Berranem c. Ait-Ali | 2024 QCTAL 16463 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Montréal | ||||||
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Nos dossiers : | 618817 31 20220304 G 620808 31 20220321 G | Nos demandes : | 3487083 3495660 | |||
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Date : | 17 mai 2024 | |||||
Devant le juge administratif : | Grégor Des Rosiers | |||||
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Réda Berranem |
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Locataire - Partie demanderesse (618817 31 20220304 G) Partie défenderesse (620808 31 20220321 G) | ||||||
c. | ||||||
Nadia Ait-Ali |
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Locatrice - Partie défenderesse (618817 31 20220304 G) Partie demanderesse (620808 31 20220321 G) | ||||||
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Nordine Belam Partie intéressée (618817 31 20220304 G)
Samia Kheniou Partie intéressée (620808 31 20220321 G) |
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D É C I S I O N
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[1] Le 4 mars 2022, le locataire par amendement introduit une demande en dommages-intérêts (7 000 $), des dommages matériels (6 000 $) et moraux pour son fils (6 000 $) et pour lui-même (5 000 $) pour troubles et inconvénients liés à la perte des biens meubles et effets personnels laissés dans le logement, plus les frais.
Dossier : 620808 31 20220321
[2] Le 21 mars 2022, la locatrice introduit une demande en dommages-intérêts pour la somme de 11 474 $ plus les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, l’exécution provisoire malgré l’appel de la décision et la condamnation des locataires au paiement des frais.
[3] Les demandes ont été réunies pour l’instruction conformément à l’article 57 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement.
[4] La présente cause a fait l’objet d’audiences tenues les 11 octobre 2022 et 19 février 2024.
[5] Monsieur Nordine Belam, l’ex-conjoint de la locatrice, est une partie mise en cause.
Contexte et les faits
[6] Les parties étaient liées par un bail à durée indéterminée débuté en novembre 2008 au loyer mensuel de 860 $.
[7] Le 18 octobre 2021, le Tribunal rend une décision en faveur de la locatrice et autorise cette dernière à reprendre le logement pour y loger son fils, Ryan Belam à compter du 30 juin 2022.
[8] Le 1er novembre 2021, le locataire quitte le logement.
[9] À compter du 1er novembre 2021, l’ex-conjointe du locataire, madame Samia Kheniou occupe alors le logement.
[10] Le 28 novembre 2021, le locataire a visité le logement pour vérifier et inspecter les matelas des enfants pour vérifier, de visu, s’il y avait bel et bien présence de punaises de lit dans le logement dont s’est plainte madame Kheniou auprès de la locatrice.
[11] Le 6 décembre 2021, la Cour Supérieure dans un jugement sur les mesures provisoires de divorce attribue à madame Samia Kheniou le bail relatif au logement concerné.
[12] Le 30 décembre 2021, madame Kheniou, locataire cessionnaire, avise le locataire de son intention de quitter le logement le 2 janvier 2022.
[13] Le 5 janvier 2022, dans un courriel transmis à la locatrice, madame Kheniou avise cette dernière qu'elle quitte le logement le jour même au motif que la présence de punaises de lit dans le logement rend celui-ci impropre à l'habitation et que les clés du logement seront remises à monsieur Nordine Belam l'ex-conjoint de la locatrice et qu'alors la locatrice consent-elle toujours à la résiliation du bail à la date du départ.
[14] Au soutien de sa demande, le locataire allègue que la locatrice ne lui a pas permis d’aller récupérer ses biens meubles et effets personnels laissés dans le logement à la suite du départ de la locataire cessionnaire, madame Kheniou.
[15] De plus, le locataire affirme que la locatrice ne lui a pas donné accès au logement et qu’elle a illégalement jeté ses biens meubles et personnels laissés dans le logement par la locataire cessionnaire, son ex-conjointe, madame Kheniou.
[16] Le locataire plaide que la locatrice doit être tenue responsable des pertes et dommages subis par sa faute grossière.
[17] Essentiellement, le témoignage du locataire révèle ce qui suit :
- Le 30 décembre 2021, madame Kheniou, l’avise qu’elle quittera le logement le 2 février;
- Le 31 janvier 2022, il demande à la locatrice l’autorisation pour se rendre au logement afin de constater et de faire l’inventaire des biens laissés par madame Kheniou;
- Le 20 février 2022, la locatrice l’informe qu’il avait jusqu’au 5 janvier 2022 pour aller chercher ses biens meubles et effets personnels laissés dans le logement à la suite du départ de madame Kheniou;
- Le locataire soutient que la locatrice a jeté tous les biens qui se trouvaient dans le logement.
- Il produit des photos prises en date du 5 janvier 2022, 12 février 2022 et le 26 mars 2022 qui montrent un bureau et des meubles sur le pavé et recouvert de neige, des sacs, des jouets et autres objets jetés au rebut;
[18] Le locataire plaide que la locatrice doit être tenue responsable des dommages ainsi subis causés par sa faute et dont il est en droit de lui réclamer.
[19] Le locataire réclame des dommages-intérêts totalisant une somme de 24 000 $ qui se détaillent comme suit :
- Dommages matériels : 6 000 $
- Frais et honoraires de son avocat : 7 000 $
- Dommages moraux pour le fils du locataire ( 8 ans ) qui est atteint d’un trouble du spectre de l’autisme: 6 000 $
- Dommages moraux pour le locataire : 5 000 $
[20] En défense, la locatrice conteste la demande du locataire et soutient que cette demande est frivole et non fondée.
[21] Elle soutient que le locataire n’a pas démontré de faute de sa part ni qu’elle ait contrevenu à ses obligations contractuelles. Elle affirme n’avoir rien jeté appartenant au locataire et nie catégoriquement les allégations du locataire à ce sujet.
[22] La locatrice demande tout simplement le rejet de la demande et plaide que le locataire ne s’est pas déchargé de son fardeau de preuve ni démontré par une preuve prépondérante une faute de sa part et que les dommages subis soient en lien direct avec la faute alléguée.
Dossier : 620808 31 20220321
[23] L’immeuble concerné comprend cinq logements.
[24] La locatrice affirme qu’à la suite de la séparation des locataires et de l’attribution par la Cour Supérieure du bail relatif au logement à madame Kheniou et au départ de cette dernière le 5 janvier 2022, en reprenant possession du logement, elle a constaté que les locataires ont laissé le logement dans un état de dégradation totale causant des dommages pour une somme de 7 000 $.
[25] La locatrice soutient que les locataires lui doivent 7 000 $ pour les pertes et dégradations du logement plus précisément aux armoires de la cuisine et autres accessoires.
[26] La locatrice estime que les locataires ont détérioré le logement en n’agissant pas avec prudence et diligence et par omission de lui dénoncer les défectuosités constatées dans le logement et par conséquent elle est en droit d’exiger des locataires de lui payer les dommages subis.
[27] Elle produit diverses photographies qui montrent l’évier, les armoires de la cuisine et l’intérieur de celle-ci ainsi que l’état général du logement.
[28] Concernant les pertes et dégradations au logement, la locatrice produit diverses factures qui totalisent 6 317,36 $.
[29] La locatrice plaide que les pertes et les dommages subis ont été causés par la faute et négligence des locataires et qu'ils doivent être tenus responsables.
[30] La locatrice réclame également les dommages suivants :
- Dommages moraux 300 $
- Frais de déménagement : 120 $
- Frais d’extermination : 402,41 $
- Salaire perdu – audiences du 21 janvier 2021 et du 19 février 2024 : 720 $
[31] Le logement n’a pas été reloué, car elle a fait l’objet d’une reprise par la locatrice pour y loger son fils, Ryan Belam à compter du 1er juillet 2022.
[32] De plus, la locatrice réclame une indemnité de relocation pour la somme de 2 580 $ équivalent au loyer des mois de janvier, février et mars 2022.
[33] À ce chapitre, le Tribunal n’est pas satisfait de la preuve produite en ce qui concerne l’obligation faite à la locatrice de minimiser ses dommages.
Questions en litige
- La locatrice a-t-elle contrevenu à ses obligations contractuelles envers le locataire?
- Le locataire a-t-il droit à des dommages-intérêts?
- Les locataires ont-ils contrevenu à leurs obligations contractuelles?
- La locatrice a-t-elle droit à des dommages-intérêts?
Dossier : 618817 31 20220304
Analyse et décision
[34] Les obligations du locateur sont prévues aux articles 1854, 1864 et 1910 du Code civil du Québec.
[35] L’article 1854 du Code civil du Québec prévoit :
« 1854. Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.
Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l'usage pour lequel il est loué, et de l'entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail[1]. »
[36] De plus, le locateur doit exécuter toutes les réparations nécessaires au logement autre que celles qui ne sont que purement locatives.
[37] L’article article 1864 Code civil du Québec prévoit :
« 1864. Le locateur est tenu, au cours du bail, de faire toutes les réparations nécessaires au bien loué, à l'exception des menues réparations d'entretien; celles-ci sont à la charge du locataire, à moins qu'elles ne résultent de la vétusté du bien ou d'une force majeure. »
[38] En outre, l’article 1910 du Code civil du Québec stipule :
« 1910. Le locateur est tenu de délivrer un logement en bon état d'habitabilité; il est aussi tenu de le maintenir ainsi pendant toute la durée du bail.
La stipulation par laquelle le locataire reconnaît que le logement est en bon état d'habitabilité est sans effet[2]. »
[39] Le recours du locataire se fonde sur l’article 1863 du Code civil du Québec qui prévoit :
« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.
L'inexécution confère, en outre, au locataire, le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir[3]. »
[40] Dans ces cas, la doctrine qualifie l’intensité des obligations du locateur de résultat[4].
[41] Cela signifie qu’une fois démontrés les manquements d’un locateur à ses obligations contractuelles découlant du bail et de la loi, le locateur ne peut invoquer sa diligence à apporter un correctif aux manquements dénoncés ni, par ailleurs, plaider, eu égard aux circonstances, qu’il a eu un comportement prudent et diligent.
[42] Le fardeau de la preuve repose sur le locataire, lequel doit effectivement démontrer par prépondérance de preuve, les contraventions de la locatrice à ses obligations contractuelles découlant du bail et de la loi ce qui, dès lors, donnent ouverture à un recours en dommages, diminution de loyer et d’exécution en nature.
[43] L’article 2803 du Code civil du Québec énonce :
« 2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée[5]. »
[44] Le Tribunal estime que le locataire n’a pas démontré que la locatrice a commis une faute ou qu’elle ait délibérément jeté ses biens meubles et effets personnels.
[45] Le locataire n’a pas démontré non plus, par une preuve prépondérante, les dommages moraux réclamés.
[46] De plus, seuls les dommages directs ayant un lien de causalité avec la faute alléguée sont susceptibles d’être accordés par le Tribunal.
[47] Par conséquent, pour les motifs susmentionnés, la demande du locataire est donc rejetée puisqu’il n’y a donc aucune justification pour accorder les dommages réclamés.
Dossier : 620808 31 20220321
[48] Le recours de la locatrice est fondé sur l’article 1863 du Code civil du Québec qui énonce :
« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.
L'inexécution confère, en outre, au locataire, le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir. »
[49] En outre, l'article 1855 du Code civil du Québec prévoit :
« 1855. Le locataire est tenu, pendant la durée du bail, de payer le loyer convenu et d'user du bien avec prudence et diligence. »
[50] L'article 1862 du Code civil du Québec dispose :
« 1862. Le locataire est tenu de réparer le préjudice subi par le locateur en raison des pertes survenues au bien loué, à moins qu'il ne prouve que ces pertes ne sont pas dues à sa faute ou à celle des personnes à qui il permet l'usage du bien ou l'accès à celui-ci.
Néanmoins, lorsque le bien loué est un immeuble, le locataire n'est tenu des dommages-intérêts résultant d'un incendie que s'il est prouvé que celui-ci est dû à sa faute ou à celle des personnes à qui il a permis l'accès à l'immeuble. »
[51] Aussi, l’article 1864 du Code civil du Québec énonce :
« 1864. Le locateur est tenu, au cours du bail, de faire toutes les réparations nécessaires au bien loué, à l'exception des menues réparations d'entretien; celles-ci sont à la charge du locataire, à moins qu'elles ne résultent de la vétusté du bien ou d'une force majeure. »
[52] En outre, l'article 1890 du Code civil du Québec prévoit :
« 1890. Le locataire est tenu, à la fin du bail, de remettre le bien dans l'état où il l'a reçu, mais il n'est pas tenu des changements résultant de la vétusté, de l'usure normale du bien ou d'une force majeure.
L'état du bien peut être constaté par la description ou les photographies qu'en ont faites les parties; à défaut de constatation, le locataire est présumé avoir reçu le bien en bon état au début du bail. »
[53] En résumé, un locataire doit faire usage des lieux loués en personne prudente et diligente. Il doit remettre les lieux dans l'état reçu, sous réserve toutefois des changements résultant de l’usure normale, de la vétusté ou d’une force majeure.
[54] Quant au fardeau de preuve, l’article 2803 du Code civil du Québec prévoit :
« 2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention[6]. »
[55] Comme l’écrivent les auteurs Nadeau et Ducharme quant aux conséquences de l’insuffisance de preuve :
« Celui sur qui l’obligation de convaincre le juge supporte le risque de l’absence de preuve, c’est-à-dire qu’il perdra nécessairement son procès si la preuve qu’il a offerte n’est pas suffisamment convaincante ou encore si la preuve offerte de part et d’autre est contradictoire et que le juge est dans l’impossibilité de déterminer où se trouve la vérité[7]. »
[56] Après analyse de la preuve soumise, le Tribunal considère que la locatrice n’a pas satisfait au fardeau de preuve que lui impose la loi.
[57] La preuve présentée est insuffisante quant à l’aspect de la dégradation du logement.
[58] La locatrice n’a pas démontré que les dégradations alléguées ont été causées par un usage excessif de la part des locataires.
[59] Par conséquent, en l’absence de preuve qu’une telle dégradation a été causée par les locataires, il est conforme à la loi - article 1864 C.c.Q. - que c’est la locatrice qui soit tenue, au cours du bail, de faire toutes les réparations nécessaires au logement, à l’exception des menues réparations d’entretien; celles-ci sont à la charge des locataires, à moins qu’elles résultent de la vétusté du bien ou d’une force majeure.
[60] Selon la preuve prépondérante administrée, le Tribunal est d’avis que cette dépense encourue par la locatrice pour le rafraichissement du logement et l’extermination de vermines ou punaises de lit est une réparation relative à l’entretien de l’immeuble laquelle est à la charge de la locatrice.
[61] Le Tribunal conclut que les dommages ne sont pas dus et pour les motifs susmentionnés rejette la demande.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
Dossier : 618817 31 20220304
[62] REJETTE la demande du locataire.
Dossier : 620808 31 20220321
[63] REJETTE la demande de la locatrice.
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Grégor Des Rosiers | ||
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Présence(s) : | le locataire la locatrice les partie intéressée Me Redouane Mounadi, avocat de la partie intéressée Samia Kheniou | ||
Dates des audiences : | 11 octobre 2022 et 19 février 2024 | ||
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[1] RLRQ, c. CCQ-1991.
[2] Ibid.
[3] Ibid.
[4] Baudouin J.-L. et P.-G. Jobin, Motifs d'exonération dans les obligations, 6e Édition par Pierre-Gabriel Jobin, avec la collaboration de N. Vézina, 2005, EYB2005OBL32, approx. 22 pages.
[5] Op. cit. note 1.
[6] RLRQ, c. CCQ-1991.
[7] Nadeau A. et Ducharme L., Traité de droit civil du Québec, tome 9, Wilson & Lafleur, 1965, p. 98-99.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.