ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
(Décret 841-98 du 17 juin 1998)
Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment : CCAC
ENTRE : HENRI TANG ;
-et-
SIEU NGI QUOC ;
(ci-après les « Bénéficiaires »)
C. : BEL-HABITAT INC. ;
(ci-après l’ « Entrepreneur »)
ET : LA GARANTIE DE CONSTRUCTION RÉSIDENTIELLE (GCR);
(ci-après l’« Administrateur »)
Dossier SORECONI : 211809001
DÉCISION ARBITRALE
Arbitre : Michel A. Jeanniot, CIArb
Pour les Bénéficiaires : Me Fredéric Dionne
Pour l’Entrepreneur : Raymond Chabot inc., syndic de faillite
Pour l’Administrateur : Me Pierre-Marc Boyer
Date de l’audition : 7 mars 2022
Date de la Décision : 10 mai 2022
Identification complète des parties
Bénéficiaires : Madame Sieu Ngi Quoc
Monsieur Henri Tang
[...]
Boisbriand (Québec)
[...]
Et leur procureur :
Me Frédéric Dionne
Entrepreneur : Bel-Habitat
7450, 59e Avenue
Laval (Québec)
H7R 4G7
Et le syndic responsable du dossier de faillite :
Raymond Chabot inc.
Administrateur : La Garantie de Construction Résidentielle (GCR)
4101, rue Molson, bureau 300
Montréal (Québec) H1Y 3L1
Et son procureur :
Me Pierre-Marc Boyer
L’arbitre a reçu son mandat de CCAC le 3 mars 2021.
Extraits pertinents du Plumitif
20.06.2021 Date de la signature du contrat de garantie
28.06.2021 L’Entrepreneur dépose une cession
29.06.2021 Dénonciation des Bénéficiaires
16.07.2021 Date de la signature du contrat préliminaire
17.07.2021 Formulaire de réclamation des Bénéficiaires
28.07.2021 Assemblée des créanciers de la faillite de Bel-Habitat inc.
03.09.2021 Décision de l’Administrateur
18.09.2021 Réception par le greffe du CCAC de la demande d’arbitrage par les Bénéficiaires
14.10.2021 Transmission aux parties de la notification d’arbitrage et de la nomination de Michel A. Jeanniot à titre d’arbitre
30.03.2021 Réception des pièces des Bénéficiaires
08.12.2021 Lettre aux parties : recherche des disponibilités pour la tenue d’un appel conférence / conférence de gestion
10.12.2021 Réception du cahier de pièces de l’Administrateur
10.12.2021 Lettre aux parties : confirmation de la date / heure pour la tenue d’un appel conférence / conférence de gestion
11.01.2021 Appel conférence / conférence de gestion et transmission subséquente du procès-verbal
17.01.2021 Réception du cahier de pièces des Bénéficiaires
04.03.2021 Réception du cahier des sources
07.03.2021 Audience
10.05.2021 Décision
INTRODUCTION
[1] Le Tribunal est saisi du dossier conformément au Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (L.R.Q. c. B-1.1, r.02) (le « Règlement ») adopté en vertu de la Loi sur le bâtiment (L.R.Q. c. B-1.1) (« LBQ »), par nomination du soussigné en date du 14 octobre 2021, le tout suivant une réclamation pour couverture sous le plan de garantie au Règlement visé par les présentes (le « Plan de garantie ») relativement à une demande d’arbitrage des Bénéficiaires parvenue au greffe le 18 septembre 2021.
[2] La présente demande d’arbitrage a source dans la décision de l’Administrateur du 3 septembre 2021 laquelle accordait partiellement les demandes des Bénéficiaires en :
[2.1] reconnaissant qu’en raison de la faillite de l’Entrepreneur, celui-ci ne sera pas en mesure de livrer l’immeuble selon les termes et conditions prévues au contrat;
[2.2] reconnaissant que l’Entrepreneur a manqué à ses obligations légales et contractuelles;
[2.3] concluant que les Bénéficiaires ont droit à un remboursement d’acompte au montant de 50 000$, en vertu de l’article 9, paragraphe 1 du Règlement;
[3] Les bénéficiaires, sous la plume de leur procureur, contestent et portent en arbitrage le 18 septembre 2021 pour :
[3.1] tous les éléments de la décision de l’Administrateur qui refuse la demande de parachèvement;
[3.2] décision erronée en droit;
[4] Dans cette instance, le fardeau de la preuve appartient aux Bénéficiaires en demande. Sans que ce fardeau ne leur soit indu, c’est néanmoins ces derniers qui ont l’obligation de convaincre;
HISTORIQUE
[5] Avec un certain plagiat du plan d’argumentation des Bénéficiaires, je crois pertinent de faire un bref sommaire des faits admis;
[6] En mai 2017, les Bénéficiaires décident d’acheter (conjointement) de l’Entrepreneur un terrain situé sur la Rue [...], à Laval et de s’y faire construire une unité résidentielle unifamiliale;
[7] L’Entrepreneur informe les Bénéficiaires que la construction de leur bâtiment résidentiel est prévue pour le printemps 2018, car les infrastructures municipales doivent être préalablement réalisées en partenariat avec la Ville de Laval (sur la rue [...], à Laval);
[8] En juillet 2017, les Bénéficiaires et l’Entrepreneur concluent un contrat préliminaire sous seing privé qui constate la promesse d’achat et de vente bilatérale concernant l’achat du terrain, ainsi que la construction de l’ouvrage (le « Contrat préliminaire »), pièce P-1;
[9] Le Contrat préliminaire prévoit le transfert du Terrain (le lot no. [...] du cadastre du Québec, circonscription foncière de Laval) par l’Entrepreneur aux Bénéficiaires, et ces derniers acceptent de retenir les services de l’Entrepreneur à titre d’entrepreneur général pour la construction, sur le Terrain, du bâtiment résidentiel selon les plans et devis convenus;
[10] Au début du mois d’août 2017, les Bénéficiaires remettent à l’entrepreneur un premier dépôt de 10 000$ afin de réserver l’achat du terrain situé sur la rue [...] à Laval;
[11] Toujours en août 2017, les Bénéficiaires remettent à l’entrepreneur un deuxième dépôt de 175 000$: cette somme est constituée de deux chèques, soit l’un de 170 880$ provenant d’une marge hypothécaire RBC et l’autre de 4 120$. Ce versement est fait afin d’obtenir un rabais de 14 000$ sur le prix forfaitaire de l’ouvrage, et parce que, étonnamment, l’Entrepreneur s’engage en vertu de l’annexe 2 du Contrat préliminaire à payer les intérêts sur la somme empruntée par les Bénéficiaires sur leur marge hypothécaire RBC jusqu’à la délivrance de l’ouvrage;
[12] Novembre 2017, les Bénéficiaires remettent à l’Entrepreneur un troisième dépôt composé de deux chèques soit l’un de 40 000$ et l’autre de 10 280$ pour un montant totalisant 50 280$;
[13] Janvier 2018, l’Entrepreneur (Luc Perrier) informe son courtier immobilier partenaire qu’il peut mettre la maison du Bénéficiaire en vente, car une livraison en octobre 2018 est envisagée par l’Entrepreneur. Le Bénéficiaire a donc procédé à la vente de sa résidence principale au printemps 2018 à des particuliers ayant une date de prise de possession flexible;
[14] Mars 2018, les Bénéficiaires remettent à l’entrepreneur un quatrième dépôt : 34 550$;
[15] Septembre 2018, l’Entrepreneur fait une première demande pour un permis de construction;
[16] Février 2019, les Bénéficiaires remettent à l’Entrepreneur un cinquième dépôt : 39 000$. Toujours en février 2019, bien que les travaux d’infrastructures municipales n’aient toujours pas été débutés dû aux retards pour les permis, les Bénéficiaires considèrent qu’ils doivent néanmoins honorer leurs engagements et procèdent à la vente de leur résidence principale;
[17] Mars 2019, les Bénéficiaires remettent à l’entrepreneur un sixième dépôt : 11 600$;
[18] La preuve documentaire admise est à l’effet que les dépôts remis à l’Entrepreneur par chèque totalisent 320 430$;
[19] Outre les dépôts faits par chèque, les Bénéficiaires me représentent que des dépôts additionnels en argent comptant totalisant 99 760$ ont été faits à l’Entrepreneur. Ces faits ne sont pas admis, et ces dépôts en argent comptant ne sont pas inclus dans la réclamation initialement formulée auprès de l’Administrateur, et ne font pas l’objet d’un poste de réclamation en arbitrage;
[20] En date de la faillite de l’Entrepreneur (le 28 juin 2021), l’ouvrage devait être construit par l’Entrepreneur sur le Terrain et pour la somme de 528 063$ incluant les taxes de vente applicables (une fois que sont soustraits, du prix global indiqué à la promesse d’achat et de vente, le rabais sur acompte et le prix d’achat du Terrain de 129 000$. Le prix incluant les extras et le total du rabais sur acompte a été approuvé et signé entre l’Entrepreneur et les Bénéficiaires).
[21] Mai 2019, les Bénéficiaires participent à la période de questions lors de l’Assemblée Ordinaire de la Ville de Laval afin de mettre de la pression sur les délais pour le raccordement des infrastructures municipales sur la rue [...].
[22] Octobre 2019, l’Entrepreneur informe les Bénéficiaires de l’ouverture des soumissions pour les sous-traitants d’excavation en lien avec les infrastructures municipales;
[23] Novembre 2019, l’Entrepreneur informe les Bénéficiaires qu’il est en réception d’un « OK final » du Gouvernement du Québec et qu’il est tout près du «OUI final» de la Ville de Laval pour débuter les travaux;
[24] Janvier 2020, l’Entrepreneur informe les Bénéficiaires que le contrat d’excavation est signé et qu’il ne reste qu’une dernière étape à la Ville de Laval;
[25] Mai 2020, les Bénéficiaires participent pour la deuxième fois à la période de questions lors de l’Assemblée Ordinaire de la Ville de Laval afin de mettre de la pression sur les délais pour le raccordement des infrastructures municipales sur la rue [...];
[26] Octobre 2020, les Bénéficiaires participent pour la troisième fois à la période de questions lors de l’Assemblée Ordinaire de la Ville de Laval afin de mettre de la pression sur les délais pour le raccordement des infrastructures municipales sur la rue [...];
[27] Toujours en octobre 2020 (le 21), une demande d’ouverture et de fermeture d’un chantier de construction de la CNESST est complétée par l’Entrepreneur concernant la construction de la maison des Bénéficiaires sur le Terrain;
[28] Novembre 2020, une rencontre a lieu dans les bureaux de l’Entrepreneur pour mettre à jour les plans et sélectionner le choix des matériaux étant donné que l’Entrepreneur prévoit débuter les travaux de l’unité résidentielle incessamment;
[29] Janvier 2021, l’Entrepreneur fait une « deuxième demande » (?) pour un permis de construction concernant le Terrain des Bénéficiaires;
[30] Février 2021, soit 1 306 jours après la signature du contrat préliminaire, et quelques 320 430$ (ou possiblement 420 190 $) plus tard, l’Entrepreneur informe les Bénéficiaires avec une vidéo que les travaux d’infrastructures municipales en lien avec leur Terrain ont débuté;
[31] Avril 2021, les travaux d’infrastructure de la Phase 1 sur la Rue [...] sont complétés pour continuer les travaux de construction de l’ouvrage;
[32] Mai 2021, l’Entrepreneur réalise une soumission avec un sous-entrepreneur pour le système de plancher et ferme de toit concernant le Terrain;
[33] Le 1er juin 2021, les Bénéficiaires participent pour la quatrième fois à la période de questions lors de l’Assemblée Ordinaire de la Ville de Laval afin de mettre de la pression sur les délais pour son permis de construction, étant donné que la phase 1 des infrastructures municipales a déjà été complétée. Le 6 juin 2021, l’Entrepreneur rencontre les Bénéficiaires pour les informer que la construction continuera bientôt et demande des dépôts supplémentaires afin de couvrir les hausses au prix forfaitaire de l’ouvrage, en raison de l’augmentation du coût des matériaux et de la main-d’œuvre. Les Bénéficiaires refusent cette demande considérant les dépôts déjà versés;
[34] Le 20 juin 2021, les Bénéficiaires reçoivent et signent le contrat de garantie de l’Administrateur pour la première fois, soit 4 ans (ou 1 435 jours) après le contrat préliminaire, et après avoir versé 320 430$ (ou possiblement 420 190 $) à l’Entrepreneur. C’est également la première fois qu’une date de livraison pour la fin des travaux est indiquée, soit le 21 janvier 2022;
[35] Le 28 juin 2021, soit 8 jours après la signature du contrat de garantie, l’Entrepreneur fait faillite et Raymond Chabot est nommé syndic de faillite;
[36] Le 6 juillet 2021, les Bénéficiaires s’associent avec d’autres familles victimes de la rue [...] et retiennent les services d’une firme d’avocat (AGML) pour les accompagner à une rencontre en personne avec le syndic, le 7 juillet 2021 à Laval, et pour faire part au syndic de la faillite de l’Entrepreneur ainsi que de leur intention (les Bénéficiaires) de réaliser une action en passation de titre et une réclamation de biens auprès de Raymond Chabot inc., syndic à la faillite de l’Entrepreneur. C’est également lors de cette rencontre que le syndic explique aux Bénéficiaires le déroulement d’une assemblée des créanciers et le fonctionnement entourant la nomination des inspecteurs et de leur rôle;
[37] Le ou vers le 15 juillet 2021, les Bénéficiaires réitèrent au syndic Raymond Chabot leur intention d’effectuer une action en passation de titre et une réclamation de biens, étant donné que l’Entrepreneur était propriétaire du Terrain au moment de la faillite. Le syndic est ouvert à la requête, mais propose au Bénéficiaire de faire en premier lieu une réclamation de créance afin d’obtenir les votes pour la nomination des inspecteurs lors de la première assemblée des créanciers, pour et par la suite, si nécessaire, amender leur preuve de réclamation pour y prévoir une réclamation de biens.
[38] Le 17 juillet 2021, les Bénéficiaires :
i.) informent le syndic par courriel qu’ils se réservent le droit de compléter une réclamation de biens suite aux décisions prises lors de l’Assemblée des créanciers à venir et,
ii.) transmettent le formulaire de réclamation à l’Administrateur en précisant à la section 6 – (AUTRES INFORMATIONS PERTINENTES) - la note suivante: « Sous réserve des décisions suite à l’assemblée des créanciers du 28 juillet 2021, et si le terrain nous est transféré, nous nous réservons le droit de porter en appel pour demander le parachèvement des travaux au lieu d’un remboursement des acomptes et de mettre à jour les arguments pour la demande de parachèvement»;
[39] Le 21 juillet 2021, une hypothèque légale de construction (provenant de l’entreprise CONSTRUCTION G-NESIS INC.) s’est ajoutée sur le Terrain pour un montant de 495 500,25$ avant taxes non payées, concernant les travaux d’infrastructures municipales sur la rue [...] reliant chaque lot aux services municipaux, incluant le Terrain;
[40] Le 26 juillet 2021, les Bénéficiaires apprennent qu’il y a 3 créanciers qui détiennent des créances hypothécaires sur leur Terrain, pour un total de 2 367 351,73$, et énumérées comme suit:
[40.1] Une hypothèque de premier (1er) rang à 1 340 351,73$ garantie sur 14 lots;
[40.2] Une hypothèque de deuxième (2e) rang à 727 000$ garantie sur 8 lots et;
[40.3] Une hypothèque de troisième (3e) rang à 300 000$ garantie sur 5 lots;
[41] Le 28 juillet 2021, une assemblée des créanciers est organisée par le syndic de faillite. Le syndic indique que l’Entrepreneur opérait un système qui s’apparente à du Ponzi. Une des âmes dirigeantes de l’Entrepreneur a même témoigné à l’effet qu’il utilisait les dépôts d’un consommateur pour payer les dépenses d’un autre ainsi que pour payer les frais d’intérêts, allant jusqu’à 14%/an, de ses prêteurs privés;
[42] Lors de l’Assemblée des créanciers, les Bénéficiaires apprennent que les terrains sur la rue [...] sont lourdement hypothéqués et qu’il y a très peu d’équité. Lors de cette même assemblée, l’un des Bénéficiaires (Henri Tang) est élu comme l’un des inspecteurs de faillite par les créanciers ordinaires pour représenter les intérêts des familles lésées;
[43] Le 30 juillet 2021, les Bénéficiaires obtiennent une confirmation d’un conseiller politique du Cabinet du maire de la Ville de Laval, à l’effet que la Ville peut délivrer les permis de construction et de branchement sur tous les lots de la rue [...], et ce, depuis le 28 octobre 2020. Il ne manquait alors qu’un paiement de l’état de compte pour la délivrance du permis;
[44] Le 12 août 2021, le syndic constate les droits des Bénéficiaires et il autorise le transfert du Terrain aux Bénéficiaires pour la somme de 231 905,59$ taxes incluses;
[45] Le 12 août 2021, une visioconférence est organisée entre les Bénéficiaires et le conciliateur de l’Administrateur (Michel Lemay). Les Bénéficiaires font alors une présentation pour obtenir le parachèvement au lieu d’un remboursement d’acompte; ceci est suivi, le 17 août 2021, par une copie de la présentation pour expliquer le contexte et les arguments quant à une demande de parachèvement, laquelle fut envoyée par courriel à l’ensemble des intervenants;
[46] À cette date est précisé ce qui suit :
[46.1] Le plan d’implantation réalisé par un Arpenteur-Géomètre concernant le Terrain, avec les derniers plans de la maison des Bénéficiaires, a été approuvé par la Ville de Laval les 25 et 26 février 2021, soit 4 mois avant la faillite;
[46.2] Le numéro civique du lot [...] ([...]) a déjà été délivré et est visible sur les données cartographiques de la Ville de Laval accessibles en ligne;
[46.3] L’ouverture de chantier de la CNESST a été transmise le 21 octobre 2020, pièce;
[47] Septembre 2021, le syndic reconfirme l’offre globale pour l’achat de 14 lots négociés par le regroupement des promettant acheteurs de la rue [...]. L’offre est officiellement acceptée par tous les créanciers garantis, dont figure le Terrain (lot [...]) au montant de 231 905,59$ taxes incluses. Ceci était nécessaire pour libérer et radier les créances garanties sur ces lots;
[48] Le 3 septembre 2021, les Bénéficiaires reçoivent la décision de l’Administrateur qui leur offre un remboursement d’acompte de 50 000$ (point 9 de la décision source de la présente demande d’arbitrage);
[49] Septembre 2021, la Ville de Laval approuve une entente tripartie afin que les sommes dues à Construction G-NESIS inc. (532 233,99 $ taxes incluses) soient acquittées à même le dépôt de garantie remis par l’Entrepreneur et détenu par la Ville de Laval (1 119 695,25 $). Par conséquent, Construction G-NESIS inc. donne quittance complète et finale de son hypothèque légale de la construction préalablement inscrite sur le terrain du Bénéficiaire. Cette entente était une condition obligatoire afin que les Bénéficiaires puissent obtenir un financement auprès de leur institution financière pour l’acquisition du Terrain du syndic;
[50] Septembre 2021, un rapport d’évaluation concernant le Terrain est obtenu et détermine que la valeur marchande du Terrain et des travaux en cours est de 232 000$ taxes incluses, ce qui est identique à ce que les Bénéficiaires doivent débourser auprès du syndic;
[51] Toujours en septembre 2021 (le 18), les Bénéficiaires formulent une demande d’arbitrage auprès de SORECONI et réclament le parachèvement des travaux conformément;
[52] Ce n’est finalement que le 28 septembre 2021 que les Bénéficiaires et le syndic signent l’acte de vente translatif de propriété du terrain;
[53] Le 8 octobre 2021, les Bénéficiaires parafent un contrat d’entreprise à prix coûtant majoré pour la construction du bâtiment résidentiel projeté avec un entrepreneur en Construction pour le parachèvement de l’ouvrage;
[54] Les Bénéficiaires et le nouvel entrepreneur (Construction de la Salette Inc.) conviennent d’un acompte de 10 000$ qui devra être remis une fois le contrat de garantie et l’attestation d’acompte signés;
[55] Le 14 octobre 2021, les Bénéficiaires reçoivent de la greffière de SORECONI la confirmation de la formation du présent dossier d’arbitrage;
[56] Le 18 octobre 2021, les Bénéficiaires signent le contrat de garantie de l’Administrateur avec l’entrepreneur (Construction de la Salette) et remettent l’acompte de 10 000$ par chèque. L’entrepreneur confirme qu’il a été en mesure d’obtenir la main-d’œuvre et les matériaux nécessaires, mais considère qu’il y a urgence de terminer la structure avant l’hiver;
[57] Toujours en octobre (le 20), les Bénéficiaires reçoivent de leur entrepreneur une lettre confirmant l’urgence de compléter la structure avant l’hiver, du contexte de la congestion de mise en chantier au printemps et des délais de 4 mois habituellement attachés à l’obtention de fermes de toit et de fenêtres;
[58] Le 25 octobre 2021, l’avocat du Bénéficiaire envoie par courriel un avis à l’Administrateur pour l’informer de son intention de parachever les travaux qui étaient prévus au contrat préliminaire qui a été signé il y a (+/-) 4 ans, soit le 16 juillet 2017, avec un nouvel entrepreneur à la suite des manquements et de la faillite de l’Entrepreneur. Ce même 25 octobre 2021, un rapport d’évaluation commandé par la Caisse Desjardins détermine que la valeur de la propriété une fois construite s’élèvera à 780 000$;
[59] Le 10 novembre 2021, l’avocat des Bénéficiaires envoie par courriel un avis à l’Administrateur et à l’organisme d’arbitrage SORECONI les informant de leurs inquiétudes quant au fait qu’aucune date d’audition n’a encore été fixée;
[60] Le 21 décembre 2021, la Caisse Desjardins informe le Bénéficiaire qu’à la suite de la visite d’un évaluateur, l’avancement des travaux a été estimé à 49%. Le processus pour le 1er déboursé chez le notaire est donc enclenché;
[61] Le 7 janvier 2022, le Bénéficiaire reçoit de Construction De La Salette Inc. la facture et le détail chronologique des coûts concernant les travaux en cours;
[62] Le 9 janvier 2022, le Bénéficiaire effectue le 1er déboursé à Construction De La Salette Inc. pour payer la totalité de la facture en deux chèques, soit l’un de 82 922,15$ et l’autre de 120 000$ totalisant 202 922,15$. (Le Bénéficiaire avait déjà versé un acompte de 10 000$ le 18 octobre 2021);
[63] À ce jour et à la lumière de tous les événements en lien avec la faillite de l’Entrepreneur, les Bénéficiaires auront subi un appauvrissement de 570 648,51$;
LA DÉCISION (SOURCE) DE L’ADMINISTRATEUR
[64] La décision source de la présente demande d'arbitrage porte la date du 3 septembre 2021 et est sous la plume de M. Michel Lemay, architecte pour l'Administrateur. Elle survient suite à une dénonciation écrite des Bénéficiaires portant elle-même date du 29 juin 2021, adressée à l'Entrepreneur et dont copie a été reçue par l'Administrateur le même jour;
[65] Les Bénéficiaires requièrent alors « parachèvement » des « travaux » en vertu des articles 9.1(b) et/ou 9.2(b) du Règlement, reproduits ci-dessous ;
9. La garantie d’un plan dans le cas de manquement de l’entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles avant la réception du bâtiment doit couvrir:
1° dans le cas d’un contrat de vente:
a) soit les acomptes versés par le bénéficiaire;
b) soit le parachèvement des travaux si le bénéficiaire est détenteur des titres de propriété, à la condition qu’il n’y ait pas d’enrichissement injustifié de ce dernier;
2° dans le cas d’un contrat d’entreprise:
a) soit les acomptes versés par le bénéficiaire à la condition qu’il n’y ait pas d’enrichissement injustifié de ce dernier;
b) soit le parachèvement des travaux à la condition qu’il n’y ait pas d’enrichissement injustifié de ce dernier;
[…]
[66] L'architecte Lemay, parlant alors pour l'Administrateur, fait le constat que l'Entrepreneur ne sera pas en mesure de livrer l'immeuble selon les termes et conditions prévus au contrat;
[67] Il reconnait par le fait même que l’Entrepreneur manque à ses obligations légales et contractuelles;
[68] Bien que la réclamation des bénéficiaires soit à l’effet qu’est requis un parachèvement, l'Administrateur accorde plutôt aux Bénéficiaires un remboursement d'acompte en vertu de l'article 9, paragraphe 1 du Règlement;
[69] L'Administrateur ne motive pas sa décision. Cette dernière est d’ailleurs empreinte d’une difficulté à l’effort, l’Administrateur ne se prononçant que par la simple affirmation : « Selon la preuve soumise et en conformité avec le Règlement, les Bénéficiaires auraient droit à un remboursement au montant de 50 000 $. »;
QUESTIONS EN LITIGE
[70] Tout ceci étant dit, nous pouvons à présent répondre aux questions en litige :
[71] La décision de parachever ou non les travaux est-elle laissée à la discrétion de l'Administrateur ?
GRILLE D’ANALYSE ET DE JUGÉ
Courant jurisprudentiel
[73] Depuis la demande d’arbitrage, la Cour supérieure du Québec, sous la présidence de l’honorable Christian Immer, a rendu jugement encadrant le processus décisionnel de l’Administrateur sur la question qui nous concerne et qui aujourd’hui a acquis force de la chose jugée;
[74] Le jugement détermine que l’opinion restrictive adoptée par l’Administrateur, selon laquelle il lui était loisible d’opter, à son entière discrétion, entre le remboursement d’acompte et le parachèvement se retrouve balisée par une condition bien précise; que le bâtiment en question soit érigé, voire substantiellement complété, mais que seuls certains éléments, somme toute mineurs, restent à être complétés;
[75] L'honorable juge Immer J.C.S., selon la preuve alors qui lui fut soumise, tranche et décide que ceci est injuste et déclare que (possiblement) quatre scénarios doivent guider le processus décisionnel de l’Administrateur vers un rapport motivé, bien que chaque cas soit un cas d’espèce devant être étudié en conséquence. Si un différend subsiste entre l’Entrepreneur et le Bénéficiaire, ces différends devront être résolus par le mécanisme d'arbitrage prévu à l'article 19 du Règlement;
[76] Les quatre scénarios possibles envisagés par la Cour sont les suivants :
92.1 Scénario 1 : le bâtiment est érigé, substantiellement complété, mais certains éléments, somme toute mineurs, restent à être complétés. […]
92.2 Scénario 2 : certains travaux sont exécutés. Des fondations sont coulées, des travaux de plomberie sont effectués, soit possiblement le raccordement au système d’aqueduc; des solives de planchers et de toit sont livrées et se trouvent sur le site au moment de la faillite37. […]
92.3 Scénario 3 : aucun travail concret n’est entrepris. Le terrain est soit occupé par une maison qui est à démolir ou alors, c’est un terrain vague. Des plans peuvent avoir été préparés pour les demandes de permis ou non. […]
92.4 Scénario 4 : […] aucun travail de construction n’a été effectué. De l’arpentage a été effectué […] des travaux de défrichage ont été faits et des clôtures de protection ont été posées (ce que GCR n’a pu observer).
[77] Vu le contexte factuel (dont certains extraits sont repris ci-haut, sous la rubrique historique), nous sommes ici dans une situation où le soussigné doit déterminer si nous sommes dans le cadre d'un scénario 2,3, ou 4. Dans l’optique où nous nous retrouvons dans un cas visé au scénario 2, mon évaluation me permettra de renverser la décision de l'Administrateur et d'ordonner le parachèvement;
[78] Toujours suivant ce raisonnement, dans l’éventualité où j’ordonnais le parachèvement, les Bénéficiaires auraient-ils droit à un remboursement des sommes à ce jour prévariquées?
Scénario en l’espèce
[79] D’emblée, nous pouvons exclure de notre analyse le scénario 1, puisque l’on parle de « bâtiment érigé, substantiellement complété »;
[80] Ensuite, les scénarios 3 et 4 traitent de situations où il n’y a pas eu de début des travaux en tant que tel. Conséquemment, ces scénarios ne donnent pas ouverture au parachèvement, mais seulement au remboursement de l’acompte;
[81] Nous retrouvons-nous dans une situation s’assimilant au scénario 2 ?
[82] Pour répondre à cette question, il importe au final de déterminer si dans les faits, il y a eu début des « travaux » au sens prévu au Scénario 2 ;
[83] Certainement, de nombreux dépôts faits par chèque ont été effectués, mais force est de constater qu’aucun travail concret n’a été complété par l’Entrepreneur original avant l’entrée en jeu du 2e Entrepreneur, à l’exception des travaux d’infrastructures municipales (Phase 1);
[84] Certes, de nombreuses démarches ont été effectuées auprès de divers organismes (Gouvernement du Québec, Ville de Laval, sous-traitants d’excavation, etc.) préalablement au début des « travaux »;
[85] Le fait demeure, cependant, que l’ouverture d’un chantier de CNESST, une commande de fermes de toit, une hypothèque légale de la construction concernant les travaux d’infrastructures ainsi que l’octroi d’un permis de construction constituent tout au plus des indices pouvant militer vers un potentiel commencement imminent de travaux de construction, et non une preuve concrète de début des travaux;
[86] Or, nous évoluons dans le domaine du factuel et non du conjectural et de l’hypothétique ;
[87] Pouvons-nous ainsi aller jusqu’à qualifier les travaux d’infrastructures municipales de « travaux exécutés » au sens du libellé du Scénario 2 ? Après évaluation de tous les faits du présent dossier, nous devons répondre à la question par la négative;
[88] À ce propos, les Bénéficiaires ont soulevé le fait que l’Entrepreneur, Luc Perrier, utilisait un stratagème qui s’apparentait dangereusement à une chaîne de financement qu’ils qualifient de « Ponzi »;
[89] De l’aveu même du syndic de faillite de l’Entrepreneur (Raymond Chabot inc.), le modus operandi de Bel-Habitat et de son fondateur Luc Perrier consistait à offrir des rabais agressifs basés sur le montant du dépôt, pour ainsi obtenir des dépôts de plus en plus importants et financer d’autres projets. Du même aveu toutefois, nous retenons que Luc Perrier a passé en deuxième vitesse dans le contexte récent de fortes demandes des consommateurs pour l’achat de maisons neuves, le corollaire étant que Bel-Habitat retardait indéfiniment ses travaux et les paiements à ses fournisseurs tout en accélérant la signature de nouveaux contrats et la prise de dépôts substantiels, comme dans le cas qui nous occupe;
[90] Compte tenu de ce qui précède, et de ce fait répondant à la première question en litige, le soussigné ne peut retenir la position plutôt large des Bénéficiaires à l’effet que les travaux d’infrastructures municipales de Phase 1 puissent être considérés comme étant un « début des travaux », et ce, même en adoptant une interprétation téléologique et contextuelle, telle que préconisée;
Travaux d’urgence vs Travaux faits en urgence
[91] Quant à la deuxième question en litige, soit de déterminer si les travaux de soi-disant parachèvement initiés par les Bénéficiaires peuvent être considérés en tout ou en partie des travaux d’urgence ou de protection (et donc susceptibles d’être remboursés par l’Administrateur), il importe de bien faire la distinction entre la notion de « travaux d’urgence » au sens de la loi et des règlements pertinents, et ce que l’on qualifierait plutôt de « travaux faits en urgence »;
[92] Notons tout d’abord que le terme « urgence » n’est pas employé dans le Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs. Par contre, le mot « urgent » fait trois apparitions dans le Règlement;
[93] Le contexte dans lequel ce mot est utilisé est très révélateur quant à l’intention du Législateur; on le constate à la lecture des articles 18.5 et 34.5, mais surtout du paragraphe 18 de l’Annexe II – LISTE DES ENGAGEMENTS DE L’ENTREPRENEUR, découlant entre autres de l’article 78 (3) du Règlement :
« 18. à mettre en place s'il y a lieu, toutes les mesures nécessaires pour assurer la conservation du bâtiment ou à rembourser le bénéficiaire lorsque de telles mesures ont dû être mises en place de façon urgente par ce dernier; … »
(mon soulignement)
[94] Mon interprétation du concept de « travaux urgents » au sens du Règlement se veut donc à l’effet que l’on doit comprendre des mesures ou des réparations dites « conservatoires » ou nécessaires à la préservation ou à la pérennité du bâtiment;
[95] Bien entendu, il convient d’apprécier la notion d’urgence cas par cas, et dans le contexte qui nous occupe, je suis d’avis que les travaux effectués par le 2e Entrepreneur suite à la faillite de Bel-Habitat n’étaient en aucune façon des « mesures nécessaires pour assurer la conservation du bâtiment » - l’urgence mise de l’avant par les Bénéficiaires me semblant relever davantage d'un désir de voir continuer la construction de l’immeuble;
[96] Il en aurait été tout autre si les postes de réclamation se limitaient à la simple protection de l’ouvrage tel qu’initié, ou autrement de précautions utiles ou nécessaires à ne pas causer de dégradation à l’ouvrage, mais cette démonstration (ou cette preuve) ne fut pas offerte;
Considération - Équité
[97] Les Bénéficiaires suggèrent subsidiairement que si le droit ou les faits ne les favorisent pas, que le soussigné se devrait de les accommoder par le biais de l’article 116 du Règlement, lequel prévoit que l’« arbitre statue conformément aux règles de droit », mais qu’il « fait aussi appel à l’équité lorsque les circonstances le justifient »;
[98] Pour mieux comprendre la portée du recours à l’équité prévu par la loi, les Bénéficiaires plaident qu’il est important de faire la lumière sur le concept fondamental d'équité. Selon une première interprétation généralement acceptée, l'équité renvoie aux notions d'égalité, et d'impartialité (qui sont associées aux normes de justice naturelle). Dans ce sens large, le concept d’« équité » englobe toutes les institutions et règles de droit conçues pour atteindre l'objectif de justice;
[99] J’en conviens, dans certaines circonstances, l'application des règles de droit matériel peut, en raison de leur caractère général, entraîner une « injustice », et il est vrai que les règles sont parfois incapables de rendre compte de la réalité complexe de la vie en société. Afin de prévenir les injustices, l' « équité », dans un sens plus restreint, conduit les autorités judiciaires à écarter ou à compléter les règles strictes du droit en tenant compte des circonstances particulières de chaque cas. Un auteur qui me fut cité évoque ces fonctions d'écartement et de complément de l' « équité » dans les termes suivants : « une opposition à la rigidité du droit, du "droit strict" »;
[100] La version anglaise du règlement prévoit que l’arbitre peu faire appel à « fairness », et plus précisément « he [the arbitrator ] shall also appeal to fairness where circumstances warrant »;
[101] Il est intéressant de noter que le législateur n’a pas utilisé le terme « equity »;
[102] Mes propres recherches suggèrent que dans la tradition anglaise, le terme "equity" désigne les règles et les doctrines qui ont été appliquées pour tempérer la rigidité qui caractérisait la common law aux treizième et quatorzième siècle. La « juridiction équitable » (telle qu’elle s’identifiait à l’époque) était à l'origine administrée par le Lord Chancellor et plus tard par la Cour de Chancery pour corriger ou compléter la common law. Les « cours d’équité » ont alors reconnu de nouveaux droits et recours en se référant aux concepts généraux de conscience, de bonne foi, de justice et d'équité. Depuis la promulgation de la Judicature Act de 1873-75 en Angleterre, les deux systèmes de common law et d'Equity sont administrés par les mêmes tribunaux;
[103] Dans notre juridiction de tradition de droit civil (comme dans celles de tradition de Common Law), l'équité constitue également un concept qui s'est manifesté à l'origine dans les règles et doctrines du droit prétorien romain. Cependant, contrairement à son développement historique en droit anglais, l'équité est toujours restée une partie intégrante des systèmes de droit civil. En droit privé, le concept trouve son expression dans sa fonction prépondérante, notamment lorsque les décideurs, conscients de leur incapacité à passer outre les normes explicites, tempèrent le pouvoir de ces normes par une interprétation « habile » du droit et des faits de manière à adopter ce qui est clairement la décision la plus « équitable ». Pour atteindre ce but, l'arbitre s’oblige à faire appel à un principe général pour réduire la portée d'une disposition spécifique ou peut mettre l'accent sur certains faits et en minimiser d'autres;
[104] L'équité se manifeste également, en droit positif, par l'intégration d'un certain nombre de "notions à contenu variable". Il s'agit notamment de règles spécifiques fondées sur les intérêts d’une forme de justice, qui permettent aux tribunaux de déroger et d'ajouter aux normes législatives (et contractuelles). Notamment, le Code civil du Québec impose certaines exigences de "bonne foi", qui transcendent le respect des droits stricts. Elles interdisent l'exercice abusif ou déraisonnable des droits et reconnaissent le rôle auxiliaire de " l'équité " dans la détermination des obligations contractuelles. Ils introduisent également la règle de la justice contractuelle, qui vise à rétablir l'équilibre entre les obligations des parties. Ces règles et principes légitiment effectivement les interventions judiciaires prépondérantes et auxiliaires visant à trouver la solution la plus « équitable » dans les circonstances;
[105] Cette fonction auxiliaire de l'équité est possible lorsque le législateur refuse de donner des paramètres précis et laisse aux décideurs le soin de précéder le traitement individuel (dans certaines limites légales), mais il ne s’agit alors pas « d’équité »;
[106] Quoi qu'il en soit, je me dois de demeurer constant – je réitère et précise que ma décision ainsi que ma juridiction se limitent strictement à l'application du Règlement. Je ne peux donc décider de tout poste de réclamation qui puisse relever de l'application d'autres lois, même si je pense que d'autres lois pourraient s'appliquer au présent litige;
[107] Le rôle du présent Tribunal consistant à agir quant à un différend portant sur une décision de l’Administrateur concernant une réclamation, il s’agit donc de déterminer si l’Administrateur a correctement considéré une réclamation dans le cadre de la garantie;
[108] Les Bénéficiaires, sensibles au fait que ni le Règlement ni le plan de garantie ne rencontrent leurs besoins présents ou leurs demandes, ont suggéré fortement que nous sommes en présence d'un vide que le soussigné pourrait combler par le biais d'une discrétion qui m'est accordée, entre autres à l'article 116 du Règlement qui, tel que ci-haut repris, prévoit (entre autres) qu'un arbitre peut faire appel à l'équité lorsque les circonstances le justifient;
[109] Je suggère, avec grand respect pour toute opinion à l'effet contraire, que le droit de l'arbitre prévu au Règlement l’habilitant à recourir à l'équité afin d'inclure ce qui n'est pas spécifiquement prévu dans le cas qui nous concerne (ou autrement un dépassement de ce qui est prévu par la jurisprudence) doit, à tout le moins, prendre source au contrat de garantie et du Règlement habilitant le soussigné. Le pouvoir discrétionnaire en équité doit faire l'objet d'une utilisation logique, raisonnable et judicieuse, et ne peut être utilisé ou interprété de façon à habiliter un décideur à contredire, ou à outrepasser un texte, ou l’état du droit qui me semble clair et limpide;
[110] Nous rappelons que la Loi sur le bâtiment et le Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs ont prévu un ensemble de mécanismes qui sont censés favoriser, à peu de frais, et de manière expéditive, la résolution des différends découlant d’un plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs;
[111] Le Règlement est d’ordre public et, tel que confirmé à diverses reprises par notre Cour d’appel, il prévoit que toute disposition d’un plan de garantie qui est incompatible avec le Règlement est nulle. Conséquemment, le Tribunal se réfère aux articles du Règlement lorsque requis, sans rechercher la clause correspondante au contrat de garantie, s’il en est;
[112] À titre d’arbitre désigné, le soussigné est donc autorisé par la Régie à trancher tout différend découlant du plan de garantie, et bien que ceci inclut toute question de faits, de droit et de procédures, les éléments de la présente décision doivent prendre source dans le texte du Règlement (ou du Plan de garantie);
[113] La Loi et le Règlement ne contiennent pas de clause privative complète, l’arbitre a compétence exclusive. Sa décision lie les parties; elle est finale et sans appel;
[114] Certes, le Tribunal d’arbitrage établi par le Règlement a le pouvoir d’apporter à chacun une aide équitable et impartiale de façon à faire apparaître le droit et d’en assurer la sanction. Cependant, chaque cas en étant un d’espèce, avant de citer les motifs d’une décision rendue par nos prédécesseurs ou par la Cour d’appel, il s’avère crucial de regarder quels ont été les faits qui ont amené à cette décision;
Application aux faits
[115] Enfin, et ceci est d’importance dans le présent dossier, l’arbitre doit statuer conformément aux règles de droit. Il peut aussi faire appel à l’équité lorsque les circonstances le justifient, mais l’appel à l’équité par le biais de l’article 116 du Règlement ne peut être utile à faire échec à une disposition du Plan qui est, semble-t-il, sans ambiguïté et calquée sur un Règlement qui est d’ordre public. Je ne peux appuyer la thèse que par le biais de l’article 116, un décideur puisse, par souci d’équité, faire fi des exclusions prévues à la Loi, au Règlement et à la jurisprudence qui en découle, et ajouter à ce qui n’a pas été spécifiquement prévu par le législateur;
[116] Au risque de redite, l'article 26 du règlement stipule très clairement l’étendue de la garantie dans le cadre de manquement de l'entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles :
[116.1] le tout doit prendre source dans un manque de clarté, et/ou une forme d'ambiguïté au contrat de garantie et du Règlement habilitant le soussigné;
[117] Le pouvoir discrétionnaire en équité doit faire l'objet d'une utilisation logique, raisonnable et judicieuse, et ne peut être utile à habiliter un décideur à élargir l’éventail de la couverture (que je me garde de qualifier) à ce qui, de toute évidence, n’est pas couvert et/ou dépasse les barèmes, ou limites, spécifiquement prévus;
[118] Je ne peux appuyer la thèse que par le biais de l'article 116, un décideur puisse simplement faire fi des limites prévues par la loi et au Règlement et ajouter une situation qui n'a pas spécifiquement été incluse par le législateur et/ou qui irait à l'encontre des enseignements très récents de la Cour supérieure, et ce, simplement parce qu'il s'agit d'un manquement, si inqualifiable soit-il, de l'Entrepreneur;
[119] Tel que ci-haut repris, nous savons que l'arbitre désigné est autorisé par la Régie à trancher tout différend découlant des plans de garantie. Ceci inclut toute disposition de faits, de droit et de procédures, mais la réclamation doit prendre souche ou source dans le Règlement (et le plan qui est son accessoire);
[120] Dans mon appréciation (souveraine) des faits et ma compréhension de la loi, de la jurisprudence connue et en dépit du fait que je sympathise (grandement) avec les Bénéficiaires, et malgré qu'il s'agisse sans contredit d'un manquement de l'Entrepreneur de ses obligations contractuelles, je ne peux faire droit à la demande des Bénéficiaires;
[121] Pour l'ensemble des motifs ci-haut repris, je me dois d'accepter et de maintenir la décision de l'Administrateur, et je me dois de rejeter la demande des Bénéficiaires, le tout sans préjudice et sous toutes réserves du droit qui est leur (les Bénéficiaires) de porter devant les tribunaux de droit commun leurs prétentions ainsi que leurs droits de rechercher des correctifs et compensations qu'ils peuvent réclamer, sujets bien entendu aux règles de droit commun et de la prescription civile;
[122] En vertu de l'article 123 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, et bien que les Bénéficiaires n’ont obtenu gain de cause pour aucun des aspects de leur réclamation, je départagerai les frais mais, en utilisant cette fois-ci à bon escient l'article 116, en condamnant les Bénéficiaires à 1 $ et l'Administrateur pour le reliquat.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
REJETTE la demande des Bénéficiaires;
MAINTIENT la décision de l’Administrateur;
LE TOUT, avec frais d’arbitrage, pour la présente décision, à la charge de la Garantie avec intérêt auto-légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter de la date de la facture émise par le Centre après un délai de grâce de trente (30) jours.
RÉSERVE à la Garantie ses droits à être indemnisée par l’Entrepreneur, pour les coûts exigibles pour l’arbitrage (paragraphe 19 de l’annexe 2 du Règlement) en ces lieux et place, et ce, conformément à la convention d’adhésion prévue à l’article 78 du Règlement.
Montréal, le 10 mai 2022
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Michel A. Jeanniot, ClArb.