Décision

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Soledad c. Gelin

2024 QCTAL 35612

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

801891 31 20240612 G

No demande :

4362858

 

 

Date :

07 novembre 2024

Devant la juge administrative :

Amélie Dion

 

Exantus Soledad

 

Locatrice - Partie demanderesse

c.

Kerlange Gelin

 

WISMICK GELIN

 

Locataires - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Par un recours introduit le 12 juin 2024, la locatrice demande la permission du Tribunal pour reprendre le logement de la locataire afin d’y loger son fils.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[2]         La locatrice a démontré qu'elle avait réellement l'intention de reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l'avis et que la reprise du logement ne constitue pas un prétexte pour atteindre une autre fin ?

[3]         Le cas échéant, quelle est l'indemnité raisonnable pour le déménagement ?

LE CONTEXTE

[4]         Les parties sont liées par un bail de logement depuis le 1er novembre 2018. La locataire demeure seule dans un logement de 5 pièces et demie avec ses trois enfants depuis le départ de son exconjoint.

[5]         Le logement en cause est situé au 3e étage de l’immeuble de 8 logements. La locatrice est devenue l’unique propriétaire de l’immeuble depuis le 26 juin 2020.

[6]         Le 26 avril 2024, la locatrice transmet un avis de reprise de logement pour y loger son fils de 21 ans Jefferson Anélus. La locataire reçoit cet avis par l’huissier le 30 avril 2024.

[7]         La locatrice ne reçoit pas de réponse de la locataire, celle-ci est présumée avoir refusé de quitter le logement à l’échéance du bail.

[8]         Le 12 juin 2023, la locatrice introduit le présent recours afin d’obtenir la permission de reprendre le logement.


[9]         Il s’agit de déterminer si la locatrice est en droit de reprendre le logement de la locataire.

L’ANALYSE

Les principes pertinents

[10]     Le droit à la reprise est fondé sur l'article 1957 du Code civil du Québec (C.c.Q.), lequel prévoit :

« 1957. Le locateur d'un logement, s'il en est le propriétaire, peut le reprendre pour l'habiter lui-même ou y loger ses ascendants ou descendants au premier degré, ou tout autre parent ou allié dont il est le principal soutien.

Il peut aussi le reprendre pour y loger un conjoint dont il demeure le principal soutien après la séparation de corps, le divorce ou la dissolution de l'union civile. »

[11]     Le locateur désirant reprendre un logement doit se conformer à certaines conditions essentielles. Celles-ci sont encadrées par les dispositions suivantes :

« 1960. Le locateur qui désire reprendre le logement ou évincer le locataire doit aviser celui-ci, au moins six mois avant l'expiration du bail à durée fixe; si la durée du bail est de six mois ou moins, l'avis est d'un mois.

Toutefois, lorsque le bail est à durée indéterminée, l'avis doit être donné six mois avant la date de la reprise ou de l'éviction. »

« 1962. Dans le mois de la réception de l'avis de reprise, le locataire est tenu d'aviser le locateur de son intention de s'y conformer ou non; s'il omet de le faire, il est réputé avoir refusé de quitter le logement.

Lorsque le locataire refuse ou est présumé avoir refusé de quitter le logement, une demande doit être présentée devant le tribunal administratif du logement (TAL) conformément à l’article 1963 C.c.Q. »

« 1963. Lorsque le locataire refuse de quitter le logement, le locateur peut, néanmoins, le reprendre, avec l'autorisation du tribunal.

Cette demande doit être présentée dans le mois du refus et le locateur doit alors démontrer qu'il entend réellement reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l'avis et qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins. »

La nature du litige

[12]     Le litige qui oppose les parties est expliqué de la manière suivante par le juge administratif Bisson :

« Lors de la reprise d'un logement par le locateur, deux droits importants se rencontrent et s'opposent. Le droit du propriétaire d'un bien de jouir de celui-ci comme bon lui semble et le droit du locataire au maintien dans les lieux loués. C'est pour protéger ce droit du locataire que le législateur impose des conditions au locateur.

Ainsi pour obtenir l’autorisation du Tribunal de reprendre le logement, le locateur doit démontrer qu’il entend réellement reprendre le logement et qu’il ne s’agit pas d’un prétexte pour atteindre d’autres fins[1]. »

Le fardeau de la preuve

[13]     Le fardeau de la preuve repose sur les épaules du locateur. Le juge Dortélus de la Cour du Québec explique la démonstration que doit rencontrer un locateur désirant reprendre un logement :

« [38] Il ressort de cette revue de la doctrine et jurisprudence qu'il appartient au locateur de démontrer par prépondérance de preuve qu'il entend réellement reprendre possession du logement pour la fin mentionnée dans l'avis de reprise de possession, il doit prouver sa bonne foi, ce faisant, établir qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins[2]. »

[14]     Généralement, la bonne foi se traduit par une absence de prétexte, laquelle reste une appréciation des faits entourant la reprise de logement.


[15]     Dans l’affaire Simard-Godin c. Gibeault, le Tribunal expose ce qu’il entend par une évaluation de la bonne foi :

« La détermination de la bonne foi, de l'intention réelle de reprendre possession et de l'absence de prétexte dolosif est une question de faits et d'intention entourant les faits. À ce chapitre la Régie est justifiée d'examiner les faits et motifs qui amènent le locateur à requérir le logement: cette appréciation implique nécessairement des éléments subjectifs et objectifs tels que la crédibilité de la locatrice et de sa fille, les raisons personnelles justifiant leur droit spécifique, la disponibilité d'un logement équivalent et même l'état des relations avec le locataire en cause[3]. »

La preuve

[16]     La locatrice témoigne quelle veut loger son fils dans ce logement. Au mois d’avril 2024, elle a reçu tous les avis de reconduction de bail pour le 1er juillet 2024.

[17]     La locataire confronte la locatrice sur le fait qu’une voisine soit déménagée à la fin juin 2024. La locatrice répond qu’elle ne savait pas qu’elle allait partir, car elle avait reconduit son bail. Elle a trouvé quelqu’un rapidement et n’a pas offert ce logement à son fils, car il s’agissait d’un demi-sous-sol avec une famille de 3 enfants vivant au-dessus du logement.

[18]     Le bénéficiaire du logement témoigne qu’il veut s’installer dans le logement de la locataire. Il est aux études et travaille à temps partiel. Il veut plus d’autonomie et ne plus habiter avec sa mère. Il sera ainsi plus près du cégep.

[19]     La locatrice témoigne sous serment qu’elle a parlé à son fils de l’opportunité du logement en juillet, mais au contraire celui-ci affirme qu’elle n’en a pas discuté. Même si sa mère ne lui a pas parlé du logement du demi-sous-sol, il aurait probablement refusé puisque moins tranquille que l’étage supérieur. Il s'agit d'une contradiction importante dans le contexte de la recherche des intentions véritables.

[20]     Selon la locataire, la locatrice cherche à l’évincer depuis qu’elle a acquis la propriété. Dans un premier temps, alors qu’elle se présente comme nouvelle locatrice, elle demande de continuer les paiements à l’ancien locateur.

[21]     Ensuite, le 19 juillet 2021, les locataires introduisent une demande en dépôt de loyer ne sachant plus à qui payer le loyer. Ils demandent également une diminution de loyer depuis le 1er juillet 2020 et des dommages moraux puisque la nouvelle locatrice n’élimine pas les punaises de lit et les coquerelles qui se trouvent au logement.

[22]     Le loyer est diminué de 20 %, jusqu’à l’éradication complète des coquerelles et des insectes et condamne la locatrice à payer 1 500 $ en dommages-intérêts.

[23]     Le 4 mars 2022, les locataires introduisent une seconde demande de dépôt de loyer puisque la locatrice refuse de prendre les paiements du loyer et exige le plein montant sans la diminution accordée le 25 octobre 2021.

[24]     Le 7 avril 2022, le Tribunal autorise le dépôt du loyer, jusqu’à ce qu’il autorise le retrait des sommes ou jusqu'à ce que toutes les parties y consentent.

[25]     Le 17 juin 2022, la locatrice introduit une demande en non-paiement du loyer alors que le loyer est versé directement au greffe du Tribunal. La locataire estime que la locatrice a introduit la demande de mauvaise foi.

[26]     En 2022, la locataire explique qu’elle avait trouvé un logement pour y loger sa famille. La locatrice n'a pas donné de bonnes références, elle n’a pu signer un nouveau bail. Elle ajoute qu’elle ne désire pas rester dans ce logement, mais elle n’a pas d’endroit loger sa famille et croit la locatrice de mauvaise foi.

[27]     À la lumière des témoignages entendus, la soussignée ne croit pas que la demande de reprise est effectuée à bon escient. Le but véritable est de voir partir la locataire du logement.

[28]     Par conséquent, la demande de reprise est refusée.


POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[29]     REJETTE la demande.

 

 

 

 

 

 

 

 

Amélie Dion

 

Présence(s) :

la locatrice

la locataire

Date de l’audience : 

7août 2024

Présence(s)

la locatrice

les locataires

Date de l’audience :

18 octobre 2024

 

 

 


 


[1] Dagostino c. Sabourin, (R.D.L., 2000-01-26), SOQUIJ AZ-50736447, p. 2.

[2] Hajjali c. Tsikis, 2008 QCCQ 16, paragr.38.

[3] Simard-Godin c. Gibeault J.L. 87-82 (R.L.), à la p. 40.

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