jamais l’admettre comme employé ou consultant et de ne pas retenir les services de Sandro Mauro à titre d’influenceur et ORDONNE à l’Entrepreneur de même qu’à Quintino Rico et Roxanne Lakdawala de s’y conformer;
PREND ACTE de l’engagement de l’Entrepreneur de rembourser à la fiducie Senna Trust le prêt consenti et garanti par hypothèque immobilière publiée au Registre foncier sous le numéro 24 982 719, d’ici la fin du mois d’août 2021, et ORDONNE à l’Entrepreneur de s’y conformer;
ORDONNE à l’Entrepreneur de transmettre à l’Administrateur la preuve du remboursement dudit prêt dans le même délai de même que la preuve de radiation de l’hypothèque précédemment décrite ainsi que tout autre document que l’Administrateur pourra requérir en application de l’ordonnance prononcée;
PREND ACTE de l’engagement de l’Entrepreneur de bonifier son cautionnement jusqu’à concurrence de 175 000 $ dans les 15 jours suivant le remboursement du prêt à la fiducie Senna Trust et ORDONNE à l’Entrepreneur de s’y conformer;
CONDAMNE l’Entrepreneur et l’Administrateur aux frais du présent arbitrage, en parts égales ;
Kirkland, ce 26 juillet 2021
_______________________ ___
Me Karine Poulin, arbitre
Procureurs :
Entrepreneur :
Me Luc Bellemare
Me Samia Benlamara
Gravel Bernier Vaillancourt avocats
Administrateur :
Me Nancy Nantel
La Garantie de construction résidentielle (GCR)
[1] Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, L.R.Q., c. B-1.1, r. 8.
[2] Loi sur le bâtiment, L.R.Q., c. B-1.1, art. 58, 60, 77 et 78.
[3] Règlement, art. 80.
[4] Id., art. 91.
[5] Id., art. 93.
[6] Construction H. Urbain inc. c. La Garantie Abritat inc., SORECONI, 20 septembre 2013, Me Michel A. Jeanniot, arbitre.
[7] Riodel inc. c. La Garantie Abritat inc., 2014 CanLII 150086 (OAGBRN).
[8] Id.
[9] Règlement, art. 65.1 (3).
[10] Riodel inc. c. La Garantie Abritat inc., précitée note 7.
[11] Règlement, art. 70 : « L’administrateur doit transmettre sans délai à la Régie tout renseignement susceptible de remettre en cause la délivrance ou le maintien en vigueur d’une licence d’entrepreneur.
L’administrateur doit notamment informer sans délai la Régie de tout cas d’entrepreneur qui refuse de se conformer à une décision de l’administrateur ou à une décision arbitrale. »
[12]Les constructions Milan inc. c. La Garantie Qualité Habitation inc., CCAC, S10-220601-NP, 17 février 2011, Me Michel A. Jeanniot, arbitre.
[13] Loi sur le bâtiment, art. 75 : La Régie doit, avant de refuser de délivrer une licence ou avant de prononcer la suspension ou l’annulation d’une licence, notifier par écrit au titulaire le préavis prescrit par l’article 5 de la Loi sur la justice administrative (chapitre J-3) et lui accorder un délai d’au moins 10 jours pour présenter ses observations.
Elle doit rendre par écrit une décision motivée.
[14] Règlement, art. 106.
[15] Commission de la construction du Québec c. Larivière 2009 QCCS 2653.
[16] Riodel inc. c. La Garantie Abritat inc., précitée note 7.
[17] Commission de la construction du Québec c. Larivière 2009 QCCS 2653.
[18] Riodel inc. c. La Garantie Abritat inc., précitée note 7.
[19] Commission de la construction du Québec c. Larivière 2009 QCCS 2653.
[20] Claude Marseille, Prohibition du ouï-dire, dans Claude Marseille (dir.), Les objections à la preuve en droit civil, Montréal, LexisNexis Canada, 2015.
[21] Catherine Piché, La preuve civile, 6e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2020.
[22] Riodel inc. c. La Garantie Abritat inc., précitée note 7, par. 62 à 66.