TRIBUNAL D’ARBITRAGE
Sous l’égide du
CENTRE CANADIEN D’ARBITRAGE COMMERCIAL (CCAC)
Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment
ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE
DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
(Décret 841-98 du 17 juin 1998)
Canada
Province de Québec
Dossier no: S20-062901-NP
9285-4777 QUÉBEC INC.
Entrepreneur
c.
Garantie de construction résidentielle (« GCR »)
Administrateur
________________________________________________________________
DÉCISIONS ARBITRALES INTERLOCUTOIRES
Requête en suspension d’annulation d’adhésion (Entrepreneur)
Requête en irrecevabilité (Administrateur)
MOTIFS
________________________________________________________________
Arbitre : Me Jean Philippe Ewart
Pour l’Entrepreneur: Me Pierre-Olivier Baillargeon
Crochetière Pétrin Avocats
Pour l’Administrateur: Me Éric Provençal La Garantie de Construction Résidentielle (« GCR »)
Date de l’Instruction: 13 juillet 2020
Date d’adjudication : 16 juillet 2020
Date d’émission des présentes : 28 août 2020
Identification des Parties
ENTREPRENEUR : 9285-4777 Québec Inc.
Attention : M. Gilbert Boulanger
100, rue Grenier #230
Charlemagne (Québec) J5Z 4C6
(« Entrepreneur »)
ADMINISTRATEUR : LA GARANTIE DE CONSTRUCTION RÉSIDENTIELLE
(« GCR »)
Attention : Me Éric Provençal
7171, rue Jean-Talon Est, bureau 200
Montréal (Québec) H1M 3N2
(« Administrateur »)
INTRODUCTION
[1] La demande d’arbitrage de l’Entrepreneur en date du 26 juin 2020 (« Demande Arb») vise la décision de l’Administrateur du 19 novembre 2019 (« Décision Adm ») avisant d’un refus par l’Administrateur de l’adhésion de l’Entrepreneur au Plan, plus particulièrement dans une première étape une requête en suspension de l’exécution de la Décision Adm concernant ce que l’Entrepreneur considère être une annulation de l’adhésion de l’Entrepreneur.
[2] Tenant compte des délais qui peuvent être encourus à la transmission de la décision arbitrale interlocutoire sur « Requête en irrecevabilité » de l’Administrateur et sur la « Demande en suspension de l’annulation de l’adhésion de l’Entrepreneur », dans les circonstances particulières de ce dossier, le Tribunal avise en date du 16 juillet 2020 une adjudication avec motifs écrits à être transmis subséquemment en suivi de l’Instruction tenue lundi 13 juillet 2020. Les présentes sont ces motifs écrits.
Mandat et Juridiction
[3] Le Tribunal est saisi du dossier en conformité du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (L.R.Q. c. B-1.1, r.02) (« Règlement ») adopté en vertu de la Loi sur le bâtiment (L.R.Q. c. B-1.1), le tout suite à désaccord quant à la Décision Adm sous le plan de garantie au Règlement visé par les présentes (la «Garantie» ou «Plan») et nomination du soussigné en date du 29 juin 2020.
[4] Aucune objection quant à la compétence du Tribunal n’a été soulevée par l’Entrepreneur. Une objection déclinatoire a été soulevée par voie de requête en irrecevabilité par l’Administrateur quant à l’absence de compétence du Tribunal pour le motif de l’expiration du délai de trente (30) jours suivant la décision administrative pour déposer une demande d’arbitrage par l’Entrepreneur.
Litige
[5] Le litige est identifié à la Décision Adm comme un refus d’adhésion de l’Entrepreneur par l’Administrateur. L’on comprendra de la preuve documentaire autre au dossier qu’il s’agit initialement du renouvellement d’une adhésion dont bénéficiait précédemment l’Entrepreneur.
[6] Tel que souligné, la Demande Arb comprend inter alia une demande de suspension de la Décision Adm.
[7] L’Administrateur dépose subséquemment une Requête en irrecevabilité de la Demande Arb.
Pièces
[8] Les Pièces contenues au Cahier de l’Administrateur ou déposées au dossier par la suite ou durant la présente Instruction sont identifiées comme A- avec numérotation équivalente à l’onglet applicable au Cahier visé; les Pièces de l’Entrepreneur ou déposées par la suite ou durant la présente Instruction sont identifiées sous cote E-.
Chronologie de l’Arbitrage
[9] Sommaire de la chronologie du présent arbitrage :
2018.09.24 Décision de l’Administrateur au dossier Angora (tel que défini ci-dessous).
2018.10.15 Décision supplémentaire de l’Administrateur au dossier Angora.
2019.01.25 Courriel de l’Entrepreneur à l’Administrateur - refus d’accès du Bénéficiaire (Pièce E-11)
2019.01.25 Prise en charge des travaux correctifs par l’Administrateur dans le dossier Angora
2019.08.15 Demande de cautionnement supplémentaire par ACQ à l’Entrepreneur (+150 000$) (Pièce A-1) (« Cautionnement Supplémentaire»)
2019.11.06
et
2019.11.13 Discussion entre Entrepreneur et ACQ en regard de l’avancement du dossier concernant le cautionnement additionnel requis.
2019.11.19 Décision Administrateur - Refus de l’adhésion de l’Entrepreneur et preuve de réception (Pièce A-8)
2019.12.19 Confirmation par ACQ du cautionnement initial de l’Entrepreneur (pour un montant de 200 000$ prévu initialement) (« Cautionnement initial »)
2020.02.03 Début des travaux correctifs par l’Entrepreneur concernant le dossier Angora
2020.02.03 Facture 104936 - 4652$ pour travaux correctifs et facture 107819 -
14 932$ pour travaux correctifs (125090-1421 #24 déc. 24-09-2018)
2020.02.10 Date butoir initiale pour fournir la preuve de renouvellement d’adhésion à la GRC de l’Entrepreneur (nota : demande de prolongation par l’Entrepreneur)
2020.03.10 Facture 106807 - 32 162$ pour travaux correctifs
(125090-1421 #24 déc. 24-09-2018)
2020.03.18 Lettre de la GCR à l’Entrepreneur (Intervention requise - 10 jours; paiement demande d’adhésion, convention, inspection pré-accréditation, E/F du 31 décembre 2019, etc. (Pièce A-4)
2020.03.18 Demande d’adhésion de l’Entrepreneur à l’Administrateur (pièce A-4)
2020.03.22 Encaissement du chèque par l’Administrateur du renouvellement de l’adhésion de l’Entrepreneur auprès de la GCR
2020.03.25 Deuxième date butoir pour fournir la preuve de renouvellement d’adhésion à la GCR de l’Entrepreneur (demande de prolongation énoncée par l’Administrateur)
2020.04.30 Lettre de Me Baillargeon à Jean-Pascal Labrosse, vice-président principal de l’Administrateur (Pièce A-9)
2020.05.01 Courriel de Me Provençal à Me Baillargeon (Pièce A-9)
2020.05.31 Troisième date butoir pour fournir la preuve de renouvellement d’adhésion (accréditation à un plan de garantie) à l’Administrateur de l’Entrepreneur (demande de prolongation par l’Entrepreneur)
2020.06.23 Demande d’arbitrage par l’Entrepreneur
2020.06.29 Nomination de l’arbitre
2020.07.04 Date butoir finale pour fournir la preuve de renouvellement d’adhésion (accréditation à un plan de garantie) à la GCR (non alors fournie).
2020.07.10 Dépôt par l’Administrateur d’une Requête en l’irrecevabilité de la demande d’arbitrage.
2020.07.13 Instruction sur l’objection déclinatoire de l’Administrateur et la demande de suspension de l’annulation de l’accréditation de l’Entrepreneur.
2020.07.28 Réception des états financiers de l’Entrepreneur pour l’exercice financier terminé le 31 décembre 2019.
Le Règlement
[10] Le Règlement est d’ordre public tel que confirmé à diverses reprises par la Cour d’appel[1]. De plus, il prévoit que toute disposition d’un plan de garantie qui est inconciliable avec le Règlement est nulle [2].
[11] La décision arbitrale est finale et sans appel et lie les parties dès qu’elle est rendue [3].
FAITS PERTINENTS
[12] Le 19 novembre 2019, l’Administrateur sous la Décision Adm informe l’Entrepreneur que l’adhésion de celui-ci au Plan est refusée soulignant uniquement certains articles du Règlement qui prévoient certaines conditions et critères financiers relatifs à cette adhésion, et sans plus. (Pièce E-1).
[13] Préalablement à la Décision Adm, l’Administrateur a émis deux (2) décisions visant des points de réclamation (le « dossier Angora ») (que la preuve réfère entre autre comme la ‘réclamation 1421’) en lien à un bâtiment partie d’un projet de 40 unités résidentielles intitulé Les Jardins Angora, soit en date du 24 septembre 2018 (dossier 125090-668 et 1421) (« Décision Adm18/1 ») ainsi que la décision supplémentaire en date du 15 octobre 2018 (« Décision Adm18/2 »).
[14] On comprendra prima facie que l’Administrateur requiert dès le 15 août 2019 une garantie supplémentaire de 150 000$ ‘… afin de régulariser votre accréditation GCR’ (Pièce A-1 et Requête en irrecevabilité) et on comprendra d’autre part que le refus d’un renouvellement ou demande d’adhésion - selon les thèses avancées respectivement - est aussi clairement lié à ce Cautionnement supplémentaire en date subséquente du 15 juin 2020 (Pièce E-2).
[15] Dans l’intervalle :
[15.1] Le 19 décembre 2019, il y a confirmation de l’ACQ quant au Cautionnement initial de l’Entrepreneur.
[15.2] Le 3 février 2020, l’Entrepreneur débute des travaux correctifs quant au dossier Angora;
[15.3] Le 18 mars 2020, faisant suite à une lettre de la GCR de la même date, l’Entrepreneur dépose une demande de renouvellement de son adhésion au plan de garantie. (pièce A-4);
[15.4] Le 22 mars 2020, le chèque de paiement de l’Entrepreneur associé à la demande de renouvellement de son adhésion au plan de garantie est encaissé par l’Administrateur;
[15.5] Au cours de la période entre le 10 février 2020 et le 4 juillet 2020, l’Entrepreneur a soumis quatre (4) demandes de prolongation de la période pour fournir une preuve de renouvellement d’adhésion à la Régie du bâtiment du Québec, laquelle période finale s’est terminée le 4 juillet 2020.
[16] Le Tribunal est informé par la publication d’une sentence sur désistement en date du 6 juillet 2020 par le tribunal arbitral assigné (Me M.A. Jeanniot) confirmant que la bénéficiaire demanderesse au dossier Angora et aux réclamations des Décisions Adm18/1 et Adm18/2 se désistait d’une demande d’arbitrage. Quoique sans détails des motifs ou entente dont découle ce désistement, il semble que ce désistement peut avoir un impact sur l’ensemble du présent dossier.
[17] Sans se prêter à une analyse au fond de la Décision Adm qui fait l’objet de la Demande Arb, le Tribunal se base sur les pièces communiquées ainsi que sur les représentations des parties respectives faites à ce stade interlocutoire pour éclairer l’analyse du soussigné en l’instance.
ANALYSE ET MOTIFS
[18] Le 10 juillet 2020, l’Administrateur a déposé une requête en irrecevabilité de la Demande Arb alléguant expiration du délai pour dépôt d’une demande d’arbitrage en vertu du Règlement.
[19] Le Tribunal comprend que l’Administrateur appuie sa requête sur les bases de l’article 19 du Règlement, selon lequel :
« Le bénéficiaire ou l’entrepreneur, insatisfait d’une décision de l’administrateur, doit, pour que la garantie s’applique, soumettre le différend à l’arbitrage dans les 30 jours de la réception par poste recommandée de la décision de l’administrateur à moins que le bénéficiaire et l’entrepreneur ne s’entendent pour soumettre, dans ce même délai, le différend à un médiateur […].»
[nos soulignés]
[20] La Décision Adm fût émise le 19 novembre 2019, et il n’est pas contredit que reçue par l’Entrepreneur en date du 29 novembre 2019 (Pièce A-8). La Demande Arb a été reçue par le CCAC en date du 23 juin 2020, donc plus de six (6) mois suite à la réception par l’Entrepreneur.
[21] Il est reconnu que saisi d’une requête en irrecevabilité, le Tribunal se doit de trancher quelque puisse être la difficulté ou complexité de la question lorsqu’il s’agit d’un point de droit ‘pur’.[4]
[22] Toutefois, les principes qui sous-tendent le rejet d’action à ce stade préliminaire nous sont maintes fois soulignés par nos Cours, incluant en 2014 par la Cour d’appel sous le banc de l’Hon. Nicole Duval Hesler J.C.Q. dans l’affaire Entrepôt International Québec c. Protection incendie de la Capitale inc. [5]:
« Cette Cour résume ainsi les principes qui sous-tendent l’irrecevabilité d’un recours :
[…]
• Le Tribunal n'a pas à décider des chances de succès du demandeur ni du bien-fondé des faits allégués. Il appartient au juge du fond de décider, après avoir entendu la preuve et les plaidoiries, si les allégations de faits ont été prouvées;
• Le Tribunal doit déclarer l'action recevable si les allégations de la requête introductive d'instance sont susceptibles de donner éventuellement ouverture aux conclusions recherchées;
• La requête en irrecevabilité n'a pas pour but de décider avant procès des prétentions légales des parties. Son seul but est de juger si les conditions de la procédure sont solidaires des faits allégués, ce qui nécessite un examen explicite, mais également implicite du droit invoqué;
• On ne peut rejeter une requête en irrecevabilité sous prétexte qu'elle soulève des questions complexes;
• En matière d'irrecevabilité, un principe de prudence s'applique. Dans l'incertitude, il faut éviter de mettre prématurément [fin] à un procès;
• En cas de doute, il faut laisser au demandeur la chance d'être entendu au fond. »
[nos soulignés]
[23] Le Tribunal retrouve d’ailleurs une longue tradition sur ce principe de prudence, tel sous la plume du Juge Proulx dans l’affaire en Cour d’appel Hampstead c. Jardins Tuileries[6] citée possiblement comme la cause charnière sur cette question (quoique sous l’ancien art. 165 (4) [168 Cpc in fine] et en surface question de prescription, il s’agissait de déterminer une qualification délictuelle ou contractuelle) :
« À l'exemple de mon regretté collègue le Juge Monet, je dirais que "je suis enclin, à ne pas, autant que possible, mettre fin prématurément à un procès" , considérant les "graves conséquences qui découlent" d'un rejet d'action sans examen de l'affaire au mérite. »
[24] Dans un premier temps, notons que le délai de soumission d’une demande d’arbitrage d’une décision d’un administrateur pour pourvoir à l’application de la Garantie est un délai de procédure - que certains ont qualifié de délai simplement ‘indicatif’ [7]- , donc délai de prescription, et non délai de rigueur et encore moins délai de déchéance.
[25] La Cour Supérieure a d’ailleurs tranché cette question dans l’affaire Takhmizdjian et Bardakjian c Soreconi et al. [8] quant à ce délai contenu à l’article 19 du Règlement:
« [25] … Le délai de 15 jours [ndlr : de l’article 19 du Règlement, alors de 15 jours] n'est pas indiqué nulle part [ndlr : au Règlement] comme étant de déchéance ou de rigueur. On peut considérer qu'il s'agit d'un délai de procédure pouvant être prorogé. […]. »
[26] Les décisions arbitrales sur le Règlement sont d’ailleurs très majoritairement au même effet [9].
[27] De plus, dans nos circonstances, il ne s’agit pas d’une question de droit seul, mais une question mixte de fait et de droit; on se doit de reconnaitre qu’il y a une trame factuelle nombreuse qui soulève des questions qui se devront d’être plus explicitées afin d’éviter un doute et incertitude qui renforce le principe de prudence que le Tribunal considère requis effectivement dans les circonstances au dossier.
[28] En effet, entre autres, le délai de procédure peut en certaines circonstances ouvrir un moyen de défense caractérisé par nos Cours d’impossibilité d’agir sur un non-respect prima facie du délai, impossibilité que l’Hon. Juge Lamer de notre Cour Suprême considère dans l’affaire St-Hilaire[10] comme une impossibilité de fait, relative.
[29] De plus, le Tribunal tient à souligner l’absence de motifs clairs et détaillés dans la Décision Adm quant à l’annulation ou non renouvellement de l’accréditation de l’Entrepreneur. Les prétentions respectives de l’Entrepreneur et de l’Administrateur emportent de plus une divergence de faits entre la continuité possible d’une adhésion existante ou de négociations subséquentes, d’une part, et une nouvelle demande d’adhésion subséquente, d’autre part.
[30] Finalement, l’affaire Takhmizdjian souligne (tel d’ailleurs que diverses autres causes des tribunaux de l’ordre judiciaire qui adressent cet élément) le pouvoir du Tribunal d’agir en équité, ce qui n’est pas requis ni inféré dans nos circonstances, mais qui est d’intérêt pour nos fins, car il visait alors les circonstances du dépassement de délai :
« 25 […] Le Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs prévoit spécifiquement à son article 116 que si l'arbitre doit statuer conformément aux règles de droit "il fait aussi appel à l'équité lorsque les circonstances le justifient." Le Tribunal estime que les circonstances du présent cas justifiaient amplement l'arbitre d'agir avec équité et proroger le délai de 15 jours. » [11]
[31] Conséquemment, le Tribunal rejette la requête en irrecevabilité de l’Administrateur.
[32] L’Entrepreneur est une personne morale ayant été titulaire jusqu’au 4 juillet 2020 d’une licence d’entrepreneur général l’autorisant entre autre à exécuter ou à faire exécuter, en tout ou en partie, les travaux de construction d’un bâtiment résidentiel (neuf) visés par le Règlement.
[33] À ce titre, l’Entrepreneur doit adhérer, conformément aux dispositions de la section I du chapitre IV du Règlement à un plan qui garantit l’exécution des obligations légales et contractuelles (prévues au Règlement) et qui doit garantir l’exécution des obligations légales et contractuelles de l’entrepreneur dans la mesure et de la manière prévue à ce même Règlement.
[34] Par correspondance transmise du 15 août 2019 (Pièce A-1) de l’Administrateur à l’Entrepreneur, l’Administrateur transmettait un dernier avis d’exercice de la faculté de l’Administrateur a procéder à l’annulation de l’adhésion de l’Entrepreneur, à défaut de fournir dans les 10 jours suivants une garantie supplémentaire de 150 000$ pour son cautionnement (Cautionnement supplémentaire). Cet avis considère prendre source à l’article 93 du Règlement.
[35] Le 19 novembre 2019, l’Administrateur informe l’Entrepreneur par l’entremise de la Décision Adm de son refus d’adhésion de l’Entrepreneur au Plan.
[36] La Décision Adm (Pièce E-1) justifie ce refus d’adhésion en citant les articles 78(2), 85, 88, 93(1), (6) et (9) du Règlement.
[37] La requête en suspension de l’exécution de la Décision Adm s’appuie sur l’article 106 du Règlement, plus précisément à son troisième alinéa:
« La demande d'arbitrage concernant l'annulation d'une adhésion d'un entrepreneur ne suspend pas l'exécution de la décision de l'administrateur sauf si l'arbitre en décide autrement. »
[38] La suspension de l’exécution de la Décision Adm est en soi une mesure conservatoire par le Tribunal qui permet de préserver un certain statu quo - avec dans certains cas des conditions intérimaires - dans l’attente d’une décision sur le fond, et s’apparente quant à certains égards à une suspension d’instance.
[39] L’Entrepreneur dépose deux déclarations sous serment de son président et administrateur, G. Boulanger, en dates respectives des 30 juin 2020 et 10 juillet 2020 (Pièce E-12 en liasse) qui décrivent un historique du dossier (et dossier Agora), les négociations auprès de l’Administrateur dans un cadre de renouvellement de son adhésion et des délais encourus, et adresse selon l’Entrepreneur les motifs d’urgence à procéder et une analyse du préjudice dans les circonstances.
[40] G. Boulanger témoigne d’autre part lors de l’Instruction dont découle les présentes.
[41] L’on comprend que le Projet Angora comporte treize (13) bâtiments, que douze (12) bâtiments sont avancés à un point que la pérennité du bâtiment en chaque cas n’est pas menacée, qu’il n’y a pas dépôts en main de promettants-acheteurs en attente de livraison d’unité, qu’il peut y avoir des parachèvements de travaux intérieurs , mais sans plus et que le treizième bâtiment est non-construit et qu’un chemin de passage est d’autre part requis d’être complété pour accéder pour fins de construction à ce site.
[42] Tel qu’énoncé dans l’arrêt de la Cour Suprême Metropolitan Stores Ltd. :
« la suspension d’instance et l’injonction interlocutoire ont des redressements de même nature qui doivent être régies par les mêmes règles »[12]
[43] Le Tribunal doit donc généralement appliquer trois (3) critères principaux pour déterminer s’il est opportun d’accorder une suspension d’exécution de la Décision Adm en l’occurrence;
[44] Ces trois (3) critères énoncés par la Cour Suprême peuvent se lire comme suit :
« Le premier critère revêt la forme d’une évaluation préliminaire et provisoire du fond du litige. La manière traditionnelle consiste à se demander si la partie qui demande l’injonction interlocutoire est en mesure d’établir une apparence de droit suffisante. Selon une formulation plus récente, il suffit de convaincre la cour de l’existence d’une sérieuse à juger, par opposition à une réclamation futile ou vexatoire.
[…]
Le deuxième critère se penche sur la question du préjudice irréparable. Le troisième critère, celui de la prépondérance des inconvénients, consiste à déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse une injonction interlocutoire en attendant une décision sur le fond. »
[nos soulignés]
[45] Le fardeau de preuve quant aux élément requis pour l’obtention de la suspension repose sur l’Entrepreneur.
[46] Dans le cadre de la présente Instruction, le Tribunal a réitéré son intention d’examiner le fond uniquement lors de l’Instruction sur le fond, fixée au 3 et 4 septembre 2020; toutefois, tel que mentionné précédemment, les présentes ont requis une première analyse de certains éléments factuels dans un cadre mixte de fait et de droit.
[47] Malgré le libellé quant au premier critère dans Metropolitan Stores Ltd., soit :
« Le premier critère revêt la forme d’une évaluation préliminaire et provisoire du fond du litige »
certains éléments d’analyse quant à ce premier critère se retrouvent dans l’affaire subséquente de notre Cour Suprême R.J. MacDonald [13] qui nous enseigne:
« Quels sont les indicateurs d'une « question sérieuse à juger » ? Il n'existe pas d'exigences particulières à remplir pour satisfaire à ce critère. Les exigences minimales ne sont pas élevées. Le juge saisi de la requête doit faire un examen préliminaire du fond de l'affaire. »
[…]
« Une fois convaincu qu'une réclamation n'est ni futile ni vexatoire, le juge de la requête devrait examiner les deuxième et troisième critères … » (page 337)
[48] Néanmoins, en vertu de l’arrêt MacDonald, il existe deux (2) exceptions à cette règle générale (i.e. le premier critère de Metropolitan Stores Ltd.), selon laquelle un juge ne devrait pas procéder à un examen approfondi sur le fond :
« La première est le cas où le résultat de la demande interlocutoire équivaudra en fait au règlement final de l'action. »
(page 338) […]
« La deuxième exception à l'interdiction, formulée dans l'arrêt American Cyanamid, de procéder à un examen approfondi du fond d'une affaire … » (page 339);
[49] En effet, la Décision Adm ne contient que des énoncés généraux et il convient de la reproduire (excluant les textes d’articles du Règlement) :
« Monsieur,
La présente vise à vous informer que nous refusons l’adhésion de votre entreprise (« entreprise » ou « entrepreneur ») auprès du plan de La Garantie de Construction Résidentielle » (« GCR » ou « administrateur »).
En effet, votre entreprise se trouve dans la ou les situation(s) suivante(s) qui peuvent être en lien avec certains articles du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, RLRQ, c. B-1.1, r.8 (« Règlement ») : […] »
[50] Et sont insérés les articles 78.2, 85, 88, 93.1. 93.6 et 93.9 du Règlement, et sans plus, sauf un avis en lien avec l’enregistrement d’unités, un avis en lien avec la documentation et affichage, un avis quant à la procédure pour une demande de réouverture de dossier et un avis identifiant les organismes d’arbitrage et leurs coordonnées.
[51] Le Tribunal considère que le contenu de la Décision Adm, sans motifs en appui d’un considérant vague que les critères financiers retrouvés dans le Règlement ne seraient plus rencontrés, est un élément clair que la Demande Arb possède une apparence de droit et une question sérieuse à juger, requérant l’attention du Tribunal.
[52] Le préjudice sérieux et irréparable, tel que qualifié dans la décision MacDonald, est un préjudice qui n’est pas susceptible d’être compensé par des dommages-intérêts ou qui peut difficilement l’être.
[53] L’Entrepreneur, tel qu’il appert de la Demande Arb allègue que:
« Notre cliente (ndlr : 9285-4777 Québec Inc.) court donc un risque de voir sa licence de la Régie du bâtiment du Québec non émise pour les sous-catégories concernant des bâtiments résidentiels visés. Bien évidemment, la décision susdite de l’administrateur et la décision à venir de la RBQ (ndlr : faisant référence à l’expiration du délai pour soumettre la preuve d’adhésion à la RBQ au plan de garantie de la GCR), le cas échéant, seront hautement préjudiciables pour notre cliente et occasionneraient, à cette dernière, des dommages importants.
En effet, les bâtiments sont partiellement construits et le maintien de ses bâtiments, dont les frais d’accréditation ont été payés par l’Entrepreneur à GCR, est laissé aux éléments naturels. »
[54] Or, le Tribunal ne partage pas cet avis selon lequel il y aurait un préjudice sérieux et irréparable quant aux bâtiments sous la gouverne de l’Entrepreneur.
[55] En effet, tel que mentionné ci-dessus, il a été confirmé en interrogatoire de l’Entrepreneur lors de la présente Instruction, que les douze (12) premiers bâtiments, sur un total de treize (13), sont soit terminés, ou à tout le moins protégés des intempéries; les bâtiments sont à l’étape de la finition intérieure et/ou la membrane pare-intempéries a été apposée.
[56] Il est donc fortement improbable qu’il y ait détérioration significative des bâtiments ci-hauts mentionnés entre le 13 juillet 2020 et la date de l’Instruction au fond, soit le 3 et le 4 septembre 2020;
[57] De même, en regard du treizième (13e) bâtiment, aucun dépôt n’a été déposé par un potentiel promettant acheteur;
[58] Ainsi, le Tribunal est d’avis que l’Entrepreneur ne rencontre pas le fardeau de preuve quant au critère du préjudice sérieux et irréparable en lien avec la présente demande de suspension.
[59] Le Tribunal souligne qu’une analyse détaillée de la prépondérance ou balance des inconvénients n’est pas nécessaire dans un cas de droit clair [14], tel est le cas en l’espèce et plus est, si le critère du préjudice n’est pas rencontré.
[60] L’Administrateur d’autre part soumet au Tribunal un passage de la décision du soussigné dans l’affaire Riodel, énonçant :
« Un élément qui milite en faveur de ne pas suspendre une instance d’arbitrage pour une période significative sans raison prévalente se retrouve à la structure même de la législation et règlementation mise de l’avant pour régir les activités d’entrepreneur en construction au Québec, mesures d’intérêt public, alors que l’octroi d’une licence d’entrepreneur, et plus particulièrement son maintien, suspension ou annulation subséquente est lié entre autre à l’observance par l’entrepreneur de ses obligations de réparation des défauts de construction couverts par un plan[15] »;
[61] Or, tel que précédemment souligné, compte tenu du délai restreint entre l’Instruction tenue le 13 juillet et l’Instruction au fond, le Tribunal considère qu’il ne s’agit pas dans les circonstances du présent dossier d’une période significative.
[62] Quoique non essentiel aux conclusions aux présentes, l’intérêt public et l’observance des obligations de l’Entrepreneur qui en découle, tenant compte des Décisions Adm18/1 et Adm 18/2 et que le Tribunal à ce stade des procédures ne peut tirer d’inférence du désistement précité et de l’absence des motifs sous-jacents, porte le Tribunal à considérer que la prépondérance ne militerait pas en faveur de l’Entrepreneur.
[63] Le Tribunal est d’avis que la demande de suspension de l’annulation de l’accréditation de l’Entrepreneur ne rencontre pas l’ensemble des critères requis, et est donc rejetée.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
REJETTE la requête en irrecevabilité de l’Administrateur quant à la demande d’arbitrage de l’Entrepreneur;
REJETTE la requête de suspension de la décision de l’Administrateur quant à l’annulation de l’accréditation de l’Entrepreneur émise par l’Administrateur;
CONVOQUE les parties à une audience sur le fond pour les 3 et 4 septembre 2020;
AVEC FRAIS à être départagés conformément à l’article 123 du Règlement (B-1.1., r.8) à parts égales entre l’Entrepreneur et l’Administrateur.
DATE: 28 août 2020
_______________________
Me Jean Philippe Ewart
Arbitre
[1] Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ c. Desindes, 2004 CanLII 47872 (QC CA) para. 11
Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc. c. MYL Développements 2011 QCCA 56, para. 13,
ainsi que Consortium MR Canada ltée c. Montréal (Office municipal d'habitation de) 2013 QCCA 1211 para.18.
[2] Articles 5 et 139 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (L.R.Q. c. B-1.1, r.08)
[3] Idem, articles 20 et 120 du Règlement.
[4] Société d’Habitation du Québec c Leduc 2008 QCCA 2065; voir aussi Bourcier c. Citadelle (La), compagnie d’assurances générales 2007 QCCA 1145
[5].2014 QCCA 617 (CanLII), para.2, (et F. Doyon JCA et J.A.Léger JCA).,
reprenant les propos de Bohémier c. Barreau du Québec 2012 QCCA 308, para.17, Hesler J.C.Q., (et Sen. P.J. Dalphond alors JCA, et R. Wagner alors JCA, maintenant Juge en chef, Cour Suprême).
[6] Hampstead (Ville) c. Jardins Tuileries ltée, 1991 CanLII 3170 (QC CA).
[7] 9050-8219 Québec inc. (1er Choix Immobilier) et Développements Le Monarque inc.
CCAC S08-140301-NP, 22 août 2008, Me Jeffrey Edwards, arbitre, maintenant Juge, Cour Supérieure.
[8] Takhmizdjian c. SORECONI et Betaplex inc. et APCHQ, 2003 CanLII 18819 (QC CS) 9 juillet 2003
(Hon. juge Ginette Piché).
[9] Pour une revue de diverses décisions arbitrales, voir Ward et Nolet c. 9205-4717 Québec Inc. et La Garantie Abritat., Me Roland-Yves Gagné, arbitre, Centre canadien d’arbitrage commercial (CCAC),
S16-032801-NP, 2016-06-16, para. 47 et suiv.
[10] St-Hilaire et al. v. Bégin, [1981] 2 SCR 79
[11] Op. cit. Takhmizdjian c. SORECONI et al., para. 25.
[12] Manitoba [A.G.] v. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 S.C.R., p. 111, par. f)
[13] R.J.R. MacDonald Inc. c. Procureur Général du Canada et Procureur Général du Québec & als. (1994) 1 R.C.S. 311.
[14] Voir entre autre Kanatewat et al. v. James Bay Development Corp. et al., [1975] C.A. 167, permission à la Cour suprême rejetée [1975] S.C.R. 48, citée entre autres par la Cour Suprême en 2004 l’Hon. Juge Gonthier dans A.I.E.S.T., local de scène no 56 c. Place des Arts de Montréal, [2004] 1 RCS 43.
[15] Riodel Inc. c. La Garantie Abritat Inc., Me Jean Philippe Ewart, arbitre, Centre canadien d’arbitrage commercial (CCAC), S14-032403-NP, 2014-09-30, para. 79.