TRIBUNAL D’ARBITRAGE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

n/d        PG 2009-02

GAMM :  2008-08-006

GMB :    A-20533 / U-507530

 

 

Date 

15 juin 2009

______________________________________________________________________

 

DEVANT L’ARBITRE :

Me Bernard Lefebvre

______________________________________________________________________

 

 

Madame Lisette Lacroix

                                                                 Ci-après appelée « Bénéficiaire »

Et

La Garantie des Maîtres Bâtisseurs (GMB)

                                                                 Ci-après appelé « Administrateur »

et

KA Construction

 

                               Ci-après appelé  « Entrepreneur »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

SENTENCE ARBITRALE

 

______________________________________________________________________

 

 

[1]     Le tribunal doit trancher le différend né le 24 novembre 2008 entre la  Bénéficiaire et l’Administrateur relatif au revêtement extérieur en bardeaux de fibrociment de l’immeuble situé aux  900, 902, 904 et 906, Croissant du Jaseur, Magog.

 

[2]    Ces bardeaux sont un produit du fabricant James Hardie.

 

[3]    La Bénéficiaire prétend que le revêtement n’a pas été installé selon les règles de l’art. L’Administrateur prétend le contraire et il s’exprime ainsi :

 

« Montréal, le 24 novembre 2008

  RAPPORT DE CONCILIATION

 

  Parties communes (900, 902, 904, 906

                        Croissant du Jaseur)

 

3. Fibrociment

 

La Bénéficiaire mentionne que le revêtement extérieur de « fibrociment » est lâche, ondulé et que les clous et embouts ne sont pas peints.

 GMB (Administrateur) a constaté que l’installation du revêtement extérieur de fibrociment a été réalisée selon les règles de l’art.

 

                 Par conséquent, GMB de demande aucune intervention

                 de la part de l’Entrepreneur. »

 

               (parenthèse de l’arbitre)

 

[4]    Dans une lettre datée du 19 décembre 2008, la Bénéficiaire fait part au Groupe d’Arbitrage et de Médiation sur Mesure, ci-après GAMM, de son insatisfaction face à la décision du 24 novembre 2008 et elle demande que le différend soit soumis à l’arbitrage.

 

[5]    Le GAMM nomme le soussigné le 21 janvier 2009.

 

[6]    L’arbitrage a débuté par la visite des lieux afférents à la réclamation et s’est poursuivi au bureau du promoteur.

 

[7]    Dans le cas présent, la réception du bâtiment a eu lieu le 11 septembre 2007. Ce fait juridique n’est pas contesté.

 

[8]    Le litige repose sur les considérations de faits et de droits suivantes.

 

Les considérations de faits

 

[9]    L’Administrateur produit comme témoin, M. Marco Caron, conseiller technique de l’Administrateur, qui a rendu la décision du 24 novembre 2008 à titre d’inspecteur conciliateur, à la suite de son inspection, le 2 octobre 2008.

 

[10]           M. Caron décrit la méthode utilisée lors de cette inspection. Se référant à sa décision, M. Caron souligne que la question de l’installation du fibrociment est le seul élément en litige parmi les 23 points inspectés au regard des parties communes et privatives de l’immeuble situé aux 900, 902, 904 et 906 du Croissant du Jaseur ainsi que celles de l’immeuble situé aux 908 910, 912 et 914 du Croissant du Jaseur.

 

[11]           La Bénéficiaire produit comme premier témoin, M. Pascal Poudrier, dont les connaissances en matière d’installation de bardeaux de fibrociment ne sont pas contestées.

 

[12]           M. Poudrier accompagnait la Bénéficiaire lors de la visite des lieux effectuée par M. Caron. M. Poudrier affirme que M. Caron a déclaré en leur présence qu’il ne connaissait pas les rudiments de la pose et de l’installation du matériau de fibrociment.

 

[13]           L’Entrepreneur ne s’est pas présenté à l’inspection du 2 octobre 2008.

 

[14]           Ensuite, la Bénéficiaire produit comme deuxième témoin, M. Robin Choinière, dirigeant de l’entreprise de construction « Les Constructions Choinière et Frères enr.».

 

[15]           La Bénéficiaire a fait appel à M. Choinière à titre de spécialiste dans la pose des produits de fibrociment du fabricant James Hardie. M. Choinière atteste que son entreprise est accréditée par le fabricant James Hardie pour la pose et l’installation des produits de celui-ci.

 

[16]           M. Choinière indique que les produits « James Hardie » sont un assemblage de fibres et de ciment, peints en usine. La couche de peinture assure l’étanchéité des produits. Ainsi, tout découvert de peinture doit être recouvert afin de maintenir la garantie du fabricant et aussi de l’étanchéité des produits. Par exemple, l’installateur doit repeindre les embouts des bardeaux coupés et aussi, noyer les ouvertures causées par les clous.

 

[17]           Sur ce point, M. Choinière a relevé, lors de la visite des lieux, des embouts et des ouvertures non peints ni noyés, ce qui est précurseur de détériorations, atteste-t-il.

 

[18]           M. Choinière dépose les guides d’utilisation des produits James Hardie concernant la pose et l’installation des moulures (Hardie Trim XLD) et aussi des bardages à clin (Hardie Plank).

 

[19]           M. Choinière explique ensuite le mode d’installation des moulures. Il faut laisser un espace d’au moins 50 mm entre la moulure et les marches d’escalier et entre le rebord inférieur du parement.

 

[20]           Ensuite, il faut laisser un espace d’au moins 3 mm entre le bardage et la moulure qui encadre les fenêtres, portes et autres ouvertures et poser un joint d’étanchéité pour assurer l’étanchéité de l’ensemble. Sur ce sujet, M. Choinière fait remarquer la faiblesse des joints posés par l’Entrepreneur.

 

[21]           De même, un espace de 6 mm doit être laissé entre le bas des bardages à clin et le solin horizontal afin que l’eau s’écoule. Sur ce point, M. Choinière indique que la pente du solin installé sur un mur de l’immeuble était inversée, telle que constatée lors de la visite des lieux.

 

[22]           Aussi, les bardages à clin doivent être cloués à la main ou fixés à l’aide d’un outil pneumatique. Les bardages horizontaux doivent se chevaucher au minimum 32 mm et c’est dans cet espacement qu’il faut les fixer au moyen de clous qui seront dissimulés par le bardage suivant, posé en superposition du précédent.

 

[23]           À ce sujet, M. Choinière souligne que la visite des lieux a montré que des clous étaient apparents sur plusieurs bardages à clin et que des bardages étaient lâches à certains autres endroits.

 

[24]           Selon M. Choinière, il faut poser un solin derrière chaque joint droit afin d’assurer une protection supplémentaire contre la pluie chassée par le vent.

 

[25]           Contre interrogé, M. Choinière convient que les guides d’installation de du fabriquant James Hardie, auxquels il se réfère, ont été publiés 2008, soit un an après l’année de la réception du bâtiment.

 

[26]           Mais M. Choinière maintient que ces guides sont une traduction de la version originale anglaise dont les normes étaient appliquées au Québec avant l’an 2008.

 

[27]           Comme troisième témoin, la Bénéficiaire interroge M. Jonathan Sirois, vice président et copropriétaire de l’entreprise Murexpair, sous traitant de l’Entrepreneur, qui a posé et installé les moulures et les bardages à clin James Hardie sur l’immeuble de la Bénéficiaire.

 

[28]           M. Sirois certifie avoir suivi une ou plusieurs séances de formation concernant la pose des produits de James Hardie mais il ne peut se souvenir du nom du formateur. Cependant, M. Sirois se souvient que c’est le fournisseur de ces produits qui a organisé cette formation et que c’est un représentant du fabriquant qui a donné la formation.

 

[29]           L’Entrepreneur produit à son tour M. Sirois dans sa preuve principale. Le témoin Sirois donne l’assurance que la pose et l’installation des moulures et des bardages à clin posés et installés sur l’immeuble de la Bénéficiaire soutiennent les recommandations du fabricant James Hardie.

 

[30]           De plus, pour donner suite à la plainte de la Bénéficiaire, M. Sirois  a demandé à M. Lamoureux, fournisseur des produits James Hardie, de vérifier ses travaux et en particulier la cause des gondolements des bardages à clin.

 

[31]           M. Sirois produit la réponse de M. Lamoureux transmise par courriel dont la teneur est que la pose est conforme aux directives d’installation de James Hardie et que, si on note un gondolement, il est très léger; il est situé sur un seul mur et n’a aucun rapport avec l’installation.

 

[32]           Sur la question de la contre pente du solin, soulevée par M. Choinière, M. Sirois est certain que ces solins ont été installés en pente par rapport au bardage à clin et que si, aujourd’hui, ces solins sont en contre pente, c’est à cause de l’action du séchage du support en bois.

 

[33]           En dernier lieu, M. Sirois est d’avis que s’il y a un support 2 pouces x 6 pouces entre le mur et le solage, l’eau s’écoulera facilement ni plus ni moins par la chantepleure, sans endommager le bardage.

 

Les considérations de droits

 

[34]           L’Entrepreneur  soumet que la Bénéficiaire n’a pas assumé son fardeau de preuve et que lui, au contraire, a démontré absence de dommage, par le témoignage de M. Sirois, lequel a respecté les normes du fabricant James Hardie lors de la pose et de l’installation des moulures et des bardages.

 

[35]           L’Administrateur postule que la Bénéficiaire assumait le fardeau de prouver que la décision rendue par l’Administrateur le 24 novembre 2008 était erronée. Or, la Bénéficiaire n’a démontré aucune preuve de dommages. En conséquence, l’arbitre doit maintenir la décision de l’Administrateur.

 

[36]           La Bénéficiaire pose au contraire que sa preuve supporte les défauts constatés lors de la visite des lieux, à savoir; boursouflures du bardage à plusieurs points de fixation des clous; plusieurs bardages vibrent sur simple cognage; clous inadéquats; joints non-conformes, etc.. Aussi, la preuve de l’Entrepreneur et celle de l’Administrateur sont faibles car le fournisseur Lamoureux ne fait pas partie de James Hardie; les défauts sont précurseurs de dommages et le séchage du bois ne cause pas la contrepente des déclins.

 

ANALYSE ET DÉCISION

 

Le fardeau de preuve

 

[37]           Il est vrai que la Bénéficiaire doit prouver les faits générateurs de sa demande, c'est-à-dire, démontrer l’inaccomplissement de l’obligation de l’Entrepreneur de poser et d’installer les moulures et les bardages de fibrociment selon les règles de l’art, au sens du Contrat de garantie.

 

[38]           En somme, la Bénéficiaire réclame l’exécution d’une obligation de résultat.

 

[39]           À ce sujet, la règle du fardeau de la preuve est claire : la partie qui réclame l’exécution d’une obligation de résultat doit démontrer l’absence de résultat. C’est au débiteur de prouver l’exécution de l’obligation ou, le cas échéant, à justifier pourquoi son inexécution ne lui est pas imputable[1].

 

[40]           Dans notre cas, la Bénéficiaire doit démontrer que l’Entrepreneur n’a pas posé et installé les moulures et les bardages de fibrociment selon les règles de l’art.

 

[41]           Mais se pose aussi la question du degré de preuve requis.

 

Le degré de preuve requis

 

[42]           Comme le litige est de nature civile, c’est donc l’article 2804 du Code civil du Québec qui s’applique pour déterminer le degré de preuve requis. Nous citons :

 

« Code civil du Québec Article 2804

La preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n’exige une preuve plus convaincante. »

 

[43]           C’est donc à la norme de la prépondérance de probabilités que nous taxons la preuve de la Bénéficiaire. Enfin, nous retiendrons la preuve qui, au sens des règles de preuve, constitue la meilleure preuve.

 

La meilleure preuve

 

[44]           D’abord nous ne pouvons retenir le témoignage de M. Caron car il n’a pas contredit celui de M. Poudrier lequel a affirmé que l’inspecteur a déclaré, au cours de la visite des lieux le 2 octobre 2008, qu’il ne connaissait pas le matériau fibrociment ni non plus la méthode de pose et d’installation afférente.

[45]           Dans le cadre de la meilleure preuve, examinons le témoignage de M. Choinière et des documents sur lesquels il se réfère au soutien de la position de la Bénéficiaire.

 

[46]           Nul n’a contredit la compétence de M. Choinière en matière de pose et d’installation des moulures et bardages de fibrociment fabriqués par le fabricant James Hardie. La Bénéficiaire n’a pas demandé à ce que M. Choinière soit déclaré témoin expert au sens juridique de ce terme. Je me garderai bien de le faire à sa place. Toutefois, je dois accorder un poids à son témoignage.

 

[47]           Quel poids dois-je accorder au témoignage de M. Choinière? Ce sera établi sur la base de sa connaissance des faits en litige; de la clarté et de la précision de son témoignage et du lien qui découle de l’examen des lieux et de l’obligation de résultat qui s’impose à l’entrepreneur.

 

[48]           Quelle est la portée juridique des documents déposés en preuve par M. Choinière, c'est-à-dire, les normes relatives à la pose et à l’installation des moulures et des bardages de fibrociment du fabricant James Hardie?

 

[49]           Sur ce point, comme on le sait, l’Entrepreneur et l’Administrateur prétendent que les documents déposés en preuve ne constituent pas la norme en vigueur au moment de la construction de l’immeuble en 2007. Et ils fondent leur opposition sur le témoignage de M. Sirois et sur le courriel de M. Lamoureux.

 

[50]           En tout respect, le témoignage de M. Choinière prime sur celui de M. Sirois et sur le contenu du courriel de M. Lamoureux.

 

[51]           D’abord, parce que M. Sirois ne contredit pas les éléments essentiels du témoignage de M. Choinière portant sur la façon usuelle et normale de poser des moulures et des déclins fixés à clous, ni non plus sur la fonction du solin, quelque soit le type de déclins installés sur un immeuble.

 

[52]           Ensuite le courriel de M. Lamoureux porte sur un seul élément relatif à la règle de l’art applicable en l’espèce, à savoir : un mur qui ne gondole pas. Rien sur les autres éléments afférents à cette règle. Même si l’arbitre donne foi au contenu de ce courriel, malgré le principe de l’interdiction de la preuve par ouï-dire, j’estime que cette déclaration extrajudiciaire est indéterminée quant au lieu examiné et imprécise quant aux connaissances de son auteur sur la pose et l’installation des moulures et bardages des produits de James Hardie.

 

[53]           Ainsi, selon la règle de la meilleure preuve, les normes applicables à la pose et à l’installation des moulures et des bardages de fibrociment sur l’immeuble de la Bénéficiaire, sont celles auxquelles s’est référées M. Choinière dans son témoignage.

 

La règle de l’art en cette matière

 

[54]           Les concepts théoriques et pratiques mis en preuve par la Bénéficiaire, par le témoignage de M. Choinière, constituent les règles de l’art au regard de la pose et de l’installation des moulures et bardages de fibrociment du fabricant James Hardie.

 

[55]           L’Entrepreneur était assujetti à ces règles aux fins d’assumer son obligation de résultat.

 

La relation entre les règles de l’art et l’exécution des travaux

 

[56]           La Bénéficiaire a prouvé l’existence d’embouts et d’ouvertures non peints et ni noyés;  la faiblesse des joints concernant l’espace d’au moins 3 mm entre le bardage et la moulure qui encadre les fenêtres, portes et autres ouvertures; le relâchement de certains bardages; une pente non conforme laissée entre le bas d’un bardage à clin et le solin horizontal.

 

[57]           Sur ce dernier élément, il est tout à fait improbable que le séchage du support en bois ait causé la contre pente du solin.

 

[58]           Les constations relevées lors de la visite des lieux qui a précédé l’arbitrage soutiennent les manquements décrits par M. Choinière.

 

[59]           L’Entrepreneur est donc en défaut de respecter les règles de l’art applicables à la pose et à l’installation des moulures et bardages de fibrociment sur l’immeuble de la Bénéficiaire.

 

 

 

Les dommages

 

[60]           L’Entrepreneur et l’Administrateur demandent le rejet de la réclamation de la Bénéficiaire parce que celle-ci n’aurait pas fait la preuve de dommages.

 

[61]           En tout respect, il n’est pas nécessaire que les dommages soient immédiats mais raisonnablement prévisibles.

 

[62]           Le témoignage de M. Choinière sur ce sujet n’a pas échappé à l’arbitre. Le témoin de la Bénéficiaire a indiqué que les manquements sont précurseurs de dommages. Je m’en tiens à cette preuve de dommages.

 

DISPOSITIF

 

[63]           Pour tous ces motifs, le tribunal accueille la réclamation de la Bénéficiaire, révise la décision de l’Administrateur rendue le 24 novembre 2008 et enjoint à l’Entrepreneur de corriger les manquements décrits dans la preuve en suivant les directives du fabricant James Hardie, en la forme et la manière exprimées par la Bénéficiaire.

 

[64]           Les frais inhérents à l’arbitrage sont assumés par l’Administrateur.

 

[65]           Ainsi décidé le 15 juin 2009.

 

 

__________________________________

Me Bernard Lefebvre

 

 

Pour la Bénéficiaire :

Madame Lisette lacroix

2008 Rang 2

C.p. 310

Valcourt (Québec)

J0E 2L0

 

Pour l’Administrateur :

Me Marc Baillargeon

2580 boulevard Poirier
Saint-Laurent QC 

 H4R 3A3

 

Pour l’Entrepreneur :  Me Guy Plourde

                                 296 rue Sherbrooke
                                 Magog QC  J1X 2R7

 

 

Date d’audience         6 mai 2009

 

 

 

 

 



[1] DUCHARME Léo, Précis de la preuve, 4e édition, 2e tirage, page 50, no 135.