Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Protection de la jeunesse — 167547

2016 QCCQ 15353

JM2109

 
 COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

LOCALITÉ DE

[…]

[…]

« Chambre de la Jeunesse »

Nº :

405-41-001357-073

405-41-001358-071

 

 

 

 

DATE :

24 octobre 2016

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE MADAME LA JUGE MARIE-JOSÉE MÉNARD, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

DANS LA SITUATION DES ENFANTS :

 

X

Né le […] 2002

et

Y

Né le […] 2006

 

et

[INTERVENANTE 1], personne dûment autorisée par la Directrice de la protection de la jeunesse des Centres jeunesse A, exerçant sa profession au […], à Ville A, […], district A, province de Québec

Partie demanderesse

et

A, résidant au […], à Ville B, […], district A, province de Québec

et

B, résidant au […], à Ville A, […], district A, province de Québec

Les parents

et

COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE, ayant sa place d’affaires au […] à Ville C, […], district B, province de Québec

Mise en cause

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

 

MISE EN GARDE : La Loi sur la protection de la jeunesse interdit la publication ou la diffusion de toute information permettant d’identifier un enfant ou ses parents. Quiconque contrevient à cette disposition est passible d’une amende (art. 11.2, 11.2.1 et 135 L.P.J.).

[1]           La Directrice de la protection de la jeunesse (Directrice) demande la révision et la prolongation de l’ordonnance rendue le 20 janvier 2009 par le juge Michel DuBois dans la situation des enfants X (X), âgé de 13 ans et Y (Y), âgé de 10 ans.

[2]           À cette date, le juge DuBois confie les enfants en famille d’accueil jusqu’à l’atteinte de leur majorité, tout en interdisant les contacts avec leurs parents.

[3]           Les motifs ayant justifié ces mesures de protection réfèrent au mode de vie des parents découlant de leur toxicomanie.

[4]           Le 29 juin 2016, alors que les parents sont absents et non représentés par procureur, l’avocate des enfants avise le Tribunal qu’il est de son intention de présenter une demande en lésion de droits, vu les faits troublants notés au rapport psychosocial en lien avec le vécu souffrant de ses jeunes clients dans leur milieu d’accueil et l’inaction flagrante de la Directrice à prendre les mesures appropriées afin de corriger la situation.

[5]           Le Tribunal ordonne le déplacement des enfants et permet à leur avocate de présenter sa demande en lésion de droits.

[6]           À l’audience, sur les mesures de protection et la demande en lésion de droits, la mère est présente et la Directrice dépose une preuve documentaire et admet la lésion de droits des deux enfants.

 

 

Bilan des interventions depuis l’ordonnance du 20 janvier 2009

[7]           Alors que les enfants ont vécu de nombreux traumatismes auprès de leurs parents, on constate que la famille d’accueil ciblée par les Centres jeunesse n’a pas été en mesure de répondre à leurs besoins spécifiques.

[8]           En août 2009, la famille d’accueil utilise des méthodes éducatives fort discutables et parfois excessives puisqu’elle brise les jouets des enfants et leur donne des tapes sur les fesses.

[9]           Il ne faut pas oublier qu’à leur arrivée dans ce milieu d’accueil en 2008, les enfants traînent déjà un passé traumatique en lien avec leur vécu auprès de leurs parents.

[10]        Depuis 2010, la Directrice tolère des comportements et des attitudes inappropriés et hautement questionnables des responsables de la famille d’accueil à l’égard des deux enfants.

[11]        On constate que de nombreux services ont été offerts à ce milieu d’accueil, notamment à deux occasions, le Programme de maintien en milieu familial (PMMF) (2010-2011, 2012), par la suite, programme A, ainsi qu’un suivi intensif de la part des intervenants dans le milieu de la famille d’accueil.

[12]        Or, malgré les conseils reçus et les avertissements répétés, les parents d’accueil ne se sont jamais mobilisés de façon suffisante pour s’investir adéquatement sur le plan affectif auprès des enfants. On constate que les parents d’accueil, principalement la mère a, à plusieurs occasions, fait preuve de rejet à l’égard des enfants, dont X à qui elle fait de nombreux reproches.

[13]        On n’a qu’à faire la liste des interventions faites par la Directrice pour s'interroger sur l’immobilisme de la Directrice à prendre la décision qui s’imposait bien avant 2016, soit le déplacement des enfants de milieu d’accueil.

[14]        En effet, comment expliquer que la Directrice ait toléré qu’une famille d’accueil accréditée et reconnue puisse agir de façon aussi inadéquate auprès d’enfants en urgent besoin de protection?

[15]        C’est comme si l’histoire se répète pour eux et maintenant avec l’assentiment de la Directrice qui laisse perdurer une situation inacceptable.

[16]        Les comportements difficiles des enfants se manifestent principalement lors des attitudes et des interventions questionnables de la famille d’accueil.

[17]        En août 2013, la pédopsychiatre, en présence de l’intervenante, met en doute la capacité de la mère d’accueil à répondre aux besoins affectifs des enfants, puisqu’elle n’hésite pas à être dénigrante à l’égard de X.

[18]        Comment justifier l’inaction de l’intervenante de la Directrice face à un tel constat?

[19]        Au même moment, les enfants sont victimes d’abus physiques puisque le père d’accueil tape X au visage.

[20]        Toujours en 2013, les enfants ont des conséquences démesurées alors que la Directrice avait clairement indiqué qu’elle ne pouvait tolérer de telles interventions disciplinaires auprès des enfants.

[21]        À cette même période, la famille d’accueil utilise l’allocation de dépenses de l’enfant pour des cours de piscine contrairement aux directives de la Directrice.

[22]        Malgré l’avertissement de la Directrice, le père d’accueil, contrarié par cette intervention, indique clairement que les enfants peuvent quitter le milieu, laissant bien transparaître son désintérêt face à la présence des enfants.

[23]        Que fait la Directrice avec un signal aussi clair de la famille d’accueil? RIEN.

[24]        Peu de temps après, en janvier 2014, le père d’accueil s’adresse de façon inadéquate auprès de X en l’humiliant publiquement au sein de la famille.

[25]        Dès avril 2014, lors d’une révision, la Directrice émet ses inquiétudes en lien avec les comportements et les interventions de la famille d’accueil.

[26]        À ce moment, la Directrice s’interroge quant à un déplacement éventuel des enfants sans pour autant agir et continue à tolérer l’intolérable pour les enfants.

[27]        En 2015, la gardienne des enfants exprime son inquiétude auprès de la Directrice en lien avec les interventions encore et toujours inadéquates de la famille d’accueil auprès des deux garçons.

[28]        Elle confirme que la mère d’accueil a un discours négatif à l’égard de X et qu’elle utilise la menace d’un placement en centre de réadaptation à l’égard de l’enfant.

[29]        Malgré qu’il ne soit pas permis à la famille d’accueil de confier l’enfant plus de deux semaines à un tiers, la famille d’accueil fait à sa tête et tente de mettre la gardienne dans le coup afin de mentir auprès de l’intervenante de la Directrice.

[30]        La famille d’accueil confie X un mois à sa gardienne contrairement aux directives bien claires de la Directrice.

[31]        Malgré son questionnement en novembre 2015 quant au maintien des enfants dans le milieu d’accueil, la Directrice ne fait toujours rien laissant les enfants complètement et totalement abandonnés.

[32]        Depuis janvier 2016, la Directrice est informée que X doit manger avec son frère au comptoir-lunch alors que tous les autres membres de la famille mangent à la table.

[33]        La famille d’accueil n’a jamais permis aux enfants de revenir à la table familiale pour prendre les repas malgré les demandes claires formulées par la Directrice afin de corriger le tir.

[34]        Encore là, la Directrice a toléré ces comportements inappropriés de la famille d’accueil. Il a fallu que la famille d’accueil se plaigne et demande le déplacement des enfants pour que la Directrice prenne ENFIN ses responsabilités et applique correctement sa première mission, à savoir protéger les enfants des adultes qui sont inadéquats.

[35]        Manifestement, depuis plusieurs années, ces enfants sont exposés avec l’accord de la Directrice et la tolérance des intervenants à un milieu de vie qui est inadéquat, inapproprié et maintenant dangereux pour leur équilibre émotif.

[36]        En raison des difficultés bien identifiées des enfants, on ne peut expliquer, justifier, tolérer que la Directrice ait été aussi passive dans son intervention auprès de ces enfants.

[37]        La Directrice connaît les difficultés des enfants, notamment X qui a plusieurs diagnostics, dont un trouble de déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH) sévère avec provocation, en plus d’avoir un diagnostic de déficience légère puisqu’il reçoit différents services en milieu académique.

[38]        Quant à Y, c’est un jeune qui réussit malgré tout à l’école, malgré des troubles de comportement liés à la violence, aux mensonges et aux vols.

[39]        Les enfants ont développé des difficultés comportementales en lien, en grande partie, avec le milieu d’accueil qui n’a pas su répondre à leurs besoins.

[40]        Il était urgent que ces enfants soient sortis de ce milieu toxique, inadéquat et inapproprié.

[41]        Le Tribunal considère que la Directrice n’a pas fait « sa job » correctement en prenant les mesures appropriées pour protéger les enfants de ce milieu d’accueil.

[42]        Dans sa réponse à la demande en lésion de droits, la Directrice reconnaît « avoir manqué à notre demande de protection ».[1]

[43]        La Directrice reconnaît également que : « Devant la répétition des faits reprochés aux parents d’accueil, une action rapide et soutenue pour soustraire X et Y de ces mauvais traitements aurait été attendue de la part de la Directrice ».[2]

[44]        Face à un tel gâchis, la Directrice révise ses façons de faire afin qu’un arrimage plus cohérent soit fait entre les intervenants et que tous soient informés en temps utile des écarts notés à l’endroit des ressources du type familial tout en révisant la situation des enfants deux fois l’an au lieu d’une fois l’an comme c’était le cas.

[45]        Dans la situation des enfants, la Directrice reconnaît que les intervenants n’ont pas respecté les protocoles mis en place.

[46]        On note que les difficultés constatées dans le milieu d’accueil n’ont pas fait l’objet de notes d’écarts au dossier laissant le champ libre aux parents d’accueil de continuer à faire la pluie et le beau temps.

[47]        Manifestement, la Directrice reconnaît que l’information pertinente et cruciale n’a pas circulé entre les différents intervenants devant prendre les mesures appropriées afin de protéger les enfants.

[48]        Depuis le déplacement des enfants de leur famille d’accueil, ces derniers s’adaptent doucement à leur nouveau milieu de vie.

[49]        Malgré le rejet récurrent vécu dans leur ancien milieu, il arrive que les enfants vivent de l’ennui à l’endroit de leurs anciens parents d’accueil.

[50]        Les enfants constatent que les méthodes éducatives de leur nouvelle famille d’accueil sont différentes et ils doivent s’adapter à des adultes plus adéquats et cohérents.

[51]        À titre d’exemple, X réagit avec violence lorsque sa famille d’accueil lui demande d’aller s’asseoir dans la voiture craignant d’y être confiné plusieurs heures comme ce fut le cas antérieurement dans son ancien milieu d’accueil.

[52]        Les parents d’accueil ont fait preuve de patience et d’écoute afin de rassurer le jeune en lui expliquant qu’il s’apprêtait tout simplement à quitter le lieu de la rencontre afin de retourner à la maison.

[53]        Il n’en demeure pas moins que du travail reste à faire auprès de ces jeunes garçons « poqués » par la vie.

[54]        X est un garçon opposant, impulsif et arrogant qui exige de l’adulte patience, fermeté et doigté.

[55]        Quant à Y, les comportements de vols et de mensonges ont disparu.

[56]        L’estime et la confiance sont des aspects qui doivent être travaillés chez ce jeune fragilisé à plusieurs égards.

[57]        Malgré le défi qui les attend, les responsables de la famille d’accueil souhaitent s’investir auprès des garçons en leur offrant un milieu de vie calme, prévisible, encadrant et sécurisant.

[58]        La famille d’accueil n’hésite pas à demander de l’aide afin de répondre aux besoins spécifiques des enfants.

[59]        La gestion des émotions des garçons demeure un défi au quotidien.

[60]        Le Tribunal n’a aucune hésitation à accueillir l’ensemble des mesures de protection et aurait préféré agir bien avant afin de soustraire ces deux garçons aux difficultés qu’ils ont endurées trop longtemps.

POUR TOUS CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

SUR LA DEMANDE EN LÉSION DE DROITS :

[61]        ACCUEILLE la demande en lésion de droits en partie;

[62]        DÉCLARE que les droits accordés à Y et X par les articles 3, 38 et 39 de la Loi sur la protection de la jeunesse ont été lésés;

[63]        ORDONNE une évaluation psychologique des enfants X et Y ainsi qu’un suivi selon les recommandations d’un psychologue retenu par le CIUSSS (Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux) des Centres jeunesse A;

[64]        ORDONNE au Centre jeunesse A de prendre personnellement connaissance du présent dossier afin que des correctifs soient apportés pour qu’une telle situation ne se reproduise plus;

[65]        ORDONNE que la présente décision soit notifiée à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse afin qu’elle soit informée de la situation et prenne les mesures qui s’imposent dans le cadre de son mandat;

[66]        LE TOUT, sans frais

SUR LA DEMANDE EN RÉVISION :

[67]        ACCUEILLE la demande en révision;

[68]        DÉCLARE la sécurité et le développement des enfants X et Y toujours compromis;

[69]        RÉVISE l’ordonnance rendue le 20 janvier 2009 par le juge Michel DuBois;

[70]        ORDONNE l’hébergement des enfants dans la famille d’accueil de madame C et monsieur D, et ce, jusqu’à l’atteinte de leur majorité;

[71]        RETIRE aux parents l’exercice de certains attributs de l’autorité parentale relatifs à leurs deux enfants Y et X, notamment sur le plan social, scolaire, médical, concernant les voyages hors du Québec et sur le plan religieux;

[72]        DÉSIGNE la Directrice de la protection de la jeunesse pour exercer les attributs de l’autorité parentale retirés aux parents;

[73]        INTERDIT en faveur des enfants, la reprise des contacts entre leurs parents et leur grand-mère maternelle, madame E;

[74]        ORDONNE qu’une personne ou des personnes, oeuvrant au sein des Centres jeunesse A ou de tout autre établissement ou organisme, soient désignées pour apporter aide, conseils et assistance aux enfants et à leur famille, et ce, jusqu’à l’atteinte de leur majorité;

[75]        CONFIE la situation des enfants à la Directrice de la protection de la jeunesse des Centres jeunesse A pour l’exécution de la présente ordonnance.[3]

 

 

__________________________________

MARIE-JOSÉE MÉNARD, J.C.Q.

 

 

Me Jessy Bélanger

Avocate de la Directrice de la

protection de la jeunesse

 

A

Mère non représentée

 

B

Père non représenté (absent)

 

Me Chantal Grondin

Avocate des enfants

 

Commission des droits de la personne

et des droits de la jeunesse

Partie mise en cause non représentée (absente)

 

 

Date d’audience :

24 octobre 2016

 



[1]     Lettre du 14 octobre 2016, Pièce D-3

[2]     Id.

[3]     Pièces déposées :    D-1 à D-5 par la Directrice sur la demande en révision

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.