Immeubles Murray c. Parsons | 2022 QCTAL 4251 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Québec | ||||||
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No dossier : | 581411 18 20210726 G | No demande : | 3307487 | |||
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Date : | 16 février 2022 | |||||
Devant la juge administrative : | Chantale Trahan | |||||
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Immeubles Murray |
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Locatrice - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Kenny Parsons |
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Locataire - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Par une demande introduite le 26 juillet 2021, la locatrice demande la résiliation du bail et le recouvrement de tous les loyers dus au moment de l’audience. Comme deuxième motif de résiliation, elle invoque que le locataire paie fréquemment son loyer en retard. Elle demande également l’exécution provisoire de la décision malgré l’appel, de même que le remboursement des frais.
CONTEXTE
[2] Les parties sont liées par un bail ayant débuté le 1er juillet 2011 au 30 juin 2012 au loyer mensuel de 750 $, lequel a été reconduit annuellement jusqu’au 30 juin 2022 au loyer mensuel de 875 $.
Retard de loyer
[3] Le représentant de la locatrice réclame une somme de 2 925 $ en loyer impayé pour les mois de juillet (75 $), août (75 $), septembre (75 $), octobre (75 $), novembre (875 $), décembre (875 $) 2021 et janvier 2021 (875 $).
[4] Le locataire a émis des chèques au montant de 800 $ avec la mention de « paiement final » pour le paiement du loyer des mois de juillet à octobre 2021 et la locatrice les a encaissés. Pour ce qui est des chèques pour le paiement du loyer des mois de novembre, décembre 2021 et janvier 2021, qui sont au montant de 800 $ avec la mention de « paiement final », la locatrice ne les a pas encaissés et elle allègue que le locataire est en retard de plus de trois semaines dans le paiement de son loyer.
[5] Le locataire argue que la locatrice a encaissé les chèques au montant de 800 $ sans protester pour les mois de juillet à octobre 2021 et que ces paiements lui sont opposables.
[6] Est-ce que l'encaissement par la locatrice des chèques des mois de juillet à octobre 2021 et portant la mention « paiement final » constitue une transaction ayant pour effet de faire échec à sa réclamation de loyer impayé pour ces mois ?
[7] Selon la jurisprudence, l'encaissement d'un chèque sur lequel est apposée la mention « paiement final » crée une présomption de transaction.
[8] Cette même jurisprudence nous enseigne que cette mention doit être clairement portée à l'attention du créancier, de manière à ce qu'il lui soit évident que l'encaissement du chèque équivaut au règlement final du dossier.
[9] Il s'agit cependant d'une présomption de fait qui peut être repoussée par la preuve de circonstances particulières. D'ailleurs, la Cour suprême du Canada a édicté depuis très longtemps que la question visant à déterminer si la mention « paiement final » est libératoire en est une de fait et non de droit[1].
[10] Ainsi, il faut apprécier tous les faits entourant l'encaissement par le créancier d'un chèque avec la mention « paiement final » pour déterminer s'il produit un effet libératoire pour le débiteur.
[11] À ce sujet, la Cour d'appel s'exprime comme suit :
« [6] En quelque sorte, il faut déterminer s'il y a eu rencontre des volontés, échange de consentements, sur une transaction, suivant l'ensemble des faits.
Lorsque la mention « paiement final » est inscrite sur un chèque, le créancier qui le reçoit ne peut pas simplement l'encaisser et continuer sa réclamation. S'il l'encaisse, il acquiesce à l'offre qui lui est faite par le débiteur de mettre fin au litige. S'il veut transformer cette offre en contre-offre, c'est-à-dire offrir au débiteur d'encaisser le chèque comme paiement partiel tout en conservant sa réclamation pour le solde, il doit en informer celui-ci bien sûr, et de plus il doit lui donner le temps de réagir à cette contre-offre. C'est ainsi que dans l'affaire The Standard Life Assurance Company ci-dessus citée, la Cour a jugé que les 27 heures laissées au débiteur étaient insuffisantes pour conclure a un acquiescement de la part de ce dernier à la contre-offre de son créancier qui avait encaissé le chèque avec « paiement final », après avis qu'il ne l'acceptait qu'en paiement partiel. »[2]
[12] La preuve démontre que malgré la mention « paiement final » sur les chèques émis à l'ordre de la locatrice, celle-ci les a encaissés sans protester, ne réservant pas ses droits quant aux éléments de sa réclamation.
[13] L’encaissement des chèques constitue donc une transaction et la locatrice ne peut pas réclamer la somme de 75 $ supplémentaire pour le loyer des mois de juillet à octobre 2021.
[14] Par ailleurs, la preuve démontre que les chèques pour le loyer des mois de novembre 2021 à janvier 2022 ne sont pas faits au bon montant de loyer et la locatrice refuse de les encaisser pour cette raison. Le locataire est en défaut de payer son loyer et il est de ce fait en retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer, justifiant ainsi la résiliation du bail. Le Tribunal accorde donc une somme de 2 625 $ représentant les loyers des mois de novembre, décembre 2021 et janvier 2022.
[15] Le bail ne sera pas résilié si le loyer dû, les intérêts et les frais de justice sont payés avant la date du présent jugement, conformément aux dispositions de l’article
[16] Le Tribunal a avisé le locataire qu’il devait émettre ses chèques de loyer au bon montant, à défaut de quoi il sera considéré en retard dans le paiement du loyer. Il ne peut également décider unilatéralement de s’accorder une diminution de loyer en raison qu’il prétend que la locatrice ne rencontre pas ses obligations à son égard. La demande en diminution de loyer qu’il a introduite devant le présent Tribunal sera entendue en temps et lieu.
[17] Quant au deuxième motif de résiliation, la locatrice invoque les retards fréquents du locataire à payer son loyer. Pour obtenir cette conclusion, la loi impose qu’elle fasse également la preuve du préjudice sérieux[3] que ces retards lui occasionnent. Le préjudice sérieux ne se limite pas à une question d’ordre économique ou pécuniaire. Celui-ci peut résulter également de l’alourdissement anormal de la gestion, la multiplication des démarches judiciaires antérieures pour percevoir le loyer[4]. Les simples inconvénients occasionnés par des retards ne constituent pas un préjudice sérieux.
[18] En employant le terme sérieux, le législateur a imposé une preuve exigeante au locateur. La perception tardive d’un loyer crée en soi un préjudice. Pour justifier la résiliation d’un bail, il faut donc que ce préjudice soit plus grand que les simples inconvénients occasionnés par tout retard. Cette preuve ne peut donc uniquement se fonder sur une simple allégation. Le préjudice peut être prouvé par une preuve documentaire, le cas échéant, et il doit être fondé sur des faits objectifs et précis. Dans ces circonstances, aucune preuve n’a été faite par la partie locatrice sur un quelconque préjudice pouvant être qualifié de sérieux. Ce motif de résiliation de bail est par conséquent rejeté.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[19] ACCUEILLE en partie la demande de la locatrice
[20] CONDAMNE le locataire à payer à la locatrice la somme de 2 625 $, avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article
À DÉFAUT de paiement la somme réclamée, les intérêts et les frais avant la signature du présent jugement :
[21] RÉSILIE le bail et ordonne l’expulsion du locataire et de tous les occupants du logement;
[22] REJETTE la demande quant aux autres conclusions.
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Chantale Trahan | ||
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Présence(s) : | le mandataire de la locatrice le locataire | ||
Date de l’audience : | 31 janvier 2022 | ||
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[1] Brillant Silk Manufacturing Co Inc. c. Kaufman,
[2] Auberge La Pinsonnière Inc. c. Mingus Software Inc.,
[3] Allaire c. Boudreau, 2017 QCCQ, 2963; FPI Boardwalk Québec Inc. c. Motera, 2020 QCCQ, 1705; Co-op d’habitation La petite Cité (Montréal) c. Johnson,
[4] Idem.
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