Décision

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Côté c. Jacques

2025 QCTAL 7708

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Québec

 

No dossier :

824897 18 20241009 G

No demande :

4485993

 

 

Date :

26 février 2025

Devant le juge administratif :

Philippe Morisset

 

Martin Côté

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

Mélissa Jacques

 

Locatrice - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

  1.          Par une demande introduite le 9 octobre 2024 et modifiée en date du 14 novembre 2024, le locataire recherche la résiliation du bail, une diminution de loyer de 100% à compter du 1er août 2023, des dommages totaux au montant de 20 000 $ ainsi qu’une ordonnance afin que la locatrice remplace deux fenêtres et corrige un problème d’humidité.
  2.          Au soutien de sa demande, le locataire allègue notamment que le logement est impropre à l’habitation et que le taux d’humidité du logement est de 90 %.
  3.          Le locataire ayant déjà quitté le logement en date de l’audience, la demande en résiliation de bail et les ordonnances recherchées sont donc devenues sans objet.
  4.          Seules la diminution de loyer et les réclamations en dommages restent en litige.

CONTEXTE

  1.          Au mois de juillet 2023, les parties signent un bail pour la période du 1er juillet 2023 au 30 juin 2024 au loyer mensuel de 550 $.[1]
  2.          Le bail est renouvelé pour la période du 1er juillet 2024 au 30 juin 2025 au loyer mensuel de 583 $.[2]
  3.          Le 27 août 2024, les autorités municipales de la Ville de Beaupré procèdent à une inspection du logement.[3]

  1.          Le 3 septembre 2024, monsieur Émile Savard, inspecteur municipal et adjoint en urbanisme, signe un rapport de constatation suivant la visite du 27 août 2024, lequel mentionne :

« À votre demande, je me suis rendu à votre logement du [...] à Beaupré en date du 27 août 2024.

J’ai constaté que :

Les dispositifs d’ouverture et de fermeture de la fenêtre du salon et de celle de la chambre à coucher ne sont pas en bon état de fonctionnement. Les fenêtres sont difficiles ou impossibles à ouvrir et à fermer;

Bien que chaque pièce soit munie de fenêtres ou dans le cas de la salle de bain d’un dispositif de ventilation mécanique expulsant l’air à l’extérieur, la qualité de la ventilation en générale ne semble pas adéquate à l’intérieur du logement. (sic)

Nous vous prions d’agréer, l’expression de nos sentiments les meilleurs. »[4]

  1.          Le 12 septembre 2024, une mise en demeure est envoyée à la locatrice par laquelle le locataire mentionne un problème de taux d’humidité élevé, un problème avec les fenêtres.[5] Le locataire réclame par cette mise en demeure une diminution de loyer ainsi que des dommages.[6]
  2.      Le logement est libéré pour le 1er décembre 2024 par le locataire.

Preuve du locataire

  1.      Le locataire explique que suivant son aménagement dans le logement, il a commencé à ressentir des problèmes au niveau de ses poumons.
  2.      Il toussait beaucoup et ne dormait plus. Il avait également des maux de tête.
  3.      Il mentionne avoir dénoncé ce problème dès le mois d’août 2023 à la locatrice.
  4.      Il s’est présenté à deux reprises à l’urgence, dont dans la nuit du 19 août 2024.[7]
  5.      Ses problèmes seraient la conséquence d’un taux d’humidité trop élevé dans son logement, taux qu’il mentionne être à 90%. La qualité de l’air de son logement serait également en cause.
  6.      Il a donc fait venir les autorités municipales pour inspecter son logement.[8]
  7.      Il explique avoir déménagé son lit de sa chambre au salon pour vérifier si son état allait s’améliorer, ce qui n’a pas été le cas.
  8.      Il mentionne qu’un échangeur d’air aurait dû être installé et que cela aurait corrigé le problème.
  9.      Il reproche à la locatrice de lui avoir mentionné que les fenêtres de son logement allaient être remplacées au printemps 2024 alors que les travaux de remplacement ont eu lieu qu’à l’automne 2024.
  10.      Il mentionne que des fenêtres étaient endommagées et non fonctionnelles.[9]
  11.      Lorsqu’il s’est plaint du problème d’humidité de son logement, la locatrice lui a remis un déshumidificateur.
  12.      Il mentionne avoir été dérangé par les travaux effectués dans le logement situé au-dessous du sien d’avril 2023 à juin 2024. Il explique que les travaux ont fait beaucoup de bruit, soit 5 jours par semaines toute la journée et souvent tôt le matin. Il prétend que ces travaux sont dus à un dégât d’eau.
  13.      Pour lui, ces problèmes justifient une diminution de loyer de 100% à compter du 1er août 2023.
  14.      Relativement aux dommages réclamés, il mentionne qu’il avait des maux de gorge et qu’il ne dormait plus.


Preuve de la locatrice

Témoignage de la locatrice

  1.      La locatrice témoigne que le logement du locataire a été rénové. Dans son annonce, elle a mentionné que le logement était non-fumeur.[10]
  2.      Cette mention n’a toutefois pas été reproduite dans le bail.[11]
  3.      Elle mentionne que le locataire ne s’est jamais plaint de la qualité de l’air ou du taux d’humidité en août 2023.
  4.      En novembre 2023, le locataire s’est plaint que de l’air frais entrait par les fenêtres.[12] Il a également été question du chauffage à ce moment.[13]
  5.      Ces problèmes ont fait l’objet de travaux le 21 novembre 2023. Lors de ces travaux, on perçoit une odeur de cigarette dans le logement. La locatrice communique donc avec le locataire pour lui rappeler que le logement est non-fumeur.[14]
  6.      Entre le 25 novembre 2023 et le 3 juillet 2024, les parties s’échangent plusieurs messages textes.[15] Jamais le locataire ne fait référence au taux d’humidité du logement, de la qualité de l’air ou de problème de santé.
  7.      C’est le 24 août 2024 que le locataire mentionne pour la première fois un problème quant au taux d’humidité.[16]
  8.      Le 27 août 2024, le locataire renvoie un message texte quant au taux d’humidité du logement.[17]
  9.      Suivant la mise en demeure du locataire, la locatrice demande une copie du rapport de la Ville de Beaupré ce qui est refusé par le locataire.[18]
  10.      Les fenêtres du logement sont remplacées fin octobre ou début novembre 2024.
  11.      Au mois d’octobre 2024, le locataire informe la locatrice qu’il quitte le logement pour le 1er décembre 2024.[19]

Témoignage de monsieur Michael Jacques

  1.      Monsieur Jacques est le frère de la locatrice.
  2.      Il mentionne être allé au logement pour le remplacement des fenêtres. Dans le logement, il sent une odeur de cigarette et il y a des cendriers dans le logement. Il voit même le locataire fumer ou le comptoir.

Réplique du locataire

  1.      Le locataire admet être un fumeur, mais qu’il tente d’arrêter. Présentement, il « vapote ».
  2.      Il mentionne que le bail ne mentionne pas que le logement est non-fumeur.

QUESTIONS EN LITIGES

  1. Le logement était-il impropre à l’habitation ?
  2. Le locataire a-t-il subi une perte de jouissance justifiant une diminution de loyer ?
  3. Le locataire a-t-il subi des dommages moraux, et le cas échéant, quelle est la valeur de ces dommages ?


ANALYSE ET DÉCISION

  1. Le logement était-il impropre à l’habitation ?
  1.      Bien que le locataire a déjà quitté le logement et que le bail soit déjà résilié, le Tribunal est d’avis qu’il y a lieu de disposer de cette question vu la nature des reproches du locataire.
  2.      Diverses circonstances permettent à un locataire de résilier un bail d’un logement avant la fin du terme.
  3.      Les articles 1854 et 1863 du Code civil du Québec (C.c.Q) énoncent :

« 1854. Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.

Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l’usage pour lequel il est loué, et de l’entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail. »

« 1863. L’inexécution d’une obligation par l’une des parties confère à l’autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l’exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l’inexécution lui cause à elle-même ou, s’agissant d’un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.

L’inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer ; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l’avenir. »

  1.      Également, l’article 1912 du Code civil du Québec énonce :

« 1912. Donnent lieu aux mêmes recours qu’un manquement à une obligation du bail :

 1° Tout manquement du locateur ou du locataire à une obligation imposée par la loi relativement à la sécurité ou à la salubrité d’un logement ;

 2° Tout manquement du locateur aux exigences minimales fixées par la loi, relativement à l’entretien, à l’habitabilité, à la sécurité et à la salubrité d’un immeuble comportant un logement. »

  1.      Suivant l’article 1915 du Code civil du Québec, un locataire peut abandonner son logement s’il devient impropre à l’habitation :

« 1915.      Le locataire peut abandonner son logement s’il devient impropre à l’habitation.  Il est alors tenu d’aviser le locateur de l’état du logement, avant l’abandon ou dans les dix jours qui suivent.

               Le locataire qui donne cet avis est dispensé de payer le loyer pour la période pendant laquelle le logement est impropre à l’habitation, à moins que l’état du logement ne résulte de sa faute. »

  1.      C’est le deuxième alinéa de l’article 1913 du Code civil du Québec défini le logement impropre :

« 1913.      Le locateur ne peut offrir en location ni délivrer un logement impropre à l’habitation.

               Est impropre à l’habitation le logement dont l’état constitue une menace sérieuse pour la santé ou la sécurité des occupants ou du public, ou celui qui a été déclaré tel par le tribunal ou par l’autorité compétente. »

  1.      Pour évaluer l’état d’insalubrité du logement, le Tribunal doit appliquer des critères objectifs, selon la jurisprudence. À ce sujet, l’honorable Jean-Guy Blanchette écrit dans l’affaire Gestion immobilière Dion, Lebeau inc. c. Grenier [20]:

 « (…) pour évaluer si l’impropriété d’un logement à l’habitation constitue une menace sérieuse pour la santé, la Cour doit procéder à ladite évaluation d’une façon objective et se demander si une personne ordinaire peut vivre objectivement dans les conditions exposées lors de l’audition. Ce ne sont pas les appréhensions subjectives ni l’état psychologique du locataire ou des occupants qui doivent prévaloir, mais bien la situation ou l’état des lieux compris et analysé objectivement lors de la prise de décision du déguerpissement (…) »


  1.      De plus dans l’affaire Hajjar c. Hébert[21], le Tribunal a établi les éléments que le locataire doit démontrer :

« 1)  les problèmes reliés à la chose louée ou dans l’immeuble en général ;

2)  la dénonciation de leurs plaintes au locateur ;

3)  l’inaction du locateur a exécuter ses obligations légales ;

4)  leur départ est justifié, car le logement était impropre à l’habitation au sens de l’article 1913 du Code civil du Québec et si la santé des occupants est en jeu, une preuve médicale est requise ;

5)  la relation de cause à effets entre l’état du logement et les dommages réclamés. »

[Sic]

  1.      En résumé, l’état du logement doit constituer une menace sérieuse pour la santé et la sécurité du locataire au moment où il a décidé de partir.
  2.      La difficulté dans le présent dossier est l’absence d’expertise. En l’absence d’expertise, il est particulièrement difficile pour le Tribunal de qualifier que la qualité de l’air est inadéquate, qu’il y a présence de moisissures dans l’air ou toutes autres particules.
  3.      Le rapport de l’inspecteur Savard n’est pas des plus éloquent relativement à la qualité de l’air.[22]
  4.      Par ailleurs, le locataire n’a soumis en preuve aucun relevé des taux d’humidité de son logement pendant la période d’occupation. De plus, une comparaison du taux d’humidité du logement avec celui de l’extérieur aurait été appropriée.
  5.      Le Tribunal n’a donc aucune preuve prépondérante à l’effet que le logement a un problème de taux d’humidité ou un problème relativement à la qualité de l’air.
  6.      La seule preuve prépondérante est à l’effet que deux fenêtres étaient problématiques, mais que celles-ci ont été remplacées fin octobre ou début novembre 2024, soit avant le départ du locataire. Or, le fait que 2 fenêtres ne puissent s’ouvrir ne rend pas le logement impropre à l’habitation ou insalubre selon les enseignements mentionnés plus haut.
  7.      En conclusion, le Tribunal conclut que le logement ne constituait pas une menace sérieuse pour la santé ou la sécurité du locataire.
  1. Le locataire a-t-il subi une perte de jouissance justifiant une diminution de loyer ?
  1.      L’article 1854 du Code civil du Québec stipule ce qui suit :

« 1854. Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.

Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l'usage pour lequel il est loué, et de l'entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail. »

  1.      Lorsque le locateur ne respecte pas cette obligation, le locataire peut exercer les recours prévus à l’article 1863 du Code civil du Québec :

« 1863. L’inexécution d’une obligation par l’une des parties confère à l’autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l’exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l’inexécution lui cause à elle-même ou, s’agissant d’un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.

L’inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer ; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l’avenir. »


  1.      Il s’agit d’obligations de résultat. Conséquemment, les moyens de défense du locateur sont limités. Selon la doctrine et appliquées par la jurisprudence, les auteurs Jobin et Baudouin[23] mentionnent ce qui suit :

« ... dans le cas d’une obligation de résultat, la simple constatation de l’absence du résultat ou du préjudice subi suffit à faire présumer la faute du débiteur, une fois le fait même de l’inexécution ou la survenance du dommage démontré par le créancier. Dès lors, le débiteur, pour dégager sa responsabilité, doit aller au-delà d’une preuve de simple absence de faute, c’est-à-dire démontrer que l’inexécution ou le préjudice subi provient d’une force majeure. Il ne saurait être admis à dégager sa responsabilité en rapportant seulement une preuve d’absence de faute. »

  1.      De plus, l’alinéa deuxième de l’article 1854 du Code civil du Québec, va plus loin. Il impose une obligation de garantie et donc, la responsabilité du locateur s’en trouve accrue. Toujours selon les mêmes auteurs[24] :

« En présence enfin d’une obligation de garantie, le débiteur est présumé responsable. La seule façon pour lui d’échapper à sa responsabilité est de démontrer que c’est par le fait même du créancier qu’il a été empêché d’exécuter son obligation, ou encore que l’inexécution alléguée se situe complètement en dehors du champ de l’obligation assumée. »

  1.      Ainsi, une fois la preuve du dommage établie par la locataire, il revient alors au locateur de démontrer que sa responsabilité ne pouvait être retenue en raison d’une situation s’apparentant à un cas de force majeure. Qui plus est, en présence d’une obligation de garantie, le locateur est présumé responsable. La seule façon pour lui alors d’échapper à sa responsabilité est de démontrer que c’est par le fait même de la locataire qu’il a été empêché d’exécuter son obligation, ou encore que l’inexécution alléguée se situe complètement en dehors du champ de l’obligation assumée.
  2.      Relativement à la diminution de loyer, celle-ci doit correspondre à la perte réelle subie, elle doit être objective et non pas varier selon les caractéristiques propres à chaque locataire.
  3.      Pour donner ouverture à une diminution de loyer, il faut que la perte de jouissance soit réelle, sérieuse, significative et substantielle[25].
  4.      En conséquence, pour obtenir une diminution de loyer, la perte de valeur locative ou la diminution de prestation d’une situation ou encore les défectuosités dénoncées par le locataire doivent lui occasionner une perte de jouissance des lieux qui soit réelle, substantielle et significative. Le trouble ne doit pas être mineur ou n’être qu’un simple préjudice esthétique. Somme toute, le trouble doit être sérieux.
  5.      Selon les dictionnaires, le mot « sérieux » fait référence au caractère de ce qui mérite attention et considération du fait de son importance, de sa gravité (critique, réel, préoccupant, inquiétant).
  6.      Au sujet de la diminution de loyer, le professeur Jacques Deslauriers[26] écrit :

« 1225. Le locataire qui subit une diminution partielle de jouissance peut demander une diminution de loyer (art. 1863, 1865, 1604 C.c.Q.) si le préjudice qui en résulte n’est pas assez sérieux pour justifier la résiliation du bail. Ce recours constitue un choix pour le locataire qui n’envisage pas la possibilité ou la nécessité absolue de rétablir le service dont il est privé dans un délai raisonnable. Il ne s’agit pas de permettre au locataire de recouvrer sous forme de diminution de loyer les dommages subis à la suite de la dégradation des lieux ou d’une carence de services, mais bien d’évaluer la part du loyer attribuable au service ou à l’espace non fourni et à diminuer le loyer en conséquence1745. Il ne s’agit ni d’un moyen de pression ni de représailles ni de dommages-intérêts1746. Il s’agit plutôt d’une compensation pour les services non fournis1747. La diminution doit correspondre à la perte réelle de la valeur locative du local d’habitation1748. Le locataire qui demande une diminution de loyer ne doit pas être la cause des problèmes entraînant la diminution de jouissance, par sa négligence qui a « invité la vermine à s’installer » et son manque de collaboration pour l’éliminer1749. »

  1.      Plus loin, le professeur Deslauriers[27] exprime la distinction qu’il faut faire entre la diminution du loyer et le droit à des dommages-intérêts :

« 1245. La résiliation du bail, la rétention ou la diminution du loyer sont des recours qui peuvent être accompagnés d’une réclamation de dommages-intérêts. Il s’agit de recours distincts pouvant être exercés concurremment, séparément ou même de façon consécutive1772.


1246. Dans tous les cas, le locataire peut exiger des dommages-intérêts, sous réserve de certaines dispositions spécifiques qui en dispensent le locateur, quand les inconvénients subis résultent de faits ou de comportements de tiers dont il ne peut être tenu responsable parce qu’il a posé les gestes voulus pour les éviter ou y remédier (art. 1859, 1861, 1863 C.c.Q.). Les seuls dommages-intérêts qui peuvent être réclamés sont ceux qui résultent directement de l’inexécution de l’obligation du bailleur et ceux que les parties pouvaient prévoir lors du contrat, car il s’agit de responsabilité contractuelle (art. 1458, 1863, 1613 C.c.Q.) 1773. »

  1.      Toujours en regard de la distinction à faire entre la diminution de loyer et les dommages et intérêts, la juge Matteau dans King George Electronique inc. c. 2842122 Canada inc. mentionnait[28] :

« [75]      Le recours en diminution de loyer a pour but de rétablir l’équilibre dans la prestation respective des parties au bail. Il vise dès lors à compenser le locataire pour la perte de l’usage et des avantages du bien loué, en réduisant le loyer en proportion de la diminution réelle de la jouissance par rapport à l’ensemble de la jouissance convenue.

[76]      Il est également utile ici de rappeler que le recours en diminution de loyer n’a pas le même objet qu’un recours en dommages. Alors que le second permet au locataire de recouvrer les dommages qu’il a subis à la suite d’une dégradation des lieux ou de la diminution des services, le premier vise à recouvrer la part du loyer attribuable à la fourniture du service ou à l’utilisation de l’espace dont il a été privé. »

[Références omises]

  1.      Qu’en est-il en l’espèce ?
  2.      Relativement au taux d’humidité du logement, tel que mentionné à la question en litige précédente, le locataire n’a produit aucun relevé des taux d’humidité de son logement durant la période d’occupation.
  3.      La simple affirmation du locataire est insuffisante pour conclure, selon les règles de preuves, qu’il y avait un problème de taux d’humidité dans le logement.
  4.      Quant à la qualité de l’air du logement, encore une fois, le locataire n’a pas rencontré son fardeau de preuve. Aucune expertise n’a été produite. De plus, tel que déjà mentionné, le rapport de l’inspecteur Savard n’est pas des plus explicite.
  5.      Le Tribunal conclut donc que rien dans la preuve ne démontre un problème d’humidité ou de qualité de l’air occasionnant une perte de jouissance des lieux qui soit réelle, substantielle et significative.
  6.      Relativement aux problèmes d’ouverture ou de fermeture des fenêtres, la preuve prépondérante démontre que deux fenêtres ne pouvaient s’ouvrir ou se fermer adéquatement malgré les travaux effectués par la locatrice.
  7.      La preuve soumise permet de conclure que le locataire a subi une perte de jouissance de son logement que l’on peut qualifier de réelle, sérieuse, significative et substantielle justifiant une diminution de loyer en raison du mauvais état des deux fenêtres qui ne pouvaient s’ouvrir ou se fermer.
  8.      Se fondant sur la preuve, le Tribunal estime juste, raisonnable et approprié d’accorder au locataire une diminution de loyer pour ce motif.
  9.      Le locataire demande une diminution de loyer à compter du 1er août 2023 alors que sa mise en demeure, pièce L-7, date du mois de septembre 2024.
  10.      Le Tribunal doit donc déterminer le point de départ de la diminution de loyer.
  11.      Les articles 1594 et 1595 du Code civil du Québec énoncent :

« 1594. Le débiteur peut être constitué en demeure d’exécuter l’obligation par les termes mêmes du contrat, lorsqu’il y est stipulé que le seul écoulement du temps pour l’exécuter aura cet effet.

Il peut être aussi constitué en demeure par la demande extrajudiciaire que lui adresse son créancier d’exécuter l’obligation, par la demande en justice formée contre lui ou, encore, par le seul effet de la loi. »

« 1595. La demande extrajudiciaire par laquelle le créancier met son débiteur en demeure doit être faite par écrit.

Elle doit accorder au débiteur un délai d’exécution suffisant, eu égard à la nature de l’obligation et aux circonstances; autrement, le débiteur peut toujours l’exécuter dans un délai raisonnable à compter de la demande. »

  1.      La lettre de mise en demeure a pour fonction de, non seulement dénoncer des manquements, mais aussi d'accorder à la partie adverse un délai imparti pour exécuter ses obligations, sous peine de recourir au Tribunal.
  2.      L'omission ou la tardiveté de la mise en demeure est considérée comme fatale[29], comme le rappelle l’auteur Denis Lamy dans son ouvrage La diminution de loyer[30] ou les auteurs, Thérèse Rousseau-Houle et Martine de Billy[31].
  3.      La juge administrative Francine Jodoin dans la décision Gongoroiu c. Modabbernia écrit[32] :

« [22] Mais il y a plus. Bien que l'existence d'une obligation confère au locataire le droit d'exiger qu'elle soit exécutée entièrement, correctement et sans retard, l'envoi d'une mise en demeure constitue un prérequis à la sanction de ce droit.

[23] Aussi, la jurisprudence et la doctrine exigent généralement que le locataire dénonce clairement les reproches formulés eu égard à la perte de jouissance subie afin de permettre au locateur de corriger la situation dans un délai raisonnable, à défaut de quoi, les procédures judiciaires peuvent être entreprises (article 1595 du Code civil du Québec).

[24] Comme le soulignent les auteurs, Thérèse Rousseau-Houle et Martine de Billy :

« Pour se prévaloir du recours en diminution de loyer, le locataire doit préalablement avoir fait parvenir au locateur une mise en demeure afin de lui permettre d'apporter les correctifs qui s'imposent. Sur ce point, les décisions de la Cour provinciale et de la Régie reconnaissent unanimement que l'omission de la mise en demeure est fatale au locataire. »

[26] Une simple discussion informelle avec le locateur ou ses représentants, le cas échéant, ne peut constituer une mise en demeure comportant une manifestation d'intention d'obtenir une compensation en raison de cette situation.

[26] Cette obligation de transmettre une mise en demeure constitue, en quelque sorte, une composante de la règle de minimisation des dommages.

[27] Si le locataire, par son silence, négligence ou omission, garde le silence, il ne peut espérer tirer profit de l'écoulement du temps et ainsi obtenir une réduction de loyer pour une période équivalant à la durée du manquement.

[28] Ceci étant dit, l'absence de mise en demeure transmise par le locataire constitue un vice fatal dans les circonstances du présent dossier. »

[Références omises]

  1.      La diminution de loyer ne prend donc généralement effet qu’à compter de la mise en demeure[33].
  2.      Selon la jurisprudence, on ne peut, en conséquence, réclamer une diminution de loyer rétroactive sans avoir donné un délai raisonnable au locateur pour corriger la situation.
  3.      Ce principe peut cependant faire l’objet d’une exception.
  4.      À cet effet, les articles 1597 et 1598 du C.c.Q énoncent :

« 1597. Le débiteur est en demeure de plein droit, par le seul effet de la loi, lorsque l’obligation ne pouvait être exécutée utilement que dans un certain temps qu’il a laissé s’écouler ou qu’il ne l’a pas exécutée immédiatement alors qu’il y avait urgence.

Il est également en demeure de plein droit lorsqu’il a manqué à une obligation de ne pas faire, ou qu’il a, par sa faute, rendu impossible l’exécution en nature de l’obligation; il l’est encore lorsqu’il a clairement manifesté au créancier son intention de ne pas exécuter l’obligation ou, s’il s’agit d’une obligation à exécution successive, qu’il refuse ou néglige de l’exécuter de manière répétée. »

« 1598. Le créancier doit prouver la survenance de l’un des cas où il y a demeure de plein droit, malgré toute déclaration ou stipulation contraire. »


  1.      Le juge Michel St-Hilaire, j.c.Q. écrit dans l’affaire Habitations Desjardins du Centre-Ville c. Barbe[34]concernant l’ancien article 1068 (maintenant 1597) :

« 20 Le bailleur, selon 1068, ne peut donc exiger la mise en demeure prévue selon 1070 C.c. B.C. pour diminution de loyer, pour les raisons suivantes :

1o La diminution de loyer n’est pas un recours en dommages-intérêts, comme ceux dont parle 1070 C.c.B.C.

2o La diminution de loyer découle d’un manquement à une obligation de nature continue qui n’a pas été exécutée dans le temps qui s’est écoulé Le débiteur de telle obligation est toujours en demeure selon 1068 C.c.B.C.

[…]

22 Le Tribunal en vient donc à la conclusion qu’à moins d’être exigible selon l’article 1652.6 C.c. B.C., ce qui n’est pas le cas, la mise en demeure n’est pas obligatoire pour exercer un recours en diminution de loyer.

23 À ces premiers motifs de refus du moyen de contestation soulevé par l’appelante, viennent s’ajouter d’autres motifs découlant du fait que cette perte de jouissance provient des actes posés par le bailleur lui-même. »

  1.      Cette décision et ces principes ont été repris dans l’affaire Bélanger c. Société d’Habitation et de Développement de Montréal[35] :

« [78] Il relève également d’autres situations où la mise en demeure n’a pas été considérée obligatoire :

« Il faut également préciser que certaines précisions énoncent que la mise en demeure ne serait pas nécessaire si le locateur connaît ou est présumée connaître la situation, lorsqu’il y a infraction à l’obligation de ne pas faire ou lorsque le locateur manifeste clairement sa volonté de ne pas remplir son obligation. »

[79] La Cour du Québec s’est déjà prononcée dans une situation similaire à la nôtre dans la cause Habitations Desjardins du Centre-Ville c. Lamontagne. Dans cette affaire un groupe de locataires réclamait des diminutions de loyer suite aux travaux de réfection des murs de brique de leur complexe immobilier.

[80] Le tribunal de la Régie du logement avait décidé que la mise en demeure n’était pas nécessaire puisqu’il était évident de la situation et des avis donnés par le locateur que ce dernier était pleinement au courant des troubles que ses travaux occasionnaient aux locataires. Cette justification a été retenue en appel. Poursuivant l’analyse, le juge Michel St-Hilaire explique comme suit qu’une action directe du locateur troublant manifestement la jouissance des lieux loués constitue une contravention à une obligation de ne pas faire :

[…]

[83] En l’instance, le trouble a été provoqué par des travaux effectués par le locateur. Il ne pouvait ignorer la perte de jouissance en résultant. Le bruit, la poussière et la perte d’usage des balcons et espace commun lui étaient connus. Le tout étant perceptible dans tout l’immeuble.

[…]

[87] Les locataires ont par conséquent droit à une diminution de loyer afin de compenser la perte de jouissance ou de valeur locative de leur logement durant la durée des travaux.

[…]

[89] Le Tribunal n’a donc pas à tenir compte de la présence des locataires ou non au logement durant les travaux bruyants ni distinguer ceux qui utilisaient ou non leur balcon ou la terrasse. Le montant de leur loyer comprend ces accessoires. Ils ont donc tous droit d’être compensés pour la perte de quiétude ou de services pour tous les mois où un loyer a été payé durant les travaux. »

  1.      Dans l’affaire FPI Boardwalk Québec inc c. Isik[36], la Cour du Québec sous la plume du juge Christian Boutin mentionne :

« [41]      L’article 1597 C.c.Q. stipule ce qui suit :

1597. Le débiteur est en demeure de plein droit, par le seul effet de la loi, lorsque l’obligation ne pouvait être exécutée utilement que dans un certain temps qu’il a laissé s’écouler ou qu’il ne l’a pas exécutée immédiatement alors qu’il y avait urgence.

Il est également en demeure de plein droit lorsqu’il a manqué à une obligation de ne pas faire, ou qu’il a, par sa faute, rendu impossible l’exécution en nature de l’obligation; il l’est encore lorsqu’il a clairement manifesté au créancier son intention de ne pas exécuter l’obligation ou, s’il s’agit d’une obligation à exécution successive, qu’il refuse ou néglige de l’exécuter de manière répétée.

[42]      Rappelons ici qu’il incombe ici au locateur, au terme de l’article 1854 C.c.Q., de procurer au locataire la jouissance paisible du bien loué, et ce, durant toute la durée du bail.

[43]      Dans l’affaire Habitations Desjardins du Centre-Ville c. Lamontagne[16], un groupe de locataires réclamait une diminution de loyer pour chacun de ses membres à la suite de travaux de réfection des murs de maçonnerie de l’édifice qu’ils habitaient. La Régie décida, comme le rappelle la juge administrative Gravel dans l’affaire postérieure Bélanger c. Société d’habitation et de développement de Montréal[17], que la mise en demeure « n’était pas nécessaire puisqu’il était évident de la situation et des avis donnés par le locateur que ce dernier était pleinement au courant des troubles que ses travaux occasionnaient aux locataires ».

[44]      Se prononçant sur l’appel, M. le juge St-Hilaire écrivait : « Le bailleur est obligé de procurer la jouissance paisible des lieux loués. Il a donc, comme corollaire de cette obligation, l’obligation de ne rien faire qui aurait comme conséquence de diminuer ou d’anéantir cette jouissance. Tout acte du bailleur qui aurait cet effet lui est interdit par son obligation de ne pas faire ».

[45]      Ainsi, comme le résumait la juge administrative Gravel, « une action directe du locateur troublant manifestement la jouissance des lieux loués constitue une contravention à une obligation de ne pas faire »[18].

[46]      Dans une affaire récente, Condos Résidence Le Laurier inc. c. Sirois[19], M. le juge Coderre en vient à une conclusion similaire lorsqu’il écrit: « Or, le locateur, qui est le débiteur en l’instance, devait assurer à chaque locataire la jouissance paisible de son logement, ce qui lui est reproché. Il a donc manqué à son obligataire de ne pas porter atteinte à ce droit de chaque locataire ».

[47]      Le Tribunal est d’avis qu’il faut appliquer le même raisonnement en l’espèce de telle sorte que Boardwalk était en demeure de plein droit et que l’envoi d’une mise en demeure n’était pas nécessaire. Ainsi, le début de la période d’indemnisation pouvait remonter à la date de début des travaux dont Boardwalk était l’instigateur et donneur d’ouvrage. »

[Références omises]

  1.      S’appuyant sur ces dernières décisions, le Tribunal est d’avis que dans la présente affaire la locatrice n’était en demeure de plein droit concernant le problème des fenêtres.
  2.      Pour obtenir une diminution pour ces deux motifs, le locataire avait l’obligation de transmettre une mise en demeure afin d’obtenir une diminution de loyer en raison d’une perte de jouissance.
  3.      C’est ce que le locataire a fait le 12 septembre 2024.
  4.      Les fenêtres ayant été remplacées à la fin du mois d’octobre 2024/début novembre 2024, en conséquence, le Tribunal est d’avis que le locataire a droit à une diminution de loyer à compter du 12 septembre 2024 jusqu’au 1er novembre 2024.
  5.      Reste la question des bruits occasionnée par le bruit relatif aux travaux du logement du bas.
  6.      La preuve ne démontre pas que le locataire ait dénoncé ce problème à la locatrice. Plus encore, le locataire n’y fait pas référence dans sa mise en demeure du 12 septembre 2024.
  7.      Pour le Tribunal, toute diminution de loyer pour le problème de bruit exigeait du locataire qu’il transmette une mise en demeure à la locatrice. L’absence de dénonciation et de mise en demeure est donc fatale pour le locataire en raison des principes ci-devant mentionnés.
  8.      Le Tribunal ayant conclu que le locataire avait droit à une diminution de loyer, il y a lieu de déterminer le montant de cette diminution.
  9.      Les principes applicables quant au montant qui peut être alloué à titre de diminution de loyer sont les suivants :

« Le recours en diminution du loyer a pour but de rétablir l’équilibre dans la prestation de chacune des parties au bail ; lorsque le montant du loyer ne représente plus la valeur de la prestation des obligations rencontrées par le locateur parce que certains services ne sont plus dispensés ou que le locataire n’a plus la pleine et entière jouissance des lieux loués, le loyer doit être réduit en proportion de la diminution subie.

Il s’agit en somme de rétablir le loyer au niveau de la valeur des obligations rencontrées par le locateur par rapport à ce qui est prévu au bail ; la diminution ainsi accordée correspond à la perte de la valeur des services ou des obligations que le locateur ne dispense plus. Il ne s’agit donc pas d’une compensation pour des dommages ou des inconvénients que la situation peut causer »[37].


  1.      Relativement à l’évaluation de la diminution de loyer, l’auteur Denis Lamy mentionne :

« La jurisprudence nous enseigne que l’évaluation et la détermination de la diminution de loyer repose essentiellement sur l’analyse de la preuve et sur l’entier pouvoir discrétionnaire et arbitraire du tribunal. La Cour du Québec l’a très clairement mentionné dans les affaires Diguer c. Mountview App. et Nicolo c. Malo51 :

Le Tribunal, dans l’exercice de sa discrétion, considère qu’une diminution de loyer au montant de 300 $ par mois serait raisonnable dans les circonstances, (commentaires de l’honorable juge Louis G. Robichaud).

[...]

De la même façon, la détermination du montant de la diminution du loyer dépend de l’appréciation de la preuve faite par le régisseur et cette question fait partie intrinsèque de la compétence de la Régie du logement (commentaires de l’honorable juge Richard Landry).

En effet, il n’existe actuellement aucun barème ou aucune norme que les tribunaux peuvent consulter pour quantifier objectivement la perte de valeur locative ou la diminution de prestation d’une situation donnée52. »

  1.      Sur la façon d’apprécier et de déterminer la diminution de loyer à laquelle un locataire peut avoir droit, l’auteur Pierre-Gabriel Jobin53 nous précise ce qui suit :

« La réduction du loyer est évaluée en fonction de la diminution de la jouissance, ou de la valeur locative, c’est-à-dire de la perte de l’usage et des avantages du bien loué. La méthode d’évaluation consiste à apprécier, dans les faits de chaque espèce, la diminution réelle de la jouissance par rapport à l’ensemble de la jouissance convenue; le tribunal est ainsi amené à considérer la dimension et la qualité du bien loué, tous ses accessoires, les services fournis et tous les autres avantages; si le locataire a perdu la jouissance d’une partie des lieux loués (par exemple, une pièce), l’évaluation ne se limitera pas au rapport arithmétique entre la surface perdue et la surface totale [...]. »

  1.      Sur cette même question, Thérèse Rousseau-Houle et Martine de Billy54 font les commentaires suivants :

« 4.4.3 Appréciation de la diminution de loyer

Lorsque le Tribunal fait droit à la demande, il doit veiller à ce que le montant de la diminution de loyer corresponde à la perte réelle de la valeur locative.

Ainsi, lorsqu’il s’agit de la suppression d’un service, la Régie va établir le prix de la réduction en évaluant la valeur du service supprimé eu égard au loyer convenu, à la dimension ou contenance du logement et à l’ensemble des accessoires, commodités ou services fournis :

« Lorsque la Régie accueille une demande, la réduction de loyer qu’elle accorde ne peut que correspondre à la perte réelle de la valeur locative du local d’habitation et ne peut jamais être utilisée comme représailles économiques ni servir de moyen de pression sur le locateur pour remédier à la situation. Elle ne peut être non plus une compensation pour les inconvénients subis. »

  1. La Régie s’est prononcée également de façon fort précise au niveau de l’appréciation de la diminution de loyer lorsqu’il s’agit d’une perte de jouissance physique des lieux loués :

« Quant à l’appréciation de la diminution de loyer, le tribunal constate qu’il faut considérer plus que le facteur matériel des lieux ou la valeur relative de la privation physique en fonction de l’ensemble du logement. En effet, le tribunal souligne que le locataire a droit à la jouissance paisible des lieux loués et qu’il faut donc aussi considérer :

“...le facteur de la jouissance des lieux loués, abstraction faite de la superficie du logement dont elle est privée par rapport à l’ensemble ou du coût réel du service dont elle a perdu l’usage. Ces deux facteurs peuvent cependant être considérés dans l’évaluation de la diminution de loyer à accorder, mais sans affecter le caractère personnel du recours; le bail crée d’ailleurs des droits personnels seulement et non réels, comme dans les cas de la vente.” »

[Citations omises]

  1. Bien que l’appréciation et la détermination de la diminution de loyer reposent essentiellement sur l’analyse de la preuve et sur le pouvoir discrétionnaire du tribunal, plusieurs principes peuvent être dégagés de l’analyse de la jurisprudence que nous avons regroupés sous trois thèmes :

   L’évaluation doit être objective

   L’évaluation doit être globale

   L’évaluation doit être équitable »[38]


  1. Relativement au critère « objectif » de l’évaluation, l’auteur Denis Lamy mentionne :

« Pour déterminer la diminution de loyer à laquelle un locataire peut avoir droit, l’évaluation de la perte de valeur locative ou de la diminution de prestation d’une situation donnée, dont un locataire se plaint, doit être faite de façon purement objective55 par opposition à une évaluation subjective.

Ainsi, les appréhensions subjectives et l’état psychologique du locataire ou des occupants du logement ne doivent jamais sinon rarement56 prévaloir lors de l’évaluation de la diminution de loyer; il en sera tout autrement dans le cadre de l’évaluation des dommages-intérêts57. »[39]

[Références omises]

  1. Quant au critère « globale », il mentionne :

« Pour déterminer la diminution de loyer à laquelle un locataire a droit, il faut analyser sa demande ou sa réclamation dans un contexte global. La diminution de loyer à être accordée devra ainsi tenir compte du prix, de la dimension ou de la contenance du logement, des services, des accessoires et des commodités faisant partie du bail63.

Dans son ouvrage64, Pierre-Gabriel Jobin fait d’ailleurs clairement référence à ce principe :

La réduction de loyer est évaluée en fonction de la jouissance, ou de la valeur locative, c’est-à-dire de la perte de l’usage et des avantages du bien loué. La méthode d’évaluation consiste à apprécier, dans les faits de chaque espèce, la diminution réelle de la jouissance par rapport à l’ensemble de la jouissance convenue; le tribunal est ainsi amené à considérer la dimension et la qualité du bien loué, tous ses accessoires, les services fournis et tous les autres avantages; si le locataire a perdu la jouissance d’une partie des lieux loués (par exemple, une pièce), l’évaluation ne se limitera pas au rapport arithmétique entre la surface perdue et la surface totale [...] Quand la diminution de jouissance a plusieurs causes, le tribunal apprécie globalement la perte de jouissance et la réduction de loyer. »[40]

[Références omises]

  1. Finalement, quant au critère « équitable », il mentionne :

« Le but du recours en diminution de loyer est de rétablir l’équilibre entre les prestations des parties, de sorte qu’en rendant sa décision le tribunal ne doit pas créer un nouveau déséquilibre en accordant au locataire une diminution de loyer disproportionnée ou tout à fait injustifiée. »[41]

[Références omises]

  1. La détermination de la valeur de la perte locative est donc un exercice qui repose sur plusieurs éléments qui doivent être analysés globalement par le Tribunal.
  2. Il va sans dire que pour déterminer cette diminution de loyer, le Tribunal doit faire une évaluation objective de la valeur de la perte de jouissance en tenant compte notamment du loyer payé.
  3. Suivant analyse, le Tribunal juge que la perte de jouissance pour la période du 12 septembre 2024 jusqu’au 1er novembre 2024 justifie une diminution de loyer globale de 40 $.
  1. Le locataire a-t-il subi des dommages moraux, et le cas échéant, quelle est la valeur de ces dommages ?
  1. Le locataire réclame des dommages moraux de 15 000 $ pour ses problèmes de santé et pour atteinte à sa vie.
  2. Il réclame également des dommages moraux de 5 000 $ pour ses pertes de jouissances.
  3. Ce type de dommages vise à compenser le stress, les inquiétudes, la fatigue et les troubles et inconvénients de toutes sortes qu’a pu éprouver la partie lésée. Ce dommage est difficile à évaluer contrairement aux dommages pécuniaires, qui sont plus aisément quantifiables en raison de leur caractère objectif.
  4. Les dommages moraux ne peuvent se présumer et doivent être prouvés selon les règles de prépondérance. En effet, « Le dommage ne se présume jamais ; il doit être prouvé selon les règles ordinaires de prépondérance »[42].

  1. S’il s’agit de dommages moraux, « ... la difficulté à chiffrer un préjudice non économique ne doit pas équivaloir à une dispense d’avoir à prouver sa survenance. (...) Le simple fait que le préjudice soit moral ne permet pas de se contenter d’une simple affirmation générale »[43] expliquant qu’on a subi un quelconque préjudice.
  2. Qu’en est-il en l’espèce ?
  3. Pour le Tribunal, le locataire n’a pas rencontré son fardeau de preuve sur ces réclamations.
  4. D’ailleurs, rien dans la preuve ne permet d’établir un lien de causalité entre un problème relié au logement et un problème de santé du locataire. Rien dans la preuve ne démontre une atteinte à la vie du locataire.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

  1. ACCUEILLE en partie la demande;
  2. CONDAMNE la locatrice à payer au locataire la somme de 40 $, le tout avec intérêt légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du C.c.Q à compter du 12 septembre 2024 en plus des frais au montant de 97,50 $.

 

 

 

 

 

 

 

 

Philippe Morisset

 

Présence(s) :

le locataire

la locatrice

Date de l’audience : 

10 janvier 2025

 

 

 


[1] Pièce L-2.

[2] Admission des parties.

[3] Voir Pièce L-1.

[4] Idem.

[5] Voir Pièce L-7.

[6] Idem.

[7] Voir Pièce L-4.

[8] Pièce L-1 précité.

[9] Voir Pièce L-2.

[10] Voir Pièce P-1.

[11] Voir Pièce P-2.

[12] Voir Pièce P-3.

[13] Idem.

[14] Pièce L-4.

[15] Voir Pièce L-5 à L-8.

[16] Voir Pièce P-9.

[17] Pièce P-10.

[18] Voir notamment la Pièce P-12.

[19] Pièce P-18.

[20]  Gestion immobilière Dion, Lebeau inc. c. Grenier, J. E. 91-345 (C. Q.).

[21] Hajjar c. Hébert, [1999], J. L. 316.

[22] Pièce L-1 précité.

[23]  Jean-Louis BAUDOUIN et Pierre-Gabriel JOBIN, Les obligations, 7e éd. par P.-G. JOBIN et Nathalie VÉZINA, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, EYB2013OBL105 (La référence).

[24] Ibis.

[25] Denis LAMY, La diminution de loyer, Ed. Wilson & Lafleur Ltée, 2004. pp. 29 et 30.

[26] Jacques Deslauriers, Vente, louage, contrat d’entreprise ou de service, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2013, no. 1225.

[27] Ibis, no. 1245 et1246.

[28] EYB 2004-69961 (C.S.), confirmé en appel 2006 QCCA 764 (CanLII), 2006 QCCA 764.

[29] Voir à titre d’exemple les décisions Sergerie c. Mallette (R.D.L., 2018-08-03), 2018 QCRDL 26411, SOQUIJ AZ-51519373 ; Ratté c. Côté (R.D.L., 2016-12-05), 2016 QCRDL 41011, SOQUIJ AZ-51348661.

[30] Denis LAMY, La diminution de loyer, Wilson & Lafleur, 2004, p. 7-8

[31] Thérèse ROUSSEAU-HOULE et Martine De BILLY, Le bail du logement : analyse de la jurisprudence, Montréal, Wilson & Lafleur ltée, 1989, p. 101.

[32] 2016 QCRDL 26049, SOQUIJ AZ-51310635

[33] R'Guiba c. 9291-9190 Québec inc. (Gestion Immopolis), (R.D.L., 2019-01-25), 2019 QCRDL 2363, SOQUIJ AZ-51565038,Trottier Labelle c. Entreprise Agostino inc., 2018 QCRDL 42209, Lalime c. Résidence Jardin Botanique Gestion Lrm Manag., 2013, QCRDL 4803

[34] 1996 CanLII 4237 (QC CQ), REJB 1996-29317; 1996 CanLII 4237 (QC CQ).

[35] 2016 QCRDL 10363

[36] 2020 QCCQ 2875.

[37] Gagné c. Larocque, R.L., 31-970501-054G, 1er décembre 1997, r. Joly.

[38] Denis LAMY, La diminution de loyer, Ed. Wilson & Lafleur Ltée, 2004, pages 18 et 19.

[39] Idem, page 20.

[40] Idem, Page 22.

[41] Idem, page 27.

[42] Éditions Vice-versa inc. c. Aubry (opinion du juge Beaudoin, dissident), C.A., 15 août 1996, 1996 CanLII 5770 (QC CA), J.E. 96-1711, [1996] R.J.Q. 2137, [1996] R.R.A. 982 (rés.) et en Cour Suprême, des juges Lamer et Major, dissidents : Aubry c. Éditions Vice-Versa inc., C .S. Can., 9 avril 1998, 1998 CanLII 817 (CSC), J.E. 98-878, [1998] 1 R.C.S. 591.

[43] Ibis.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.