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ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN

DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS

(décret 841-98 du 17 juin 1998)

 

Organisme d'arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment :

Le Groupe d'arbitrage et de médiation sur mesure (GAMM)

 

 

 

ENTRE :

Chantal Labbé

(ci-après la « bénéficiaire »)

 

ET :

Les Résidences P.F. inc.

(ci-après l'« entrepreneur »)

 

ET :

La Garantie Habitation du Québec inc.

(ci-après l'« administrateur »)

 

 

No dossier QH : 24999-1

Nos dossiers GAMM : 2008-09-016 et 2008-09-019

 

 

SENTENCE ARBITRALE

 

 

 

Arbitre :

M. Claude Dupuis, ing.

 

Pour la bénéficiaire :

Me Évelyne Morand

 

Pour l'entrepreneur :

Me Jean Dallaire

 

Pour l'administrateur :

Me Avelino De Andrade

 

Dates d’audience :

10 juin et 15 octobre 2009

 

Lieu d'audience :

Saint-Amable

 

Date de la sentence :

20 novembre 2009

I : INTRODUCTION

[1]                À la demande de l'arbitre, les audiences se sont tenues à la résidence de la bénéficiaire.

[2]                Il s'agit ici d'une habitation unifamiliale reçue le 9 septembre 2004 et sise au 377, rue des Marguerites, à Saint-Amable.

[3]                Le 30 octobre 2007 et le 4 mars 2008, la bénéficiaire actuelle, Mme Chantal Labbé, adressait une réclamation auprès de l'administrateur. Ce dernier, en date du 18 avril 2008, émettait un rapport d'inspection contenant huit points.

[4]                Ce rapport d'inspection a été la source de deux demandes d'arbitrage.

[5]                La demande d'arbitrage de la bénéficiaire, datée du 15 mai 2008, conteste les conclusions relatives aux éléments suivants du rapport précité :

-          Affaissement des fondations

-          Colonne cylindrique sous la poutre au sous-sol : ajustement

-          Plancher du sous-sol : dalle de béton

-          Mur des fondations latérale gauche : coin inférieur gauche de la fenêtre de chambre du sous-sol

-          Fissures sur la surface de finition : placoplâtre et coulis

[6]                La demande d'arbitrage de l'entrepreneur conteste les conclusions relatives à l'élément suivant du rapport d'inspection de l'administrateur :

-          Murs des fondations latérale droit : fissure

[7]                Les conclusions du rapport de l'administrateur daté du 18 avril 2008 se résument comme suit :

Affaissement des fondations

L'administrateur indique qu'il ne peut statuer maintenant sur la situation et ordonne à l'entrepreneur de mandater un arpenteur-géomètre afin d'obtenir d'autres données. Suite au dépôt de ce dernier rapport, l'administrateur, en date du 10 juin 2009, émet un rapport supplémentaire statuant que la réclamation de la bénéficiaire est irrecevable, puisque la dénonciation a été reçue dans les trois ans suivant la prise de possession et puisque la dénonciation excède les six mois de la découverte.

La bénéficiaire conteste cette décision.

Murs des fondations latérale droit : fissure

L'administrateur n'a constaté aucun signe de désordre et demande à l'entrepreneur de faire les vérifications et les correctifs requis.

L'entrepreneur conteste cette décision.

Colonne cylindrique sous la poutre au sous-sol : ajustement

L'administrateur ordonne à l'entrepreneur de faire les vérifications et correctifs requis.

La bénéficiaire conteste cette décision, prétextant que ce problème est relié à celui de l'affaissement.

Plancher du sous-sol : dalle de béton ET Mur des fondations latérale gauche : coin inférieur gauche de la fenêtre de chambre du sous-sol

L'administrateur statue que ces points ont été dénoncés dans les trois ans suivant la prise de possession et qu'il ne s'agit pas de vices de construction. Il refuse donc ces deux réclamations.

Fissures sur la surface de finition : placoplâtre et coulis

L'administrateur refuse cette réclamation, statuant que ces fissures résultent du comportement normal des matériaux.

[8]                Lors de la première journée d'audience, soit celle du 10 juin 2009, un point supplémentaire de réclamation fut dénoncé par la bénéficiaire, soit Mur des fondations arrière : fissure au coin inférieur d'une fenêtre. L'administrateur soumet que cette fissure n'était pas présente lors de ses visites d'inspection du 12 février et du 8 avril 2008, et il statue ce qui suit : il n'a constaté aucun signe de désordre structural et il ordonne à l'entrepreneur de réparer cette fissure.

Visite des lieux

[9]                Lors de la première journée d'audience, soit le 10 juin 2009, il y eut visite des lieux en présence des trois parties impliquées.

[10]            Auparavant, deux rapports d'experts avaient été déposés au tribunal, soit celui daté du 3 février 2008 de M. Claude Guertin, ingénieur, de ProspecPlus Conseils inc., firme retenue par la bénéficiaire, et celui du 3 juin 2009 de M. Denis Michaud, ingénieur, de Inspec-Sol inc., firme retenue par l'entrepreneur.

[11]            Ces deux experts n'étaient pas présents lors de la visite des lieux.

[12]            Cette visite a démontré la présence d'au-delà de 40 manifestations ou désordres importants, la plupart à l'intérieur de la propriété, répartis au rez-de-chaussée et à l'étage, et les autres, telles des fissures, à l'extérieur, sur les murs de fondation.

[13]            Le rapport d'expertise de ProspecPlus Conseils dénombre, en résumé, 32 déficiences, dont certaines comportent plusieurs lézardes.

[14]            Il s'agit de portes qui ne ferment pas, de dénivellation de plancher, d'espacement entre les lattes de bois du plancher, de portes qui se ferment d'elles-mêmes, de fissures dans le gypse, de fissures dans la céramique, de mauvais fond de clouage, d'espace important entre la porte et le cadrage, de fissure majeure dans la dalle de béton du sous-sol, de bombements importants dans le plancher flottant du sous-sol, de fissure importante de l'ordre de 3/16 pouce d'épaisseur dans le mur de fondation latéral droit, etc., etc...

[15]            Lors de cette visite, cette unité d'habitation ressemblait plus à un chantier de construction qu'à une maison habitable.

[16]            L'expert retenu par la bénéficiaire, soit M. Guertin, conclut son expertise comme suit :

À la lumière de ces faits et de ces calculs, nous expliquons l'affaissement des fondations de la propriété de Mme Labbé par un mauvais dimensionnement des semelles lors de la construction. Ainsi, la solution la plus économique pour stabiliser l'ouvrage est de procéder à l'enfoncement de pieux. Ces travaux seront tout de même coûteux.

Vous trouverez, en annexe 1, une estimation budgétaire ventilée pour la réalisation des travaux. Ainsi, vous constaterez qu'il en coûterait plus de 105 400,00 $ pour la réalisation des travaux de pieutage et des travaux connexes.

[17]            L'expert retenu par l'entrepreneur, soit M. Michaud, conclut son expertise comme suit :

Cependant, pour qu'un tassement soit acceptable, il doit être inférieur à 25 millimètres (1.0 pouces [sic]), et les valeurs estimées ici sont de beaucoup supérieures.

Par conséquent, nous ne croyons pas qu'une fondation conventionnelle sur semelle puisse se faire sur tel sol sans que des tassements inacceptables ne se produisent et d'autres types de fondation doivent donc être analysés pour assurer des tassements acceptables.

[18]            Cette habitation ayant été construite sur une semelle de 30 pouces, le rapport Guertin indiquant que le sol en question exigeait des semelles de 61 pouces et le rapport Michaud indiquant que le sol en question ne pouvait supporter des semelles conventionnelles, la conclusion s'imposait d'elle-même.

Admission

[19]            À l'instigation du soussigné, dès l'ouverture de la deuxième journée d'audience, soit le 15 octobre 2009, les trois parties ont admis ce qui suit : « Cette unité d'habitation a subi un affaissement, il y a eu mouvement de sol et désordre structural. »

[20]            Cette admission va majoritairement à l'encontre des conclusions des deux rapports de l'administrateur, ci-devant mentionnés.

[21]            De plus, cette admission fait en sorte que les divers éléments de réclamation cités dans les rapports de décision de l'administrateur se confondent en un seul, soit Affaissement des fondations; la présente sentence servira donc de dispositif pour les deux demandes d'arbitrage, soit celle de la bénéficiaire et celle de l'entrepreneur.

[22]            Le tribunal doit se pencher maintenant sur la question de la responsabilité de l'entrepreneur face à ce vice de sol ainsi que, le cas échéant, sur la question du délai de dénonciation raisonnable ne devant pas dépasser six mois de la découverte, énoncé à l'article 10.5° du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs.

Les témoins

[23]            En cours d'enquête, les personnes suivantes ont témoigné :

-          Mme Chantal Labbé, bénéficiaire

-          M. Samuel Gemme, responsable du Service d'Urbanisme, Municipalité de Saint-Amable

-          M. Claude Guertin, ingénieur, ProspecPlus Conseils inc., firme retenue par la bénéficiaire

-          M. Nicolas Moukhaiber, directeur général, Municipalité de Saint-Amable

-          M. Denis Michaud, ingénieur, Inspec-Sol inc., firme retenue par l'entrepreneur

-          M. Martin Leclerc, responsable du service après-vente, Les Résidences P.F. inc.

[24]            Les parties ont accordé au soussigné un délai de soixante (60) jours à compter de la date de la deuxième journée d'audience pour rendre sentence dans la présente affaire.

II : POSITION DE LA BÉNÉFICIAIRE

[25]            Initialement, l'unité d'habitation avait été construite pour M. Jean-François Lavergne et Mme Laura Martin; la réception a eu lieu le 9 septembre 2004.

[26]            Mme Labbé, la plaignante, en a fait l'acquisition des anciens propriétaires le 14 juin 2006, par l'intermédiaire d'un agent. Ni l'agent ni les anciens propriétaires n'ont fait mention de désordre dans la propriété.

[27]            Auparavant, toutefois, Mme Labbé avait mandaté la firme AmeriSpec pour une inspection pré-achat; le résumé du rapport de cette firme suite à l'inspection réalisée le 14 mars 2006 se présente comme suit :

Commentaires                         Cette maison se compare favorablement aux autres maisons du même âge et type. Aucun défaut majeur n'a été observé ou noté; seulement des items mineurs d'entretien et de réparation ont été observés.

[28]            Mme Labbé admet que de juin à décembre 2006, dans la première chambre d'enfant au rez-de-chaussée, elle a refait les joints et appliqué de la peinture; toutefois, il n'y avait aucune fissure majeure.

[29]            Au sous-sol, dans les deux chambres d'enfant, elle a fait une garde-robe, tiré des joints et peinturé; aucune fissure n'était visible; le plancher de béton étant recouvert, il n'y avait pas de dénivellation apparente.

[30]            Les tuiles étant décollées, la bénéficiaire a fait refaire le plancher de cuisine, après avoir installé des croix pour stabiliser le plancher sous les tuiles.

[31]            En mars 2007, un bombement est apparu dans la région de l'escalier; elle a donc procédé à un appel de service avec l'entrepreneur.

[32]            Par la suite, elle a communiqué avec l'entrepreneur pour des problèmes avec la porte avant ainsi qu'une fenêtre.

[33]            Un bombement déjà apparent sur le plancher du sous-sol s'est agrandi; Mme Labbé a ouvert le plancher en septembre 2007 et a constaté une fissure importante; elle a alors cessé tous les travaux.

[34]            Le témoin admet que dès l'achat, un meuble n'était pas de niveau dans sa chambre à coucher.

[35]            Lors de l'achat, en juin 2006, il n'y avait pas de fissure extérieure sur les fondations; la fissure près de la tourelle serait apparue en décembre 2006 et elle s'est agrandie jusqu'en septembre 2007; c'est alors qu'un de ses voisins lui aurait souligné qu'il y avait probablement un problème de sol.

[36]            En septembre 2007, la plaignante a une fois de plus fait appel à la firme AmeriSpec pour une nouvelle inspection. Après avoir visité les lieux, cette dernière a soumis à sa cliente un commentaire daté du 27 septembre 2007, dont voici un extrait :

Nous avons visité le sous-sol de la maison par la suite où, nous avons vu une fois de plus une évidence de fissures aux murs et au plafond. Il nous fut facile de les voir à ce moment là [sic] car, vous aviez enlevé le recouvrement des murs et du plafond. Vous aviez aussi enlevé une partie du plancher flottant ce qui nous à [sic] permis de voir de sérieuses fissures dans le plancher, nous amenant à croire qu'il pourrait y avoir présence de pyrite. Il nous apparaît qu'une des fissures s'étend complètement à la largeur de la maison.

Le problème actuel n'est pas un problème normal. Notre compagnie n'est pas qualifiée pour en déterminer la ou les cause(s) concernant le mouvement apparent de la maison. Nous avons appris qu'il y a des maisons dans ce secteur qui ont été structurellement renforcées due [sic] à la qualité du sol. En ce moment nous recommanderions qu'un ingénieur ou, un spécialiste en sol soit appelé pour déterminer la cause fondamentale du problème. Ce n'est qu'après cette condition que nous pourrons déterminer les étapes à suivre pour rectifier la situation.

[37]            Finalement, la bénéficiaire a acheminé sa première dénonciation de cette situation à l'administrateur le 30 octobre 2007.

[38]            M. Claude Guertin, ingénieur, est l'auteur de l'expertise de la firme ProspecPlus Conseils inc., dont les services ont été retenus par la bénéficiaire.

[39]            M. Guertin, contrairement à M. Labelle, inspecteur pour l'administrateur, est catégorique à l'effet que ni la piscine installée après l'achat de la propriété par Mme Labbé, ni l'absence de gouttières ne peuvent être les causes des fissures dans les fondations et de l'affaissement.

[40]            En 2007, il n'y avait pas de fissure sur le mur arrière des fondations; maintenant, il y en a.

[41]            M. Guertin est d'avis que la fissure sur le mur latéral droit de la fondation (près de la tourelle) a été causée par l'affaissement des fondations.

[42]            Selon le témoin, des fissures causées par l'aménagement de la piscine seraient apparues instantanément; or, lors d'une visite effectuée après l'installation de la piscine, M. Guertin n'a observé aucune fissure.

[43]            Le témoin critique ensuite le rapport supplémentaire de l'administrateur, daté du 18 avril 2008, dans lequel ce dernier, suite aux données recueillies par l'arpenteur-géomètre, conclut que la maison repose maintenant sur un sol stable; à cet égard, le témoin estime que le délai de six mois pour la prise de mesures est trop court et que les repères de nivellement utilisés par l'arpenteur sont inappropriés.

[44]            M. Guertin témoigne à l'effet que le plancher flottant au sous-sol est un revêtement souple pouvant cacher un dénivellement important sur la surface de béton, de sorte que depuis deux ans, la dénivellation s'est accentuée sans que ce soit apparent.

[45]            L'expert souligne que dans le présent dossier, la dimension des semelles installées par l'entrepreneur est de 30 pouces (28 ¾ pouces); il cite un extrait de son rapport :

Ainsi, en considérant qu'une charge de 3695 livres par pied linéaire est appliquée au sol par les semelles filantes (avant et arrière) et que le sol a une capacité portante de 731 livres, nous sommes d'avis que la dimension minimale des semelles de fondation devrait être de 61 pouces. Or, la dimension des semelles de fondation actuelles est de seulement 28 ¾" pouces.

[46]            Il explique qu'en présence de semelles sous-dimensionnées, le mouvement s'effectuera à travers le temps; ce mouvement débute avec des indices non apparents; ensuite, surviennent des bombements avec des petits signes, alors que ça nécessite une analyse approfondie pour faire le lien de causalité; le tassement normal se fait sur une période de cinq ans.

[47]            Relativement à la dénivellation de plancher dans la chambre principale, M. Guertin soumet que le rapport d'inspection pré-achat d'AmeriSpec ne la dénonce pas.

[48]            L'expert avoue qu'il est très rare de voir un sol de si faible capacité; il cite à cet égard un extrait d'une étude géotechnique réalisée par la firme LVM Technisol, à la demande de la bénéficiaire :

Nous estimons par ailleurs les tassements totaux sous la semelle filante à environ 200 millimètres. Ces tassements ont commencé à la fin de la construction et ils se produiront à long terme, sur plusieurs années. Ils excèdent de façon très significative la valeur maximale de 25 mm généralement acceptable selon les règles de l'art.

Argumentation

[49]            La procureur rappelle que la plaignante, Mme Labbé, a pris possession comme deuxième propriétaire occupante en juin 2006 et que c'est seulement à l'automne 2007 qu'elle a pris connaissance des éléments. En effet, l'expertise pré-achat d'AmeriSpec ne démontre rien de notable.

[50]            En mars 2007, elle aperçoit certaines défectuosités et elle contacte l'entrepreneur Pro-Fab; ce dernier abaisse la poutre centrale de 2,5 cm et n'informe pas Mme Labbé qu'il existe un problème important; si un professionnel du bâtiment en mars 2007 ne perçoit pas un problème important de structure, comment peut-on demander à Mme Labbé de s'en apercevoir?

[51]            La plaignante constate la gravité en septembre 2007 lorsqu'elle découvre le plancher.

[52]            Un expert nous a fait part que de façon générale, les manifestations surviennent sur une certaine période de temps et que le tassement est continu sans effet majeur continu.

[53]            Mme Labbé s'en est rendu compte en automne 2007, alors que même les experts de Pro-Fab ne le savaient pas.

[54]            La procureure cite les articles 2098 à 2100 du Code civil du Québec et soumet que l'entrepreneur a une obligation de résultat.

[55]            À l'origine, les plans de l'entrepreneur indiquaient des semelles de 24 pouces; ils étaient déjà fautifs; suite à l'émission du permis de construction, l'entrepreneur a corrigé les plans, indiquant des semelles de 30 pouces; ces plans étaient encore fautifs; l'obligation de l'entrepreneur va au-delà des indications d'un tiers.

[56]            Relativement aux prétentions des autres parties, la procureure soumet qu'il n'existe aucune preuve à l'effet que le premier acheteur était au courant de quoi que ce soit et à l'effet qu'il y a eu maquillage du plancher au sous-sol.

[57]            À l'appui de son argumentation, la procureure a soumis les autorités suivantes :

-          Vincent KARIM, Les contrats d'entreprise, de prestation de services et l'hypothèque légale, Montréal, Wilson & Lafleur, 2004 (extrait relatif à l'article 2118 C.c.Q.).

-          Banque de Montréal c. Bail, (Cour suprême du Canada) EYB 1992-67806.

-          Chicoine c. Les Entreprises Florent Beauregard inc., (C.S.) REJB 1997-07570 .

-          Légaré c. Aménagements Pelletier inc., (C.Q.) REJB 2002-33734 .

-          Transport R. Larouche & Fils inc. c. Boily, 2007 QCCQ 2867 (CanLII).

-          Les Constructions André Malo inc. et Arsenault et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ inc., T.A., Me Michel A. Jeanniot, arbitre (SORECONI), 2008-11-04.

-          Raymond c. Garantie des maisons neuves de l'APCHQ, 2007 CanLII 69955 (QC O.A.G.B.R.N.), 2007-04-05.

III : POSITION DE L'ENTREPRENEUR

[58]            MM. Samuel Gemme et Nicolas Moukhaiber, respectivement responsable du Service d'Urbanisme et directeur général de la Municipalité de Saint-Amable, ont été interrogés.

[59]            Depuis 1998, la Municipalité émet à chaque demandeur de permis une recommandation qui se présente comme suit :

                         Municipalité

                         de Saint-Amable

RECOMMANDATION

La Municipalité de Saint-Amable recommande à chaque propriétaire, contracteur, constructeur de nouvelles constructions (résidence, commerce, industrie et institution) de s'assurer de la capacité portante du sol, en rapport au type de construction qu'ils se proposent d'y ériger, avant de débuter les travaux.

                                                              Service d'Urbanisme et Permis

[60]            De 1998 à 2006, la Municipalité n'exigeait pas d'accusé de réception relativement à cette recommandation.

[61]            En 2003, la Municipalité a fait faire une étude géotechnique sur son territoire, qui laissait entrevoir des problèmes de capacité portante du sol dans les nouveaux secteurs, dont celui de la rue des Marguerites où est située la maison de Mme Labbé.

[62]            L'étude géotechnique avait été produite avant l'émission du permis de construction au premier acheteur, M. Lavergne, en juillet 2004.

[63]            Le directeur général nous informe que la Municipalité, jusqu'en 2006, a adopté une politique exigeant des semelles d'une largeur minimum de 30 pouces. Depuis 2006, la Municipalité exige une preuve de réception de la recommandation ci-devant citée. Depuis 2009, la Municipalité impose maintenant un plan d'ingénieur.

[64]            Également, en 2009, la Municipalité a mis sur pied un programme d'aide pour les propriétaires de maisons affaissées.

[65]            M. Denis Michaud, ingénieur et expert en géotechnique, est l'auteur du rapport d'expertise de la firme Inspec-Sol retenue par l'entrepreneur.

[66]            Il explique que dans le secteur concerné, l'argile est enfouie sous deux mètres de sable; il ajoute que dans ces conditions, les semelles existantes ne sont pas suffisantes, mais qu'il y a une limite à élargir les semelles vu l'augmentation de la contrainte causée par celles-ci.

[67]            Selon le témoin, le tassement débute dès l'application de la charge; à l'aide de graphiques, il opine que le tassement avant en juin 2006 était de l'ordre de 4 pouces, tandis que le tassement arrière était d'environ 1,5 pouce; d'où la notion de différentiel de tassement, lequel est la source des désordres sur la propriété.

[68]            La fissure sur le côté droit près de la tourelle a été causée par le tassement.

[69]            M. Michaud affirme que le tassement a débuté avant l'achat en 2006 de la propriété par Mme Labbé; toutefois, pour les manifestations, il n'existe pas de règles. Il y a un mouvement qui se fait, la ou les fissures existent, mais elles peuvent apparaître tardivement.

[70]            Les différentes propriétés affectées ne se comportent pas toutes de la même façon.

[71]            L'ingénieur affirme que dans le présent dossier, à cause des conditions du sol et afin de corriger les fondations adéquatement, le pieutage devra se rendre jusqu'à une profondeur de 75 pieds.

[72]            M. Martin Leclerc est responsable du service après-vente pour l'entrepreneur.

[73]            Les Résidences P.F. inc. installe les maisons préfabriquées en usine par Pro-Fab; les actionnaires sont les mêmes pour les deux entreprises; le siège social est à Vallée-Jonction, et il y a un bureau de vente à Beloeil.

[74]            M. Leclerc affirme que son entreprise ne connaissait pas le secteur de Saint-Amable avant la construction de la propriété appartenant maintenant à Mme Labbé.

[75]            Auparavant, Les Résidences P.F. inc. avait déjà installé deux maisons à Saint-Amable, soit en 2003 et 2004.

[76]            La procédure habituelle consiste à demander au client propriétaire du terrain de se procurer le permis de construction auprès de la Municipalité avant de débuter les travaux; subséquemment, l'entrepreneur adapte les plans en conséquence.

[77]            M. Leclerc déclare qu'il n'a jamais reçu de la part du propriétaire la recommandation de la Municipalité de Saint-Amable à l'effet de s'assurer de la capacité portante du sol; leur plan initial indiquait des semelles de 24 pouces; après avoir consulté le permis de construction, l'entrepreneur a modifié son plan, indiquant des semelles de 30 pouces; l'entrepreneur a alors ajusté son prix de vente en conséquence.

[78]            Le témoin affirme que s'il avait eu en sa possession la recommandation de la Municipalité relativement au sol, il aurait exigé une étude de sol; il conclut que la Municipalité n'a pas fait son travail.

[79]            L'entrepreneur n'a reçu aucun appel de service de la part du premier propriétaire occupant; le premier appel est parvenu de Mme Labbé le 28 mars 2007, et ce service s'est effectué le 28 avril 2007; un formulaire a été complété par l'entrepreneur à cet effet (PF-7).

[80]            Un deuxième appel de service est survenu le 25 septembre 2007; aucun rapport écrit de l'entrepreneur n'existe relativement à ce deuxième appel.

Argumentation

[81]            Le procureur est d'avis que l'entrepreneur n'est pas responsable de la présente situation.

[82]            Mme Labbé est victime du vendeur, le premier occupant, qui connaissait le problème, et il s'en est débarrassé en revendant à la plaignante.

[83]            De plus, depuis 1998, les représentants de la Municipalité de Saint-Amable ont agi de façon irresponsable; en effet, les dirigeants connaissaient les problèmes importants avec le sol, et aujourd'hui, le directeur général prétend agir en bon père de famille après avoir laissé les gens se construire dans la glaise.

[84]            Le procureur se réfère à l'article 10 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs relativement au délai de dénonciation de six mois.

[85]            Ce délai débute au moment où le premier acheteur a constaté le vice; Mme Labbé n'a pas droit à un nouveau délai.

[86]            AmeriSpec, firme retenue par Mme Labbé pour son inspection pré-achat, n'a rien vu; or, son examen se limite à deux endroits seulement.

[87]            Or, dans le sous-sol, il y avait une fissure, car il y avait affaissement; il est probable que cet affaissement ait débuté au moment où M. Lavergne était propriétaire; ce dernier camoufle et vend la propriété; nous sommes à Saint-Amable, et les problèmes de sol étaient de connaissance publique.

[88]            L'expert Denis Michaud a témoigné que les fissures apparaissent rapidement; puisqu'au moment de l'achat par Mme Labbé l'affaissement était de 4 pouces, il est probable que les désordres structuraux existaient déjà.

[89]            En droit, l'acheteur diligent a l'obligation de faire affaire avec un expert, ce qui ne semble pas être le cas d'AmeriSpec.

[90]            Le procureur se demande pourquoi Mme Labbé, immédiatement après l'achat, a fait refaire le plancher de céramique dans la cuisine, alors que le rapport d'AmeriSpec n'indiquait rien à cet effet.

[91]            Le fait est que le vendeur, premier propriétaire occupant, avait la connaissance du problème de sol; le délai de six mois a donc débuté en juin 2006, alors que Mme Labbé n'a adressé sa réclamation à l'administrateur que le 30 octobre 2007.

[92]            Même si l'on considérait la date du 28 mars 2007, soit la date du premier appel de service auprès de l'entrepreneur, le délai de six mois serait aussi dépassé.

[93]            Or, ce premier appel à Résidences P.F. était le signe d'un désordre important; l'entrepreneur a constaté un bombement et a abaissé le poteau de 2,5 cm; l'entrepreneur n'avait pas d'autre mandat.

[94]            L'entrepreneur bénéficie de l'exonération prévue à l'article 2119 du Code civil du Québec.

[95]            L'entrepreneur n'est pas le propriétaire du terrain et ce n'est pas lui qui fait la demande de permis. L'entrepreneur ne reçoit pas la recommandation de la Municipalité relativement à l'étude du sol, mais on peut présumer que le propriétaire à l'époque l'avait, si l'on se fie aux témoignages des dirigeants de la Municipalité. L'expert Michaud témoigne que la capacité du sol sous la propriété nécessite l'installation de pieux; alors, pourquoi la Municipalité a-t-elle induit le propriétaire en erreur en spécifiant des semelles de 30 pouces?

[96]            En consultant le permis émis par la Municipalité, l'entrepreneur était justifié de se conformer à l'expertise de cette dernière. Or, depuis 1998, la Municipalité connaissait l'état glaiseux de ce sol.

[97]            Le procureur souligne que dans le protocole d'entente émis par la Municipalité en 2009, celle-ci reconnaît sa responsabilité.

[98]            À l'appui de son argumentation, le procureur a soumis les autorités suivantes :

-          Gagnon et Saindon c. Les Constructions Levasseur inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ inc., T.A., Marcel Chartier, arbitre (SORECONI), 2006-12-12, 2006 CanLII 60508 (QC O.A.G.B.R.N.).

-          Art. 2104, 2118 et 2119, C.c.Q.

-          Vincent KARIM, Les contrats d'entreprise, de prestation de services et l'hypothèque légale, Art. 2119, p. 291 à 297.

-          Jean-Louis BAUDOUIN et Patrice DESLAURIERS, La responsabilité du constructeur, EYB2007RES39, p. 35 à 38.

-     Lanthier c. Entreprises P.F. St-Laurent inc., (C.S.) REJB 2004-53888 .

-          Promutuel Lévisienne-Orléans, société mutuelle d'assurance générale c. Fondations du St-Laurent (1998) inc., (C.Q.) EYB 2008-145802.

-     Promutuel Lévisienne-Orléans, société mutuelle d'assurance générale c. Fondations du St-Laurent (1998) inc., (C.A.) EYB 2008-148050.

-          9041-8922 Québec inc., f.a.s.r.s. A.R.T. Construction c. Service de rénovations R.S. inc., (C.S.) EYB 2008-150249.

IV : POSITION DE L'ADMINISTRATEUR

[99]            L'administrateur n'a pas soumis de preuve au tribunal dans la présente affaire.

Argumentation

[100]       Le procureur rappelle que Mme Labbé est la deuxième propriétaire et que le permis de construction a été obtenu par le premier acheteur. Il n'existe aucune preuve que l'entrepreneur ait reçu la recommandation de la Municipalité relativement aux conditions du sol.

[101]       Il est probable que M. Lavergne, le premier propriétaire, était au courant de la situation et qu'il ne l'ait pas dénoncée lors de la vente à la plaignante.

[102]       Le procureur cite l'article 2119 du Code civil du Québec.

[103]       Or, le terrain appartenant à M. Lavergne, l'entrepreneur s'est vu imposer un terrain par le premier acheteur; il est donc exonéré de toute responsabilité envers les conditions du sol.

[104]       La Municipalité, dans son programme de compensation, impose une quittance; elle reconnaît donc sa responsabilité.

[105]       Le présent problème se situe en dehors des cadres du plan de garantie; ce dernier ne fait pas supporter par l'entrepreneur l'ensemble des responsabilités des différents intervenants; il serait inéquitable que l'arbitre impose à l'entrepreneur des responsabilités qui incombent à un tiers; ou encore, est-ce qu'un petit entrepreneur peut assumer les responsabilités d'un tiers?

[106]       Comme il s'agit d'un cas où différents intervenants sont responsables de la situation, l'arbitre n'a pas juridiction.

[107]       Relativement au délai de dénonciation, le procureur est d'avis que la situation existait six mois avant octobre 2007. Mme Labbé a elle-même témoigné que la fissure extérieure existait en décembre 2006.

[108]       M. Guertin n'est pas un témoin expert convaincant, car il n'a pas démontré une bonne objectivité.

[109]       Selon l'expert Michaud, l'affaissement existait lorsque Mme Labbé a acheté.

[110]       Le procureur demande à l'arbitre de décliner juridiction, puisque la situation déborde du plan de garantie.

V : DÉCISION ET MOTIFS

[111]       Le tribunal rappelle l'admission survenue lors de la deuxième journée d'audience, soit le 15 octobre 2009, à l'effet que la maison de la plaignante a subi un affaissement, qu'il y a eu mouvement de sol et désordre structural.

[112]       À l'évidence, la visite des lieux a démontré une perte partielle de l'ouvrage, et les témoignages des experts sont unanimes à savoir que cette perte se poursuit encore aujourd'hui; d'ailleurs, entre la première et la deuxième journée d'audience, d'autres manifestations sont apparues.

[113]       De l'avis du soussigné, dans les circonstances, l'article 2118 du Code civil du Québec trouve application en ce qui a trait à la gravité.

[114]       En ce qui concerne la période de cinq ans, la réception ayant eu lieu le 9 septembre 2004 et la première dénonciation à l'administrateur le 30 octobre 2007, la garantie trouve application.

[115]       Le tribunal cite ci-après l'article 10.5° du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs :

10.  La garantie d'un plan dans le cas de manquement de l'entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception du bâtiment doit couvrir:

[...]

  5°    la réparation des vices de conception, de construction ou de réalisation et des vices du sol, au sens de l'article 2118 du Code civil, qui apparaissent dans les 5 ans suivant la fin des travaux et dénoncés, par écrit, à l'entrepreneur et à l'administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte ou survenance du vice ou, en cas de vices ou de pertes graduelles, de leur première manifestation.

De la responsabilité professionnelle de l'entrepreneur

[116]       Le Code civil du Québec circonscrit en quelques occasions la responsabilité de l'entrepreneur :

Article 2100

L'entrepreneur et le prestataire de services sont tenus d'agir au mieux des intérêts de leur client, avec prudence et diligence. Ils sont aussi tenus, suivant la nature de l'ouvrage à réaliser ou du service à fournir, d'agir conformément aux usages et règles de leur art, et de s'assurer, le cas échéant, que l'ouvrage réalisé ou le service fourni est conforme au contrat.

Lorsqu'ils sont tenus du résultat, ils ne peuvent se dégager de leur responsabilité qu'en prouvant la force majeure.

Article 2104

Lorsque les biens sont fournis par le client, l'entrepreneur ou le prestataire de services est tenu d'en user avec soin et de rendre compte de cette utilisation; si les biens sont manifestement impropres à l'utilisation à laquelle ils sont destinés ou s'ils sont affectés d'un vice apparent ou d'un vice caché qu'il devait connaître, l'entrepreneur ou le prestataire de services est tenu d'en informer immédiatement le client, à défaut de quoi il est responsable du préjudice qui peut résulter de l'utilisation des biens.

Article 2118

À moins qu'ils ne puissent se dégager de leur responsabilité, l'entrepreneur, l'architecte et l'ingénieur qui ont, selon le cas, dirigé ou surveillé les travaux, et le sous-entrepreneur pour les travaux qu'il a exécutés, sont solidairement tenus de la perte de l'ouvrage qui survient dans les cinq ans qui suivent la fin des travaux, que la perte résulte d'un vice de conception, de construction ou de réalisation de l'ouvrage, ou, encore, d'un vice du sol.

Article 2119

L'architecte ou l'ingénieur ne sera dégagé de sa responsabilité qu'en prouvant que les vices de l'ouvrage ou de la partie qu'il a réalisée ne résultent ni d'une erreur ou d'un défaut dans les expertises ou les plans qu'il a pu fournir, ni d'un manquement dans la direction ou dans la surveillance des travaux.

L'entrepreneur n'en sera dégagé qu'en prouvant que ces vices résultent d'une erreur ou d'un défaut dans les expertises ou les plans de l'architecte ou de l'ingénieur choisi par le client. Le sous-entrepreneur n'en sera dégagé qu'en prouvant que ces vices résultent des décisions de l'entrepreneur ou des expertises ou plans de l'architecte ou de l'ingénieur.

Chacun pourra encore se dégager de sa responsabilité en prouvant que ces vices résultent de décisions imposées par le client dans le choix du sol ou des matériaux, ou dans le choix des sous-entrepreneurs, des experts ou des méthodes de construction.

[117]       En ce qui a trait au plan de garantie, l'entrepreneur s'est engagé à ce qui suit :

LISTE DES ENGAGEMENTS DE L'ENTREPRENEUR

L'entrepreneur s'engage:

[...]

  3°    à respecter les règles de l'art et les normes en vigueur applicables au bâtiment;

[...]

[118]       Dans le présent dossier, il n'existe aucune preuve comme quoi le client a imposé un choix quelconque à l'entrepreneur.

[119]       En effet, le client original, M. Lavergne, possédait un terrain; il a demandé à l'entrepreneur d'y ériger une maison selon un plan donné et il a transmis à l'entrepreneur le permis de construction que lui avait procuré la Municipalité de Saint-Amable.

[120]       Il n'existe aucune preuve à l'effet que M. Lavergne connaissait les conditions du sol, ni aucune preuve que M. Lavergne ait imposé à l'entrepreneur une décision sur les méthodes de construction.

[121]       De toute évidence, selon la preuve recueillie, M. Lavergne a servi de courroie de transmission et non de moteur de décision.

[122]       L'immixtion du client dans le présent dossier ne s'impose pas comme une question de fait.

[123]       L'erreur provient-elle de la Municipalité de Saint-Amable? Peut-être. La preuve a démontré que de 1998 à 2009, la Municipalité a procédé de façon incohérente.

[124]       À titre d'exemple, pourquoi émettre un permis de construction indiquant des semelles de 30 pouces et simultanément émettre une recommandation avisant de s'assurer de la capacité portante du sol avant de débuter les travaux?

[125]       Accompagné de cette recommandation, le permis aurait dû tout au moins indiquer des semelles de « 30 pouces minimum ».

[126]       Également, de 1998 à 2009, la Municipalité a été lente à réagir eu égard à ses problèmes de sol; successivement, il y a recommandation sans accusé de réception, puis recommandation avec accusé de réception, et enfin plan d'ingénieur obligatoire. De sorte qu'il n'existe aucune preuve que M. Lavergne ait reçu cette recommandation de la Municipalité lors de l'émission de son permis de construction en 2004.

[127]       Or, le plan de garantie, dans son ensemble, n'exonère pas l'entrepreneur pour des erreurs commises par un tiers.

[128]       S'il y a eu erreur de la Municipalité, l'entrepreneur ne peut se soustraire à sa responsabilité vis-à-vis le plan de garantie.

[129]       Le procureur de l'administrateur soutient que Mme Labbé n'est pas devant le bon forum pour régler son problème; serait-ce l'entrepreneur qui ne serait pas devant le bon forum pour régler le sien? Le tribunal rappelle qu'en 2009, la Municipalité a mis sur pied un programme d'aide pour les propriétaires de maisons affaissées, dans lequel celle-ci contribue financièrement.

[130]       Même s'il s'agissait d'une erreur de M. Lavergne ou d'une omission de celui-ci envers l'entrepreneur, au sens du plan de garantie, ceci n'est pas pertinent au litige.

[131]       En regard du Code civil du Québec maintenant, l'article 2100, au deuxième alinéa, en parlant de l'entrepreneur et du prestataire de services, indique que « lorsqu'ils sont tenus du résultat, ils ne peuvent se dégager de leur responsabilité qu'en prouvant la force majeure. »

[132]       Référant à l'article 2119 du Code civil du Québec relativement au dégagement de l'entrepreneur, il ne s'agit pas ici d'une erreur dans les expertises ou les plans de l'architecte ou de l'ingénieur choisi par le client; il ne s'agit pas non plus d'une décision imposée par le client au sens de cet article.

[133]       Pour sa défense, l'entrepreneur invoque qu'il ne connaissait pas le secteur de Saint-Amable lors de la construction de cette unité d'habitation; le tribunal se questionne à savoir s'il ne fait pas partie des règles de l'art pour un entrepreneur de s'informer minimalement des conditions de sol dans un secteur à l'égard duquel il n'a aucune connaissance.

[134]       Les plans de l'entrepreneur avaient été préalablement faits en spécifiant des semelles de 24 pouces; lorsqu'il a reçu le permis indiquant des semelles de 30 pouces, n'aurait-il pas dû s'informer des motifs auprès de la Municipalité?

[135]       Paradoxalement, la preuve a démontré que même si le bureau-chef de l'entrepreneur est situé dans la Beauce, M. Leclerc a témoigné qu'un bureau de vente était situé à Beloeil; or, Beloeil se trouve dans un rayon de 15 kilomètres de Saint-Amable, alors que le procureur de l'entrepreneur a admis que les problèmes de sol à Saint-Amable étaient de connaissance publique.

Du délai de dénonciation

[136]       En ce qui a trait à la réparation des vices de sol, l'article 10.5° du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs stipule que la dénonciation doit être faite [...] par écrit, à l'entrepreneur et à l'administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte ou survenance du vice ou, en cas de vices ou de pertes graduelles, de leur première manifestation.

[137]       L'article 1739 du Code civil du Québec apporte certaines précisions relativement au point de départ du délai :

1739. L'acheteur qui constate que le bien est atteint d'un vice doit, par écrit, le dénoncer au vendeur dans un délai raisonnable depuis sa découverte. Ce délai commence à courir, lorsque le vice apparaît graduellement, du jour où l'acheteur a pu en soupçonner la gravité et l'étendue.

Le vendeur ne peut se prévaloir d'une dénonciation tardive de l'acheteur s'il connaissait ou ne pouvait ignorer le vice.

[138]       Rappelons quelques dates charnières.

[139]       La réception de l'unité par le premier acheteur a eu lieu le 9 septembre 2004.

[140]       L'acte de vente entre ce premier acheteur et la propriétaire actuelle, Mme Labbé, est daté du 16 juin 2006.

[141]       Selon le procureur de l'administrateur, citant l'expert Michaud, l'affaissement existait en juin 2006, soit lors de l'achat par Mme Labbé.

[142]       Selon le procureur de l'entrepreneur, le premier acheteur connaissait le problème, il l'a camouflé et a vendu la propriété à Mme Labbé.

[143]       En tout respect pour ces opinions, le tribunal constate, selon les témoignages recueillis, qu'il n'existe aucune preuve valable appuyant ces prétentions.

[144]       Au contraire, l'inspection pré-achat exécutée par AmeriSpec le 14 mars 2006 à la demande de la plaignante ne souligne aucune manifestation importante; seuls des items mineurs d'entretien sont notés dans ce rapport.

[145]       L'entrepreneur met en doute la compétence d'AmeriSpec. Je rappelle qu'il s'agit d'une inspection visuelle; or, lors de la visite des lieux par le soussigné le 10 juin 2009, sauf en ce qui a trait à la fissure du plancher au sous-sol, il ne fallait pas être très compétent pour constater les nombreuses manifestations.

[146]       L'hypothèse du camouflage par le premier propriétaire relativement à la fissure du plancher au sous-sol a été soulevée par l'administrateur lors de la visite des lieux le 10 juin 2009; toutefois, lors d'une seconde visite le 15 octobre 2009, l'administrateur, en fixant ce même plancher, a alors été muet.

[147]       Aucune preuve convaincante n'a été apportée au tribunal relativement à ce camouflage.

[148]       En effet, le plancher du sous-sol était recouvert de bois flottant; à cet égard, le témoin expert Guertin nous a expliqué que ce type de plancher, très mince et non friable, obéit facilement, sans se briser, à un bombement, et dès lors, il peut par lui-même camoufler une fissure; ce dernier témoignage n'a pas été contredit.

[149]       En accord avec le procureur de l'administrateur et selon le témoignage de l'expert Michaud, il est très probable que l'affaissement existait lors de l'achat par Mme Labbé en juin 2006; toutefois, toujours selon ce même expert, pour les manifestations, il n'existe point de règle, alors que les fissures peuvent apparaître tardivement et alors que les différentes propriétés affectées ne se comportent pas de la même façon.

[150]       L'expert Guertin a témoigné qu'au début de l'affaissement, les indices de tassement sont non apparents; par la suite, surviennent des bombements comportant de légers signes; le tassement normal s'étale sur une période de cinq ans.

[151]       Mme Labbé a admis avoir constaté en décembre 2006 une fissure sur le mur de fondation latéral droit.

[152]       Il est reconnu qu'une fissure progresse lentement; au début, elle apparaît anodine; ce n'est que lorsque la fissure s'élargit ou s'allonge qu'elle peut laisser entrevoir un vice.

[153]       En décembre 2006, cette fissure est apparue anodine aux yeux de Mme Labbé; elle ne l'a pas déclarée immédiatement. D'ailleurs, son appréciation de cette fissure est largement confortée par l'administrateur lui-même, lequel, en février et en avril 2008, soit six mois après l'acheminement de la réclamation de la plaignante, a constaté ce qui suit :

Lors de nos deux inspections, nous avons constaté ladite fissure sans toutefois constater aucun signe de désordre structural sur la surface de finition intérieure aux planchers, aux murs, de même qu'à la fenêtre à battant de la salle à dîner.

[154]       Si, selon l'administrateur, le délai pour la dénonciation du vice de sol par Mme Labbé devait commencer en décembre 2006, pourquoi ce même délai n'était-il pas encore débuté pour l'administrateur en février et avril 2008?

[155]       La bénéficiaire a fait un premier appel de service à l'entrepreneur le 28 mars 2007, et ce dernier s'est présenté le 28 avril 2007; il s'agissait d'un nivellement de plancher au rez-de-chaussée.

[156]       Le formulaire de service de l'entrepreneur indique que son représentant a descendu le poteau du centre de 2,5 cm et que le plancher est maintenant au niveau; aucune autre indication de vice important n'est inscrite sur ce formulaire; Mme Labbé est réconfortée et ne soupçonne aucun désastre.

[157]       Conformément à l'article 1739 du Code civil du Québec, ce n'est qu'en septembre 2007 que Mme Labbé, lorsqu'elle a pratiqué une ouverture au plancher de bois flottant au sous-sol, a pu soupçonner la gravité et l'étendue de la situation.

[158]       Cette gravité a été confirmée par un second rapport d'AmeriSpec en date du 27 septembre 2007.

[159]       Face à de telles manifestations, en référence à la visite des lieux que j'ai effectuée, il est compréhensible qu'AmeriSpec, dans son dernier rapport, décline compétence.

[160]       Globalement, comment peut-on demander à une infirmière de soupçonner la gravité d'un problème de construction avant qu'un expert reconnu comme celui de l'administrateur puisse le faire?

[161]       En effet, ce dernier, le 18 avril 2008, soit près de six mois après l'acheminement de la réclamation de la bénéficiaire auprès de l'administrateur, ne reconnaissait pas qu'il s'agissait d'un vice de sol, ne constatait aucun signe de désordre structural et concluait qu'une fissure était attribuable au comportement normal des matériaux.

[162]       Qui plus est, dans un rapport d'inspection supplémentaire daté du 10 juin 2009, soit la date de la première journée d'audience, l'inspecteur de l'administrateur, au sujet de l'affaissement des fondations, concluait que [...] la maison repose actuellement sur un sol stable et n'avons constaté aucun signe de désordre structural au sens de l'article 2118 du Code civil du Québec.

[163]       Trois mois après la rédaction de ce rapport, soit près d'un an après la réclamation de la bénéficiaire auprès de l'administrateur, ce dernier admettait le contraire.

[164]       Le procureur de l'administrateur, dans son argumentation, a prétendu que l'expert Guertin n'est pas un témoin convaincant, car il n'a pas démontré une bonne objectivité. Selon la preuve recueillie, et tout particulièrement la visite des lieux, il m'apparaît que cette dernière remarque du procureur de l'administrateur n'est pas du tout appropriée.

Sentence

[165]       Pour les motifs ci-devant évoqués, la réclamation de la bénéficiaire est favorablement ACCUEILLIE; conséquemment, la réclamation de l'entrepreneur est REJETÉE.

[166]       Le tribunal ORDONNE à l'entrepreneur :

-          d'exécuter les travaux nécessaires pour redresser la maison de la bénéficiaire, pour la solidifier et pour éviter de nouveaux affaissements;

-          de corriger et réparer toutes les manifestations intérieures et extérieures qui ont été causées par l'affaissement;

-          de corriger et réparer les éléments intérieurs et extérieurs de la maison qui auront été abîmés par les travaux de redressement.

-          de débuter les travaux dans le plus bref délai possible en vue de stopper l'aggravation des désordres et empêcher l'apparition de nouvelles manifestations; l'ensemble des travaux devra être terminé pour le 31 mai 2010.

[167]       À défaut par l'entrepreneur de se conformer à l'ordonnance précédente, le tribunal ORDONNE à l'administrateur de procéder aux travaux correctifs requis, selon les règles de l'art, et de terminer lesdits travaux pour le 15 juillet 2010.

Estimé

[168]       En cours d'enquête, un seul estimé m'a été soumis pour la réalisation des travaux ci-devant décrits, soit celui de Prospec-Plus, pour un montant de l'ordre de 105 000 $, dont 53 000 $ pour le pieutage seulement.

[169]       Vérification faite, il appert que les coûts de pieutage après construction peuvent être le triple des coûts de pieutage avant construction. Le pieutage confère à la propriété sa valeur réelle; de même que l'entrepreneur a réajusté son prix de vente en modifiant la semelle de 24 pouces à 30 pouces, il l'aurait aussi modifié pour effectuer un pieutage à l'origine.

[170]       Conformément à l'article 116 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, l'arbitre peut faire appel à l'équité lorsque les circonstances le justifient. Le tribunal ORDONNE à la bénéficiaire de verser à l'entrepreneur un montant forfaitaire de cinq mille dollars (5 000 $) lorsque les travaux auront été complétés et acceptés. À cet égard, le tribunal, le cas échéant, CONSERVE juridiction.

Frais d'expertise

[171]       Conformément à l'article 22 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, le tribunal ORDONNE à l'administrateur de rembourser à Mme Labbé, dans les trente (30) jours de la présente, ses frais d'expertise, non contestés en cours d'audience, pour un montant de sept mille sept cent soixante-quatre dollars et dix-neuf cents (7 764,19 $).

Coûts d'arbitrage

[172]       La présente sentence dispose de deux demandes d'arbitrage, soit celle de la bénéficiaire et celle de l'entrepreneur.

[173]       Je cite ci-après l'article 21 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs :

21.  Les coûts de l'arbitrage sont partagés à parts égales entre l'administrateur et l'entrepreneur lorsque ce dernier est le demandeur.

Lorsque le demandeur est le bénéficiaire, ces coûts sont à la charge de l'administrateur à moins que le bénéficiaire n'obtienne gain de cause sur aucun des aspects de sa réclamation, auquel cas l'arbitre départage ces coûts.

[174]       Conformément aux éléments respectifs en demande par la bénéficiaire et l'entrepreneur, conformément au temps consacré par le soussigné à chacune des demandes et conformément aux dispositions de l'article 21 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, les coûts du présent arbitrage sont répartis comme suit : 5 % à la charge de l'entrepreneur et 95 % à la charge de l'administrateur.

 

BELOEIL, le 20 novembre 2009.

 

 

 

 

 

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Claude Dupuis, ing., arbitre