Décision

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Décision

Gaudet c. SNC BBL

2015 QCRDL 3079

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

178136 31 20141002 G

No demande :

1590584

 

 

Date :

28 janvier 2015

Régisseure :

Jocelyne Gascon, juge administratif

 

Anne-Marie Gaudet

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

SNC BBL

 

Locateur - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N   I N T E R L O C U T O I R E

 

 

[1]      Le 2 octobre 2014, la locataire demande une ordonnance afin d’enjoindre la locatrice à exécuter ses obligations : refaire la toiture par des spécialistes; faire inspecter le tout par un inspecteur en bâtiments; installer de nouvelles portes, diminuer le loyer de 500 $ à partir du 1er juillet 2012, d’ordonner l’exécution provisoire de la décision malgré l’appel et de statuer sur les frais.

[2]      À l’audience, Jacinthe Richard déclare être mandataire de la locatrice. Elle exhibe des documents relatifs à son mandat et d’autres à titre d’argumentaires.

[3]      Préliminairement, le Tribunal soulève la question de la légalité de la représentante avant de procéder au fond du litige.

QUESTION EN LITIGE

[4]      Est-ce que Jacinthe Richard, gestionnaire d’immeubles, nommée dirigeante pour la locatrice, peut agir à titre de mandataire ?

CONTEXTE

[5]      La locatrice, SNC BBL, est une société en nom collectif.

[6]      Les associés de cette dernière sont Robert Levac, Alain Brûlé et Tout autour (atelier d’encadrement) inc.

[7]      La société morale, Tout autour inc., est détenue par Roger Barette, président, et Nancy Minner est la secrétaire du conseil d’administration.

[8]      Jacinthe Richard est gestionnaire d’immeubles et elle déclare être mandataire pour la locatrice aux fins de représentation dans la présente audience.

[9]      Afin d’établir son mandat de représentante, madame Richard dépose en liasse plusieurs documents[1] :

-      Procuration et mandat général de gestion d’immeubles;

-      Déclaration de Robert Levac;

-      Déclaration d’Alain Brûlé;

-      Déclaration de Tout autour (atelier d’encadrement) inc.;

-      Conclusion du mandat entre associés;

-      Extrait d’une résolution de Tout autour (atelier d’encadrement) inc.;

-      Annexe - liste des immeubles;

-      Résolution du CA de Tout autour (atelier d’encadrement) inc.;

-      Extrait du Registraire des entreprises de Tout autour (atelier d’encadrement) inc.;

-      Extrait du Registraire des entreprises de SNC BBL.

[10]   De plus, madame Richard exhibe plusieurs documents[2] à titre argumentaire. Le Tribunal estime intéressant d’en faire la liste à cette étape :

-      Société en nom collectif BBL c. Olivera[3];

-      Documents du Registraire, résolution;

-      Articles du Code civil du Québec (de la société en nom collectif);

-      Articles de la Loi sur la Régie du logement;

-      Cloutier-Pomerleau c. Résidence du Campinile[4];

-      Wisyco Société en nom collectif c. Succession de Mme Arna Solomon[5];

-      Les jardins Radisson Société en nom collectif c. Duquette[6];

-      Habitations Atlantique Société en nom collectif c. Élément[7];

-      Société en commandite 1880 Adoncour c. Houde Thibault[8];

-      Harvey c. Guerreiro et al.[9]

ANALYSE

1. Représentation d’une société en nom collectif

[11]   Qu’en est-il de la représentation des sociétés en nom collectif ?

[12]   D’abord, relativement à la question de gérance de ces dernières, l’article 2213 du Code civil du Québec (C.c.Q.) prévoit que les associés peuvent nommer un ou plusieurs d’entre eux, ou un tiers pour agir. La disposition se lit ainsi :

« 2213. Les associés peuvent nommer l'un ou plusieurs d'entre eux, ou même un tiers, pour gérer les affaires de la société.

L'administrateur peut faire, malgré l'opposition des associés, tous les actes qui dépendent de sa gestion, pourvu que ce soit sans fraude. Ce pouvoir de gestion ne peut être révoqué sans motif sérieux tant que dure la société; mais s'il a été donné par un acte postérieur au contrat de société, il est révocable comme un simple mandat. »

[13]   De plus, l’article 2225 du C.c.Q.[10] édicte que la société peut ester en justice ou être poursuivie sous son nom.

[14]   Quant à la question de la représentation à l’audience et du mandat, la Loi sur la Régie du logement (L.R.L.) prévoit aux articles 72 et 74 quelles sont les personnes qui peuvent agir, soit dans le cas d’une personne physique, soit pour une personne morale. Les dispositions se libellent ainsi :

« 72. Une personne physique peut être représentée par son conjoint ou par un avocat.

Si une telle personne ne peut se présenter elle-même pour cause de maladie, d'éloignement ou toute autre cause jugée suffisante par un régisseur, elle peut aussi être représentée par un parent ou un allié ou, à défaut de parent ou d'allié sur le territoire de la municipalité locale, par un ami.

Une personne morale peut être représentée par un administrateur, un dirigeant, un employé à son seul service, ou par un avocat. »

« 74. Si une partie est représentée par un mandataire autre que son conjoint ou un avocat, ce mandataire doit fournir à la Régie un mandat écrit, signé par la personne qu'il représente et indiquant, dans le cas d'une personne physique, les causes qui empêchent la partie d'agir elle-même. Ce mandat doit être gratuit. »

(Les soulignements sont de la soussignée)

[15]   Il est reconnu que la société en nom collectif n’est pas une personne morale. En effet, l’article 2188 du C.c.Q. n’accorde le statut de personne morale qu’à la société par actions.[11]

[16]   Or, l’article 72 n’a rien prévu pour la représentation d’une société. 

[17]   Le Tribunal n’a alors autre choix que de s’en remettre au Code de procédure civile (C.p.c.)[12].

[18]   Dans l’affaire Bolduc c. Théodore[13], citée à plusieurs reprises, le juge Gagnon de la Cour provinciale, après avoir expliqué que les articles 55 et 59 du C.p.c. avaient un caractère substantif plutôt que procédural, et que ces dispositions définissaient les conditions de fond applicables à toute demande, quel que soit le Tribunal compétent pour l’instruite, a conclu qu’elles formaient un droit supplétif dont la Régie du logement devrait tenir compte à moins qu’une loi ou un règlement ne s’y oppose.

[19]   Or, aucun règlement ou loi ne s’oppose justement à ce que le Tribunal de la Régie du logement ne s’en remette, pour la question de la représentation, comme en l’espèce, d’une société en nom collectif, au Code de procédure civile.

[20]   Le titre III, du livre I, du Code de procédure civile, prévoit les règles applicables à toute demande en justice.

[21]   D’une part, l’article 59 du C.p.c. énonce clairement le principe que nul ne peut plaider au nom d’autrui, hormis l’État par des représentants autorisés.

[22]   D’autre part, l’article 61 du C.p.c. traite de la représentation devant les tribunaux, entre autres pour les sociétés en nom collectif. L’article se lit ainsi :

« 61. Nul n'est tenu de se faire représenter par procureur devant les tribunaux, hormis:

 a) les personnes morales;

 b) le curateur public;

 c) les syndics, gardiens, liquidateurs, séquestres et autres représentants d'intérêts collectifs, lorsqu'ils agissent en cette qualité;

d) les agents de recouvrement et les acheteurs de comptes, relativement aux créances qu'ils sont chargés de recouvrer ou dont ils se sont portés acquéreurs;

 e) les sociétés en nom collectif ou en commandite et les associations au sens du Code civil, à moins que tous les associés ou membres n'agissent eux-mêmes ou ne mandatent l'un d'eux;

 f) les personnes qui agissent pour le compte d'autrui en vertu de l'article 59.

Néanmoins, la réclamation d'une personne morale, d'une société en nom collectif ou en commandite ou d'une association au sens du Code civil, pour participer à une distribution de deniers provenant de la vente des biens d'un débiteur, de la saisie de ses traitements, salaires ou gages, ou du dépôt volontaire qui en est fait, peut être faite par tout fondé de pouvoir par procuration générale ou spéciale. » (Les soulignements sont de la soussignée)

[23]   Ainsi, selon le Code de procédure civile, les sociétés en nom collectif n’ont que deux options pour agir devant les tribunaux, par avocat ou les associés eux-mêmes ou ceux qui sont mandatés à cette fin[14].

[24]   Qui plus est, l’article 128 de la Loi sur le Barreau édicte clairement qu’une personne étrangère à la société ne peut plaider ou agir au nom d’autrui. L’article est libellé comme suit :

« 128.  1. Sont du ressort exclusif de l'avocat en exercice ou du conseiller en loi les actes suivants exécutés pour le compte d'autrui:

            (…)

2. Sont du ressort exclusif de l'avocat en exercice et non du conseiller en loi les actes suivants exécutés pour le compte d'autrui:

a)  plaider ou agir devant tout tribunal, sauf devant:

1°  un conciliateur ou un arbitre de différend ou de grief, au sens du Code du travail (        chapitre C-27);

2°  la Commission des relations du travail instituée par le Code du travail;

3°  la Commission de la santé et de la sécurité du travail instituée par la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1), un bureau de révision constitué en vertu de cette loi ou de la Loi sur les accidents du travail (chapitre A-3), la section des affaires sociales du Tribunal administratif du Québec, institué en vertu de la Loi sur la justice administrative (chapitre J-3), s'il s'agit d'un recours portant sur l'indemnisation des sauveteurs et des victimes d'actes criminels, d'un recours formé en vertu de l'article 65 de la Loi sur les accidents du travail (chapitre A-3) ou d'un recours formé en vertu de l'article 12 de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'amiantose ou de silicose dans les mines et les carrières (chapitre I-7), la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles instituée par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (chapitre A-3.001) ou la Commission des lésions professionnelles instituée en vertu de cette loi;

4°  la Régie du logement instituée en vertu de la Loi sur la Régie du logement (chapitre R-8.1);

(…). »

(Les soulignements sont de la soussignée)

[25]   Concernant le droit d’exercice de l’avocat, le Tribunal estime important de rappeler que la Cour suprême, dans l’arrêt Fortin c. Chrétien[15] a confirmé que les dispositions de la Loi sur le Barreau étaient d’ordre public de direction[16] puisqu’elles tendaient à protéger l’intérêt général. La Cour y indique également que la doctrine était unanime à ce sujet.

2. Jugement déclaratoire de la Cour supérieure : l’affaire Société L.R.M.

[26]   Ceci dit, le Tribunal ne peut passer sous silence un jugement déclaratoire récent de la Cour supérieure rendu le 4 août 2014 par la juge Johanne April. Il s’agit de l’affaire Société L.R.M. c. Société Parc de la vigie et Logisco.[17]

[27]   Dans cette cause, la question était de déterminer si Logisco, gestionnaire d’immeubles pour Société L.R.M., société en nom collectif et Société Parc de la Vigie, société en commandite, pouvait les représenter devant la Régie du logement ou si ces sociétés devaient être représentées par leurs associés ou elles-mêmes ou leurs représentants, ou par défaut, par un avocat (article 61 e) C.p.c.).

[28]   Le litige portant sur le fait que des juges administratifs du Tribunal de la Régie du logement acceptaient le mandat du gestionnaire alors que d’autres le refusaient.

[29]   D’abord, la Cour supérieure, après une revue de la jurisprudence sur la question de savoir si une société en nom collectif est une personne morale ou non, conclut qu’il ne faisait plus de doute, qu’elle n’en était pas une.[18]

[30]   Ensuite, la Cour supérieure rappelle, en citant la professeure Bouchard[19] que la Loi sur la Régie du logement édicte ses propres règles de procédures. Elle cite son article 72. Les sociétés pourraient donc être représentées par un parent ou allié par exemple au sens de cet article.

[31]   Par ailleurs, la juge s’interroge sur les motifs qui feraient en sorte que les gestionnaires (Logisco), chargés de l’administration des immeubles, ne sauraient agir à titre de mandataire ou d’alliés devant la Régie du logement.

[32]   La Cour, au motif, que la Régie du logement, est un tribunal administratif indépendant, ayant prévu des règles concernant sa procédure, afin de faciliter à la fois la préparation et la représentation en vue de l’audience, conclut que cette loi milite donc pour l’adoption d’une forme de souplesse administrative facilitant la recherche d’une solution davantage qu’une confrontation entre les parties. Elle réfère à cet effet aux articles 63, 63.1 du C.p.c. et 72 de la L.R.L.

-      L’article 63.1 traitant de la proportionnalité;

-      L’utilisation de façon aléatoire de l’article 61 e) du C.p.c.;

-      La Loi sur la Régie du logement se suffit à elle-même et donc l’article 61 e) du Code de procédure civile n’est pas justifié.

[33]   Enfin, la Cour supérieure, de ces motifs, déclare que le gestionnaire Logisco peut représenter la Société L.R.M. et la Société Parc de la Vigie.

[34]   Le Tribunal estime, avec déférence, qu’il se doit de distinguer la présente décision du jugement déclaratoire de la Cour Supérieure et il y a lieu de ne pas se sentir lié par la règle du précédent (stare decisis).

3. Distinction avec Société L.R.M.

[35]   Premièrement, le Tribunal, avec déférence, considère que le jugement, Société L.R.M. n’a pas tenu compte de l’ensemble de la problématique liée à la question de la représentation et deuxièmement, la jurisprudence des tribunaux supérieurs ne milite pas dans ce sens.

3.1 Problématique liée à la question de la représentation

[36]   D’une part, la Cour supérieure dans Société L.R.M. ne fait aucune mention de l’article 128 de la Loi sur le Barreau.

[37]   De plus, les règles de représentation sont clairement reconnues comme étant une question d’ordre public[20], hormis les cas stipulés par le législateur aux articles 72 et 74 de la Loi sur la Régie du logement, mandat qui doit être fait à titre gratuit.

[38]   Qui plus est, la Cour supérieure en déterminant que ce sont les articles 72 et 74 L.R.L. qui sont applicables, omet de prendre en compte, pour une personne physique que le mandat doit être à titre gratuit.

[39]   Également, le Tribunal estime que la Cour supérieure en considérant qu’il n’y a pas lieu de ne pas suivre les règles prévues au C.p.c., avec respect, elle omet de retenir que les articles 61 e), 55, 59 et 62 ne sont pas de simples règles de procédures, mais plutôt des règles de fond, tel que mentionné précédemment[21] et qu’à défaut d’avoir été prévues autrement, ces dispositions sont applicables au Tribunal de la Régie du logement à titre supplétif.

[40]   Conséquemment, l’article 61 e) du C.p.c. s’applique au Tribunal de la Régie du logement et les sociétés en nom collectif n’ont que deux options pour agir devant les tribunaux, par avocat ou les associés eux-mêmes ou ceux qui sont mandatés à cette fin.

[41]   Or, le Tribunal de la Régie du logement estime que rien dans la Loi sur la Régie du logement, ni dans le Code de procédure civile n’indique que la représentation doit en être autrement. Que ce soit parce qu’il y aurait incohérence au sein du Tribunal ou encore parce le Tribunal devrait être appelé à une forme de souplesse administrative.

[42]   Cette souplesse administrative s’appuie sur quoi ? Sur le fait qu’il s’agirait d’un tribunal administratif ? Encore une fois, avec respect, le Tribunal ne le pense pas.

[43]   D’ailleurs, pour un certain rapprochement avec la souplesse administrative, le Tribunal se permet de citer la Cour suprême dans Fortin c. Chrétien, déjà rapporté[22] alors que le juge Gonthier écrit quelques mots sur l’accessibilité à la justice. Il s’exprime ainsi :

« [54] Ainsi, s’il est éminemment louable de favoriser l’accessibilité à la justice et s’il est vrai que d’offrir aux justiciables la possibilité de se représenter seuls et de présenter les actes de procédure qu’ils jugent appropriés constitue la reconnaissance du libre arbitre des justiciables et, dans une certaine mesure, une piste de solution, on ne saurait affirmer qu’il s’agit d’une fin en soi. À chaque jour, les tribunaux à travers le Canada contribuent dans une certaine mesure à rendre la justice plus accessible. Par exemple, ils assurent la mise en œuvre de garanties constitutionnelles, dont le droit à l’assistance d’un interprète et le droit d’employer la langue officielle de son choix dans les procédures intentées devant eux. Les greffiers et greffières des cours fournissent également une aide technique précieuse aux justiciables et les juges encadrent et guident les personnes non représentées par des avocats dans l’exercice de leurs droits. Cependant, ils ne sauraient en aucune façon remplacer l’avocat. Celui-ci, en tant qu’officier de justice, joue un rôle essentiel dans notre système de justice, au niveau de la représentation des droits des justiciables devant les tribunaux, mais également à l’étape préalable de règlement à l’amiable des litiges. Aussi serait-il souhaitable que tous les justiciables puissent y avoir recours peu importe leur situation financière. »

3.2 Jurisprudence

[44]   Dans Srougi c. Le procureur général du Québec[23], la Cour supérieure, sous la plume de juge Richard Nadeau, a rejeté une requête en autorisation d’exercer un recours collectif.

[45]   Le requérant demandait une sorte d’exemption spéciale pour agir sans avocat au motif que le cas n’avait vraisemblablement jamais été prévu par le législateur lorsqu’il a mis en place les dispositions au Code de procédure civile concernant l’institution et la gestion de recours collectifs.

[46]   Le juge Nadeau a refusé cette demande spéciale de créer une exemption par une interprétation généreuse de la loi à la représentation par avocat. Il a rappelé les articles 59, 61 et 62 du C.p.c. voulant qu’il s’agisse de dispositions claires qu’une personne ne peut agir pour le compte d’autrui, hormis les exceptions prévues à l’article 59.

[47]   Dans son analyse, le juge Nadeau s’est appuyé sur un arrêt de la Cour suprême rendu en 2004, l’affaire Bibaud c. Québec (R.A.M.)[24].

[48]   Dans l’affaire Bibaud, le juge Lebel, au nom de la Cour suprême, a rappelé que le monopole de la représentation devant les tribunaux de la province du Québec appartenait aux avocats, sauf les exceptions prévues à la loi. Le problème en litige consistait à déterminer l’étendue de l’obligation de représentation par un avocat sous le régime du Code de procédure civile.

[49]   Dans Bibaud, l’appelante soutenait qu’elle pouvait représenter son mari, en raison de son incapacité de se représenter lui-même, due à son état physique et moral, confirmé par un médecin, dans une action en dommages-intérêts qu’il avait engagée contre les intimées, la Régie de l’assurance maladie du Québec et la Société de l’assurance automobile du Québec.

[50]   La Cour suprême après avoir souligné que le cadre législatif du droit d’agir et de représenter devant les tribunaux au Québec, se trouvait aux articles 61, 62 du C.p.c. et 128 de la Loi sur le Barreau, a conclu que les représentants d’autrui devaient eux-mêmes être représentés devant le Tribunal par des avocats en règle avec le Barreau du Québec.

[51]   De plus, la Cour y expliquait les fondements et les conséquences de ce choix législatif et ensuite rappelait un arrêt antérieur que la Cour avait rendu en 2001, Fortin c. Chrétien[25]. L’extrait est le suivant :

« [9] Pour ce qui est de la représentation devant les tribunaux, le législateur québécois a fait un choix législatif qui, d’une part, reconnaît le droit d’une personne physique de se représenter elle-même, mais, d’autre part, impose l’obligation de recourir à un avocat pour agir pour autrui, selon les art. 61 et 62 C.p.c. Notre Cour a d’ailleurs examiné les fondements et les conséquences de ce choix législatif, dont elle a reconnu l’importance pour le fonctionnement des institutions juridiques québécoises :

L’importance des actes posés par les avocats, la vulnérabilité des justiciables qui leur confient leurs droits et la nécessité de préserver la relation de confiance qui existe entre eux justifient cet encadrement particulier de l’exercice de la profession juridique.

(Fortin c. Chrétien, [2001] 2 R.C.S. 500, 2001 CSC 45, par. 17, le juge Gonthier).

Comme je l’ai noté plus haut, la représentation par les conjoints, alliés ou amis n’est permise que dans le cas des affaires qui relèvent de la compétence de la division des petites créances de la Cour du Québec, suivant l’art. 959 C.p.c. »

[52]   Ainsi, le juge Nadeau de la Cour supérieure, dans l’affaire Scrougi citée plus haut, conclut de la manière suivante :

« [24]            Ainsi donc, comme l'exprimait la Cour Suprême du Canada, le législateur québécois a fait le choix d'exiger que, sauf dans les cas où une personne se représente seule pour son compte ou pour le compte de d'autres personnes, dûment munie de procurations, tout autre litige doit être dirigé par un avocat dûment inscrit au tableau de l'ordre ou, dans certains cas de procédures non contentieuses, par un notaire. »

[53]   De plus, récemment, la Cour d’appel, dans Lessard c. Thibault[26], s’appuyant sur l’arrêt Bibaud, réitère que la représentation appartient à un avocat. La Cour s’exprime ainsi :

[2] L'appelant plaide que, en raison de son âge, d'un certain degré d'analphabétisme et du fait qu'il n'était pas représenté par avocat, la juge de première instance a erré en ne permettant pas à son fils de lui prêter main-forte lors de l'audition de sa cause. Rappelons que la juge de première instance a autorisé le fils de l'appelant à s'asseoir près de ce dernier pour l'assister, mais qu'elle lui a interdit de s'adresser à la Cour, aux témoins et aux avocats.


[3]  Conformément aux articles 56 , 57 , 61 et 62 C.p.c., 4 et 154 C.c.Q. ainsi que 128 de la Loi sur le Barreau[1], l'appelant avait le droit d'assumer seul sa défense durant les procédures puisqu'il était présumé apte à exercer ses droits civils. Il lui était aussi loisible d'être représenté par avocat, si cela était son désir. En revanche, le régime de la  représentation en droit civil ne permet pas que celle-ci soit faite par une personne qui n'est pas un avocat comme la Cour suprême l'enseigne dans Bibaud c. Québec (Régie de l'assurance-maladie)[2]. »

[54]   Ceci exposé, le Tribunal ne voit pas pourquoi il devrait se distancer des principes énoncés par la Cour suprême sur les règles de représenter autrui, et considérer qu’il devrait agir avec plus de souplesse parce que le Tribunal serait un tribunal administratif.

[55]   D’abord, la question de savoir si le Tribunal est un tribunal administratif au sens propre du terme, ou un hybride, tribunal civil et administratif, fait encore l’objet de plusieurs discussions[27]. À cet effet, la Cour supérieure, dans l’affaire Lareau c. Régie du logement, la juge Lebel a estimé que la Régie du logement est en quelque sorte un Tribunal de droit commun. La Cour d’appel a maintenu cette décision.

[56]   Également, le Tribunal tient à souligner que le Tribunal de la Régie du logement possède la même compétence monétaire que la Cour du Québec, soit 70 000 $.

[57]   Aussi, il est de principe que le législateur ne parle pas pour rien dire et si tel avait été son intention, la représentation par avocat pour des sociétés n’aurait pas été écrite comme l’est la loi, l’article 61 du C.p.c

[58]   Le Tribunal détermine donc que la société en nom collectif n’a pas d’autre option que de se faire représenter par les associés ou l’un d’eux dûment autorisés ou par un avocat.

[59]   Par conséquent, Jacinthe Richard, gestionnaire d’immeubles, n’a pas le pouvoir d’agir en tant que représentante devant le Tribunal de la Régie du logement pour la Société SNC BBL, la locatrice. Elle n’est ni avocate, ni une associée, ni une parente, ni une alliée, ni une amie de la Société et aucune preuve que son mandat est à titre gratuit, ce qui en plus serait étonnant vu son statut de gestionnaire d’immeubles.

[60]   Qui plus est, madame Richard s’était déjà vue refuser d’agir et de représenter la Société en cause dans l’affaire Société en nom Collectif BBL c. Olivera[28].

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[61]   DÉCLARE que Jacinthe Richard, gestionnaire d’immeubles, n’a pas le pouvoir d’agir en tant que représentante devant le Tribunal de la Régie du logement pour la Société SNC BBL, la locatrice;

[62]   ORDONNE au maître des rôles de convoquer rapidement les parties pour être entendues sur le fond du dossier.

 

 

 

 

 

 

 

Jocelyne Gascon

 

Présence(s) :

la locataire

Date de l’audience :  

17 décembre 2014

 


 



[1] Pièce P-1 en liasse.

[2] Pièce P-2 en liasse.

[3] 2013 QCRDL 7012 (j.a. Charbonneau).

[4] R.L. Québec, 18-081007-021G et 18 081105-002 G, 18 août 2009, j.a. Simard.

[5] R.L. Montréal, 31-021206-021G, 16 avril 2008, j.a. Ducheine.

[6] R.L. Gatineau, 22-061025-016S070118, j.a. Morin.

[7] R.L. Gaspé, 08-051011-002G, j.a. Bernard.

[8] R.L. Longueuil, 37-050623-035G, 13 novembre 2006, j.a. Morin.

[9] C.Q. Montréal, 500-80-004066-040 et 500-80-004073-046, 19 mai 2005, j. Brossard.

[10] 2225. La société peut ester en justice sous le nom qu'elle déclare et elle peut être poursuivie sous ce nom.

[11] Idem note 8; Société L.R.M. c. Société du Parc de la Vigie et Logisco, 2014 QCCS 3916.

[12] Société en commandite 1980 Adoncour c. Thibault, R.L. Longueuil, 37-050623-035G, j.a. Morin.

[13] C.P. Montréal, 500-02-012244-856, 5 juillet 1985, j. Gagnon, p. 9.

[14] Idem note 1. : Habitations Atlantique, société en nom collectif c. Adams, R.L. Gaspé, 08-051216-001G, 7 juillet 2006, r. Bernard.

[15] 2001 CSC 45.

[16] Voir aussi : Appartements Tour Stanley inc. c. Emberley, C.Q. Montréal, 500-80-000157-025 et al. 1er mars 2004, j. Barbe.

[17] 2014 QCCS 3916.

[18] Article 2188 du Code civil; Ville de Québec c. Compagnie d’immeubles Allard limitée [1996] R.J.Q. 1566 (C.A.); Charlaine BOUCHARD, Le droit des sociétés de personnes dans tous ses états !, Collection Cédé Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009; Papiers Gaspésia inc. (Arrangement relatif à), C.S. Montréal, 500-11-022333-047, 22 octobre 2004, j. Chalut.

[19] Idem note 13 : Charlaine BOUCHARD.

[20] Idem, note 14. Bidaud c. Québec (R.A.M.) [2004] 2 RCS 35.

[21] Idem, note 12.

[22] Idem, note 12.

[23] 2006 QCCS 5339.

[24] Idem note 15.

[25] [2001] 2 RCS 500.

[26] 2010 QCCA 2159.

[27] [1999] R.J.Q. 1201 (C.S.), maintenu en appel, C.A. Montréal, 600-09-007993-991, 30 janvier 2003, jj. Beauregard, Chamberland, Rayle.

[28] R.L. Montréal, 31-120416-031G et 31-120416-031G, 27 février 2013, j.a. Charbonneau.

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