Décision

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Interrent Holdings Manager c. Morin

2025 QCTAL 21384

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier:

795652 31 20240510 F

No demande:

4334308

RN :

 

4220329

 

Date :

16 juin 2025

Devant la greffière spéciale : 

Me Chantal Houde

 

Interrent Holdings Manager LP

Locatrice - Partie demanderesse

c.

James Morin

 

Karen Abbyleth Prado De Morin

Locataires - Partie défenderesse

 

DÉCISION

 

 

  1.          La locatrice a produit une demande de fixation de loyer en vertu de l’article 1947 du Code civil du Québec.
  2.          Les parties sont liées par un bail du 1er septembre 2023 au 31 août 2024, à un loyer mensuel de 1 350,00 $.
  3.          Considérant la connexité entre les demandes relatives de cet immeuble, celles-ci ont été réunies afin de favoriser la tenue d’un processus efficace et ainsi être entendues et jugées sur la même preuve, conformément à l'article 57 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement [1].
  4.          Le Tribunal rendra cependant une décision distincte pour chaque logement concerné.
  5.          Les locataires soulèvent plusieurs insatisfactions quant aux services. Plus particulièrement, ils sont en désaccord avec la décision de l’administration de fermer l’accès à la piscine pendant les travaux de réfection du podium.

Qu’en est-il de la perte de l’accès à la piscine?

  1.          En règle générale, dans le cadre d’une demande de fixation du loyer, le Tribunal ne peut pas tenir compte des inconvénients soulevés, lesquels n'ont pas pour effet de contrer la fixation du loyer au terme du bail à renouveler.
  2.          Toutefois, lors d’une demande de fixation de loyer, le Tribunal peut réduire le loyer d'une valeur correspondant à la perte d'un accessoire, d’une dépendance ou d’un service sous deux conditions.
  3.          La première, est la perte d'un accessoire, d’une dépendance ou d’un service ayant eu lieu durant les douze mois précédant la période pour laquelle le loyer est à fixer, selon l'article 8 du Règlement sur les critères de fixation de loyer[2] :

« 8. Le tribunal réduit le loyer exigible dans la mesure où la locatrice a fait défaut durant les 12 mois précédant la période pour laquelle le loyer est à fixer de maintenir la qualité des services ou de procurer l’usage d’un accessoire ou d’une dépendance de l’immeuble ou du logement concerné. »

  1.          La seconde doit permettre de constater que la perte subie par un locataire revêt un caractère de permanence[3].
  2.      Rappelons que l'article 8 est un recours exceptionnel qui déroge de la règle de droit, en ce sens qu'un locataire qui le soulève peut voir son loyer réduit sans même avoir exercé un recours au Tribunal. Il n'a qu'à invoquer un manquement de la part de la locatrice afin d’obtenir l'équivalent d'une diminution de loyer dans le cadre d'une demande d'augmentation déposée par la locatrice. 
  3.      Les locataires des appartements 301 et 305, du [...], ont déjà bénéficié d’une réduction de loyer de 2% pour la perte de l’usage de la piscine à la suite de la décision[4] rendue le 5 aout 2024 par Me William Durand, greffier spécial.
  4.      Dans sa décision, il explique que la perte de l’accès a débuté à la mi-septembre 2022 et que ces locataires en ont perdu l’usage pendant 12 mois consécutifs.
  5.      Depuis cette décision, il s’est donc écoulé plus de 12 mois consécutifs pour les autres locataires, leur permettant eux aussi de bénéficier de la réduction de 2%. Tous les locataires jouiront de cette réduction jusqu’à ce que la locatrice rétablisse l’accès à la piscine.
  6.      À cet effet, l’avocat de la locatrice indique que la piscine a été réouverte le 21 juin 2024.
  7.      La locatrice a droit au rétablissement du loyer à compter de la remise en service de la piscine, comme le prévoit le Règlement.

9. Le tribunal relève le loyer exigible dans la mesure où:

1° la réduction de loyer consentie par un locateur pendant les 12 mois précédant la période pour laquelle le loyer est à fixer pour permettre au locataire d’effectuer à ses frais une réparation, une amélioration ou la mise en place d’un nouveau service s’avère supérieure aux dépenses encourues;

la locatrice a remédié au défaut en raison duquel le loyer au terme du bail constitue un loyer réduit en vertu de l’article 8.

Comment les factures sont-elles mises en preuve?

  1.      Certains locataires questionnent le descriptif des factures et leur attribution au bon immeuble.
  2.      Cela étant, les factures doivent permettre de garantir une certaine fiabilité et d’indépendance. Elles sont habituellement émises dans le cadre d’une entreprise, permettant ainsi d’avoir les coordonnées et le détail des travaux effectués.
  3.      À cet égard, l’article 2870 du Code civil du Québec prévoit qu’une facture provenant d’une entreprise offre des garanties suffisamment sérieuses de fiabilité et peut être déposée en preuve même en l’absence de la personne qui l’a facturée.
  4.      En d’autres termes, les factures émises dans le cadre d’une entreprise font foi de leur contenu, nul n’est besoin d’en faire la preuve. Ces documents jouissent d’une présomption légale de véracité, tel qu’énoncé aux articles 2830 alinéa 2 et 2831 C.c.Q.
  5.      Comme le mentionne le juge administratif Grégor Des Rosiers dans une cause récente [5], le législateur reconnaît d’emblée l’admissibilité pièces justificatives et des factures.
  6.      Les contrats et factures peuvent être prouvées par la production de l'original ou d'une copie qui légalement en tient lieu, selon l'article 2860 du Code civil du Québec.
  7.      Sont au même effet les articles 75, 76 et 77 de la Loi sur le Tribunal administratif du Québec[6] qui permettent certains assouplissements à la règle de la meilleure preuve. La locatrice peut ainsi compléter sa preuve documentaire par son témoignage sous serment. Elle apporte ainsi toutes les explications pertinentes à l'appui de ses factures.
  8.      La bonne foi doit également gouverner la conduite des parties, conformément aux dispositions du Code civil du Québec prévues aux articles 6, 7 et 1375.

  1.      Comme l’indique les juges administratives en révision d’une décision dans la cause de Luca c. Gestion 9095 S.E.C. [7], le locataire dans sa contestation doit soumettre une contre preuve, et non seulement affirmer que les coûts sont trop élevés :

« [17] (…) Dans sa procédure de contestation par exemple, le locataire qualifie la locatrice en ces termes ‘’Le propriétaire est libre d’assumer l’incompétence et les travaux mal exécutés’’, Le prix des matériaux utilisé est vachement exagéré pendant que leur qualité est la pire possible sur le marché’’ (paragr.7 d. et f.).

[18]   Le tribunal considère que ces affirmations reposent sur une perception personnelle du locataire qui n’a pas sa place ni d’impact sur la procédure en cause car elle fait l’objet d’aucune preuve probante.

[19]   Le tribunal siégeant en révision, exerce une juridiction exclusive basée sur les faits, la preuve et la Loi et la « démonstration » d’opinions personnelles comme celle du locataire ne peut être retenue, puisqu’il ne s’agit pas du forum approprié pour faire ce type de débat social. »

  1.      Finalement, le Tribunal souscrit aux propos de la greffière spéciale dans l’arrêt de Boivin c. Boucher [8], laquelle réaffirme que ce n’est pas parce qu’un locataire fait part de ses doutes quant à un montant, une facture et un paiement que la locatrice doive alors prouver hors de tout doute que ceuxci concernaient bien l’immeuble. Son fardeau demeure celui de la prépondérance de la preuve.
  2.      En conclusion, le Tribunal est satisfait de la véracité des factures produites selon la présomption légale prévue au Code civil du Québec, concernant les rénovations majeures de la buanderie, du remplacement des luminaires, de la réfection du podium et de l’installation d’un DAR et des compteurs d’eau.

Qu’en est-il du droit de gérance de la locatrice?

  1.      Certains locataires soutiennent que les problèmes de structure du podium sont la conséquence d’un manque d’entretien constant.
  2.      Ce que le gestionnaire de la locatrice conteste vivement. Les travaux étaient devenus nécessaires, mais n’étaient pas imputables à un défaut d’entretien.
  3.      De façon générale, la locatrice est libre de choisir les travaux à effectuer et la manière dont ils sont exécutés sur son immeuble en vertu de son droit de propriété et de gérance.
  4.      La juge administrative Francine Jodoin résume bien le droit applicable en l’instance dans l’affaire 9120-6003 Québec Inc. c. Paradis [9]:

« L’encadrement législatif applicable à l’exécution de travaux dans le logement se divise en plusieurs catégories. De façon générale, la locatrice est libre de faire les travaux qu’il souhaite sur son immeuble en vertu de son droit de propriété et de gérance. La locataire ne peut, sauf exception dont la preuve n’a pas été faite, s’immiscer dans les choix pratiqués par la locatrice quant à l’opportunité, la nature ou la manière d’exécuter les travaux. (…). »

  1.      Dans une décision en révision[10], les juges expliquent qu’une dépense est habituellement admise à moins qu’elle ne soit futile :

« [16] Incidemment, la jurisprudence a déjà reconnu qu'une dépense qui résulte de malfaçon doit quand même être considérée pour les fins de l'application du Règlement sur les critères de fixation de loyer (4). Dans un contexte de fixation du loyer, il n'appartient pas au Tribunal de statuer sur la qualité ou la nécessité des réparations exécutées par un locateur sur son immeuble à moins qu'elles ne soient insolites, abusives ou somptuaires. »

 (Les références sont omises.)

  1.      En conséquence, la réfection du podium a été retenue aux fins du calcul de fixation pour l’ensemble des locataires.

Le résultat du calcul

  1.      La locatrice a fourni le formulaire de renseignements nécessaires à la fixation du loyer, ainsi que les pièces justificatives et les factures au soutien de ces renseignements.
  2.      La locatrice a le fardeau de prouver, selon la règle de la prépondérance de la preuve et de la balance des probabilités, les dépenses et les montants inscrits dans le formulaire de renseignements nécessaires pour permettre au Tribunal de calculer l'augmentation du loyer selon les critères prévus au Règlement sur les critères de fixation de loyer.
  3.      Après calcul, l’ajustement du loyer permis en vertu du Règlement sur les critères de fixation de loyer est de 80,47 $ par mois, s’établissant comme suit :

Taxes municipales et scolaires

5,28 $

Assurances

 (0,13 $)

Gaz

 (1,59 $)

Électricité

 1,87 $

Mazout

 0,00 $

Frais d’entretien

6,02 $

Frais de services

0,00 $

Frais de gestion

 3,78 $

Réparations majeures, améliorations majeures,

mise en place d’un nouveau service

 

 25,65 $

Ajustement du revenu net

 39,59 $

 

 

TOTAL

 

 80,47 $

  1.      CONSIDÉRANT l'ensemble de la preuve faite à l'audience;
  2.      CONSIDÉRANT qu’un ajustement mensuel de 80,47 $ est justifié;
  3.      CONSIDÉRANT qu’il y a lieu de faire droit à une réduction de 2% pour la perte de l’usage de la piscine pour un montant de 28,61 $.
  4.      CONSIDÉRANT l’absence de preuve justifiant la condamnation de la partie défenderesse au paiement des frais;

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

  1.      ACCUEILLE la demande de réduction de loyer en vertu de l’article 8 du Règlement sur les critères de fixation de loyer, concernant la perte de l’usage de la piscine.
  2.      FIXE le loyer, après arrondissement au dollar le plus près, à 1 402,00 $ par mois du 1er septembre 2024 au 31 août 2025.
  3.      Les autres conditions du bail demeurent inchangées.
  4.      La locatrice supporte les frais de la demande.

 

 

 

 

 

 

 

 

Me Chantal Houde, greffière spéciale

 

Présence(s) :

le mandataire de la locatrice

Me Jérémie Beaumier, avocat de la locatrice

Date de l’audience : 

25 mars 2025

 

 

 


 


[1] RLRQ, c. T-15.01.

[2] RLRQ, c. T-15.01, r. 2.

[3] Chaltchi c. Mallay, 31-060511-118F, 6 février 2007, Me Ginette Chartrand; Bessette c. Mathieu, 2020 QCRDL 5527 (CanLII), 2020 QCTAL 5527.

[4] Interrent Holdings Manager c. Bouakroucha, 2024 QCTAL 25410 (CanLII).

[5] 9178-4843 Québec inc. c. Griffin, 2021 QCTAL 25130.

[6] RLRQ, c. T-15.01.

[7] Luca c. Gestion 9095 (sec), 2010 CanLII 109871 (QC TAL), Christine Bissonnette et Francine Jodoin, juges administratifs.

[8] Boivin c. Boucher, 2012 CanLII 137533 (QC TAL).

[9] 9120-6003 Québec Inc. c. Paradis, 2014 CanLII 130981 (QC RDL).

[10] El-Jamal Samer c. Marunych, 2016 CanLII 129307 (QC TAL).

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