Béliveau c. Trahan | 2023 QCTAL 29497 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Saint-Jean | ||||||
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No dossier : | 703413 25 20230503 G | No demande : | 3887554 | |||
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Date : | 28 septembre 2023 | |||||
Devant la juge administrative : | Chantal Boucher | |||||
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Roland-Luc Béliveau |
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Locateur - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Mélissa Trahan |
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Locataire - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Par une demande déposée le 3 mai 2023, le locateur demande au Tribunal de l’autoriser à reprendre le logement concerné, à compter du 1er novembre 2023, pour s’y loger.
[2] La preuve révèle que les parties sont liées par un bail du 1er novembre 2021 au 30 juin 2022 au loyer mensuel de 850 $, reconduit jusqu’au 31 octobre 2023 au même loyer mensuel.
Preuve au dossier
[3] D’entrée de jeu, il convient de mentionner que les délais de rigueur quant aux démarches entreprises pour l’autorisation de la reprise ainsi que la validité de l’avis de reprise ne sont pas contestés[1]. La locataire soulève plutôt la mauvaise foi ayant mené aux démarches de reprise de logement par le locateur ainsi que la disponibilité d’autres logements dont ce dernier pourrait utiliser pour son logement personnel.
[4] Le locateur témoigne à l’audience avoir dû quitter la maison qu’il habitait et dont sa sœur en était la propriétaire le 14 juillet 2022 après que celle-ci ait été vendue.
[5] Depuis ce temps, il habite dans sa roulotte qu’il a installée sur le terrain de l’usine où il travaille à Sorel. Cependant, il veut reprendre le logement de la locataire, car il a besoin de son espace et de disposer de ses meubles qu’il entrepose depuis maintenant un an.
[6] Il mentionne être propriétaire de trois immeubles à logements incluant celui de la locataire qui elle se trouve à louer un logement comprenant cinq pièces et demie. Il ajoute n’avoir reçu aucun avis de non-renouvellement pour ses autres logements et qu’ils sont tous occupés présentement.
[7] En défense, la locataire soumet que l’avis de reprise a été signé le 1er avril 2023, soit trois jours après s’être présentée à une audience devant le Tribunal administratif du logement, alors que le locateur réclamait la résiliation de son bail. Cependant, cette cause a été déclarée périmée faute de notification.
[8] De son côté, elle a fait plusieurs plaintes au locateur afin qu’il exécute des travaux dans le logement et a également fait appel à la Municipalité afin qu’elle intervienne.
[9] Selon elle, il est clair que l’avis de reprise est une démarche de représailles à son encontre à la suite de toutes ces procédures.
[10] Quant aux logements qui seraient vacants, elle mentionne que le numéro 91, un quatre pièces et demie situé dans son immeuble, est libre depuis avril 2023 car le locateur aurait expulsé l’ancien locataire.
[11] De plus, elle est convaincue que le locateur habite déjà dans un de ses immeubles situé au 2 de la Beurrerie puisque sa conjointe et sa sœur y habitent et qu’elle l’a vu entrer et sortir de façon continue, en plus d’y constater la présence de son camion et sa voiture en tout temps.
[12] À ce stade, le Tribunal a dû ajourner l’audience en raison de l’insuffisance de temps, et a demandé à la locataire de présenter ses preuves documentaires soutenant ses allégations en trois copies puisque celle-ci ne les avait que sur son téléphone.
[13] L’audience a donc repris le 17 juillet 2023. Cependant, la locataire était absente et le Tribunal a donc procédé avec le locateur seul qui a demandé à se faire entendre sur les allégations de la locataire.
[14] Il précise que le camion et la roulotte dont la locataire a fait mention et qui se trouvent au 2 de la Beurrerie lui appartiennent, mais qu’il ne s’en sert pas, ils ne sont qu’entreposés à cet endroit. De plus, ayant conservé l’accès au garage de l’immeuble, c’est à cet endroit qu’il entrepose ses meubles depuis un an.
[15] Quant à sa relation avec une des locataires, bien que cela ait été vrai par le passé, ils n’entretiennent plus de relation amoureuse, mais plutôt amicale depuis plus d’un an et confirme qu’il n’habite pas les lieux. Toutefois, il se rend très souvent à cet immeuble puisqu’ils sont restés amis et que sa propre sœur y habite également.
[16] Il réitère qu’il habite la semaine dans sa roulotte située sur son lieu de travail à Sorel et que la fin de semaine il dort chez ses parents.
[17] Cependant, il soumet que sa situation personnelle a radicalement changé depuis quelques jours puisqu’il vient de recevoir un diagnostic de cancer et qu’il est maintenant en arrêt de travail indéterminé. Il a donc plus que jamais besoin d’un endroit où s’établir afin de se reposer et de se concentrer sur sa guérison.
[18] Il soumet que le logement de la locataire est parfait pour remplir ce rôle, car il a besoin d’un logement d’au moins cinq pièces et demie pour y ranger tous ses meubles et qu’il convient mieux à ses besoins. Il ajoute que ce projet est permanent et qu’il est tout à fait conscient des conséquences de ne pas respecter les termes de reprise de logement et d’utiliser ce recours à d’autres fins, mais indique qu’il est de bonne foi dans tout ce processus.
[19] Quant à l’allégation d’autres logements vacants soumis par la locataire à la dernière audition, il mentionne qu’effectivement un des locataires a quitté un de ses logements en mai 2023, mais qu’il s’agissait d’un quatre pièces et demie et que cela ne lui convient pas. Aucun cinq pièces et demie n’est disponible ou ne sera disponible à court terme dans ses immeubles.
[20] Quant aux différents litiges avec la locataire et leur concomitance avec l’envoi de l’avis de reprise, il soumet que cela n’a pas impacté la décision. La démarche en résiliation de bail à l’encontre de la locataire était en lien avec la possession d’un chien, alors qu’elle n’en avait pas le droit. Les autres recours que cette dernière a invoqués ont été initiés par elle-même et non par lui.
[21] Il maintient avoir besoin en urgence de ce logement et que ce dernier est le plus adapté à sa situation, et ce, sans égard aux différentes procédures entre les présentes parties.
[22] Ceci conclut l’essentiel de la preuve.
Droit applicable et analyse
[23] Le locateur fonde sa demande sur les articles
« 1957. Le locateur d’un logement, s’il en est le propriétaire, peut le reprendre pour l’habiter lui-même ou y loger ses ascendants ou descendants au premier degré, ou tout autre parent ou allié dont il est le principal soutien.
Il peut aussi le reprendre pour y loger un conjoint dont il demeure le principal soutien après la séparation de corps, le divorce ou la dissolution de l’union civile. »
« 1963. Lorsque le locataire refuse de quitter le logement, le locateur peut, néanmoins, le reprendre, avec l’autorisation du tribunal.
Cette demande doit être présentée dans le mois du refus et le locateur doit alors démontrer qu’il entend réellement reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l’avis et qu’il ne s’agit pas d’un prétexte pour atteindre d’autres fins. »
[24] En premier lieu, il est important de rappeler que celui qui veut faire valoir une prétention doit en faire la preuve au Tribunal par prépondérance de preuve[2].
[25] Avant de débuter l’analyse du dossier en litige, il convient de rappeler la jurisprudence applicable en matière de reprise.
[26] Dans le cas d’une reprise, le régisseur Bisson écrivait dans l’affaire Dagostino c. Sabourin[3] :
« Lors de la reprise d'un logement par le locateur, deux droits importants se rencontrent et s'opposent. Le droit du propriétaire d'un bien de jouir de celui-ci comme bon lui semble et le droit du locataire au maintien dans les lieux loués. C'est pour protéger ce droit du locataire que le législateur impose des conditions au locateur. »
[27] Dans ce contexte et en prenant en compte les dispositions législatives applicables ainsi que la jurisprudence, le Tribunal se doit d’évaluer la bonne foi ainsi que la crédibilité du locateur qui a le fardeau de démontrer qu’il remplit les critères donnant ouverture à la reprise tel que souligné par le juge Dortélus à la Cour du Québec[4] :
« Il ressort de cette revue de la doctrine et jurisprudence qu'il appartient au locateur de démontrer par prépondérance de preuve qu'il entend réellement reprendre possession du logement pour la fin mentionnée dans l'avis de reprise de possession, il doit prouver sa bonne foi, ce faisant, établir qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins. »
[28] En l’instance, la locataire ne conteste pas les délais ou la validité de l’avis de reprise, mais plutôt la bonne foi de celle-ci et le fait que le locateur est propriétaire d’un autre logement qui serait vacant.
[29] Concernant le fait qu’un autre logement serait disponible, la locataire base son argument sur l’article
« 1964. Le locateur ne peut, sans le consentement du locataire, se prévaloir du droit à la reprise, s’il est propriétaire d’un autre logement qui est vacant ou offert en location à la date prévue pour la reprise, et qui est du même genre que celui occupé par le locataire, situé dans les environs et d’un loyer équivalent. »
[30] Après audition de la preuve, il ressort qu’aucun avis de non-renouvellement n’a été transmis au locateur par les locataires occupant les différents logements des trois immeubles. Bien qu’un des logements ait été vacant lors de la première audition, ce dernier comportait quatre pièces et demie et ne peut être assimilé à un logement similaire à celui de la locataire qui lui comporte cinq pièces et demie.
[31] En invoquant ce fait, il appartenait à la locataire de démontrer que son argument répondait aux critères de l’article précité afin de s’en prévaloir, ce qui n’a pas été le cas. En conséquence, cet aspect est rejeté.
[32] Quant à la bonne foi du locateur dans ses démarches afin de reprendre le logement de la locataire, bien que le fardeau de preuve repose sur ce dernier de démontrer son intention réelle d’habiter le logement, cela doit se faire par preuve prépondérante. C’est donc dire que le Tribunal doit déterminer à la lumière des témoignages entendus et de la preuve documentaire reçue s’il est plus probable que l’inverse que le locateur habitera réellement le logement, et ce, d’une façon présentant un caractère de permanence.
[33] Dans l’ensemble, le Tribunal est d’avis que le locateur a présenté un projet de vie concret, précis, réalisable et permanent concernant son intention d’habiter le logement concerné.
[34] Finalement, concernant l’argument que la reprise aurait pour objectif principal de se départir de la locataire en raison des relations tendues avec le locateur, le Tribunal n’arrive pas à cette conclusion.
[35] Bien que le Tribunal reconnaisse que les relations semblent empreintes d’animosité, ce dernier estime que le locateur a bien su répondre, et ce, de façon convaincante, que la reprise ne découlait pas de cette situation, mais plutôt de sa situation personnelle dans laquelle il se trouvait, c’est-à-dire sans logement depuis un an et en voulant reprendre un endroit où il y aurait assez d’espace pour contenir tous ses biens et où il se sentirait chez lui. De plus, les événements récents subis par le locateur renforcent le fait que ce dernier veule à tout prix avoir son endroit, sa place et y vivre de façon permanente et pour longtemps.
[36] De plus, la jurisprudence est constante et claire sur cet élément, l’existence de litiges et de différends entre les parties n’entraîne pas une présomption de mauvaise foi de la part du locateur quant à son intention de reprise du logement.
[37] Dans un contexte de reprise, la pierre d’assise du droit au logement étant le maintien dans les lieux, celui-ci est confronté à d’autres droits notamment celui de la reprise par le locateur.
[38] Le Tribunal est conscient qu’il s’agit d’un droit balisé par des critères et se doit d’être interprété restrictivement. Toutefois, le locateur ayant démontré son sérieux de reprendre le logement, le Tribunal se doit d’y faire droit.
[39] Enfin, le Tribunal tient également à rappeler aux parties qu’en vertu de l’article
« 1970. Un logement qui a fait l’objet d’une reprise ou d’une éviction ne peut être loué ou utilisé pour une fin autre que celle pour laquelle le droit a été exercé, sans que le tribunal l’autorise.
Si le tribunal autorise la location du logement, il en fixe le loyer. »
[40] Par ailleurs, si la reprise ne se fait pas conformément à la demande et à la présente décision, la locataire est en droit d'exiger des dommages-intérêts selon l'article 1968 C.c.Q.
« 1968. Le locataire peut recouvrer les dommages-intérêts résultant d’une reprise ou d’une éviction obtenue de mauvaise foi, qu’il ait consenti ou non à cette reprise ou éviction.
Il peut aussi demander que celui qui a ainsi obtenu la reprise ou l’éviction soit condamné à des dommages-intérêts punitifs. »
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[41] ACCUEILLE la demande du locateur qui en assume les frais;
[42] AUTORISE la reprise du logement par le locateur pour s’y loger à partir du 1er novembre 2023;
[43] ORDONNE l'expulsion de la locataire et de tous les occupants à compter du 1er novembre 2023.
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Chantal Boucher | ||
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Présence(s) : | le locateur la locataire | ||
Date de l’audience : | 19 juin 2023 | ||
Présence(s) : | le locateur | ||
Date de l’audience : | 17 juillet 2023 | ||
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[1] Pièce P-1.
[2] Articles
[3] Dagostino c. Sabourin, 26 janvier 2000, régisseur J. Bisson, R. L.
[4] Hajjali c. Tsikis et Régie du logement,
AVIS :
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