Décision

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Desbiens c. Standish

2024 QCCA 725

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

 :

500-09-029823-218

(505-17-011878-206)

 

DATE :

4 juin 2024

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

FRÉDÉRIC BACHAND, J.C.A.

PETER KALICHMAN, J.C.A.

 

 

ISABELLE DESBIENS, personnellement et en sa qualité de parent et tuteur de l’enfant mineur X

ARGYRIS CHIONIS, personnellement et en sa qualité de parent et tuteur de l’enfant mineur X

APPELANTS – demandeurs

c.

 

RACHEL STANDISH, en sa qualité de parent et tuteur de l’enfant mineure Y

JANA WALLACE, en sa qualité de parent et tuteur de l’enfant mineure Z

CHRISTOPHER GOEDIKE, en sa qualité de parent et tuteur de l’enfant mineure A

INTIMÉS – défendeurs

 

 

ARRÊT

 

 

[1]                L’appelant se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure, district de Longueuil (l’honorable Judith Harvie), rejetant sommairement l’action intentée par les appelants au motif qu’elle est prescrite.

[2]                Pour les motifs de la juge Bich, auxquels souscrit le juge Kalichman, LA COUR :

[3]                ACCUEILLE l’appel, avec les frais de justice;

[4]                INFIRME le jugement de première instance et, procédant à rendre le jugement qui aurait dû être rendu par la Cour supérieure, REMPLACE le dispositif de ce jugement par le suivant :

[42] REJETTE la demande en irrecevabilité des défendeurs, avec les frais de justice.

[5]                Pour sa part, le juge Bachand aurait rejeté l’appel, avec les frais de justice

 

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

 

 

 

 

 

FRÉDÉRIC BACHAND, J.C.A.

 

 

 

 

 

PETER KALICHMAN, J.C.A.

 

Me Yacine Agnaou

Me Jeffrey Jabbour

Me Alexander Paradissis

DUPUIS PAQUIN AVOCATS & CONSEILLERS D’AFFAIRES

Pour les appelants Isabelle Desbiens et Argyris Chionis

 

Me Éric Cloutier

Mme Marie-Maude Lefebvre, stagiaire en droit

CBL & ASSOCIÉS AVOCATS

Pour l’intimée Rachel Standish

 

Me Daniel Sirhan

DANIEL K. SIRHAN, BUREAU D’AVOCATS

Pour l’intimée Jana Wallace

 

Me Laurent Fournier

Me Catherine Duplessis-Guindon

GRONDIN SAVARESE LEGAL

Pour l’intimé Christopher Goedike

 

Date d’audience :

9 mai 2023


 

 

MOTIFS DU JUGE BACHAND

 

 

[6]                L’appelant porte en appel un jugement de la Cour supérieure rejetant sommairement l’action intentée par les appelants au motif qu’elle est prescrite[1].

[7]                Le pourvoi soulève principalement la question de savoir si une action visant à réparer le préjudice causé par le dépôt de fausses plaintes à la police est « fondée sur une atteinte à la réputation/for defamation » au sens où l’entend le législateur à l’article 2929 C.c.Q., qui prévoit que le délai de prescription extinctive applicable dans un tel contexte est d’un an. Si une telle action devait être qualifiée différemment, le délai applicable serait plutôt celui de trois ans prévu à l’article 2925 C.c.Q. L’importance de cette question tient au fait que les appelants se sont adressés à la Cour supérieure plus d’un an, mais moins de trois ans, après le moment où le délai de prescription extinctive a commencé à courir.

[8]                Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la juge de première instance a eu raison de trancher la question au stade de l’irrecevabilité et qu’elle a également eu raison de conclure que l’action des appelants était visée par l’article 2929 C.c.Q. plutôt que par l’article 2925 C.c.Q.

I. Contexte

[9]                Je commencerai en revenant brièvement sur le contexte de l’affaire. Il convient de rappeler d’entrée de jeu que, à ce stade-ci de l’instance, les faits allégués dans la demande introductive d’instance doivent être tenus pour avérés[2].

[10]           Au début de l’année 2017, deux adolescentes agissant séparément portent plainte à la police pour dénoncer X, dont les parents sont les appelants dans le présent pourvoi. Ces plaintes donnent lieu au dépôt d’accusations d’agression sexuelle ainsi qu’à l’arrestation de X, une première fois en mars 2017, puis une nouvelle fois en avril 2017. Parallèlement, X est suspendu de l’école secondaire qu’il fréquente alors et les élèves de l’établissement sont informés des accusations pesant contre lui. Peu de temps après, une troisième adolescente porte plainte, ce qui donne lieu au dépôt de nouvelles accusations.

[11]           Après que les appelants eurent recueilli des éléments de preuve disculpant leur fils, le ministère public conclut ne pas être en mesure de faire la preuve des infractions lui étant reprochées. X est ensuite acquitté de toutes les accusations — le 25 août 2017 dans le premier dossier, le 22 septembre 2017 dans le deuxième et le 10 novembre 2017 dans le troisième.

[12]           Dans la demande introductive d’instance qu’ils déposent en février 2020, les appelants — qui agissent à la fois personnellement et pour le compte de leur fils — allèguent que les trois plaignantes, dont les parents sont défendeurs en première instance et intimés dans le présent pourvoi, ont « induit les policiers et les procureurs de la Couronne en erreur en soumettant des allégations fausses et mal fondées »[3]. Ils ajoutent que, par leur comportement, les plaignantes ont délibérément porté atteinte aux droits fondamentaux que confère à leur fils l’article 4 de la Charte des droits et libertés de la personne  Charte québécoise »)[4]. Ils réclament la somme de 135 000 $ en dommages-intérêts compensatoires pour les troubles, les inconvénients, la souffrance et le stress qu’eux et X ont subis, ainsi qu’une somme 16 100 $ pour divers frais. En outre, s’appuyant sur l’article 49 de la Charte québécoise, ils réclament la somme de 150 000 $ en dommages-intérêts punitifs.

[13]           Les intimés répondent en déposant une demande en irrecevabilité fondée sur l’article 168 al. 2 C.p.c.[5]. À leurs yeux, il est manifeste que l’action intentée à leur encontre est fondée sur une atteinte à la réputation et qu’elle est prescrite, la Cour supérieure n’ayant pas été saisie dans l’année suivant les acquittements.

[14]           Estimant pouvoir trancher cette question dans le cadre d’une demande en irrecevabilité, la juge conclut d’abord qu’il s’agit bien d’une action fondée sur une atteinte à la réputation. Elle le fait en s’appuyant notamment sur un courant jurisprudentiel remontant à l’affaire Bourque c. Bellemare[6]. À ses yeux, le fondement de l’action des appelants n’est pas une arrestation abusive ni le dépôt d’accusations manifestement mal fondées, mais bien les fautes qu’ont commises les plaignantes en faisant des déclarations mensongères aux policiers. Ces déclarations sont diffamatoires, puisque « [l]e fait de tenir des propos que lon sait faux au sujet de quelquun de façon à nuire à sa réputation au point dentraîner une enquête policière, une arrestation et des accusations criminelles constitue un geste fautif qui correspond à de la diffamation »[7].

[15]           Puis, s’appuyant sur l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Gordon c. Mailloux[8], la juge ajoute que le fait que la demande introductive d’instance allègue des atteintes à d’autres droits fondamentaux de X, dont celui à la sauvegarde de sa dignité, n’a aucune incidence sur la qualification de l’action, car il n’est pas possible de distinguer suffisamment ces autres atteintes de celle à sa réputation. Par ailleurs, la juge prend ses distances par rapport à l’affaire Fillion c. Chiasson[9], où l’atteinte à la réputation causée par des propos litigieux pouvait être dissociée d’une atteinte à la vie privée dont la victime avait souffert en raison de ces mêmes propos.

[16]           Enfin, la juge estime que les réclamations faites par les appelants à titre personnel sont également visées par l’article 2929 C.c.Q., car elles découlent elles aussi des fautes commises par les plaignantes en déposant de fausses plaintes à la police.

[17]           Dans le cadre du présent pourvoi, les appelants plaident que la juge a eu tort de conclure que leur action est fondée sur une atteinte à la réputation au sens de l’article 2929 C.c.Q. Ils distinguent le présent dossier de l’affaire Bourque en insistant sur le fait que celle-ci concernait une demande introductive d’instance fondée expressément sur une atteinte à la réputation de la partie demanderesse. Selon les appelants, les fautes reprochées aux plaignantes ne consistent pas en le fait d’avoir porté atteinte à la réputation de X à proprement parler, mais plutôt d’avoir commis un abus de droit en instrumentalisant la police et le ministère public[10]. Ils ajoutent que toute atteinte à la réputation de X n’est qu’une conséquence parmi d’autres de ces fautes et qu’elle ne s’est concrétisée qu’à partir de la médiatisation de l’affaire. Autre aspect important de la thèse avancée par les appelants en appel : ils affirment poursuivre relativement aux atteintes que les fautes des plaignantes ont engendrées, non pas à la réputation de X, mais plutôt — et uniquement — à la liberté, à l’honneur et à la dignité de ce dernier[11]. Enfin, ils estiment qu’ils devraient avoir l’occasion d’établir lors de l’instruction au fond que, par leur comportement fautif, les plaignantes ont porté atteinte aux droits de X à sa liberté, à son honneur et à sa dignité.

[18]           Les intimés répondent en soulignant d’abord que la demande introductive d’instance fait état non pas d’un quelconque abus de droit lié à une instrumentalisation du processus en matière criminelle, mais uniquement de fautes consistant à avoir induit les policiers en erreur en formulant des allégations mensongères. Les intimés sont également d’avis que la juge a eu raison de s’appuyer sur le courant jurisprudentiel remontant à l’affaire Bourque et de conclure qu’une action visant à réparer le préjudice subi en raison de fausses plaintes à la police tombe dans le champ d’application de l’article 2929 C.c.Q. Ils ajoutent que la juge n’a commis aucune erreur en tranchant la question de la prescription extinctive dans le cadre d’une demande en irrecevabilité.

II. Analyse

[19]           Le pourvoi soulève deux grandes questions. La première est de savoir si la juge de première instance a eu raison de trancher la question de la prescription extinctive au stade préliminaire. La seconde est de savoir si elle a commis une erreur révisable en concluant que l’action des appelants est prescrite.

[20]           La norme d’intervention applicable est celle de la décision correcte[12].

  1. La juge a-t-elle eu raison de trancher la question de la prescription extinctive dans la cadre d’une demande en irrecevabilité?

[21]           Bien que la prudence soit de mise en matière de demande d’irrecevabilité fondée sur l’article 168 al. 2 C.p.c. et que seule une absence claire et manifeste de fondement juridique puisse justifier le rejet sommaire dune action[13], il est bien établi que le tribunal ne peut refuser de répondre aux questions soulevées par la demande au seul motif qu’il s’agit de questions de droit complexes. Voici ce que la Cour rappelait récemment à ce sujet, sous la plume de ma collègue la juge Bich[14] :

[Le] tribunal saisi dune demande dirrecevabilité ne peut refuser de statuer et renvoyer laffaire au juge du fond parce que la question de droit soulevée à ce stade préliminaire est difficile ou complexe ou parce quun procès lui paraît préférable, opportun ou intéressant : il est tenu de trancher et de décider de la recevabilité ou de lirrecevabilité de laction. Cest une erreur de ne pas le faire et de sen remettre au juge du fond. Comme le rappelle larrêt Giroux c. HydroQuébec [2003 CanLII 11338 (QC CA), [2003] R.J.Q. 346 (C.A.)] :

[65]   Une requête en irrecevabilité sous larticle 165(4) C.p.c. ne sera accueillie que si le juge est convaincu que laction nest pas fondée en droit en supposant que tous les faits allégués soient vrais. Le juge doit faire preuve de prudence. Il doit sabstenir de mettre prématurément fin à un procès à moins dêtre convaincu du bien-fondé de la requête. Toutefois, à linstar du juge André Rochon, je ne crois pas que cette règle de prudence puisse mener à occulter le principe de base de lart. 165 C.p.c. [renvoi omis] Ce nest pas parce quune situation de fait est complexe, ou quune question de droit présente des difficultés, quil faille en renvoyer létude au juge du fond. Le juge saisi dune demande dirrecevabilité doit trancher quelle que soit la difficulté [renvoi omis].

[Soulignements ajoutés dans l’arrêt Dostie]

[22]           À mon avis, ces enseignements sont applicables à la présente affaire. Bien que le débat concernant la prescription extinctive soulève des questions complexes, il s’agit essentiellement de pures questions de droit relatives à la notion d’action fondée sur une atteinte à la réputation ainsi qu’au cadre d’analyse applicable lorsqu’il y a lieu de déterminer si une action est visée par l’article 2929 C.c.Q. La juge était tout à fait en mesure d’y répondre au stade préliminaire.

[23]           En outre, l’application à l’espèce de la principale règle que la juge a dégagée des sources pertinentes — soit qu’une action visant à réparer le préjudice subi en raison de fausses plaintes à la police constitue une action fondée sur une atteinte à la réputation — ne présentait pas de difficultés particulières, du moins pas au point où elle aurait dû renvoyer ce volet de l’affaire au ou à la juge du fond.

[24]           Ainsi, j’estime que les appelants — qui, d’ailleurs, n’ont pas insisté outre mesure sur ce volet de l’appel durant l’audience — ont tort de reprocher à la juge d’avoir fait fi du principe de prudence applicable en matière de demande en irrecevabilité.

  1. La juge a-t-elle eu raison de conclure que l’action des appelants était fondée sur une atteinte à la réputation visée par l’article 2929 C.c.Q.?

[25]           J’aborde maintenant la question au cœur du pourvoi, soit celle de savoir si l’action des appelants est fondée sur une atteinte à la réputation au sens de l’article 2929 C.c.Q.

[26]           Selon moi, c’est le cas. Je parviens à cette conclusion pour trois principales raisons. D’abord, la notion de fondement de laction à laquelle renvoie le législateur à l’article 2929 C.c.Q. doit être comprise comme ayant trait à la nature de l’atteinte initiale subie par la partie demanderesse en raison de la faute reprochée à la partie défenderesse, plutôt qu’aux conséquences de cette atteinte. Deuxièmement, en l’espèce, les fautes alléguées dans la demande introductive dinstance consistent en la tenue de propos diffamatoires à légard de X et non en un quelconque abus par lequel les plaignantes auraient instrumentalisé le processus en matière criminelle, ce qui implique que l’atteinte initialement subie par X a principalement trait à sa réputation. Enfin, le fait que les appelants affirment limiter leurs réclamations à des dommages-intérêts découlant d’atteintes à la liberté, à l’honneur et à la dignité de X est sans conséquence sur la qualification de leur action.

  1. L’analyse porte sur latteinte initiale subie par la partie demanderesse en raison des fautes reprochées à la partie défenderesse

[27]           La notion d’action fondée sur une atteinte à la réputation peut être entendue de deux manières.

[28]           La première approche consiste à faire porter lanalyse sur la nature des chefs de dommages-intérêts réclamés. Larticle 2929 C.c.Q. ne s’appliquerait alors qu’aux réclamations visant à indemniser les pertes non pécuniaires (stress, peine, humiliation, souffrance, etc.) découlant directement de l’atteinte à la réputation alléguée. Il serait toutefois inapplicable aux réclamations visant à indemniser les pertes pécuniaires découlant d’une telle atteinte (par exemple, la perte de revenus) ou encore des pertes liées à une atteinte à l’intégrité physique découlant de l’atteinte à la réputation.

[29]           La seconde approche consiste à faire porter l’analyse sur l’atteinte initialement subie par la personne visée par les propos litigieux. L’action serait visée par l’article 2929 C.c.Q. dès lors que cette atteinte aurait trait à la réputation de cette personne, et ce, sans égard à la nature des chefs de dommages-intérêts réclamés ou des pertes alléguées.

[30]           Le courant jurisprudentiel remontant au jugement de la Cour supérieure dans l’affaire Bourque c. Bellemare[15] opte résolument pour la seconde approche. Dans cette affaire, l’action du demandeur visait à réparer le préjudice qu’il prétendait avoir subi en raison d’une atteinte à sa réputation découlant de fausses plaintes à la police faites par la défenderesse. En réponse à l’argument de cette dernière invoquant la prescription d’un an prévue à l’article 2929 C.c.Q., le demandeur soutenait que son action n’était pas fondée sur une atteinte à sa réputation puisqu’il cherchait essentiellement à être indemnisé relativement à des problèmes de santé découlant des plaintes en litige. À ses yeux, il fallait plutôt y voir une action fondée sur une atteinte à son intégrité physique assujettie à la prescription triennale prévue à l’article 2925 C.c.Q. Le juge a cependant rejeté cet argument en soulignant que le demandeur avait tort de faire porter l’analyse sur les chefs de dommages-intérêts réclamés. Ce qui importait aux fins de l’opération de qualification, a-t-il ajouté, c’était plutôt le fait que le demandeur reprochait à la défenderesse d’avoir formulé des allégations mensongères ayant porté atteinte à sa réputation[16].

[31]           Ce raisonnement a été repris dans plusieurs jugements rendus par la Cour du Québec et la Cour supérieure[17] — dont lun a dailleurs fait lobjet dun appel que la Cour a rejeté sommairement au motif qu’il était voué à léchec[18] — et, à ma connaissance, la doctrine qui sintéresse à larticle 2929 C.c.Q. na formulé aucune critique à son encontre[19].

[32]           Il convient par ailleurs de souligner que la Cour suprême a adopté un raisonnement similaire dans l’arrêt Dorval, où était en cause l’interprétation non pas de l’article 2929 C.c.Q., mais plutôt de l’article 2930 C.c.Q., qui prévoit la prééminence de la prescription triennale « lorsque laction est fondée sur lobligation de réparer le préjudice corporel causé à autrui/where an action is based on the obligation to make reparation for bodily injury caused to another ». La question était de savoir si cette disposition était applicable à une action que les proches parents de la victime d’un meurtre avaient intentée contre la Ville de Montréal en sa qualité de commettante de policiers qui avaient prétendument agi de manière négligente. La Cour suprême a jugé qu’il s’agissait bien d’une action fondée sur l’obligation de réparer le préjudice corporel, et ce, même si elle ne visait qu’à indemniser les préjudices moral et matériel (solatium doloris, frais funéraires et perte de soutien affectif) que les demandeurs prétendaient avoir personnellement subis[20] :

[24]   Larticle 2930 C.c.Q. prévoit que « [m]algré toute disposition contraire, lorsque laction est fondée sur lobligation de réparer le préjudice corporel causé à autrui, lexigence [. . .] dintenter [laction] dans un délai inférieur à trois ans [. . .] ne peut faire échec au délai de prescription prévu par le présent livre. »

[25]   Les parties ont longuement débattu de la définition du terme « préjudice corporel » mentionné à cet article et du mode de qualification du préjudice de la « victime par ricochet ». Ce débat sexplique par le fait que tant dans la jurisprudence que dans la doctrine, dans le langage courant et dans les mémoires des parties, le terme « préjudice corporel » renvoie à différentes réalités. Ainsi, il renvoie parfois à latteinte portée au droit dautrui, soit, en lespèce, leffet de lacte fautif sur lintégrité physique de Mme Dorval ― son décès. Il renvoie, dautres fois, aux conséquences de cette atteinte, soit les pertes pécuniaires et non pécuniaires susceptibles dune réclamation pour dommages-intérêts tant par la victime décédée que par les victimes par ricochet. Pourtant, il est indéniable que lorsque le terme « préjudice corporel » est employé dans le Code, il fait nécessairement référence à une atteinte à lintégrité physique dune personne (Schreiber, par. 64; Andrusiak, par. 47). Cette interprétation nest pas remise en question.

[26]   Le débat porte plutôt sur linterprétation de lart. 2930 C.c.Q. dans son ensemble et, plus précisément, sur lénoncé « lorsque laction est fondée sur lobligation de réparer le préjudice corporel causé à autrui ». Cet énoncé nous invite clairement à qualifier le fondement de laction intentée pour décider de lapplication de lart. 2930 C.c.Q. à un cas despèce. Le fondement de laction correspond alors à lacte fautif générateur de latteinte à lintégrité physique de la victime décédée, soit le préjudice corporel subi. Cest donc dire que, pour lapplication de cet article, cest la nature de latteinte initiale plutôt que le chef de dommages-intérêts réclamé qui qualifie de corporel le préjudice et qui constitue la source ou le fondement de laction.

[…]

[30]   En somme, latteinte fautive, quelle soit de nature corporelle, matérielle ou morale, demeure le fondement du recours en responsabilité civile, et les conséquences de cette atteinte sont cristallisées par les chefs de dommages-intérêts réclamés. […]

[Soulignements ajoutés]

[33]           À mon avis, l’article 2929 C.c.Q. doit être interprété de la même manière. Les deux dispositions prévoient que l’action doit être qualifiée en fonction de son fondement et, par souci de cohérence, j’estime que cette notion doit avoir le même sens : si le fondement de l’action correspond à la nature de l’atteinte initiale subie par la personne lésée dans le contexte de l’article 2930 C.c.Q., il doit en être autant dans le contexte de l’article 2929 C.c.Q. Le principe qui doit prévaloir ici est celui selon lequel les mots et expressions employés par le législateur doivent recevoir la même interprétation tout au long d’un même texte législatif, à moins que le contexte ne s’y oppose clairement[21].

[34]           En arrivant à cette conclusion, j’ai tenu compte du fait que les deux dispositions poursuivent des objectifs bien différents : alors que l’article 2929 C.c.Q. est fondé sur l’idée qu’il est souhaitable de déroger à la prescription triennale en raison du caractère passager d’une atteinte à la réputation[22], l’article 2930 C.c.Q. vise à « mieux protéger l’intégrité de la personne et [à] assurer la pleine indemnisation des victimes d’atteinte à cette intégrité »[23]. J’ai également tenu compte du fait que cette idée du caractère passager d’une atteinte à la réputation est largement dépassée à l’ère du numérique[24], de sorte qu’on pourrait être tenté de privilégier une interprétation différente de la notion de fondement en matière d’atteinte à la réputation afin de limiter au maximum le champ d’application d’une règle fondée sur des considérations tombées en désuétude. Il me semble toutefois préférable de laisser au législateur le soin de déterminer si des modifications devraient être apportées au régime de la prescription extinctive en matière d’atteinte à la réputation, d’autant plus qu’il s’est intéressé à cette question relativement récemment[25].

  1. L’atteinte initialement subie par X a principalement pour objet sa réputation

[35]           Quelle est donc l’objet de l’atteinte initiale que X prétend avoir subie en raison du comportement fautif des plaignantes? Pour répondre à cette question, il faut d’abord trancher le débat opposant les parties quant à la nature des fautes que les appelants reprochent à ces dernières.

[36]           À mon avis les intimés ont raison : les fautes reprochées à leurs filles consistent en la formulation dallégations mensongères à l’égard de X et non en une quelconque instrumentalisation du processus criminel qu’il y aurait lieu de distinguer, aux fins de l’analyse, de la formulation des allégations mensongères à proprement parler.

[37]           Si j’arrive à cette conclusion, c’est d’abord parce que les paragraphes pertinents de la demande introductive d’instance mettent l’accent sur la communication d’allégations mensongères, et ce, sans jamais faire état de fautes distinctes que les plaignantes auraient commises dans le cadre de l’enquête policière ou de l’analyse des dossiers par le ministère public. En voici le libellé :

Les fautes

17. Les défendeurs […] sont les parents et tuteurs respectifs des enfants Y, Z et A;

18. Les enfants […] ont induit les policiers et les procureurs de la Couronne en erreur en soumettant des allégations fausses et mal fondées;

19. En effet, Y, Z et A étaient conscientes des conséquences de leurs actes en accusant faussement X dagression sexuelle;

[38]           J’estime également pertinent qu’il ressorte des éléments au dossier que les plaignantes ne se connaissaient pas et que rien ne permet de croire qu’elles ont pu néanmoins agir de manière concertée. D’ailleurs, la demande introductive d’instance mentionne que deux services de police différents ont été mobilisés : les deux premières plaignantes se sont adressées à celui de la Ville de Saint-Hubert, alors que la troisième a porté plainte auprès des policiers de la Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu. En outre, rien ne donne à penser qu’elles ont joué quelque rôle que ce soit dans le traitement des dossiers au-delà de la communication d’allégations d’agression sexuelle visant X À mon avis, les intimés ont raison de souligner que ces éléments tendent à réfuter la thèse selon laquelle toute atteinte à la réputation de X ne constitue qu’une conséquence de fautes initiales consistant en l’instrumentalisation du processus en matière criminelle[26].

[39]           Par ailleurs, dans la mesure où il y aurait bel et bien eu instrumentalisation de ce processus, je ne vois pas comment celle-ci aurait pu survenir autrement que par la formulation des allégations mensongères à l’endroit de X. La présente affaire se distingue donc de Bourassa, une autre affaire de fausses plaintes à la police. Bien que la Cour ait alors conclu que le recours du demandeur en était un à la fois en diffamation et en abus de procédure, elle l’a fait après avoir constaté que — selon les allégations de la demande introductive d’instance — les défendeurs avaient participé activement à cet abus de concert avec la police et le ministère public, qui étaient d’ailleurs eux aussi visés par un recours pour poursuite abusive[27]. Rien de tel en l’espèce.

[40]           Bref, la distinction que les appelants nous invitent à faire entre une faute consistant en l’instrumentalisation du processus en matière criminelle et l’atteinte à la réputation de X ne trouve aucun appui dans les éléments au dossier.

[41]           J’estime pertinent d’ajouter que la position des appelants a évolué depuis le débat en première instance. Plutôt que d’alléguer une faute distincte consistant en l’instrumentalisation du processus en matière criminelle — ce que, du reste, ils auraient pu faire en modifiant leur demande introductive d’instance après le dépôt de la demande en irrecevabilité —, ils soutenaient alors que leur action devait être qualifiée en fonction des conséquences des allégations mensongères formulées par les plaignantes sur les droits de X à sa liberté, à son honneur et à sa dignité. Voici comment la juge résume leurs prétentions :

[25]   Les demandeurs plaident que la prescription de trois ans sapplique à leur recours. Selon eux, déposer une plainte non fondée à la police constitue un acte fautif générateur dune responsabilité autre que de la diffamation. Ces fausses plaintes auraient entraîné une atteinte à la dignité, lhonneur et la liberté de X. Ces atteintes constituent les fondements de la demande, lesquels se distingueraient dune atteinte à la réputation quant à eux.

[42]           Une fois établi que l’action des appelants repose sur le comportement fautif que les plaignantes auraient eu en formulant des allégations mensongères à l’endroit de X, on peut difficilement faire autrement que de conclure que l’atteinte subie par ce dernier a pour objet — à tout le moins principalement — sa réputation. En effet, la formulation d’allégations d’agression sexuelle mensongères porte forcément atteinte à la réputation de la personne visée, car il s’agit d’un exemple clair d’une situation où « une personne prononce des propos désagréables à légard dun tiers tout en les sachant faux », pour reprendre les propos de la Cour suprême dans le passage de l’arrêt Prudhomme définissant les situations susceptibles d’engager la responsabilité d’une personne pour diffamation[28].

[43]           Par ailleurs, les appelants ont tort d’affirmer que l’atteinte initiale subie par X ne saurait concerner sa réputation étant donné qu’une atteinte à celle-ci n’a pu se concrétiser avant la médiatisation de l’affaire, laquelle est survenue plusieurs semaines après les premières plaintes à la police. Des propos n’ont pas à être rendu publics ni même diffusés largement pour mériter d’être qualifiés de diffamatoires. Comme le note avec justesse le professeur Goubau, bien que des propos doivent avoir fait l’objet d’une certaine diffusion pour être diffamatoires, leur diffusion à une seule personne suffit[29], à condition bien sûr qu’ils « [fassent] perdre lestime ou la considération de [la personne visée] ou [qu’ils] suscitent à son égard des sentiments défavorables ou désagréables »[30].

  1. Le fait que appelants poursuivent seulement pour des atteintes à la liberté, à lhonneur et à la dignité de X est sans conséquence

[44]           Le constat selon lequel l’atteinte initiale subie par X a surtout trait à sa réputation ne règle pas tout, car, comme je l’ai mentionné plus haut, les appelants affirment réclamer des dommages-intérêts n’ayant rien à voir avec une atteinte de cette nature. En effet, sans nier que les allégations mensongères formulées par les plaignantes aient pu nuire à sa réputation[31], ils affirment poursuivre plutôt relativement aux atteintes que ces allégations auraient engendrées à la liberté, à lhonneur et à la dignité de X[32]. Ils y voient une autre raison pour laquelle le courant jurisprudentiel remontant à l’affaire Bourque serait inapplicable et leur action ne serait pas fondée sur une atteinte à la réputation au sens de l’article 2929 C.c.Q.

[45]           Ont-ils raison?

[46]           D’entrée de jeu, il convient de reconnaître qu’il est envisageable que la tenue de propos diffamatoires engendre des atteintes à d’autres droits fondamentaux dont jouit la personne visée, comme son droit à l’honneur, son droit à la dignité ou même son droit à la liberté. Il est par ailleurs envisageable que ces atteintes à d’autres droits — notamment celui à l’honneur — surviennent de manière concomitante à l’atteinte à sa réputation. Toutefois, il est également possible qu’elles ne coïncident pas avec cette atteinte : cela pourra être le cas en matière de fausses plaintes à la police, où les propos diffamatoires engendrant — dans l’immédiat — une atteinte à la réputation de la personne visée pourraient ultérieurement entraîner, lors du dépôt d’accusations criminelles, une atteinte à sa liberté.

[47]           Cette dernière observation permet de disposer d’un aspect de la thèse des appelants, soit celui insistant sur le fait que certains des dommages-intérêts réclamés se rapportent à l’atteinte que X aurait subie à sa liberté. La demande introductive d’instance ne contient aucune allégation selon laquelle cette atteinte serait survenue de manière concomitante à l’atteinte à sa réputation. Les seules allégations pouvant donner ouverture à un constat d’atteinte à sa liberté sont celles relatives aux arrestations dont il a fait l’objet à la suite du dépôt des accusations criminelles le visant. Or, cette atteinte ne saurait être conçue comme constituant une composante de l’atteinte initiale qu’il a subie en raison des allégations mensongères formulées par les plaignantes. Il faut plutôt y voir une conséquence de cette atteinte initiale au sens où l’entend la Cour suprême dans l’arrêt Dorval. Ce volet de la réclamation des appelants est donc sans conséquence sur l’analyse de l’applicabilité de l’article 2929 C.c.Q.

[48]           Qu’en est-il maintenant des autres aspects de leur thèse, soit ceux insistant sur le fait que les autres dommages-intérêts réclamés se rapportent aux atteintes que X aurait subies à ses droits à l’honneur et à la dignité? À la différence de l’atteinte à sa liberté qu’aurait subie X, l’on ne peut exclure la possibilité que ces autres atteintes soient survenues de manière concomitante à l’atteinte à sa réputation. Il est donc envisageable, voire probable, qu’elles constituent des composantes de l’atteinte initiale découlant des allégations mensongères formulées à son endroit.

[49]           Il ne s’ensuit cependant pas que l’on puisse distinguer, aux fins de l’analyse de l’applicabilité de l’article 2929 C.c.Q., ces autres atteintes de l’atteinte ayant pour objet la réputation de X. Pour comprendre pourquoi, il faut se référer à l’arrêt Gordon c. Mailloux, où il s’agissait de qualifier une action dans laquelle le demandeur alléguait que le défendeur Pierre Mailloux avait porté atteinte à son droit à l’égalité ainsi qu’à sa dignité en affirmant, sur le plateau de l’émission Tout le monde en parle, l’infériorité intellectuelle des personnes de race noire. En s’appuyant notamment sur l’arrêt rendu par la Cour suprême dans l’affaire Bou Malhab[33], la Cour a conclu qu’il s’agissait bien d’une action visée par l’article 2929 C.c.Q. étant donné que les atteintes alléguées au droit à l’égalité et à la dignité du demandeur ne pouvaient être dissociées de l’atteinte à sa réputation engendrée par les propos litigieux[34] :

[4]   Au terme dune analyse soignée des allégations de la requête réamendée pour autorisation dexercer un recours collectif, le juge a conclu que laction envisagée par lappelant est une action en diffamation, régie généralement par larticle 1457 C.c.Q. Nous partageons cet avis, que renforce larrêt récent de la Cour suprême dans Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR inc.

[5]   Dans cette affaire, la Cour suprême considère que sont diffamatoires les « propos racistes et discriminatoires » de lancien animateur de radio André Arthur et elle fait bien voir que de tels propos, par latteinte quils comportent à la dignité des personnes visées, sont de nature à faire perdre à celles-ci lestime et la considération que leur porte autrui, attentant donc à leur réputation. Il sagit bien de propos diffamatoires.

[…]

[7]   Le fait que des propos dénigrants aient un caractère discriminatoire ne les évacue pas de la sphère de la diffamation. De tels propos, lorsquils médisent, rabaissent, discréditent ou se veulent insultants, peuvent être considérés comme un sous-genre des propos diffamatoires. […]

[8]   En lespèce, les propos de lintimé Mailloux, qui affirme linfériorité intellectuelle des personnes de race noire, sont assurément outrageants, méprisants et injurieux, laissant clairement entendre que ces personnes sont moins dignes de considération et ne méritent pas dêtre traitées en toute égalité. Au contraire de ce que suggère lappelant, il nest pas possible, en pareil cas, de distinguer latteinte à la dignité (qui ferait souffrir lindividu dans son intimité et son intégrité) de latteinte à la réputation, tributaire du regard dautrui.

[9]   Dailleurs, cest précisément ce qui ressort de la requête réamendée de lappelant, ainsi que le montre bien le juge de première instance aux paragraphes 49 à 56 de son jugement. Les allégations de cette requête, qui entremêlent dindissociable façon la blessure intime (le regard de soi sur soi) et latteinte à la réputation (le regard des autres sur soi), correspondent à lidée même de diffamation.

[…]

[12]   Bref, et pour revenir à la nature du recours, le juge de première instance a correctement répondu à la question de la qualification juridique de laction que lappelant souhaite être autorisé à intenter : ce quil allègue ici relève bien de la diffamation et laction en dommages-intérêts quil envisage est une action en diffamation. […]

[Soulignements ajoutés; renvois omis]

[50]           À mon avis, ces enseignements sont applicables en l’espèce, car, ici aussi, les allégations de la demande introductive d’instance « entremêlent d’indissociable façon », sans d’ailleurs offrir la moindre précision sur les rapports qu’elles entretiennent[35], les diverses atteintes qu’auraient immédiatement engendrées les allégations mensongères formulées par les plaignantes.

[51]           Bref, le fait que appelants poursuivent seulement pour des atteintes à la liberté, à lhonneur et à la dignité de X est sans conséquence sur la qualification de leur action. Il s’agit bien d’une action fondée sur une atteinte à la réputation assujettie à la prescription d’un an prévue à l’article 2929 C.c.Q.

[52]           La juge de première instance a donc eu raison de conclure que cette action était prescrite.

III. Conclusion

[53]           Pour ces motifs, je propose à la Cour de rejeter l’appel, avec les frais de justice.

 

 

 

 

 

 

FRÉDÉRIC BACHAND, J.C.A.

 


 

MOTIFS DE LA JUGE BICH

 

 

[54]           Le présent appel soulève la question de savoir à quel délai de prescription est soumise l’action que les appelants ont intentée aux intimés. S’agit-il de la prescription de trois ans prévue par l’art. 2925 C.c.Q. ou de celle d’une année que fixe l’art. 2929 du même code? Par commodité, voici le texte de ces deux dispositions :

2925. L’action qui tend à faire valoir un droit personnel ou un droit réel mobilier et dont le délai de prescription n’est pas autrement fixé se prescrit par trois ans.

2925. An action to enforce a personal right or movable real right is prescribed by three years, if the prescriptive period is not otherwise determined.

2929. L’action fondée sur une atteinte à la réputation se prescrit par un an, à compter du jour où la connaissance en fut acquise par la personne diffamée.

2929. An action for defamation is prescribed by one year from the day on which the defamed person learned of the defamation.

[55]           La question, dans les circonstances, n’est pas facile à résoudre et je concède volontiers que l’on peut, certainement, envisager la réponse que propose mon collègue le juge Bachand. En tout respect, cependant, je ne partage pas son avis sur la qualification qu’il convient de donner à l’action des appelants et j’en viens donc pour ma part à la conclusion que l’art. 2929 C.c.Q. ne s’applique pas en l’espèce, l’action des appelants étant plutôt régie par l’art. 2925.

[56]           Mais, avant d’aller plus loin, je me permettrai une brève remarque au sujet du parallèle interprétatif qui s’imposerait entre les art. 2929 et 2930 C.c.Q. Dans l’arrêt Montréal (Ville de) c. Dorval[36], les juges majoritaires de la Cour suprême proposent une vision généreuse de l’art. 2930, qui fait primer la prescription triennale de l’art. 2925 C.c.Q. sur les prescriptions courtes régissant certaines actions en justice (en l’occurrence, celle de six mois qui s’applique aux recours contre les villes). En effet, malgré sa formulation, qui en fait une disposition apparemment subsidiaire, l’art. 2925 énonce en réalité la règle générale en matière de prescription des actions fondées sur un droit personnel : c’est, comme le rappellent les juges majoritaires dans Dorval, « la prescription de droit commun »[37], dont l’art. 2930 C.c.Q. assure la prééminence dans le cas du préjudice corporel, en soustrayant aux prescriptions courtes l’action fondée sur l’obligation de réparer les conséquences d’une atteinte fautive à l’intégrité physique d’une personne.

[57]           Par contraste avec l’art. 2930, qui renforce et rempare l’art. 2925, l’art. 2929, qui vise « l’action fondée sur une atteinte à la réputation / action for defamation », est une exception à la prescription triennale et on doit plutôt l’interpréter d’une manière aussi restrictive que ses termes le permettent (sans dénaturer ceux-ci, bien sûr)[38].

[58]           Cela étant, s’il faut, par analogie avec la méthode retenue dans le cas de l’art. 2930 C.c.Q., interpréter l’art. 2929 en fonction de l’acte fautif générateur de l’atteinte à la réputation dont il est y est question (et je paraphrase ici l’arrêt Dorval, paragr. 26), on devra conclure que cet acte ne peut être qu’un acte de diffamation au sens où la jurisprudence entend usuellement ce terme, c’estàdire un acte relevant de l’exercice fautif de la liberté d’expression, dans ses formes verbales ou écrites[39]. Or, la faute reprochée ici aux filles des intimés n’est pas de cette nature : elle comporte certes une composante expressive, mais surtout une mise en action qui va au delà de la parole (c’est-à-dire de l’expression écrite ou orale de la pensée[40]) et qui échappe au domaine de l’action en diffamation visée par l’art. 2929 C.c.Q.

[59]           Je m’explique.

* *

[60]           Les appelants ayant institué leur action moins de trois ans après l’acquittement de leur fils, mais plus d’une année après, la prescription applicable à leur recours en dommages-intérêts est-elle celle de l’art. 2925 C.c.Q. (3 ans) ou celle de l’art. 2929 C.c.Q. (1 an)? Pour répondre à cette question, il faut procéder à la qualification de l’action et se demander si elle est – ou non – « fondée sur une atteinte à la réputation », c’est-à-dire s’il s’agit d’une « action in defamation » (comme le veut la version anglaise de l’art. 2929) : si elle l’est, la prescription sera celle de l’art. 2929; si elle ne l’est pas, ce sera celle de l’art. 2925.

[61]           À l’instar de mon collègue, je veux bien que ce ne soit pas les chefs de dommages réclamés – ou ceux qui ne le sont pas – qui permettent, à eux seuls, d’identifier le fondement d’une action et de qualifier celle-ci, encore qu’il s’agisse à mon avis d’un élément pertinent à l’exercice. Mais il faut bien sûr examiner avant tout les allégations factuelles figurant dans la demande introductive d’instance et tenter de cerner ainsi l’acte fautif générateur. Qu’en est-il ici?

[62]           Reconnaissons d’abord que la demande introductive d’instance des appelants, telle que précisée le 5 octobre 2020, laisse malheureusement à désirer. L’on n’y saisit pas d’emblée ce que réclament précisément les appelants ou ce qu’est, au juste, la théorie de la cause qu’ils promeuvent. À la fin, cependant, on comprend que l’action est fondée sur la faute suivante, dont les appelants font grief aux filles mineures des intimés («plaignantes ») : celles-ci auraient délibérément et en toute connaissance de cause porté plainte à la police à l’endroit du fils des appelants (« X »), qui, auraientelles faussement prétendu, les aurait sexuellement agressées. Induisant les autorités en erreur, ces plaintes ont déclenché une enquête policière et mené au dépôt d’accusations criminelles contre X et à l’arrestation de celui-ci, qui fut toutefois acquitté dans chaque cas, le ministère public ayant ultérieurement déclaré n'avoir pas de preuve à offrir au tribunal. La faute des plaignantes (qui engendrerait la responsabilité civile de leurs parents) aurait causé préjudice aux appelants et à leur fils, préjudice qui se déclinerait en différents chefs de dommages pour lesquels ils réclament compensation. Ainsi :

- ils ont dû passer un nombre considérable d’heures à identifier des éléments de preuve disculpatoires et à préparer la défense aux accusations criminelles, devant même recourir à un informaticien spécialisé, dont ils ont payé les services;

- des frais de tutorat ont été dépensés afin d’aider l’enfant dans son parcours scolaire;

- en raison d’un changement d’école devenu nécessaire à la suite des accusations criminelles, des frais de déplacement substantiels ont été engagés; les fausses accusations ont engendré des dommages moraux (stress et souffrance, troubles et inconvénients) qui les ont tous affectés d’importante manière.

[63]           Comme on le voit, les appelants ne réclament pas de dommages pour atteinte à la réputation (qu’il s’agisse de la leur ou de celle de leur fils), du moins pas de façon expresse. Outre les dommages compensatoires énumérés ci-dessus, ils exigent toutefois, au nom de leur fils, des dommages punitifs « pour l’atteinte à ses droits protégés par l’art. 4 de la Charte des droits et libertés de la personne »[41], dommages qui seraient, si l'on déchiffre bien la demande introductive d’instance, justifiés par l’existence d’une atteinte intentionnelle à la dignité de leur fils, atteinte résultant des mêmes fausses accusations.

[64]           Considérant ces allégations (tenues pour vraies à ce stade de l’instance) et les dommages réclamés, a-t-on affaire ici à une action « fondée sur une atteinte à la réputation / for defamation » au sens de l’art. 2929 C.c.Q. et donc assujettie à la prescription d’une année que prévoit cette disposition ou à une action personnelle d’un autre type, soumise à la prescription triennale de l’art. 2925 C.c.Q.?

* *

[65]           La jurisprudence québécoise reconnaît depuis longtemps que le fait de dénoncer faussement aux autorités la commission d’une infraction fictive, enclenchant ainsi indûment une enquête policière et une poursuite criminelle contre autrui, peut constituer une faute susceptible d’engager la responsabilité civile au sens de l’art. 1457 C.c.Q. (antérieurement art. 1053 C.c.B.C.)[42]. Qu’il y ait ou non malice ou mauvaise foi n’importe pas, le caractère fautif de la conduite de celui ou de celle qui procède à une telle dénonciation devant être évalué en fonction du standard habituel de la personne raisonnable, c’est-à-dire de la personne prudente et diligente placée dans les mêmes circonstances[43] (norme de conduite qui, on le sait, « correspond à une obligation de moyens »[44]). Bien sûr, si malice ou mauvaise foi il y a, comme cela est allégué en l’espèce, on pourra a fortiori conclure à l’existence d’une faute susceptible de donner prise à la responsabilité civile établie par l’art. 1457 C.c.Q., dans la mesure où elle aurait causé préjudice à autrui.

[66]           Mais comment qualifier ce type de faute? Doit-on en pareil cas parler d’un acte diffamatoire, qui attente à la réputation de la personne visée? Ne s’agit-il pas d’un autre genre d’acte fautif, distinct de l’acte diffamatoire, quoiqu’il puisse avoir un impact sur la réputation d’autrui?

[67]           Il est vrai que, de manière assez générale – mais non unanime, comme on le verra –, la jurisprudence de la Cour supérieure et de la Cour du Québec depuis deux décennies semble indiquer que l’action entreprise à la suite d’une fausse plainte criminelle, dans un contexte comme celui de l’espèce (avec arrestation suivie d’une poursuite criminelle menant à un acquittement), doit être considérée comme fondée sur une atteinte à la réputation et conséquemment assujettie au délai de prescription d’une année que fixe l’art. 2929 C.c.Q., et ce, même si les dommages accordés peuvent aller au delà du préjudice associé à la perte de réputation au sens strict. C’est par exemple ce que conclut la Cour supérieure dans Bourque c. Bellemare[45], jugement qui semble avoir fait école[46] et que cite d’ailleurs ici la juge de première instance. Mon collègue le juge Bachand y fait lui aussi renvoi dans ses motifs et j’en parlerai moi-même plus loin.

[68]           Il demeure pourtant un corpus jurisprudentiel qui n’adopte pas ce point de vue et qui définit cette faute sans recourir au concept de diffamation[47]. On en trouve un exemple dans l’arrêt Bertrand c. Racicot[48], affaire dans laquelle l’un des appelants, en son nom et celui de son associé, a déposé auprès d’un juge de paix une fausse dénonciation pour fraude et complot de fraude, déclenchant contre les intimés une poursuite criminelle dont ils furent acquittés[49]. Le juge de première instance avait conclu à l’existence d’une faute, laquelle avait causé un préjudice dont il ordonne la réparation[50], ce que confirme notre cour.

[69]           Or, rien dans l’arrêt de la Cour ne renvoie à la notion de diffamation, pas plus d’ailleurs que le jugement de première instance, qui fait une étude fouillée de ce délit ou quasi-délit (pour reprendre la terminologie de l’époque) consistant à dénoncer faussement ou sans motif raisonnable une personne pour un crime qu’elle n’a pas commis, provoquant son arrestation ainsi qu’une poursuite criminelle et lui causant ainsi préjudice, notamment au chapitre de la réputation (chef de dommages accordé dans cette affaire). Ni le jugement de première instance ni l’arrêt prononcé en appel n’abordent la question de la prescription, qui ne paraissait pas être en jeu, mais l’analyse qui y est faite de la faute n’en est pas moins pertinente.

[70]           L’affaire Guimont c. Harper[51] offre une autre perspective. Dans une situation semblable à celle de l’espèce (l’on reproche à l’une des défenderesses, Mme Harper, d’avoir porté plainte malicieusement à la police et dénoncé une agression sexuelle inexistante), la Cour supérieure distingue ainsi les chefs de réclamation : elle applique l’art. 2929 C.c.Q. au chef de dommages lié à l’atteinte à la réputation, mais non aux chefs liés à d’autres types de préjudice découlant de la même faute  stress occasionné par les procédures et le procès, les déboursés d'avocat pour se défendre au criminel, les frais judiciaires futurs, la perte de revenus futurs ainsi que la perte de revenus et autres avantages sociaux »[52]), assujettis à celle de l’art. 2925 C.c.Q. Le tribunal fait donc droit à la requête en irrecevabilité de la défenderesse Harper pour le premier chef seulement, mais la rejette quant aux seconds.

[71]           On peut mentionner également l’affaire Montplaisir c. Lachance[53], autre affaire de fausse plainte à la police, où l’on opte – sommairement, il faut le dire – pour la prescription triennale de l’art. 2925 C.c.Q., marquant ainsi implicitement que l’action intentée ne tombe pas dans le champ de l’art. 2929 C.c.Q. et ne peut être considérée comme « fondée sur une atteinte à la réputation / for defamation » au sens de cette disposition. Dans d’autres affaires encore (où il n’est pas nécessairement question de prescription, notons-le), le tribunal analyse des situations du même genre (fausse plainte, arrestation, poursuite criminelle, acquittement) sans recourir à la notion de diffamation en tant que telle. On verra par exemple : Rus c. Farhadnia[54]; Shaban c. Petrov[55]; Bitar c. Bohbot[56].

[72]           Renvoyons également au jugement de la Cour du Québec dans M.K. c. A.F.[57], qui analyse distinctement la faute liée à une plainte criminelle mensongère et la faute que la défenderesse a commise en diffusant par ailleurs dans la communauté les mêmes faussetés au sujet du demandeur. C’est à semblable analyse, d’ailleurs, que se livre la Cour supérieure dans J.H. c. K.I.[58], jugement sur lequel il convient de s’arrêter puisque le raisonnement qu’on y tient sera avalisé par notre cour[59].

[73]           K.I. a déposé auprès de la police une plainte pour voies de fait, menaces et harcèlement, entraînant l’arrestation de J.H., puis une poursuite criminelle dont il sera ultérieurement acquitté. Elle a aussi répandu les mêmes accusations dans son entourage. Le juge de la Cour supérieure conclut au caractère malicieux et délibéré des plaintes de voies de fait et de menaces et donc à l’existence d’une faute qui a en l’occurrence causé à J.H. un préjudice se déclinant en dommages moraux (stress, dépression, traumatisme, etc.) et en dommages pécuniaires (perte de temps et honoraires d’avocats défrayés pour le dossier criminel). On comprend du chapitre que le juge consacre aux dommages punitifs (qu’il n’octroiera pas) que le débat porte surtout sur l’atteinte à la liberté de J.H., que garantit l’art. 1 de la Charte des droits et libertés de la personne[60]. Il condamnera en définitive K.I. à verser 20 000 $ à J.H. à titre de dommages moraux et 10 000 $ à titre de dommages pécuniaires. De surcroît, le juge conclut que K.I a commis une seconde faute, qui, elle, est de la nature d’une diffamation : elle a en effet colporté les mêmes mensonges à certains de ses proches et leur a rapporté les démêlés criminels de J.H., attentant ainsi à la réputation de ce dernier. Le juge accordera une indemnité propre à ce préjudice (3 000 $), refusant les dommages punitifs à cet égard.

[74]           Le juge de première instance ne traite donc pas la dénonciation mensongère de K.I. à l’endroit de J.H. comme un acte diffamatoire en tant que tel, mais comme une faute d’un autre ordre, faute à part entière (même si, manifestement, elle a pu nuire à la réputation de J. H.), distincte de celle qui concernait les propos médisants que K.I. a autrement tenus auprès de son entourage. En appel, notre cour valide cette façon de faire[61] :

[53] Tel que mentionné au début des présents motifs [renvoi omis], le juge a puisé abondamment dans la preuve avant de conclure que l’appelante avait délibérément fait une fausse déclaration en affirmant avoir été victime de voies de fait et de menaces de la part de l’intimé. Gardant à l’esprit le cadre juridique précédemment exposé, il ne fait donc aucun doute dans mon esprit que le juge n’a pas commis d’erreur révisable lorsqu’il écrit que l’appelante « a agi de façon téméraire (…) sans se soucier du préjudice possible à M. H..., et donc de mauvaise foi » [renvoi omis]. […]

[Soulignement ajouté]

[75]           Il faut dire que ni le jugement de la Cour supérieure ni celui de notre cour n’examinent le délai de prescription applicable, sujet qui n’était pas en cause (personne n’en parle, en tout cas), mais il n’empêche que l’on y aborde la question de la qualification de l’action intentée par la personne contre laquelle ont été portées des plaintes criminelles mensongères (avec arrestation et poursuite) en distinguant clairement ce qui se rattache à la diffamation et à l’atteinte à la réputation (les médisances propagées dans l’entourage) de ce qui ne s’y rattache pas principalement et qui constitue une faute distincte (dénonciations mensongères provoquant une arrestation et une poursuite criminelle dont la personne visée est finalement acquittée).

[76]           Cette proposition jette un éclairage intéressant sur la présente affaire, avec laquelle on pourrait être tenté de faire un parallèle. Il pourrait en effet y avoir ici, comme dans cet arrêt, deux fautes distinctes, c’est-à-dire une première faute de dénonciation malveillante auprès de la police, qui engendre son propre préjudice et ses propres chefs de dommages, puis une seconde faute, qui aurait consisté pour les plaignantes à propager leur récit mensonger auprès de leur entourage, incluant leurs camarades d’école, par exemple (ce qui n’est pas allégué comme tel dans la demande introductive d’instance). Les appelants n’auraient toutefois choisi de poursuivre que pour les dommages occasionnés par la première faute, et non la seconde. Si on applique à cette demande en justice le raisonnement suivi dans K.I. c. J.H., il serait hasardeux de conclure ici à la prescription du recours tout entier sur la foi de l’art. 2929 C.c.Q.

[77]           Enfin, et pour poursuivre cette revue jurisprudentielle, on peut signaler aussi l’arrêt Jean Pierre c. Benhachmi[62], qui confirme là encore un jugement de la Cour supérieure statuant sur la responsabilité civile de personnes ayant faussement dénoncé leur voisin pour un crime que celui-ci n’a pas commis, dénonciation ayant mené à son arrestation puis à une poursuite criminelle dont il fut acquitté[63]. Ni la Cour supérieure ni la Cour d’appel n’envisagent l’affaire sous l’angle de la diffamation (encore que le demandeur ait fait valoir un chef de dommages rattaché à une perte de réputation dans son milieu de travail), retenant simplement que la fausse plainte constitue une faute qui a causé préjudice au demandeur, ce qui donne lieu à une condamnation pour troubles psychologiques, ainsi qu’à l’imposition de dommages punitifs pour « atteinte illicite et intentionnelle à la personne »[64] du demandeur. Le chef rattaché à la perte de réputation ne fut pas retenu, faute de preuve[65].

[78]           Bref, ce second courant, comme on le voit, fait de la dénonciation mensongère d’une infraction une faute particulière, qui consiste à mettre fallacieusement en mouvement le système de justice criminelle au détriment d’autrui, faute qui est de nature à générer des dommages moraux importants de même que des dommages pécuniaires, et ce, indépendamment de tout préjudice rattaché à l’atteinte à la réputation, laquelle peut également en découler, mais secondairement.

[79]           Pour le reste, notre cour ne s’est pas souvent prononcée sur la prescription applicable à une action en responsabilité civile intentée dans un tel contexte. Elle a eu l’occasion de le faire dans les arrêts Bourassa c. Del Rio-Abarca[66], Bourque c. Bellemare[67] ou même V.S. c. A.M.[68], dont les enseignements ne sont toutefois pas limpides.

[80]           Examinons d’abord l’arrêt Bourassa c. Del Rio-Abarca, dont la trame factuelle présente des similitudes avec celle du présent dossier. M. Bourassa a en effet intenté une action en responsabilité civile contre trois personnes qui, agissant de concert et ayant comploté à cette fin, ont déposé contre lui une plainte l’accusant faussement d’agression sexuelle, entraînant ainsi une poursuite criminelle dont il sera finalement acquitté. Il leur réclame des dommages de diverses sortes[69], incluant des dommages pour atteinte à la réputation. Les trois personnes en question présentent une requête en irrecevabilité à l’encontre de cette action, alléguant prescription, plus de quatre ans s’étant écoulés depuis la survenance des fausses dénonciations. On notera que, parallèlement, M. Bourassa a également poursuivi, par voie d’actions distinctes, deux autres groupes de défendeurs (en gros, la police et le poursuivant) pour enquête policière et poursuite criminelle abusives. Nous ignorons si ces autres parties défenderesses ont demandé que les actions instituées contre elles soient déclarées irrecevables, la requête dont était saisi ici le juge de première instance concernant uniquement l’action intentée contre Mme Del Rio Abarca et ses deux codéfendeurs.

[81]           Le juge de première instance conclut tout d’abord, assez succinctement d’ailleurs, que la prescription triennale prévue par l’art. 2925 C.c.Q. s’applique à l’action qu’a intentée M. Bourassa : « De fait, le demandeur tend à faire valoir un droit personnel et le délai de prescription en ce cas n'est pas autrement fixé que par celui prévu à l'article 2925, C.c.Q., soit un délai de trois ans »[70]. Or, conclut-il, M. Bourassa ayant introduit sa procédure contre les parties défenderesses plus de trois ans après la date des plaintes qu’elles ont déposées contre lui, son recours est prescrit et doit être rejeté.

[82]           M. Bourassa se pourvoit contre ce jugement que notre cour infirmera séance tenante, en quelques paragraphes. Elle estime en effet que le juge de première instance a erré en ne reconnaissant pas l’impossibilité d’agir du requérant pendant l’instance criminelle qui a suivi les fausses plaintes et en fixant le point de départ de la prescription avant la date du jugement final d’acquittement. La Cour écrit ainsi que :

[1] Le juge a accueilli la requête en irrecevabilité formée par les intimés et déclaré prescrite la requête de l'appelant en dommages-intérêts dans laquelle il reproche aux intimés d'avoir, en 1999, comploté ensemble de façon intentionnelle et délibérée pour que des fausses accusations soient portées contre lui.

[…]

[6] Aux paragraphes 32 à 42 de la déclaration, paragraphes qu'il faut tenir pour avérés, l'appelant allègue que les intimés ont porté de fausses accusations, qu'ils ont participé activement à convaincre la police et la Couronne du bien-fondé d'une accusation qu'ils savaient fausse et qu'ils ont accrédité la thèse du viol pour obtenir sa condamnation.

[7] Les reproches allégués par l'appelant dans sa déclaration, à savoir que les intimés avaient occasionné, par leurs mensonges, une poursuite abusive lui causant un préjudice, disparaissaient si le jugement final le reconnaissait coupable. Dans ces circonstances, l'appelant a raison de soutenir qu'il a le droit de bénéficier de l'exception que la jurisprudence [renvoi omis] reconnaît quant à la suspension de la prescription qui s'applique en matière de procédure abusive.

[8] Il n'aurait pas été pour autant prématuré d'intenter un recours avant la date du jugement final, mais le point de départ de la prescription court du jour où le jugement final est rendu lorsque le recours en dommages est non seulement un recours en diffamation mais également un recours pour abus de procédure.

[Soulignements ajoutés]

[83]           Ces propos régleront pour l’avenir la question du point de départ de la prescription en pareilles circonstances, c’est-à-dire celle du jugement d’acquittement (au plus tard), comme en fait foi la jurisprudence subséquente. Par ailleurs, rien dans l’arrêt de la Cour ne remet en question l’application de l’art. 2925 C.c.Q. à l’action intentée par l’appelant à ses dénonciateurs. On pourrait même être tenté d’inférer des dernières lignes de chacun des paragraphes 7 et 8 de la citation reproduite ci-dessus que la Cour est d’accord avec l’idée que cette action « est non seulement un recours en diffamation mais également un recours pour abus de procédure » (car même si ce ne sont pas les dénonciateurs qui ont engagé la poursuite criminelle, ce sont eux qui ont créé les conditions de son déclenchement), recours qui bénéficie de la prescription applicable « en matière de procédure abusive », ce qui confirmerait l’application de l’art. 2925 C.c.Q. C’est peut-être là étirer le propos, mais le fait demeure que la Cour n'a pas cru bon de réviser la détermination du juge de première instance sur ce point.

[84]           Passons maintenant à l’arrêt Bourque c. Bellemare[71], prononcé quelques mois après Bourassa c. Del Rio-Abarca. Dans Bourque, comme on l’a vu plus haut (supra, paragr. [67]), la Cour supérieure, saisie d’une requête en irrecevabilité, a conclu que l’action intentée contre la personne ayant faussement accusé le demandeur d’avoir commis une infraction de nature sexuelle, ce qui a entraîné une arrestation, une poursuite criminelle et un procès au terme duquel il fut acquitté, que cette action, donc, était de la nature d’une action en diffamation, ce qui enclenchait à son avis la prescription d’une année prévue par l’art. 2929 C.c.Q. Selon le juge, le point de départ de cette prescription correspondait à celui du jour de la connaissance acquise du propos diffamatoire (en l’occurrence le moment de l’arrestation). L’action ayant été intentée plus d’une année après cette date, elle était donc tardive et, partant, irrecevable.

[85]           Dans un court arrêt, notre cour statue ainsi sur l’appel de ce jugement :

[…]

[3] Le juge s'est fondé sur l'article 2929 du Code civil du Québec pour conclure que le recours de l'appelant était prescrit :

2929.  L'action fondée sur une atteinte à la réputation se prescrit par un an, à compter du jour où la connaissance en fut acquise par la personne diffamée.

[4] Or, dans l'arrêt Bourassa c. Del Rio-Abarca, J.E. 2005-860 (C.A.), une affaire présentant beaucoup d'analogie avec la présente affaire, voici comment la Cour s'est exprimée:

[reproduction des paragr. 1, 7 et 8 de l’arrêt Bourassa]

[5] Dans la présente affaire, l'appelant a été acquitté le 9 avril 2003 des accusations portées contre lui à la suite des plaintes de l'intimée et il a introduit sa requête introductive d'instance contre cette dernière le 7 avril 2004;

[6] Selon les principes retenus dans l'arrêt Bourassa c. Del Rio-Abarca, le recours n'était donc pas prescrit;

POUR CES MOTIFS :

[7] ACCUEILLE l'appel, avec dépens;

[8] REJETTE, avec dépens, la requête en irrecevabilité.

[86]           Sans aucun doute cet arrêt de la Cour avalise-t-il la règle selon laquelle, dans une affaire de dénonciations mensongères donnant lieu à une poursuite criminelle, le point de départ ultime de la prescription est celui du jour de l’acquittement. L’arrêt ne fait toutefois aucun commentaire sur la question du délai de prescription lui-même. Cependant, par sa formulation, le paragraphe 5 de la citation ci-dessus laisserait-il entendre que la Cour est d’accord avec l’application de la prescription annale de l’art. 2929 C.c.Q.? Mais alors, par son paragraphe 6, ne se trouverait-elle pas plutôt à avaliser la prescription triennale, celle de l’art. 2925 C.c.Q., que l’arrêt Bourassa avait luimême implicitement confirmée? Il serait peut-être téméraire de conclure dans un sens ou dans un autre, le propos n’étant pas parfaitement clair à cet égard (tout comme dans Bourassa, à vrai dire).

[87]           L’arrêt V.S. c. A.M.[72] ne dénoue pas l’imbroglio. Dans cette affaire issue d’un divorce acrimonieux, A.M., ex-conjointe de V.S., porte plainte contre celui-ci auprès de la police, ce qui donne lieu à une dénonciation elle-même suivie de la prise d’un engagement conforme à l’art. 810 C.cr. Poursuivie en dommages-intérêts par V.S., A.M. fait valoir que l’action est prescrite et par ailleurs mal fondée. Statuant sur le fond de l’affaire (et non au stade de l’irrecevabilité)[73], la Cour du Québec, citant notamment le jugement de la Cour supérieure dans Bourque c. Bellemare, lui donne raison et déclare l’action prescrite en raison de l’art. 2929 C.c.Q. La Cour du Québec ne s’arrête cependant pas là et analyse la preuve pour conclure finalement que la plainte d’A.M. auprès de la police n’avait rien de fautif et ne pouvait donc entraîner sa responsabilité civile. Saisie d’une requête en rejet de l’appel interjeté par V.S., notre cour y fera droit en quelques lignes, rappelant que « [l]e jugement, particulièrement fouillé, de première instance porte pour l'essentiel sur des questions de fait qui relèvent de l'appréciation de la preuve par le juge de première instance »[74] et que « [l]'appelant n'a pas réussi à démontrer la présence d'une erreur révisable »[75], son appel n’ayant en conséquence « aucune chance raisonnable de succès »[76]. Il est impossible de conclure de cet arrêt que la Cour a tranché la question de la prescription plutôt que la seule question du caractère fautif du geste reproché à A.M.

[88]           En somme, la jurisprudence de la Cour ne permet pas de conclure avec certitude que la prescription d’une action comme celle de l’espèce est régie par l’art. 2925 ou par l’art. 2929 C.c.Q., quoique, dans un cas comme dans l’autre, le point de départ en soit le même, ce qui n’est pas remis en cause dans le présent dossier.

[89]           Tout cela étant dit, je suis pour ma part encline à conclure que l’action intentée par les appelants n’est pas de la nature d’une action en diffamation, c’est-à-dire une action fondée simplement sur l’atteinte à la réputation, au sens de l’art. 2929 C.c.Q. Je préfère me rallier à la jurisprudence qui fait de la faute que l’on reproche ici aux plaignantes un acte qui, certes, peut porter atteinte à la réputation d’autrui, mais cause d’abord et avant tout une atteinte à sa liberté, atteinte qui est le fondement premier de l’action. Conclure autrement me semblerait en effet donner une portée trop large à l’art. 2929 C.c.Q., disposition d’exception, et nous éloigner de la notion même de diffamation qui en est le cœur. On risquerait ainsi que l’art. 2929 C.c.Q. absorbe tout recours fondé sur une faute, quelle qu’elle soit, susceptible de produire incidemment une atteinte à la réputation, qu’on réclame ou non des dommages pour cette atteinte : pensons ici à un congédiement injustifié, à la rupture d’un contrat pour inexécution indûment alléguée ou autre.

[90]           Comme l’écrit le juge LeBel, pour la Cour, dans Société Radio-Canada c. Radio Sept-Îles inc.[77] :

 Génériquement, la diffamation consiste dans la communication de propos ou d'écrits qui font perdre l'estime ou la considération de quelqu'un ou qui, encore, suscitent à son égard des sentiments défavorables ou désagréables [renvoi omis]. Elle implique une atteinte injuste à la réputation d'une personne, par le mal que l'on dit d'elle ou la haine, le mépris ou le ridicule auxquels on l'expose [renvoi omis].[78]

[91]           De ce point de vue, la diffamation est en quelque sorte le revers de la liberté d’expression (incluant la liberté de presse ou le droit à l’information) ou plus exactement l’une des limites de celle-ci. C’est en tout cas, comme on le voit de la jurisprudence de la Cour suprême et de notre cour, un binôme largement indissociable, « le recours en diffamation met[tant] en jeu deux valeurs fondamentales, soit la liberté d’expression et le droit à la réputation »[79]. « Le droit de la diffamation constitue un outil de protection de la réputation personnelle. Ce droit évolue au diapason de la société et en fonction de l’importance qu’elle accorde à la liberté d’expression », écrit la juge Deschamps dans Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR inc.[80]. Cette liberté, selon le juge LeBel, « confère à tous la possibilité de s’exprimer sur l’ensemble des sujets qui concernent la vie en société […]. Très large, son contenu incorpore des formes d’expression d’importance et de qualité variables »[81], politique, commerciale ou autre[82]. Elle fait en sorte « que chacun puisse manifester ses pensées, ses opinions, ses croyances, en fait, toutes les expressions du cœur ou de l’esprit, aussi impopulaires, déplaisantes ou contestataires soientelles »[83], avec certaines limites, toutefois, dont celles qui concernent la diffamation[84] : « la liberté d’expression peut être limitée par les exigences du droit d’autrui à la protection de sa réputation »[85], ce droit étant aussi important « dans une société démocratique soucieuse de respecter la personne »[86].

[92]           Tout le droit de la diffamation repose ainsi sur le maintien, au cas par cas, d’un équilibre (contextuel) entre la liberté d’expression et le droit à la protection de la réputation de chaque personne[87].

[93]           Il en ressort que c’est donc l’atteinte à la réputation découlant de l’exercice de la liberté d’expression ou, plus exactement, de l’exercice fautif de celle-ci, qui définit la diffamation (dans les trois déclinaisons que reconnaît par ailleurs la jurisprudence, à savoir : les propos désagréables qu’une personne tient à l’égard d’autrui tout en les sachant faux; la diffusion que fait une personne de choses désagréables sur autrui alors qu’elle devrait les savoir fausses; les propos défavorables, mais véridiques qu’une personne médisante tient à l’égard d’autrui[88]). C’est de ce type de diffamation, donnant ouverture à l’action fondée sur une atteinte à la réputation, qu’il est question à l’art. 2929 C.c.Q.[89] et rien dans l’historique législatif de cette disposition (ou de l’art. 2262, paragr. 1 C.c.B.C., son prédécesseur) ne permet de penser qu’il puisse en aller autrement. Bref, l’atteinte à la réputation / defamation au sens de l’art. 2929 C.c.Q. découle d’un usage fautif de la liberté d’expression, la notion de diffamation renvoyant à la faute commise dans un contexte mettant en jeu la liberté et le droit de s’exprimer.

[94]           Or, à mon avis, on ne peut pas parler d’exercice de la liberté d’expression – ou, plus exactement pas seulement de liberté d’expression – lorsqu’une personne, de manière délibérée et malicieuse, comme on l’allègue ici, dénonce faussement à la police une infraction qu’elle sait inexistante. On ne peut pas même parler en pareil cas d’un « abus » de la liberté d’expression, puisque celle-ci ne couvre pas ce genre de comportement (pas plus qu’elle n’a à voir avec la fraude perpétrée au moyen de propos mensongers[90]). Une telle dénonciation, pour paraphraser les propos du juge en chef Dickson dans Irwin Toy Ltd.[91], n’est en effet pas la manifestation d’une pensée, d’une opinion, d’une croyance, au sens où l’entend la jurisprudence en matière de liberté d’expression, et elle ne constitue pas davantage une expression protégée du cœur ou de l’esprit.

[95]           Je serais même portée à dire que, généralement, même la personne de bonne foi qui s’adresse à la police pour dénoncer une infraction réelle n’exerce pas, ce faisant, sa liberté d’expression (pas plus qu’elle n’exercerait sa liberté d’expression en consentant verbalement à la conclusion d’un contrat, en acceptant par écrit une succession ou en demandant un renseignement quelconque à une personne en autorité) : elle exerce simplement son droit de dénoncer un crime aux autorités. Mais, à vrai dire, je n’ai pas besoin de me prononcer aussi largement. La question se pose ici uniquement de savoir comment qualifier la conduite de l’individu qui dépose auprès des autorités publiques – la police en l’occurrence – une plainte qu’il sait fausse, et ce, dans le but de nuire à autrui en mettant en branle l’appareil répressif de l’État, c’est-àdire en provoquant une arrestation, puis une poursuite criminelle qui entraveront inéluctablement la liberté (voire l’intégrité) de la personne visée (même si celle-ci, en fin de compte, est acquittée) : une telle conduite, si les faits en sont établis, dépasse le champ de la liberté d’expression pour entrer dans celui du passage à l’acte[92] et constitue même un méfait public, que prohibe d’ailleurs l’art. 140 C.cr.[93].

[96]           C’est là, en effet, un abus du droit de dénoncer reconnu à toute personne, comme le rappelait la Cour, sous la plume du juge Tyndale, dans Bertrand c. Racicot[94] :

 The main question raised by these appeals, apart from quantum, is as to the liability of a person who instigates criminal proceedings against another. The general rule is that every citizen has the right, and sometimes the duty, to do so if he has reasonable and probable grounds for believing that a crime has been committed (Cr. Cd. 455) and it is important in the administration of justice that he be free to do so without fear of any consequences; he only incurs liability if the prosecution fails and if he acts without reasonable and probable grounds or from improper motives. [renvoi omis]

 A great issue was made in both courts of the presence or absence of malice on the part of Appellants, and before I go further I wish to tackle that issue. In this province, the sole basis for an action for damages due to what is variously called false arrest, malicious prosecution, or abus de procédures” is article 1053 C.C., which need surely not quote here. It is based on the notion of fault, as judged by the conduct of a reasonable man, un bon père de famille, and that is the sole test. […][95]

[Soulignements ajoutés au premier paragraphe]

[97]           L’on a, indubitablement, le droit de dénoncer aux autorités la personne qui a commis ou dont on croit qu’elle a commis un crime, y compris pour assurer sa propre protection ou celle d’autrui, mais l’on ne saurait abuser de ce droit en l’exerçant « en vue de nuire à autrui ou d’une manière excessive et déraisonnable » (art. 7 C.c.Q.). Or, déposer intentionnellement auprès de la police une plainte dénonçant faussement un crime qu’on sait ne pas avoir été commis ou dont on n’a aucun motif raisonnable de croire qu’il a été commis par la personne visée est un abus du droit de dénoncer : c’est là l’acte fautif générateur du préjudice subi.

[98]           Je ne nie pas que cette conduite malveillante puisse, certes, entacher la réputation de la personne visée, mais c’est surtout, comme je l’indiquais plus haut (supra, paragr. [89]) la liberté de celle-ci qui est mise en péril, particulièrement lorsque la fausse plainte est suivie (comme elle le fut ici) d’une arrestation, puis d’une poursuite criminelle. Une dénonciation de ce genre, faite aussi faussement qu’intentionnellement, me paraît en effet une atteinte ou, du moins, une tentative d’atteinte à la liberté (et peutêtre même à l’intégrité) de la personne qu’on dénonce ainsi, liberté (et intégrité) que protège l’art. 1 de la Charte québécoise (disposition qui s’applique dans la sphère privée autant que publique), et ce, même si elle peut incidemment engendrer, lorsque la chose devient connue (comme ce fut également le cas ici), une atteinte à la réputation. À mon humble avis, l’action en responsabilité civile fondée sur l’atteinte à la liberté protégée par l’art. 1 de la Charte québécoise n’est pas une action fondée sur l’atteinte à la réputation au sens de l’art. 2929 C.c.Q., même si elle peut égratigner cette réputation, mais bien une action fondée sur un autre droit, celui de jouir de sa liberté, et assujettie à la prescription triennale de l’art. 2925 C.c.Q. Autrement dit, ce n’est pas parce qu’une faute a pour conséquence d’attenter à la réputation d’autrui qu’on doit ignorer la ou les atteintes distinctes qu’elle cause par ailleurs et apposer l’étiquette de l’action en diffamation sur le recours intenté en vue de réparer ces préjudices, le faisant ainsi tomber sous le coup de l’art. 2929 C.c.Q.

[99]           Car le fait d’être l’objet d’une pareille dénonciation engendre en lui-même, du moins potentiellement, un préjudice distinct, qui peut être d’ordre moral (stress, anxiété, inquiétude, accablement, humiliation, etc.), psychologique (dépression, idées suicidaires, etc.) ou matériel (honoraires et frais dépensés pour la défense ou autres), préjudice indépendant des éclaboussures à la réputation (s’il en est) et dont on ne peut pas dire qu’il soit la suite ni la conséquence immédiate et directe de l’atteinte à celle-ci (comme pouvaient l’être les conséquences pécuniaires et non pécuniaires subies par les parents dans l’arrêt Dorval, qui découlaient directement de l’atteinte à l’intégrité physique de leur fille). Ce préjudice est indépendant de l’atteinte à la réputation et différenciable de celuici. On devrait même, en pareil cas, considérer l’atteinte à la réputation (le cas échéant) comme un préjudice secondaire, accessoire, rattaché à la commission d’une faute qui ne relève pas à proprement parler de la diffamation[96] et qui ne fonde donc pas en tant que tel l’action intentée par la victime au sens de l’art. 2929 C.c.Q.

[100]      Et, au risque de me répéter, si l’art. 2929 C.c.Q. ne s’applique pas, parce que la conduite fautive n’est pas de la nature d’un acte diffamatoire au sens de cette disposition, en ce qu’elle attente principalement à la liberté de la personne visée (avant que d’attenter possiblement à sa réputation), c’est l’art. 2925 C.c.Q., avec sa prescription triennale, qui régit l’action en responsabilité civile que la victime intentera contre ses détracteurs.

[101]      Je note enfin que dans leur ouvrage sur la responsabilité civile, les auteurs Baudouin, Deslauriers et Moore écrivent ceci :

1-1307Interprétation de l’article 2929 C.c. – La portée de l’article 2929 C.c. n’est toutefois pas aisée à déterminer en ce que le recours pour atteinte à la réputation peut dans certains cas se confondre ou se superposer à celui pour atteinte à la vie privée, à la dignité, au droit à l’image ou à la réputation commerciale ou encore à celui d’une arrestation ou d’une accusation criminelle injustifiée. Lorsqu’il est possible de dissocier les différentes atteintes, la prescription courte de l’article 2929 C.c. ne s’applique qu’aux seuls dommages liés à la diffamation. Dans le cas où une telle dissociation est impossible, la solution est plus nuancée, la Cour d’appel ayant jugé inapplicable la prescription courte lorsqu’il y avait atteinte à la vie privée, alors qu’elle l’a jugée applicable dans une situation où les propos diffamatoires étaient également discriminatoires et portaient atteinte à la dignité de la personne.[97]

[Renvois omis]

[102]      Il est vrai, comme on l’a vu précédemment, que certains jugements relatifs à des plaintes criminelles malveillantes ont effectivement dissocié le chef de dommages rattaché à l’atteinte à la réputation des autres chefs de dommages résultant de la faute et ont appliqué l’art. 2929 C.c.Q. au premier, mais non aux autres[98]. Or, à mon avis, il sera souvent difficile, voire impossible, d’effectuer cet exercice, sauf à faire des distinctions artificielles entre ce qui se rattache à l’atteinte à la liberté et ce qui se rattache à l’atteinte à la réputation, alors que celle-ci, dans le contexte de la dénonciation malveillante d’un crime qu’on sait inexistant, est inhérente à celle-là. Je serais en conséquence portée à suivre l’exemple de l’arrêt Fillion c. Chiasson[99] (où l’acte diffamatoire était également attentatoire à la vie privée) et à écarter la prescription courte de l’art. 2929 C.c.Q. C’est ce qu’a décidé aussi la Cour supérieure dans SNC-Lavalin Group inc. c. Ben Aïssa[100], dans un contexte bien différent du nôtre, mais qui se prête néanmoins à la comparaison.

[103]      Dans cette affaire, la demanderesse SNC-Lavalin intente une action en responsabilité civile aux défendeurs, qu’elle accuse d’un détournement de fonds qui furent notamment employés à des fins de corruption d’agents étrangers. Ce détournement a fait l’objet d’une enquête policière et causé un scandale mondial. La demanderesse réclame des défendeurs le remboursement des sommes détournées ainsi que des dommages pour l’atteinte à la réputation que leurs gestes fautifs ont causée. Saisie de la question de la prescription de cette seconde réclamation, la juge Monast, se fondant notamment sur l’arrêt Fillion c. Chiasson, écrit que :

[186] Quant à l’argument soulevé sur la prescription, la courte période de prescription prévue à l’article 2929 C.c.Q. est inapplicable en l’espèce parce que le recours des demanderesses n’est pas fondé exclusivement sur une atteinte à leur réputation [renvoi omis].

[187] Les actes fautifs qui sont reprochés aux défendeurs vont au-delà de gestes qui auraient eu pour effet de porter atteinte à la réputation. Il est question de fraude et de détournement de fonds. La prescription applicable est celle prévue à l’article 2925 C.c.Q. Le délai pour intenter le recours était donc de trois ans.[101]

[104]      On voit tout de suite l’analogie qui peut être faite avec la présente affaire, où l’acte fautif reproché aux plaignantes va au delà des seuls gestes ou paroles qui auraient pu entacher la réputation du fils des appelants (ou la leur) et d’ailleurs s’en distingue.

[105]      Quoi qu’il en soit, même si l’on devait, comme dans Guimont c. Harper[102], conclure à la possibilité de dissocier les atteintes et d’appliquer une prescription différente aux dommages qui en découlent (un an pour l’atteinte à la réputation et les dommages qui s’y rattachent et trois ans pour l’atteinte à la liberté (ou l’intégrité) et les chefs de dommages qui s’y rattachent), rappelons que les appelants, en l’espèce, ne réclament pas de dommages pour atteinte à leur réputation ou à celle de leur fils et qu’il n’y aurait donc rien qui donne prise à l’application de l’art. 2929 C.c.Q.

* *

[106]      Tout cela pour dire que, en l’espèce, c’est l’atteinte à la liberté qui est le fondement réel et premier de l’action intentée par les appelants, même s’ils ne l’ont pas formulé ainsi en toutes lettres dans leur demande introductive d’instance : ce qu’ils ont écrit suffit néanmoins à étayer cette qualification de leur recours. Plus exactement, l’action est fondée sur l’atteinte à la liberté de l’enfant mineur X, atteinte résultant de l’exercice abusif que les plaignantes ont fait de leur droit de dénoncer. Cette faute aurait causé à P.C. comme à ses parents un préjudice se déclinant en divers chefs de dommages (voir supra, paragr. [62]), auxquels s’ajoute une réclamation de dommages punitifs. La nature du recours ne change par ailleurs pas parce que la demande introductive d’instance évoque l’art. 4 de la Charte québécoise et le droit à la dignité, sans mentionner l’art. 1 de la même charte. Si les faits donnent prise à l’application d’une disposition législative, ce n’est pas parce que la demande introductive d’instance n’en fait pas état qu’il est interdit d’y recourir. On sait en effet depuis longtemps que, sans que cela soit prohibé, une demande introductive d’instance n’a de toute façon pas à exposer des prétentions de droit, mais seulement les faits[103].

[107]      Confirme cette qualification de l’action des appelants le fait qu’ils ne réclament pas de dommage pour atteinte à la réputation ou pour un préjudice découlant d’une telle atteinte (du moins pour ce qui ressort de leur demande introductive d’instance).

[108]      Pour ces raisons, je conclus donc que l’action des appelants n’est pas régie par l’art. 2929 C.c.Q., mais par l’art. 2925 et qu’elle n’est pas prescrite, puisqu’elle a été intentée moins de trois ans après la date de l’acquittement de X.

* *

[109]      Je tiens enfin à préciser que tout ce qui précède est limité à la situation de la plainte malveillante ou déraisonnable auprès des autorités policières, criminelles ou pénales. Je ne me prononce pas sur les dénonciations autres, qui ne sont pas en cause.

[110]      De plus, l’argument que je propose ici et le résultat auquel je parviens sont, évidemment, tributaires de l’obligation qui incombe au tribunal, au stade de la demande d’irrecevabilité fondée sur l’art. 168 al. 2 C.p.c., de tenir pour vrais les faits allégués par la demande introductive d’instance. Cette obligation s’impose tant en première instance qu’en appel. Il faut donc, en l’espèce, considérer comme avéré que les plaignantes ont agi de mauvaise foi, malicieusement, en déposant auprès de la police des plaintes d’agression sexuelle qu’elles savaient fausses, induisant ainsi délibérément les autorités en erreur dans le but de nuire au fils des appelants, engendrant une arrestation et une poursuite criminelle et attentant de ce fait à sa liberté (ou tentant d’y attenter). Les présents motifs s’appliquent strictement à cette proposition factuelle, dont les divers éléments n’ont cependant pas encore été prouvés et devront l’être au procès, ce dont le fardeau incombera aux appelants. Or, ce fardeau sera lourd.

[111]      En effet, et il faut le rappeler, la personne qui porte plainte à la police de manière sincère et qui agit sur la foi d’une croyance raisonnable ne commet aucune faute et n’encourt pas de responsabilité civile, même si elle se trompe ou si les faits sur lesquels elle se fonde ne sont par la suite pas établis ou sont réfutés et même si sa plainte a pu causer préjudice à autrui.

[112]      « Tout citoyen a le droit, voire le devoir, de recourir aux policiers pour dénoncer la commission d’un délit ou assurer sa sécurité ou celle du public »[104] et « [l]a saine administration de la justice et la nécessité de protéger la sécurité du public requièrent qu’une personne soit libre de dénoncer la commission d’un délit criminel sans crainte de représailles »[105]. La Cour suprême le reconnaissait déjà en 1908, dans Hêtu v. Dixville Butter & Cheese Assoc'n[106]. Ce n’est donc pas parce qu’une plainte à la police serait rejetée ou ne mènerait pas à une déclaration de culpabilité que la responsabilité civile de la personne plaignante serait engagée. C’est plutôt l’exercice abusif du droit de dénoncer qui pourra donner prise à la responsabilité civile : il faudra donc que l’on établisse un comportement déraisonnable et sans fondement, qui n’est pas celui de la personne normalement prudente et diligente placée dans les mêmes circonstances. Cela requiert une analyse contextuelle et circonspecte, qui ne mène pas au bâillonnement des victimes d’une infraction, notamment en matière sexuelle, et qui ne laisse pas cours aux représailles[107], tout en préservant les droits des personnes indûment visées par de fausses plaintes criminelles.

* *

[113]      Un dernier mot : même si mon collègue le juge Bachand et moi-même n’envisageons pas les choses de la même façon, je souscris aux propos qu’il tient dans la seconde portion du paragraphe [34] de ses motifs, au sujet de l’obsolescence potentielle de l’art. 2929 C.c.Q., disposition qui mériterait d’être revue. Les conditions qui pouvaient justifier, au 19e siècle, la courte prescription d’une année (que prescrivait alors l’art. 2262 C.c.B.C.) n'existent en effet plus, le monde ayant passablement changé depuis lors. Peut-être existe-t-il encore des raisons de maintenir cette prescription, mais il y a là, certainement, matière à réflexion législative.

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

 


[1] Desbiens c. Standish, 2021 QCCS 4797 [jugement entrepris].

[2] Voir par ex. : Province canadienne de la Congrégation de Sainte-Croix c. Centre de services scolaire Chemin-du-Roy, 2022 QCCA 227, paragr. 9-10; Société de l'assurance automobile du Québec c. Ville de Montréal, 2022 QCCA 1165, paragr. 19; Autorité des marchés financiers c. Weynant, 2023 QCCA 122, paragr. 22.

[3] Demande introductive d’instance, paragr. 18.

[4] RLRQ c. C-12. L’article 4 prévoit ce qui suit : « [t]oute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation/[e]very person has a right to the safeguard of his dignity, honour and reputation ».

[5] Lequel prévoit qu’une partie « peut […] opposer lirrecevabilité si la demande ou la défense nest pas fondée en droit, quoique les faits allégués puissent être vrais/may […] ask that an application or a defence be dismissed if it is unfounded in law even if the facts alleged are true ».

[6] 2004 CanLII 55051 (QC CS, appel accueilli, mais sur une autre question que celle de la qualification de l’action : 2005 QCCA 593).

[7] Jugement entrepris, paragr. 28.

[8] 2011 QCCA 992.

[9] 2007 QCCA 570.

[10] Mémoire des appelants, paragr. 39 : « [l]’acte fautif au cœur de la cause daction nest pas le fait davoir tenu des propos mensongers, mais plutôt davoir instrumentalisé la police et le poursuivant afin de porter des accusations criminelles non fondées contre X ».

[11] Mémoire des appelants, paragr. 37 : « [i]l est évident aussi que tous les troubles, les inconvénients, la souffrance, le stress et les dommages matériels allégués et reliés à la contestation des accusations criminelles sont des dommages qui ne découlent pas dune atteinte à la réputation ».

[12] Voir par ex. Propane NordOuest c. Galarneau, 2015 QCCA 1688, paragr. 17 : « [l]orsque la Cour dappel intervient pour statuer sur le bien-fondé dun moyen dirrecevabilité, la norme dintervention est celle de la décision correcte puisquil sagit de lexamen dune question de droit dans un contexte où les faits contenus dans la requête introductive dinstance ainsi que les pièces à son soutien doivent être tenus pour avérés ». Voir aussi; Entrepôt International Québec, s.e.c. c. Protection incendie de la Capitale inc., 2014 QCCA 617, paragr. 1; Chapman c. Procureure générale du Québec, 2018 QCCA 2013, paragr. 32; Mallat c. Autorité des marchés financiers de France, 2021 QCCA 1102 (autorisation d’appel à la Cour suprême refusée, 28 avril 2022, n° 39859), paragr. 120; Dostie c. Procureur général du Canada, 2022 QCCA 1652 (autorisation d’appel à la Cour suprême refusée, 27 juillet 2023, n° 40597), paragr. 18; Autorité des marchés financiers c. Weynant, 2023 QCCA 122, paragr. 32.

[13] Bohémier c. Barreau du Québec, 2012 QCCA 308, paragr. 17; Canada (Procureur général) c. Confédération des syndicats nationaux, 2014 CSC 49, paragr. 1 et 15-21.

[14] Dostie c. Procureur général du Canada, 2022 QCCA 1652 (autorisation d’appel à la Cour suprême refusée, 27 juillet 2023, n° 40597), paragr. 24.

[15] 2004 CanLII 55051 (QC CS) (appel accueilli, mais sur une autre question que celle de la qualification de l’action : 2005 QCCA 593).

[16] Id., paragr. 21 : « Le demandeur ne peut sappuyer sur le type des dommages réclamés pour invoquer la prescription de trois années. Il y a une distinction à faire entre les dommages et le droit daction relié à lacte fautif ».

[17] Voir par ex. : Petit c. Prévost, 2005 CanLII 405 (QC CQ); V.S. c. A.M., 2015 QCCQ 13438 (appel rejeté sommairement : 2016 QCCA 469); Oukaci c. Pardo Munoz, 2016 QCCS 4585; Cunningham c. Perreault, 2019 QCCQ 7539; J.H. c. S.H., 2020 QCCQ 3102; Pratte c. C.B., 2022 QCCQ 1520; Dumont c. Dumas, 2020 QCCS 2268;

[18] V.S. c. A.M., 2015 QCCQ 13438 (appel rejeté sur requête en rejet : 2016 QCCA 469).

[19] Voir : Céline Gervais, La prescription, Cowansville, Yvon Blais, 2009, p. 65-68; Édith Lambert, Commentaires sur le Code civil du Québec (DCQ) : La prescription (art. 2875-2933), Cowansville, Yvon Blais, 2014, p. 1278-1279 (no 2929 565); Jean-Louis Baudouin, Patrice Deslauriers, Benoît Moore, La responsabilité civile, 9e éd., vol. 1, Montréal, Yvon Blais, 2020, p. 1224-1225 (no 1-1307).

[20] Montréal (Ville) c. Dorval, 2017 CSC 48.

[21] Voir en ce sens : Thomson c. Canada (Sous-ministre de lAgriculture), [1992] 1 R.C.S. 385, p. 400; R. c. Middleton, 2009 CSC 21, paragr. 11; Mayco Financial Corporation c. Rosenberg, 2015 QCCA 1231, paragr. 28; Diamond Provencher c. Adam, 2024 QCCA 404, paragr. 32.

[22] Montréal (Ville) c. Dorval, 2017 CSC 48.

[23] Voir les propos de l’auteure Céline Gervais, aujourd’hui juge à la Cour du Québec : « On peut croire que la prescription écourtée de larticle 2929 C.c.Q. sexplique par la volonté du législateur de reconnaître le caractère temporaire de la diffamation. Il aurait donc choisi de sanctionner rapidement linaction de l’exercice d’un droit en matière de diffamation afin de refléter son caractère temporel, puisque, de façon générale, le préjudice pourra s’estomper avec le temps » (Céline Gervais, La prescription, Cowansville, Yvon Blais, 2009, p. 65 [renvois omis]).

[24] Voir par ex., sur le fait que, « [p]arce qu’il constitue un moyen d’expression si puissant, l’Internet peut s’avérer un véhicule extrêmement efficace pour exprimer des propos diffamatoires », Crookes c. Newton, 2011 CSC 47, paragr. 37.

[25] L’abrogation de l’article 2929 C.c.Q. a été proposée en 2017, dans un projet de loi visant à accroître l’accès à la justice qui est mort au feuilleton : Projet de loi n° 168, Loi visant à favoriser l’accès à la justice et à en accroître l’efficacité, 41e lég. (Qc), 1re sess., 2017, art. 36.

[26] Argument que les appelants font au paragraphe 40 de leur mémoire : « En lespèce, la cause daction des demandeurs fondée sur cette instrumentalisation précède toute atteinte à la réputation, et non le contraire. Dans la présente affaire, si lun devait découler de lautre, latteinte à la réputation découlerait de linstrumentalisation, et non le contraire ».

[27] Bourassa c. Del Rio-Abarca, 2005 QCCA 389.

[28] Prudhomme c. Prudhomme, 2002 CSC 85, paragr. 36.

[29] Dominique Goubau, Le droit des personnes physiques, 7e éd., 2022, p. 258 (n° 185), citant sur ce point le jugement rendu par le juge Christian Brunelle dans Tremblay c. Bouchard, 2018 QCCQ 2393. Sur ce point, la common law est au même effet : Grant c. Torstar Corp., 2009 CSC 61, paragr. 28; Crookes c. Newton, 2011 CSC 47, paragr. 1.

[30] Prudhomme c. Prudhomme, 2002 CSC 85, paragr. 33, citant avec approbation Société RadioCanada c. Radio SeptÎles Inc., [1994] R.J.Q. 1811 (C.A.), p. 1818.

[31] Voir les paragraphes 3 et 4 de la demande introductive d’instance : « 3. P.C. était un élève fort apprécié de ses professeurs et ses camarades de classe. Il avait dailleurs de bons résultats scolaires; 4. Cependant, tout cela a changé durant lannée 2017 ».

[32] Supra, paragr. 17 et 41.

[33] Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR inc., 2011 CSC 9.

[34] Gordon c. Mailloux, 2011 QCCA 992.

[35] La demande introductive d’instance ne fait pas expressément mention d’atteintes à l’honneur et à la dignité de X. Elle ne contient qu’une allégation générale (paragr. 20) faisant état d’une atteinte aux droits que lui confère l’article 4 de la Charte québécoise.

[36]  Montréal (Ville) c. Dorval, 2017 CSC 48.

[37]  Id., paragr. 3. Le ministre de la Justice emploie la même expression dans ses commentaires sur le Code civil du Québec : Commentaires du ministre de la Justice, t. II, Québec, Publications du Québec, 1993, p. 1836 (commentaires sur l’art. 2925 C.c.Q.). Voir également : Frédéric Levesque, François Tremblay et Caroline Lepage, « Lorsque le temps est l’ennemi de la justice : les fondements et les origines de la prescription extinctive des droits personnels », (2016) 46 R.D.U.S. 575, p. 601.

[38]  En ce sens, voir par ex. : Céline Gervais, La prescription, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 65 et note infrap. 242; Édith Lambert, La prescription, DCQ, Cowansville, 2014, paragr. 2929 560, p. 1264 et note infrap. 18 (cette dernière renvoyant à Fillion c. Chiasson, 2007 QCCA 570, paragr. 57).

[39]  On ne peut exclure que la diffamation puisse se faire aussi par le moyen de l’image, particulièrement dans l’état actuel de la technologie, mais la jurisprudence n’en donnant guère d’exemples (voir aucun), je m’en tiens à la définition plus traditionnelle de l’acte diffamatoire, tel qu’illustré par la jurisprudence.

[40]  Trésor informatisé de la langue française, https://cnrtl.fr/definition/parole, « parole », A.2.

[41]  Demande introductive d’instance, paragr. 20.

[42]  Voir par ex. : Charlebois v. Surveyer, (1897) 27 S.C.R. 556; Sharpe v. Willis, (1906) 29 C.S. 14 (en révision); Hêtu v. Dixville Butter & Cheese Assoc’n, (1908) 40 S.C.R. 128; Lecomte v. Langevin, (1908) 34 C.S. 43 (en révision); Fabyan v. Tremblay, (1917) 26 B.R. 416; Pouliot v. La Prévoyance, (1931) 52 B.R. 469; Stacey v. Demers, (1940) 78 C.S. 320; Lapalme v. Bertrand, [1946] C.S. 116; Sirois v. Bernier, [1948] B.R. 615; Bertrand c. Racicot, J.E. 84-853 (C.A.), [1985] R.D.J. 418 (extraits) (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 31 janvier 1985, n° 19117); K.I. c. J.H., 2019 QCCA 759. Les causes les plus anciennes surviennent dans un cadre procédural différent, mais leurs enseignements sont transposables aux façons de faire actuelles. On notera que, de façon générale, ces jugements n’analysent pas ce genre de faute sous l’angle de la diffamation.

 Comme l’écrit le juge Rivard dans Pouliot c. La Prévoyance, supra :

 Ainsi donc qu'il est unanimement enseigné par les juristes et reconnu par les tribunaux, chacun ayant le droit d'éclairer les voies de la justice répressive, la dénonciation d'un acte criminel est licite. Elle ne devient illicite que si, calomnieuse, elle est portée dans le dessein malicieux de faire poursuivre un innocent, ou si, téméraire, elle est faite avec une légèreté coupable ou par suite d'une erreur grossière équipollente à dol [renvoi omis]; alors, l'exercice du droit d'agir en justice dégénère en abus et peut entraîner une condamnation à des dommages-intérêts, parce que le dénonciateur a commis une imprudence répréhensible, un acte de malice, une faute productive de responsabilité [renvoi omis]. D'autre part, le dénonciateur échappe à la responsabilité civile, quand, sans malice et par une erreur excusable, il a pu raisonnablement croire l'accusation fondée, encore qu'elle ne le fût point.

 L’arrêt Bertrand c. Racicot, supra, écartera par la suite de façon décisive l’exigence de la malice.

[43]  K.I. c. J.H., préc., note 7, paragr. 48 à 52, citant notamment l’arrêt Bertrand c. Racicot, préc., note 7. Voir aussi : Sirois v. Bernier, préc., note 7, p. 617-618 (motifs du j. Barclay) et 619-620 (motifs du j. Galipeault).

[44]  Kosoian c. Société de transport de Montréal, 2019 CSC 59, paragr. 43.

[45]  2004 CanLII 55051 (QC CS), SOQUIJ AZ- 50254367. Ce jugement sera infirmé par la Cour dans un arrêt dont il sera question plus loin (infra, paragr. [84]).

[46]  Voir par ex. : Oukaci c. Pardo Munoz, 2016 QCCS 4585; Dumont c. Dumas, 2020 QCCS 2268; Bilodeau c. Vallée, 2006 QCCQ 13368; Petit c. Prévost, J.E. 2005-491, 2005 CanLII 405 (C.Q.); Pelletier c. Côté, 2019 QCCQ 2822; J.H. c. S.H., 2020 QCCQ 3102; Charland c. Racine, 2020 QCCQ 7819. Voir aussi, par analogie : Sénécal c. Mohamed-Habib, 2017 QCCQ 13560; Pratte c. C.B., 2022 QCCQ 1520. Voir également : C. Gervais, préc., note 3, p. 71 et note infrap. 279.

[47]  C’est le cas des affaires qu’énumère la note 7 supra.

[48]  Préc., note 7.

[49]  L’affaire concernait également la réparation du préjudice subi en raison d’une poursuite civile abusive, les appelants ne s’étant pas contentés de susciter une instance criminelle.

[50]  Racicot c. Bertrand, J.E. 80-666 (C.S.).

[51]  2007 QCCS 1816 (appel rejeté sur requête en rejet d’appel sub. nom. Guimont c. Québec (Ville de), 2007 QCCA 1507; appel incident de l’intimée Harper déserté, 8 février 2008).

[52]  Id., paragr. 24.

[53]  B.E. 2000BE-1388 (C.S.).

[54]  2022 QCCS 1518.

[55]  2021 QCCS 5190.

[56]  2016 QCCS 216.

[57]  2022 QCCQ 4060.

[58]  2016 QCCS 5267.

[59]  K.I. c. J. H., préc., note 7.

[60]  RLRQ, c. C-12 (« Charte québécoise »).

[61]  La Cour accueillera l’appel à la seule fin de diminuer le montant de la condamnation de l’appelante au paiement des honoraires extrajudiciaires de l’intimé, une partie de ceux-ci ne se rattachant pas aux fausses plaintes portées contre lui et aux accusations qui ont suivi.

[62]  2018 QCCA 348.

[63]  Jean-Pierre c. Benhachmi, 2015 QCCS 5053 (le demandeur poursuivait également le policier municipal ayant procédé à son arrestation, de même que son employeur, la Ville de Laval, mais son action à cet égard fut rejetée, ce que confirmera également la Cour d’appel).

[64]  Id., paragr. 60.

[65]  Id., paragr. 54, ce qui fut confirmé par l’arrêt de la Cour d’appel (préc., note 27) en ses paragr. 17 et 58.

[66]  2005 QCCA 389.

[67]  2005 QCCA 593.

[68]  2016 QCCA 469.

[69]  Par ex. : dommages liés à la perte de liberté et d’intimité ainsi qu’au préjudice à son intégrité physique (les événements lui ayant causé une grave dépression), dommages découlant des pertes pécuniaires dont une perte de salaire ainsi que le coût des honoraires extrajudiciaires engagés pour sa défense.

[70]  Bourassa c. Del Rio-Abarca, J.E. 2004-2169, 2004 CanLII 31528 (C.S.), paragr. 57.

[71]  Préc., note 32.

[72]  Préc., note 33.

[73]  2015 QCCQ 13438.

[74]  V.S. c. A.M., préc., note 33, paragr. 1.

[75]  Id., paragr. 2.

[76]  Id., paragr. 3.

[77]  [1994] R.J.Q. 1811 (C.A.).

[78]  Id., p. 1818 (définition largement reprise dans Prud’homme c. Prud’homme, 2002 CSC 85, paragr. 33, ainsi que, autre exemple, dans Fondation québécoise du cancer c. Patenaude, 2006 QCCA 1554, paragr. 38).

[79]  Prud’homme c. Prud’homme, préc., note 43, paragr. 38, cité avec approbation dans Gilles E. Néron Communication Marketing inc. c. Chambre des notaires du Québec, 2004 CSC 53, paragr. 51 (motifs majoritaires du j. LeBel). Voir aussi : Guimont c. Lamarche, 2018 QCCA 828, paragr. 13 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 21 février 2019, n° 38237). Cela est tout aussi vrai de la diffamation en common law : Hansman c. Neufeld, 2023 CSC 14, paragr. 1 (motifs majoritaires de la j. Karakatsanis).

[80]  2011 CSC 9, paragr. 1 (motifs majoritaires de la j. Deschamps).

[81]  R. c. Guignard, 2002 CSC 14, paragr. 20.

[82]  Id., paragr. 20, 21 et 23. Voir aussi : R. c. Sharpe, 2001 CSC 2, paragr. 23 (motifs majoritaires de la j. en chef McLachlin).

[83]  Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, p. 968 (motifs majoritaires du j. en chef Dickson, passage repris dans Ward c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse), 2021 CSC 43, paragr. 59 (motifs majoritaires du j. en chef Wagner et de la j. Côté).

[84]  Ward c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse), préc., note 48, paragr. 62.

 Pour un récent exposé de la liberté d’expression, de ses limite intrinsèques et des restrictions qui peuvent ou ne peuvent y être apportées, voir : Richard Moon, Document commandé: Liberté d’expression, Ottawa, Commission sur l’état d’urgence, septembre 2022.

[85]  Gilles E. Néron Communication Marketing inc. c. Chambre des notaires du Québec, préc., note 44, paragr. 52.

[86]  Ibid., citant à cet égard un passage de l’arrêt Hill c. c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, paragr. 108.

[87]  En ce sens, voir par ex. : Gilles E. Néron Communication Marketing inc. c. Chambre des notaires du Québec, préc., note 44, paragr. 54-55. Voir aussi : Crookes c. Newton, 2011 CSC 47, paragr. 32 (motifs majoritaires de la j. Abella) et 54 (motifs concordants de la j. Deschamps). Quoiqu’il s’agisse d’un arrêt de common law, le principe est le même.

[88]  Sur ces trois cas de figure, voir notamment : Prud’homme c. Prud’homme, préc., note 43, paragr. 36.

[89]  C’est ce qui ressort notamment de l’arrêt Gordon c. Mailloux, 2011 QCCA 992 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, .8 décembre 2011, n° 34354).

[90]  Voir par ex. : R. c. Théroux, [1993] 2 R.C.S. 5. Ce qui ne veut pas dire que la liberté d’expression ne soit pas susceptible de couvrir des propos mensongers, inexacts, malhonnêtes, immodérés, controversés ou contestables, évidemment, mais pas s’ils sont tenus dans l’intention de frauder autrui au sens de l’art. 380 C.cr. (R. c. Théroux, p. 26 – motifs majoritaires de la j. McLachlin, telle qu’alors).

[91]  Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), préc., note 48.

[92]  Il n’est pas dit que certaines dénonciations ne puissent appartenir au domaine de la liberté d’expression, évidemment, mais la démarche que l’on fait auprès de la police pour s’y plaindre en toute connaissance de cause de la commission d’un crime qu’on sait inexistant n’en fait à mon avis pas partie.

[93]  Ou peut-être même une entrave à la justice (paragr. 139(2) C.cr.) ou une fabrication de preuve (art. 137 C.cr.), hypothèses également envisagées (avec celle du méfait public) dans l’arrêt R. c. B. (K.G.), [1993] 1 R.C.S. 740, p. 818-819 (motifs concourants du j. Cory).

[94]  Préc., note 7, p. 1-2 des motifs du j. Tyndale (voir aussi : [1985] R.D.J. 418 (C.A.), p. 419).

[95]  Dans le même sens, sur l’existence du droit de dénoncer une infraction ou ce que l’on croit être une infraction aux autorités, voir par ex. : Bier c. Takefman, 2012 QCCS 2851, paragr. 168-171, dont l’appel fut rejeté sur requête en rejet d’appel, Takefman c. Bier, 2012 QCCA 1790 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 21 février 2013,  35037).

[96]  Pas plus, si on cherche des comparaisons, que ne le serait un congédiement injustifié, par exemple, qui peut être attentatoire à la réputation du salarié ainsi congédié, sans constituer à proprement parler un acte diffamatoire au sens de l’art. 2929 C.c.Q.

[97]  Jean-Louis Baudouin, Patrice Deslauriers et Benoît Moore, La responsabilité civile, 9e éd., vol. 1, p. 1224.

[98] Voir par ex. : Guimont c. Harper, préc., note 16. Dans le même sens, les auteurs Baudouin, Deslauriers et Moore (préc., note 62, paragr. 1-1307, note infrap. 63) citent le jugement de la Cour supérieure dans Poirier c. Poitras, 2018 QCCS 3587, paragr. 191, affaire qui concerne une action en responsabilité extracontractuelle intentée directement contre les avocats d’une personne dont l’action contre le demandeur avait par ailleurs été rejetée et déclarée abusive. La Cour supérieure écrit que :

[191] Toutefois, les autorités citées par Poirier confirment que c’est la courte prescription d’un an de l’article 2929 C.c.Q. qui s’applique si la réclamation ne vise que les dommages résultant d’une atteinte à la réputation et non d’autres préjudices comme une atteinte à la vie privée ou d’autres droits personnels[51]. Ces autorités énoncent le principe que le recours pour atteinte à la réputation se prescrit par un an, à moins que la nature des dommages réclamés ne soit différente, par exemple des dommages matériels ou moraux découlant de propos injurieux ou diffamants.

[192] Or en l’espèce, au paragraphe 122 d) de sa demande, Poirier réclame la somme de 100 000 $ uniquement pour une atteinte à sa réputation, les autres dommages étant réclamés sous d’autres chefs pour des montants distincts et spécifiques.

[193] Cette réclamation spécifique de Poirier est donc prescrite.

[194] Le Tribunal se penchera maintenant plus spécifiquement sur les dommages matériels réclamés par Poirier puis ensuite sur ses dommages moraux.

 Voir généralement : É. Lambert, préc., note 3, paragr. 2929 565, p. 1274 et, contra, paragr. 2929 575, p. 1285-1286.

 Ce cas de figure est différent, notons-le, de celui qu’on retrouve également dans la jurisprudence, lorsqu’on conclut à l’existence de deux fautes distinctes, l’une consistant en une fausse plainte criminelle et l’autre en un acte diffamatoire indépendant (voir par ex. : J. H. c. K.I., préc., note 23, conf. par K.I. c. J.H., préc., note 7, affaire examinée aux paragr. [73] et [74] supra). L’application des deux délais de prescription (art. 2925 et 2929 C.c.Q. respectivement) serait alors justifiée (sujet dont ne traite ni la Cour supérieure ni la Cour d’appel dans cette affaire, où, rappelons-le, la question de la prescription ne se soulevait pas).

[99]  Préc., note 3, paragr. 55-63.

[100]  2019 QCCS 465.

[101]  Notons que le jugement de la juge Monast fut porté en appel sans succès, le moyen de la prescription de la réclamation relative à la réputation y ayant toutefois été abandonné Voir : Groupe SNC-Lavalin inc. c. Siegrist, 2020 QCCA 1004, paragr. 46.

[102]  Préc., note 16.

[103]  Ce que confirme l’art. 99 al. 1 C.p.c.

 Sur la question des allégations de droit dans un acte de procédure, voir notamment : Association des propriétaires de Boisés de la Beauce c. Monde forestier, 2009 QCCA 48, paragr. 30, le tout, bien sûr, sous réserve des exigences de l’équité et de l’équilibre entre les parties et du débat loyal entre elles, ainsi que des engagements liés au « contrat judiciaire ». Sur ce point, voir : Khader c. SNC-Lavalin inc., 2021 QCCA 1296, paragr. 54 et s. (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 28 avril 2022, n° 39891). Au stade où nous en sommes de la présente instance, on ne peut toutefois pas parler encore de « contrat judiciaire », lequel n’est d’ailleurs pas une camisole de force, comme le rappelle la Cour dans Scene Holding Inc. c. Galeries des Monts inc., 2016 QCCA 1662, paragr. 27.

[104]  Thériault c. Legault, 2019 QCCS 3573, paragr. 169.

[105]  Shaban c. Petrov, préc., note 20, paragr. 13. Voir aussi : Schiro c. Slobodianiouk, 2020 QCCS 465.

[106]  Préc., note 7, p. 132 in fine.

[107]  C’est une crainte – et un risque – dont il faut avoir conscience et tenir compte. Voir par ex. : Aliosha Hurry, « Defamation as a Sword: The Weaponization of Civil Liability against Sexual Assault Survivors in the Post-#MeToo Era », (2022) 34 Can. J. Women & L. 82); Sara Sanabria et Christopher Dietzel, « I can be sued for that?: When university community members are sued for defamation in response to allegations of sexual violence », (2023) 32 Educ. L.J. 151-184.

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