Ethan Frome

Société pour la résolution des conflits (SORECONI - ARBITRAGE)

Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du Bâtiment du Québec conformément au Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (c. B-1.1, r. 8)

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

DOSSIER N°:  150204001

 

 

DATE :    8 septembre 2016

 

 


DEVANT L’ARBITRE Me PIERRE BOULANGER

 

 

 


ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS

 

 

 

 


BENOIT DUTIL et SYLVIE BELLEROSE

Bénéficiaires

 

c.

 

CONSTRUCTIONS S.L. MARCOUX INC.,

            Entrepreneur

 

et

 

LA GARANTIE ABRITAT INC.,

Administrateur de la garantie

 

 

 


DÉCISION ARBITRALE

 

 


INTRODUCTION

 

[1]        Les bénéficiaires ont demandé un arbitrage suite à la décision rendue le 2 mars 2015 par l’inspectrice-conciliatrice Anne Delage qui a rejeté la réclamation pour malfaçons à leur maison du 451 rang Sainte-Julie à Notre-Dame-des-Prairies, et ce au motif que le bâtiment n’est pas couvert par la garantie.

 

[2]        Les malfaçons dont se plaignent les bénéficiaires sont multiples et diverses : absence de crépi sur la fondation, pente inversée sur la dalle de béton du garage, absence d’un contre-solin au-dessus des portes du garage, chauffage déficient au sous-sol, etc. Cela dit, ces malfaçons n’ont pas été examinées par l’inspectrice-conciliatrice vu sa conclusion quant à l’absence de garantie.


 

[3]        En effet, l’administrateur, d’entrée de jeu, a rejeté la réclamation des bénéficiaires en affirmant que la garantie prévue au règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs ne s’applique pas parce que :

 

 

               «  L’administrateur est d’avis que le contrat ayant servi à l’enregistrement du bâtiment auprès de la garantie Abritat est faux et que de ce fait, le bâtiment de monsieur Dutil et madame Bellerose s’avère n’avoir jamais été couvert par la garantie   ».

 

[4]        Il est à noter que l’entrepreneur ici concerné, Constructions S.L. Marcoux Inc., ne s’est aucunement manifesté en arbitrage. Cette compagnie semble avoir cessé ses activités et n’occupe plus le local de sa place d’affaires. L’avis d’audition signifié au domicile de son président Sébastien Marcoux est resté lettre morte.

 

LES FAITS

 

[5]        Les bénéficiaires, déjà propriétaires du terrain concerné, ont fait des démarches pour y faire construire une maison afin d’y établir leur domicile.

 

[6]        En septembre 2011, ils ont fait dessiner des plans d’architecture (que l’on retrouve parmi les documents produits en liasse sous la cote A-1). Ils ont ensuite rencontré trois soumissionnaires pour le contrat d’entreprise, dont un certain David Ottavi, faisant affaires sous la raison sociale « Construction Rénovation 55 » (9214-8923 Québec Inc.).

 

[7]        C’est cet entrepreneur dont ils retiendront d’abord les services. Le contrat d’entreprise (produit sous la cote A-1) est daté du 21 avril 2013. Il convient de noter que ce contrat est un formulaire de l’APCHQ. Mystérieusement, il contient la mention « N.B. Ce contrat remplace celui du 26/09/2012 ».

 

[8]        Ce contrat antérieur de septembre 2012 n’a pas été produit à l’arbitrage et il ne serait pas en possession des parties présentes à l’audition. Les bénéficiaires n’ont pas donné d’explications claires sur cette référence à un contrat écrit antérieur.

 

[9]        Toutefois, dans les documents produits en liasse sous la cote A-1, se trouve une soumission d’un sous-traitant, Sansoucy Réfrigération-Climatisation, datée de mars 2012 puis, un message par courriel daté du 14 mars 2013 de ce même sous-traitant mentionnant : « Salut David, tu peux utiliser le même prix que l’an passé pour ton projet ».

 

[10]      Les bénéficiaires ont témoigné à l’effet que le contrat d’entreprise (pièce A-1) daté du 21 avril 2013 a été signé à leur résidence d’alors au 75 avenue des Plaines à Notre-Dame-des-Prairies, par eux-mêmes et par David Ottavi.

 

[11]      Suivant l’acte de prêt hypothécaire daté du 14 mai 2013, pièce A-2, le prêteur hypothécaire est la Banque de Montréal qui effectuera les paiements à l’entrepreneur.


 

[12]      Sous la cote B-1, les bénéficiaires ont produit la copie d’une attestation de l’APCHQ à l’effet que 9214-8923 Québec Inc. est membre en règle de l’Association provinciale des constructeurs d’habitations du Québec Inc. (APCHQ) pour la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2012. Suivant le témoignage du bénéficiaire Benoit Dutil, ce document lui a été remis par David Ottavi en guise de preuve de couverture par le plan de garantie.

 

[13]      Les travaux de construction auraient débuté peu de temps après la signature du contrat du 21 avril 2013.

 

[14]      Le 9 juin 2013, alors que les travaux avaient débuté, un troisième contrat d’entreprise est signé, cette fois entre les bénéficiaires d’une part et, d’autre part, l’entrepreneur Constructions S.L. Marcoux Inc. (pièce A-3).

 

[15]      L’objet de ce contrat, pièce A-3, est le même, soit la construction d’un bâtiment suivant une formule « Cost Plus », budget de 770,091.16$ taxes incluses, dépôt de 10% (77,000.00$) versé par quatre chèques respectivement de 20,000.00$, 25,000.00$, 25,000.00$ et 7,000.00$ (les dates n’étant pas précisées). La fin des travaux est prévue pour le 20 décembre 2013 (comparativement au 30 novembre 2013 suivant le contrat du 21 avril 2013, pièce A-1).

 

[16]      Il est à noter que ce troisième contrat, contrairement au deuxième, ne fait aucune référence à un contrat précédent qu’il remplacerait.

 

[17]      Suivant le témoignage des bénéficiaires à l’audition, Sébastien Marcoux fut, dans les faits, l’entrepreneur sur ce chantier. Ils ont produit, sous la cote B-7a, une photographie prise le 12 juin 2013 par une caméra de surveillance sur le chantier de construction. On peut y voir la maison en construction et, immédiatement devant, une camionnette blanche stationnée portant l’inscription « Constructions S.L. Marcoux Inc.»

 

[18]      Suivant le témoignage des bénéficiaires, ils ont surtout discuté avec Sébastien Marcoux à mesure que les travaux progressaient. Monsieur Ottavi ne se présentait qu’occasionnellement sur le chantier mais il est demeuré impliqué jusqu’à la fin des travaux en décembre 2013.

 

[19]      Quant au contrat conclu le 9 juin 2013 avec Constructions S.L. Marcoux Inc. (pièce A-3), la bénéficiaire Sylvie Bellerose a témoigné qu’il a été signé au chantier de construction sur le capot de la camionnette de monsieur Ottavi. Ce dernier a expliqué aux bénéficiaires que le but de ce contrat était de leur procurer la couverture du plan de garantie. Les bénéficiaires étaient bien d’accord. Ils ont également signé, le même jour, le contrat de garantie de la garantie Abritat Inc. (pièce A-4).

 

[20]      La pièce B-5 est un état de renseignements du Registraire des entreprises du Québec (daté du 29 octobre 2014). Il concerne la compagnie 9214-8923 Québec Inc. Il y est fait mention que, le 1er mars 2014, Sébastien Marcoux a remplacé David Ottavi à titre de président.


 

[21]      Il convient aussi de noter qu’en décembre 2013, lorsque les travaux ont été complétés à toutes fins pratiques, le dernier paiement par la Banque de Montréal, un chèque de 53,000.00$ à l’ordre conjoint des bénéficiaires et de 9214-8923 Québec Inc., a été remis par les bénéficiaires à monsieur Ottavi à qui ils faisaient encore confiance. Malheureusement, par la suite, tant David Ottavi que Sébastien Marcoux n’ont pas répondu aux demandes des bénéficiaires d’effectuer des travaux de correction. Il semblerait qu’ils se soient tout simplement volatilisés. Il est à noter que 9214-8923 Québec Inc. est en faillite depuis le 14 avril 2015.

 

[22]      Le 26 août 2014, les bénéficiaires ont expédié une mise en demeure à Constructions S.L. Marcoux Inc. avec copie à l’administrateur de la garantie, copie reçue par l’administrateur le 22 septembre 2014.

 

[23]      C’est l’inspectrice conciliatrice Anne Delage qui a été chargée du cas. Elle s’est rendue sur les lieux le 20 novembre 2014 où elle a rencontré le bénéficiaire Benoit Dutil. Ce dernier lui a d’abord remis le contrat d’entreprise A-1, soit celui conclu avec 9214-8923 Québec Inc. le 21 avril 2014. Ceci a intrigué madame Delage puisque, selon le certificat d’enregistrement du bâtiment au dossier de l’administrateur, l’entrepreneur était Constructions S.L. Marcoux Inc.

 

[24]      Madame Delage a témoigné que l’entreprise de David Ottavi, Construction Rénovation 55 (9214-8923 Québec Inc.) avait déjà été accréditée au niveau du plan de garantie mais qu’elle ne l’était plus. Elle a bien noté que les paiements par le créancier hypothécaire, incluant le dernier fait en décembre 2013 étaient à l’ordre de 9214-8923 Québec Inc. De plus, suivant ce qu’elle a compris des explications du bénéficiaire Benoit Dutil, Sébastien Marcoux n’était pas très présent sur le chantier. Rien n’a été signé en sa présence.

 

[25]      Un élément déterminant dans la réflexion de madame Delage est le fait que le contrat du 9 juin 2013 (conclu avec Constructions S.L. Marcoux Inc.) ne fait pas référence au contrat du 21 avril 2013 (conclu avec 9214-8923 Québec Inc.).

 

[26]      De son côté, le bénéficiaire Benoit Dutil a spontanément témoigné que le contrat du 9 juin 2013 n’est pas un faux mais qu’il résulte plutôt du fait que le contrat a été changé parce que Construction Rénovation 55 laissait sa place à Constructions S.L. Marcoux Inc. afin que le projet soit couvert par le plan de garantie.

 

[27]      Je retiens aussi que la bénéficiaire Sylvie Bellerose a témoigné à l’audition qu’elle a été très surprise de la décision de l’administrateur. Jamais, a-t-elle précisé, n’aurait-elle accepté de faire construire cette maison sans la protection du plan de garantie.

 

[28]      Enfin, je retiens de la preuve entendue que l’administrateur n’a pas été en mesure, à l’audition, de préciser s’il a perçu une prime pour ce projet et, dans l’affirmative, si elle a été remboursée.

 


 

DISCUSSION

 

[29]      Le contrat conclu entre les bénéficiaires d’une part et Constructions S.L. Marcoux Inc. d’autre part (pièce A-3) est-il un faux comme le prétend l’administrateur ? Je signale que le fardeau de cette démonstration repose sur ses épaules.

 

[30]      Les points favorables à la position des bénéficiaires sont les suivants :

 

 

a)         Ils ont toujours voulu et affirmé vouloir que la construction de leur nouvelle maison soit couverte par le plan de garantie;

 

b)         Ils ont d’abord contracté avec 9214-8923 Québec Inc. (Construction Rénovation 55) en recevant l’assurance que le projet serait couvert par le plan de garantie;

 

c)         Puis, en cours de construction, à l’invitation de David Ottavi, ils ont signé un nouveau contrat de construction, cette fois avec Constructions S.L. Marcoux Inc., en recevant l’assurance que c’était précisément pour faire en sorte que le projet soit couvert par le plan de garantie;

 

d)         Suivant leurs témoignages, Sébastien Marcoux a été impliqué dans le chantier de construction et ils ont discuté avec lui de plus en plus à mesure que le chantier progressait. L’administrateur n’a pas présenté de preuve à l’effet contraire;

 

e)         L’administrateur a émis un certificat d’enregistrement du bâtiment concerné (pièce A-4). Il a vraisemblablement perçu une prime pour ce chantier et n’a pas fait la démonstration que cette prime fut remboursée (ou non reçue);

 

[31]      À l’opposé, les éléments défavorables à la position des bénéficiaires sont les suivants :

 

a)         Le contrat du 9 juin 2013 conclu avec Constructions S.L. Marcoux Inc. ne fait aucune référence au contrat précédent du 21 avril 2013 conclu avec 9214-8923 Québec Inc. (Construction Rénovation 55);

 

b)         Le dernier paiement par le créancier hypothécaire, en décembre 2013, a été émis à l’ordre des bénéficiaires et de 9214-8923 Québec Inc., de même que, vraisemblablement, les paiements intérimaires;

 


 

[32]      Dans la sentence arbitrale rendue le 19 septembre 2007 dans l’affaire Agudelo c. Verre Azur Inc.[1], l’arbitre Jeffrey Edwards, maintenant juge à la Cour du Québec, s’exprimait comme suit :

 

         « [25]    Compte tenu des faits en l’instance, le Tribunal d’arbitrage est d’avis que dès que la Bénéficiaire a remis au représentant dûment autorisé de l’Entrepreneur la somme de 10,500.00$ en acompte du prix d’achat et que l’Entrepreneur lui a remis une attestation d’acompte sur le formulaire officiel de l’Administrateur, cette somme était protégée par le plan de garantie de l’Administrateur, à moins de preuve de connaissance par la Bénéficiaire que l’Entrepreneur n’était plus accrédité, ou en cas de fraude ou de négligence ou faute lourde de la part de la Bénéficiaire…

                (…)

                [28]    À notre avis, à moins de fraude, négligence grossière ou aveuglement volontaire de la part d’un bénéficiaire, la réponse qui s’impose est que l’Administrateur est le mieux placé pour gérer, conformément à l’esprit de la protection du consommateur du Règlement, le risque, les conséquences et les pertes d’argent liés au comportement fautif et délinquant de son ancien membre.

 

                [29]     Le Tribunal d’arbitrage considère qu’il est de l’esprit du Règlement de protéger les consommateurs à l’encontre d’un abus des entrepreneurs. En effet, Me Denys-Claude Lamontagne mentionne dans son ouvrage sur le droit de la vente : «Depuis le 1er janvier 1999, toutes les constructions résidentielles neuves sont soumises au nouveau plan de garantie instauré par la Régie du bâtiment. Avec cette protection, d’ordre public, une des plus complètes au Canada, la Régie compte mettre un point final aux cauchemars des propriétaires. 3 »   

                   _________

                 3  D.-C. Lamontagne, Droit de la vente, 3e édition, Éditions Yvon Blais, Cowansville, 2005, p. 158.  ».

 

 

[33]      Appliquant ces principes à notre cause, demandons-nous maintenant si l’administrateur a démontré que les bénéficiaires savaient que 9214-8923 Québec Inc. ne pouvait être accréditée et qu’ils ont commis une fraude, ou une faute lourde, en signant un contrat en signant avec Constructions S.L. Marcoux Inc., contrat qui serait une simulation.

 

[34]      L’inspectrice conciliatrice était certainement justifiée, dans les circonstances, de se poser des questions et elle pouvait entretenir des doutes et avoir des soupçons. Mais, après avoir entendu les témoignages, je retiens que les bénéficiaires ont spontanément divulgué les faits et qu’ils n’ont pas tenté de cacher leurs transactions avec David Ottavi.

 


 

[35]      Je retiens aussi que, suivant les témoignages des bénéficiaires, qui m’apparaissent crédibles, Sébastien Marcoux leur apparaissait comme étant effectivement, la personne en charge sur le chantier. Il ne serait pas raisonnable, dans les circonstances, de conclure que, de la perspective des bénéficiaires, le contrat conclu avec Constructions S.L. Marcoux Inc. est faux.

 

[36]      Au final, je dois conclure que l’administrateur n’a pas démontré que les bénéficiaires n’ont pas droit à la protection du plan de garantie.

 

[37]      Au surplus, je suis enclin à considérer, à l’avantage des bénéficiaires, l’article 116 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs qui se lit comme suit :

 

« Art. 116.    Un arbitre statue conformément aux règles de droit; il fait aussi appel à l’équité lorsque les circonstances le justifient   ».

 

 

POUR CES MOTIFS, L’ARBITRE SOUSSIGNÉ :

 

[38]      ACCUEILLE la demande d’arbitrage des bénéficiaires.

 

[39]      RENVERSE la décision de l’administrateur datée du 2 mars 2015 et lui ORDONNE de traiter la réclamation des bénéficiaires et de rendre une décision sur le fond dans un délai de deux mois à compter de la réception de la présente décision.

 

[40]      DÉCLARE, conformément à l’article 123 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs que les coûts de l’arbitrage sont entièrement à la charge de l’administrateur.

 

 

 

 

                                                                       (signé)  PIERRE BOULANGER                   

                                                                                   Me PIERRE BOULANGER

                                                                                  Arbitre

 

 

Me Sylvain Dorais / Me Jocelyn Ouellette

Pour les bénéficiaires

 

Me Marc Baillargeon

Pour l’administrateur de la garantie



[1]        Catherine Agudelo c. Verre Azur Inc. et La Garantie Habitation du Québec Inc., (Groupe d’Arbitrage et de Médiation sur Mesure), dossier n°2007-12-003, sentence rendue par l’arbitre Jeffrey Edwards le 19 septembre 2007.