Décision

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Décision

Discepola c. Latendresse

2021 QCTAL 12216

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

560030 31 20210303 G

No demande :

3191759

 

 

Date :

13 mai 2021

Devant la juge administrative :

Sophie Alain

 

Liliana Discepola

 

Locatrice - Partie demanderesse

c.

Mario Latendresse

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Par une demande du 3 mars 2021, la locatrice demande une ordonnance d’évacuer le logement du 1er juin au 30 novembre 2021, afin de permettre les travaux indiqués à l’avis pour réparations ou améliorations majeures du 16 février 2021[1].

[2]      Le locataire n’a pas répondu.

[3]      Bien que convoqué par un avis d'audition transmis le 22 mars 2021 et dûment appelé, le locataire ne s’est pas présenté à l’audience. La preuve n’est donc pas contredite.

Contexte

[4]      Les parties sont liées par un bail depuis 2017, reconduit du 1er juillet 2020 au 30 juin 2021 au loyer mensuel de 560 $.

[5]      L’immeuble comporte trois étages. Il est situé dans le quartier de Montréal-Nord.

[6]      Le plan[2] produit à l’audience montre qu’un mur de soutien doit être remplacé sur chaque étage, du garage jusqu’au 3e étage. Les travaux ont déjà débuté dans les logements numéros 25 et 35 qui sont actuellement inoccupés.

[7]      Les travaux de nature structurelle consistent à redresser des solives et murs de soutien; ils impliquent de déshabiller les planchers et les plafonds au complet. Les planchers seront refaits.

[8]      La locatrice en profitera pour rénover la cuisine et la salle de bain et remplacer les portes intérieures.

[9]      Les travaux seront exécutés par Construction Réno-Logis, dûment licenciée auprès de la Régie du bâtiment du Québec; une entreprise qui appartient au frère de la locatrice[3].

[10]   Le logement du locataire est situé sous les logements numéros 25 et 35.


[11]   La durée estimée des travaux est de six mois. La locatrice indique que les travaux nécessiteront l’évacuation du logement du 1er juin au 30 novembre 2021.

[12]   À titre d’indemnité, la locatrice offre 500 $ au locataire. À l’audience, la locatrice précise que le locataire n’aura pas à payer le loyer durant les six mois des travaux.

Questions en litige

[13]   Le Tribunal identifie les questions suivantes :

·         La locatrice a-t-elle démontré le caractère raisonnable des travaux et l'opportunité ou la nécessité de l’évacuation ?

·         Le cas échéant, quelles sont les conditions de juste et raisonnable pour cette évacuation ?

Droit applicable : que dit la loi en matière de travaux au logement ?

[14]   Dans l’affaire 9120-6003 Québec Inc. c. Paradis, la juge administrative Francine Jodoin résume ainsi le droit applicable en l’instance :

« L'encadrement législatif applicable à l'exécution de travaux dans le logement se divise en plusieurs catégories. De façon générale, le locateur est libre de faire les travaux qu'il souhaite sur son immeuble en vertu de son droit de propriété et de gérance. La locataire ne peut, sauf exception dont la preuve n'a pas été faite, s'immiscer dans les choix pratiqués par le locateur quant à l'opportunité, la nature ou la manière d'exécuter les travaux. »

[15]   L’objectif du législateur est d’informer le locataire et voir les impacts sur la jouissance des lieux de ce dernier. Quand il s'agit de réparations ou d'améliorations majeures non urgentes[4] et qui nécessitent une évacuation du locataire, le locateur doit transmettre un avis et offrir une indemnité selon les articles 1922 et 1923 C.c.Q. et suivants.

[16]   L'avis doit prévoir l'indemnité offerte au locataire pour le dédommager des dépenses raisonnables qu'il devra assumer en raison de cette évacuation :

« 1922. Une amélioration majeure ou une réparation majeure non urgente, ne peut être effectuée dans un logement avant que le locateur n'en ait avisé le locataire et, si l'évacuation temporaire du locataire est prévue, avant que le locateur ne lui ait offert une indemnité égale aux dépenses raisonnables qu'il devra assumer en raison de cette évacuation. »

[17]   L’avis doit être donné par écrit et il doit s’agir d’un avis formel[5]. L'article 1923 C.c.Q. fait état des mentions obligatoires qu’il doit contenir. On y apprend également que dans le cas d'une évacuation de plus d’une semaine, comme c'est le cas en l'instance, cet avis doit être remis au locataire au moins trois mois avant le début des travaux :

« 1923. L'avis indique la nature des travaux, la date à laquelle ils débuteront et l'estimation de leur durée, ainsi que, s'il y a lieu, la période d'évacuation nécessaire; il précise aussi, le cas échéant, le montant de l'indemnité offerte, ainsi que toutes autres conditions dans lesquelles s'effectueront les travaux, si elles sont susceptibles de diminuer substantiellement la jouissance des lieux.

L'avis doit être donné au moins dix jours avant la date prévue pour le début des travaux ou, s'il est prévu une période d'évacuation de plus d'une semaine, au moins trois mois avant celle-ci. »

[Caractère gras ajouté]

[18]   L'article 1925 C.c.Q. stipule qu'en cas de refus du locataire ou s’il ne répond pas, le locateur peut s'adresser au Tribunal afin qu'il statue sur l'opportunité de l'évacuation :

« 1925. Lorsque l'avis du locateur prévoit une évacuation temporaire, le locataire doit, dans les dix jours de la réception de l'avis, aviser le locateur de son intention de s'y conformer ou non; s'il omet de le faire, il est réputé avoir refusé de quitter les lieux.

En cas de refus du locataire, le locateur peut, dans les dix jours du refus, demander au tribunal de statuer sur l'opportunité de l'évacuation. »


[19]   Le locateur doit alors démontrer le caractère raisonnable de ces travaux et de ses conditions, ainsi que la nécessité de l'évacuation, selon l’article 1927 C.c.Q. :

« 1927. La demande du locateur ou celle du locataire est instruite et jugée d'urgence. Elle suspend l'exécution des travaux, à moins que le tribunal n'en décide autrement.

Le tribunal peut imposer les conditions qu'il estime justes et raisonnables. »

[20]   L’article 1928 C.c.Q. pose le principe que l'évacuation n'est pas la norme et que celui qui l'exige doit en démontrer la nécessité :

« 1928. Il appartient au locateur, lorsque le tribunal est saisi d'une demande sur les conditions dans lesquelles les travaux seront effectués, de démontrer le caractère raisonnable de ces travaux et de ces conditions, ainsi que la nécessité de l'évacuation. »

[21]   Le législateur a, ainsi, adopté des règles particulières afin d'encourager un locateur à maintenir en bon état son logement et même à l’améliorer; les travaux projetés donc doivent donc contribuer à cet objectif.

ANALYSE

[22]   Le Tribunal constate qu'à sa face même, l’information indiquée à l'avis respecte les conditions prévues à l'article 1923 C.c.Q. En effet, il indique la nature des travaux, la date à laquelle ces travaux débuteront et l'estimation de leur durée, ainsi que l’indemnité offerte au locataire pour l’évacuation nécessaire.

·         La locatrice a-t-elle démontré le caractère raisonnable des travaux et l'opportunité ou la nécessité de l’évacuation ?

[23]   Le témoignage du l’entrepreneur convainc de la nécessité des travaux structurels. En ce qui concerne la décision de la locatrice de rénover la cuisine, la salle de bain et les portes intérieures du logement, cette décision relève du droit de gestion de la locatrice[6]. En vertu de son droit de propriété, la locatrice peut décider des travaux nécessaires dont l’amélioration des services offerts.

[24]   Le Tribunal souligne que la locatrice a démontré sa bonne foi.

[25]   La locatrice est donc autorisée à effectuer les travaux décrits à l’avis du 16 février 2021.

·         Quelles sont les conditions de juste et raisonnable pour cette évacuation ?

[26]   Outre le paiement d’une indemnité de 500 $ au locataire, ce dernier est libéré du paiement du loyer durant les travaux.

[27]   Considérant l’absence du locataire, le Tribunal n’imposera aucune autre condition pour cette évacuation, puisqu’il en déduit que ce dernier les estime juste et raisonnable compte tenu qu’il profitera d’un logement rénové après les travaux.

[28]   À titre informatif, le Tribunal rappelle qu’un locateur a l’obligation de remettre les lieux en bon état de propreté[7].

[29]   Finalement, considérant les circonstances de l’évacuation du logement, le Tribunal n’accorde pas à la locatrice les frais applicables[8].

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[30]   ACCUEILLE, en partie, la demande;

[31]   DÉCLARE opportune l'évacuation temporaire du locataire afin que la locatrice procède aux travaux décrits à l'avis du 16 février 2021;


[32]   FIXE les conditions suivantes pour l'exécution des travaux :

·         ORDONNE l'évacuation du locataire à compter du 1er juin jusqu’au 30 novembre 2021;

·         DISPENSE le locataire du paiement du loyer de son logement actuel à compter du 1er juin 2021 et pendant toute la période de son évacuation;

·         ORDONNE à la locatrice de payer au locataire une indemnité de 500 $;

·         PERMET la réintégration du locataire dans son logement actuel à la fin des travaux, soit à compter du 1er décembre 2021;

[33]   ORDONNE l'exécution provisoire immédiate, malgré l'appel, de la décision.

 

 

 

 

 

 

 

 

Sophie Alain

 

Présence(s) :

la locatrice

Date de l’audience :  

28 avril 2021

 

 

 


 



[1] Pièce P-1.

[2] Pièce P-5.

[3] Pièce P-2.

[4] Art. 1922 C.c.Q. et suivants.

[5] Article 1898 C.c.Q.

[6] Balabanian c. Ionescu, juge adm. Jodoin F., 5 avril 2006, 31 050902 067G.

[7] Article 1911, alinéa 2, C.c.Q.

[8] Tarif des frais exigibles par le Tribunal administratif du logement, RLRQ, c. T-15.01, r. 6.

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