Giancarli c. Sakkal |
2019 QCRDL 18581 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau de Montréal |
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No dossier: |
393826 31 20180423 F |
No demande: |
2483571 |
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RN :
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2542188
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Date : |
04 juin 2019 |
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Greffier spécial : |
Me Grégor Des Rosiers |
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Pietro Giancarli |
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Locateur - Partie demanderesse |
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c. |
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Kamil Sakkal |
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Locataire - Partie défenderesse |
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DÉCISION
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[1] Le
locateur a produit une demande de fixation de loyer et de modification d’une
autre condition du bail conformément aux dispositions de l’article
[2] Le locateur demande au Tribunal de statuer sur la modification suivante :
« Le retrait du stationnement actuellement utilisé par le locateur, à compter du 1er 2018 ».
MODIFCATION AU BAIL : RETRAIT D’UN ESPACE DE STATIONNEMENT
Preuve du locateur
[3] À l’audience, le locateur est représenté par sa mandataire, sa fille Angela Giancardi.
[4] Le témoignage de madame Giancardi est à l’effet que le locateur désire procéder au retrait de l’espace de stationnement actuellement utilisé par le locataire étant donné d’une part, que le locateur n’aura plus accès au droit de passage sur la propriété du voisin qui leur était accordé et d’autre part, étant donné que l’immeuble concerné est en vente, il désire procéder à une vente sans surprise et litige potentiel au promettant acheteur.
[5] Le locateur est propriétaire de l’immeuble depuis plus de 40 ans.
[6] L’immeuble est situé sur la rue Saint-Jacques en bordure de la falaise longeant le chemin de fer et l’échangeur Turcot.
[7] Selon le bail initial (P-1) intervenu entre les parties en 2001, le loyer ne comprenait pas, à l’époque, un espace de stationnement.
[8] C’est lors de la reconduction du bail du 1er juillet 2008 au 30 juin 2009 qu’un espace de stationnement ainsi que le nettoyage des escaliers ont été ajoutés comme conditions au bail pour un loyer au montant de 250,00 $.
[9] Les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2017 au 30 juin 2018, à un loyer mensuel de 280,00 $, comprenant le coût de l’espace de stationnement.
[10] À l’appui de sa demande de modification, le locateur soutient que ses besoins ont changé, étant donné qu’en principe, depuis le 31 décembre 2013, il n’a plus accès au droit de passage sur le terrain du voisin pour se rendre à l’arrière de l’immeuble et que l’immeuble est en vente et qu’il désire effectuer une vente sans tracas, sans surprise, ni défaut caché susceptible d’être invoqué par l’acheteur éventuel.
[11] La mandataire du locateur souligne que le locataire stationne son véhicule sur le trottoir de la ville en contravention des règlements municipaux et qu’un tel comportement constitue une nuisance.
[12] Le locateur plaide qu’il est évident que l’espace utilisé par le locataire pour stationner son véhicule ne constitue pas une case de stationnement.
[13] La mandataire produit en preuve, des photos de la façade de l’immeuble (P-2) d’où l’on voit deux véhicules stationnés sur le trottoir et à quelques millimètres du mur de façade de l’immeuble, l’avis de modification de bail (P-3) notifié au locataire, un certificat de localisation (P-4) et une lettre datée du 23 juillet 2013 reçue du propriétaire du terrain vacant voisin de l’immeuble et des photographies (2) du côté Ouest et de l’arrière de l’immeuble où se trouve un garage.
[14] La mandataire du locateur plaide que tel qu’il appert du certificat de localisation produit en preuve (P-4), l’espace de stationnement octroyé au locataire est situé du côté Est de l’immeuble le long du mur (pièce P-4 espace désigné par un X), lequel deviendrait le seul accès possible pour se rendre à l’arrière de l’immeuble.
[15] La mandataire plaide que le refus d’accorder la modification par le retrait de l’espace de stationnement causerait un grave préjudice au locateur qui n’aurait pas d’autre issue - en l’absence du droit de passage sur le terrain du voisin - pour se rendre à l’arrière de l’immeuble.
[16] En réponse à une question soulevée par le Tribunal, la mandataire déclare qu’à sa connaissance, aucune procédure de la part du propriétaire du terrain voisin n’a été reçue par le locateur l’enjoignant de cesser d’utiliser l’accès convenu ou droit de passage sur son terrain.
Preuve du locataire
[17] Le locataire s’objecte à la modification au bail proposée.
[18] Il souligne qu’il est locataire du logement concerné depuis 28 ans.
[19] Il explique que c’est lors de la rédaction d’un nouveau bail en 2001 qu’il y eu retrait de l’espace de stationnement.
[20] En 2008, lors de la reconduction du bail, il y a eu ajout à nouveau d’un espace de stationnement, lequel est situé effectivement du côté Est de l’immeuble.
[21] Le locataire soutient que la demande du locateur est basée sur des prémisses non fondées, qu’il s’agit plutôt de prétextes et qu’une telle modification au bail porte atteinte au droit à son droit au maintien dans les lieux loués.
[22] En contre-interrogatoire, la mandataire du locateur confirme qu’en date de l’audience, le locateur a toujours accès au droit de passage sur le terrain du voisin.
DROIT APPLICABLE
[23] Selon la loi, un locateur a la possibilité de modifier les conditions du bail lors de sa reconduction s’il donne un avis à cet effet au locataire dans les délais prescrits :
« 1942. Le locateur peut, lors de la reconduction du bail, modifier les conditions de celui-ci, notamment la durée ou le loyer; il ne peut cependant le faire que s'il donne un avis de modification au locataire, au moins trois mois, mais pas plus de six mois, avant l'arrivée du terme. Si la durée du bail est de moins de douze mois, l'avis doit être donné, au moins un mois, mais pas plus de deux mois, avant le terme.
Lorsque le bail est à durée indéterminée, le locateur ne peut le modifier, à moins de donner au locataire un avis d'au moins un mois, mais d'au plus deux mois. Ces délais sont respectivement réduits à dix jours et vingt jours s'il s'agit du bail d'une chambre.
1943. L'avis de modification qui vise à augmenter le loyer doit indiquer en dollars le nouveau loyer proposé, ou l'augmentation en dollars ou en pourcentage du loyer en cours. Cette augmentation peut être exprimée en pourcentage du loyer qui sera déterminé par le tribunal, si ce loyer fait déjà l'objet d'une demande de fixation ou de révision.
L'avis doit, de plus, indiquer la durée proposée du bail, si le locateur propose de la modifier, et le délai accordé au locataire pour refuser la modification proposée »[1].
[24] En cas de refus du locataire, le locateur peut alors demander au Tribunal d’autoriser la modification demandée dans le mois de la réception du refus :
« 1947. Le locateur peut, lorsque le locataire refuse la modification proposée, s'adresser au tribunal dans le mois de la réception de l'avis de refus, pour faire fixer le loyer ou, suivant le cas, faire statuer sur toute autre modification du bail; s'il omet de le faire, le bail est reconduit de plein droit aux conditions antérieures »[2].
[25] D’autres articles du Code civil du Québec régissent la relation juridique entre le locateur et le locataire. Le Tribunal se réfère aux articles pertinents à la présente cause notamment :
« 1936. Tout locataire a un droit personnel au maintien dans les lieux; il ne peut être évincé du logement loué que dans les cas prévus par la loi.
1941. Le locataire qui a droit au maintien dans les lieux a droit à la reconduction de plein droit du bail à durée fixe lorsque celui-ci prend fin. Le bail est, à son terme, reconduit aux mêmes conditions et pour la même durée ou, si la durée du bail initial excède douze mois, pour une durée de douze mois. Les parties peuvent, cependant, convenir d'un terme de reconduction différent.
1952. Le tribunal qui autorise la modification d'une condition du bail fixe le loyer exigible pour le logement, compte tenu de la valeur relative de la modification par rapport au loyer du logement »[3].
[26] Quels sont les critères permettant à un locateur de modifier les conditions du bail lors de sa reconduction?
[27] Tout d’abord, il y a lieu de souligner une règle de droit bien établie à l’effet qu’il appartient au demandeur de toute demande en justice de démontrer le bien-fondé de sa demande en établissant les éléments factuels de faits et de droit au soutien de ses prétentions.
[28] En l’instance, il incombe au locateur de prouver le bien-fondé de sa demande en établissant les motifs au soutien de la modification au bail demandée et qu’une telle modification ne porte pas atteinte aux droits personnels du locataire au maintien dans les lieux.
[29] Le Tribunal estime que bien qu’il y ait eu des divergences jurisprudentielles quant aux critères à retenir permettant à un locateur de modifier les conditions d’un bail lors de sa reconduction, la jurisprudence est cependant unanime pour exiger du Tribunal qu’il examine la pertinence de la demande de modification qui lui est présentée, c’est-à-dire, le bien-fondé de la demande.
[30] Bien que la balance des inconvénients soit un élément parmi d’autres que le Tribunal doit évaluer dans l’analyse de la preuve soumise, chaque cas étant un cas d’espèce, le soussigné estime que le Tribunal doit tout de même évaluer les circonstances de chaque cas.
[31] Dans un jugement sur une requête pour permission d’appeler, l’Honorable Juge Jean-F. Keable s’exprimait ainsi sur la balance des inconvénients entre le locateur et le locataire quant à la perte d’un espace de stationnement par le locataire :
« Quant au droit du locataire au maintien dans les lieux loués, la Régie accepte son témoignage selon lequel la perte du stationnement entamerait sérieusement son droit au maintien dans les lieux. La location d’un espace de stationnement est un accessoire au bail. L’espace de stationnement peut avoir une importance variable, selon la localisation de l’immeuble et la situation objective ou subjective du locataire. Le Tribunal ne croit pas qu’il existe de règles générales à cet égard ; chaque cas est un cas d’espèce qui doit être évalué lors des circonstances factuelles prévalant lors de chaque demande de modification »[4].
[32] Le Tribunal estime que les motifs soulevés par le locateur semblent plutôt hypothétiques c’est-à-dire qu’il désire le retrait de l’espace de stationnement pour des considérations personnelles et liées exclusivement au droit de propriété, étant donné que l’immeuble a été mis en vente et craignant un litige potentiel en ce qui a trait à un droit de passage sur le terrain de la propriété voisine et qu’ainsi, à titre de propriétaire, la modification demandée au bail lui serait acquise de plein droit.
[33] La preuve ne soutient pas les prétentions du locateur sur les inconvénients allégués au sujet de la perte du droit de passage sur le terrain du voisin - accès du côté Ouest - et qu’en ce cas, l’espace de stationnement attribué au locataire - accès du côté Est - deviendrait alors le seul accès possible pour se rendre à l’arrière de l’immeuble.
[34] Le locateur demande alors que ces motifs hypothétiques et hautement subjectifs l’emportent sur l’inconvénient créé au locataire par la modification d’une condition du bail - un espace de stationnement - dûment négocié par le locataire et reconduit par la suite.
[35] Dans ces circonstances et pour les motifs mentionnés précédemment, le Tribunal estime que les faits et les arguments du locateur ne permettent pas de lui accorder la modification demandée puisque la demande du locateur est plutôt guidée par des considérations personnelles ou l’exercice abusif de son droit de propriété et qu’une telle modification porte gravement atteinte au droit au maintien dans les lieux du locataire.
[36] Le locateur a produit le formulaire de renseignements nécessaires à la fixation du loyer ainsi que les pièces justificatives et les factures au soutien de ces renseignements.
[37] Après calcul, l’ajustement du loyer permis en vertu du Règlement sur les critères de fixation de loyer[5] est de 10,06 $ par mois, s’établissant comme suit :
Taxes municipales et scolaires |
4,78 $ |
Assurances |
4,82 $ |
Gaz |
0,00 $ |
Électricité |
(0,12 $) |
Mazout |
0,00 $ |
Frais d’entretien |
0,00 $ |
Frais de services |
0,00 $ |
Frais de gestion |
0,10 $ |
Réparations majeures, améliorations majeures, mise en place d’un nouveau service |
0,00 $ |
Ajustement du revenu net |
0,48 $
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TOTAL |
10,06 $ |
[38] CONSIDÉRANT l'ensemble de la preuve faite à l'audience;
[39] CONSIDÉRANT qu’un ajustement mensuel de 10,06 $ est justifié;
[40] CONSIDÉRANT que le Tribunal de la Régie du logement refuse la modification proposée au bail;
[41] CONSIDÉRANT l’absence de preuve justifiant la condamnation du locataire au paiement des frais introductifs de la demande;
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[42] REJETTE la demande de modification quant au retrait de l’espace de stationnement du locataire;
[43] FIXE le loyer, après arrondissement au dollar le plus près, à 290,00 $ par mois du 1er juillet 2018 au 30 juin 2019, comprenant le coût de l’espace de stationnement;
[44] Les autres conditions du bail demeurent inchangées;
[45] Le locateur assume les frais de la demande.
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Me Grégor Des Rosiers, greffier spécial |
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Présence(s) : |
la mandataire du locateur le locataire |
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Date de l’audience : |
25 février 2019 |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.