Décision

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Pelchat c. Coopérative Claire Fontaine

2025 QCTAL 8517

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Québec

 

No dossier :

764390 18 20240215 G

No demande :

4200892

 

 

Date :

10 mars 2025

Devant la juge administrative :

Chantale Trahan

 

Anne-Marie Pelchat

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

Coopérative Claire Fontaine

 

Locatrice - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

  1.                 Par une demande introduite le 15 février 2024, la locataire demande une diminution de loyer de 75 $ par mois pour 36 mois (2 700 $), des dommages-intérêts de 10 500 $ résultant des bruits abusifs et soutenus de ses voisins, une ordonnance de faire cesser le trouble, l’exécution provisoire malgré l’appel, de même que la condamnation aux frais.

Contexte

  1.                 Les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2018 au 30 juin 2019, reconduit chaque année, jusqu’au 30 juin 2025, au loyer actuel de 1 232,00 $ par mois. La locataire paie actuellement un loyer de 616 $ par mois, qui est le prix membre de la coopérative.
  2.                 Il s’agit d’un immeuble de 43 logements.

Preuve de la locataire Anne-Marie Pelchat

  1.                 Madame Pelchat relate que le conflit a débuté en 2019 avec madame Sylvie Doyon, sa voisine. Elle a dénoncé la situation en décembre 2019 en assemblée générale. Elle s’est sentie humiliée par une intervention de madame Doyon lors de cette dite assemblée générale.
  2.                 Elle a parlé plusieurs fois au mari de madame Doyon, monsieur Yves Joli. En février 2020, les coups ont débuté dans le mur mitoyen. Madame Pelchat craignait de l’appeler directement en raison de son intervention en assemblée générale. Elle relate que madame Doyon peut cogner quotidiennement, alors qu’elle effectue des tâches courantes, comme faire la vaisselle.

  1.                 En mai 2020, elle demande de l’aide au « comité de bon voisinage » de la coopérative, afin de régler le litige avec madame Doyon. Elle comprend que madame Doyon ait pu être incommodée par sa propre musique en raison du manque d’insonorisation de l’immeuble. Monsieur Francis Gagnon, membre du comité, a réglé la situation par téléphone. Après son intervention, elle a baissé le volume de sa musique et madame Doyon devait cesser ses coups. Madame Doyon a continué à faire du « bardassage » et à reprendre les coups dans les murs dès le 1er décembre 2020. Elle ne sait pas ce qu’elle fait, mais c’est dérangeant, ce sont des bruits volontaires et inhabituels, comme déposer des choses de façon bruyante et de façon volontaire.
  2.          Madame Pelchat rédige sa 2e dénonciation en décembre 2020. En janvier 2021, elle s’adresse à Rémi Harvey, président du conseil d’administration (C.A.), qui la retourne au « comité de bon voisinage » et cette fois elle rencontre les deux membres du comité, Johanne et Francis (janvier 2021). Suite à leur intervention, madame Pelchat diminue à nouveau le volume de sa musique.
  3.                 Avec de l’insistance, elle sollicite à nouveau le C.A. et elle rencontre René Brisson le 19 mai 2021. Ce dernier est d’avis que ce n’est qu’un conflit de personnalités entre deux voisins. Ça se conclut par une lettre du 30 juin 2021, qu’elle est accusée de faire du trouble à madame Doyon. Lorsqu’elle reçoit cette lettre, elle considère que c’est un tissu de mensonges, car sa musique n’est pas forte. Elle a refusé d’accuser réception par une signature et elle voulait encore moins s’engager à prendre des actions telles que demandées dans la lettre.
  4.                 Madame Pelchat explique qu’à ce moment, elle a eu peur de perdre son logement. Elle prend des informations auprès d’avocats. Depuis 3 ans, elle a cessé de faire jouer sa musique et malgré tout, les coups dans les murs ont continué. Elle conclut que ce n’est plus à cause de la musique, mais bien d’une vendetta dirigée contre elle.
  5.             En juillet 2021, elle a l’information que le dossier était fermé, car pour madame Doyon et son mari la situation est correcte pour eux. Toutefois, elle reproche au comité de ne pas avoir vérifié sa position à elle avant de fermer le dossier.
  6.             En janvier 2022, elle fait l’achat d’écouteurs pour ne plus entendre les coups de ses voisins. Elle sentait encore la vibration des coups. Le 15 mai 2022, elle est dans l’ascenseur et messieurs Brisson et Fèvre l’ont barricadée dans l’ascenseur. Elle considère cette manœuvre comme une forme d’intimidation, car ils n’ont pas voulu qu’elle sorte, même si elle insistait pour ce faire.
  7.             En juin 2022, elle contacte la Fédération des coopératives qui suggère une médiation (non gratuite). Elle consulte aussi au Centre de justice de proximité.
  8.             En décembre 2022, un point de l’ordre du jour a été ajouté à l’assemblée générale, soit la question de bruit entre voisins. Madame Pelchat s’est levée et a dénoncé les agissements de ses voisins lors de cette assemblée, suscitant la colère de madame Doyon et de son mari. Elle se rappelle qu’on ne l’écoute pas et on lui rappelle qu’elle avait des engagements à rencontrer.
  9.             Le 7 janvier 2023, monsieur Joli a installé une caméra à l’extérieur de sa porte. Elle est épiée et toutes ses allées et venues sont filmées. Elle considère qu’il s’agit d’une forme d’harcèlement.
  10.             Elle a demandé une rencontre avec  Équi-Justice le 7 février 2023, et madame Doyon a refusé de participer à la médiation.
  11.             Le 16 août 2023, elle écrit à ses voisins pour enterrer la hache de guerre, sans résultat. Cette lettre n’a pas eu d’effet. Elle considère qu’elle est harcelée par ses voisins et qu’elle subit de l’intimidation, en plus de vivre beaucoup de stress.
  12.             Le 29 janvier 2024, elle a transmis une mise en demeure via une avocate.
  13.             Madame Pelchat dépose 2 enregistrements audio des mois de mars et mai 2023 et des vidéos prises les 4 octobre 2023 et 15 janvier 2024. Elle explique que généralement les coups sont donnés là où elle se trouve dans le logement. De plus, Madame Doyon peut aussi claquer les portes d’armoire. Les coups peuvent durer 45 minutes de temps.

  1.             Madame Pelchat reproche l’inaction de la coopérative. Ils ne se sont pas donné la peine de faire des vérifications chez elle. La situation a perduré même après certaines actions.
  2.             Madame Pelchat sait que la coopérative peut intervenir pour le bruit, car elle cite des exemples de conflits entre locataires qui ont été résolus par leur intervention. Ils ont fait des vérifications dans le logement et la situation s’est réglée. Madame Pelchat reproche à la coopérative de ne pas s’être déplacée pour venir voir et constater les bruits dans son logement, car ils auraient pu les entendre. Elle aurait demandé à Francis Gagnon de venir voir en 2021, mais il ne l’a pas fait.
  3.             Madame Pelchat explique au Tribunal que la présente démarche est son dernier recours. Elle a attendu pour agir, car à chaque plainte elle recevait des représailles à chaque fois. Il y a une haine et une colère contre elle alimentées par madame Doyon depuis plusieurs années, ce qui crée un climat hostile. À titre d’exemple, elle indique qu’elle n’est plus saluée par les autres, qu’elle est ignorée et boudée. Depuis le dépôt de sa demande, les coups dans le mur mitoyen se sont amplifiés. Elle se fait réveiller par des coups, parfois de l’autre côté, par ses autres voisins. Elle doit porter des écouteurs le jour et des bouchons la nuit. Elle a dû quitter son logement le 11 juillet dernier, car les coups se sont intensifiés et étaient devenus intolérables.

Conséquences

  1.             Madame Pelchat reçoit des coups, peu importe ce qu’elle fait dans son logement, en vaquant à des occupations normales et quotidiennes. Madame Doyon a même crié à travers le mur de son logement le 26 juin 2022, alors qu’elle était en train de moudre du café. Tout peut faire déclencher les coups et des accès de colère de madame Doyon.
  2.             Madame Pelchat est traumatisée, stressée et angoissée. Elle a l’impression que peu importe ce qu’elle fait c’est assourdissant pour les autres. Les voisins savent lorsqu’elle est dans le logement avec les caméras, ils peuvent savoir si elle est entrée ou sortie.
  3.             Elle explique qu’elle a une condition médicale qui demande beaucoup de repos. Elle a des symptômes amplifiés et elle ne peut pas se reposer chez elle. Elle a des coups de bienvenue et reçoit des coups de façon constante. La violence est quotidienne et elle ne se sent pas en sécurité chez elle. Son équilibre psychologique est affecté et elle a moins de tolérance. Elle est en invalidité et ne travaille qu’à temps très partiel.
  4.             Depuis sa demande au Tribunal administratif du logement (TAL,) c’est un enfer et elle dénonce que madame Doyon continue d’agir en toute impunité. Sa qualité de vie est médiocre. Elle songe à déménager, car elle ne peut plus vivre comme ça.
  5.             Elle subit des représailles, les humiliations publiques de madame Doyon, des menaces du conseil d’administration. Par exemple, une demande de travaux ou d’interventions est laissée sans réponse, elle vit de l’intimidation, les caméras sont laissées sur place, elle est d’avis d’être victime d’une campagne de salissage de la coopérative et du harcèlement. Dernièrement, au printemps 2024, monsieur Fèvre est entré et a pris beaucoup de temps à sortir malgré son insistance, car elle n’était pas habillée. Suite à cet événement, elle est entrée au Centre de crise. De plus, son père a installé un loquet sur la porte pour qu’elle se sente en sécurité dans son logement.
  6.             Elle demande une ordonnance de pouvoir bénéficier de la jouissance paisible de son logement et que les murs mitoyens soient tranquilles et exempts de tapage volontaire. Elle ne veut plus de menaces et d’intimidation de la part de membres du C.A., ni de campagne de salissage. Elle veut vivre tranquille et en sécurité dans son logement.
  7.             Elle a reçu une lettre pour peindre son balcon, à défaut que cela lui couterait 600 $. Elle considère cet avis comme du harcèlement.
  8.             Elle réclame une diminution de loyer de 75 $ pour une période de 36 mois.
  9.             Elle réclame des dommages moraux de 10 500 $ en raison des agissements de madame Doyon et des représailles et des conséquences qu’elle subit.

  1.             Elle réclame le remboursement des frais de 337,51 $, incluant les frais de mise en demeure qu’elle a engagés auprès de son avocate au montant de 250 $.
  2.             En contre-interrogatoire, elle considère qu’elle est en conflit ouvert avec sa voisine depuis 2019, la première année s’étant déroulée sans anicroches. Les bruits ses sont intensifiés avec les années, qui étaient répétés et constants, allant jusqu’à une heure de temps. Elle qualifie le bruit comme un tintamarre, car ça résonne dans tout l’appartement. Elle avoue qu’elle a une condition psychologique fragile préexistante et l’aggravation résulte des problèmes qu’elle vit dans son logement.
  3.             Elle a cessé ses tâches de la coopérative en janvier 2024 en raison du harcèlement subit par les membres du C.A., dont monsieur Gouge. À l’heure actuelle, elle est toujours en suspension de ses tâches au sein de la coopérative et son billet médical (P-2) a été reconduit.
  4.             L’autre couple voisin a aussi commencé à faire du bruit qui s’est amplifié après la remise de l’audience en juillet 2024. Elle a écrit au maitre des rôles du TAL, car elle a vécu entre les 5 et le 11 juillet (date de son départ) des bruits infernaux de leur part.
  5.             En 2011, madame habitait la coopérative au rez-de-chaussée, à l’appartement 106, dans la partie centrale de l’immeuble. Elle n’a jamais eu de plainte durant toutes ces années. De plus, au cours des années passées, il est arrivé à deux reprises en 2016 et 2017 que madame Pelchat suspende ses activités de la coopérative pour des raisons de santé.

Témoignage de Maeva Le Berre

  1.             Madame Le Berre est intervenante avec l’organisme Océan depuis octobre 2020, qui fait un suivi S.I.V. (Suivi intensité variable), en lien avec des gens ayant une problématique de santé mentale. Elle a un suivi hebdomadaire avec madame Pelchat depuis juin 2022.
  2.             Madame connait les difficultés que vit madame Pelchat dans son logement, car elle lui en a fait part. Elle soutient que ces difficultés ont un impact chez elle, car elle ne se sent pas en sécurité dans le logement. C’est la seule personne pour qui elle ne peut pas la rencontrer à son domicile et elle n’a jamais pu se rendre dans son logement pour cette raison.
  3.             Elle a constaté qu’au fil du suivi, que madame Pelchat a une peur et une anxiété constantes, elle a de la difficulté à effectuer ses taches de la vie quotidienne. Elle lui a proposé des stratégies, mais l’environnement dans lequel elle vit ne lui permet pas de mettre en place les stratégies suggérées pour la gestion de l’anxiété. Madame Pelchat lui a montré des vidéos de la violence qu’elle vit et selon madame Le Berre, madame Pelchat est victime d’intimidation depuis trop longtemps.

Preuve de la coopérative

Témoignage de monsieur Richard Gouge

  1.             Il est à la coopérative depuis octobre 1983. Il a habité 4 logements au cours de toutes ces années. C’est un immeuble construit en 1932, une ancienne école des infirmières de Hôpital Jeffery Hale
  2.             L’aile Est de l’immeuble a été construite en 1982 et comprend 9 logements. L’immeuble n’est pas insonorisé et n’a pas été conçu initialement pour la résidence. La provenance des sons est difficile à déterminer de surcroit. Monsieur Gouge mentionne qu’une voisine est déménagée, car elle considérait qu’il faisait du bruit. La tolérance est variable également d’un individu à l’autre.
  3.             Il s’agit d’une coopérative à majorité de personnes seules et ayant de faibles revenus, ou avec des revenus moyens. La coopérative préconise la bonne entente entre ses membres, par une vie communautaire et de collaboration. Il y a, au sein de la coopérative, un comité de bon voisinage.
  4.             Monsieur Gouge relate qu’il s’est impliqué à nouveau sur le conseil d’administration en janvier 2023, qu’il avait délaissé depuis 2018. Auparavant, il y avait été membre durant 25 ans. Il n’a jamais entendu parler du dossier de madame Pelchat avant la mise en demeure de janvier 2024 et il a été surpris de cette lettre. La coopérative a décidé de ne pas donner suite à la mise en demeure.
  5.             Lorsqu’il a entendu les enregistrements de bruits de madame Pelchat, il croit plutôt que les coups sont mécaniques et non intentionnels. Ils ont cherché et croient qu’ils ont trouvé la source, qui proviennent peut-être du sol de l’immeuble. Pour lui, c’est du bruit de voisinage normal.

  1.             En contre-interrogatoire, il indique qu’il a déjà été voisin au-dessus de madame Doyon et il a entendu la guitare une fois. Il pouvait également entendre des bruits provenant de voisins en biais.
  2.             En décembre 2022, il était présent à l’assemblée générale lorsque madame Pelchat a fait une dénonciation. Il rappelle que durant la pandémie, les membres du conseil d’administration ne pouvaient pas aller voir dans le logement, comme semble le reprocher madame Pelchat.

Témoignage de Rémi Harvey

  1.             Monsieur Harvey a été président de la coopérative de 2018 à 2022. Il habite l’immeuble depuis plus de 10 ans et réside l’appartement au-dessus de madame Pelchat depuis au moins 6 ans.
  2.             Il connait madame Pelchat comme voisine et pour l’avoir côtoyée sur le conseil d’administration de la coopérative.
  3.             Il sait qu’il y a un conflit entre madame Doyon et madame Pelchat depuis juin 2020. Le C.A. a eu connaissance des plaintes de madame Pelchat, prises d’abord en charge par le comité de bon voisinage, qui a établi une médiation entre les parties.
  4.             Lorsque madame Doyon a fait une plainte elle aussi en décembre 2020 et en février 2021 (par écrit), le comité bon voisinage a de nouveau été sollicité, et un rapport écrit a été produit en avril 2021. Les conclusions du rapport étaient ambiguës, de là l’intervention de monsieur René Brisson du C.A. qui a discuté avec les parties et qu’il en est venu aux mêmes conclusions, soit que madame Pelchat savait qu’elle incommodait sa voisine et qu’elle ne prenait pas toutes les mesures pour régler les conflits. La Fédération des coopératives leur a suggéré de transmettre une lettre aux deux locataires, madame Pelchat et madame Doyon, rappelant les obligations de chacune, ce qui a été fait le 30 juin 2021.
  5.             Monsieur Harvey explique que la source du problème était la musique trop forte de madame Pelchat et madame Doyon répliquait par des coups et du « bardassage ». Le 2 juillet 2021, madame Doyon a considéré que le dossier était clos, car la musique de madame Pelchat était devenue tolérable depuis un bon moment (extrait du P.V. du 2 juillet 2021).
  6.             Depuis le 2 juillet 2021, et jusqu’au mois d’octobre 2022, date de son départ du C.A., monsieur Harvey n’a pas eu d’autres plaintes à ce sujet.
  7.             Monsieur Harvey confirme que l’immeuble est très peu insonorisé. Il peut arriver qu’il ait dérangé un voisin et qu’il entende lui-même des bruits des autres logements. Il n’entend pas plus de bruits excessifs que les bruits normaux des logements aux alentours de son logement. Il lui est arrivé qu’il entende des bruits de même nature que ceux que madame Pelchat a perçus et captés par elle sur sa preuve audio. Après vérification, il s’agissait selon lui d’un bruit mécanique de tuyaux. Une autre fois, il a constaté le même bruit alors que les occupants du logement de madame Doyon étaient absents.
  8.             En contre-interrogatoire, monsieur Harvey confirme que la source du conflit était dès le départ la musique trop forte de madame Pelchat. Il a aussi entendu parler du dossier en décembre 2022 alors qu’il était président d’assemblée spéciale à ce moment. Il confirme qu’il peut entendre des sons provenant un peu partout des logements de l’immeuble. Il n’a pas entendu des bruits assourdissants du logement de monsieur Réjean Thériault qui est l’autre voisin de madame Pelchat.
  9.             Pour régler les conflits entre locataires, il fait confiance au comité de conciliation de la coopérative. Madame Pelchat reproche à monsieur Harvey de ne pas avoir vérifié dans son appartement les bruits et dans les logements du voisinage, mais monsieur Harvey mentionne qu’en raison de la pandémie, il ne pouvait pas le faire à cette époque.
  10.             Madame Pelchat a aussi dénoncé à monsieur Harvey qu’il a marché fort sur son plancher à 2 reprises. Il n’a pas fait exprès pour cela, mentionnant à madame Pelchat qu’il ne fait que marcher normalement, tout en vaquant à ses occupations.

Témoignage de Sylvie Doyon

  1.             Madame Doyon est locataire au sein de la coopérative depuis 19 ans et elle habite le logement à côté de celui de madame Pelchat, depuis 2008.

  1.             Elle est retraitée depuis 2019 et se retrouve dans le logement plus souvent malgré quelques occupations.
  2.             Elle raconte qu’à un certain moment, la musique de madame Pelchat était très forte en 2020. Son mari a téléphoné, madame Pelchat, sans réponse. Comme ça continuait et que la musique était très dérangeante, elle a cogné une fois dans le mur et elle a « bardassé » en fermant son panneau d’armoire dans la salle de bain. Cette situation est arrivée quelques fois. Par la suite elle a arrêté de répliquer à la suite de l’intervention du comité du bon voisinage. En 2021 le problème était réglé, mais en 2023 madame Pelchat est revenue avec la problématique. Tout ce que madame Pelchat peut entendre dans son logement, elle s’en plaint selon elle, et elle croit que le bruit provient de chez elle. Pourtant, madame Doyon affirme qu’elle vit normalement et qu’elle ne fait aucun tintamarre. Depuis 2021 elle n’entend plus la musique, elle s’est engagée en janvier 2021 et elle a tenu sa parole de ne plus répliquer au bruit. Madame Doyon croit que madame Pelchat veut se venger d’elle.
  3.             Madame Doyon explique qu’elle répliquait au bruit et qu’elle-même ne fait pas de bruit outre mesure. Elle n’a jamais répliqué autre que la musique de madame Pelchat. Elle nie avoir répliqué pour le bruit de vaisselle ou autre chose.
  4.             En janvier 2021, madame Doyon a décidé de déposer une plainte écrite au C.A. Elle prend l’engagement de noter plutôt les bruits de sa voisine avec les dates au lieu de « bardasser ». Elle a noté à quelques reprises le bruit et depuis le 20 mars 2021 elle n’entend plus de musique de madame Pelchat. Madame Doyon relate qu’au début madame Pelchat a refusé la proposition de porter un casque d’écoute, car elle voulait s’entendre chanter.
  5.             Une autre fois, madame Doyon relate qu’il lui est arrivé de croiser madame Pelchat dans le corridor et qu’elle a dû se tasser pour ne pas que madame Pelchat fonce sur elle. À une autre occasion en assemblée générale, elle a entendu madame Pelchat dénoncer le bruit devant tout le monde. Elle et son mari ont quitté l’assemblée à ce moment.
  6.             Elle ne comprend pas que madame Pelchat se plaigne qu’elle cogne, elle ne fait que vivre normalement. L’immeuble est mal insonorisé et elle entend des bruits des autres logements, comme lorsque madame Pelchat fait sa vaisselle. Elle n’a jamais crié après elle au travers du mur, comme madame Pelchat le prétend.
  7.             Elle a reçu une lettre de madame Pelchat le 16 août 2023, et selon elle, il n’y a pas de guerre entre elle et madame Pelchat. Elle est lassée de cette situation et elle est d’avis qu’il va falloir que ça cesse. Madame Doyon quant à elle préfère ne pas lui adresser la parole et elle essaie de l’éviter le plus possible.
  8.             Elle est affirmative qu’elle n’a pas demandé à des voisins de faire du bruit à sa place pour incommoder madame Pelchat.
  9.             Elle était avec monsieur Frève lorsqu’il a toqué à la porte du logement de madame Pelchat pour qu’un électricien aille faire des travaux à l’intérieur de son logement. Elle affirme que monsieur Frève ne s’est pas introduit dans le logement et qu’il a attendu que madame Pelchat lui ouvre la porte. Elle était présente, car elle fait partie du comité de maintenance de la coopérative, et c’est pour ça qu’ils ont comme politique d’être toujours deux pour se rendre aux logements des locataires avant d’ouvrir une porte. Madame Doyon a aussi transmis une lettre similaire à celle transmise à madame Pelchat comme à 3 autres locataires, leur rappelant de peinturer leur balcon, car ils manquaient d’entretien. Elle s’est occupée aussi des abeilles en août 2023, suite à une demande de madame Pelchat et elle s’est assurée d’un suivi rapide, car le traitement par Maheu & Maheu a été fait en 3 ou 4 jours.
  10.             Selon madame Doyon, les bruits qui pouvaient être entendus par madame Pelchat provenaient des coups de bélier de sa laveuse à linge et madame Doyon a changé l’appareil en juillet 2024. Quand elle « bardassait », madame Pelchat appelait son mari pour lui dénoncer le bruit.

Témoignage de Réjean Thériault

  1.             Monsieur Thériault habite l’appartement 208, dans le même immeuble que madame Pelchat, et ce, depuis 18 ans. Il fait de l’entretien au sein de la coopérative. Il précise que l’insonorisation en général de l’immeuble est défaillante. Il soutient que personne ne lui a demandé de faire du bruit pour déranger madame Pelchat ou d’autres voisins. Son logement est au-dessus de la buanderie.

  1.             Il n’a pas été convoqué par le conseil d’administration (C.A.) de la coopérative concernant son comportement et il ne lui a pas été demandé de cesser un comportement problématique par les membres du C.A.

Témoignage de Yves Joli

  1.             Monsieur est le conjoint de madame Doyon, il habite dans le logement situé à côté de celui de madame Pelchat. Il fait partie du comité de maintenance au sein de la coopérative, depuis une trentaine d’années.
  2.             Il explique que vers 2020, lui et sa conjointe se sont plaints de la musique de madame Pelchat. À 2 reprises, il se rappelle que madame Pelchat lui a téléphoné concernant le bruit. Madame Pelchat ne voulait pas d’écouteurs, car elle vouait s’entendre chanter. À une occasion, il est intervenu pour qu’elle baisse sa musique et il a tenté de discuter avec elle, sans résultats. Il affirme qu’il n’a jamais fait du bruit intentionnellement, mais il peut arriver qu’il prenne des outils dans l’espace de rangement de son logement et cela peut faire du bruit. À cet égard, il se rappelle avoir déplacé un meuble et cela avait dérangé madame Pelchat.
  3.             Il a entendu les extraits audios de madame Pelchat déposés en preuve et selon lui il s’agit d’un bruit mécanique. En dessous de leur logement, ce sont les espaces de rangement et la salle de maintenance et les tuyaux qui passent au plafond. Monsieur Joli précise aussi qu’il a changé sa laveuse en 2024 pour une moins bruyante. Il se considère ne pas avoir été en conflit avec madame Pelchat. Pour lui, la question du bruit de musique est réglée depuis 2021.
  4.             Il peut entendre des bruits normaux provenant des logements du haut, car l’immeuble n’est pas très insonorisé. Il a été convoqué par le C.A. en 2024 par monsieur Gouge. Il ne se rappelle pas que le C.A. ait visité son logement concernant les bruits. 

Témoignage de René Brisson

  1.             Monsieur Brisson réside à la coopérative depuis 1983 et il habite à l’appartement 310, situé en biais avec celui de madame Pelchat. En 2021, il était membre du C.A. et il a fait un rapport le 2 juin 2021 après la rencontre qu’il a faite avec madame Pelchat et madame Doyon, séparément, en partant des données inscrites dans le rapport précédent de monsieur Francis Gagnon. Monsieur Brisson a constaté des manquements aux engagements inclus dans le rapport de monsieur Gagnon, et il a noté un manque de volonté de madame Pelchat de vouloir s’entendre avec sa voisine. Il nie avoir fait de l’intimidation à madame Pelchat concernant l’événement où il aurait empêché madame Pelchat de sortir de l’ascenseur. Il a demandé aux 2 parties de régler le trouble de bruit. Selon monsieur Brisson, madame Doyon ne faisait plus de répliques de bruit dans les murs depuis longtemps.
  2.             Il n’entend pas des bruits excessifs dans l’immeuble autres que les bruits normaux de la vie quotidienne.

Témoignage de Georges Frève

  1.             Monsieur Frève habite la coopérative depuis 1988 et son logement se situe de biais avec celui de madame Pelchat, mais au 4e étage. Il indique que l’insonorisation de l’immeuble est médiocre. Il entend régulièrement des bruits normaux de la vie de tous les jours. Il est présentement membre du conseil d’administration de la coopérative depuis janvier 2023.
  2.             En 2020, il relate avoir été en visite chez madame Doyon et chez monsieur Joli. Ils ont entendu la musique de madame Pelchat et monsieur Joly a toqué à sa porte, sans réponse, et il a fini par laisser un message sur le répondeur téléphonique.
  3.             Durant la pandémie, il prenait des marches avec madame Doyon et elle lui disait vouloir maintenir son engagement de ne pas frapper dans le mur. Il a eu connaissance que madame Pelchat a fait preuve d’intimidation à l’égard de madame Doyon un moment donné, en marchant à l’extérieur, droit devant elle, et madame Doyon a dû faire un mouvement de l’épaule pour l’esquiver.
  4.             Monsieur Frève explique qu’il fait régulièrement des accompagnements avec des locataires au sein de la coopérative, par exemple lors de travaux. À cet égard, il était présent lors de la visite de l’électricien dans le logement de madame Pelchat. Il affirme ne pas être entré dans le logement, mais a attendu à l’extérieur que madame Pelchat lui ouvre la porte. Madame Doyon était aussi présente, mais se trouvait dans l’angle mort, non visible pour madame Pelchat.

  1.             Il ne se souvient pas de l’histoire de l’ascenseur en compagnie de monsieur Brisson.
  2.             Il a pris connaissance de la mise en demeure de janvier 2024 lors d’une réunion du C.A. Madame Doyon était présente, mais le président monsieur Gouge l’a invité à sortir lorsqu’ils ont discuté du point la concernant à l’ordre du jour. Elle est parfois présente lorsqu’ils en discutent de façon générale.

Question en litige

  1.                La locataire a-t-elle droit à une diminution de loyer?
  2. La locataire a-t-elle fait la preuve que la locatrice a commis une faute, justifiant l’octroi de dommages moraux et punitifs?
  3.                Le Tribunal doit-il ordonner à la locatrice de faire cesser le trouble?

Analyse et décision

  1.             Le Tribunal tient à souligner qu’il appartient à celui qui veut faire valoir un droit de prouver les faits qui soutiennent sa prétention, et ce, de façon prépondérante. Ainsi, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante, la preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante. La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du Tribunal.
  2.             Le degré de preuve requis ne réfère pas à son caractère quantitatif, mais plutôt qualitatif. La preuve testimoniale est évaluée en fonction de la capacité de convaincre des témoins et non pas en fonction de leur nombre.
  3.             Le plaideur doit démontrer que le fait litigieux est non seulement possible, mais probable et il n'est pas toujours aisé de faire cette distinction. Par ailleurs, la preuve offerte ne doit pas conduire à une certitude absolue, scientifique ou mathématique. Il suffit que la preuve rende probable le fait litigieux.
  4.             Si une partie ne s'acquitte pas de son fardeau de convaincre le tribunal ou que ce dernier soit placé devant une preuve contradictoire, c'est cette partie qui succombera et verra sa demande rejetée[1].

« Celui sur qui repose l'obligation de convaincre le juge supporte le risque de l'absence de preuve, c'est-à-dire qu'il perdra son procès si la preuve qu'il a offerte n'est pas suffisamment convaincante, ou encore si la preuve offerte de part et d'autre est contradictoire et que le juge se trouve dans l'impossibilité de déterminer où se trouve la vérité. »[2]

Obligations découlant d'un bail de logement

  1.             L’article 1854 du Code civil du Québec (C.c.Q.) édicte ce qui suit :

« 1854. Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.

Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l'usage pour lequel il est loué, et de l'entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail. »

  1.             Ainsi, le locateur est tenu de procurer la jouissance paisible du bien loué pendant la durée du bail. Il est garant de fournir un logement qui serve à l'usage pour lequel il a été loué. Il doit faire toutes les réparations nécessaires, à l'exception des menues réparations d'entretien, et maintenir le logement en bon état d'habitabilité.
  2.             Si un locataire prouve que le locateur a failli à ses obligations, il peut demander une diminution de loyer[3].
  3.             Dans le cadre d'une demande en diminution de loyer en raison de bruit, le locataire doit prouver de manière prépondérante au Tribunal que les nuisances excèdent ce qui est raisonnable d'accepter dans les limites des règles entourant les rapports de voisinage, comme stipulé à l'article 976 C.c.Q.

  1.             Par ailleurs, tout locataire doit subir les inconvénients normaux du voisinage, tel que l’édicte l'article 976 du Code civil du Québec:

« 976. Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n'excèdent pas les limites de la tolérance qu'ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leurs fonds, ou suivant les usages locaux. »

  1.             Dans l'affaire 9185-4000 Québec Inc. c. Centre commercial Innovation Inc.[4], la cour d'appel a énoncé :

« [19]        L'obligation faite au locateur de procurer à son locataire la libre jouissance des lieux loués constitue l'essence même du contrat de louage[2]. Selon le professeur Jobin, il s'agit de l'obligation fondamentale et essentielle du contrat de louage[3].

[20]        L'obligation du locateur en est une de résultat dont il ne peut s'exonérer qu'en prouvant force majeure ou la faute d'une personne dont il n'est pas responsable[4]. Au surplus, le législateur prévoit spécifiquement que le locateur doit garantir le locataire contre les troubles de faits que pourraient causer d'autres colocataires[5].

[21]        D'autre part, les locataires d'un immeuble ont des obligations particulières envers les autres locataires. L'article 1860 C.c.Q. expose précisément leurs devoirs :

1860. Le locataire est tenu de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires.

Il est tenu, envers le locateur et les autres locataires, de réparer le préjudice qui peut résulter de la violation de cette obligation, que cette violation soit due à son fait ou au fait des personnes auxquelles il permet l'usage du bien ou l'accès à celui-ci.

Le locateur peut, au cas de violation de cette obligation, demander la résiliation du bail.

[22]        Pour apprécier le comportement fautif, il est possible, par analogie, de référer aux critères qui se dégagent de l'article 976 C.c.Q. Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n'excèdent pas les limites de la tolérance qu'ils se doivent. Comme l'explique le professeur Deslauriers, « chacun doit supporter les bruits et les inconvénients raisonnables, sans cependant être obligé de subir les excès... »[6].

[23]        Ainsi, la jouissance normale des lieux s'apprécie selon les circonstances de l'affaire et la perception d'une personne raisonnable. De même, les inconvénients normaux du voisinage s'évaluent selon la nature, la situation ou les usages. Il faut en déduire que les colocataires doivent supporter le bruit et les inconvénients normaux du voisinage, sans cependant être obligés d'en subir les excès. Ce ne sont que les inconvénients qui présentent un caractère anormal et persistant qui doivent être sanctionnés.

[24]        Le caractère anormal et persistant du trouble peut donner ouverture, selon les circonstances, à une diminution de loyer ou à la résiliation du bail, avec ou sans dommages-intérêts. L'article 1861 C.c.Q. est ainsi libellé :

1861. Le locataire, troublé par un autre locataire ou par les personnes auxquelles ce dernier permet l'usage du bien ou l'accès à celui-ci, peut obtenir, suivant les circonstances, une diminution de loyer ou la résiliation du bail, s'il a dénoncé au locateur commun le trouble et que celui-ci persiste.

Il peut aussi obtenir des dommages-intérêts du locateur commun, à moins que celui-ci ne prouve qu'il a agi avec prudence et diligence; le locateur peut s'adresser au locataire fautif, afin d'être indemnisé pour le préjudice qu'il a subi.

[…]

[31]        Reste à voir si et comment l'inexécution de l'obligation peut être sanctionnée. À cet égard, l'article 1863 C.c.Q. donne ouverture à trois options : l'exécution en nature, la résiliation du bail ou la diminution du loyer. Nous l'avons vu, l'exécution en nature n'a pas été possible, malgré les efforts apportés en ce sens.

[32]        La résiliation d'un bail est possible même si nous ne sommes pas en présence d'une perte totale de jouissance des lieux. Selon le professeur Deslauriers, pour résilier le bail, le préjudice doit être « sérieux et grave, au point d'empêcher ou de diminuer gravement la jouissance du bien ou des lieux »[8].


[33]        Or, on voit mal comment on peut imposer à un locataire qui exploite un restaurant de subir « un bruit anormal pour un restaurant » de façon quotidienne, pendant toute la durée de son bail de dix ans. Force est de constater que le locateur n'a pas été en mesure de faire cesser le trouble de voisinage. Quoique la perte de jouissance soit partielle plutôt que totale, le trouble est sérieux. L'expectative légitime de pouvoir obtenir la jouissance paisible des lieux étant compromise, une résiliation du bail s'imposait. »(23)

[Citations omises]

  1.             En cette matière, le Tribunal ne peut fonder son appréciation sur des considérations subjectives. Cette analyse doit se fonder sur des critères objectifs et probants. Ce qui est incommodant pour certains peut ne pas l'être pour d'autres et ainsi, le Tribunal est appelé à se prononcer uniquement sur une situation extraordinaire et inhabituelle.
  2.             Ainsi, en vivant dans un immeuble à logements, on ne doit pas s'attendre à la même quiétude que dans un immeuble où l'on est le seul occupant. L'obligation consacrée à l'article 976 du Code civil du Québec oblige les voisins à faire preuve de tolérance les uns envers les autres. Une tolérance est donc exigée des gens qui partagent l'occupation d'un immeuble d'habitation.
  3.             Relativement à l'évaluation des inconvénients normaux du voisinage, l'auteur Pierre-Gabriel Jobin[5] précise ceci :

«Conciliation d'intérêts contraires, tolérance, situation des lieux et usage seront donc les guides du juge pour apprécier la conduite du locataire prétendument fautif. Ainsi, le niveau critique d'un trouble de voisinage peut varier sensiblement d'un contexte à un autre. On tiendra compte des mœurs, du niveau général de tolérance du milieu social ainsi que des caractéristiques inhérentes à l'usage pour lequel les lieux ont été loués (par exemple, une famille ayant des enfants fait plus de bruit qu'un couple sans enfant). Par ailleurs, pour apprécier ce qui constitue "la jouissance normale" du locataire victime, les tribunaux, en principe, ne tiendront pas compte de sa sensibilité particulière (due par exemple à son âge ou à son état de santé) : dans cette mesure, le test des inconvénients excessifs paraît bien être objectif. Cependant, à juste titre, les tribunaux insistent sur leur pouvoir d'apprécier un trouble de voisinage suivant les circonstances de chaque espèce. »(24)

[Citation omise]

  1.             En matière de troubles de voisinage, l'évaluation du caractère excessif d'une situation repose sur une question de perception et de tolérance. Ce qui est incommodant pour l'un ne l'est pas nécessairement pour un autre.
  2.             La jurisprudence vient donc objectivement baliser certains critères de ce qui peut constituer un bruit d'une ampleur exagérée.
  3.             Dans l'affaire Pasquale Fata c. Mabtoule Chaouqi[6], la juge administrative Francine Jodoin définit ainsi la norme objective en matière de bruit excessif :

«En matière de bruit, le Tribunal ne peut fonder son appréciation sur des considérations subjectives et doit chercher à déterminer si le locataire plaignant vit une situation qui par sa répétition, insistance et ampleur constitue une atteinte grave, excessive ou déraisonnable justifiant la résiliation du bail. Cette analyse doit se fonder sur des critères objectifs et probants. Ce qui est incommodant pour certains peut ne pas l'être pour d'autres et ainsi, le Tribunal est appelé à se prononcer uniquement sur une situation extraordinaire et inhabituelle.»

  1.             Or, qu’en est-il en l’espèce?
  2.             Le Tribunal considère que la locataire n’a pas rencontré son fardeau de preuve de démontrer au Tribunal, de façon objective et probante, qu’elle subit une perte de jouissance de son logement, en l’occurrence par des bruits volontaires, incessants et excessifs provenant de sa voisine madame Doyon. Aucun témoin n’est venu corroborer les bruits entendus chez madame Pelchat. Il n’appartient pas au Tribunal de mandater un arbitre pour vérifier les bruits entendus chez elle, et d’en faire la preuve à la place de la partie demanderesse.
  3.             En l’occurrence, la preuve est plutôt prépondérante que les bruits entendus dans l’immeuble sont ceux de la vie courante et qui sont normaux, compte tenu de l’âge de l’immeuble et de sa faible insonorisation.

  1.         Certes, madame Pelchat a témoigné avoir besoin d’une tranquillité importante, exempte de bruits, mais ce standard requis et ce besoin ne diminuent pas son obligation de tolérance qu’elle doit faire preuve au sein d’un immeuble à occupation multiple. Son niveau de tolérance est plus bas qu’une personne raisonnable placée dans les mêmes conditions et le Tribunal ne doit pas prendre sa situation particulière, car elle ne répond pas à l’examen objectif qu’il doit faire de cette situation. Madame Pelchat a échoué à démontrer une perte de jouissance de son logement par le bruit et les troubles des autres locataires. Sa demande de diminution de loyer est rejetée.

Dommages-intérêts

  1.         La locataire réclame des dommages-intérêts moraux pour troubles et inconvénients de l’ordre de 10 500 $.
  2.         Or, pour la demande de dommages moraux de la locataire, ce type de dommages vise à compenser le stress, les inquiétudes, la fatigue et les troubles et inconvénients de toutes sortes qu’a pu éprouver la partie lésée. Contrairement aux dommages pécuniaires qui sont plus facilement quantifiables en raison de leur caractère objectif, les dommages moraux doivent tout de même être prouvés selon la règle de prépondérance. La seule allégation d’avoir subi des dommages moraux ne suffit pas. Le Tribunal doit être convaincu du préjudice subi en fonction de la preuve présentée, mais également, il faut démontrer que le préjudice subi est en lien avec une faute de la locatrice.
  3.         Or, de l’ensemble de la preuve et des témoignages entendus, le Tribunal considère que la locataire n’a pas rencontré son fardeau de preuve de démontrer une faute de la locatrice, justifiant l’octroi de dommages moraux. Comme mentionné plus haut, la locataire est intolérante au bruit en raison de sa condition personnelle et médicale et non pas parce que la locatrice manque à son obligation de lui assurer la jouissance paisible de son logement. La preuve démontre que la locataire n’a subi que des inconvénients normaux du voisinage, et que sa condition médicale et personnelle la rendent intolérante. La locatrice n’a pas l’obligation, dans ce cas, d’enrayer totalement tout bruit découlant du voisinage normal, pour répondre aux exigences et besoins de haut standard de leur locataire.
  4.         La preuve n’est pas prépondérante que madame Doyon ou d’autres locataires se concerteraient afin de lui rendre la vie intolérable. La coopérative a également, par ses membres été très proactive en vue de régler le conflit entre les locataires. Dès 2020, lorsque la problématique entre les voisines a été dénoncé, les membres du conseil d’administration ont déployé du personnel pour tenter une conciliation entre les parties. Elle n’a pas commis de faute dans la gestion du conflit entre les locataires et elle est intervenue adéquatement. D’ailleurs, le comportement de madame Pelchat n’est pas sans tache et il a aussi été ciblé en 2020 et 2021 par la coopérative, en vue d’amener une paix sociale dans l’immeuble entre les voisins.
  5.         Le Tribunal, en l’absence de faute de la locatrice, doit rejeter la demande de dommages de la locataire.

3 - Le Tribunal doit-il ordonner à la locatrice de faire cesser le trouble?

  1.         La demande de la locataire est basée sur l’article 1863 C.c.Q. qui stipule ce qui suit :

« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.

L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir. »

  1.         Comme le Tribunal conclut que la locataire n’a pas rencontré son fardeau de preuve de démontrer la perte de jouissance de son logement par le comportement de ses voisins, et qu’elle n’a pas réussi à démonter par prépondérance une faute de la coopérative, le Tribunal ne peut rendre une ordonnance pour contraindre la coopérative à respecter certaines obligations, qu’elle fait déjà. Le Tribunal rejette cette demande.


POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

  1.         REJETTE la demande de la locataire, qui en assume les frais.

 

 

 

 

 

 

 

 

Chantale Trahan

 

Présence(s) :

la locataire

le mandataire de la locatrice

Date des audiences : 

5 juillet 2024

19 août 2024

26 août 2024

22 octobre 2024

22 janvier 2025

 

 

 


 


[1] Articles 2803, 2804 et 2845 du Code civil du Québec, CCQ-1991.

[2] DUCHARME, Léo et NADEAU, André, Traité de droit civil du Québec, Tome 9, Montréal, Wilson et Lafleur, p.98.

[3] Article 1863 du Code civil du Québec.

[4] 2016 QCCA 538.

[5] Jobin, Pierre-Gabriel, Le louage, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1996, p. 252.

[6] Fata c. Chaouqi, SOQUIJ AZ-50334060, [2005] J. L. 225.

AVIS :
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