Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Depatie c. 9385-8959 Québec inc.

2022 QCTAL 16721

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

619077 31 20220314 G

No demande :

3488027

 

 

Date :

09 juin 2022

Devant la juge administrative :

Manon Talbot

 

Thérèse Depatie

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

9385-8959 Québec Inc.

 

Locatrice - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         La locataire demande au Tribunal d’ordonner à la locatrice de céder le bail à son fils, Stéphane Depatie.

[2]         La locataire est absente à l’audience et est représentée par son fils, Stéphane Depatie.

[3]         Les parties sont liées par un bail reconduit d’année en année depuis près de 31 ans.

[4]         Âgée de 92 ans, la locataire habite avec son fils depuis environ un an.

[5]         Celui-ci explique que sa mère veut continuer leur cohabitation, car elle a besoin de son soutien.

[6]         Pour sa part, il souhaite devenir locataire au bail, car en cas de décès de sa mère ou si elle doit partir du logement pour être hébergée en résidence, il verra ses droits protégés.

[7]         Le représentant de la locatrice, Sergio Gomes, refuse la cession de bail.

QUESTION EN LITIGE

[8]         Le refus de la locatrice est-il justifié?

CONTEXTE ET PREUVE

[9]         La preuve révèle qu’un avis de cession de bail en faveur de Stéphane Depatie est transmis à la locatrice le 24 février 2022.

[10]     La locatrice répond le 1er mars qu’elle refuse la cession de bail proposée. Dans sa lettre de refus, elle énumère une série de motifs concernant le comportement du fils de la locataire.

[11]     Essentiellement, les motifs concernent les litiges survenus avec monsieur Depatie, le fils de la locataire, en lien avec le logement de l’immeuble duquel il a été expulsé.

[12]     Il n’est pas contesté que monsieur Depatie occupait le logement 204 du même immeuble concerné depuis de nombreuses années.


[13]     Selon les jugements déposés en preuve par les parties, il ressort que par décision rendue le 10 mars 2021, la Cour supérieure déclarait illégale l’occupation du logement par monsieur Depatie et ordonnait à ce dernier de délaisser l’immeuble dans le délai imparti de cinq jours de la signification de la décision, à défaut de quoi la locatrice était autorisée à procéder à son expulsion.

[14]     Le représentant de la locatrice exhibe un procès-verbal de l’huissier du 18 mars 2021, lequel écrit :

« CONSTATANT que la partie condamnée n’a pas obtempéréé à l’avis d’exécution, j’ai procédé à L’EXPULSION IMMÉDIATE de la partie condamnée et MIS LA PARTIE CRÉANCIÈRE EN POSSESSION DES LIEUX. » (sic)

[15]     Il n’est pas non plus contesté que les parties ont d’autres litiges devant les tribunaux.

[16]     Monsieur Depatie réplique que ces autres litiges ne sont pas pertinents pour décider de la cession de bail, car il a les moyens financiers pour assumer le loyer.

ANALYSE DES FAITS ET APPLICATION DU DROIT

[17]     La cession de bail est régie par les articles 1870 et 1871 C.c.Q.[1]

[18]     En vertu de ces dispositions, un locataire a le droit de céder son bail, mais il doit en aviser par écrit le locateur en indiquant le nom et l'adresse de la personne intéressée par la cession, dans le but de requérir son autorisation.

[19]     Il appartient alors au locateur d'effectuer les vérifications qui s'imposent et de transmettre les motifs sérieux justifiant son refus, s'il y a lieu, et ce, dans le délai imparti. À défaut d'agir ainsi, le locateur est présumé avoir consenti à la cession.

[20]     La cession de bail, si elle est acceptée, décharge le locataire de ses obligations découlant du bail (art. 1873 C.c.Q.).

[21]     En l’instance, la question de la solvabilité et de la capacité de payer du cessionnaire, souvent invoquée comme motif de refus, n’est pas en cause, même si la locatrice invoque les pertes financières subies pour faire valoir ses droits et obtenir l’expulsion de monsieur Depatie.

[22]     Les parties se reprochent mutuellement leur manque de bonne foi dans le processus de cession de bail et durant leurs recours devant la justice.

[23]     Rappelons que la cession du bail est un droit consenti par la loi et une des composantes du droit au maintien dans les lieux. Le locateur ne peut mettre en échec ce droit hormis les cas prévus à la loi[2].

[24]     En l’instance, si l’intention de monsieur Depatie est de protéger ses droits dans le logement advenant le départ de sa mère, il existe d’autres recours prévus à cet égard.

[25]     Pour l’heure, le Tribunal doit analyser si la locatrice a fait valoir de bons motifs pour refuser la cession de bail, et il estime que oui.

[26]     Comme le mentionne ma collègue, la juge administrative Francine Jodoin, le refus de la locatrice peut être fondé sur le comportement antérieur du cessionnaire s’il est pertinent au contexte locatif. La soussignée souscrit à ses propos :

[22] Les raisons qui amènent un locateur à refuser la cession doivent être sérieuses. On considère généralement que le refus du locateur peut être fondé sur la qualité même du cessionnaire, la situation financière du cessionnaire, son insolvabilité ou son défaut de se conformer aux obligations découlant du bail(5).

[23] Mentionnons, a priori, que l'article 1870 du Code civil du Québec oblige le locataire à donner le nom et l'adresse du cessionnaire uniquement. Dès lors, il appartient au locateur de faire les démarches nécessaires afin de recueillir les renseignements pertinents dans le cadre et le respect de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé(6) qui impose certaines limites et des balises qui encadrent la quête de renseignements du locateur.

[24] Dans les limites de cette loi et dans le contexte d'une cession, il ne fait aucun doute que le locateur peut requérir des informations pertinentes sur l'identité du cessionnaire, son comportement locatif ou encore ses habitudes de paiement.

[25] Ainsi, en règle générale(7), le locateur peut obtenir des renseignements personnels au moment de la cession, et ce, dans le respect du droit à la vie privée, du caractère nécessaire(8) de ceux-ci. Il va de soi que ces règles qui s'appliquent généralement lors de la location de logement se transposent au moment d'une cession(9), le cessionnaire devenant, par l'effet de la loi, le locataire du logement.

[26] Le Tribunal se doit d'apprécier le refus suivant les informations obtenues et appréciées par le locateur et qui ont conduit à sa décision. [3] 

(Soulignements ajoutés et références omises)

[27]     En l’instance, le Tribunal estime que le motif de refus fondé sur les litiges récents entre la locatrice et le cessionnaire est objectivement sérieux et donc valide.

[28]     La demande de la locataire est donc rejetée.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[29]     DÉCLARE que la locatrice a refusé la cession de bail pour un motif sérieux, et en conséquence;

[30]     REJETTE la demande de la locataire qui en assume les frais.

 

 

 

 

 

 

 

 

Manon Talbot

 

Présence(s) :

le mandataire de la locataire

le mandataire de la locatrice

Date de l’audience : 

4 avril 2022

 

 

 


 


[1] « 1870. Le locataire peut sous-louer tout ou partie du bien loué ou céder le bail. Il est alors tenu d'aviser le locateur de son intention, de lui indiquer le nom et l'adresse de la personne à qui il entend sous-louer le bien ou céder le bail et d'obtenir le consentement du locateur à la sous-location ou à la cession.» « 1871. Le locateur ne peut refuser de consentir à la sous-location du bien ou à la cession du bail sans un motif sérieux. Lorsqu'il refuse, le locateur est tenu d'indiquer au locataire, dans les quinze jours de la réception de l'avis, les motifs de son refus; s'il omet de le faire, il est réputé avoir consenti. »

[3] Bérubé-Therien c. Mikula 2020 QCTAL 7074.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.