Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Pépin

2024 QCCQ 299

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT D

ABITIBI

LOCALITÉ D

AMOS

« Chambre criminelle et pénale »

 :

605-61-058764-216; 605-61-058758-218; 605-61-058759-216

605-61-058761-212; 605-61-058762-210; 605-61-058763-218

605-61-058767-219; 605-61-058871-219

 

 

 

DATE :

 30 janvier 2024

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

MARIE-FRANCE BEAULIEU J.P.M.

 

______________________________________________________________________

 

DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES

Poursuivant

c.

STÉPHANIE PÉPIN

(DANY TACHÉ, MARC PAQUIN, PÉNÉLOPPE MARTIN, CHRISTIAN FRENETTE

SAMUEL LACROIX PILOTE, ALEXIS RIOUX et HENRIETTE BOLDUC)

Défendeurs

Et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

Mis en cause

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT SUR UNE REQUÊTE AMENDÉE EN CONTESTATION CONSTITUTIONNELLE AU SUJET DU COUVRE-FEU PROVENANT DU DÉCRET

2-2021 ET DE LA LOI SUR LA SANTÉ PUBLIQUE

(article 76 du Code de procédure civile, articles 52, 2, 7 et 1 de la Charte canadienne des droits et libertés (CCDL) et articles 9, 3 et 1 de la Charte québécoise des droits et libertés (CQDL))

______________________________________________________________________

 

 

TABLE DES MATIÈRES

 

1. CONTEXTE...............................................................3

2. HISTORIQUE ET CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES........................4

2.1 Exposé des droits constitutionnels en cause..............................5

2.2 Le contexte des avis selon l’article 76 du C.p.c............................5

2.3 Les conclusions recherchées...........................................6

2.4 La position des parties.................................................8

3. RÉSUMÉ DE LA PREUVE DE LA REQUÉRANTE ET DU PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC              8

3.1 Le résumé des éléments pertinents des témoignages entendus.............9

3.1.1 Dr Horacio Arruda, médecin en santé publique et sous-ministre  adjoint au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS)              9

3.1.2 Benjamin Proulx, policier............................................13

3.1.3 Tommy Vigneault, policier...........................................14

3.1.4 Stéphanie Pépin, la défenderesse.....................................14

3.1.5 Dr Richard Massé : les éléments pertinents.............................15

3.2 Le statut de témoin de faits et l’expert-participant.........................26

4. LE CADRE JURIDIQUE ET LES PRINCIPES APPLICABLES..................28

4.1 La compétence du juge...............................................28

4.2 L’avis gouvernemental et le décret : leur application et les conclusions possibles              30

4.3 Les mesures spécifiques et la Loi sur la santé publique...................32

4.4 La présomption de validité des lois et son applicabilité....................33

4.5 Le recours selon les articles 52 CCDL/CDLP et 24(1) CCDL et 49 CDLP....34

4.6 La liberté d’expression (art. 2b) CCDL, art. 3 CDLP)......................35

4.6.1 Test en trois étapes................................................35

4.6.2 La première étape : activité avec un contenu expressif ?...................36

4.6.3 Deuxième étape : le lieu et le mode d’expression écartent-ils la  protection ?...36

4.6.4 Troisième étape : l’objet ou l’effet de la mesure face au droit protégé.........37

4.6.5 Application aux faits de l’espèce......................................40

4.7 Le droit de manifester pacifiquement dans un rassemblement (art. 2 c) CCDL, art. 3 CQDL              42

4.7.1 Définition de la liberté de réunion pacifique..............................42

4.7.2 La détermination d’une manifestation..................................43

4.7.3 Le choix du test applicable...........................................45

4.7.4 Application aux faits de l’espèce......................................46

4.8 Le droit à la liberté de la personne (art. 7 CCDL, art. 1 CQDL).............48

4.8.1 Priorité de l’évaluation selon la CDLP ou CCDL..........................49

4.8.2 Définition du droit à la liberté.........................................50

4.8.3 Cadre d’analyse : l’intérêt commun....................................52

4.8.4 Le couvre-feu et la liberté de mouvement...............................52

4.8.5 Application aux faits de l’espèce......................................55

4.9 Règles applicables en matière de violation selon l’art. 1 CCDL et de l’art. 9.1 CQDL : Test de l’arrêt Oakes              55

4.9.1 Fardeau de preuve de l’État..........................................57

4.9.2 Première étape : la mesure poursuit-elle un objectif urgent et réel............57

4.9.3 Deuxième étape : l’existence d’un lien rationnel entre l’objectif et la  mesure adoptée              59

4.9.4 Troisième étape : l’utilisation de moyens proportionnels à l’objet de  la mesure.60

4.9.5 Quatrième étape : les effets bénéfiques excèdent-ils les effets  préjudiciables de la mesure contestée              63

4.10 La conclusion au test de l’arrêt Oakes selon les quatre critères...........64

5. CONCLUSION...........................................................64

 

 

1.     CONTEXTE

[1]                Durant l’année 2020, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) déclare une pandémie mondiale causée par le coronavirus COVID-19. Le 13 mars 2020, le gouvernement du Québec décrète l’état d’urgence sanitaire dans toute la province[1]. Plusieurs décrets ont été adoptés établissant diverses mesures sanitaires pour contrer la propagation du virus.

[2]                Après le début de la deuxième vague de la pandémie, le 6 janvier 2021, l’État décide d’imposer par décret[2] à compter du 9 janvier, un couvre-feu à toute la population du Québec leur interdisant d’être à l’extérieur de leur résidence entre 20h et 5h. Il s’agit du premier couvre-feu.

[3]                Le 9 janvier 2021, le ministère de la Sécurité publique diffuse le contenu de l’interdiction à la population générale.

[4]                Après la tenue des procès réglementaires, le Tribunal a déjà conclu que la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable que les huit défendeurs ont commis l’infraction le 9 janvier 2021 et qu’aucune défense n’est retenue. Il devient nécessaire d’analyser les arguments constitutionnels soulevés par les défendeurs.

[5]                Le décret 2-2021[3] au paragraphe g (29) (le premier couvre-feu de la province du Québec) fait l’objet d’une contestation constitutionnelle.

[6]                Les défendeurs plaident que la mesure contestée viole la Charte canadienne des droits et libertés (Charte canadienne-CCDL) et la Charte des droits et libertés de la personne (Charte québécoise-CQDL).

[7]                Pour les raisons qui suivent, le Tribunal estime que la « mesure contestée » résiste à l’attaque constitutionnelle et est valide après l’application du test de l’arrêt Oakes[4].

2.     HISTORIQUE ET CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES

[8]                Le 9 janvier 2021, après 20h, les défendeurs à bord de leur véhicule décident de se rassembler et de se suivre sur la route pour une manifestation pacifique dont le but est de contester l’application du couvre-feu, lequel est entré en vigueur le jour même. Vers 20h15, Stéphanie Pépin reçoit un constat d’infraction pour avoir refusé d’obéir à l’ordre du décret.

[9]                Ils n’invoquent aucune des 11 exceptions décrites dans le décret.

[10]           La preuve de la poursuite convainc le Tribunal, hors de tout doute raisonnable de leur culpabilité. Un jugement oral fut prononcé dans chacun des dossiers à l’audience du 18 septembre 2023.

[11]           Au terme du procès, le Tribunal suspend sa décision sur la culpabilité des défendeurs en raison d’un débat constitutionnel sur l’applicabilité ou non du décret (le couvre-feu) à leur égard.

[12]           Un avis constitutionnel (requête réamendée selon les articles 76 et 77 du Code de procédure civile[5]) est déposé dans tous les dossiers le 20 septembre 2023 après l’administration de la preuve, mais avant les plaidoiries.

[13]           Seule la défenderesse Stéphanie Pépin est assistée d’un avocat. Les sept autres défendeurs s’en remettent entièrement à la preuve présentée, versée dans le dossier de la requérante et consentent à ce que la décision du Tribunal s’applique dans leurs dossiers respectifs. Ces derniers n’ont pas de preuve à soumettre relativement au présent débat.

2.1   Exposé des droits constitutionnels en cause

[14]           Sommairement, le Tribunal doit déterminer si la mesure contestée (le couvre-feu) ou l’avis gouvernemental portent atteinte aux droits invoqués soit :

  • Le droit à la liberté d’expression (art. 2b) CCDL, art. 3 CDLP)
  • Le droit à la réunion pacifique (art. 2c) CCDL, art. 3 CDLP)
  • Le droit à la liberté (art. 7 CCDL, art. 1 CDLP)

[15]           Advenant une conclusion à une atteinte à l’un ou plusieurs de ces droits, le test de l’arrêt Oakes sera appliqué pour déterminer si elle est justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique (art. 1 CCDL et 9.1 CDLP).

[16]           Ces droits seront interprétés selon des tests différents et des règles qui leur sont applicables.

2.2   Le contexte des avis selon l’article 76 du C.p.c

[17]           Des modifications adoptées au premier avis des défendeurs font en sorte que la requête en rejet sommaire initialement présentée par le Procureur général du Québec (PGQ) n’a plus d’objet.

[18]           Tel que le prévoit notamment l’arrêt Cody[6] et en vue d’assurer une gestion efficace des ressources judiciaires, le Tribunal a déjà rejeté antérieurement la demande en suspension d’instance des sept autres défendeurs pour procéder à une audition commune pour les huit dossiers.

[19]           La requête en contestation constitutionnelle réamendée lors du procès est donc la même pour tous les dossiers. 

[20]           Lors de ses représentations pour la demande d’amendement à la requête, la requérante soumet que ceux-ci ne changent pas le cadre juridique applicable, mais reflète davantage l’état de la preuve entendue par le Tribunal. Une conclusion est radiée ainsi que plusieurs paragraphes. La défense décide de ne plus présenter de preuve scientifique.

[21]           Le Procureur général du Québec ne conteste pas la demande. Les parties doivent plaider selon ces amendements proposés, qui rappelons-le sont en lien avec les mêmes conclusions recherchées à l’exception de la conclusion radiée (voir section 2.3).

2.3   Les conclusions recherchées

[22]           En résumé, la requérante demande au Tribunal de déclarer que le décret 2-2021 porte atteinte à ses droits fondamentaux, sans justification et de le déclarer invalide, inopérant et inopposable à son égard.

[23]           Voici les conclusions recherchées ci-après reproduites :

  1. (…) CONSTATER que l’avis gouvernemental du 9 janvier 2021, 18h30, diffusé via le Système national d’alerte au public, à savoir « Ceci est une alerte émise par Québec En Alerte, en vigueur pour tout le Québec. Afin de protéger des vies et de diminuer la pression sur le réseau de la santé, un couvre-feu entre en vigueur à compter de ce soir. Il est interdit à toute personne de se trouver hors de sa résidence ou du terrain de celle-ci entre 20h et 5h. La surveillance policière sera accrue et des amendes seront données aux contrevenants. Restez à la maison, évitez les contacts et respectez les mesures sanitaires et le couvre-feu afin de contribuer à freiner la propagation de la COVID-19», ainsi que le paragraphe g) du Décret numéro 2-2021 du 8 janvier 2021 concernant l’ordonnance de mesures visant à protéger la santé de la population dans la situation de pandémie de la COVID-19, ainsi que les articles 123(8) et 139 de la Loi sur la santé publique, RLRQ c S-2.2, ont porté atteinte à la liberté de la personne et aux libertés d’expression et de réunion pacifique de la défenderesse Stéphanie Pépin contrairement aux articles 1 et 3 de la Charte des droits et libertés de la personne et aux articles 2b) et c) et 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.
  2. (…) CONSTATER que ces atteintes ont été portées en violation des principes de justice fondamentale, contrairement à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, et sans justification suffisante au sens de l’article 9.1 de la Charte des droits et libertés de la personne et de l’article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés.
  3. CONSTATER que l’avis gouvernemental du 9 janvier 2021, 18h30, diffusé via le Système national d’alerte au public, ainsi que le paragraphe g) du Décret numéro 2-2021, sont invalides et inopérants en vertu de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 et de l’article 52 de la Charte des droits et libertés de la personne. (Raturé par la requête réamendée présentée le 20 septembre 2023)
  4. (…) DÉCLARER que l’avis gouvernemental du 9 janvier 2021, 18h30, diffusé via le Système national d’alerte au public, ainsi que les articles 123(8) et 139 de la Loi sur la santé publique, et le paragraphe g) du Décret numéro 2-2021, sont constitutionnellement inopérants et inopposables à l’endroit de la défenderesse dans le présent dossier et ce, en vertu de l’article 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, de l’article 52 la Loi constitutionnelle de 1982, et des articles 49 et 52 de la Charte des droits et libertés de la personne.

(…) ACQUITTER la défenderesse de tout chef restant au constat d’infraction.

[24]           Pour le traitement des conclusions recherchées, il y a lieu de se référer à la section 4.2 L’avis gouvernemental et le décret : leur application.

[25]           Pour les fins du présent jugement, le Tribunal est d’avis que la recherche de conclusions à l’égard de l’avis gouvernemental n’est pas le bon moyen.

[26]           Les Chartes ne permettent pas de constater ni de déclarer que l’avis gouvernemental serait invalide ou inopérant ou inopposable tel que proposé par les conclusions C (maintenant raturée) et D.

[27]           Les articles 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 et de la Charte des droits et libertés de la personne permettent de rendre une « règle de droit » inopérante.[7]

[28]           Un avis gouvernemental n’est pas une règle de droit. Il exprime tout au plus une norme généralisée se voulant obligatoire. En soi, c’est le contenu du décret.

[29]           Avec égards, c’est plutôt l’attaque constitutionnelle reliée au décret 2-2021 (g (29) le couvre-feu) qui fera l’objet d’une analyse fondée sur le droit et la jurisprudence.

[30]           Le décret est assimilable à un règlement qui lui, constitue une règle de droit.[8]

[31]           Quant à l’allégation dans la requête concernant l’incompatibilité du décret avec sa loi habilitante, le Tribunal n’est pas en soi saisi de cette question et fera preuve de retenue judiciaire à ce sujet.

[32]           Dans son argumentation, le PGQ souligne qu’une Cour ne doit se prononcer sur des points de droit que lorsqu’il est nécessaire de le faire. Le Tribunal est d’accord avec ce point.

[33]           Dès lors, il faudra examiner les moyens de droit allégués relatifs aux Chartes selon ce type de conclusions.

[34]           Soyons clairs, l’angle de l’incompatibilité du décret avec sa loi habilitante plaidé par la requérante n’est pas l’enjeu d’une conclusion en soi. Toutefois, il pourrait plutôt être abordé dans le test de Oakes s’il y a lieu.

2.4   La position des parties

[35]           La requérante entend démontrer que le couvre-feu constitue une atteinte à sa liberté d’expression ou à sa liberté de réunion pacifique, et à son droit à la liberté.

[36]           Sur le droit à la liberté, elle allègue que l’atteinte est en contravention avec un principe de justice fondamentale.

[37]           Advenant une conclusion sur une violation, la requérante demande que la mesure contestée soit analysée en fonction de l’article 1 CCDL et 9.1 CQDL et que la violation ne soit pas justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique.

[38]           Le Procureur général du Québec conteste toutes les atteintes alléguées. Subsidiairement, si la requérante a démontré la violation d’un droit, il soutient qu’elle est justifiée en fonction des Chartes.

3.     RÉSUMÉ DE LA PREUVE DE LA REQUÉRANTE ET DU PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

[39]           Les parties ont déposé plusieurs pièces au soutien de leurs prétentions.

[40]           En défense, les pièces D SP1 (échange courriel du 30 décembre 2021), D SP2 (extrait d’un enregistrement audio), D SP3 (n’existe pas - vu son retrait au procès), D SP4 (journal des débats au sujet de la Loi sur la santé publique projet de loi 36), D SP5 (dictionnaire Druide Antidote), D SP6 (journal des débats sur la Loi sur la sécurité civile. Projet de loi 173).

[41]           Le Procureur général du Québec dépose au soutien de son argumentaire les pièces PGQ 1 à 17 et PGQ 19 à 21 puisque la pièce PGQ 18 a été retirée. La liste des pièces est au dossier de la Cour.

3.1   Le résumé des éléments pertinents des témoignages entendus

[42]           La défense a fait entendre le Dr Horacio Arruda, les agents Benjamin Proulx et Tommy Vigneault.

[43]           Le Procureur général a fait entendre le Dr Richard Massé dans sa preuve.

3.1.1       Dr Horacio Arruda, médecin en santé publique et sous-ministre  adjoint au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS)

[44]           Il est médecin spécialiste en santé publique. En résumé, il a principalement travaillé dans le champ d’expertise des maladies infectieuses, il a fait de l’enseignement et fut le directeur de programme dans le domaine des épidémies.

[45]           Il a occupé le poste de directeur de la protection de la santé publique. Dans le cadre de sa gestion en matière de santé publique et environnementale, il travaille sur plusieurs dossiers d’épidémies. Depuis 2012, Dr Arruda a été le directeur national de Santé publique. L’ultime décideur est le ministre de la Santé et des Services sociaux.

[46]           La santé publique vise à protéger et à améliorer la santé des populations soit par des démarches, des enquêtes, à intervenir en milieu de travail pour diminuer les expositions ou sur les changements climatiques ou environnementaux et fait la promotion et la prévention au niveau de la santé.

[47]           Le patient d’un médecin en santé publique est l’ensemble de la population.

[48]           Il a aussi une expérience de travail en épidémiologie. C’est la méthode d’investigation d’une épidémie faite par le médecin auprès des personnes pour détecter la source.

[49]           Selon lui, les objectifs du couvre-feu décrit dans le résumé de témoignage anticipé du Dr Richard Massé (pièce au dossier) sont exacts :

  • Premièrement, réduire la transmission communautaire du virus en réduisant les contacts;
  • Deuxièmement, renforcer le respect des mesures déjà en place en imposant une mesure sans ambiguïté;
  • Troisièmement, lancer un message clair favorisant le maintien de l’adhésion aux mesures sanitaires.

[50]           Selon l’avis du témoin, il n’y a aucune mesure qui peut obtenir l’effet complet recherché. Il reste des trous. Il fallait diminuer le nombre de cas, de décès et d’hospitalisations pour éviter un bris de service dans les hôpitaux. Tout cela, par un élément communicationnel soit un message clair à la population pour la protéger et diminuer la transmission du virus.

[51]           Il y avait déjà un nombre de mesures en place.

[52]           Son objectif était de protéger la santé de la population en diminuant le nombre de cas.

[53]           Les moyens utilisés en santé publique pour atteindre des objectifs sont de plusieurs catégories, ils sont complémentaires les uns des autres. Il y en a qui sont associés aux comportements des individus.

[54]           Selon l’approche dite populationnelle certains moyens sont reliés dans plusieurs catégories. Certains de ceux-ci visent à restreindre les contacts ou diminuer les rassemblements notamment dans les maisons.

[55]           Pour ce qui est du troisième objectif (lancer un message clair), il se voulait la finalité même du couvre-feu pour diminuer la transmission des cas et ainsi agir de façon complémentaire avec les autres actions déjà en place. L’élément communicationnel : le message est important.

[56]           Le couvre-feu est une mesure d’exception utilisée lorsque son bénéfice associé à sa mise en place dépasse les inconvénients. Son utilisation démontre le sérieux du message recherché.

[57]           Dr Arruda souligne qu’avec son équipe, ils ont pris connaissance de deux études.

[58]           L’étude française se nomme « Évaluation précoce de l’impact des mesures de freinage mises en place pour contrer la deuxième vague de COVID-19 dans 22 métropoles françaises » soumise pour publication accélérée le 23 novembre 2020.

[59]           En conclusion de cette étude, il est question de l’effet de la résonnance. Dans les faits, il s’agit d’une étude observationnelle qui a comparé des régions en France où il y avait un couvre-feu avec d’autres. On a voulu observer si l’ajout d’un couvre-feu pouvait avoir un impact. L’ajout d’un couvre-feu dans la zone initiale a eu un impact expliqué potentiellement par le couvre-feu avec les autres mesures déjà mises en place. Il y a eu diminution des taux d’hospitalisation, de la transmission des cas, et ce, sept jours plus tard.

[60]           L’effet de résonnance dans cette étude fait référence à des cas selon une intervention dun territoire à un autre. Il peut y avoir des messages perçus qui font diminuer un comportement dans la population.

[61]           Pour ce qui est de l’apport des sciences sociales, les dynamiques vont varier d’un territoire à l’autre. Du côté de la santé publique, tout au long de la pandémie on a fait des sondages pour vérifier la compliance de la population aux mesures. Toutefois, ils n’ont pas été faits dans une optique d’effet de résonnance.

[62]           Lors du point de presse du 16 mars 2020, le témoin commente l’extrait audio produit sous D-SP2 selon lequel les couvre-feux sont davantage pour le maintien de l’ordre social, lors de guerre ou d’émeute et que la distanciation sociale est mieux. À cette époque, on ne parle pas de cela (couvre-feu) en santé publique.

[63]           Le couvre-feu dans son objectif vise à diminuer la probabilité de contacts entre les individus dans les heures couvertes. Nous sommes dans un contexte où l’on avait déjà mis en place toutes les autres séries de mesures.

[64]           Dans le rapport de l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS), on se dirigeait vers un dépassement de la capacité hospitalière. Les projections n’allaient pas dans le sens de diminuer la courbe. Ce fait menaçait la santé des personnes atteintes de COVID-19 et aussi celle des patients en attente d’une chirurgie urgente. On veut sauver les gens et permettre au système hospitalier de les traiter.

[65]           C’était une pandémie mondiale, du jamais vu. Selon le témoin, nous n’avions jamais vécu des interventions aussi prolongées de santé publique et la situation évoluait avec des variants.

[66]           C’est clair que dans l’arsenal des interventions en matière de santé publique, le couvre-feu n’est pas un élément usuel. Il faut faire face à une situation grave comme celle vécue à l’époque de son utilisation.

[67]           Dès les premiers points de presse, le Dr Arruda affirme que l’éventail des mesures pouvait être appelé à changer le tout en considération d’une situation en constante évolution.

[68]           Au sujet du courriel déposé sous la pièce D SP 1, l’échange courriel entre Dr Horacio Arruda, Dr Éric Litvak et d’autres partenaires du 30 décembre 2021. Il a effectivement demandé que des experts soient contactés. Il y a lieu de préciser le contexte du courriel puisqu’il concerne le deuxième couvre-feu. Dr Arruda précise que son intention était de faire une vérification sur l’existence ou non d’étude supplémentaire à celle de Santé publique France et l’étude de Nina Haug. L’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) n’avait pas répertorié d’autres études.

[69]           Le contre-interrogatoire permet de faire ressortir les points suivants.

[70]           Le 8 janvier 2021, il avait deux études en sa possession pour la prise de décision.

[71]           La première étude est celle de la Santé publique de France (PGQ16) déjà commentée ci-haut.

[72]           La deuxième étude (PGQ17) « Ranking the effectiveness of worldwide COVID-19 government interventions » des auteurs Nina Haug et als, datée du 4 décembre 2020.

[73]           Les auteurs de cet article ont utilisé toute une série de banques de données, d’études sanitaires afin d’établir un ordre d’importance sur les mesures et leurs effets sur la santé. On y voit que les petits rassemblements ont un impact. Le « Small gathering cancellation » incluant le couvre-feu ont un effet sur le taux de transmission le R0. Son score normalisé est 83e pour réduire la transmission.

[74]           Le couvre-feu est dans cette catégorie, lequel a le plus d’impact en termes d’effet sur la transmission. Cette recherche à partir de données comparatives avec des modèles mathématiques croisés de différentes méthodes vient établir l’effet du couvre-feu.

[75]           Le couvre-feu est reconnu pour être efficace par son score normalisé.

[76]           Avant d’en arriver à imposer un couvre-feu, d’autres mesures étaient en place notamment : la distanciation sociale, la restriction de rassemblement, la déclaration d’urgence et la restriction de frontière.

[77]           Plus nous descendons dans la liste de mesures prévues dans l’étude (à la page 1314), plus le score normalisé est diminué. La mesure aura moins d’effets sur la transmission.

[78]           Nous étions rendus à la prochaine sur la liste, la plus efficace soit le couvre-feu.

[79]           Cette étude est faite dans un contexte pandémique, basée sur 226 pays. Elle est faite à l’Université de Vienne.

[80]           Les deux études (PGQ 16 et PGQ 17) ne sont pas des études dites à « double insu ». Une procédure de « double aveugle » consistant à laisser les patients et les soignants dans l'incertitude du traitement reçu pour éviter que la connaissance du traitement influence leurs comportements ou leurs décisions pendant l'essai.

[81]           Selon Dr Arruda, ce n’est pas réellement faisable dans le contexte d’une pandémie.

[82]           En résumé, il est difficile de chiffrer l’efficacité d’une mesure de santé publique. En effet, « la théorie des tranches de fromage suisse » énoncerait qu’aucune mesure n’est efficace à 100 %. Selon lui, même la vaccination, la meilleure mesure ne l’est pas.

[83]           C’est avec la somme des mesures qu’on voit leur efficacité. On ignore comment les gens vont les appliquer, mais on sait par expérience que ce sont des méthodes efficaces, car le virus se nourrit de contacts humains. Toutes mesures ajoutant de la distanciation sociale mises ensemble augmentent l’efficacité.

[84]           Brièvement, selon le modèle du fromage suisse (PGQ 2) : les mesures sous la responsabilité individuelle se font par communication ou enseignement. Il y a aussi des mesures, sous la responsabilité collective lesquelles vont aider à la confiance des individus.

[85]           La vaccination est la mesure la plus facile à mesurer.

3.1.2       Benjamin Proulx, policier

[86]           En janvier 2021, il est policier sur la relève de nuit dans le cadre d’un remplacement. Son poste est celui d’un agent. À cette époque, c’est la première fois qu’il intervient dans un contexte de manifestation. Il a un an et demi d’expérience.

[87]           L’agent Proulx apprend qu’une manifestation est prévue vers 19 h. La Sûreté du Québec alloue un surplus d’effectifs pour intervenir.

[88]           Il y a un poste de commandement et l’agent responsable prêté à cette opération est son supérieur immédiat soit Tommy Vigneault.

[89]           On porte à la connaissance de l’agent Proulx qu’une information est affichée sur les réseaux sociaux sur la manifestation.

[90]           Sur la 4e Avenue, il aperçoit une série de véhicules klaxonner avec leurs clignotants. Les véhicules du convoi se suivent tous.

[91]           Il intervient auprès du véhicule de tête dans lequel se trouve la défenderesse Stéphanie Pépin. Elle l’informe du motif de la manifestation. L’agent Proulx lui ordonne de retourner chez elle. Madame Pépin se conforme à cette demande.

[92]           Toutes les personnes dans les véhicules du convoi sont interceptées par plusieurs agents de police.

[93]           Au moment de son intervention, il n’a pas le décret en main. Il suit la ligne hiérarchique de son organisation. L’agent Proulx admet ne pas avoir de connaissance personnelle du décret. On lui a exhibé le libellé du décret, celui inscrit sur le constat. Aucune exception sur l’application du décret n’est portée à sa connaissance. Son supérieur l’a envoyé à cet endroit puisque des gens sont dans la rue malgré le couvre-feu.

[94]           Il émet un constat d’infraction à Stéphanie Pépin pour avoir contrevenu au décret.

3.1.3       Tommy Vigneault, policier

[95]           Le 9 janvier 2021, il est policier et est le superviseur de relève à la Sûreté du Québec. Il est le supérieur hiérarchique du policier Benjamin Proulx, l’émetteur du constat d’infraction.

[96]           Les informations et le document mis à jour au sujet du couvre-feu sont reçus de la direction des mesures d’urgence de son organisation. Pour l’application de ces directives, il assiste le capitaine François Côté le responsable régional pour la mise en place d’un poste de commandement dans la salle de conférence de la Sûreté du Québec à Amos. Il s’agit d’un centre opérationnel pour assurer le bon déroulement de l’application du couvre-feu et l’affectation des ressources.

[97]           Le service de renseignements de la Sûreté du Québec reçoit l’information qu’une manifestation aura lieu vers 19 h 30, par des gens réfractaires à l’application du couvre-feu. Il y a donc une vigie mise en place.

[98]           Cette information est transmise dans la chaîne de commandement. À 19 h, il transmet l’information à l’agent Benjamin Proulx.

[99]           La manifestation est prévue à 19 h 30.

[100]       Sur l’existence d’exception à l’application du décret, il ne se souvient pas d’avoir reçu cette information. Il n’a pas réfléchi au fait que la manifestation puisse être à saveur politique ou autre.

[101]       Comme il reçoit l’information sur l’existence de celle-ci, il avise ses collègues pour une action de leur part.

3.1.4       Stéphanie Pépin, la défenderesse

[102]       Dans le cadre d’une contestation de l’imposition d’un couvre-feu, elle décide avec d’autres personnes de préparer une manifestation. Celle-ci est rendue publique sur les réseaux sociaux. Ils conviennent d’une date, d’une heure et d’un lieu de rendez-vous pour le départ d’un convoi de véhicules. Le rassemblement débute dès 19 h 30 le 9 janvier 2021.

[103]       C’est à 20 h que le départ du convoi débute. Stéphanie Pépin est à la tête de celui-ci. Après avoir circulé sur quelques kilomètres, un premier policier l’interpelle pour lui rappeler le couvre-feu en vigueur, mais la laissera repartir. Plus loin, sur la rue des Pins, les policiers interceptent l’ensemble des véhicules et leurs occupants.

[104]       Elle collabore à la demande des policiers de retourner à sa résidence.

[105]       Les raisons invoquées pour organiser et faire cette manifestation à l’encontre du décret et de son application sont diverses. Elle précise notamment : avoir des enfants, vouloir prendre des marches ou de courts déplacements en véhicule pour l’aider avec ceux-ci, son conjoint vit dans une autre région et l’impossibilité de voyager de soir réduit leurs contacts. Elle souhaite conserver sa liberté de circuler et de vivre. Un couvre-feu représente un empêchement et un traitement tel de se sentir comme une « criminelle ».

[106]       L’application d’un couvre-feu entraîne des conséquences sur sa personne notamment : la déprime, l’insomnie, la sensation d’être en cage, de ne plus pouvoir voir son conjoint et l’impact direct sur son quotidien.

3.1.5       Dr Richard Massé : les éléments pertinents

[107]       Note : Le docteur Richard Massé est appelé par le Procureur général du Québec à rendre un témoignage au sujet de faits dont il a eu une connaissance personnelle dans le cadre de ses fonctions. Après un échange avec les parties sur son statut particulier notamment lors de la conférence de gestion tenue le 23 août 2023, le Tribunal pour les raisons détaillées qui vont suivre (à la section 3.2) lui a accordé le statut « d’expert-participant ». Un résumé de son témoignage anticipé a été communiqué aux parties et déposé au dossier de la Cour.

[108]       Son curriculum vitae déposé sous la cote PGQ1, fait état de ses compétences diversifiées. Il est médecin spécialiste en santé publique et en épidémiologie. Il possède une vaste expérience dans le domaine de la santé communautaire et les maladies infectieuses.

[109]       Il consacre l’essentiel de sa carrière dans des postes stratégiques en santé publique notamment : à titre de sous-ministre adjoint de 1998 à 2003. Son mandat consiste, entre autres, à revoir dans son ensemble les dispositions et les lois touchant la santé publique dont l’origine était de plus de 30 ans.

[110]       La première Loi sur la santé publique (LSP), fut adoptée le 2001 sous sa gouverne. Tous les acteurs s’entendent pour « élargir les bras » de la nouvelle loi puisque la situation évolue rapidement notamment quant aux pathogènes en émergence et le déplacement rapide des populations. Ces pouvoirs de mesures d’urgence prévus à l’article 123 (8) de la loi actuelle n’ont jamais été utilisés avant la situation actuelle – la pandémie. C’est plutôt la Loi sur la sécurité civile et la Loi sur les mesures d’urgence qui étaient antérieurement les outils.

[111]       Comme les heures comptent en matière de santé publique (par exemple : le virus Ebola), il précise vouloir une capacité d’agir dans la LSP en complément avec les autres mesures relatives à la sécurité publique.

[112]       À titre de PDG de l’INSPQ de 2003 à 2008, il a dirigé et organisé les activités scientifiques. Du point de vue scientifique, l’organisme divulgue au ministre de la Santé et des Services sociaux le contenu de ses conclusions avant la diffusion publique.

[113]       En plus d’autres implications tout aussi pertinentes dans le domaine de la santé publique, le tribunal retient qu’il a exercé différents rôles d’expert-conseil tant au fédéral qu’au provincial.

[114]       Au mois de mars 2020, le Dr Horacio Arruda l’a contacté pour devenir le conseiller médical stratégique du MSSS. Considérant sa vaste expérience et sa connaissance des maladies infectieuses, il assiste notamment à toutes les réunions du comité exécutif et celles de la coordination des multiples partenaires, dont la table de concertation en santé publique. Il occupe un rôle stratégique. Il est le bras droit de Dr Arruda.

[115]       Il a consulté des données épidémiologiques journalières sur les éclosions, les hospitalisations et les décès. Il y a même eu des données sur le suivi des mesures et leur acceptabilité sociale, du monitoring.

[116]       Les paliers d’alerte de couleur ont été développés par l’équipe de Dr Éric Litvak de l’INSPQ.

[117]       En décembre 2020, il y a l’apparition d’un nouveau variant Alpha. C’est le début de la vaccination en CHSLD à petite échelle.

[118]       Au niveau de l’INSPQ, le ministre demande d’évaluer les risques afin de prévoir la comorbidité des hospitalisations et la capacité du réseau pour les soins. Il s’agissait d’indicateurs pour déterminer les mesures à prendre.

[119]       Toutes les stratégies ou mesures ont des trous. C’est la méthode du fromage. L’addition de couches (de mesures) tend vers la suppression ou la mitigation du risque de transmission.

[120]       Le couvre-feu est une mesure qui brime un peu la liberté d’une population. Avant de l’utiliser, on doit avoir mis en place d’autres mesures. Un couvre-feu est un confinement partiel.

[121]       À titre de considérants pour la justification d’un couvre-feu, on regarde la situation épidémiologique et l’adhésion des gens aux mesures proposées.

[122]       En décembre 2020, la transmission du virus se fait très facilement entre les gens. Le taux de transmission est très élevé au-delà de l’influenza. Dr Massé précise qu’une personne infectée peut transmettre la maladie à d’autres personnes, et ce, jusqu’à deux jours avant l’apparition de symptômes. Plus il y a de gens dans une pièce, plus les gouttelettes présentent dans l’air sont une source de contamination.

[123]       Les effets de la maladie sont : la fièvre, la toux, les difficultés respiratoires et des organes peuvent être affectés. Les personnes âgées ou celles rencontrant des difficultés respiratoires sont plus susceptibles de décéder. Au début janvier 2021, il y en a plus de 10000.

[124]       L’arrivée d’un nouveau variant (ALPHA) plus transmissible, combinée avec l’augmentation des cas amènera une révision des mesures.

[125]       Dans le rapport d’évènement[9] sur l’état d’urgence sanitaire lié à la pandémie de la COVID-19 (PGQ-3), on apprend que :

        dans la première vague (entre le 23 février au 11 juillet 2020), le pic journalier atteint 1097 cas. Le nombre d’hospitalisations est de 6848 avec un pic journalier de 160. Le nombre de cas est de 56533. Le nombre de décès est de 5687 avec un pic journalier de 153 en avril 2020.

        dans la 2e vague (entre le 23 août 2020 au 20 mars 2021), le pic journalier atteint 2871 cas. Le nombre d’hospitalisations est de 12780 avec un pic journalier de 154. Le nombre de cas est de 240 455.Le nombre de décès est de 4903 avec un pic journalier de 69 au 13 janvier 2021.

        la vaccination débute le 14 décembre 2020 dans les centres d’hébergement pour personnes âgées. En raison de doses limitées, ce n’est qu’au mois de mars 2021 que plus de gens l’auront reçu.

[126]       Le couvre-feu dont l’application est contestée fut adopté le 8 janvier 2021.

[127]       Les données journalières consultées indiquent une évolution du nombre de cas confirmés :

Semaine du 27 décembre 2020

17778 cas

Semaine du 3 janvier 2021

17458 cas

Semaine du 10 janvier 2021

14061 cas

Semaine du 17 janvier 2021

10511 cas

  Source : Pièce PGQ-6

[128]       Sur l’évolution du nombre d’hospitalisations pour l’ensemble du Québec, les données indiquent aussi une augmentation pour atteindre un point culminant en janvier 2021 :

25 décembre 2020

928 cas

9 janvier 2021

1380 cas

  Source : Pièce PGQ-7

[129]       La tendance démontre que la capacité hospitalière se dirigeait vers un point de rupture et du délestage.

[130]       Quant à l’évolution du nombre de décès liés à la COVID-19 selon la date du décès, les informations sont :

27 décembre 2020

302 décès

3 janvier 2021

346 décès

10 janvier 2021

367 décès

17 janvier 2021

360 décès

  Source : Pièce PGQ-8

[131]       Dr Massé commente ces données factuelles en expliquant quelles démontrent un grand fardeau sur le réseau de la santé.

[132]       Pour l’ensemble du Québec, le dernier tableau porte sur l’évolution du nombre de doses du vaccin administrées. Voici la projection sur quatre semaines :

27 décembre 2020

11206 doses

3 janvier 2021

57008 doses

10 janvier 2021

63021 doses

17 janvier 2021

73754 doses

  Source : Pièce PGQ-19

[133]       Ce sont essentiellement les personnes âgées et le personnel soignant qui ont pu les recevoir. Il indique que pour atteindre une certaine immunité collective, c’est 75 % de la vaccination qui était requise toutefois au rythme du nombre de doses administrées cela ne suffisait pas.

[134]       Voici les principales mesures déjà en place au moment de la décision d’imposer un couvre-feu               :

Été 2020

Port du masque obligatoire dans les endroits publics fermés.

Septembre 2020

En cas de refus de port du masque, des constats d’infraction sont remis.

8 septembre 2020

Instauration d’un système d’alertes régionales selon un code de 4 couleurs.

Septembre 2020

Restrictions des rassemblements.

Fin de la vente d’alcool et autres.

Octobre 2020

Fermeture des gymnases, bars et restaurants en zone rouge.

Activité de groupe interdite, salle à manger, bibliothèques.

24 octobre : tous les déplacements non essentiels sont visés par un rappel de les éviter.

Point de contrôle aléatoire entre les régions.

Novembre 2020

(19) Contrat moral avec la population pour le temps des fêtes.

Décembre 2020

(3) Restrictions de rassemblement dans les zones rouges sauf pour les personnes seules, qui peuvent recevoir une personne.

(4) Restriction du nombre de gens admis dans les commerces.

(15) Palier au rouge pour tout le Québec, sauf quelques régions, dont l’Abitibi qui est au palier orange.

(17) Mesures pour le temps des fêtes.

Janvier 2021

(7) Prolongation de la fermeture des commerces.

(7)  Preuve d’un résultat négatif avant de prendre l’avion. Test COVID avant un voyage.

(9) Couvre-feu, entre 20 h et 5 h, le 9 janvier 2021.

(11) Rentrée scolaire pour le primaire avec couvre-visage (masque de procédure chirurgical).

(note : les mesures ne sont pas toutes inscrites dans le tableau - le portrait complet est à la pièce PGQ-5)

Source : Pièce PGQ 5

[135]       En reprenant le concept du modèle du fromage suisse, c’est un crescendo de couches de mesures qui s’est fait. Les mesures implantées sont en progression.

[136]       Malgré le resserrement des mesures, le nombre de cas est en augmentation. Dr Massé précise que le gouvernement a même demandé l’intervention des policiers devant la difficulté à faire respecter les mesures en place. Sans plainte, il n’y aurait pas d’intervention dans les domiciles de la part des policiers.

[137]       Au 15 décembre 2020, le palier d’alerte pour l’Abitibi est au jaune. Il passe au niveau orange le 17 décembre 2020 et au palier rouge le 8 janvier 2021, et ce, jusqu’au 8 février 2021.

[138]       Dans le cadre de ses fonctions, il reçoit de façon journalière toutes les données.

[139]       Le document PGQ 11 est une publication de l’INESSS des informations accessibles sur l’évolution du risque d’hospitalisation pour les personnes infectées par le SRAS-CoV2 durant la semaine du 14 au 20 décembre 2020.

[140]       Cette analyse lui permettait d’évaluer les profils de comorbidité, les cas et anticiper le nombre potentiel d’hospitalisations notamment aux soins intensifs. Depuis quatre semaines, le nombre de cas augmente (+ 74 %). L’augmentation est cinq fois plus importante pour Montréal. Environ 717 cas présentent un risque élevé d’hospitalisation sur les 10693 cas avec des profils de comorbidité. Le nombre d’hospitalisations projeté a augmenté de 50 % dans la région de Montréal. Une grande proportion des hospitalisations se situe dans la tranche d’âge entre 18 et 69 ans.

[141]       Les autres régions incluant l’Abitibi représentent 17 % des nouvelles hospitalisations.

[142]       La pièce PGQ-12 représente une mise à jour au 22 décembre 2020 de l’INESSS sur l’évolution de l’épidémie et les besoins hospitaliers. Ces informations nous sont utiles pour que l'on puisse faire de la projection pour les trois prochaines semaines. Entre les mois de septembre et décembre 2020, il y a une progression.

[143]       L’INESSS produit un communiqué de presse le 24 décembre 2020 faisant état de ces constatations. En résumé, les projections prévoient pour les semaines à venir une augmentation importante de l’occupation des lits. Un dépassement des capacités hospitalières (lits désignés) ne peut être exclu.

[144]       Il précise que lorsque cette limite est atteinte, on doit décider vers où seront les zones de dépassement de cas et restreindre les admissions pour les patients (chirurgie élective) à l’exception de l’urgence. On se trouve à retarder des admissions notamment des processus diagnostics.

[145]       Pour la semaine du 21 au 27 décembre 2020, les données reçues de l’INESSS (PGQ-14), l’évolution des cas d’hospitalisation se poursuit. Pour 14 460 nouveaux cas, il y a une projection de 678 cas qui présentent un risque élevé d’hospitalisation. La population générale représente 81 % et le profil avec forte comorbidité 19 %.

[146]       Durant cette période, la région de l’Abitibi (incluse dans le groupe :  Outaouais, Côte-Nord, Gaspésie, Îles-de-la-Madeleine, Nunavik-Terres Cries Baie-James) représente 16 % des nouveaux cas.

[147]       Une mise à jour des données sur l’évolution de la situation est faite le 29 décembre 2020 par l’INESSS (pièce PGQ-15). Pour la première fois, un dépassement de la capacité hospitalière à Montréal est dit vraisemblable. Pour les autres régions, le dépassement ne peut être exclu.

[148]       En Abitibi, les données de la vigie sanitaire indiquent un nombre de cas de 20, à 40 et pour la première semaine de 2021 plus de 160 cas avec 16 éclosions clairement reliées à la période des fêtes.

[149]       L’INESSS produit un deuxième communiqué de presse le 31 décembre 2020 faisant état de ces constatations.

[150]       Selon le témoin, cela indique un « feu rouge » et que les mesures prises ne suffisent plus.

[151]       Au 8 janvier 2021 avant l’imposition du couvre-feu, on possédait certaines informations scientifiques, mais pas toutes. En situation d’urgence, comme en santé publique, nous sommes entraînés à prendre des décisions dans des zones d’incertitudes.

[152]       Les études scientifiques solides comme les études de type randomisé (les RCT) prennent beaucoup de temps à faire et à se publier environ de 1 à 3 ans.

[153]       Deux études lui sont remises (PGQ 16 et 17) pour son analyse.

[154]       La première étude pour publication accélérée provient de la France « Évaluation précoce de l’impact des mesures de freinage mises en place pour contrôler la deuxième vague de COVID-19 dans 22 métropoles françaises, octobre-novembre 2020 »[10].

[155]       Elle est descriptive et clairement il y a un impact au niveau de la transmission soit une réduction immédiate du nombre de cas et des hospitalisations.

[156]       La seconde étude est publiée dans le Nature Human Behavior « Ranking the effectiveness of worldwide COVID-19 government interventions » [11] en décembre 2020.

[157]       On doit imposer un couvre-feu seulement après avoir utilisé les autres mesures. Il y a une liste des mesures les plus efficaces. De celle-ci, il y en a six de ces stratégies où il y a un consensus très grand. Le score du couvre-feu se trouve dans les plus efficaces. Or, les auteurs émettent une réserve sur son utilisation et ses effets secondaires.

[158]       Ils ont regroupé 46 mesures utilisées plus de cinq fois pour décortiquer leur efficacité avec plusieurs méthodes et des banques de données. Le couvre-feu fait partie de ces mesures ayant un impact pour restreindre le nombre de contacts dans les petits groupes.

[159]       Selon le témoin, les objectifs pour l’imposition du couvre-feu le 8 janvier 2021 étaient d’obtenir un fléchissement de la courbe devant une catastrophe annoncée pour le système de soins, et il fallait renforcer les mesures mises en place auparavant. Un « lockdown » (confinement) n’était pas considéré à cause de l’impact social et le système scolaire. Il fallait s’assurer de la protection des personnes âgées et du réseau de la santé à cause des impacts dommageables.

[160]       Le nombre de nos options est réduit. Le couvre-feu à titre de mesure intermédiaire est proposé. Cette mesure seule en soi n’aurait pas eu tout l’impact. Toutefois, le couvre-feu avec l’ensemble des mesures existantes vient renforcer le message auprès de la population générale notamment chez les personnes plus jeunes de 19 à 69 ans. Pour leur dire « écoutez c’est sérieux, il faut respecter les mesures qui ont été mises en place ».

[161]       La mesure est devenue essentielle pour venir chapeauter les autres déjà en place et pour donner un signal aux jeunes que « c’est assez ».

[162]       Un couvre-feu donne aussi une capacité d’intervention à la sécurité publique lorsque des gens demeurent dans les rues en dehors des heures prévues. Les policiers sont capables d’intervenir contrairement au rassemblement dans les maisons où ils étaient inconfortables d’agir à l’intérieur.

[163]       La mesure a eu de l’impact.

[164]       C’est le signal qu’on voulait donner aux gens. Selon les études, un couvre-feu entre 20 h et 5 h n’affecte pas autant les jeunes enfants ainsi que les personnes âgées qui se réunissent moins en petits groupes et ne sortent pas le soir.

[165]       Les groupes visés sont ceux des jeunes adultes et des adultes où cela pouvait avoir un impact plus important. Dans les graphiques, ce sont eux qui sont visés par l’augmentation des cas au niveau épidémiologique. De plus, ils ramènent le virus et contaminent les autres : leur famille, les amis, les grands-parents.

[166]       C’est une façon de passer un signal et de donner des armes à la santé publique et le moyen [couvre-feu] pour arrêter la transmission du virus qui était hors de contrôle.

[167]       Avant d’imposer un confinement complet, il ne reste plus beaucoup de mesures, car les commerces sont fermés, les gens sont en télétravail, ils ne peuvent pas aller au restaurant, ou magasiner ou au cinéma.

[168]       Honnêtement, la liste des options était « vraiment très restreinte ». Il ne restait que peu d’options pour pouvoir intervenir.

[169]       Un des messages est d’utiliser les mesures ayant le moins d’impact. Or, toutes celles-ci sont déjà utilisées. Ce qui veut dire : le moins dimpact sur la liberté des personnes parce que c’est toujours très difficile. C’est très difficile de restreindre la liberté des personnes. « On les obligeait. On contraignait les gens ». Définitivement, on savait que c’était un élément problématique.

[170]       Toutes les mesures aussi ont un impact sur la santé mentale et sur les gens vulnérables ou sans domicile fixe. Il faut éviter d’entrer profondément dans ces impacts négatifs d’où la série d’exceptions. On en avait besoin de la mesure.

[171]       Lors de l’imposition du couvre-feu, on était conscients de ces enjeux à prendre en considération. Reste qu’une fraction importante des adultes et jeunes adultes, pour lequel il y avait une contrainte une partie de la journée.

[172]       Auprès des personnes atteintes, nous n’avons pas mis de mesure individuelle de confinement comme dans les pays asiatiques. Dans certains pays, les mesures de confinement obligatoire pour les gens atteints sont de les enfermer, de souder leur porte, comme une prison. Ici, ce n’est pas admissible ni acceptable.

[173]       On mesurait régulièrement l’acceptabilité sociale des mesures mises en place. En janvier 2021, les données des sondages démontrent que 68 % de la population sont en accord avec le couvre-feu. C’est un indicateur important.

[174]       Il n’y a pas eu de mesures uniquement à la population à risque ou avec comorbidité puisque ceux-ci (les plus âgés) se retrouvaient déjà dans la clientèle des CHSLD ou dans une RPA. Il y avait déjà des limites, des restrictions de nombre et de contacts dans les cafétérias. On a dû les assouplir vu les enjeux de santé mentale.

[175]       Les gens vivant dans la communauté avec de la comorbidité sont en contact avec d’autres personnes et la transmission.

[176]       On impose une mesure de couvre-feu sur l’ensemble du territoire, même en Abitibi, car les choses se sont détériorées. Il y a eu une augmentation progressive des cas : 14 régions sur 18 sont au pallier rouge.

[177]       En Abitibi, il y avait déjà eu des éclosions d’où l’imposition de barrière pour empêcher les déplacements. Aussi, la zone de rérence hospitalière pour l’Abitibi est Montréal.

[178]       Pour assurer la compréhension du public et le sérieux du message, on doit l’imposer partout.

[179]       Cela ne prend pas un grand nombre de cas pour déséquilibrer une région. Durant la première semaine du mois de janvier 2021, l’Abitibi a eu une augmentation de cas.

[180]       Lors de l’amélioration de la situation, des assouplissements se sont faits dans chacune des régions. Toutefois au moment de l’imposition du couvre-feu, on ne pouvait pas le faire pour éviter d’affaiblir le message. Exclure l’Abitibi du couvre-feu avec le reste du Québec aurait été une erreur.

Contre-interrogatoire : résumé des éléments pertinents

[181]       Au niveau de la nouvelle Loi sur la santé publique, il y a eu introduction de la notion d’urgence sanitaire. Les anciennes mesures ne répondaient pas aux nouveaux besoins qu’on pouvait entrevoir (tel qu’actuellement).

[182]       La Loi sur la sécurité civile et la Loi sur la santé publique ont été déposées le même jour en 2001. Il y a une interface entre les lois : les enjeux en santé publique sont ceux de la LSP et les autres risques sont couverts par la Loi sur la sécurité civile.

[183]       La LSP donne des pouvoirs au ministre de la Santé et des services sociaux notamment de mobiliser des ressources, de réquisitionner et donner des contrats. Une transposition du volet santé, uniquement sans activer tous les autres, mais en coordination avec les autres ministères. Toutefois, la coordination du volet santé est faite par le ministre de la Santé et non pas sous celle de la sécurité civile.

[184]       Une épidémie c’est populationnel. Une éclosion c’est lorsqu’on se retrouve avec une transmission plus élevée de cas, mais à l’intérieur d’un milieu.

[185]       Une pandémie touche quant à elle, l’ensemble des pays.

[186]       Le volet de protection de la LSP vise les maladies infectieuses et l’imposition de mesures collectives pour empêcher la propagation. Il y a la détection par la surveillance, pensons aux vigies sanitaires. Dans le volet enquête, il y a une section spécifique des pouvoirs. Des mesures coercitives existent comme le fait d’avoir des maladies à déclaration obligatoire et des règlements permettant au directeur national de la santé publique d’intervenir. Il fallait en soi une capacité d’intervenir pour empêcher la transmission.

[187]       Dans le nouveau titre de la Loi sur la santé publique, on a enlevé le mot « protection » pour qu’elle soit plus globale. On voulait élargir le profil de la loi et sa fonction essentielle. C’est un changement fondamental et non anodin.

[188]       Dans la nouvelle LSP, on a enlevé les règles relativement aux cadavres. Les enjeux au Canada, à près de 99 % des cas, sont plus rattachés aux cadavres non réclamés, à leur respect et la procédure d’un thanatologue.

[189]       L’article 54 de la Loi sur la santé publique indique que le ministre de la Santé et des Services sociaux est d’office le conseiller du gouvernement pour la promotion et de l’adoption de politiques aptes à favoriser une amélioration de l’état de santé. Le Québec a été novateur à ce sujet pour améliorer les politiques.

[190]       Les pouvoirs d’enquête et ceux conférés par les mesures d’urgence notamment par les décrets ont permis aux policiers leurs actions. Ce n’était pas en fonction de l’article 54 qu’ils agissaient.

[191]       L’article 2 de la LSP vise la menace à la santé de la population et donne des pouvoirs aux autorités. Le témoin ignore pourquoi à cette section il ny a pas eu d’annonce des pouvoirs du gouvernement.

[192]       Le porteur ultime des mesures d’urgence est le ministre. Toute la section sur la déclaration de l’état d’urgence sanitaire est sous sa responsabilité. L’implication du gouvernement se situe pour les mesures d’urgence. C’est la première fois en 20 ans qu’on utilise cette section de la Loi (mesures d’urgence).

[193]       Pour les mesures d’urgence, on voulait donner au gouvernement une capacité d’agir. On aurait pu utiliser la Loi sur la sécurité civile, mais la coordination n’aurait pas été au ministère de la Santé. En 2020, lorsque la pandémie fut déclarée, Dr Arruda voulait connaître les outils pour intervenir rapidement et efficacement. La LSP a été l’outil privilégié, choisi délibérément, car cela nous permet d’intervenir rapidement.

[194]       La LSP correspondait comme un gant aux besoins exprimés notamment par le gouvernement au mois de mars 2020.

3.2   Le statut de témoin de faits et l’expert-participant

[195]       Le Dr Richard Massé témoigne sur des faits à la demande du PGQ. Considérant sa vaste expérience dans le domaine où il rapporte des éléments factuels et son implication directe dans la prise de décision, la question des règles applicables à son témoignage se pose.

[196]       Il est le conseiller médical stratégique à la direction générale de la santé publique. Il relate des faits qu’il a observé dans le cadre de ses fonctions, il fait le récit des décisions ayant mené à l’adoption du couvre-feu, il n’aurait pas besoin d’une qualification à titre d’expert dans ce cadre.

[197]       Toutefois, un témoin de faits n’est pas autorisé à émettre d’opinion ou tirer une inférence sur un fait. Un témoin ordinaire peut dans sa déposition contenir une part d’opinion lorsque cela est utile pour obtenir des faits clairs. Son opinion doit relever de son domaine d’expérience dit « courant » et non pas dans un domaine « scientifique ».[12]

[198]       Un témoin expert constitue une exception puisqu’il peut émettre une opinion qui « dépasse l’expérience et la connaissance d’un juge ou d’un jury »[13].

[199]       Pour éviter un dérapage vers un témoignage d’expert sans l’avoir qualifié au préalable, la jurisprudence et la doctrine proposent une solution hybride : l’expert participant.

[200]       La procédure « Résumé anticipé du témoignage du Dr Richard Massé » est produite sans objection dans le dossier. C’est son témoignage et non pas le sommaire écrit qui constituera ou non une preuve d’opinion. Voyons ce qu’il en est.

[201]       Qu’est-ce qu’un expert-participant ? Ce dernier peut relater à la fois des faits et fournir une opinion d’expert puisqu’il est avant tout un témoin de faits alimentant son opinion.

[202]       Cette notion découle de l’affaire Westerhof v. Gee Estate[14], où la Cour d’appel de l’Ontario se prononce sur une règle de procédure civile au sujet des exigences applicables au témoignage d’expert. Un expert participant n’a pas à la respecter et la Cour le décrit comme suit :

[60] Instead, I conclude that a witness with special skill, knowledge, training, or experience who has not been engaged by or on behalf of a party to the litigation may give opinion evidence for the truth of its contents without complying with rule 53.03 where:

 

  • the opinion to be given is based on the witness's observation of or participation in the events at issue; and

 

  • the witness formed the opinion to be given as part of the ordinary exercise of his or her skill, knowledge, training and experience while observing or participating in such events.

 

[61] Such witnesses have sometimes been referred to as "fact witnesses" because their evidence is derived from their observations of or involvement in the underlying facts. Yet, describing such witnesses as "fact witness" risks confusion because the term "fact witness" does not make clear whether the witness's evidence must relate solely to their observations of the underlying facts or whether they may give opinion evidence admissible for its truth. I have therefore referred to such witnesses as "participant experts".

 

[62] Similarly, I conclude that rule 53.03 does not apply to the opinion evidence of a non-party expert where the non-party expert has formed a relevant opinion based on personal observations or examinations relating to the subject matter of the litigation for a purpose other than the litigation.

 

[63] If participant experts or non-party experts also proffer opinion evidence extending beyond the limits I have described, they must comply with rule 53.03 with respect to the portion of their opinions extending beyond those limits.

[Caractères gras ajoutés]

 

[203]       À titre d’exemple, dans Ontario (Attorney General) v. Trinity Bible Chapel[15],

[40]      In any event, the respondent asserts that Dr. McKeown was a participant expert who was not required to comply with r. 53.03 and whose evidence was admissible for the truth of its contents, relying on Westerhof v. Gee Estate, 2015 ONCA 206, 124 O.R. (3d) 721, leave to appeal refused, [2015] S.C.C.A. No. 198, at para. 60. He was a witness with “special skill, knowledge, training or experience”; he directly participated in reviewing and assessing information related to COVID-19 as part of his role as Associate Chief Medical Officer of Health; and he formed his opinions as part of the ordinary exercise of his knowledge, training, and experience while advising the Ontario government on its pandemic response.

[41]      I agree.

[Soulignement et caractères gras ajoutés]

[204]       Au Québec, cette notion d’expert participant ne semble pas avoir trouvé écho depuis l’affaire Westerhof.

[205]       Comme l’explique la Cour d’appel de la Saskatchewan dans Racette[16], dès que le témoignage dépasse le cadre de l’expert-participant, il faut le qualifier d’expert selon les balises établies sous les arrêts Mohan and White Burgess.

[206]       En l’espèce, Dr Richard Massé est un témoin avec des compétences et des connaissances particulières avec de l’expérience dans le domaine de la santé publique. Il participe directement à la révision de toutes les informations colligées.

[207]       Son opinion se forme dans le cadre ordinaire de ses activités lorsqu’il conseille le gouvernement en temps de pandémie mondiale.

[208]       Pour les fins de l’analyse et selon toute vraisemblance, Dr Richard Massé est un témoin expert participant.

4.     LE CADRE JURIDIQUE ET LES PRINCIPES APPLICABLES

4.1   La compétence du juge

[209]       Tout tribunal compétent qui examine et tranche des questions de droit relativement à une disposition législative est présumé détenir la compétence de se prononcer sur la constitutionnalité de celle-ci. Les auteurs Henri Brun, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet l’expliquent ainsi :

XII-4.18 – Il découle de l'article 52 que les justiciables peuvent faire valoir leurs droits de la Charte devant le tribunal le plus accessible, sans devoir engager des procédures judiciaires parallèles. Ainsi, dans l'exercice de sa juridiction, tout tribunal inférieur, administratif comme judiciaire, qui a une compétence expresse (selon le texte de sa loi habilitante) ou implicite (selon l'ensemble de sa loi habilitante) pour examiner ou trancher les questions de droit découlant de l'application d'une disposition législative, est présumé détenir la compétence de se prononcer sur la constitutionnalité de cette disposition. Il peut ainsi juger qu'une disposition est incompatible avec la Charte, et donc inconstitutionnelle, et il a alors le devoir d'en ignorer l'existence. Un tribunal inférieur ne peut donc agir ainsi que dans le cadre de la juridiction qu'il possède par ailleurs, sur les parties, sur l'objet du litige et sur le remède recherché. Et son constat d'inconstitutionnalité, toujours sujet à contrôle par la Cour supérieure suivant la norme de la décision correcte, n'aura aucune autorité contraignante en dehors du cas d'espèce et ne liera donc pas les décideurs ultérieurs : Nouvelle-Écosse (Workers' Compensation Board) c. Martin ; Nouvelle-Écosse (Workers' Compensation Board) c. Laseur, [2003] 2 R.C.S. 504, REJB 2003-48214 ; Paul c. Colombie-Britannique (Forest Appeals Commission), [2003] 2 R.C.S. 585, REJB 2003-48213 ; Okwuobi c. Commission scolaire Lester B. Pearson ; Casimir c. Québec (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 257, EYB 2005-87405. Voir également Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College, [1990] 3 R.C.S. 570, EYB 1990-67026 ; Cuddy Chicks c. Ontario (C.R.T.), [1991] 2 R.C.S. 5, EYB 1991-67701. Voir également, relativement à la norme de la décision correcte : Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau-Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825, EYB 1996-80080.[17]

[Caractères gras ajoutés]

[210]       Tout juge de paix magistrat est compétent pour se prononcer sur des arguments de nature constitutionnelle reliés à un litige en matière de droit réglementaire.[18]

[211]       Récemment, la juge Julie Laliberté rappelait ce même principe en ces termes :

[50]  […] le juge valablement saisi en première instance d’une poursuite pénale réglementaire a le pouvoir de statuer sur la constitutionnalité d’une règle de droit et de la déclarer invalide à l’égard du défendeur qui en est l’objet.[19]

[212]       Conséquemment, le juge de paix magistrat qui instruit une affaire pénale réglementaire pourra apprécier toute la preuve pertinente à l’examen de la question constitutionnelle.[20]

[213]       Selon les articles 184 et 207 du Code de procédure pénale (C.p.p), le juge qui constate qu’une disposition créant une infraction est soit inapplicable, soit invalide ou inopérante en regard des Chartes peut rejeter le chef d’accusation.

  • Déclarer inopérant ou inconstitutionnel l’article de la Loi

[214]       Lorsque le défendeur cherche à démontrer qu’une règle de droit contrevient à la Constitution ou à la Charte canadienne, l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 indique le mot « inopérant ». Or, la Cour suprême précise, qu’il doit s’agir plutôt « d’inopérabilité pour cause d’invalidité ».[21]

[215]       Selon les pouvoirs d’un juge d’une Cour provinciale, la conclusion qu’une règle de droit n’est pas conforme à la Constitution permet seulement de refuser de l’appliquer à l’affaire dont le juge est saisi. Or, les juges provinciaux refuseront de l’appliquer même si la règle demeure pleinement opérante en l’absence d’une déclaration d’invalidité par un juge ayant cette compétence.

[216]       Ainsi une déclaration d’inconstitutionnalité par un juge de la Cour du Québec ne vaut que pour les parties en litige.[22]

4.2   L’avis gouvernemental et le décret : leur application et les conclusions possibles

[217]       Le 9 janvier 2021 à 18 h 30, par l’entremise du système « Québec En Alerte », le ministère de la Sécurité publique diffuse le message suivant :

Ceci est une alerte émise par Québec En Alerte, en vigueur pour tout le Québec. Afin de protéger des vies et de diminuer la pression sur le réseau de la santé, un couvre-feu entre en vigueur à compter de ce soir. Il est interdit à toute personne de se trouver hors de sa résidence ou du terrain de celle-ci entre 20 h et 5 h. La surveillance policière sera accrue et des amendes seront données aux contrevenants.

Restez à la maison, évitez les contacts et respectez les mesures sanitaires et le couvre-feu afin de contribuer à freiner la propagation de la COVID-19. Pour plus de renseignements, visitez le www.quebec.ca/confinement[23].

[218]       Québec En Alerte, découle du système national d’alertes au public[24], celui-ci étant « une initiative de collaboration entre les gouvernements fédéraux, provinciaux et territoriaux (FPT) qui procure aux organisations responsables de la gestion des urgences de partout au pays, la capacité d’avertir rapidement les Canadiens des risques qui mettent leur vie en danger, imminents ou en cours. »[25].

[219]       Ce système « diffuse à la population canadienne des alertes importantes et susceptibles de sauver des vies par l’entremise de la télévision, de la radio et des appareils sans fil compatibles connectés à un réseau LTE »[26].

[220]       En lien avec les conclusions recherchées, la défenderesse demande de constater qu’un tel avis porte atteinte à ses droits fondamentaux sans justification et de le déclarer invalide, inopérant et inopposable à son égard.

[221]       Avec égards, les conclusions de l’avis préparé par les requérants (**c maintenant radiée) et **d)) sont dénuées de tout fondement juridique.

[222]       Les articles 52 de la CCDL et CDLP ne permettent pas de constater et de déclarer que l’avis gouvernemental est invalide et inopérant. Seule une règle de droit peut l’être.

[223]       Celle-ci est bien définie par la Cour suprême dans Greater Vancouver Transportation Authority, comme suit :

[65] Ainsi, lorsqu’une politique gouvernementale est autorisée par la loi, qu’elle établit une norme générale se voulant obligatoire et qu’elle est suffisamment accessible et précise, il s’agit d’une règle de nature législative qui constitue une « règle de droit »[27].

[224]       Selon la CCDL à son article 52, seule une règle de droit peut être déclarée inopérante.

[225]       Or, l’avis gouvernemental diffusé le 9 janvier 2021 ne constitue pas une règle de droit. Il exprime tout au plus le contenu d’une norme juridique obligatoire soit le décret 2 - 2021, pour informer la population.

[226]       Quant à la CDLP, l’article 56(3) permet de contester une loi incluant ses dérivés. Toutefois, un avis gouvernemental n’est pas un règlement, un décret, une ordonnance ou un arrêté en conseil pris sous l’autorité d’une loi.

[227]       De ce fait, c’est la décision de diffuser un avis gouvernemental qui doit être contestée et non pas l’avis en soi.

[228]       Exprimer ou diffuser un décret sous forme d’avis gouvernemental ne saurait constituer une loi pouvant être rendue inopérante.

[229]       La défenderesse peut demander à un juge d’une Cour provinciale à ce qu’une règle de droit déclarée non conforme à la Constitution ne lui soit pas applicable.

[230]       La règle de droit (le décret 2-2021 à l’alinéa 1 g) demeure pleinement opérante en l’absence d’une déclaration d’invalidité par une cour ayant cette compétence inhérente.

[231]       Dans l’affaire Bricka[28], la Cour d’appel a déjà décidé que les mesures adoptées par décrets ou arrêtés ministériels pendant l’état d’urgence selon l’article 123 (8) sont assimilables à des règlements et que le refus d’y obéir amène une sanction.

[232]       Ainsi, a priori toute conclusion rattachée à la suffisance ou non de l’avis diffusé ne serait pas fondée.

4.3   Les mesures spécifiques et la Loi sur la santé publique

[233]       Le couvre-feu est applicable par le seul effet de l’al. 1 g) du décret 2-2021. Certes, l’utilisation d’un avis gouvernemental[29] n’est pas requise pour le rendre obligatoire.

[234]       Toutes les autres mesures sanitaires n’ont pas fait l’objet de ce type d’avis. Les mesures encadrant le port du couvre-visage, les rassemblements, les restrictions d’accès à des régions et la fermeture de certains lieux publics ont été applicables par l’adoption d’un décret ou d’un arrêté sans qu’un avis n’ait été diffusé.

[235]       Au sujet du couvre-feu, la diffusion d’un message d’alerte à la population et la distribution de cette alerte par les différents médias permettent tout simplement à la mesure sanitaire d’être connue de tous.

[236]       L’article 2 de la LSP permet aux autorités d’intervenir lorsque la santé de la population est menacée. La notion d’épidémie doit être interprétée largement au profit d’une action rapide surtout lorsqu’il est question de proportion telle une pandémie. Il faut contextualiser l’objet de la LSP pour bien comprendre tous les enjeux.

[237]       Les pouvoirs prévus à l’article 123 sont extraordinaires et leur utilisation est prévue dans le cadre d’une déclaration d’urgence sanitaire. Ainsi, c’est l’ordre pris en vertu de l’article 123 (8) de la LSP qui est attaqué dans le décret 2-2021.

[238]       Même si l’adoption de la Loi sur la sécurité civile et celle de la Loi sur la santé publique l’ont été simultanément en 2001, elles ne sont pas contradictoires, mais complémentaires dans leurs objets. La sécurité publique vise à intervenir en situation d’urgence due à un évènement perturbateur. Les débats parlementaires[30] font référence notamment à des éléments physiques ou climatiques tout comme le témoin Dr Richard Massé.

[239]       Que ce soit une pandémie (au niveau mondial) ou une épidémie (au niveau de la population en générale), la LSP doit recevoir une interprétation large dans un contexte de menace à la santé. De plus, l’article 3 de la Loi sur la sécurité civile n’a pas pour effet de limiter un pouvoir ou une obligation accordée par une autre loi, dont la LSP.

[240]       L’article 3 de la Loi sur la sécurité civile[31] se libelle comme suit :

3. La présente loi n’a pas pour effet de limiter les obligations imposées ou les pouvoirs accordés par d’autres lois ou en vertu de celles-ci en matière de sécurité civile.

4.4   La présomption de validité des lois et son applicabilité

[241]       Lorsque le gouvernement décrète l’état d’urgence sanitaire en raison de la pandémie de la COVID-19, il devient habilité à ordonner toutes les mesures sanitaires requises pour protéger la santé de la population et éviter la propagation du virus. Son pouvoir lui est conféré par l’article 123 (8) de la Loi sur la santé publique[32] :

123. Au cours de l’état d’urgence sanitaire, malgré toute disposition contraire, le gouvernement ou le ministre, s’il a été habilité, peut, sans délai et sans formalité, pour protéger la santé de la population:

 

[…]

 

   ordonner toute autre mesure nécessaire pour protéger la santé de la population.

[242]       Le législateur peut déléguer au gouvernement certains pouvoirs administratifs ou réglementaires. La déclaration de l’état d’urgence et l’adoption de décrets et leur renouvellement en sont des exemples.[33]

[243]       Récemment, dans l’affaire Turp c. Procureur général du Québec[34], la Cour supérieure a conclu que la délégation du pouvoir législatif prévue à l’article 119 de la LSP était valide puisque permise par la Constitution.

[244]       La Cour d’appel[35] rappelle que les décrets et les arrêtés sont assimilables à un règlement constituant « un acte normatif, de caractère général et impersonnel, édicté en vertu d’une loi qui, lorsqu’il est en vigueur a, force de loi. »

[245]       Selon l’article 139 de la Loi sur la santé publique, quiconque refuse d’obéir à cet ordre visant la collectivité commet une infraction l’exposant à une amende pouvant aller jusqu’à 6000 $.

[246]       Sur la constitutionnalité d’un décret en matière de santé publique, l’affaire Karounis c. Procureur général du Québec[36] rejette la demande du défendeur jugeant que les droits à la vie, à la liberté et à la sécurité, protégés par l’article 1 CDLP et l’article 7 CCDL, ne sont pas violés.

[247]       Ce décret visait l’obligation de fréquentation scolaire des enfants sauf, les élèves présentant un état de santé ou celui d’une personne avec lequel il réside les mettait à risque. Pour bénéficier de l’exception, une personne devait fournir une recommandation médicale.

[248]       Le décret 2-2021 jouit d’une présomption de validité. On le présume adopté conformément aux objectifs visés par la LSP[37]. Rien dans les conclusions recherchées par la requérante ne saisit le Tribunal d’une autre question[38]. Ses arguments et ses conclusions se fondent sur la Charte. Le Tribunal se prononcera sur les moyens exposés à la requête réamendée.

[249]       C’est sous l’angle de la justification que l’allégation d’incompatibilité du décret à sa loi habilitante doit être revue s’il y a lieu. (par 22 de la requête réamendée). Nous y reviendrons.

4.5   Le recours selon les articles 52 CCDL/CDLP et 24(1) CCDL et 49 CDLP

[250]       Ces recours sont tous différents. Le premier recours sous les articles 52 permet une contestation d’une règle de droit tandis que le second sous les articles 24 et 49 permet la contestation d’un acte gouvernemental.

[251]       Rappelons le libellé des deux dispositions article 52 selon les Chartes :

Loi constitutionnelle de 1982

52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.

52. (1) The Constitution of Canada is the supreme law of Canada, and any law that is inconsistent with the provisions of the Constitution is, to the extent of the inconsistency, of no force or effect.

Charte des droits et libertés de la personne

52. Aucune disposition d’une loi, même postérieure à la Charte, ne peut déroger aux articles 1 à 38, sauf dans la mesure prévue par ces articles, à moins que cette loi n’énonce expressément que cette disposition s’applique malgré la Charte.

52. No provision of any Act, even subsequent to the Charter, may derogate from sections 1 to 38, except so far as provided by those sections, unless such Act expressly states that it applies despite the Charter.

[252]       L’article 52 permet une réparation lorsque la disposition viole, dans son objet ou son effet, les droits garantis par la Charte. Ainsi, la validité d’une loi relève de l’article 52.[39] L’article 24 offre quant à lui un recours à l’égard des actes gouvernementaux, dont leur validité.

[253]       Le fardeau de démontrer une atteinte à un droit fondamental protégé par une Charte, appartient à la personne qui la soulève.[40]

4.6   La liberté d’expression (art. 2b) CCDL, art. 3 CDLP)

[254]       La liberté d’expression revêt une position privilégiée en droit canadien. La Cour suprême[41] rappelle l’importance de ce droit prévu autant dans la CCDL que la CDLP.

[255]       Voici le texte législatif qui énonce cette liberté:

CCDL

 

CDLP

 

2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :

 

 […]

 

 b) liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;

 

 

3. Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telle la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d’association.

[256]       Selon la jurisprudence, ce droit vise à « s’assurer que chacun puisse manifester ses pensées, ses croyances, ses opinions en fait, toutes les expressions du cœur ou de l’esprit, aussi impopulaires, déplaisantes ou contestataires soient-elle.»[42]

4.6.1       Test en trois étapes

[257]       Il existe un test en trois étapes afin de déterminer si une règle de droit porte atteinte à la liberté d’expression prévue à l’article 2 de la CCDL:

(1)  L’activité en question a-t-elle un contenu expressif faisant en sorte qu’elle entre à première vue dans le champ d’application de la protection offerte par l’al. 2b)?

 

(2)  Le lieu ou mode d’expression utilisé écarte-t-il cette protection?

 

(3)  Si l’activité est protégée, la mesure prise par l’État porte-t-elle atteinte, par son objet ou par son effet, au droit protégé?[43]

 

[258]       Ce cadre d’analyse s’applique tout aussi à l’article 3 de la CQDL.

4.6.2       La première étape : activité avec un contenu expressif ?

[259]       La Cour d’appel[44] a établi qu’une activité visée par la liberté d’expression est expressive si elle transmet ou tente de transmettre une signification, un message ou son contenu. Le contenu de l’expression peut prendre différentes formes comme un écrit, un discours, un médium artistique, des gestes ou des actes.

[260]       Voici les limites indiquées par cette Cour :

[260]   Si une activité expressive ne peut être écartée de la garantie constitutionnelle en raison de la valeur du message, de sa fausseté, voire de son caractère offensant ou dérangeant, la forme de l’expression peut l’être lorsqu’elle mine « […] les valeurs sous-jacentes à cette garantie », notamment par son mode d’expression, comme c’est le cas pour la violence.[45]

[261]       L’acte de se rassembler pour manifester est la forme du contenu expressif pris par Stéphanie Pépin. Son geste était tellement clair que le service de renseignements de la Sûreté du Québec a agi en le faisant cesser.

[262]       La preuve de la requérante démontre que l’activité visait à transmettre un message ou une signification. Une protection par les Chartes est offerte au contenu expressif lorsqu’il ne mine pas d’autres valeurs à la Charte. Le geste décrit était pacifique et constituait une forme d’activité expressive.

4.6.3       Deuxième étape : le lieu et le mode d’expression écartent-ils la  protection ?

[263]       Malgré qu’un contenu expressif soit protégé par les Chartes, l’activité en cause peut se voir refuser la protection sous l’art. 2b) CCDL notamment quant à sa façon de la faire. On doit évaluer le mode d’expression ou le lieu où elle se déroule.[46]

[264]       Pour déterminer qu’un mode ou un lieu de communication est exclu de la protection prévue par la Charte, il faut conclure à une dissonance avec la valeur protégée c’est-à-dire : l’épanouissement personnel, le débat démocratique et la recherche de la vérité.[47]

[265]       L’expression collective s’incarne en soi par la manifestation. Les manifestants utilisent légitimement les rues, les trottoirs et les places. Il s’agit d’un lieu où l’expression est protégée tout en respectant les trois objectifs ci-haut mentionnés.[48]

[266]       Quant au mode d’expression, il consiste à manifester par des paroles ou des gestes. À titre d’exemple, dans Montréal (Ville de) c. Garbeau[49], les défendeurs qui occupaient la chaussée lors d’une manifestation ont démontré que leur activité ne devait pas être exclue de la protection à l’article 2b) en raison du lieu ou du mode d’expression. Leur activité ne minait pas les valeurs sous-jacentes à la liberté d’expression à savoir : le débat démocratique, la recherche de la vérité et l’épanouissement personnel.

[267]       Les défendeurs à bord de leur véhicule se suivent en convoi sur la voie publique afin d’exprimer leur message. Ils recherchent à tout le moins un débat de société.

[268]       Selon l’analyse en deux temps proposée par la Cour suprême, cette activité expressive est protégée dans la sphère de la liberté d’expression[50]. De l’avis du tribunal, elle s’exerce dans un lieu public et selon un mode d’expression simple et exempt de violence.

4.6.4       Troisième étape : l’objet ou l’effet de la mesure face au droit protégé

[269]       Est-ce que le décret 2-2021 à son alinéa 1g) (29) restreint la liberté d’expression par son objet ou son effet? La troisième étape est résumée comme suit par la Cour d’appel :

[262]   Si l’objet que poursuit le gouvernement est de contrôler la transmission d’un message, que ce soit en restreignant directement le contenu de l’expression ou en restreignant une forme d’expression liée au contenu, celui-ci porte atteinte à la liberté d’expression. Toutefois, même si l’objet de l’action gouvernementale n’est pas de contrôler ou de restreindre la transmission d’une signification, il est tout de même possible que la mesure ait pour effet de restreindre la liberté d’expression. Il appartient au demandeur de le démontrer.

[263]   Pour se décharger de ce fardeau, le demandeur doit formuler sa thèse en tenant compte des principes et des valeurs qui sous-tendent la garantie de la liberté d’expression. Il doit plus spécifiquement démontrer que l’activité expressive qui est restreinte par l’action gouvernementale a pour objet de transmettre un message « qui reflète les principes qui sous-tendent la liberté d’expression ». Bref, il doit « décrire la signification transmise et son rapport avec la recherche de la vérité, la participation au sein de la société ou l’enrichissement et l’épanouissement personnels ».[51]

[Soulignements ajoutés]

[270]       Débutons l’analyse sous les deux volets. Dans un premier temps, est-ce que l’objet poursuivi par le gouvernement est de contrôler ou de restreindre le contenu de l’expression ?

 

 

  • Par son objet :

[271]       En soi, le décret du gouvernement ne vise qu’à contrôler les conséquences matérielles des activités humaines indépendamment du message transmis. Dans ce cas, l’objet poursuivi ne sera pas de contrôler l’expression.

[272]       Le couvre-feu énoncé dans le décret 2-2021 est applicable pour tous sauf selon les exceptions.

[273]       La Cour suprême dans l’affaire Irwin Toy Ltd. C Québec (Procureur général)[52] donne l’exemple d’une règle qui interdit la distribution de tracts pour contrôler l’accès au message transmis. Il y aurait là une restriction du mode d’expression. Toutefois, une règle visant à interdire de jeter des déchets dans la rue ne sera pas considérée comme une restriction liée au message voulant être transmis.

[274]       Les témoignages du Dr Arruda et Dr Massé, démontrent les trois objets du couvre-feu : (1) diminuer la transmission du virus en réduisant les contacts; (2) renforcer le respect des mesures déjà en place; (3) lancer un message clair favorisant le maintien de l’adhésion aux mesures sanitaires.

[275]       Par l’imposition de décrets spécifiques[53] sur les manifestations pacifiques permettant notamment les rassemblements sous certaines modalités, le gouvernement ne souhaitait certainement pas dans l’objet du décret 2-2021 les restreindre par un couvre-feu.

[276]       Pour ce qui est de l’objet du décret, soit éviter le déplacement de personnes en période de pandémie, le gouvernement veut tout simplement les régir avec des conséquences pénales. Tout cela pour éviter la transmission d’un virus. L’objet d’un tel décret est à première vue viable et souhaitable pour une population.

[277]       L’objet du couvre-feu n’avait pas le but précis d’empêcher une quelconque manifestation.

[278]       Qu’en est-il maintenant par rapport à son effet ?

  • Par son effet :

[279]       Les défendeurs doivent établir que l’al. 1g) (29) du décret 2-2021 a pour effet de restreindre leur liberté d’expression, alors que leur activité de manifestation favorisait au moins l’une des trois valeurs sous-jacentes à la liberté d’expression, celles-ci sont décrites ainsi dans la jurisprudence:

Nous avons déjà parlé de la nature des principes et des valeurs qui soustendent la protection vigilante de la liberté d'expression dans une société comme la nôtre.  Cette Cour les a également examinés dans l'arrêt Ford (aux pp. 765 à 767) et ils peuvent se résumer ainsi:  (1) la recherche de la vérité est une activité qui est bonne en soi; (2) la participation à la prise de décisions d'intérêt social et politique doit être encouragée et favorisée; et (3) la diversité des formes d'enrichissement et d'épanouissement personnels doit être encouragée dans une société qui est essentiellement tolérante, même accueillante, non seulement à l'égard de ceux qui transmettent un message, mais aussi à l'égard de ceux à qui il est destiné.  Pour démontrer que l'action du gouvernement a eu pour effet de restreindre sa liberté d'expression, la demanderesse doit établir que son activité favorise au moins un de ces principes.  Par exemple, il ne suffirait pas de dire que des cris comportent un élément d'expression.  Si la demanderesse conteste l'effet d'une action gouvernementale qui vise à réglementer le bruit, dans l'hypothèse que le but de cette action est neutre quant à l'expression, elle doit démontrer que son but est de transmettre un message qui reflète les principes qui soustendent la liberté d'expression. La délimitation complète et précise des types d'activités qui favorisent ces principes relève évidemment d'un examen judiciaire qui doit être fait dans chaque cas.  Mais la demanderesse doit au moins décrire le message transmis et son rapport avec la recherche de la vérité, la participation au sein de la société ou l'enrichissement et l'épanouissement personnels.[54]

[Caractères gras ajoutés]

[280]       La Cour supérieure dans Garbeau c. Ville de Montréal nous indique qu’une manifestation peut favoriser les valeurs sous-jacentes à la liberté d’expression et à la liberté de réunion pacifique : soit le débat démocratique, la recherche de la vérité et l’épanouissement personnel.[55]

[281]       Dans cette affaire, le Juge Cournoyer devait déterminer si le droit de manifester sur un chemin public était protégé par la liberté d’expression et la liberté de réunion pacifique. L’article 500.1 du Code de la sécurité routière prévoyait une interdiction d’entraver la circulation des véhicules sur un chemin public sauf certaines exceptions. Il conclut que l’accès temporaire à un chemin public pour exercer la liberté d’expression et de liberté de réunion pacifique est protégé par les Chartes. Comme la manifestation visait à favoriser les valeurs sous-jacentes alors le juge déclare une atteinte à ces droits et déclare la disposition invalide.

[282]       Dans Gateway Bible Baptist Church et al. c. Manitoba et al.[56], la validité d’un décret qui interdisait ou limitait les rassemblements religieux intérieurs ou extérieurs a été examiné par une cour. Le gouvernement avait concédé dans le débat que « l’objet de la mesure » n’avait pas comme objectif de limiter la liberté d’expression contrairement à son effet.

[283]       Lors de son témoignage, le Dr Richard Massé reconnaît toute la difficulté soulevée lorsqu’une mesure restreint la liberté des personnes. En ce sens, il dit : « On les obligeait. On contraignait les gens ».

[284]       Définitivement, il rapporte que le gouvernement connaissait l’élément problématique soit l’effet d’un couvre-feu sur les droits fondamentaux.

[285]       La requérante manifeste précisément pour contester l’imposition du couvre-feu.

4.6.5       Application aux faits de l’espèce

[286]       Les défendeurs sont interpellés par des policiers dans le cadre d’une manifestation à connotation politique à l’encontre du couvre-feu. Leur acte de manifester constitue une activité visée par la liberté d’expression.

[287]       Par son décret 2-2021, le gouvernement veut contrôler les conséquences des activités humaines lors de rassemblements pour limiter la propagation du virus, et ce, indépendamment du message transmis.

[288]       De la preuve entendue, la mesure contestée ne porte pas atteinte de par son objet au droit de la liberté d’expression protégé par la Charte. Or, elle atteint par son effet le droit en cause.

[289]       Comme indiqué ci-haut, pour démontrer que le décret 2-2021 a eu pour effet de restreindre la liberté d’expression, les défendeurs se devaient d’établir que l’activité de manifester favorise l’une des trois valeurs sous-jacentes à la liberté d’expression tel qu’examiné dans l’arrêt Ford (aux pp 765-767).

[290]       Pour les fins de l’analyse, voici un rappel de ces principes édictés par la Cour suprême[57] :

(1)   La recherche de la vérité […] :

(2)   La participation à la prise de décision d’intérêt social et politique doit être encouragée et favorisée;

(3)   La diversité des formes d’enrichissement et d’épanouissement personnels doit être encouragée dans une société qui est essentiellement tolérante, même accueillante non seulement à l’égard de ceux qui transmettent un message, mais aussi à l’égard de ceux à qui il est destiné.

[291]       Un tribunal peut raisonnablement conclure qu’un couvre-feu a l’effet direct de restreindre toute forme de manifestation dans les rues après 20 h. Ici, c’est la seule inférence logique à tirer de la preuve.

[292]       Les défendeurs recherchent un débat démocratique, une vérité et très certainement une forme d’épanouissement. À leur façon, ils planifient, organisent, annoncent sur les médias sociaux leur désir de manifester dans le respect et l’ordre.

[293]       Il s’agit en soi d’une manifestation de leur liberté d’expression. L’effet d’un couvre-feu sur l’activité vient donc entraver cet exercice.

[294]       Vu cette conclusion sur l’effet d’un couvre-feu, une manifestation en tant qu’activité expressive vise l’un des objectifs de l’art 2b) de la Charte et ce, autant face aux droits à la liberté d’expression que celui de la liberté de réunion pacifique.

[295]       Les défendeurs démontrent que l’action du gouvernement (quant à son effet par l’imposition d’un couvre-feu) restreint leur liberté d’expression.  

[296]       Dans le contexte précis d’une manifestation, il y a une atteinte à ce droit constitutionnel.

[297]       Autrement dit, l’acte de manifester favorise l’un des trois objectifs de l’article 2b) de la CCDL: soit le débat démocratique, la recherche de la vérité et l’épanouissement personnel.

[298]       Ils font la démonstration d’une atteinte à leur droit à la liberté d’expression prévu à l’article 2b) de la Charte et à l’article 3 de la CDLP.

[299]       Considérant cette conclusion, il y aura lieu de déterminer si celle-ci est justifiée selon l’article 1 CCDL et l’article 9.1 CQDL, suivant les normes établies par l’arrêt Oakes. Cette analyse se trouve à la section 4.9, nous y reviendrons plus loin.

4.7   Le droit de manifester pacifiquement dans un rassemblement (art. 2 c) CCDL, art. 3 CQDL

[300]       Les défendeurs allèguent une atteinte à leur liberté de réunion pacifique dans le contexte d’une interpellation policière lors de la manifestation politique à l’encontre du couvre-feu.

[301]       Voici les dispositions applicables des Chartes concernant le droit à la liberté de réunion pacifique.

CCDL

 

CDLP

 

2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :

 

 […]

 

c) liberté de réunion pacifique

 

 

3. Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d’association.

[302]       Ce droit à la liberté de réunion pacifique est souvent étudié sous l’angle de la liberté d’expression. On peut dire que ces deux libertés se superposent sans toutefois se confondre.

[303]       La Cour d’appel[58] indique que la liberté de réunion pacifique se subsume dans la liberté d’expression lorsqu’il est question de manifestation. Malgré cette affirmation, il faut retenir tout de même que ce sont deux droits distincts.

[304]       La liberté de réunion pacifique a souvent été décrite comme le parent pauvre du domaine des droits fondamentaux, cela n’en fait pas pour autant une liberté accessoire la privant d’une protection constitutionnelle.

[305]       Il n’existe que peu de décisions sur le droit de manifester pacifiquement dans un rassemblement. En conséquence, les tribunaux ont souvent pris l’angle de la liberté d’expression pour l’analyser.

4.7.1       Définition de la liberté de réunion pacifique

[306]       Cela dit, la Cour d’appel[59] précise l’importance de ce droit, en ces termes lorsqu’elle définit la manifestation :

[44] Certainement, le constituant était conscient de ce que nombre d’activités mêlent ces libertés, qu’il a néanmoins différenciées. On doit, il me semble, en conclure qu’il attachait à la réunion pacifique, c’est-à-dire à la rencontre physique des individus, une importance intrinsèque comme élément définitionnel d’une société libre et démocratique : la liberté de se réunir pacifiquement, à la fois individuelle et collective (comme la liberté d’association), est fondamentale en elle-même. Sans doute est-elle souvent jointe à d’autres libertés – au premier chef desquelles la liberté d’expression – et exercée simultanément, mais elle possède ses vertus inhérentes, qui marquent l’importance du regroupement et du rassemblement, en l’occurrence pacifique, quel que soit l’objet ou le but de cette réunion (qui peut d’ailleurs être autre que l’expression d’une opinion), et l’al. 2c) de la Charte canadienne la protège en tant que telle.

[45] Selon les termes d’un auteur, la liberté de réunion pacifique est pourtant « the least judicially explored freedom » et l’on pourrait même dire qu’elle est, doctrinalement et jurisprudentiellement, le parent pauvre du domaine des libertés fondamentales garanties par l’art. 2 de la Charte canadienne. Cela n’en fait pas pour autant une liberté accessoire ou de second ordre, dont la protection devrait être moins robuste.

[46] Bref, la manifestation est tout à la fois l’incarnation de la liberté d’expression et de la liberté de réunion pacifique, qui se superposent sans pourtant se confondre. En l’espèce, on peut conclure que le Règlement, en restreignant comme il le fait la liberté d’expression, attente concurremment à la liberté de réunion pacifique. [caractères gras ajoutés]

[307]       Le rassemblement de plusieurs personnes démontre en soi une manifestation où l’on exprime une opinion, un mécontentement ou un soutien à une cause.

[308]       Par sa définition, la liberté de réunion pacifique est une activité collective tout comme la manifestation.[60] Elle se doit d’être pacifique.[61]

[309]       En l’espèce, il n’y avait aucun motif raisonnable de craindre que lors de la manifestation l’on y trouble la paix. En cas contraire, il s’agirait d’une limitation inhérente de la protection à la liberté de réunion pacifique.[62]

4.7.2       La détermination d’une manifestation

[310]       Un rassemblement ou une manifestation est protégé par l’alinéa 2c) de la CCDL parce qu’il cherche justement à protéger le droit de s’exprimer sur une voie publique lors d’une activité collective.

[311]       La réponse est moins explicite lorsqu’il faut déterminer si la mesure contestée (le couvre-feu) porte ou non atteinte à la liberté de réunion pacifique. Ce droit demeure peu interprété par la jurisprudence d’où le parallèle avec la liberté d’expression.

[312]       On pourrait facilement conclure qu’un décret qui restreint la liberté d’expression atteint concurremment à la liberté de réunion pacifique.

[313]       À titre d’exemple, dans l’affaire Villeneuve dans un contexte de manifestation, la Cour supérieure a eu à se prononcer sur le libellé d’un règlement municipal, lequel exigeait aux manifestants de communiquer au préalable la tenue, le lieu exact et l’itinéraire d’une assemblée (art 2.1). Il était aussi interdit à quiconque d’avoir le visage couvert sans motif raisonnable (art 3.2). Les faits se sont déroulés en 2012 et 2013. Le défendeur était vêtu d’un costume de panda.

[314]       Après une analyse détaillée, le juge conclut à une atteinte aux droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique. Or il n’y a pas d’atteinte au droit à la liberté à l’article 7. Larticle 2.1 est déclaré inopérant et l’article 3.2 est déclaré nul.

[315]       Reste à savoir si la manifestation peut être encadrée à l’intérieur d’un horaire.

  • Qu’en est-il réellement lorsqu’il y a une plage horaire d’interdiction précise entre 20h et 5h, à l’égard du droit à la liberté de réunion pacifique ?

[316]       Bien que la plage horaire d’interdiction soit définie dans le décret 2-2021 (entre 20h et 5h), cela ne change en rien sur l’existence ou non d’une violation.

[317]       À titre d’exemple: même en étant libre de manifester le jour, le juge dans l’affaire Batty v. City of Toronto[63], conclut que les droits garantis par l’article 2 CCDL sont enfreints. Ces manifestants campaient dans un parc public alors qu’un règlement l’interdisait entre 12h01am et 5h30am.

[318]       Un couvre-feu pourrait donc brimer la liberté de réunion pacifique même à l’intérieur d’une plage horaire définie, et ce, contrairement à l’argument avancé par le Procureur général du Québec. Même avec une opportunité de manifester avant 20h, il ne s’agit pas du véritable enjeu pour un participant lors d’une manifestation politique qui exprime son désaccord.

[319]       Il faut déterminer le test applicable pour savoir s’il y a ou non une atteinte au droit à la liberté de réunion pacifique.

4.7.3       Le choix du test applicable

[320]       Contrairement à la liberté d’expression où le test à 3 étapes est bien défini. Il semble que la Cour suprême n’ait pas encore établi un cadre d’analyse au sujet de la liberté de réunion pacifique.

[321]       La doctrine semble toujours divisée sur le choix du test. Citons trois auteurs qui suggèrent ces tests distincts.

[322]       L’auteur Alexandre Basil S.[64] parle d’un test qui s’écarte de celui de la liberté d’expression. Il propose le même test que la liberté d’association, fondé sur la notion d’entrave substantielle. L’intention ou l’effet de la loi doit sérieusement compromettre l’activité collective. On parle d’un seuil plus élevé que celui de la liberté d’expression.

[323]       L’auteur E.G Kinsinger[65] propose une version du test de l’entrave substantielle en trois étapes :

(1)  Le requérant doit avoir cherché à participer à un rassemblement de deux ou plusieurs personnes dans un but commun;

(2)  Ce rassemblement doit avoir été pacifique;

(3)  L’entrave doit avoir nuit d’une manière plus que négligeable ou insignifiante à ce rassemblement. 

[324]       En retenant ce test, plusieurs mesures sanitaires limitant les rassemblements pourraient porter atteinte à la liberté de réunion pacifique. Nous ne le retenons pas. Malgré l’opinion contraire, ce n’est pas sous cet angle qu’il faut regarder le problème.

[325]       L’auteur Nnaemeka Ezeani[66], rejette le test proposé par Alexander Basil S en proposant un seuil moins élevé (résumé ici en 2 étapes) où la moindre entrave à la liberté de réunion pacifique suffirait à conclure à une violation.

(1)  Est-ce que l’al. 2(c) s’applique à la mesure contestée (étape de la définition)?

  1. Il doit s’agir d’un rassemblement intentionnel de personnes effectué dans un but commun, dans un endroit public ou privé;
  2. Et il doit s’agir d’un rassemblement pacifique.

 

(2)  Est-ce que la mesure viole la liberté de réunion pacifique? La moindre entrave pourrait suffire à conclure à une violation. Les tribunaux pourraient s’inspirer de l’approche développée dans le contexte de la liberté d’expression[67].

[326]       La Cour supérieure dans Villeneuve c. Montréal (Ville de)[68], rappelle avec justesse ce qu’indique la Juge Deschamps de la Cour suprême dans Chaoulli : que la liberté d’expression tout comme la liberté de réunion pacifique ont essentiellement la même portée en vertu des deux Chartes.

[327]       C’est ainsi que le modèle développé par la première (soit la liberté d’expression) peut donc servir à la seconde (la liberté de réunion pacifique). D’autant plus que dans l’affaire Villeneuve, la Cour d’appel n’a pas remis en cause le cadre d’analyse proposé.

[328]       Par exemple, dans l’affaire Beaudoin v. British Columbia (Attorney General)[69] le gouvernement reconnaît que les décrets interdisant tout rassemblement à intérieur et à l’extérieur portent atteinte aux articles 2 c) et d) CCDL.

[329]       Dans Gateway Bible Church et al. V. Manitoba et al.[70], il le concède aussi.

[330]       Le test applicable en 3 étapes consiste à déterminer si:

(1) L’activité en question a-t-elle un contenu expressif faisant en sorte qu’elle entre à première vue dans le champ d’application de la protection offerte par l’al. 2b)?

(2) Le lieu ou mode d’expression utilisé écarte-t-il cette protection?

(3) Si l’activité est protégée, la mesure prise par l’État porte-t-elle atteinte, par son objet ou par son effet, au droit protégé?[71]

4.7.4       Application aux faits de l’espèce

[331]       En bref, une manifestation incarne à la fois une activité expressive superposant la liberté d’expression et la liberté de réunion pacifique.

[332]       Dans le contexte de la pandémie, plusieurs défendeurs ont invoqué l’al. 2 c) de la CCDL, générant une reconnaissance judiciaire de l’importance du droit à la liberté de réunion pacifique.

[333]       D’une part, on peut certainement conclure que le décret 2-2021 (le couvre-feu) atteint concurremment à ces deux droits, voici pourquoi.

  • Est-ce une activité avec un contenu expressif qui justifie une protection ?

[334]       L’activité en question : la manifestation vise un contenu expressif faisant en sorte qu’elle entre à première vue dans le champ d’application de la protection offerte par l’al. 2b).

[335]       Stéphanie Pépin organise la tenue d’une manifestation et la publicise sur les réseaux sociaux pour un déroulement pacifique sur les voies publiques. La preuve révèle par ailleurs que cette manifestation avait un contenu expressif.

[336]       La protection du droit à la liberté de réunion pacifique s’enclenche.

  • Est-ce que le mode ou le lieu d’expression ou de réunion pacifique écartent la protection offerte ?

[337]       Le lieu ou mode d’expression utilisé par les défendeurs n’écarte pas cette protection.

[338]       Dans le même sens que l’affaire Garbeau c. Montréal (Ville de), la façon dont la manifestation est faite et le lieu (la voie publique) n’ont pas l’effet d’écarter la protection.

  • Est-ce qu’une activité protégée (une manifestation) porte atteinte aux droits eux-mêmes protégés par la Charte ?

[339]       Le non-respect du couvre-feu durant une manifestation, au-delà des seules exceptions prévues amène comme conséquence directe son « illégalité ».

[340]       Lorsque les défendeurs décident de faire leur activité, ils transgressent l’interdiction de se trouver à l’extérieur de leur résidence entre 20h et 5h.

[341]       À défaut d’obéir à l’ordre du décret, ils commettent une infraction passible de conséquences pénales. Toutes formes de manifestation dans cette période sont considérées illégales et interdites indépendamment de leur caractère pacifique ou du message transmis.

[342]       D’ailleurs, les agents Proulx et Vigneault confirment avoir reçu l’ordre spécifique de cibler la manifestation à laquelle participe la requérante. De ce fait, des constats d’infraction sont remis à tous les défendeurs nonobstant la manifestation pacifique en cours, et ce, sans aucun autre considérant.

[343]       Rappelons-le, l’objet du décret n’est certainement pas de restreindre l’expression d’un message lors de réunions pacifiques. Dans un contexte de pandémie mondiale, ce que l’on vise notamment au gouvernement c’est une restriction des contacts pour éviter la propagation du virus.

[344]        La mesure prise par l’État par son application porte atteinte dans son effet au droit protégé par la Charte.

[345]       Dans le contexte spécifique d’une manifestation, l’exercice des droits à la liberté d’expression et à la liberté de réunion pacifique ne peut être soumis (selon le décret 2-2021) sans réserve, à la restriction imposée par ce couvre-feu.

[346]       Permettre de se rencontrer en dehors de la période de couvre-feu n’est pas une modalité qui balaie d’un coup le droit à la réunion pacifique protégé par les Chartes.

[347]       Les défendeurs démontrent que leur activité favorise des valeurs sous-jacentes à la liberté de réunion pacifique par un débat démocratique, une recherche de vérité et l’épanouissement personnel.

[348]       Ils se réunissent pour communiquer un message entre eux ou à d’autres personnes dans un cadre plutôt pacifique. L’objectif est clair : contester la mesure mise de l’avant par le gouvernement.

[349]       Ici, le contexte factuel prend toute son importance. Des individus dans des véhicules se suivent en convoi à une heure interdite. L’effet du couvre-feu entrave directement leur réunion pacifique. Or, il est temporaire.

[350]       L’argument du PGQ selon lequel la requérante a eu l’opportunité de manifester et de s’exprimer à son arrivée au stationnement (lieu de rencontre) vers 19h soit avant l’entrée en vigueur du couvre-feu n’est pas retenu. C’est la restriction à son droit de se réunir après 20h00, qui est l’objet même de la manifestation. Le moyen choisi par la requérante pour faire valoir son droit est pacifique. Certes, il faut reconnaître l’existence d’autres moyens pour exprimer son mécontentement à une mesure sanitaire. Or, celui qu’elle utilise est aussi protégé.

[351]       Dans le cadre d’une société libre et démocratique, c’est à ce chapitre que le caractère raisonnable et justifié de l’atteinte du droit de la requérante sera analysé.

[352]       Comme, il y a atteinte aux articles 2 c) CCDL et 3 CDLP. Il faut déterminer si l’atteinte est justifiée. Pour ce faire, il faut se référer à la section 4.9 du présent jugement.

4.8       Le droit à la liberté de la personne (art. 7 CCDL, art. 1 CQDL)

[353]       La Cour suprême dans l’arrêt Carter[72] définit les principes applicables pour l’analyse de l’article 7 de la CCDL en ces termes :

Pour faire la preuve d’une violation de l’art. 7, les demandeurs doivent d’abord démontrer que la loi porte atteinte à leur vie, à leur liberté ou à la sécurité de leur personne, ou les en prive. Une fois qu’ils ont établi que l’art. 7 entre en jeu, ils doivent alors démontrer que la privation en cause n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale.

[354]       Lorsqu’il n’y a aucune atteinte à ce droit alors la Charte ne sera pas en cause.

[355]       Dans le cas contraire, le Procureur général du Québec devra démontrer que l’atteinte est justifiée par une règle de droit et dans les limites raisonnables.

[356]       En l’espèce, les défendeurs allèguent uniquement une atteinte à leur liberté. La vie et la sécurité ne sont pas invoquées dans le débat.

 

 

 

 

[357]       Voici le libellé des dispositions pertinentes :

CCDL

 

CDLP

 

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

 

 

 

1. Tout être humain a droit à la vie, ainsi qu’à la sûreté, à l’intégrité et à la liberté de sa personne. […]

[358]       L’article 7 CCDL comporte une étape supplémentaire dans l’analyse d’une violation. En cas d’atteinte au droit à la liberté CCDL, un défendeur doit démontrer que celle-ci n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale.

[359]       La CQDL n’impose pas ce double fardeau.[73]

4.8.1       Priorité de l’évaluation selon la CDLP ou CCDL

[360]       La Cour suprême dans l’affaire Chaoulli[74] précise qu’en cas de contestation d’une loi québécoise, il vaut mieux prioriser l’évaluation selon la CDLP pour ensuite se consacrer à la CCDL.

[361]       La Charte québécoise contrairement à la Charte canadienne n’exige pas d’analyse supplémentaire selon les principes de justice fondamentale

[362]       Pour ce qui est de l’article 7 CCDL, seul le droit à la liberté est en cause dans la requête réamendée. Bien que la formulation de la protection de droit soit pratiquement identique, leur portée n’est pas la même selon l’une ou l’autre des chartes[75].

[363]       S’il y a atteinte au droit à la liberté par la mesure contestée (le couvre-feu) alors il faudra déterminer si l’atteinte est justifiée (référence à la section 4.9 du jugement).

4.8.2       Définition du droit à la liberté

[364]       La Cour suprême dans Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission)[76], précise que le droit à la liberté dépasse le concept d’absence de toute contrainte physique.

[365]       En ce sens, lorsque l’État interfère par des contraintes ou des restrictions sur les choix importants et fondamentaux qu’une personne peut faire, alors sa liberté sera en cause.

[366]       Le droit à la liberté garanti par l’art 7 CCDL protège l’autonomie personnelle. Il doit être interprété largement en conformité avec les principes et les valeurs de la Charte[77].

[367]       L’auteur Carissima Mathen[78], décrit ce droit en ces termes :

“Liberty” can have at least two meanings. It can, first, mean the simple freedom from restraint imposed on one’s physical movements. Or it can relate to personal autonomy; the right to make important life choices free of state interference. Both of these meanings will be addressed in turn.

The most obvious example of a deprivation of liberty in the first sense is imprisonment, but any state-generated custody or detention probably suffices, as does any state order prohibiting a person’s physical movements.

[Caractères gras ajoutés]

[368]       Selon les enseignements de la Cour suprême notamment dans l’affaire B. (R) c. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto[79], toute forme de contrôle sur la liberté de mouvement est comprise dans la protection du droit à la liberté.

[369]       Plus récemment, la Cour suprême notamment dans Association des juristes de justice c. Procureur général du Canada[80] énonce le droit à l’article 7 comme suit :

[49] […] Cette disposition protège une sphère d’autonomie personnelle où se prennent des « décisions intrinsèquement privées » (R. c. Malmo-Levine, 2003 CSC 74, [2003] 3 R.C.S. 571, par. 85, citant Godbout c. Longueuil (Ville), [1997] CanLII 335 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 844, par. 66). Toutefois, ces décisions ne sont protégées que si elles « impliquent [. . .] des choix fondamentaux participant de l’essence même de ce que signifie la jouissance de la dignité et de l’indépendance individuelles » (ibid.).

[Soulignements ajoutés]

 

[370]       La directive obligeait plutôt les procureurs comme condition d’emploi à être potentiellement moins disponibles pour leurs familles, cela n’entrait pas dans le champ d’application de l’article 7. Une directive dans la vie privée n’implique pas le type de choix personnels fondamentaux que garantit l’article 7.

[371]       Cette sphère d’autonomie personnelle où se prennent les décisions privées impliquant donc des choix fondamentaux.

[372]       Soulignons d’emblée que « manifester pacifiquement » à l’encontre d’une mesure imposée par l’État pourrait constituer la jouissance de la dignité et de l’indépendance individuelle.

[373]       Du témoignage de Stéphanie Pépin, outre sa demande de manifester en tout temps, on retient que les contraintes sur son autonomie personnelle sont plutôt sommaires. À titre d’exemples : ne pas pouvoir se promener en voiture le soir avec ses enfants, ni voir un proche dans une autre région, ni aller prendre des marches constituent un impact limité sur le mode de vie de toute la population.

[374]       Aux fins de l’analyse, seule la contrainte reliée à son droit de manifester pourrait être en cause.

[375]       Retenons toutefois qu’au nom de l’intérêt commun, le droit à la liberté peut être parfois restreint par l’État. Puisqu’il existe des limites à ses contraintes, il faut les définir pour les interpréter et les appliquer s’il y a lieu.

4.8.3       Cadre d’analyse : l’intérêt commun

[376]       D’emblée, il revient au gouvernement d’établir les mesures relatives à la santé publique[81]. C’est le contrôle de la légalité de ces mesures qui fait l’objet d’examen par les tribunaux.

[377]       Une loi ou un décret vise dans son objectif premier le bien commun et la promotion de l’intérêt public[82].

[378]       Il existe une présomption que la loi ou un acte réglementaire est adopté pour le bien commun et l’intérêt public[83].  

[379]       Pour évaluer le degré de contrainte et en décider, on doit garder à l’esprit qu’un couvre-feu est une mesure dite exceptionnelle prise dans des circonstances uniques : déclaration d’une pandémie mondiale, l’apparition de nouveaux variants, une menace sérieuse de dépassement des capacités hospitalières et une vaccination de masse non complétée.

[380]       Contextuellement, la liberté n’est pas synonyme d’absence totale de contrainte[84]. C’est d’ailleurs ce qu’indiquait le juge dans Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Boissy[85], en citant avec approbation l’arrêt Blencoe[86] de la Cour suprême du Canada.

[381]       Avoir le droit de faire des choix personnels sans intervention de l’État n’est pas synonyme de liberté illimitée. Les Chartes n’existent pas pour créer une liberté absolue de choix personnel d’individus au détriment d’un équilibre.

[382]       Examinons plus précisément l’application d’un couvre-feu sur la liberté de mouvement.

4.8.4       Le couvre-feu et la liberté de mouvement

[383]       Dans une société libre et démocratique, un individu doit avoir suffisamment d’autonomie pour vivre et pour prendre ses décisions. Comme l’État a le pouvoir d’imposer des formes de restrictions aux comportements individuels c’est, on imagine pourquoi plusieurs mesures sanitaires dans tout le pays ont mené à des contestations constitutionnelles invoquant le droit à la liberté.

[384]       Citons à titre dexemples les mesures suivantes dont les tribunaux n’ont pas conclu à une violation par l’article 7 CCDL : la limitation du nombre de personnes dans un rassemblement privé[87], l’exigence de fournir une preuve de vaccination dans certains lieux[88], les restrictions d’accès dans une province[89], l’interdiction de rassemblement dans un lieu privé[90].

[385]       La Cour supérieure dans la décision Villeneuve[91], le tribunal a déclaré inopérant un article du règlement qui imposait la communication au préalable de la tenue, du lieu et de l’itinéraire d’une manifestation survenue au printemps 2012, car il contrevenait au droit à la liberté d’expression et de réunion pacifique.

[386]       Le couvre-feu est la mesure de restriction de mouvement la plus contraignante jusqu’à maintenant imposée par le gouvernement. Cette mesure constitue une forme de contrôle sur la liberté de mouvement puisque sauf exception(s) toute personne ne peut sortir de son domicile entre 20 h et 5 h sous peine d’amende. Ainsi pour cette période, toutes les personnes sont soumises à une contrainte de la part de l’État sous peine d’amende. Toutefois, elles disposent des options et des nombreuses exceptions prévues au décret.

[387]       Quoi qu’il en soit, l’intérêt commun n’est pas sacrifié par l’exercice d’une manifestation dans le contexte spécifique décrit par la requérante. Ici, il ne faut surtout pas y voir un laissez-passer en toutes circonstances pour manifester à chaque désaccord à une décision de l’État.

[388]       La Cour supérieure dans Clinique juridique itinérante c. Procureur général du Québec[92], a suspendu l’application du couvre-feu pour les personnes en situation d’itinérance. Cette décision a été rendue dans le cadre d’une ordonnance de sauvegarde.

[389]       En conséquence, il n’y a pas eu de décision à savoir si le couvre-feu enfreint ou non le droit à la liberté puisque le gouvernement a décidé d’exempter ces personnes en situation d’itinérance.

[390]       Maintenant, il faut déterminer si la mesure contestée (le couvre-feu) contrevient ou non aux Chartes. Voyons ce qu’il en est pour la Charte québécoise.

  • Violation à la CQDL (article 1) :

[391]       Pour les raisons déjà exposées dans la section du droit à la réunion pacifique, la restriction de mouvement dans un contexte de liberté d’expression sous-entend aussi une violation au droit à la liberté de la personne.

[392]       Le couvre-feu empêche une certaine liberté de mouvement interdisant à toute la population de sortir de son domicile dès 20 h sauf quelques exceptions.

[393]       La Cour supérieure dans Lévesque c. Procureur général du Québec[93], dans son analyse du cadre de la qualification d’un habeas corpus estime que le couvre-feu ne franchit pas le seuil de ce recours. Le juge ajoute ceci :

[40] Ainsi, le couvre-feu prévu au paragraphe 29° du Décret s’avère de toute évidence une contrainte importante et exceptionnelle. L’on ne peut toutefois pas parler de séquestration sans droit, d’isolement forcé, d’une assignation ferme à résidence, d’une mise sous garde contre son gré, ni de conditions de détention aggravées par rapport à des conditions de détention persistantes légalement imposées.

[394]       Il ne faut pas confondre « la privation de liberté » et « la restriction à la liberté de mouvement ».

[395]       Le 9 janvier 2021 (le jour de l’application du décret), les défendeurs décident de se rassembler, de manifester et d’exprimer leur message. Même si son contenu divise, l’expression de celui-ci dans le cadre d’une réunion pacifique constitue tout de même la base d’une démocratie.

[396]       Les défendeurs contestent le couvre-feu, lequel constitue à leur avis une entrave démesurée à leur liberté.

[397]       Il n’y a pas de baromètre de la liberté. Malgré tout, la désobéissance civile n’est pas cautionnée par les Chartes. Le respect d’une loi ne doit pas être laissé à la discrétion des citoyens.

[398]       Dans le présent dossier, c’est une manifestation pacifique annoncée sur les réseaux sociaux et encadrée par une organisation. On ne parle pas de résistance ni d’annonce pour troubler la paix. Une rencontre entre plusieurs citoyens qui défilent en convoi de véhicules dans les rues d’Amos dès le début du couvre-feu.

[399]       Avec un fardeau moins élevé dans la Charte québécoise, la preuve factuelle, convainc assez aisément que la mesure gouvernementale porte atteinte au droit à la liberté prévu à son article 1, ne comportant aucune exception au profit de l’exercice de ce droit.

[400]       Dans le cadre de son autonomie personnelle, la requérante prend la décision intrinsèquement privée d’organiser et de participer à une manifestation pacifique.

[401]       L’exercice de ce droit signifie la jouissance de la dignité et de l’indépendance individuelle de sa personne. Des restrictions en heure sous peine de contravention, contrecarraient sa liberté de participer à une manifestation dans un convoi d’automobiles pour dénoncer la mesure contestée.

[402]       En cas d’atteinte à l’art. 1 CQDL, l’analyse doit être dirigée vers l’application de la norme de justification sous l’arrêt Oakes. À l’instar de la conclusion de la juge Deschamps dans l’arrêt Chaouilli, il n’est alors pas nécessaire d’aborder l’art. 7 CCDL et son étape supplémentaire fondée sur les principes de justice fondamentale.

[403]       Considérant l’atteinte prouvée, il y a lieu de déterminer si celle-ci est justifiée. C’est à la section 4.9 du jugement qu’on trouve cette réponse.

4.8.5       Application aux faits de l’espèce

[404]       La défense plaide que le couvre-feu est une assignation à résidence sous contrainte pénale et que la mesure limite de façon importante le droit à la liberté physique de la personne, protégé aux art. 7 CCDL et art. 1 CDLP.

[405]       Or, il ressort également de la preuve que malgré l’imposition de mesures sanitaires strictes, le risque de contracter la COVID-19 subsiste bel et bien lors d’interactions sociales.

[406]       Sur le degré du risque en cause, il devient pertinent dans le cadre de l’analyse de la justification sous l’article 9.1 de la Charte québécoise ou l’article 1 de la Charte canadienne s’il y a lieu.

[407]       Il ne reviendrait pas au Tribunal de trancher le débat scientifique sur le risque de contracter la COVID-19 puisqu’à ce stade de l’analyse, il suffit de retenir que toutes formes d’interactions avec d’autres personnes augmentent les chances de contracter la maladie.

[408]       La preuve en est faite par les témoignages du Dr Richard Massé et du Dr Horacio Arruda sur la transmission du virus est probante sur la maladie.

[409]       À ce sujet, en cours de procès, la requérante a choisi de ne plus présenter sa preuve d’expert.

4.9       Règles applicables en matière de violation selon l’art. 1 CCDL et de l’art. 9.1 CQDL : Test de l’arrêt Oakes

[410]       En bref, le Tribunal en vient à la conclusion de l’existence de trois violations, les voici :

  1. Une atteinte au droit à la liberté d’expression (2b) CCDL-3 CQDL);
  2. Une atteinte au droit à la liberté de réunion pacifique (2c) CCDL- 3 CQDL);
  3. Une atteinte au droit à la liberté uniquement au niveau de la Charte québécoise des droits et libertés (1 CQDL)

[411]       Le Tribunal ne se prononce pas sur les prétentions d’une violation du droit à la liberté sous article 7 CCDL, vu la précédente conclusion au sujet de la violation à l’article 1 CQDL.

[412]       Ayant déjà conclu que le couvre-feu porte atteinte au droit à la liberté, sous l’égide de la Charte québécoise, il en découle qu’il n’est pas nécessaire de s’attarder à la conformité de la mesure face aux principes de justice fondamentale. Néanmoins, même s’il y avait atteinte, elle serait conforme à ces principes. Succinctement, la mesure n'est pas arbitraire, n’a pas de portée excessive et n’entraîne pas de conséquences totalement disproportionnées à son objet.[94]

[413]       L’analyse des règles applicables doit se faire dans le contexte de l’époque de la mise en place du couvre-feu (le premier adopté le 8 janvier 2021). Il faut l’interpréter selon les connaissances de l’époque et non pas selon un idéal rétrospectif. La question se doit d’être analysée selon les faits connus.[95]

[414]       Vu la nature scientifique des décisions de l’État, il est préférable d’opter pour une approche globale tout en conservant une certaine humilité sur les données mises en preuve. D’ailleurs, la preuve du PGQ sur les données scientifiques et leur analyse ne fut pas contredite.

[415]       C’est de cette façon que certains tribunaux ont tranché ces questions délicates. Le Tribunal fait siens les propos suivants de la Cour du banc de la Reine du Manitoba pour contextualiser le débat :

Although courts are frequently asked to adjudicate disputes involving aspects of medicine and science, humility and the reliance on credible experts are in such cases, usually required.  In other words, where a sufficient evidentiary foundation has been provided in a case like the present, the determination of whether any limits on rights are constitutionally defensible is a determination that should be guided not only by the rigours of the existing legal tests, but as well, by a requisite judicial humility that comes from acknowledging that courts do not have the specialized expertise to casually second guess the decisions of public health officials, which decisions are otherwise supported in the evidence.[96]

[416]       Il revient à l’État de démontrer le caractère raisonnable de la restriction imposée dans le couvre-feu.

4.9.1       Fardeau de preuve de l’État 

[417]       Dès qu’une atteinte est démontrée à un droit fondamental, le Procureur général a le fardeau de justifier celle-ci. La norme de preuve est celle de la prépondérance des probabilités. Une preuve forte et persuasive pouvant inclure des éléments scientifiques ou sociaux. Aussi, celle fondée sur la raison ou la logique peut être suffisante.[97]

[418]       Cette démonstration vise à établir que l’objet de la disposition (le couvre-feu prévu au décret 2-2021) est urgent et réel. À cela s’ajoute une preuve que les moyens choisis sont proportionnels à l’objet de la Loi.

[419]       La démarche de justification étant la même sous les deux chartes, la Cour supérieure dans Karounis[98] cite avec approbation la juge Deschamps dans l’affaire Chaoulli[99] sur les étapes à faire:

a)        d’abord, il faut vérifier si l’objectif de la loi ou de la mesure contestée est urgent et réel;

b)        ensuite, il faut s’attarder aux moyens pris pour atteindre l’objectif identifié. Il s’agit de déterminer si le moyen utilisé est raisonnable ou proportionné eu égard à l’objectif poursuivi. Pour cette deuxième partie de l’analyse, trois critères sont utilisés :

(1)     existe-t-il un lien rationnel entre la mesure et l’objectif législatif?

(2)     la mesure porte-t-elle atteinte le moins possible au droit garanti?

(3)     y a-t-il proportionnalité entre l’effet de la mesure et son objectif? 

[Soulignements ajoutés]

4.9.2       Première étape : la mesure poursuit-elle un objectif urgent et réel

[420]       L’article 123 (8) de la Loi sur la santé publique a pour objet la protection de la santé de la population et la mise en place de mesures visant son maintien et son amélioration.

[421]       En période d’urgence sanitaire, le gouvernement peut adopter des mesures comme le prévoit le préambule du décret 2-2021. Son adoption s’est faite en application de l’article 123 (8) de la LSP après une déclaration d’urgence sanitaire pour une menace à la santé de la population.

[422]       Au moment de son adoption, le couvre-feu visait entre autres trois objectifs : diminuer la propagation du virus en réduisant la transmission communautaire, éviter une catastrophe en raison de la limite des capacités hospitalières tout en renforçant les mesures déjà mises en place et lancer un message clair à la population concernant l’urgence de la situation.

[423]       C’est au moment de l’adoption du décret (janvier 2021), qu’il faut se placer pour en faire ce rétrospectif. Lorsqu’on consulte la liste[100] plutôt impressionnante des mesures adoptées par le gouvernement, on comprend le fragile équilibre entre leurs effets restrictifs et le bénéfice recherché. Au départ, le couvre-feu se devait d’être temporaire avant d’être renouvelé.

[424]       En conférence de presse, le 6 janvier 2021, le premier ministre du Québec annonce la mise en place du couvre-feu. Essentiellement, il réfère à ses responsabilités de veiller à s’assurer de la sécurité des personnes, de protéger les plus vulnérables et le réseau de la santé. Le gouvernement indique vouloir un « espèce de traitement choc » pour réduire, entre autres, le nombre de visites dans les maisons. Un couvre-feu pour une période initiale de quatre semaines est implanté afin de sauver des vies et le système de la santé.

[425]       Dans le Rapport d’évènement sur l’état d’urgence sanitaire lié à la pandémie de la COVID-19[101] du MSSS, au 6 janvier 2021 le pic journalier de nouveaux cas est de 2871 cas et de 154 hospitalisations.

[426]       Comme l’objectif de la mesure sanitaire vise à protéger la santé de la population, alors l’imposition d’une mesure susceptible de réduire la transmission du virus aura un objectif de santé publique urgent et réel.[102]

[427]       La situation est hautement évolutive à la fin du mois de décembre 2020 et au début du mois de janvier 2021[103], ce qui rend urgente l’application de mesures dont le couvre-feu. À cela s’ajoute l’arrivée d’un nouveau variant Alpha avec une plus grande transmissibilité.

[428]       La preuve commentée par le Dr Richard Massé démontre le caractère urgent et réel du décret 2-2021 par. g (29), et la nécessité d’une intervention rapide pour protéger la population. Il explique la notion de délestage et dépassement de la capacité hospitalière entraînant comme conséquences des annulations de chirurgies et l’incapacité de soigner et faire des diagnostics dans certains cas.

[429]       La zone de référence hospitalière en cas de débordement des hôpitaux pour l’Abitibi est à Montréal. L’augmentation des cas et d’éclosions en janvier 2021 démontre qu’une région peut être rapidement dépassée.

4.9.3       Deuxième étape : l’existence d’un lien rationnel entre l’objectif et la               mesure adoptée

[430]       Pour faire cette preuve d’un lien rationnel pour atteindre son objectif, le gouvernement doit démontrer un lien causal fondé sur la raison ou la logique entre la violation et l’avantage recherché.[104]

[431]       L’auteur Alexandre Morin[105] explique que ce critère est peu exigeant. Il faut d’abord qu’il soit raisonnable de supposer que la restriction puisse contribuer à la réalisation de l’objectif. On ne parle pas de preuve par prépondérance des probabilités, mais une simple démonstration que le moyen (la mesure contestée - en l’espèce le couvre-feu) favorise logiquement sa réalisation. Cette preuve sera suffisante.

[432]       Une preuve scientifique ou technique de cause à effet n’est pas nécessaire pour faire cette démonstration. Il est possible qu’une mesure choisie réalise tout simplement l’objectif que l'on recherche. L’on peut tirer une inférence raisonnable[106] qu’un couvre-feu puisse aider à le réaliser.

[433]       De la preuve entendue, il est raisonnable de conclure que la mesure contestée (le couvre-feu) a été adoptée pour limiter la propagation d’un virus.

[434]       Les témoignages des Drs Arruda et Massé le confirment. Le couvre-feu est utilisé pour protéger la santé de la population et il est relié à la situation épidémiologique en constante évolution. Les mesures ont progressé selon les informations disponibles. Il y a visiblement une gradation dans les mesures imposées puisque plusieurs sont déjà en place. Elles ne suffisent plus pour diminuer la transmission communautaire. C’est le cumul de toutes les mesures de protection et de prévention qui contribue à freiner la propagation du virus. Elles sont complémentaires les unes avec les autres.

[435]       La mesure contestée est encadrée par une loi et est prise dans un contexte unique : du jamais vu.[107]

[436]       Il existe logiquement un lien rationnel entre une mesure sanitaire qui vise à limiter les rassemblements et l’objectif de limiter la propagation de la COVID-19.[108] Le couvre-feu est une mesure obligeant tous les citoyens à rester chez eux durant une période définie le tout sous réserve de certaines exceptions. Celles-ci ont été soigneusement choisies pour respecter l’objectif premier de limiter les contacts.

[437]       Une manifestation durant une période de couvre-feu ne fait raisonnablement pas partie de ces exceptions.

[438]       Dès le mois d’août 2020, dans le décret 817-2020[109] le gouvernement avait déjà autorisé la participation à des rassemblements pacifiques dans l’une des exceptions.

[439]       Or, le 6 janvier 2021, la situation sur la transmission du virus est devenue incontrôlable exigeant un resserrement des règles.

[440]       En conséquence, le lien rationnel existe entre le moyen choisi (le couvre-feu sauf de rares exceptions) et l’objet recherché (diminuer les contacts pour limiter potentiellement la propagation du virus).

[441]       Il n’y a pas d’incompatibilité entre le décret et sa loi habilitante telle que le suggère la requérante.

4.9.4       Troisième étape : l’utilisation de moyens proportionnels à l’objet de               la mesure 

[442]       C’est l’épicentre du test de l’arrêt Oakes. Le législateur aurait-il pu choisir un autre moyen pour atteindre son objectif et existe-t-il un moyen moins attentatoire pour substantiellement parvenir à ses fins.

[443]       Cette évaluation du moyen choisi par le gouvernement nexige pas la perfection ou l’existence d’un moyen moins attentatoire. Le test se situe plutôt dans l’utilisation d’une mesure dite raisonnable.

[444]       Un tribunal ne doit pas se substituer au législateur ou tenter de concevoir à tout prix une solution moins attentatoire[110]. Lorsqu’il s’agit de questions scientifiques ou socialement complexes[111], le législateur doit se voir accorder une certaine latitude[112].

[445]       Le contexte de l’époque lors de l’adoption du décret nous amène à considérer dans l’analyse que le gouvernement ne disposait pas de temps lui permettant l’adoption d’une mesure moins attentatoire que le couvre-feu.

[446]       Avant l’adoption du décret 2-2021 (pour le couvre-feu), le gouvernement a imposé plusieurs autres mesures. Elles ont été graduelles dans leur intensité[113].

[447]       À titre d’exemples : la distanciation sociale, le port du masque, les tests de dépistage, la vaccination, l’hygiène des mains et la ventilation sont des moyens qui existaient avant l’adoption d’une mesure plus contraignante.

[448]       Dans un contexte où une couche de protection additionnelle aux mesures en place était requise, la Cour supérieure, dans la décision Syndicat des métallos, section locale 2008 c. Procureur général du Canada[114], conclut que la vaccination obligatoire dans le transport maritime, aérien et ferroviaire est nécessaire. Elle respecte la proportionnalité.

[449]       Également dans Beaudoin v. British Columbia (Attorney General)[115], la Cour d’appel de la Colombie-Britannique décide qu’une mesure limitant les rassemblements satisfait au critère de l’atteinte minimale.

[450]       En présence de restriction, tel un couvre-feu dans le cadre d’un rassemblement extérieur, il faut reconnaître son côté draconien dans le spectre de toutes les mesures.

[451]       Toutefois, même avec toutes ces nuances cela ne lui enlève pas son lien rationnel et sa proportionnalité. À l’époque, l’État devait avoir une marge de manœuvre à l’égard des solutions appropriées considérant les connaissances scientifiques limitées. Cette discrétion nous amène à une certaine déférence face au législateur[116] dans l’analyse de la proportionnalité. On ne doit pas lui imposer la perfection.[117]

[452]       Au stade de la proportionnalité dans une réalité complexe, les décideurs publics peuvent faire des choix face à un préjudice anticipé (sur le préjudice : tel que décrit par les Dr Arruda et Massé).

[453]       Selon eux, la mesure contestée se situe à l’intérieur d’une gamme de mesures raisonnables offerte au gouvernement pour réaliser leur objectif. Le Tribunal est d’accord.

[454]       L’atteinte est jugée minimale. La preuve démontre que pour atteindre l’objectif de façon réelle et substantielle, il fallait agir.

[455]       L’argument de la requérante selon lequel la Loi sur la santé publique ne sert qu’un objectif limité à des épidémies qui n’atteignent pas le degré pandémique n’est pas fondé. Une déclaration d’urgence sanitaire est un indicateur du pouvoir accordé aux autorités. La LSP est l’outil utilisé pour contrer la pandémie incluant l’épidémie.

[456]       La Cour d’appel dans Bellefleur c. PGQ[118] rappelle ceci:

[…] le rôle des tribunaux reste limité. […] À l’endroit du pouvoir législatif, ils ne peuvent seulement contrôler la constitutionnalité de la loi. […] Ils ne peuvent et ne doivent pas s’ériger en arbitres de l’opportunité, de la rationalité, de la prudence ou de la sagesse des décisions politiques ou administratives.

[457]       Les moyens d’action utilisés dans la LSP (dont le couvre-feu) sont dans le champ de l’expertise médicale lesquels satisfont aux objectifs recherchés.

[458]       La requérante soumet dans sa requête que « moults alternatives moins agressives, mais conformes auxdits objectifs étaient disponibles ». Or, il n’y a aucune preuve tangible à cet effet.

[459]       De plus, le gouvernement prévoit de nombreuses exceptions pour répondre aux besoins les plus urgents et essentiels de la population. Se déplacer durant la période visée entre 20 h et 5 h doit permettre de répondre à un besoin urgent et essentiel.

[460]       Les exceptions au décret 2-2021 sont pour circonscrire les contacts et éviter que l’appréciation subjective des individus leur permette de s’y soustraire au nom de leur liberté.

[461]       Seul le travail, les services nécessaires à la continuité des activités essentielles, le fait de recevoir des soins de santé ou des services éducatifs ou de porter assistance à une personne vulnérable sont objectivement permis.

[462]       Un Tribunal n’a pas à remettre en cause ces choix qui relèvent de l’opportunité politique d’un gouvernement lorsqu’ils sont le résultat d’un équilibre proportionné dans le cadre d’une société libre et démocratique. Une certaine retenue est justifiée lorsqu’une poursuite vise une infraction règlementaire[119].

[463]       Quant à l’argument de la requérante que des interpellations arbitraires sont un effet préjudiciable. Elle a raison. Or, selon la preuve entendue lorsqu’on regarde les faits ce n’est pas le cas en l’espèce. Ils ont été simplement ciblés et interpellés en raison de leur publication sur les médias sociaux. Il n’y a rien d’arbitraire dans l’interpellation faite par des policiers qui veulent faire cesser la violation du décret.

[464]       La LSP prévoit tout simplement à son article 139, qu’une personne qui contrevient à un ordre pris en vertu de l’article 123, commet une infraction. La détention et l’arrestation sont prévues à l’article 72 et suivants du Code de procédure pénale du Québec pour justifier des actions des autorités.

[465]       À cette étape, le couvre-feu adopté par l’État constitue une limite raisonnable aux droits fondamentaux en cause.

4.9.5       Quatrième étape : les effets bénéfiques excèdent-ils les effets  préjudiciables de la mesure contestée

[466]       Il faut placer l’intérêt supérieur du public à l’avant-plan lorsqu’il est question de mettre dans la balance l’incidence de la loi sur les droits protégés et l’effet bénéfique.[120]

[467]       Les effets bénéfiques d’une mesure en santé publique sont résumés par la Cour supérieure de l’Ontario dans Ontario v. Trinity Bible Chapel[121] :

     The government objectives in this case are amongst the most compelling imaginable – the protection of human life in the face of an unprecedented and unpredictable virus, carrying a threat of devastating health consequences.  It is not hyperbole to describe this as a crisis of the highest order, requiring early and effective intervention by public officials.  Ontario was entitled to impose restrictions in the interests of public health, and the public was entitled to have those restrictions imposed.  While framed as a contest between Ontario and the moving parties, this case also implicates the interests of the many Ontario residents who wished the government to keep them safe during a public health emergency.  The measures protected the constitutional rights of those individuals to life and security of the person. This case is not just about individual choice.  Covid-19 has its own communal character whereby individual choice can have community consequences.  Infection of someone who chose to attend a religious service can lead to the infection of others who did not make that choice and who may be made vulnerable by precarious health conditions.  These risks are multiplied when one considers the prospect of multiple religious gatherings taking place across the province at the same time.

[468]       À l’égard d’une menace de propagation d’un virus notamment auprès d’une population vulnérable, la justification d’une mesure sanitaire comme un couvre-feu est un moyen utilisable.

[469]       Le Tribunal conclut que la mesure adoptée est raisonnable et rationnelle, en dépit des limitations à la liberté d’expression, à la liberté de réunion pacifique et à la liberté de sa personne et qu’il y a un effet bénéfique[122] avec l’imposition d’un couvre-feu.

[470]       La preuve des données recueillies[123] et les études[124] consultées établissent ce lien. Il y a une proportionnalité et une pondération suffisante entre les effets bénéfiques de la disposition contestée (diminuer les contacts) et la réalisation souhaitée de l’objectif.

[471]       Le couvre-feu n’assujettit pas toutes les personnes à une détention ou une interpellation arbitraire. Bien qu’il puisse être attentatoire à des libertés, cela ne lui donne pas un caractère déraisonnable comparé aux effets bénéfiques recherchés.

[472]       Les données épidémiologiques[125] consultées par le gouvernement le démontrent. À titre d’exemples : le suivi de l’épidémie de la COVID-19 et les données sur les besoins hospitaliers annonçaient une catastrophe en cas d’inaction des autorités.

[473]       Considérant les besoins et les bénéfices pour la population en général, le couvre-feu surpasse largement les inconvénients pour la requérante.

[474]       Dans un contexte exceptionnel de pandémie mondiale, tout le monde doit faire des concessions y compris la requérante.

[475]       Après avoir soupesé, les effets bénéfiques de la mesure législative par rapport à ses effets préjudiciables, il y a lieu de conclure que ceux-ci dépassent les inconvénients de la restriction imposée aux droits fondamentaux, même dans le contexte d’une manifestation politique pacifique.

4.10  La conclusion au test de l’arrêt Oakes selon les quatre critères

[476]       Après analyse du test, il y a lieu de répondre par l’affirmative aux quatre critères établis. L’État a satisfait à son fardeau au niveau de la justification des atteintes aux libertés d’expression et de réunion pacifique prévues à la Charte canadienne des droits et libertés ainsi qu’au droit à la liberté prévu à la Charte québécoise des droits et libertés.

[477]       Raisonnablement, il n’y avait pas de mesure alternative moins attentatoire pour atteindre l’objectif de sauver des vies de façon réelle et substantielle dans les circonstances entourant l’adoption du couvre-feu.

[478]       Ainsi, la mesure sanitaire du couvre-feu, lors d’une manifestation ou d’un rassemblement, s’avère justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique.

5.     CONCLUSION

[479]       C’est dans un contexte exceptionnel de pandémie mondiale où personne ne pouvait prévoir les impacts de la progression du virus que le gouvernement a agi. Il leur fallait planifier et mettre un cadre raisonnable aux activités et interactions sociales d’où l’adoption de mesures spécifiques.

[480]       Malgré l’état des connaissances scientifiques de l’époque sur la COVID-19, combiné à une volonté de protéger les personnes vulnérables, la mesure contestée dans le décret 2-2021, soit le couvre-feu porte atteinte au droit à la liberté d’expression, à la liberté de réunion pacifique et à la liberté des défendeurs. Ces atteintes sont raisonnables et justifiées au sens de l’article 1 de la Charte canadienne et 9.1 de la Charte québécoise.

[481]       La pandémie et l’augmentation fulgurante des cas constituent des circonstances exceptionnelles soulevant des enjeux de santé publique. Cette situation a obligé le gouvernement à adopter des mesures pour réduire les risques de propagation afin de protéger la vie et la santé de la population. Voilà essentiellement ce que le Tribunal retient de la preuve.  

[482]       Autrement dit, comme personne ne pouvait prédire avec certitude quels seraient les impacts à long terme des bouleversements occasionnés par la COVID-19, il fallait prendre les moyens appropriés, dont l’utilisation du couvre-feu.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

-          Sur le droit à la liberté d’expression

[483]       DÉCLARE que le couvre-feu prévu au décret 2-2021 enfreint le droit à la liberté d’expression prévue à l’article 2b) de la Charte canadienne et à l’article 3 de la Charte québécoise, mais constitue une limite raisonnable dans le cadre d’une société libre et démocratique.

-          Sur le droit à la liberté de réunion pacifique :

[484]       DÉCLARE que le couvre-feu prévu au décret 2-2021 enfreint le droit à la liberté de réunion pacifique prévue aux articles 2 c) de la Charte canadienne et à l’article 3 de la Charte québécoise, mais constitue une limite raisonnable dans le cadre d’une société libre et démocratique.

-          Sur le droit à la liberté de la personne:

[485]       DÉCLARE que le couvre-feu prévu au décret 2-2021 enfreint le droit à la liberté de la personne prévue à l’article 1 de la Charte québécoise, mais constitue une limite raisonnable dans le cadre d’une société libre et démocratique.

 

EN CONSÉQUENCE:

[486]       REJETTE les moyens préliminaires d’inconstitutionnalité soulevés en vertu de l’article 184 (8) et 207 du Code de procédure pénale du Québec et maintient le chef d’accusation d’avoir contrevenu au décret 2-2021 par. g (29), soit le non-respect du couvre-feu;

 

[487]       MAINTIENT LA DÉCLARATION DE CULPABILITÉ à l’égard de tous les défendeurs sur l’infraction dans le dossier.

[488]       CONDAMNE les défendeurs à payer chacun dans leur dossier respectif l’amende minimale de 1000 $, sans frais dans un délai de 6 mois, et ce, à défaut d’autres représentations faites par les parties.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

__________________________________

MARIE-FRANCE BEAULIEU

JUGE DE PAIX MAGISTRAT

 

 

 

Me Raphaël Garneau-Bédard, poursuivant pour Directeur des poursuites criminelles et pénales

Me François Lamalice, avocats pour le Procureur général du Québec

Me Marie-France Lebel

 

Me Olivier Séguin, procureur de madame Stéphanie Pépin

Me Samuel Bachand, co-procureur et avocat-conseil de madame Stéphanie Pépin

 

Défendeurs : Dany Taché, Marc Paquin, Pénéloppe Martin, Christian Frenette,

Samuel Lacroix Pilote, Alexis Rioux, Henriette Bolduc

Agissant personnellement

 

Dates d’audience :

  18,19,20, 21 septembre 2023

 


[1]  Décret numéro 177-2020 : déclaration de l’état d’urgence sanitaire conformément à l’article 118 de la Loi sur la santé publique (LSP).

[2]  Décret concernant l'ordonnance de mesures visant à protéger la santé de la population dans la situation de pandémie de la COVID-19, Décret 2-2021 du 08-01-2021, (2021) 153 G.O. II 5B; le paragraphe g) (29).

[3]  Le décret tire son origine de l’application des pouvoirs prévus à la Loi sur la santé publique, RLRQ, c. S-2.2.

[4]  R.c Oakes, [1986] 1 R.C.S 103

[5]  Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25.01

[6]  R. c. Cody, 2017 CSC 31.

[7]  Greater Vancouver Transportation Authority c. Fédération canadienne des étudiantes et étudiants -Section Colombie-Britannique, 2009 CSC 31, par 21.

[8]  Bricka c. Procureur générale du Québec, 2022 QCCA 85, par. 54 (autorisation d’appeler à la Cour suprême fut rejetée le 28 juillet 2022, no 40102).

[9] Il s’agit d’une obligation légale prévue à l’article 129 de la LSP dans les trois mois qui suivent la fin de l’état d’urgence.

[10]  Pièce PGQ-16 Auteurs : Sophie Larrieu (santé publique France), Guillaume Spaccaferri, Jérôme Pousey, Clémentine Calba, Thomas Benet, Cécile Sommen, Daniel Lévy-Bruhi, Sabira Smaili, Didier Che, Laurent Filleul, Céline Caserio-Schöenemannn, Anne Laporte et Patrick Roland. Soumis le 23 novembre 2020

[11]  Pièce PGQ-17 Auteurs : Nina Haug, Lukas Geyrhofer, Alessandro Londei, Elma Dervic, Amélie Desvars-Larrive, Vittorio Loreto, Beate Pinior, Stefan Thurner and Peter Klimek, du 4 décembre 2020

[12]  Alexandre Boucher et Carolyne Paquin, « Témoin expert ». dans JurisClasseur Québec, coll. « Droit pénal », Preuve et procédure pénales, fasc. 19, Montréal, LexisNexis Canada, à jour au 21 septembre 2020 (LAd/QL), par. 67

[13]  R. c. D.D., 2000 CSC 43, par 49-51

[14]  2015 ONCA 206 (autorisation d’Appel rejetée, C.S.C., 2015-10-29, 36445)

[15]  2023 ONCA 134, par 40-41.

[16]  Saskatchewan v. Racette 2020 SKCA 2 (autorisation d’appel rejetée, C.S.C., 2020-05-07, 39060; Aussi dans Wynward Insurance Group v. Smith Building and development Ltd, 2023 SKCA 57.

[17]  Henri Brun, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet, Droit constitutionnel, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, note XII-4.18-4.21; Nouvelle-Écosse (Workers' Compensation Board) c. Martin; Nouvelle-Écosse (Workers' Compensation Board) c. Laseur, 2003 CSC 54; Okwuobi c. Commission scolaire Lester-B.-Pearson; Casimir c. Québec (Procureur général); Zorrilla c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 16.

[18]  Agence du revenu du Québec c. Grosz, 2019 QCCQ 4451, par. 15; Motel Chute des pères inc. c. Procureure générale du Québec, 2017 QCCA 1760, par. 24.

[19]  Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Lauzon, 2022 QCCQ 2174.

[20]  Hugo Jean et Gilles Laporte, « Demandes de réparation en cas de violation de la constitution ou de la charte québécoise ». dans JurisClasseur Québec, coll. « Droit constitutionnel », Droit public, fasc. 4, Montréal, LexisNexis Canada, no 34, à jour au 2 septembre 2022 (LAd/QL).

[21]  Droits linguistiques garantis par l’article 23 de la Loi sur le Manitoba et par l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 (Renvoi adressé par le gouverneur en conseil au sujet de certains), [1985] 1 R.C.S. 721, par 51-52.

[22]  Nicole Duplé, Droit constitutionnel : principes fondamentaux, 6e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2014, p. 316.

[23]  Ministère de la Sécurité publique, Archives  Alerte 2021/01/09 18 :30, en ligne :

 < https://www.alerte.gouv.qc.ca/fr/archive.html?id=8BEC847F-8625-7572-1516- 00ACFA57DA44&histo=710733&annee=2021 >

[24]  Ministère de la Sécurité publique, À propos, https://www.alerte.gouv.qc.ca/fr/apropos.html

[25]  Sécurité publique du Canada, Système national d’alertes au public, en ligne : Système national d'alertes au public (securitepublique.gc.ca)

[26]  En alerte, Qu’est-ce que le système En Alerte, en ligne : https://www.enalerte.ca/

[27]  Greater Vancouver Transportation Authority c. Fédération canadienne des étudiantes et étudiants — Section Colombie-Britannique, préc., note 7.

[28]  Bricka c. Procureur général du Québec, 2022 QCCA 85, par 51-60 (autorisation d’appeler à la Cour suprême fut rejetée, le 28 juillet 2022 no 40102

[29]  Ministère de la Sécurité publique, À propos, https://www.alerte.gouv.qc.ca/fr/apropos.html 

[30]  Journal des débats de l’Assemblée nationale, 22 mai 2001, Vol. 37 no 4, pièce DSP-6.

[31]  Loi sur la sécurité civile, RLRQ, c. S-2.3

[32]  R.L.R.Q., c. S-2.2.

[33]  Article 118-119 de la Loi sur la santé publique.

[34]  2023 QCCS 698.

[35]  Bricka c. Procureur général du Québec, préc., note 28, par 54 (demande d’autorisation d’appel rejetée, C.S.C., 28-07-2022, no 40102.

[36]  2021 QCCS 310.

[37]  Bricka c. Procureur général du Québec, préc., note 28, par 19.

[38]  Code de procédure civile, RLRQ, Chapitre C-25.01, art 76 al. 4.

[39]  Schachter,R c. 974649 Ontario Inc., [2001] 3 R.C.S 575.

[40]  Syndicat des métallos, section locale 2008 c. Procureur général du Canada, 2022 QCCS 2455, par 81

[41]  R. c. Guignard, 2002 CSC 14, par 19.

[45]  Id., par. 257 à 260.

[46]  Montréal (Ville de) c. 2952-1366 Québec Inc., 2005 CSC 62, par 60

[47]  Société Radio-Canada c. Canada (Procureur général), préc., note 44, par 37-38.

[48]  Bérubé c. Ville de Québec, 2019 QCCA 1764.

[49]  2014 QCCM 76 (appel accueilli sur la culpabilité, 2015 QCCS 5246)-conclusion non remise en cause.

[50]  Irwin Toy Ltd c. Québec (Procureur général), préc., note 43, par. 41.

[51]  Procureur général du Québec c. Gallant, préc., note 45.

[53]  Décret 817-2020, 6 août 2020, G.O. II, 152e année, no 32A, 3257A prévoyant une exception excluant les manifestations pacifiques des rassemblements extérieurs pour un nombre limité de participants; Décret 1020-2020 du 30 septembre 2020, G.O. II, 152e année, no 40A, 4184 : le port du couvre-visage ou un masque et une distance de 2 mètres pour l’exercice du droit de manifester pacifiquement.

[54]  Irwin Toy Ltd c. Québec (Procureur général), préc., note 43, par 49.

[55] Garbeau c. Montréal (Ville de), 2015 QCCS 5246 par 171.

[56] 2021 MBQB 219 (appel rejeté, 2023 MBCA 56, par 50-55).

[57]  Irwin Toy Ltd c. Québec (Procureur général), préc., note 43, par 49.

[58] Bérubé c. Ville de Québec, 2019 QCCA 1764

[59] Id 37 Bérubé c. Ville de Québec, 2019 QCCA 1764 par 44 

[60] Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1, [64] […] La liberté de réunion pacifique vise, par définition, une activité collective qui n’est pas susceptible d’être accomplie par une seule personne.; D. Newman, préc., note: “Section 2(c) provides protection from state interference with protest activity”; N. Ezeani, préc., note, par. 40 : “Thus, section 2(c) protects individuals who take part in protests, meetings, parades, picketing and other kinds of assemblies”;

[61] Villeneuve c. Montréal (Ville de), 2016 QCCS 2888 par 386-390

[62] Lecompte c. R J.E. 2000-1554 (C.A.) (requête pour permission de pourvoi à la Cour Suprême rejetée 2001-03-01, 28171)

[63] 2011 ONCS 6862 par 74

[64] Alexander Basil S., «Exploring a More Independent Freedom of Peaceful Assembly in Canada», (2018) 8 UWOJLS; Dwight Newman, “HCHR-42 Freedom of assembly”, Halsbury’s Laws of Canada - Constitutional Law (Charter of Rights), 2023, Toronto, LexisNexis; Kristopher E.G. Kinsinger, “Positive Freedoms and Peaceful Assemblies: Reenvisioning Section 2(c) of the Charter”, (2020) 98 SCLR (2d) 377.

[65] Kristopher EG Kinsinger, “Restricting Freedom of Peaceful Assembly During Public Health Emergencies” (2021) 30-1 Constitutional Forum 19, 22.

[66]  Nnaemeka Ezeani, “Understanding Freedom of Peaceful Assembly in the Canadian Charter of Rights and Freedoms”, (2020) 98 SCLR (2d) 351.

[67]  Id., par. 48.

[68]  2016 QCCS 2888, par 380 (appel accueilli 3-08-2016, C.A, 500-09-026262-162), Chaoulli c. Québec (Procureure générale), [2005] 1 R.C.S. 791.

[69]  2022 BCCA 427

[70]  2021 MBQB 219 (appel rejeté, 2023 MBCA 56, par 50-55)

[71] Id., par. 38.

[72]  Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, par. 55.

[73]  Chaoulli c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 35, par 28.

[74]  Id., par 26, voir au même effet : Procureur général du Québec c. Gallant, préc., note 45, par. 160-161.

[75]  Karounis c. Procureur général du Québec, préc., note 37, par. 86 et suiv.

[77]  B. (R.) c. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, 1995 CanLII 115, CSC, [1995] 1 R.C.S. 315, par. 80.

[78]  Carissima Mathen, “Section 7 and the Criminal Law”, dans Charte canadienne des droits et libertés, 5e éd., Markham, LexisNexis Canada, 2013, p. 703

[79]  B. (R) c. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, [1995] 1 R.C.S. 315, par. 33 : Le droit à la liberté, dans ce contexte, doit donc être opposé à l’emprisonnement, à la détention ou à toute forme de contrôle ou de contrainte sur la liberté de mouvement.

[80]  Association des juristes de justice c. Procureur général du Canada, 2017 CSC 55, par. 49-51; Syndicat des métallos, section locale 2008 c. Procureur général du Canada, préc., note 41, par. 124-133.

[81]  Bédard c. Procureur général du Québec, 2021 QCCA 788, par, 6; Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, par. 105.

[82]  Karounis c. Procureur général du Québec, 2020 QCCS 2817, par. 37.

[83]  Katz Group Canada Inc. c. Ontario (Santé et soins de longue durée), 2013 CSC 64, par. 25.

[84]  Renvoi:  Motor Vehicle Act de la C.B., 1985 CanLII 81 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 486 (le juge Wilson, à la p. 524); R. c. Edwards Books and Art Ltd, 1986 CanLII 12 (CSC), [1986] 2 R.C.S. 713 (le juge en chef Dickson, aux pp. 785 et 786).

[85]  2023 QCCQ 64.

[86]  Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), préc., note 76, par. 49.

[87]  R v. Slastukin, 2023 SKPC 32, par 31.

[88]  Harjee v. Ontario, 2022 ONCS 7033, par 76.

[89]  Taylor c. Newfoundland and Labrador, 2020 NLSC 125, par 384.

[90]  Gateway Bible Baptist Church et al. v. Manitoba et al., préc., note 57, par. 252 (appel rejeté, 2023 MBCA 56).

[91]  Villeneuve c Montréal (Ville de), 2016 QCCS 2888.

[92]  2021 QCCS 182.

[93]  2021 QCCS 489, par 40.

[94]  Carter c. Canada (Procureur général), préc., note 73, par 83.

[95]  Ontario (Attorney General) v. Trinity Bible Chapel, préc., note 15, par. 52; Beaudoin v. British Columbia (Attorney General), préc., note 70 , par. 268; Grandel v. Saskatchewan, 2022 SKKB 209, par. 86.

[96]  Gateway Bible Baptist Church et al. v. Manitoba et al., préc., note 57, par. 292 (appel rejeté, 2023 MBCA 56).

[97] Libman c. Québec (P.G), [1997] 3 R.C.S. 569; RJR-MacDonald Inc c. Canda (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199; Thompson Newspapers Co c. Canada (P.G.), [1998] 1 R.C.S. 877;

[98]  Karounis c. Procureur général du Québec, préc., note 37, par. 149.

[99]  Chaoulli c. Québec (Procureur général), préc., note 74, par. 48.

[100] Pièce PGQ 4.

[101] Pièce PGQ 3.

[102] Voir notamment Syndicat des métallos, section locale 2008 c. Procureur général du Canada, préc., note 41, par. 218; Gateway Bible Baptist Church et al. v. Manitoba et al., préc., note 57, par. 252 (appel rejeté, 2023 MBCA 56), par. 293; Beaudoin v. British Columbia (Attorney General), préc., note 70, par. 299.

[103]  Données épidémiologiques : Pièces PGQ 6, 7, 8, 11, 12, 14 et 15.

[104]  Carter c. Canada (Procureur général), préc., note 73, par. 99.

[105]  Alexandre Morin, « Structure d’une clause impliquant la Charte », dans JurisClasseur Québec, coll. « Droit public », Droit constitutionnel, fascicule 5, Montréal, LexisNexis Canada, no 67.2, à jour au 17 août 2022 (LAd\QL).

[106]  Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1, par. 143.

[107]  Desrochers c. PGQ, 2021 QCCS 311 par. 61-66 (permission d’appeler rejetée 2021 QCCA 275); Conseil des juifs hassidiques du Québec c, PGQ, 2021 QCCA 281, par. 168; Bricka c. PGQ, 2022 QCCA 85, par. 49; Fédération autonome de l’enseignement c. Dubé, 2020 QCCS 3053, par. 87-88 et 111.

[109]  Décret 817-2020 - 6 août 2020 Gazette officielle du Québec, 152e année no 32-A page 3257A, par. 1.

[110]  R. c St-Onge Lamoureux, 2012 CSC 57, par. 39.

[111]  Gateway Bible Baptist Church et al. v. Manitoba et al., préc., note 57, par. 252 (appel rejeté, 2023 MBCA 56) par. 299.

[112]  R.J.R. - MacDonald inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199.

[113]  Pièce PGQ-4.

[114] 2022 QCCS 2455 par 240-246.

[115]  2022 BCCA 427 par 302.

[116]  Procureur général du Québec c. Gallant, 2021 QCCA 1701, par. 189-190.

[117]  R. c. K.R.J., 2016 CSC 31, par. 67.

[118] Bellefleur c. Québec (Procureur général), [1993] R.J.Q. 2320, par. 59.

[119] WholesaleTravel Group. C. La Reine, [1991] 3 R.C.S. 154; R. c Cooper [2005] B.C.J. No. 986 (C.A.C.B) (QL) par 22

[120]  R. c. K.R.J., préc., note 117, par. 77.

[121]  Ontario v.Trinity Bible Chapel, 2022 ONSC 1344, par. 160.

[122]  Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2099 CSC 37, par. 102.

[123]  Pièces PGQ 3, 6, 7, 8 et 9.

[124]  Pièces PGQ 16 -17.

[125]  Pièce PGQ 3 -15.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.