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ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN

DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS

(décret 841-98 du 17 juin 1998)

 

Organisme d'arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment :

Le Groupe d'arbitrage et de médiation sur mesure (GAMM)

 

 

 

ENTRE :

Paul Blanchette Construction

(ci-après l'« entrepreneur »)

 

ET :

Daniel Letiecq

(ci-après le « bénéficiaire »)

 

ET :

La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ inc.

(ci-après l'« administrateur »)

 

 

No dossier de La Garantie des maisons neuves de l'APCHQ : 025391

 

 

SENTENCE ARBITRALE

 

 

 

Arbitre :

M. Claude Dupuis, ing.

 

Pour l'entrepreneur :

Me Bernard Vézina

 

Pour le bénéficiaire :

M. Daniel Letiecq

 

Pour l'administrateur :

Me Luc Séguin

 

Date d’audience :

1er septembre 2005

 

Lieu d'audience :

St-Célestin

 

Date de la sentence :

14 octobre 2005

 

I : INTRODUCTION

[1]                À la demande de l'arbitre, l'audience s'est tenue à la résidence du bénéficiaire.

[2]                À la suite d'une demande de réclamation du bénéficiaire datée du 15 avril 2004, l'administrateur, en date du 5 avril 2005, a déposé un rapport d'inspection supplémentaire comportant huit points.

[3]                Dans sa demande d'arbitrage, l'entrepreneur conteste les conclusions de l'administrateur relativement aux points suivants du rapport précité :

B       Point 9 : Fissures importantes à la dalle de béton au sous-sol

B       Point 11 : Poutrelle de plancher cassée

B       Point 12 : Dommages importants au parement de gypse

B       Point 13 : Fissures à la céramique du rez-de-chaussée

B       Point 14 : Dommages au plancher de bois franc

B       Point 15 : Bombement important du plancher au rez-de-chaussée

B       Point 16 : Déformations importantes aux portes intérieures

[4]                En cours d'audience, il a été admis par les parties que tous les dommages ci - haut décrits proviennent d'une cause unique, soit le tassement des sols.

[5]                La décision sur le fond, le cas échéant, n'apparaîtra donc que sous une seule rubrique, soit « Tassement des sols ».

[6]                En cours d'enquête, les personnes suivantes ont témoigné :

B       M. Paul Blanchette, entrepreneur

B       M. Daniel Letiecq, bénéficiaire

B       M. Kamel K. Hamouche, ingénieur, chargé de projet, Inspec-Sol inc.

B       M. Yvan Gadbois, inspecteur-conciliateur

[7]                Préalablement à l'audience, le procureur de l'administrateur a informé les parties ainsi que le tribunal qu'il soulèverait, dès l'ouverture de l'enquête, une objection préliminaire, soit une contestation sur la recevabilité de la demande de l'entrepreneur, cette dernière ayant, selon lui, été formulée hors délai.

[8]                Cette objection sera donc traitée en premier lieu.

[9]                Les parties ont consenti à accorder à l'arbitre un délai de 45 jours à compter de la date d'audience pour rendre sentence dans le présent dossier.

II : OBJECTION PRÉLIMINAIRE

[10]            Le rapport d'inspection de l'administrateur, daté du 5 avril 2005, a été reçu par l'entrepreneur le 25 avril 2005, et la demande d'arbitrage de ce dernier est datée du 28 juin 2005; le délai entre la réception du rapport et la demande d'arbitrage est donc de 64 jours.

[11]            L'article 19 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs nous renseigne comme suit :

19.   Le bénéficiaire ou l'entrepreneur, insatisfait d'une décision de l'administrateur, doit, pour que la garantie s'applique, soumettre le différend à l'arbitrage dans les 15 jours de la réception par poste recommandée de la décision de l'administrateur à moins que le bénéficiaire et l'entrepreneur ne s'entendent pour soumettre, dans ce même délai, le différend à un médiateur choisi sur une liste dressée par le ministre du Travail afin de tenter d'en arriver à une entente. Dans ce cas, le délai pour soumettre le différend à l'arbitrage est de 15 jours à compter de la réception par poste recommandée de l'avis du médiateur constatant l'échec total ou partiel de la médiation.

[12]            L'entrepreneur, M. Blanchette, nous informe que le 20 avril 2005, au moment où il a quitté pour la Floride, il n'avait pas encore reçu le rapport de l'administrateur. Sa famille le lui a donc fait parvenir là-bas peu après le 25 avril 2005. À la suite de la réception dudit rapport, l'entrepreneur a communiqué avec le représentant  de l'APCHQ par télécopie le 2 mai 2005 :

Monsieur Gadbois,

J'ai bien reçu les documents provenant de la Garantie des Maisons Neuves concernant la résidence de M. Letiecq mais je suis presentement a l'exterieur du Quebec jusqu'au 12 mai 2005, pour prendre soin de mes parents.

Je désirerais, avant d'effectuer les réparations, prendre des renseignements aupres d'une personne de loi et d'ingenerie. Comme le délai accordé pour débuter les travaux étant d'un mois je ne peux, vu les circonstances, me soumettre à votre décision.

Pour cette raison je conteste le jugement de l'APCHQ et désire vous informer que je vous contacterai dès mon retour au Québec.

Espérant le tout conforme aux normes établies dans ce processus.

[sic]

[13]            M. Blanchette témoigne à l'effet que ça lui faisait beaucoup de choses à régler en même temps : son père atteint du cancer, son frère souffrant d'alcoolisme et l'habitation de M. Letiecq.

[14]            M. Blanchette est revenu au Québec le 8 mai 2005.

[15]            Le 20 mai 2005, l'entrepreneur a reçu une lettre de l'administrateur concernant la procédure d'arbitrage.

[16]            Par la suite, l'entrepreneur a tenté en vain de communiquer avec un avocat.

[17]            Ce n'est que vers le 15 juin 2005 qu'il a pu entrer en contact avec son procureur actuel.

[18]            Le procureur de l'administrateur cite l'article 19 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs où le délai indiqué est de 15 jours. Il reconnaît que ce délai n'est pas de rigueur et que l'arbitre peut le proroger dans des circonstances particulières et pour des raisons valables.

[19]            Il admet que les circonstances précédant le retour au Québec de l'entrepreneur le 8 mai 2005 constituent un motif valable de prorogation, mais il est d'avis qu'aucune circonstance particulière ne l'empêchait d'agir après cette date; il avait donc 15 jours pour présenter sa demande.

[20]            Selon le procureur de l'administrateur, nul n'est censé ignorer la loi, a fortiori un entrepreneur opérant depuis 1985.

[21]            M. Letiecq se demande pourquoi l'entrepreneur ne s'est pas posé de questions lorsqu'il a reçu la lettre de l'administrateur datée du 18 mai relativement à la procédure d'arbitrage.

[22]            Le procureur de l'entrepreneur rappelle que son client n'a jamais auparavant eu recours à l'arbitrage.

[23]            Dès le 2 mai 2004, il envoie une lettre de contestation. Par la lettre du 18 mai 2005 de l'administrateur, le processus est amorcé, et l'entrepreneur, de bonne foi, se considère déjà en arbitrage. La perception de son client est que tout est géré par la garantie jusqu'à ce que l'arbitrage commence.

[24]            Il s'agit ici d'un délai de procédure que l'arbitre peut proroger lorsque les circonstances le justifient.

[25]            Le procureur rappelle que la présente situation ne cause aucun préjudice à qui que ce soit.

[26]            Le tribunal cite maintenant des extraits du jugement de l'honorable Ginette Piché[1], juge à la Cour supérieure, relativement au délai de 15 jours de production de demande d'arbitrage prévu à l'article 19 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs :

"Les tribunaux porteront une attention particulière au préjudice causé dans les circonstances par le vice de forme et au préjudice que causerait une déclaration de nullité." (p. 302)

"Le législateur n'étant pas censé vouloir que sa loi produise des résultats injustes, on présumera qu'il n'entend pas assortir une disposition d'une sanction de nullité s'il en résulte un mal social ou individuel trop important compte tenu de l'objet de la disposition." (p. 303)

[...]

[23]            Il faut rappeler aussi, dira la Cour d'appel dans l'arrêt de Tribunal des professions c. Verreault "qu'il convient d'avoir à l'esprit la philosophie rémédiatrice du Code de procédure civile auquel fait expressément référence l'article 165 du Code des professions".  Il y a enfin l'article 9 du Code de procédure qui dit qu'un juge "peut, aux conditions qu'il estime justes, proroger tout délai qui n'est pas dit de rigueur". (…)

[...]

[29]            Par la suite, il y a erreur ou oubli de l'avocat.  Il n'informera pas ses clients de cette lettre et de la façon dont le processus d'arbitrage doit être fait devant un organisme d'arbitrage, qu'à la fin juin.  Le délai de 15 jours est dépassé.  Cette erreur pouvait-elle faire perdre tous leurs droits aux requérants?  Le Tribunal estime que non.  Il serait aussi contraire à l'intention du législateur de faire perdre des droits à un justiciable pour une question de procédure due à une erreur de son avocat.

[...]

[33]            [...] Tout formalisme indu doit donc être écarté et les droits des parties sauvegardés lorsque l'erreur ou l'omission d'une partie ou de son procureur n'a pas de conséquences irréparables sur l'autre partie au litige.

[...]

[35]            Enfin, la Cour suprême, dans l'arrêt de St-Hilaire c. Bégin dira que les "fins de la justice" commandent de sauvegarder les droits des appelants dans un cas où la production de l'inscription a été faite au dossier plutôt qu'au greffe.  Ici, la demande d'arbitrage a été faite à l'A.P.C.H.Q. au lieu d'avoir été faite à un organisme d'arbitrage mandaté par l'A.P.C.H.Q elle-même.  Les requérants n'ont pas à subir les conséquences fâcheuses de l'erreur de leur avocat.

[27]            En résumé, la juge conclut que ce délai de 15 jours peut être prorogé s'il est justifiable. Il peut être prorogé si des erreurs d'inscription sont survenues dans le processus. Il peut être prorogé si l'erreur ou l'omission n'a pas de conséquences irréparables sur l'autre partie au litige.

[28]            La juge Piché, en aucun moment, n'utilise les termes « motifs raisonnables »; elle parle plutôt de circonstances justifiant la prorogation ou de conditions estimées justes.

[29]            Dans le présent dossier, nous rencontrons des circonstances similaires à celles précédemment citées.

[30]            Tout d'abord, du 25 avril au 8 mai 2005, M. Blanchette se trouvait en Floride, au chevet de son père atteint du cancer.

[31]            Le 2 mai 2005, il communique par télécopie avec l'administrateur; il lui fait part de son insatisfaction, mais il ne s'adresse pas à la bonne instance.

[32]            Le 20 mai, l'entrepreneur reçoit une lettre de l'administrateur concernant la procédure d'arbitrage.

[33]            Jusque-là, il croyait que le processus d'arbitrage était déjà enclenché.

[34]            Par la suite, l'entrepreneur tente sans succès de communiquer avec un avocat, lequel ne retourne point ses appels.

[35]            Le délai total entre la réception du rapport de l'administrateur et la demande d'arbitrage a été de 64 jours. Si l'on soustrait les jours du 25 avril au 18 mai 2005 (incapacité d'agir, erreur dans l'inscription et attente de la lettre de l'administrateur), ce délai est maintenant de 40 jours. Dans sa décision, la juge Piché a prorogé le délai, alors qu'il s'était écoulé 37 jours entre la réception de la décision de l'administrateur et la demande d'arbitrage.

[36]            Subséquemment, un avocat n'a pas répondu à ses attentes.

[37]            En résumé, l'entrepreneur n'est pas demeuré inactif face aux conclusions du rapport de l'administrateur et il a exposé des motifs raisonnables pour expliquer ses erreurs et omissions.

[38]            Dans le présent dossier, le tribunal ne trouve aucun motif valable pour priver l'entrepreneur de son droit; par ailleurs, il n'existe aucune preuve que le fait de prolonger le délai de présentation de la demande d'arbitrage dans cette affaire puisse avoir des conséquences irréparables pour les deux autres parties.

[39]            Pour ces motifs, l'objection préliminaire soulevée par l'administrateur concernant la recevabilité de la demande d'arbitrage de l'entrepreneur est rejetée.

III : TASSEMENT DES SOLS

La preuve

[40]            En cours d'audience, les parties ont admis que les dommages causés à la propriété du bénéficiaire, soit fissures, poutrelle cassée, dommages au gypse et au plancher, bombement du plancher et déformations aux portes, résultaient du tassement des sols.

[41]            D'ailleurs, à la suite d'une première inspection, l'administrateur avait confié un mandat d'expertise à Inspec-Sol inc.; le contenu du rapport d'expertise géotechnique préparé par cette firme n'a pas été contredit, et il n'y a pas eu de contre-expertise.

[42]            Voici un extrait de cette étude (pages 3 et 4 du rapport du 23 mars 2005 de la firme Inspec-Sol) :

3.0        ANALYSES DES DOMMAGES OBSERVES

Les observations visuelles indiquent que les murs de fondations ont subi des tassements importants et que la dalle de plancher présente un bombement dans sa partie centrale. Les causes probables de ces dommages sont présentées dans les paragraphes suivants.

3.1        Tassements des murs de fondations

Nous sommes d'avis que deux (2) causes peuvent être à l'origine du tassement des murs de fondations. Ces deux (2) causes sont décrites dans les paragraphes suivants.

3.1.1     Tassement sous le poids du remblai de surface

Tel qu'il a été mentionné auparavant, un remblai de l'ordre de 1,50 à 2,50 m d'épaisseur a été mis en place sur le site sur lequel la résidence a été construite. La surcharge créée par ce remblai peut induire des tassements importants si les sols sous-jacents sont normalement consolidés ou très compressibles. Comme ce remblai est adjacent à la résidence, le tassement des sols sous-jacents sous le poids de ce remblai génère alors des tassements des semelles de fondations.

3.1.2     Tassement des semelles fondées sur un remblai inadéquat

Les mesures effectuées sur le site et les observations visuelles indiquent que les semelles de fondations ont été mises en place sur un remblai. Si ce remblai est inadéquat, c'est-à-dire qu'il est non compacté et/ou qu'il est argileux et/ou qu'il contient des matières organiques, des tassements tels que ceux observés peuvent également survenir.

De tels tassements peuvent aussi survenir si la terre végétale d'origine présente avant le remblayage du site n'a pas été complètement excavée sous les limites de la résidence avant sa construction.

[43]            Inspec-Sol a procédé à des analyses qui ont démontré que les fissures de la dalle ne sont pas reliées à des réactions pyritiques, mais plutôt au tassement du sol (page 12 du rapport du 23 mars 2005 de la firme Inspec-Sol) :

6.2.2     Tassements différentiels excessifs

Puisque la fissuration observée de la dalle ne peut être reliée à des réactions pyritiques, nous sommes d'avis que la cause principale des fissures est le tassement différentiel excessif entre la partie centrale de la dalle et la zone périphérique, c'est-à-dire la zone longeant les murs de fondations. En effet, dans cette partie périphérique, la dalle a subi des tassements dus au tassement des semelles de fondations alors que dans la partie centrale, les tassements sont moins importants, voire nuls, puisque le remblai initialement en place a été excavé. Cette différence de tassement expliquerait le bombement et les fissures observés.

[44]            Il a été démontré qu'en 1995 ou 1996, soit cinq à six ans avant la construction de la propriété du bénéficiaire, un remblai d'une épaisseur moyenne de 2,30 m a été déposé sur le sol original. Composé de sable fin et contenant des inclusions silteuses, ce dépôt est dans un état de compacité très lâche à compact. Sous ce remblai, on rencontre une couche de sable silteux d'une épaisseur moyenne de 0,80 m. Et finalement, sous-jacent à la couche de sable silteux, on retrouve un épais dépôt d'argile silteuse.

[45]            Il a été démontré que les semelles de fondation ont été installées, contrairement aux règles de l'art, au-dessus du remblai (et non en dessous) de nature inconnue, causant ainsi les tassements observés.

[46]            Selon M. Yvan Gadbois, inspecteur-conciliateur chez l'administrateur, il s'agit ici d'un vice majeur, car il y a perte partielle de l'immeuble.

[47]            Selon ce témoin, même si le sol ne lui appartient pas, même s'il n'a pas à faire la préparation du terrain ni son excavation, l'entrepreneur a l'entière responsabilité du sol sur lequel il va ériger un immeuble.

[48]            L'entrepreneur, M. Blanchette, rappelle que son contrat avec le bénéficiaire excluait toute responsabilité du terrain.

[49]            Voici un extrait de ce contrat :

NE SONT PAS INCLUS :

-  Armoire

-  Revêtement de plancher

-  Terrain

   Excavation et remplissage (drain, pierre et terrassement)

-  Plafond sous-sol

-  Balcon arrière

-  Solage pour rampe d'handicapé avant ( dalle de béton seulement)

-  Fixture électrique

P.S. À ce qui a trait à la portée du terrain, l'entrepreneur se dégage de tout [sic] responsabilité.

[50]            Le contrat d'excavation a été donné par M. Letiecq à la firme Excavation St‑Célestin.

[51]            Puisqu'il n'exécutait pas l'excavation, M. Blanchette a demandé à M. Letiecq de lui procurer les analyses de sol. Ce dernier ayant répondu par la négative, l'entrepreneur a donc exigé ces clauses particulières sur le contrat afin de ne pas avoir de problèmes, et le bénéficiaire a accepté de signer le document.

[52]            Ces travaux ont été réalisés en 2001.

[53]            L'entrepreneur a été informé par le bénéficiaire des problèmes de fissures par une lettre et une demande de réclamation datées du 15 avril 2004; il a reçu une deuxième lettre de M. Letiecq datée du 6 mai 2004. Avant ces deux lettres, l'entrepreneur n'avait reçu aucun avis de la part du bénéficiaire.

[54]            Selon M. Blanchette, l'excavation était hors de son contrôle, le bénéficiaire ayant retenu lui‑même les services d'un sous‑traitant.

[55]            L'entrepreneur n'a pas procédé à des études de sol, car, dit-il, « il avait l'air solide »; il ajoute que de toute façon, les conditions du sol n'étaient pas sous son contrôle.

[56]            M. Letiecq témoigne à l'effet qu'à l'hiver 2003, il avait avisé l'entrepreneur que son ouvrage comportait des fissures.

[57]            Originalement, M. Letiecq avait acheté son terrain d'Excavation St‑Célestin.

[58]            Relativement au post-scriptum du contrat (portée du terrain), le bénéficiaire ne voit aucun lien entre ce texte et l'analyse du sol; d'ailleurs, ce contrat avait été préparé par M. Blanchette.

Argumentation de l'entrepreneur

[59]            Dans un premier temps, le procureur indique les conditions dans lesquelles la garantie s'applique.

[60]            Il se réfère au paragraphe 10.5° du décret où le délai de dénonciation ne peut excéder six mois de la découverte du vice.

[61]            Or, M. Letiecq, dans son témoignage, a avoué que les problèmes sont apparus dès l'hiver 2003, alors qu'il a adressé sa plainte le 5 mai 2004. La dénonciation du bénéficiaire est donc hors délai.

[62]            En second lieu, les opérations d'excavation et de remplissage ne sont pas incluses dans le contrat; ce n'est donc pas de la responsabilité de l'entrepreneur.

[63]            Ce dernier a demandé à M. Letiecq les analyses de sol, et le bénéficiaire a refusé.

[64]            La mention au post-scriptum est une inscription qui n'apparaît pas habituellement; or, « portée du terrain » signifie capacité à recevoir une structure.

[65]            Les problèmes actuels ne sont pas causés par les travaux de l'entrepreneur, mais uniquement par la qualité du sol.

[66]            Le procureur cite l'article 2119 du Code civil.

[67]            Le sol recevant l'immeuble est fourni par le bénéficiaire, et l'excavation a été effectuée par un sous-traitant engagé par M. Letiecq.

[68]            M. Blanchette n'a commis aucune faute; tous les problèmes ont été causés par le sol, dont la responsabilité appartenait au bénéficiaire.

[69]            À l'appui de son argumentation, le procureur a déposé un jugement de la Cour d'appel dans l'affaire Les Entreprises Grutman inc. c. L'Archevêque & Rivest, Ltée (C.A. Montréal, 500‑09-000706-879, juges Vallerand, Tourigny et Baudouin, 1991‑06-07).

Argumentation de l'administrateur

[70]            Le procureur cite les articles 1379 et 1432 du Code civil.

[71]            La position de l'administrateur est la suivante : même si l'entrepreneur ne procède pas à l'excavation, il doit s'assurer que le sol est adéquat et prêt à recevoir le bâtiment.

[72]            L'entrepreneur a la responsabilité de prévoir que le bâtiment soit conforme et solide.

[73]            La position des tribunaux en matière civile rend conforme la décision prise par l'administrateur dans le présent dossier.

[74]            L'entrepreneur a une obligation de résultat et il ne peut se fermer les yeux.

[75]            Puisqu'il y a risque de perte partielle, il s'agit ici d'un vice majeur.

[76]            Au soutien de ses prétentions, le procureur a soumis les autorités suivantes :

B       Talbot c. Fondations Guy Morin inc., C.S. Montmagny, 300-05-000007-891, juge René Letarte, 1991-02-25, AZ-91021176 , J.E. 91-551 .

B       Plamondon c. Côté, C.S. Québec, 200-05-013252-007, juge Jacques Blanchard, 2001-06-19, AZ-01021813 , J.E. 2001-1476 .

B       Brodeur c. Dupuis, [1982] C.S. 520 à 528.

B       Dionne c. Turcotte, C.S. Kamouraska (Rivière-du-Loup), 250-05-000073-957, juge Gérard Lebel, 1998-09-15, AZ-98022051 , J.E. 98-2229 .

Argumentation du bénéficiaire

[77]            M. Letiecq soumet que le contrat a été signé en toute bonne foi; il nie avoir discuté d'analyses de sol avec l'entrepreneur.

[78]            Il constate que sa propriété a perdu presque toute sa valeur.

Décision et motifs

[79]            Le procureur de l'entrepreneur a soumis que le bénéficiaire n'avait pas respecté les délais lors de sa dénonciation du vice.

[80]            Le tribunal reproduit ci‑après le paragraphe 10.5° du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs :

10.   La garantie d'un plan dans le cas de manquement de l'entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception du bâtiment doit couvrir:

[...]

  5°    la réparation des vices de conception, de construction ou de réalisation et des vices du sol, au sens de l'article 2118 du Code civil, qui apparaissent dans les 5 ans suivant la fin des travaux et dénoncés, par écrit, à l'entrepreneur et à l'administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte ou survenance du vice ou, en cas de vices ou de pertes graduelles, de leur première manifestation.

[81]            La dénonciation écrite par le bénéficiaire à l'entrepreneur et à l'administrateur a été faite au début de mai 2004.

[82]            Interrogé par le procureur de l'entrepreneur, M. Letiecq a affirmé ce qui suit : « En hiver 2003, j'ai informé l'entrepreneur au sujet des fissures ».

[83]            Il n'existe aucune preuve contraire; le bénéficiaire, en hiver 2003, a perçu soit les manifestations ou les résultats du vice du sol.

[84]            Il s'est donc écoulé un peu plus de douze mois entre la découverte et la dénonciation.

[85]            Sur cette seule base, la réclamation de l'entrepreneur doit être accueillie.

[86]            Au paragraphe 10.5° du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, il s'agit d'un délai de droit et non d'un délai de procédure.

[87]            La décision de la juge Piché, précédemment citée, indique qu'un délai de procédure peut être prorogé s'il est justifiable.

[88]            Dans le présent dossier, où il s'agit d'un délai de droit, le bénéficiaire n'a fourni au tribunal aucun motif ni aucune justification pour expliquer le délai de dénonciation de douze mois. C'est le néant à cet égard.

[89]            Or, nul n'est censé ignorer la loi.

[90]            Sur le fond, le tribunal en principe est d'accord avec les conclusions de l'administrateur, à savoir qu'un entrepreneur a la responsabilité de prévoir que le bâtiment soit conforme et solide et qu'il doit au préalable s'assurer des conditions du sol, et ce, même si le terrain ne lui appartient pas et même si l'excavation est effectuée par une tierce partie.

[91]            J'ajouterai même que l'entrepreneur, à cause de sa responsabilité professionnelle, devrait s'abstenir de construire s'il ne connaît pas les conditions du sol.

[92]            Cependant, les obligations légales ne sont pas toujours compatibles avec notre perception de la responsabilité professionnelle.

[93]            À cet égard, le tribunal cite l'article 2119 du Code civil :

2119.  L'architecte ou l'ingénieur ne sera dégagé de sa responsabilité qu'en prouvant que les vices de l'ouvrage ou de la partie qu'il a réalisée ne résultent ni d'une erreur ou d'un défaut dans les expertises ou les plans qu'il a pu fournir, ni d'un manquement dans la direction ou dans la surveillance des travaux.

L'entrepreneur n'en sera dégagé qu'en prouvant que ces vices résultent d'une erreur ou d'un défaut dans les expertises ou les plans de l'architecte ou de l'ingénieur choisi par le client. Le sous-entrepreneur n'en sera dégagé qu'en prouvant que ces vices résultent des décisions de l'entrepreneur ou des expertises ou plans de l'architecte ou de l'ingénieur.

Chacun pourra encore se dégager de sa responsabilité en prouvant que ces vices résultent de décisions imposées par le client dans le choix du sol ou des matériaux, ou dans le choix des sous-entrepreneurs, des experts ou des méthodes de construction.

[94]            Dans le présent dossier, il existe une preuve prépondérante à l'effet que la décision sur le sol a été imposée à l'entrepreneur par le client.

[95]            Au contrat, il n'existe aucune preuve que les clauses relatives au terrain ont été imposées et ne pouvaient pas être discutées.

[96]            M. Blanchette m'est apparu très crédible lorsqu'il a affirmé en deux occasions qu'il avait demandé au bénéficiaire les tests du sol et que ce dernier avait refusé.

[97]            À la suite de ce refus, ne voulant pas avoir de problèmes, l'entrepreneur a fait figurer les clauses particulières au contrat, et M. Letiecq a signé le document.

[98]            Par ce refus, le bénéficiaire a choisi son sol et a choisi le sous-traitant en excavation; l'entrepreneur a donc fait preuve qu'il pouvait se dégager de sa responsabilité.

[99]            Le tribunal a analysé les décisions soumises par le procureur de l'administrateur; même si elles sont appropriées, aucune d'elles ne fait état d'un dégagement de responsabilité prévu à l'article 2119 du Code civil.

IV : RÉSUMÉ

[100]       Pour les motifs ci-devant énoncés, le tribunal

REJETTE                  l'objection préliminaire soulevée par l'administrateur concernant la recevabilité de la demande d'arbitrage de l'entrepreneur; et

ACCUEILLE              favorablement la réclamation de l'entrepreneur.

[101]       Conformément au premier alinéa de l'article 21 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, les coûts du présent arbitrage sont partagés à parts égales entre l'administrateur et l'entrepreneur.

 

BELOEIL, le 14 octobre 2005.

 

 

 

 

 

 

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Claude Dupuis, ing., arbitre [CaQ]

 



[1]          Takhmizdjian et Barkakjian c. Soreconi (Société pour la résolution des conflits inc.) et Betaplex inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'A.P.C.H.Q. inc., C.S. Laval, 540-05-007000-023, juge Ginette Piché, 2003-07-09, p. 6-10.