[1] L’appelant se pourvoit contre un verdict prononcé dans le district de Québec le 11 février 2011 par un jury, qui l’a déclaré coupable du meurtre au premier degré de Lyne Massicotte au terme d’un procès présidé par l’honorable Jean-Claude Beaulieu;
[2] Pour les motifs de la juge Thibault, auxquels souscrivent les juges Bélanger et C. Gagnon;
LA COUR :
[3] ACCUEILLE l'appel;
[4] ANNULE le verdict de culpabilité et
[5] ORDONNE la tenue d'un nouveau procès.
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MOTIFS DE LA JUGE THIBAULT |
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[6] L’appelant se pourvoit contre un verdict prononcé le 11 février 2011 par un jury, qui l’a déclaré coupable du meurtre au premier degré de Lyne Massicotte (ci-après la victime) au terme d’un procès présidé par l’honorable Jean-Claude Beaulieu[1].
[7] Cette affaire pose la question de l’admissibilité en preuve de l’aveu fait par l’appelant à « Monsieur Big » à la suite d’une opération policière d’infiltration complexe lors de laquelle des agents doubles l’ont graduellement amené à désirer faire partie d’une organisation criminelle.
[8] Le 7 mai 2013, la Cour a rejeté l’appel formé par l’appelant qui plaidait notamment que son aveu avait été fait dans des circonstances « coercitives au point de compromettre sa fiabilité »[2]. La Cour a exprimé l’avis que plusieurs éléments de la preuve assuraient suffisamment la fiabilité de l’aveu[3].
[9] L’appelant s’est pourvu devant la Cour suprême, qui, le 23 octobre 2014[4], a retourné le dossier à la Cour pour que celle-ci statue en conformité avec R. c. Hart[5]. Cet arrêt, rendu après celui de la Cour en mai 2013, a changé le droit en matière d’admissibilité d’un aveu obtenu à la suite d’une opération policière de type Monsieur Big. Un tel aveu est dorénavant présumé inadmissible. Cette présomption peut être réfutée si le ministère public établit, par prépondérance des probabilités, que sa valeur probante l’emporte sur son effet préjudiciable.
1- Les faits
[10] L’appelant et la victime font connaissance par Internet. Ils conviennent d'une rencontre à Québec, le 17 juillet 2003, à l'appartement de l’appelant. Avant son départ pour Québec, la victime conduit sa fille de 12 ans chez une gardienne. Elle laisse à cette dernière ses coordonnées. En soirée, la gardienne téléphone chez l’appelant. Elle désire parler à la victime pour savoir si celle-ci revient coucher à Chambly. L’appelant lui dit qu’elle est sortie pour acheter des cigarettes, mais qu’elle n'est pas revenue par la suite.
[11] Vers 22 h 30, la gardienne communique avec Francine Massicotte, sœur de la victime, pour l’informer qu'elle est sans nouvelles de cette dernière. Francine Massicotte contacte à son tour l’appelant. Celui-ci lui raconte la même histoire.
[12] La victime n’a jamais été revue.
[13] L’appelant est interrogé par les policiers les 21, 22, 24 et 29 juillet 2003. Aucun indice sérieux ne permet de le relier à la disparition de la victime. Les policiers entretiennent toutefois des soupçons à l'égard de celui qui est, à leur connaissance, le dernier à avoir vu la victime vivante.
[14] En 2009, une escouade spécialisée de la Sûreté du Québec décide d'utiliser une technique spéciale d'enquête appelée Monsieur Big. L'opération débute le 29 septembre 2009 et se poursuit jusqu’au 13 janvier 2010 sous la forme de 41 scénarios. Ceux-ci sont conçus pour imprégner l’appelant de l’idée que l’organisation criminelle à laquelle il a affaire est puissante, violente, et capable de lui procurer une aisance matérielle, dans la mesure où il fait preuve de loyauté et d'honnêteté. Au départ, aucune activité criminelle n’est en jeu[6]. On demande à l’appelant de faire divers petits travaux, de façon sporadique, pour lesquels il est rétribué. L’appelant est graduellement amené à commettre des crimes fictifs, mais qu’il croit réels. Les scénarios sont également conçus pour que l’appelant s’attache à son « agent primaire », qu’il considère comme son meilleur ami et à qui il voue une confiance entière.
[15] Pour faire partie de l’organisation criminelle et bénéficier de tous les avantages matériels et sociaux qu’on lui fait miroiter, l’appelant est soumis, au terme des 41 scénarios, à une sorte d’entrevue dont dépend son admission dans l’organisation criminelle. À cette occasion, Monsieur Big dit à l’appelant qu’il s’est informé sur son passé, qu’il a « su certaines choses » et que « ça ne regarde pas bien pour [lui] », mais qu’il est « prêt à l’aider ». Il insiste sur sa franchise et l’invite à quitter les lieux s’il ne peut satisfaire cette règle. Il exige que l’appelant lui fournisse les détails de son crime pour que l’organisation gomme les preuves incriminantes laissées derrière lui et l’intègre dans ses rangs sans risque pour cette dernière.
[16] L’appelant nie d’abord avoir commis le meurtre. Monsieur Big le traite de menteur. Il lui répète que l’aide proposée par l’organisation dépend de sa franchise et l’invite à quitter les lieux s’il n'est pas disposé à lui dire la vérité. C’est à ce moment que l’appelant déclare à Monsieur Big qu’il va tout lui avouer. Il lui fournit des informations de plus en plus détaillées au fur et à mesure que Monsieur Big le guide par ses questions pertinentes. Je reviendrai sur le déroulement de l’entrevue et le contenu de l’aveu.
[17] Dans son mémoire, l’appelant pose une seule question. Le juge du procès a-t-il erré en admettant en preuve l’aveu de l’appelant obtenu au terme de l’opération Monsieur Big? L’appelant plaide que c’est le cas. Premièrement, il fait valoir que l’aveu ne présente pas le caractère de fiabilité voulu. Deuxièmement, il avance que la conduite des policiers lors de l’opération Monsieur Big équivaut à un abus de procédure. Il demande, en conséquence, l'exclusion de l’aveu.
[18] L’étude du dossier a amené la Cour à proposer aux parties l’examen d’une deuxième question. Si l’aveu de l’appelant apparaît suffisamment fiable pour être admis en preuve au terme de l’application de l’arrêt Hart, les directives du juge au jury sont-elles conformes aux enseignements de la Cour suprême dans R. c. Mack[7]?
[19] L’appelant décrit les similitudes entre la présente affaire et celle de Nelson Lloyd Hart, dont l’aveu issu d’une opération Monsieur Big a été déclaré inadmissible en preuve par la Cour suprême[8]. Il insiste sur les ressemblances quant à l’impact matériel et psychologique de son intégration dans une pseudo-organisation criminelle. Il fait valoir que, dans les deux cas, les accusés s’étaient liés d’amitié avec leur « agent primaire », qu’on leur a fait miroiter une vie de rêve et fait croire que l’organisation n’hésiterait pas à recourir à la violence pour parvenir à ses fins.
[20] L’appelant affirme que, comme M. Hart, il était vulnérable, isolé socialement et vivait de l’aide sociale. L'organisation criminelle fictive a transformé sa vie en lui permettant de nouer des liens d’amitié forts, en augmentant de façon sensible son train de vie et en lui faisant espérer des avantages financiers importants. En le traitant de menteur et en lui faisant comprendre qu’il devait confesser un crime ou quitter les lieux, Monsieur Big le poussait irrésistiblement à faire un aveu, vrai ou faux.
[21] L’appelant conclut que ces circonstances rendent l’aveu non fiable. Il examine les indices de fiabilité soulevés par le ministère public et tente de les discréditer. J’y reviendrai.
[22] L’appelant rappelle qu’aucune preuve matérielle ne corrobore son aveu, et ce, malgré les recherches des techniciens en identité judiciaire dans son appartement, dans le véhicule retrouvé ainsi que sur les sites potentiels où aurait été abandonnée la dépouille de la victime. Le corps de cette dernière n’a pas été retrouvé. Il a été incapable de mener les agents doubles au lieu où, dans son aveu, il a dit en avoir disposé.
[23] L’appelant conclut que son aveu est inadmissible, car sa valeur probante est faible alors que son effet préjudiciable est significatif. Dans le cas d’une opération Monsieur Big et, plus particulièrement dans son cas, les jurés ont entendu une longue preuve démontrant qu’il voulait joindre une organisation criminelle et qu’il participait activement à des activités criminelles. Les jurés ont ensuite pu visionner une vidéo dans laquelle il fait une déclaration incriminante détaillée d'un meurtre sordide.
[24] Pour sa part, l’intimée insiste d'abord sur deux éléments qui, selon elle, ne pouvaient être connus que de l’assassin et que l'appelant relate au patron dans son aveu: le fait que le coffre de l’automobile de la victime était rempli et que les portières avaient été laissées déverrouillées lorsque le véhicule a été abandonné près du Château Frontenac. Elle plaide que les explications données par l’appelant pour justifier sa connaissance de ces éléments sont tardives - il n’en a pas parlé pendant son interrogatoire à la police ni pendant son témoignage au procès sur voir-dire - et invraisemblables.
[25] L’intimée dresse une liste de dix indices additionnels qui, encore selon elle, attestent la fiabilité de l’aveu de l’appelant : 1) les photos de scènes de viol retrouvées sur son ordinateur, dont elle affirme que certaines « annon[cent] [le] mode d’exécution » du meurtre; 2) le fait que l’appelant a déjà affirmé à l’agent double Richard que s’il agressait une femme, il l’étranglerait d’un seul bras; 3) le témoignage de Steve Martel qui a vu une personne correspondant à l’appelant prendre le volant d’un véhicule identique à celui de la victime à 23 h; 4) le positionnement du siège du conducteur pour une personne de grande taille alors que la victime mesure cinq pieds; 5) le lieu où l’automobile de la victime a été retrouvée, où l’appelant stationnait deux ou trois fois par année; 6) la présence de « shale » rouge sur l’aile droite de l’automobile de la victime, ce qui indique qu’elle a circulé près du fleuve; 7) les heures d’activité de l’ordinateur de l’appelant, qui ne concordent pas avec ses habitudes et qui corroborent le déroulement des événements décrits dans l’aveu; 8) la consultation du site du ministère de la Justice et l’effacement de fichiers informatiques en quantité « inégalée » pour la période du 15 au 20 juillet; 9) l’identification par les policiers d’un endroit sur les berges du fleuve St-Laurent « correspondant parfaitement » au lieu décrit dans l’aveu et où le corps aurait pu être emporté par les grandes marées; et 10) la disparition de la victime qui n'a jamais donné signe de vie depuis le 17 juillet 2003.
[26] L’intimée souligne enfin que le caractère détaillé de son aveu et sa cohérence sont incompatibles avec un récit improvisé. Elle ajoute que, durant l’aveu, l’appelant sourit, il fait des blagues, il semble très à l’aise, il regarde le patron dans les yeux et il pousse un soupir de soulagement lorsqu’il lui annonce qu’il est le premier à qui il révèle ce qui s'est réellement passé. Pour l’intimée, ce qui a poussé l’appelant à faire l’aveu n’était pas sa crainte de l’organisation, mais son désir d’obtenir de l’aide pour faire disparaître des éléments de preuve incriminants et lui garantir l'impunité.
3.2 L’abus de procédure
[27] De façon subsidiaire, l’appelant plaide que la conduite des policiers rend son aveu inadmissible. Ceux-ci l’ont entraîné dans un monde criminel pour tirer parti de son isolement social et de sa pauvreté. Les agents ont nourri sa dépendance émotionnelle à leur endroit. De plus, lors des scénarios, on lui a démontré que la pseudo-organisation criminelle était puissante et qu’elle pouvait même forger un alibi pour une personne soupçonnée d’un meurtre.
[28] L’appelant conclut que la manipulation dont il a été victime compromet l’intégrité du système de justice et équivaut à une provocation policière visant à forcer une personne vulnérable, présumée innocente, à s’incriminer.
[29] Pour sa part, l’intimée passe en revue les jugements qui appliquent l’arrêt Hart, soit R. c. Derbyshire[9], R. c. Balbar[10], R. c. Hales[11] et R. c. Ledesma[12]. Seul R. c. Derbyshire a mené à l’application de la doctrine de l’abus de procédure et à l’exclusion de la preuve. Dans cette affaire, lors d’un scénario unique, deux agents d’infiltration se sont fait passer pour des motards criminalisés. Ils ont intimidé l’accusée qu'ils ont confinée dans un espace restreint, en s'assurant qu'elle ne puisse communiquer avec qui que ce soit, de manière à la priver de la faculté de choisir de faire ou de refuser de faire un aveu.
[30] L’intimée plaide que les avantages offerts à l’appelant à l’occasion de l’opération Monsieur Big n’ont pas transformé sa vie : il a épargné l’argent reçu, il s’attendait à toucher un jour un héritage important de sa mère, il n’était pas isolé socialement, il avait trois ou quatre amis, il voyait sa fille aux deux fins de semaine. Il a même noué une relation amoureuse durant l’opération policière.
3.3 L’application de l’arrêt Mack
[31] L’intimée plaide que la Cour possède une compétence limitée dans le présent appel en raison des termes de l’arrêt rendu par la Cour suprême le 24 octobre 2014. Plus précisément, elle plaide que la Cour doit se concentrer sur la seule question de l’admissibilité en preuve de l’aveu de l’appelant.
[32] De son côté, dans la mesure où la Cour décide que l’aveu est suffisamment fiable pour être admis en preuve et soumis à l’appréciation du jury, l’appelant demande de déclarer insuffisantes les directives du juge quant à sa fiabilité et à son effet préjudiciable, en application des enseignements de la Cour suprême dans Mack. En conséquence, il demande à la Cour d’ordonner la tenue d’un nouveau procès.
4- L’analyse
4.1 Introduction
[33] L’état du droit en matière d’aveu obtenu au terme d’une opération Monsieur Big a été modifié par l’arrêt Hart précité. Le juge Moldaver propose une démarche en deux volets destinée à préserver le droit à un procès équitable ainsi que l’intégrité du système de justice[13]. Il crée une nouvelle règle de preuve qu’il couple à « une approche plus vigoureuse de la doctrine de l’abus de procédure »[14]. La nouvelle règle de preuve enseigne que l’aveu est présumé inadmissible. Cette présomption peut être réfutée si le ministère public prouve, selon la prépondérance des probabilités, que la valeur probante de l’aveu l’emporte sur son effet préjudiciable. La valeur probante tient ici à la fiabilité de l’aveu[15]. La Cour suprême précise que les opérations Monsieur Big se ressemblent toutes, que les craintes d’effet préjudiciable s’apparentent d’une affaire à l’autre et que, en conséquence, une grande partie de l’analyse doit porter sur la fiabilité de l’aveu.
[34] Pour apprécier la fiabilité de l’aveu, le juge doit tout d’abord étudier les circonstances dans lesquelles il est fait :
102 Le caractère persuasif de l'aveu tient au fait qu'il va à l'encontre de l'intérêt de l'accusé. Les gens n'avouent habituellement pas des crimes qu'ils n'ont pas commis (Hodgson, par. 60). Or, les circonstances dans lesquelles l'aveu est obtenu lors d'une opération Monsieur Big peuvent réfuter cette affirmation. Dès lors, pour savoir si l'aveu est digne de foi, il faut d'abord se pencher sur ces circonstances et déterminer dans quelle mesure elles mettent en doute la fiabilité de l'aveu. Au nombre de ces circonstances, mentionnons la durée de l'opération, le nombre d'interactions entre les policiers et l'accusé, la nature de la relation qui s'est tissée entre les agents et l'accusé, la nature des incitations et leur importance, le recours à des menaces, la conduite de l'interrogatoire, ainsi que la personnalité de l'accusé, y compris son âge, ses connaissances et son état de santé mentale.[16]
[Je souligne]
[35] Le juge doit ensuite rechercher dans l’aveu même des éléments susceptibles de rehausser sa fiabilité. Il doit enfin tenir compte de la preuve de l’ensemble du dossier pour déterminer s’il existe des éléments qui corroborent l’aveu :
105 Après examen des circonstances, le juge doit rechercher dans l'aveu même des indices de sa fiabilité. Il doit tenir compte de la mesure dans laquelle l'aveu est détaillé, du fait qu'il mène ou non à la découverte d'autres éléments de preuve, de la mention de modalités du crime non révélées au public (p. ex., l'arme du crime) ou du fait qu'il décrit fidèlement ou non certaines données anodines que l'accusé n'aurait pas connues s'il n'avait pas commis le crime (p. ex., la présence ou l'absence d'objets particuliers sur le lieu du crime). Une preuve de corroboration n'est pas absolument nécessaire, mais lorsqu'elle existe, elle peut offrir une solide garantie de fiabilité. Plus les circonstances de l'aveu soulèvent des doutes, plus il importe de trouver des indices de fiabilité dans l'aveu lui-même ou dans l'ensemble de la preuve.[17]
[Je souligne]
100 Quels sont les éléments à considérer dans
l'appréciation de la fiabilité de l'aveu issu d'une opération Monsieur Big? Il
est sans doute possible d'établir un parallèle avec la détermination du
"seuil de fiabilité" dans le cadre de l'approche raisonnée qui
s'applique en matière de ouï-dire. Suivant cette approche, le ouï-dire est
admissible s'il est à la fois nécessaire et fiable. La fiabilité peut
généralement être établie de deux manières : démontrer que la déclaration
est digne de foi ou que cette fiabilité peut être suffisamment vérifiée
au procès (R. c. Khelawon,
[Je souligne]
4.2 L’admissibilité de l’aveu
4.2.1 Les circonstances de l’aveu
[37] Il faut s’attarder aux circonstances dans lesquelles l’aveu est fait pour déterminer comment celles-ci affectent sa fiabilité. La Cour suprême a déterminé dans Hart les balises permettant à une cour d'appel d'appliquer aux faits la nouvelle règle de preuve de common law[19].
[38] M. Hart était isolé socialement. Il vivait de l’aide sociale. L’opération Monsieur Big avait transformé sa vie. Les agents doubles les plus près de lui étaient devenus ses seuls amis. M. Hart consacrait la plus grande partie de son temps aux tâches que lui confiait l’organisation. L’opération avait été longue et soutenue (63 scénarios s’étalant sur quatre mois). À cela, s’étaient ajoutés des attraits financiers non négligeables. M. Hart avait bénéficié d’une rémunération de plus de 15 000 $ qui l’avait fait sortir de la pauvreté. Des gratifications financières plus importantes lui étaient aussi promises s’il était admis dans l’organisation. On lui avait fait compter des centaines de milliers de dollars en argent liquide. On lui avait promis 25 000 $ en récompense de sa participation à une affaire importante sur le point de se conclure. Son train de vie était considérablement augmenté (nouveaux vêtements et repas dans de bons restaurants)[20]. L’impact des attraits financiers est d’ailleurs attesté par les déclarations de M. Hart, qui avait exprimé sa reconnaissance dès le début de sa rencontre avec Monsieur Big[21].
[39] Le juge Moldaver rappelle que pour M. Hart, la perspective de nouer des liens d’amitié était aussi attrayante que les gratifications financières. Ce dernier était isolé, et dès le début de l’opération, les agents doubles ont cherché à devenir « ses meilleurs amis ». Lorsqu’il s’est présenté à l’entretien avec Monsieur Big, M. Hart savait que « sa chance d’échapper à la pauvreté et à l’isolement social était en jeu »[22]. Les agents doubles lui avaient clairement indiqué qu’il devait être honnête, ce que Monsieur Big a aussi répété dès le début de l’entretien. Lorsqu’il a d’abord nié avoir tué les fillettes, Monsieur Big l’a traité de menteur. M. Hart s’est donc « trouvé devant un choix déchirant : faire des aveux ou être considéré comme un menteur par l'homme qui dirigeait l'organisation à laquelle il voulait tant appartenir »[23].
[40] Le juge Moldaver a conclu que « considérées globalement, ces circonstances étaient de nature à pousser irrésistiblement l'intimé à faire des aveux, vrais ou faux »[24] et elles mettaient sérieusement en doute leur fiabilité.
[41] Comme je l’ai déjà écrit, plusieurs de ces éléments sont aussi présents dans le cas de l’appelant. Même si celui-ci n’était pas aussi isolé que M. Hart, il a noué des liens forts avec l’agent primaire, il a reçu des sommes d’argent substantielles et on lui a fait miroiter la possibilité de s’enrichir davantage. Il a compté des sommes d’argent substantielles. Il devait toucher 50 000 $ pour sa participation à une opération sur le point d’avoir lieu. Tout au long de l’opération, on lui a fait comprendre que sa loyauté et son honnêteté étaient essentielles. Monsieur Big lui a répété cette exigence au début de l’entrevue. L’appelant voulait faire partie de l’organisation criminelle, conserver ses relations et sortir de la pauvreté. Quand il a refusé de confesser le crime, le patron l’a traité de menteur et l’a invité à quitter les lieux. L’appelant devait dire la vérité faute de quoi il n’était pas admis dans l’organisation.
[42] J’examinerai l’aveu de l’appelant pour déterminer ensuite si certains éléments de celui-ci ou de l’ensemble de la preuve permettent d’en rehausser la fiabilité.
4.2.2 La recherche dans l’aveu d’indices de fiabilité
[43] L’entrevue a été enregistrée sur vidéo. L’agent primaire présente l’appelant au patron. Ce dernier dit qu’il est stressé. Le patron le rassure, lui offre à boire et à manger et lui explique qu’il désire le connaître. Il lui demande s’il aime son expérience dans l’organisation. L’appelant lui répond que son moral s’est considérablement amélioré depuis qu’il en fait partie.
[44] Le patron demande ensuite à l’appelant de lui expliquer quelles sont les valeurs véhiculées par l’organisation. L’appelant identifie sans hésitation que l’honnêteté est primordiale. Le patron opine et renchérit. Il explique que les personnes intégrées dans l’organisation doivent être blanches comme neige. Au besoin, l’organisation peut aplanir les difficultés, par exemple en forgeant un alibi, mais cela exige que l’organisation connaisse la vérité.
[45] La conversation s’engage sur la vie de l’appelant, un emploi de machiniste occupé jadis, son apprentissage autodidacte de l’informatique. Le patron demande à l’appelant de définir comment il envisage son avenir. Ce dernier exprime son désir de continuer à faire partie de l’organisation à long terme. Il sait qu’un manquement à l’exigence d’honnêteté emporterait son exclusion de l’organisation. Le patron revient alors sur la question de l’honnêteté. Il cite l’exemple de « Tantinet », un membre de l’organisation pour qui un alibi a été fabriqué. Il explique à l’appelant que c’est parce que « Tantinet » lui avait parlé de son histoire qu’il avait pu « arranger les choses (…) principalement parce qu’il avait été honnête ».
[46] Le patron aborde ensuite la question des condos de luxe. Il réitère à l’appelant son offre d’en habiter un. L’appelant exprime sa gratitude. Il décrit ses conditions de vie difficiles et sa difficulté à joindre les deux bouts. Le patron évoque la possibilité de « l’embarquer sur le pay roll », de lui donner un revenu fixe, une voiture et un cellulaire.
[47] Le patron rappelle à l’appelant qu’avant d’accéder à ces avantages, il faut « régler des choses », qu’il doit être « blanc comme neige ». Le patron ajoute qu’il a « fait des vérifications » et qu’il a « su certaines choses » qui sont de mauvais augure. Il lui dit « ça ne regarde pas bien pour toi », mais lui offre de l’aider, si, évidemment, l’appelant accepte de lui révéler « toute l’histoire ». Le patron ajoute que s’il ne veut pas dire la vérité, il peut quitter les lieux.
[48] L’appelant partage alors avec le patron la version qu’il a toujours racontée aux policiers. Il a rencontré la victime sur Internet. Elle est venue chez lui. Ils ont fumé de la marijuana ensemble. Ils ont ensuite décidé d’aller au restaurant. Elle lui a demandé de conduire. Il a pris place dans le siège conducteur, mais il ne se sentait pas en état de conduire. Son refus de conduire a mis la victime en colère et elle est repartie. L’appelant a passé la soirée seul chez lui.
[49] Le patron ne le croit pas. Il dit à l’appelant qu’il a « payé du monde » et fait des vérifications, qu’il sait qu’il lui « conte des menteries ». Il réitère finalement son offre de l’aider si l’appelant lui dit la vérité et lui répète qu’il peut quitter les lieux. L’appelant lui répond : « Vous allez être le premier à savoir ce qui s’est passé pour vrai » et ajoute « c’est la première fois que je le dis à quelqu’un ». Il explique que tout ce qu’il a dit « jusqu’au bout du pot » est exact. Il poursuit :
Alain : Là, j’ai voulu me coller un petit peu, elle n’a pas voulu, ça fait que…
Boss : Bon, O.K., c’est quoi qui est arrivé?
Alain : Je l’ai étranglée.
[Je souligne]
[50] La suite de l’aveu est constituée de séquences d’événements discutées plusieurs fois par le patron et l’appelant. Celui-ci ajoute des détails à chaque fois. Aux fins de ces motifs, je résumerai les propos de l’appelant en les regroupant selon le déroulement des événements.
[51] L’appelant explique que la victime s’est présentée chez lui, qu’ils ont jasé un peu et qu’ils ont passé du temps à naviguer ensemble sur Internet. La victime lui a offert un joint. L’appelant a pris trois bouffées de marihuana, ce dont il n’a pas l’habitude. Ils ont ensuite décidé d’aller au restaurant. Il a voulu « se coller » avant de partir, mais la victime a refusé. C’est là qu’il l’a « ramass[ée] » d’une seule main à la gorge. Il l’a tenue deux ou trois minutes sur le mur. Elle n’émettait aucun son. Toujours en la maintenant contre le mur, il l’a glissée vers le lit. Plus il avançait vers le lit, moins elle réagissait. Ils sont arrivés au lit. Il l’a déshabillée. Il a tenté de la violer, mais sans succès. Puis, elle est « tomb[ée] assise à côté du lit ». L’appelant confirme qu’il y a eu tentative de relation sexuelle, mais pas de relation sexuelle comme telle.
[52] L’appelant fournit des détails sur la manière dont il a réussi à sortir le corps de l’appartement. Vers 23 h, il a pris la voiture de la victime et l’a reculée très près du bord de la fenêtre du sous-sol dans lequel il habitait. Il a identifié la voiture de la victime au moyen du certificat d’enregistrement trouvé dans son sac à main. Il précise qu’il a préparé une explication pour le cas où l’on retrouverait ses empreintes ou des traces de son ADN dans la voiture de la victime, soit qu’il avait pris place dans le véhicule ce soir-là pour aller au restaurant.
[53] Il portait des espadrilles, des jeans, un t-shirt, des petits gants en laine pour ne pas laisser de traces ainsi qu’un petit manteau noir à manches longues avec une « capine ».
[54] L’appelant a parlé au téléphone avec la sœur de la victime. Il explique qu’elle lui a demandé de vérifier si la voiture de sa sœur était toujours dehors. Il affirme être effectivement sorti dehors pour faire semblant de vérifier. La sœur de la victime l’a rappelé vers 23 h et l’a menacé de téléphoner à la police. C’est alors qu’il a fait des recherches sur Internet pour connaître la procédure lorsqu’une personne disparaît. En cliquant sur différents liens, il s’est trouvé sur le site du ministère de la Justice à consulter les dispositions du Code criminel sur le meurtre, mais il explique ne pas avoir activement recherché cette information[25].
[55] Il a enroulé le corps de la victime dans une « doudou ». Il l’a sorti par la fenêtre du sous-sol et déposé sur la banquette arrière de la voiture, car le coffre était plein. Personne ne l’a, dit-il, vu puisqu’il y avait une galerie au-dessus de la fenêtre. De plus, de chaque côté de cette fenêtre, une voiture était stationnée, bloquant ainsi les regards indiscrets.
[56] Il est parti en voiture. Il a cherché un endroit où il pourrait abandonner la dépouille de la victime. À Lévis, il a aperçu l’entrée d’un petit poste d’Hydro-Québec. Il a emprunté un chemin sinueux et boueux qui l’a mené près du fleuve. Au bout de ce chemin, il est descendu du véhicule. Il a laissé le corps près de cet endroit, après l’avoir fait dévaler une « butte » sur une distance d’environ une quinzaine de pas. Il dit que « l’eau est loin », même à marée haute, « mais ça reste toujours humide un petit peu dans ce coin-là ». Il a repris la route. Il s’est débarrassé des vêtements de la victime et de la « doudou » en les jetant dans une benne à ordures. Il a stationné la voiture près du Château Frontenac. Il a laissé les portes déverrouillées, souhaitant que la voiture soit volée. Il est retourné chez lui à pied. Il a jeté les clés de la voiture dans une grille d’égout et ses gants dans le fleuve.
4.2.3 La corroboration de l’aveu de l’appelant
[57] Plusieurs éléments de preuve circonstancielle établissent la fiabilité de l’aveu.
A- La fabrication d’une explication pour justifier la présence de son ADN
[58] Dans son aveu, l’appelant explique qu’il a forgé une explication pour justifier la présence éventuelle de traces de son ADN ou de ses empreintes dans l’automobile de la victime.
[59] La preuve a révélé que Francine Massicotte (sœur de la victime) et Manon Lessard (amie de la victime et gardienne de sa fille) ont téléphoné séparément à l’appelant le soir du 17 juillet, un jeudi. Elles affirment que ce dernier leur a dit que la victime était partie seule acheter des cigarettes et qu’elle n’était jamais revenue. Par la suite, le samedi, l’appelant a donné une autre version aux policiers. Il a expliqué qu’il avait pris place dans le siège du conducteur de la voiture de la victime pour se rendre jusqu’au restaurant. Il n’y serait pas allé finalement, parce qu’il avait les jambes molles en raison de sa consommation de marihuana. La victime serait partie seule au restaurant et elle n’est jamais revenue. Au procès, l’appelant nie la version reliée à l’achat de cigarettes et maintient qu’il s’est assis dans le siège du conducteur pour aller au restaurant.
[60] Voici l’extrait pertinent de l’aveu de l’appelant :
Alain : Ils ont trouvé mes empreintes dans l’auto mais, ça, j’avais préparé mon explication.
Boss : O.K. C’est quoi tu leur as dit?
Alain : Bien, comme j’embarquais avec elle pour conduire, c’est normal qu’il y avait mes empreintes dans ce coin-là.
Boss : O.K.
Alain : Ou qu’il y avait un ADN, un cheveu quelconque, là, bon, dans l’auto.
[61] Cet élément de l’aveu, suivant lequel il a forgé une explication pour éventuellement justifier la présence de son ADN, trouve appui dans la preuve.
B- Le témoignage de Steve Martel
[62] Le témoignage de Steve Martel constitue un deuxième élément qui atteste de la fiabilité de l’aveu de l’appelant. M. Martel explique avoir vu de son balcon, vers 23 h le soir du 17 juillet 2003, un homme - mesurant environ six pieds, pesant entre 180 et 200 livres et portant un t-shirt blanc - arriver de la rue Mont-Thabor, où demeure l’appelant. Ce dernier a ouvert la porte côté passager d’une Pontiac Sunfire noire quatre portes stationnée devant chez lui et y déposé quelque chose sur le siège côté passager. Il a ensuite fait le tour du véhicule et a ouvert la porte du conducteur en protégeant sa main avec son chandail pour ne pas toucher à la poignée. L’homme a ensuite démarré le véhicule et il a quitté les lieux après 2 ou 3 minutes, les phares éteints.
[63] Les détails fournis par Steve Martel correspondent à la description physique de l’appelant et à celle du véhicule de la victime. Ils recoupent aussi ce que l’appelant a dit au procès, soit que la voiture était stationnée à environ un coin de rue de chez lui, ce qui la situe en face de l’appartement de M. Martel. De plus, le policier Richard Lachance, qui a rencontré l’appelant en compagnie de l’enquêteur principal Sylvain Tremblay le 22 juillet 2003, a affirmé que l’appelant lui a dit ce jour-là « que le véhicule était dans la rue en avant, qui se trouve être la rue de la Lorraine, qui se trouve à être une rue qui arrive face à son bloc appartement ».
[64] Dans son aveu, l’appelant explique avoir probablement porté un t-shirt à ce moment-là. Il affirme aussi avoir déplacé l’auto de la victime vers 23 h dans le but d’y placer le corps, ce qui concorde avec le témoignage de Steve Martel. On sait aussi que l’ordinateur de l’appelant a connu une période d’inactivité de 23 h 28 à 4 h du matin, ce qui, à une demi-heure près, coïncide avec l’heure où M. Martel a vu un individu dont la description correspond à l'appelant dans la Pontiac Sunfire noire et avec l’heure de départ identifiée par l’appelant dans son aveu.
[65] Ce témoignage rehausse considérablement la fiabilité de l’aveu. Une personne correspondant à l’appelant déplace une voiture identique à celle de la victime. Cette voiture était stationnée exactement à l’endroit où, selon le témoignage de l’appelant, la victime s’était garée.
C- La facture de l’aveu
[66] L’aveu est truffé de détails et d’explications. Il est difficile d’imaginer qu’une personne n’ayant pas commis le meurtre pourrait les fournir.
[67] L’appelant donne une description précise de la manière dont il s’est débarrassé du corps sans se faire voir alors qu’il se trouvait dans un immeuble d'habitation, entouré de voisins. Il a reculé la voiture de la victime devant la fenêtre de son appartement. Il était sous une galerie et des voitures étaient stationnées de chaque côté. Il a enroulé le corps dans une couverture et l’a sorti par la fenêtre de l’appartement.
[68] Le fait qu’il indique avoir stationné le véhicule à reculons constitue un détail fort précis. Il a probablement agi de cette façon dans le dessein de placer le corps dans le coffre arrière. Cela est fort logique. C’est seulement après avoir stationné le véhicule qu’il constate que le coffre est rempli et qu’il décide de placer le corps sur le banc arrière. Il s’agit d’un détail précis, qui est compatible avec la thèse qu'il est l’auteur du crime. Il fournit aussi un autre détail de ce type lorsqu’il parle de la couverture. Il explique qu’il ne peut se souvenir de sa couleur, mais il précise qu’il pourrait vérifier, car il possède une photo avec sa fille sur laquelle on voit la couverture en arrière-plan.
[69] À la demande de Monsieur Big, l’appelant raconte également plusieurs fois la séquence des événements sans se contredire et avec une cohérence parfaite. Par exemple, il répète deux fois qu’il a étranglé la victime d’une seule main alors que Monsieur Big demande s’il l’a étranglée avec les deux mains. Il corrige Monsieur Big lorsque ce dernier résume les éléments dans le mauvais ordre chronologique. Il est catégorique quant au moment où il a déshabillé la victime (après ou pendant l’étranglement et non avant). Il répète aussi qu’il n’a pas réussi à avoir une relation sexuelle, même si Monsieur Big suggère le contraire à de nombreuses reprises.
[70] On peut certes reconnaître que l’appelant a eu le temps de concevoir d’avance une histoire qu’il s’attendait à partager un jour, mais le niveau de détails et la cohérence avec laquelle l’histoire est relatée et répétée en rehaussent la fiabilité.
D- La connaissance de certaines caractéristiques du véhicule de la victime
[71] Quand Francine Massicotte téléphone à l’appelant la première fois dans la soirée du 17 juillet, à 22 h 37, elle lui demande de vérifier si la voiture de sa sœur est dans le voisinage. Il lui demande alors à quoi la voiture ressemble. Il sous-entend qu’il ne sait pas où elle est stationnée. Or, suivant la version donnée à la police, il est censé y avoir pris place avant ce téléphone lors du départ au restaurant. Au procès, il a confirmé que cet échange a effectivement eu lieu. Il a tenté de se justifier en expliquant qu’il connaît mal les autos et donc qu’il n’avait pas remarqué la marque quand il s’était assis dedans avec la victime, vers 17 h 50, pour aller au restaurant. Il n’explique pas pourquoi il aurait aussi oublié le lieu où la voiture était stationnée et son apparence générale. Un tel oubli semble incongru puisqu’au procès, soit plus de sept ans plus tard, il se rappelle où était stationnée la voiture, et cela, malgré qu’il affirme ne pas l’avoir vue lorsque Francine Massicotte lui a demandé de vérifier si elle était là.
[72] À ce stade, on peut douter de la véracité des affirmations de l'appelant. La contradiction est à ce point frappante qu'elle jette du discrédit sur son témoignage selon lequel il a pris place dans le véhicule à 17 h 50 et contribue à accréditer la thèse qu'il l'a plutôt déplacé vers 23 h.
E- La connaissance d’informations inédites lors de l’aveu
[73] Lorsqu’il a fait son aveu à Monsieur Big, l’appelant était en possession d’informations qui n’avaient pas été rendues publiques : 1) le fait que le coffre du véhicule de la victime était plein et 2) le fait qu’il avait été abandonné près du Château Frontenac, les portières déverrouillées. Seul l’assassin pouvait connaître ces faits que les policiers avaient tenus secrets jusqu'à l'arrestation de l'appelant.
[74] Ce n'est qu'au procès que l’appelant a dit que la victime avait ouvert le coffre devant lui pour y déposer son sac à main avant son départ vers le restaurant. Rappelons qu’il a aussi dit à Francine Massicotte, le soir du 17 juillet, qu’il ne savait pas où était stationnée l’auto de la victime bien après l’heure où il était censé partir pour le restaurant. Cela indique qu’il n’avait pas encore pris place dans la voiture. On peut inférer que l’appelant ne dit pas la vérité lorsqu’il fournit une explication justifiant sa connaissance du fait que le coffre de la voiture était plein.
[75] L’appelant avait également en sa possession une autre information qu’il n’aurait pas pu connaître. Lors de l’aveu, il savait que le véhicule avait été laissé les portes déverrouillées. L'explication fournie au procès voulant qu’un policier lui ait révélé une telle information par inadvertance constitue une justification tardive et peu probable.
F - La consultation de certains sites Internet
[76] Le comportement de l’appelant après l’infraction peut aussi informer sur ce qui s’est passé avant[26]. C’est un élément de preuve circonstancielle qui doit être évalué avec l’ensemble de la preuve[27]. De plus, ce fait révélé par l’appelant lors de son aveu est corroboré par la preuve d’expert.
[77] Alain Bouffard, expert en extraction de données, explique que plusieurs pages Internet ont été enregistrées sur le disque dur de l’appelant en un court laps de temps. Le soir du 18 juillet 2003, soit le lendemain de la visite de la victime, à 22 h 27, l’appelant consulte la page d’accueil du site du ministère de la Justice. La page contient plusieurs liens. Toujours à 22 h 27, il consulte une page qui contient des liens vers plusieurs lois (textes constitutionnels, Loi sur l’impôt sur le revenu, Code criminel, etc.). À 22 h 28, la page concernant la partie V du Code criminel est consultée. La dernière des infractions contenues sur cette page est celle traitant de l’outrage au cadavre. À 22 h 30, la section du Code criminel portant sur les sentences, notamment pour le meurtre au premier degré, est consultée. À 22 h 33, l’appelant visite le site « Quoi faire, un membre de votre famille disparaît ».
[78] Dans son témoignage, l’appelant affirme avoir consulté un site portant sur les personnes disparues à cause des interrogations de Francine Massicotte et être passé rapidement sur les pages concernant le Code criminel en cliquant sur différents liens, mais sans rechercher volontairement cette information.
[79] On peut penser que l’appelant a consulté le Code criminel pour connaître les conséquences auxquelles il s’exposait. C’est un autre élément d'une preuve circonstancielle. Il peut s’ajouter au faisceau d'éléments de preuve et rehausser la fiabilité de l'aveu.
G- Le lieu où le corps de la victime a été laissé
[80] Dans son aveu, l’appelant explique à Monsieur Big qu’il a emprunté un chemin sinueux et boueux menant au fleuve et qu’il a laissé le corps à un endroit où le sol est humide. Comme on le sait, le corps n’a pas été retrouvé. Un expert entendu au procès a exprimé l’avis qu’il a peut-être été emporté lors des grandes marées qui peuvent envahir les berges jusqu’à 225 mètres. De plus, l’examen du véhicule de la victime par des experts a révélé la présence de « shale » rouge « une roche abondante dans la région de Québec, le long du fleuve ». Or, la victime demeurait à Chambly et la preuve ne permet pas de conclure qu’elle aurait roulé dans ce type de boue durant le trajet qui l’a menée de chez elle à l’appartement de l’appelant, le 17 juillet 2003.
[81] Il faut conclure, vu ces divers éléments, que l’aveu ne suscite « aucune préoccupation réelle étant donné que, dans les circonstances, sa véracité et son exactitude peuvent néanmoins être suffisamment vérifiées »[28]. En effet, certains éléments tendent à démontrer que l’appelant a menti sur des faits importants liés à la disparition de la victime, qu’un voisin a vu une scène qui permet d’inférer que l’appelant a conduit le véhicule de la victime à l’heure où il reconnaît l’avoir fait dans son aveu et qu’il était en possession de renseignements que seul l’assassin pouvait connaître. Le degré de détails contenus dans l’aveu, sa cohérence de même que le comportement de l’appelant après les faits s’ajoutent aussi à ce faisceau, de sorte que le seuil de fiabilité de l’aveu est suffisamment atteint. L’appelant a certes donné des explications et tenté de discréditer la preuve de corroboration. À ce stade, il s’agit de décider si la valeur probante de l’aveu l’emporte sur son effet préjudiciable. L’appréciation ultime de la fiabilité de l’aveu relève du jury, faut-il le rappeler.
[82] Comme dans toutes les opérations Monsieur Big, la preuve de l’aveu et des divers scénarios est susceptible d’entraîner pour l’appelant un préjudice moral ou par raisonnement parce que le jury a appris que l’appelant a voulu faire partie d’une organisation criminelle et qu’il a commis des crimes fictifs qu’il croyait réels. Ce préjudice est toutefois plus limité dans notre dossier parce que l’appelant n’a commis aucun crime fictif impliquant qu’il a lui-même eu recours à la violence. De plus, il faut préciser que près de la moitié des scénarios de l’opération Monsieur Big n’étaient pas liés à une activité criminelle réelle ou fictive.
[83] Si l’on soupèse la valeur probante de l’aveu par rapport aux effets préjudiciables découlant de la preuve des scénarios et de l’aveu, il faut conclure que la valeur de l’aveu l’emporte. D’une part, les circonstances de celui-ci démontrent que l’appelant a été traité avec civilité par le patron au cours de l’entrevue. Le ton utilisé a été cordial. De plus, le contexte global ne permet pas de conclure que le patron lui a arraché un aveu. D’autre part, le contenu de l’aveu lui-même est cohérent, détaillé et il est corroboré par de nombreux éléments qui en établissent la fiabilité.
4.3 L’abus de procédure[29]
[84] Même si l’aveu est digne de foi, l’appelant peut obtenir son exclusion ou même l’arrêt des procédures lorsque le comportement des policiers a été abusif[30]. Avant l’arrêt Hart, la doctrine de l’abus de procédure était déjà reconnue, mais elle n’a pas été utilisée avec succès[31]. À ce jour, elle ne s'est jamais appliquée de manière à exclure un aveu issu d'une opération Monsieur Big ou à permettre l'arrêt des procédures après que des accusations eurent été portées dans la foulée d'une telle opération. Dans Hart, le juge Moldaver propose de l’appliquer désormais avec plus de rigueur[32].
[85] Cette doctrine peut être invoquée dans les cas les plus manifestes, lorsque la conduite des policiers choque la conscience de la collectivité[33]. Sa raison d’être est de « protéger le citoyen contre le comportement de l'État que la société juge inacceptable et qui compromet l'intégrité du système de justice »[34]. Il faut donc distinguer les incitations à avouer, qui ne sont pas condamnables, de la contrainte irrésistible, qui, elle, est problématique :
115 Il est évidemment impossible de recourir à une formule précise pour déterminer à quel moment une opération Monsieur Big devient abusive. Les opérations menées sont trop différentes les unes des autres pour qu'une frontière nette se dessine, mais une ligne directrice peut être avancée. L'opération vise l'obtention d'aveux. Le seul fait de recourir à des incitations n'est pas condamnable (Oickle, par. 57). Or, le comportement des policiers, y compris leurs incitations et leurs menaces, devient problématique lorsqu'il s'apparente à l'exercice d'une contrainte. Les policiers qui mènent une telle opération ne sauraient être autorisés à venir à bout de la volonté de l'accusé et à contraindre ainsi ce dernier à avouer. Cela équivaudrait presque assurément à un abus de procédure.[35]
[86] Dans Mack, paru peu après Hart, la Cour suprême conclut que les « incitations irrésistibles » peuvent constituer un abus de procédure. Elle affirme que M. Mack n’a pas fait l’objet d’une contrainte irrésistible, car il avait la possibilité d’exercer des fonctions légitimes plus rémunératrices. Elle ajoute qu’il n’y a pas eu de menace d’utiliser la violence, tout au plus la création d’un climat d’intimidation :
36 De plus, les agents banalisés n'ont pas eu une conduite irrégulière susceptible de justifier une demande fondée sur l'abus de procédure. L'appelant ne s'est pas vu offrir d'incitations irrésistibles. Il aurait pu exercer des fonctions légitimes encore plus rémunératrices. Les agents ne l'ont pas menacé de violence s'il ne passait pas aux aveux. Ils ont tout au plus créé un climat d'intimidation en faisant allusion à des actes de violence commis par des membres de l'organisation. Mais on n'a pas obtenu ses aveux sous la contrainte, ce que montre bien son refus initial de parler avec Ben puis Liam de la disparition de M. Levoir. D'ailleurs, les agents lui ont expressément dit qu'il n'était pas obligé de leur parler de M. Levoir et qu'il pouvait conserver son poste au sein de l'organisation. Aucun de leurs actes n'a frôlé l'abus de procédure.[36]
[Je souligne]
[87] Dans notre cas, il n’y a pas eu menace de violence ni recours à la violence. Durant l’entretien, Monsieur Big n’agit pas de manière intimidante ni menaçante. Il est poli, vêtu d’un costume, offre à boire à l’appelant, etc. Il lui indique clairement qu’il est libre de quitter les lieux. Le ton du patron appelle à la collaboration afin d’aider l'appelant. Je rappelle que la Cour suprême n’a pas désavoué les opérations Monsieur Big lorsqu’elles sont menées de manière adéquate. Elle souhaite « prévenir le risque de déclarations de culpabilité injustifiées inhérent à un aveu infondé » sans empêcher « la police de mettre à profit son habileté et son ingéniosité pour résoudre un crime grave »[37]. Elle a donné des exemples de personnes plus vulnérables avec lesquelles il faudrait être encore plus prudent, comme les personnes atteintes d’une déficience ou d’une maladie mentale et les jeunes :
116 La violence physique ou la menace de
violence constituent des exemples de tactique policière coercitive. L'aveu
obtenu grâce à la violence physique ou à la menace de violence contre l'accusé
n'est pas admissible, peu importe qu'il soit digne de foi ou non, car il
résulte bien évidemment du recours à un moyen que la collectivité ne saurait
tolérer (voir p. ex. R. c. Singh,
117 La violence et la menace d'y recourir constituent deux formes de contrainte inadmissible. Toutefois, une opération Monsieur Big peut aussi devenir coercitive sous d'autres rapports. Celle qui mise sur les points vulnérables de l'accusé — tels ses problèmes de santé mentale, sa toxicomanie ou sa jeunesse — fait aussi sérieusement problème (voir Mack, p. 963). Exploiter ces points vulnérables compromet l'équité du procès et l'intégrité du système de justice. La Cour a maintes fois rappelé que le comportement répréhensible qui heurte le sens du franc-jeu et de la décence qu'a la société équivaut à un abus de procédure et justifie l'exclusion de la déclaration obtenue.[38]
[88] L’appelant plaide que les moyens utilisés par les policiers ont été « extrêmes » et que l’opération a été « longue et profondément manipulatrice ». Il affirme qu’il était vulnérable et que l’opération a détruit sa vie.
[89] L’appelant n’a pas établi qu’il a été victime de contrainte telle que l’aveu doit être exclu de la preuve ou que les procédures doivent être arrêtées. Certes, les policiers ont usé d’astuces et de subterfuges pour l’amener à confesser un crime, mais il n’a pas été soumis à des actes de violence, d'une part, et il ne présentait pas un état de vulnérabilité manifeste, d’autre part. Il faut tenir compte de l’état global de l’appelant et notamment de sa personnalité. Il vivait certes de l’aide sociale et, sans être isolé socialement, il avait un mode de vie solitaire, mais il est intelligent, volontaire, déterminé et doté d’une forte personnalité.
4.4 L’application de l’arrêt Mack
[90] Une fois établi que la valeur probante de l'aveu dépasse son effet préjudiciable, il peut être admis en preuve. Cela ne fait pas disparaître les préoccupations quant à sa fiabilité et au préjudice susceptible de découler de la preuve de mauvaise moralité qui accompagne l'aveu : le jury doit encore trancher la question de la fiabilité ultime de l’aveu et être conscient de son effet préjudiciable[39]. Déjà, dans Hart, la Cour suprême avait suggéré des éléments susceptibles d'atténuer le risque de préjudice « par l'exclusion de certains éléments de preuve particulièrement préjudiciables qui ne sont pas essentiels […] et la communication de directives restrictives au jury […] »[40]. Cela exige que le juge donne au jury des directives appropriées. La Cour suprême a établi les balises de ces directives dans R. c. Mack :
[52] En ce qui concerne la non-fiabilité éventuelle de l'aveu issu d'une opération Monsieur Big, le juge doit expliquer aux jurés qu'il leur incombe de décider si l'aveu de l'accusé est digne de foi ou non. Il doit ensuite examiner avec eux les facteurs pertinents pour l'appréciation de l'aveu et de la preuve y afférente. Dans l'arrêt Hart, la Cour explique que la fiabilité d'un tel aveu dépend des circonstances dans lesquelles il est fait et des précisions qu'il renferme. Ainsi, le juge doit attirer l'attention du jury sur « la durée de l'opération, le nombre d'interactions entre les policiers et l'accusé, la nature de la relation qui s'est tissée entre les agents et l'accusé, la nature des incitations et leur importance, le recours à des menaces, la conduite de l'interrogatoire, ainsi que la personnalité de l'accusé », des facteurs qui permettent tous de se prononcer sur la fiabilité de l'aveu (Hart, par. 102).
[53] De plus, le juge du procès doit indiquer aux jurés que l'aveu peut renfermer des indices de sa fiabilité (ou de sa non-fiabilité). Il doit aussi les inviter à tenir compte de son caractère plus ou moins détaillé, du fait qu'il a mené ou non à la découverte d'autres éléments de preuve, de la mention de modalités du crime non révélées au public ou du fait qu'il décrit fidèlement ou non certaines données prosaïques que l'accusé n'aurait pas connues s'il n'avait pas commis le crime (Hart, par. 105).
[54] Le juge du procès n’est pas pour autant tenu d’exposer en détail chacun des éléments de preuve qui sont susceptibles d’avoir une incidence sur la fiabilité de l’aveu. Sa fonction consiste simplement à attirer l’attention des jurés sur la non-fiabilité éventuelle de l’aveu et à leur signaler les facteurs pertinents pour se prononcer à ce sujet.
[55] Pour ce qui est de la preuve de mauvaise moralité dont se double l’aveu issu d’une opération Monsieur Big, la démarche qui s’impose est plus familière. Le juge explique au jury que cette preuve est admise seulement pour situer l’aveu dans son contexte. Il devrait préciser au jury qu’il ne peut se fonder sur cette seule preuve pour déclarer l’accusé coupable. De plus, il devrait rappeler aux jurés que l’activité criminelle simulée — même celle à laquelle l’accusé a ardemment voulu prendre part — est une pure invention des représentants de l’État, qui ont encouragé l’accusé à y participer.[41]
[Je souligne]
[91] Dans Mack, la Cour suprême a été d’avis que, conformément à la méthode fonctionnelle de l’examen des directives au jury, le juge avait « abordé franchement les deux problèmes que soulève l’admission des aveux ». Ses directives n’étaient donc pas entachées d’erreur[42].
[92] Ces exigences de la Cour suprême démontrent que, dans notre dossier, les directives au jury sont insuffisantes tant au niveau de la fiabilité de l’aveu que de son effet préjudiciable, compte tenu notamment du contexte dans lequel il a été fait. Au sujet de la bande vidéo contenant l’aveu, le juge a dit au jury que cette preuve était admissible et qu’il devait décider si c’était bien l’appelant qui avait fait la déclaration. Il a aussi dit au jury qu’il lui appartenait de juger de sa valeur probante. Il n’a pas abordé le sujet de la fiabilité de l’aveu. En conséquence, il n’a pas « communiqu[é] au jury les éléments dont il a besoin pour tenir compte de la non-fiabilité éventuelle des aveux et du préjudice susceptible de découler de ceux-ci »[43].
[93] Dans les discussions préalables à l’adresse au jury, l’avocat de la défense a pourtant insisté pour que le juge fasse une mise en garde concernant la fiabilité de l’aveu. Le juge a refusé parce qu’il avait déjà décidé que l’aveu était admissible, d’une part, et que cela constituait une question de droit, d'autre part :
Me STÉPHANE BEAUDOIN : (…) Évidemment, je comprends très bien votre position sur l’admissibilité, on ne revient pas là-dessus, vous avez pris une décision, c’est admissible en preuve, on est rendus à une autre étape, mais je vous soumets que la directive en question peut être faite concernant la fiabilité de la déclaration. Alors moi, ce que je vous soumets, c’est que compte tenu qu’il y a, à mon point de vue, quand même un élément de coercition qui apparaît dans le vidéo et …
LA COUR : Me Beaudouin…
Me STÉPHANE BEAUDOIN : Oui.
LA COUR : … ne me parlez pas de coercition, je l’ai jugé admissible en preuve…
Me STÉPHANE BEAUDOIN : Oui...
LA COUR : … et les directives que j’ai l’obligation de leur faire, c’est de leur dire, effectivement : « Vous devez regarder attentivement la déclaration de l’accusé, hum, et décider si effectivement il a prononcé ces paroles. Et si vous venez à la conclusion qu’il a prononcé ces paroles, quelle est la valeur probante que vous aller y apporter ».
(…) [Me Baudouin insiste]
LA COUR : Bien, je ne leur demanderai pas si c’est fiable, j’ai décidé que c’était fiable. C’est une question de droit. Ils auront à apprécier si effectivement ils retiennent la version de l’accusé. Ils peuvent la rejeter, ils peuvent la retenir pour partie.
[Je souligne]
[94] En ce qui concerne l’effet préjudiciable de l’aveu, le juge a dit au jury qu’il ne pouvait inférer de la preuve de comportements criminels de l’appelant - découlant des scénarios 1 à 40 - que celui-ci était coupable du meurtre, mais il a dit que les paroles prononcées par l’appelant lors des scénarios pouvaient servir à apprécier et à évaluer sa crédibilité :
Je rappelle, vous ne pouvez tirer quelque inférence que ce soit [de la preuve de la commission d’actes criminels] afin de conclure à la culpabilité du meurtre de Lyne Massicotte.
Toutefois, considérant le témoignage de l’accusé, vous pouvez tenir compte des paroles de l’accusé lors des scénarios uniquement afin d’apprécier et d’évaluer sa crédibilité.[44]
[95] Indirectement, le juge encourage le jury à tenir un raisonnement qui augmente l’effet préjudiciable de l’aveu, c’est-à-dire qu’il l’invite à tenir compte des paroles prononcées dans les scénarios - où l’appelant n’avoue rien, mais se montre capable de commettre divers autres crimes non reliés - pour évaluer sa crédibilité. Le juge invite en quelque sorte le jury à utiliser une preuve de propension à la criminalité pour conclure que l’appelant peut avoir menti dans son témoignage.
[96] En l’espèce, la preuve préjudiciable découlant des divers scénarios n'aurait dû être admise que pour expliquer le contexte dans lequel l’aveu a été fait. Le juge devait dire au jury qu’elle ne devait servir qu’à cela[45]. Il ne pouvait pas aller plus loin et lui dire qu’il pouvait utiliser l’abondante preuve de propension pour évaluer la crédibilité de l’appelant. Cela revient, en pratique, à encourager le jury à faire le raisonnement préjudiciable que la nouvelle règle de common law cherche à contrer.
[97] En somme, l’invitation que fait le juge au jury de tenir compte de la preuve de propension pour évaluer la crédibilité de l’appelant occulte l’effet de la directive ne pas utiliser cette preuve pour conclure à sa culpabilité.
[98] À l’audience, l’avocat du ministère public a plaidé que la compétence de la Cour relativement à l’appel de l’appelant se limitait à l’évaluation du caractère admissible ou non de l’aveu. Il se fonde sur le libellé de l’arrêt de la Cour suprême selon lequel la Cour doit statuer sur l’appel conformément à l’arrêt Hart. De son point de vue, la Cour est forclose d’examiner la suffisance des directives données au jury en marge de l’admissibilité de la preuve de l’aveu résultant d’une opération policière de type Monsieur Big.
[99] À mon avis, il a tort. Les arrêts Hart et Mack sont intimement liés. Le premier expose les règles d’admissibilité de la preuve de l’aveu découlant d’une opération Monsieur Big. Le second décrit le contenu des directives qui permettent au jury de trancher la question de la fiabilité ultime de l’aveu et d’être conscient de son effet préjudiciable[46]. Si l’aveu est admissible en preuve conformément à l’arrêt Hart, le jury doit être instruit correctement conformément à l’arrêt Mack.
[100] Dans les circonstances, vu les lacunes des directives, je propose d’ordonner la tenue d’un nouveau procès.
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FRANCE THIBAULT, J.C.A. |
[1] Perreault c. R., C.S. Québec, no 200-01-142666-100, 11 février 2011, j. Beaulieu.
[2] Perreault c. R.,
[3] Ibid., paragr. 48.
[4] R. c. Perreault, [2013] C.S.C.R. no 317.
[5] 2014 CSC 52.
[6] Les activités criminelles simulées débutent lors du 16e scénario.
[7] 2014 CSC 58. Cet arrêt a aussi été déposé après l'arrêt rendu par la Cour le 7 mai 2013.
[8] R. c. Hart, supra, note 5.
[9] 2014 NSSC 371.
[10] 2014 BCSC 2285.
[11] 2014 SKQB 411.
[12] 2014 ABQB 788.
[13] R. c. Hart, supra, note 5, paragr. 87.
[14] Ibid., paragr. 84.
[15] Ibid., paragr. 85 :
85 Le premier volet de la démarche consacre une nouvelle règle de preuve en common law pour déterminer si l'aveu est admissible ou non. En voici la teneur. Lorsque l'État amène une personne à se joindre à une organisation criminelle fictive de son cru et qu'il tente d'obtenir d'elle un aveu, l'aveu alors recueilli est présumé inadmissible. Cette présomption d'inadmissibilité est réfutée si le ministère public prouve, selon la prépondérance des probabilités, que la valeur probante de l'aveu l'emporte sur son effet préjudiciable. Dans ce contexte, la valeur probante de l'aveu tient à sa fiabilité. Son effet préjudiciable découle de la preuve de mauvaise moralité qui doit être admise afin de situer dans leur contexte l'opération et l'aveu obtenu. Si le ministère public n'est pas en mesure de démontrer que l'aveu de l'accusé est admissible, les autres éléments de preuve liés à l'opération Monsieur Big deviennent non pertinents et sont donc inadmissibles. À l'instar de la règle des confessions qui s'applique à l'interrogatoire de police classique, cette règle apporte une restriction spécifique à l'exception à la règle du ouï-dire qui vaut pour les déclarations de l'intéressé.
[16] Ibid., paragr. 107.
[17] Ibid., paragr. 105.
[18] Ibid., paragr. 100.
[19] Ibid., paragr. 129.
[20] Ibid., paragr. 134.
[21] Ibid., paragr. 135.
[22] Ibid., paragr. 139.
[23] Ibid., paragr. 140.
[24] Ibid.
[25] Il faut noter que la consultation sur Internet a plutôt eu lieu le 18 juillet.
[26]
R. c. White,
[27]
R. c. White,
[28] R. c. Khelawon,
[29] Dans Hart, au paragr. 89, la Cour suprême remarque que le juge du procès peut entreprendre son analyse en examinant d'abord s'il y a eu abus de procédure, car une réponse positive rend inutile la mise en balance de la valeur probante et de l'effet préjudiciable.
[30] R. c. Hart, supra, note 5, paragr. 11.
[31] Ibid., paragr. 79.
[32] Ibid., paragr. 84.
[33] R. c. Power,
[34]
R. c. Babos,
[35] R. c. Hart, supra, note 5, paragr. 115.
[36] R. c. Mack, supra, note 7, paragr. 36.
[37] R. c. Hart, supra, note 5, paragr. 3.
[38] Ibid., paragr. 116-117.
[39] R. c. Mack, supra, note 7, paragr. 44. Cet affaire a été entendue le même jour que Hart.
[40] R. c. Hart, supra, note 5, paragr. 107.
[41] Ibid., paragr. 52-55.
[42] Ibid., paragr. 58.
[43] R. c. Mack, supra, note 7, paragr. 60.
[44] Ibid.
[45] R. c. Mack, supra, note 7, paragr. 55.
[46] La Cour suprême avait déjà écrit au paragr. 107 de Hart que la communication de directives restrictives pouvait atténuer l'effet préjudiciable découlant de la preuve de l’opération Monsieur Big.
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