Décision

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Gabarit de jugement pour la cour d'appel

Gestion Simon-Pierre Péladeau inc. c. Placements Péladeau inc.

2021 QCCA 956

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-028744-191

(500-11-051412-167)

 

DATE :

10 juin 2021

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

JULIE DUTIL, J.C.A.

JACQUES J. LEVESQUE, J.C.A.

ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.

 

 

GESTION SIMON-PIERRE PÉLADEAU INC.

APPELANTE - demanderesse

c.

 

LES PLACEMENTS PÉLADEAU INC.

PIERRE KARL PÉLADEAU

INTIMÉS - défendeurs

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L’appelante se pourvoit contre un jugement du 12 novembre 2019 de la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Brian Riordan), qui rejette sa demande de redressement en vertu de l’article 450 de la Loi sur les sociétés par actions.

[2]           Pour les motifs du juge Mainville, auxquels souscrivent les juges Dutil et Levesque, LA COUR :

[3]           ACCUEILLE l’appel;

[4]           INFIRME le jugement de la Cour supérieure du 12 novembre 2019;

[5]           ACCUEILLE en partie la Demande introductive d’instance réamendée du 24 septembre 2019;

[6]           ORDONNE à Les Placements Péladeau inc. de procéder au 30 juin 2022, au rachat à 1,00 $ l’action du solde des actions de classe B-1 de son capital-actions dont Gestion Simon-Pierre Péladeau inc. sera alors toujours propriétaire après l’application de la formule de rachat prévue dans la Convention de rachat d’actions intervenue le 15 octobre 2008 (Pièce P-9);

[7]           LE TOUT, avec frais de justice tant en première instance qu’en appel.

 

 

 

 

JULIE DUTIL, J.C.A.

 

 

 

 

 

JACQUES J. LEVESQUE, J.C.A.

 

 

 

 

 

ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.

 

 

 

 

Me Martin Poulin

Me Catherine Dagenais

DENTONS CANADA

Pour l’appelante

 

Me François Fontaine

Me Julie Carlesso

NORTON ROSE FULBRIGHT CANADA

Pour les intimés

 

Date d’audience :

11 mai 2021


 

 

MOTIFS DU JUGE MAINVILLE

 

 

[8]           Gestion Simon-Pierre Péladeau inc. (« l’appelante ») se pourvoit contre un jugement prononcé le 12 novembre 2019 par la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Brian Riordan)[1], qui rejette sa demande de redressement en vertu de l’article 450 de la Loi sur les sociétés par actions[2] du Québec (« L.s.a.Q. ») à l’encontre de Les Placements Péladeau inc. (« PPI ») et de Pierre Karl Péladeau (« PKP ») (collectivement les « intimés »).

LE CONTEXTE

[9]           L’appelante est une société dont l’unique actionnaire est Simon-Pierre Péladeau (« Simon-Pierre »), lequel est le demi-frère de l’intimé PKP. Ce dernier contrôle PPI, une société assujettie à la L.s.a.Q. qui détient à son tour le contrôle des actions avec droit de vote de la société Québecor inc. (« Québecor »), laquelle est une société publique d’envergure majeure détenant des intérêts financiers importants dans divers secteurs, notamment les télécommunications, les médias télévisés et les journaux.

[10]        L’appelante détient des actions de classe B-1 dans PPI. Il s’agit d’actions sans valeur nominale, non votantes et non participantes. En vertu d’engagements contractuels, PPI doit racheter ces actions à un prix prédéterminé de 1,00 $ par action selon un rythme établi par une formule liée aux montants des dividendes qu’elle reçoit annuellement de Québecor. Selon l’appelante, le rachat de ces actions devait s’effectuer annuellement afin de faire en sorte que toutes les actions soient rachetées sur un horizon de 20 à 25 ans d’une première entente de rachat convenue le 28 novembre 2001. Or, les rachats ne s’effectuent pas selon un rythme convenable. L’appelante soutient ainsi qu’elle fait l’objet d’oppression de la part des intimés.

[11]        Pour comprendre le nœud du litige, une mise en contexte plus large s’impose vu que l’affaire s’inscrit dans le sillon de l’héritage que Pierre Péladeau a légué à ses enfants.

[12]        Pierre Péladeau fut le fondateur et l’âme dirigeante de Québecor. C’est lui qui a constitué PPI et qui seul en détenait les actions avec droit de vote. Il s’agit d’une société de portefeuille familiale[3]. Cette société détient le contrôle de Québecor.

[13]        Au moment de son décès en 1997, Pierre Péladeau lègue à ses fils Érik Péladeau (« Érik ») et PKP l’ensemble des actions de classe A de PPI comportant les droits de vote, leur assurant ainsi le contrôle de Québecor. Érik s’est retiré de l’entreprise en 2009[4], laquelle est maintenant sous le contrôle effectif de PKP.

[14]        Pour Simon-Pierre et sa sœur Esther Péladeau (« Esther »), Pierre Péladeau a mis sur pied diverses fiducies et structures corporatives leur permettant de bénéficier de certains avantages financiers indirects découlant de Québecor, sans y exercer quelque pouvoir. Pierre Péladeau a ainsi formé une société, Gestion Péladeau inc., (« Gestion Péladeau ») dont les actionnaires qui détiennent les 20 actions ordinaires émises sont deux fiducies créées au profit respectif de ses enfants Simon-Pierre et Esther; lorsque ceux-ci atteignent un certain âge, ces actions leur reviennent. Par contre, le contrôle effectif de Gestion Péladeau est détenu par Pierre Péladeau lui-même, de son vivant, au moyen de 3 700 actions comportant le droit de vote, mais non participantes. Au décès de Pierre Péladeau, ces actions de contrôle dans Gestion Péladeau sont léguées à une fiducie spéciale sous le contrôle effectif d’Érik et de PKP.

[15]        Gestion Péladeau détient un nombre considérable d’actions de classe B émises par PPI. Ces actions sont non votantes, mais donnent droit à des dividendes et sont rachetables au gré soit de leur détentrice, Gestion Péladeau, soit de leur émettrice, PPI. 

[16]        Peu après le décès de Pierre Péladeau, Simon-Pierre et Esther entreprennent des procédures judiciaires contre Érik et PKP. Ces recours mènent à une première entente (« l’Entente de 1999 ») par laquelle Gestion Péladeau s’engage à régler leurs dettes et à verser à Simon-Pierre et à Esther un montant annuel garanti pour cinq ans. Cette première entente ne porte aucune modification à l’actionnariat de Gestion Péladeau ou de PPI.

[17]        Le 28 novembre 2001, les parties conviennent d’une nouvelle entente (« l’Entente de 2001 »). Celle-ci s’inspire en partie d’une entente similaire convenue avec la demi-sœur de Simon-Pierre, Anne-Marie Péladeau (« Anne-Marie »). J’y reviendrai. L’Entente de 2001 prévoit :

(a)  le règlement des dettes accumulées de Simon-Pierre, d’Esther et de leur mère;

(b)  la bonification des montants annuels versés à Simon-Pierre et à Esther en vertu de l’Entente de 1999;

(c)  la scission de Gestion Péladeau en deux sociétés distinctes, soit l’appelante et Gestion Esther, sous le contrôle effectif de fiducies dont les bénéficiaires sont respectivement Simon-Pierre et Esther; cette nouvelle structure assure la fin du contrôle par Érik et par PKP sur Gestion Péladeau; les actifs de ces fiducies sont éventuellement transmis à Simon-Pierre et Esther;

(d)  la conversion des actions de classe B émises par PPI en nouvelles actions de classe B-1, lesquelles doivent être rachetées par PPI selon une formule fondée sur les dividendes reçus de Québecor.

[18]        Puisque cette formule de rachat est au cœur du litige, il y  a lieu de reproduire le texte de l’Entente de 2001 la prévoyant :

Au plus tard le 1er janvier 2002, le solde des actions classe B du capital-actions de [PPI] détenus pas Gestion [Péladeau] seront échangées pour de nouvelles actions privilégiées de [PPI] qui devront être rachetées par [PPI] chaque année à raison d’un montant égal à 5 % des dividendes en espèces que [PPI] pourra recevoir de Québecor Inc. au cours de l’année en question. Si ces dividendes sont inférieurs à 4 000 000 $ au cours d’une année, cette obligation cessera de s’appliquer pour cette année. […]

[19]        Il faut noter que, dans les années qui précèdent l’Entente de 2001, les dividendes versés par Québecor à PPI excèdent largement le seuil annuel de 4 000 000 $, variant entre 5 777 958 $ pour 1995 et 8 917 382 $ pour 2000.

[20]        Or, dès la première année suivant l’Entente de 2001, et pour plusieurs années par la suite, les dividendes versés n’atteignent pas le seuil annuel de 4 000 000 $, faisant en sorte que les rachats prévus d’actions de classe B-1 n’ont jamais lieu en vertu de l’Entente de 2001. Quelques petits rachats en 2006 (87 425 $), 2007 (17 000 $) et 2008 (21 832 $) furent néanmoins effectués par PPI malgré que le seuil prévu dans la formule ne fût pas atteint.

[21]        Face à ce constat, les parties conviennent d’une nouvelle entente le 15 octobre 2008 (« l’Entente de 2008 ») en vertu de laquelle :

(a)  elles confirment que l’appelante et Gestion Esther sont chacune propriétaires de 11 522 984 actions de classe B-1 de PPI rachetables au gré de cette société pour 1,00 $ par action selon l’entente convenue entre les parties; et

(b)  elles modifient la formule de rachat afin qu’elle soit dorénavant la suivante[5] :

« Montant du rachat » : désigne, à l’égard de tout Exercice financier donné de [PPI], le montant suivant :

(i)            si le montant du Dividende Quebecor reçu par [PPI] pendant l’Exercice financier donné est inférieur à 3 000 000 $, zéro (0);

(ii)           si le montant du Dividende Quebecor reçu par [PPI] pendant l’Exercice financier donné est supérieur à 3 000 000 $, mais égal ou inférieur à 4 000 000, 5 % du montant du Dividende Quebecor;

(iii)          si le montant du Dividende Quebecor reçu par [PPI] pendant l’Exercice financier donné est supérieur à 4 000 000 $, 10 % du montant du Dividende Quebecor.

[22]        Or, de 2008 à 2014, la nouvelle formule ne permet que très peu de rachats d’actions de classe B-1, les dividendes versés par Québecor à PPI se chiffrant à 3 497 012 $ annuellement, ce qui ne permet que des rachats annuels de 87 328 $ selon la formule modifiée.

[23]        Frustrée par la lenteur des rachats, l’appelante se tourne vers la Cour supérieure le 28 septembre 2016, invoquant qu’elle fait l’objet d’oppression de la part des intimés. Lors de l’introduction des procédures judiciaires en septembre 2016, à peine 10 % des actions de classe B-1 détenues par l’appelante ont été rachetées, et ce, bien que près de 15 ans se soient écoulés depuis l’Entente de 2001. L’appelante demande au tribunal d’exercer ses vastes pouvoirs en vertu des articles 450 et s. de la L.s.a.Q. afin d’ordonner le rachat immédiat des actions ou encore de fixer un terme pour leur rachat.

[24]        Il faut noter que cette procédure judiciaire fait aussi suite à l’arrêt de la Cour du 21 octobre 2015 dans une affaire impliquant la demi-sœur de Simon-Pierre, soit Anne-Marie[6]. L’appelante soutient d’ailleurs qu’elle se trouve dans une situation similaire à celle d’Anne-Marie. Ainsi, en août 2000, Anne-Marie avait consenti à convertir l’ensemble des actions qu’elle détenait, directement ou indirectement, dans différentes sociétés établies par Pierre Péladeau de son vivant en 50 628 574 actions privilégiées de PPI, en considération d’un prix de rachat de 1 000 $ par action, soit en tout 50 628 574 $. Un rachat pour 2 128 574 $ a eu lieu à la clôture de la transaction, laissant un solde de 48 500 actions privilégiées d’une valeur de 48 500 000 $ devant être rachetées selon la formule suivante, laquelle a servi de modèle pour la négociation de la formule de rachat des actions de classe B-1 prévue dans l’Entente de 2001 et bonifiée par la suite dans l’Entente de 2008 :

(a)  25 % de tous les dividendes reçus de Québecor par PPI au cours d’une année sur la première tranche de 8 000 000 $;

(b)  33 1/3 % de toute tranche de dividendes Québecor qui excède 8 000 000 $;

Le tout, une fois atteint le seuil minimal annuel de dividendes reçus de Québecor, lequel seuil est établi à 4 200 000 $.

[25]        Comme précisé antérieurement, ce seuil minimal de dividendes n’a jamais été atteint dans les années qui ont suivi l’entente de 2000, ce qui amène Anne-Marie devant les tribunaux. Le dossier se rend à la Cour. Dans un arrêt prononcé le 21 octobre 2015, la Cour déclare que les circonstances dans lesquelles se trouve Anne-Marie imposent une renégociation de bonne foi des termes d’une nouvelle entente. La Cour conclut aussi que, lors de la signature de l’entente de 2000, toutes les parties avaient « l’attente légitime » que les rachats d’actions s’effectueraient régulièrement afin d’assurer le rachat de l’ensemble des actions dans un délai de 13 ans. Il s’agit là du délai découlant des hypothèses et considérations du rapport d’expertise de Wise Blackman qui a servi afin d’obtenir la ratification de l’entente de 2000 par la Cour supérieure, laquelle était requise vu qu’Anne-Marie était assujettie à un régime de protection[7].

[26]        Malgré l’ordonnance de la Cour en 2015 concernant Anne-Marie, les parties n’ont pas convenu d’une nouvelle entente. Anne-Marie s’est donc tournée à nouveau vers les tribunaux afin, cette fois, d’obtenir le paiement de ce qu’elle qualifie de la vente de ses intérêts dans PPI et pour fixer un terme au rachat des actions prévu par l’entente de 2000. Le 30 avril 2020 - soit quelques mois après le jugement de première instance dans la présente affaire concernant l’appelante - le juge Dugré de la Cour supérieure fait droit en grande partie à la demande d’Anne-Marie[8]. Ce jugement fait l’objet d’un appel dont l’audition est fixée en septembre 2021. L’exécution provisoire de la principale conclusion pécuniaire du jugement fut cependant ordonnée[9].

[27]        Je note aussi que, depuis l’arrêt de la Cour de 2015 concernant le dossier d’Anne-Marie et l’institution des procédures judiciaires par l’appelante en 2016, les montants des dividendes reçus de Québecor et le rythme des rachats d’actions par PPI qui en découlent se sont considérablement accrus. Le tableau suivant, tiré des admissions des parties, telles que mises à jour, permet de dégager une vue d’ensemble :

Année

Bénéfice net / (Pertes nettes) de Québecor ($)

Dividendes déclarés par Québecor ($)

Dividendes reçus par PPI ($)

Nombre d’actions  de l’appelante rachetées

1995

186 662 000

0,33

5 777 958

n/a

1996

146 842 000

0,4

6 986 105

n/a

1997

143 289 000

0,04

6 986 105

n/a

1998

172 700 000

0,44

7 684 716

n/a

1999

477 300 000

0,48

8 392 830

n/a

2000

1 084 400 000

0,48/0,52

8 917 382

n/a

2001

(251 600 000)

0,52 (3Tr)

6 819 174

n/a

Entente de 2001

2002

83 200 000

0

0

0

2003

66 400 000

0

0

0

2004

112 200 000

0,16 (2Tr)

1 398 805

0

2005

69 700 000

0,16/0,2

3 322 162

0

2006

(93 900 000)

0,2

3 497 012

87 425

2007

(969 200 000)

0,2

3 497 012

17 000

2008

188 000 000

0,2

3 497 012

21 832

Entente de 2008

2009

277 700 000

0,2

3 497 012

87 328

2010

225 300 000

0,2

3 497 012

87 328

2011

201 000 000

0,2

3 497 012

87 328

2012

161 100 000

0,2

3 497 012

87 328

2013

(288 600 000)

0,2 (Split)

3 497 012

87 328

2014

(30 100 000)

0,1

3 497 012

87 328

2015

151 800 000

0,13

4 546 117

227 306

2016

194 700 000

0,14/0,18

5 944 922

297 249

Recours judiciaire de l’appelante

2017

369 700 000

0,09/0,11 (Split)

7 343 727

367 195

2018

4 015 000 000

0,19

13 464 020

673 201

2019

652 800 000

0,22 (1er tr.) 0,45 (autre tr.)

27 451 551

1 372 578

2020

607 200 000

0,80

55 952 205

2 797 612

2021

(1er tr.)

N/d

1,10

19 233 570

961 680

LE JUGEMENT DE PREMIÈRE INSTANCE 

[28]        En concluant l’Entente de 2008, les parties ont annulé l’Entente de 2001. Il en découle, selon le juge de première instance, que seule l’Entente de 2008 serait pertinente. L’Entente de 2001 ne ferait donc pas partie de l’analyse[10].

[29]        Puisque l’Entente de 2008 a fait l’objet de négociations libres et éclairées, le juge conclut que les attentes raisonnables de Simon-Pierre ne peuvent que correspondre à son contenu[11].

[30]        Le juge écarte aussi de l’analyse l’arrêt de la Cour prononcé en 2015 dans l’affaire d’Anne-Marie sans autre motif que « notre approche en l’espèce rend inutile toute comparaison avec cet autre dossier »[12].

[31]        Écartant de l’analyse l’Entente de 2001 de même que l’arrêt de la Cour dans l’affaire concernant Anne-Marie et restreignant les attentes raisonnables de Simon-Pierre au contenu de l'Entente de 2008, le juge procède à une lecture littérale de celle-ci pour conclure qu’elle ne garantit aucun versement régulier de dividendes[13]. Il ajoute que les espoirs de Simon-Pierre ne peuvent correspondre à des attentes raisonnables[14]. La preuve révèle par ailleurs que les dividendes ont augmenté à compter de 2015, ce qui fait en sorte que le rachat devrait être complété dans le délai envisagé par Simon-Pierre[15]. Il n’existerait donc aucune atteinte à ses attentes raisonnables même si celles-ci étaient établies.

[32]        Le juge est d’avis que le recours en oppression n’est pas possible puisque l’action se fonde sur l’application de l’Entente de 2008 et que l’objet du recours vise à bonifier cette entente[16]. Or, selon le juge, le paragraphe 451(8) L.s.a.Q., qui permet au tribunal de « modifier, résilier ou annuler un contrat ou une opération auquel la société est partie et, le cas échéant, ordonner l'indemnisation de la société ou de toute autre partie à ce contrat ou à cette opération », ne peut s’appliquer à tout genre de contrat entre un actionnaire et la société : seuls les contrats qui traitent du fonctionnement corporatif de la société seraient visés[17]. L’appelante avancerait sa réclamation à titre de créancière contractuelle plutôt que d’actionnaire[18].

[33]        Par ailleurs, le recours en oppression viserait à corriger une situation qui existe au moment du jugement. Or, vu les rachats d’actions survenus au cours des années qui ont suivi l’introduction des procédures judiciaires, l’oppression, bien qu’elle ait pu exister antérieurement, aurait disparu[19].

[34]        Le juge rejette également les arguments de Simon-Pierre quant à l’influence que PKP exerce sur le conseil d’administration de Québecor et sur sa politique de déclaration de dividendes. Il conclut que Simon-Pierre ne soumet aucune preuve sur un quelconque lien entre les déclarations de dividendes par Québecor et l’Entente de 2008[20].

[35]        Le juge conclut également que PKP ne peut être condamné pour ne pas avoir agi de bonne foi. Au contraire, celui-ci a proposé le rachat d’actions en 2006 et 2007 même si le seuil de dividendes requis n’était pas atteint et a proposé une bonification de la formule de rachat en 2008[21].

[36]        Le juge rejette aussi la demande subsidiaire de l’appelante fondée sur l’article 1512 C.c.Q. cherchant à faire imposer un terme à l’obligation de rachat des actions. Le juge est d’avis que l’obligation est conditionnelle et non à terme[22].

LES QUESTIONS EN APPEL

[37]        L’appelante soumet les quatre moyens d’appel suivants :

(a) le juge de première instance aurait manifestement erré en concluant que la demande en oppression n’était pas ouverte à l’appelante;

(b) il aurait erré en interprétant l’Entente de 2008 isolément, excluant ainsi de son analyse des éléments de preuve fondamentaux pour déterminer les attentes raisonnables de l’appelante et la commune intention des parties;

(c) il aurait manifestement erré dans son appréciation d’une conduite injuste ou préjudiciable dans le cadre de la demande en oppression;

(d) il aurait commis une erreur manifeste et déterminante en refusant de considérer l’Entente de 2008 comme une obligation à terme et en refusant le rachat des actions à la date du jugement.

 

 

 

ANALYSE

Principes généraux

[38]         L’article 450 L.s.a.Q. prévoit ce qui suit :

450. Un demandeur peut s’adresser au tribunal en vue d’obtenir une ordonnance visant à redresser la situation lorsque, de l’avis du tribunal, la société ou une personne morale du même groupe agit abusivement ou s’apprête à agir abusivement à l’égard des détenteurs de valeurs mobilières de la société ou à l’égard de ses administrateurs ou de ses dirigeants, ou qu’elle se montre injuste ou s’apprête à se montrer injuste à leur égard en leur portant préjudice:

450. An applicant may obtain an order from the court to rectify a situation if the court is satisfied that

 

1° soit en raison de son comportement;

(1)  any act or omission of the corporation or any of its affiliates effects or threatens to effect a result,

2°  soit par la façon dont elle exerce, a exercé ou s’apprête à exercer ses activités ou par la façon dont elle conduit, a conduit ou s’apprête à conduire ses affaires internes;

(2)  the business or affairs of the corporation or any of its affiliates have been, are or are threatened to be conducted in a manner, or

 

3°  soit par la façon dont les administrateurs exercent, ont exercé ou s’apprêtent à exercer leurs pouvoirs.

(3)  the powers the board of directors of the corporation or any of its affiliates have been, are or are threatened to be exercised in a manner

 

that is or could be oppressive or unfairly prejudicial to any security holder, director or officer of the corporation.

[39]        Ces dispositions comportent des similitudes avec les articles 241 et s. de la Loi canadienne sur les sociétés par actions[23] (« L.c.s.a. »), mais elles s’en distinguent aussi à certains égards[24]. Dans BCE Inc. c. Détenteurs de débentures de 1976[25] (« BCE »), une affaire portant sur la L.c.s.a., mais dont les principes sont transposables à la L.s.a.Q.[26], la Cour suprême du Canada établit un test à deux volets pour le traitement des demandes d’oppression découlant d’un comportement abusif d’une société ou de ses administrateurs. Premièrement, une « attente raisonnable » doit être établie par celui qui cherche un redressement; deuxièmement, cette « attente raisonnable » doit avoir été frustrée en raison d’un comportement répréhensible.

[40]        La Cour suprême précise dans BCE qu’il s’agit d’un recours fondé sur l’équité et qu’en conséquence, ce qui doit être pris en compte ne sont pas tant les considérations strictement juridiques, mais plutôt la réalité commerciale entre les parties[27]. De plus, ce qui est juste et équitable selon les attentes respectives des parties dépend fortement du contexte et des rapports en jeu. Ainsi, un « comportement abusif dans une situation donnée ne sera pas nécessairement abusif dans une situation différente »[28]. L’analyse est donc contextuelle et variera d’un cas à l’autre selon les circonstances propres à chaque affaire.

[41]        Les « attentes raisonnables » des parties constituent la pierre angulaire de la demande de redressement pour abus. Ces attentes raisonnables s’évaluent en fonction d’un critère objectif qui tient compte du contexte particulier de chaque cas. La « question est de savoir si ces attentes sont raisonnables compte tenu des faits propres à l’espèce, des rapports en cause et de l’ensemble du contexte, y compris la possibilité d’attentes et de demandes opposées »[29]. Les facteurs utiles à cette fin sont multiples et comprennent les pratiques commerciales courantes, la nature de la société, les rapports entre les parties, les pratiques antérieures, les mesures préventives qui auraient pu être prises, les déclarations et conventions, ainsi que la conciliation équitable des intérêts opposés des parties[30].

[42]        Les rapports personnels, et plus particulièrement les rapports familiaux - comme c’est le cas en l’espèce, puisqu’il est admis que PPI est une société de portefeuille familiale - peuvent aussi jouer un rôle déterminant afin d’évaluer les attentes raisonnables[31] :

[75]      Les rapports personnels entre le plaignant et d’autres parties impliquées dans les affaires de la société peuvent également donner naissance à des attentes raisonnables. Par exemple, il se peut que les rapports entre actionnaires fondés sur des liens familiaux ou des liens d’amitié n’obéissent pas aux mêmes normes que les rapports entre actionnaires sans lien de dépendance d’une société ouverte.  Pour reprendre les propos tenus dans l’affaire Re Ferguson and Imax Systems Corp. (1983), 1983 CanLII 1646 (ON CA), 150 D.L.R. (3d) 718 (C.A. Ont.), [TRADUCTION] « lorsqu’une société fermée est en cause, le tribunal peut tenir compte du rapport entre les actionnaires et non simplement des droits » (p. 727).

 [Soulignement ajouté]

[43]        Si l’attente raisonnable est établie, il faut ensuite déterminer si celle-ci a été frustrée par un comportement abusif ou injuste[32]. Cela ne requiert pas nécessairement une preuve de mauvaise foi ou une faute au sens du droit civil ni de l’intention de nuire ou de porter atteinte à l’attente raisonnable[33]. Les notions de « préjudice injuste » et d’« omission injuste de tenir compte des intérêts d’un actionnaire » qui ne peuvent être nécessairement qualifiées d’abusives peuvent néanmoins tomber sous le coup des articles 450 et s. de la L.s.a.Q., telle une réduction indue des dividendes d’un actionnaire[34].

[44]        Comme le soulignait le juge Schrager dans Vanier c. Lucien Vanier et Fils inc., le comportement de l’actionnaire majoritaire doit s’analyser en fonction de son résultat sur les attentes légitimes de l’actionnaire minoritaire et non pas nécessairement en fonction des intentions malveillantes de l’actionnaire majoritaire[35] :

[44]        Le comportement des actionnaires majoritaires doit s’analyser en fonction de son résultat et, plus précisément, vis-à-vis des attentes raisonnables ou légitimes de l’actionnaire minoritaire. L’intention de nuire ou de porter atteinte n’est pas un élément essentiel pour déterminer si le comportement de la majorité est abusif ou injuste.

[45]        Tel que mentionné auparavant, le but du recours est de rétablir ce qui est « juste et équitable » dans chaque cas d’espèce. Ceci nécessite de tenir compte de la réalité commerciale et non seulement des considérations strictement juridiques.

[Renvois omis]

[45]        Qu’en est-il en l’espèce?

L’attente raisonnable

[46]        Avec égards, le juge de première instance a choisi d’appliquer une interprétation littérale de l’Entente de 2008 sans tenir compte du fait que cette entente et le litige sous-jacent s’inscrivent dans le contexte d’une longue saga familiale entourant tant l’actionnariat de PPI que les droits des membres de la fratrie Péladeau aux bénéfices de la grande entreprise fondée par leur père, Québecor.

[47]        Le juge aurait dû tenir compte du contexte familial de l’affaire de même que du contexte plus large dans lequel elle s’inscrit, dont : les raisons qui ont mené à la mise sur pied de Gestion Péladeau par Pierre Péladeau, les termes de l’Entente de 2001 et les raisons qui ont motivé les parties d’en convenir, les modifications importantes à la structure d’actionnariat de Gestion Péladeau et de PPI découlant de cette dernière entente, les motifs qui ont poussé les parties à convenir de l’Entente de 2008 afin d’y  bonifier la formule de rachat d’actions,  et l’ensemble des rapports entre les membres de la fratrie Péladeau.

[48]        Tel que le notait la juge St-Pierre dans l’affaire concernant Anne-Marie, toutes les circonstances entourant ce type de transaction familiale ne peuvent être ignorées et une approche contextuelle s’impose donc[36] :

[37]        Les circonstances qui ont entouré la conclusion du protocole ne peuvent être ignorées, de sorte qu’une approche contextuelle s’impose en l’espèce : non seulement ces circonstances constituent-elles un guide utile dans la recherche de l’intention des parties, mais elles permettent de plus d’en déduire l’interprétation la plus conforme.

[49]        Gestion Péladeau fut constituée par Pierre Péladeau dans le but de pourvoir aux besoins de Simon-Pierre et de sa sœur Esther en leur permettant de participer à l’actionnariat de PPI et ainsi indirectement bénéficier des profits de Québecor. Pour des raisons qui lui sont propres, Pierre Péladeau n’a pas cru bon d’assurer la participation active de ces derniers au sein de Gestion Péladeau ni de PPI. De fait, à son décès, le contrôle effectif de ces deux sociétés fut conféré à Érik et PKP, constituant en sorte ces derniers comme les gardiens des intérêts de Simon-Pierre et d’Esther.

[50]        Les intérêts financiers considérables de Simon-Pierre et d’Esther dans les PPI comportaient plus de 30 millions d’actions de classe B de cette société, lesquelles étaient alors détenues par Gestion Péladeau. Il s’agit là de l’essentiel du patrimoine que Pierre Péladeau souhaitait leur léguer. Ces actions de classe B permettaient d’obtenir des dividendes et elles étaient rachetables au gré de Gestion Péladeau ou de PPI. Cependant, vu que tant Gestion Péladeau que PPI étaient des sociétés contrôlées directement ou indirectement par Érik et PKP, les dividendes versés et le rachat des actions de classe B étaient, de fait, soumis à la discrétion de ces derniers.

[51]        C’est précisément pour mettre fin à la discrétion quasi absolue d’Érik et de PKP sur les intérêts financiers de Simon-Pierre et d’Esther dans Gestion Péladeau que l’Entente de 2001 fut convenue. C’est d’ailleurs l’un des objets essentiels de cette entente, comme en fait foi l’attendu suivant :

ATTENDU que les parties aux présentes ont jugé qu’il est dans le meilleur intérêt de tous qu’éventuellement, le contrôle effectif de Gestion [Péladeau] ne soit plus exercé par Érik et Pierre Karl;

[52]        Puisque Érik et PKP continueraient de détenir le contrôle de PPI, il était donc aussi important de convenir d’une formule pour assurer que les intérêts financiers importants de Simon-Pierre et d’Esther dans cette société soient pris en compte, tout en minimisant la discrétion de leurs demi-frères. C’est ainsi que les actions de classe B de PPI - qui, rappelons-le, comportaient un droit de dividendes et étaient rachetables au gré du détenteur ou de l’émetteur - ont été converties en actions de classe B-1 qui ne comportent aucun dividende et qui ne sont pas rachetables au gré du détenteur, mais seulement au gré de PPI.

[53]        Une telle transaction de conversion d’actions n’a de sens que dans la mesure où le rachat des actions de classe B-1 est assuré. En effet, en retirant tout droit aux dividendes et le droit de rachat au gré du détenteur, ces actions n’ont plus aucune valeur, à moins, bien sûr, que leur rachat éventuel constitue un évènement certain ou quasi certain. Il relève donc de la logique même de l’Entente de 2001 que la formule de rachat des actions de classe B-1 doit assurer le rachat éventuel de celles-ci dans un délai raisonnable.

[54]        De plus, puisque les actions de classe B-1 ne comportent aucun dividende et puisque leur valeur de rachat est fixée à 1,00 $ par action sans formule d’indexation ou d’ajustement, la valeur réelle de celles-ci décroît avec le temps par l’effet de l’inflation. Il découle donc de source que les rachats doivent s’effectuer régulièrement selon un rythme raisonnablement prévisible, car autrement, la conversion des actions de classe B en actions de classe B-1 serait grossièrement abusive.

[55]        La formule de rachat de l’Entente de 2001 liée à un seuil de dividendes reçus de Québecor visait aussi à s’assurer que des liquidités suffisantes soient disponibles au sein de PPI afin de procéder au rachat. Cette formule permet ainsi d’éviter que cette société ait à vendre des actions de Québecor afin de recevoir les liquidités requises annuellement pour procéder aux rachats. Cela étant, la formule permettait certes des variations annuelles dans le montant des rachats, mais on ne peut raisonnablement conclure qu’au moment de sa conclusion les parties n’avaient pas toute l’attente raisonnable que ces rachats s’effectueraient annuellement et qu’ils seraient complétés sur un horizon raisonnable.

[56]        C’est d’ailleurs précisément ce que prévoit l’Entente de 2001 en énonçant que le rachat devra s’effectuer annuellement : « de nouvelles actions privilégiées de [PPI] qui devront être rachetées par [PPI] chaque année à raison d’un montant égal à 5 % des dividendes en espèce que [PPI] pourra recevoir de Québecor » (soulignement ajouté). Compte tenu du texte de l’Entente de 2001, des modalités de la conversion des actions et de l’historique des déclarations de dividendes par Québecor antérieures à sa conclusion, il est évident que l’attente raisonnable de toutes les parties à l’Entente de 2001 était que le rachat des actions s’effectuerait annuellement - quoique le montant précis du rachat puisse varier d’une année à l’autre - afin d’assurer le rachat complet des actions sur un horizon raisonnable.

[57]        La conclusion contraire mènerait à un résultat absurde et à une injustice telle que le fondement même de l’Entente de 2001 pourrait être remis en question, vu les relations quasi fiduciaires liant les parties à cette transaction, notamment le rôle particulier que Pierre Péladeau a confié à son décès à Érik et PKP en regard des intérêts de Simon-Pierre et Esther dans PPI. En effet, sans rachat annuel d’actions sur un horizon prévisible, tous les risques liés à la transaction de conversion des actions de classe B en actions de classe B-1 auraient été entièrement pris en charge par l’appelante, et ce, sans aucune contrepartie de la part des intimés.

[58]        Bien que l’entente convenue en 2000 avec Anne-Marie diffère de l’Entente de 2001 et bien que le contexte des deux transactions ne soit pas tout à fait le même, les similitudes sont suffisantes pour permettre des rapprochements[37], d’autant plus que la preuve établit que l’Entente de 2001 fait suite à l’entente de 2000 conclue avec Anne-Marie, que les parties se sont inspirées de la formule de rachat prévue dans celle-ci pour convenir de la formule de rachat de l’Entente de 2001 et que les rapports d’expert au soutien de l’entente convenue avec Anne-Marie étaient disponibles pour les parties à l’Entente de 2001.

[59]        Or, dans son arrêt de 2015, la Cour conclut ce qui suit en ce qui concerne la formule de rachat des actions prévue par l’entente concernant Anne-Marie[38] :

[39]      Ainsi analysés, les faits du dossier n’autorisent qu’une seule conclusion raisonnable qu’il y a lieu de privilégier : personne n’a envisagé, lors de la signature ou de la ratification du protocole, l’absence récurrente de dividendes suffisants (au-delà d’une somme annuelle de 4 200 000 $), de sorte que 13 années plus tard l’appelante n’a toujours rien perçu de son dû ou presque, malgré l’amélioration significative de la situation économique et des résultats financiers de Québecor en cours de route.

[…]

[51]      Jamais n’a-t-on pensé que plus de 90 % de ces 55 millions de dollars (du prix de vente de biens appartenant à l’appelante) ne serait toujours pas versé 13 ans plus tard. Voilà, certes, un « évènement non prévu  aux présentes », qui porte manifestement atteinte à l’objet et aux considérations du protocole alors que ce dernier est et doit être inéluctablement structuré de manière à sauvegarder les meilleurs intérêts de l’appelante et de sa fille.

[…]

[57]      Il est manifeste que le protocole signé en 2000 ne prévoit pas que plus de 90 % du prix d’achat du bien vendu par l’appelante ne sera toujours pas payé 13 ans plus tard.

[…]

[63]        Le protocole prévoit le paiement du prix de vente par voie de rachat chaque année, à compter du 1er janvier 2001. Le nombre d’actions à racheter est déterminé en fonction des dividendes versés par Québecor, étant entendu qu’aucun paiement ne sera effectué pour une année donnée si les dividendes versés à [PPI] pour cette année sont inférieurs à 4,2 millions de dollars, une situation peu probable (d’exception) compte tenu de l’historique de Québecor en matière de déclaration et de versement de dividendes. Ainsi, la norme c’est un paiement partiel du prix de vente chaque année jusqu’à parfait paiement.

[64]        Avoir envisagé une situation d’exception pour une année donnée ne permet pas d’affirmer, comme le fait la juge au paragraphe 52 de son jugement, que le non-paiement systématique pendant plus de 13 années a été « un évènement prévu » au protocole malgré la situation financière de Québecor améliorée au fil des années.

[65]        Il me paraît manifeste que les parties ont tenu le rachat des actions pour certain au moment de conclure le protocole, selon l’attente légitime voulant que ce rachat serait complété dans un délai maximum vraisemblable de 13 ans selon les hypothèses et considérations de l’expert commun (Wise Blackman).

[66]        Si on omet de prendre en compte les rapports de Wise Blackman auxquels se réfère pourtant spécifiquement la juge Cohen qui l’autorise, le protocole ne comporte pas, effectivement, de période limite pour l’exécution du rachat d’actions par [PPI]. Je ne peux donc affirmer que la juge commet une erreur de fait lorsqu’elle le constate au paragraphe 53 de son jugement. Il en va autrement, par ailleurs, de l’usage qu’elle fait de ce constat, soit de conclure à « l’évènement prévu », aux termes de l’article 8 du protocole, malgré la preuve que [PPI] n’a rien exécuté de son obligation de rachat des actions (non votantes et ne donnant droit à aucun dividende) émises à l’appelante pendant plus de 13 ans, tout en ayant pleinement profité de l’obligation corrélative, soit de la cession immédiate en sa faveur d’actions avec droit de vote et participantes depuis août 2000.

[Soulignement ajouté]

[60]        Étant donné que la formule de rachat de l’Entente de 2001 est largement calquée sur celle prévue dans l’entente concernant Anne-Marie et vu que les parties à l’Entente de 2001 avaient en main, lors de sa négociation, le rapport de Wise Blackman portant sur le calcul de la période estimée de rachat, il y a peu de doute que les parties à l’Entente de 2001 avaient aussi une attente raisonnable à ce que le rachat des actions de classe B-1 s’effectuerait dans un délai calculé selon les hypothèses de ce rapport, comme le soutient l’appelante.

[61]        Cette attente raisonnable était tellement claire qu’elle a mené les intimés (a) à procéder au rachat d’actions de classe B-1 en 2006 et 2007 malgré que le seuil des dividendes de Québecor n’ait pas été atteint durant ces années selon la formule de l’Entente de 2001; et (b) à proposer une renégociation de l’Entente de 2001 afin d’en bonifier les termes[39].

[62]        Le premier volet du recours en oppression est donc établi puisque l’appelante a démontré une attente raisonnable à ce que le rachat des actions de classe B-1 s’effectue annuellement à compter de 2001, selon un rythme permettant que le rachat soit complété sur un horizon raisonnable. Quel est cet horizon raisonnable?

[63]        L’appelante soutient qu’il se situe dans la période de 20 à 25 ans à compter de la conclusion de l’Entente de 2001 intervenue le 28 novembre 2001. Il s’agit là de l’horizon de rachat qui découle des hypothèses retenues dans le rapport d’expertise de Wise Blackman dans le dossier d’Anne-Marie auquel Simon-Pierre et l’appelante se sont fiés pour conclure l’Entente de 2001[40].  C’est en effet en tenant compte de la formule de rachat prévue à l’entente de 2000 avec Anne-Marie que la formule de rachat dans l’Entente de 2001 fut convenue entre les parties et celles-ci avaient accès au rapport Wise Blackman préalablement à la conclusion de cette entente.

[64]         C’est donc pour corriger le rythme des rachats annuels des actions de classe       B-1 afin de le rendre conforme à cette attente raisonnable que l’Entente de 2008 fut convenue. En effet, la formule de l’Entente de 2001 n’a permis aucun rachat d’actions de classe B-1. Les quelques rachats de peu d’importance qui se sont effectués en 2006 (87 425 $), en 2007 (17 000 $) et en 2008 (21 832 $) découlent de la décision des intimés de procéder malgré tout à certains rachats. Une correction s’imposait donc manifestement.

[65]        C’est donc dans le contexte d’une correction que la formule de rachat des actions de classe B-1 a été bonifiée par l’Entente de 2008. Le but de la formule bonifiée ne pouvait être que de rattraper le temps perdu et de retrouver le rythme de rachat envisagé lors de la conclusion de l’Entente de 2001. La modification de la formule de rachat afin de la bonifier implique nécessairement que l’intention des parties était de corriger la situation et non de la faire perdurer. Ainsi, il m’apparaît patent que l’attente raisonnable de l’appelante lors de la conclusion de l’Entente de 2008 était que la nouvelle formule bonifiée de rachat permettrait d’accélérer le rythme des rachats afin d’assurer que les attentes raisonnables découlant de la conversion des actions de classe B en actions de classe B-1 soient respectées.

[66]        Or, lorsque l’appelante entreprend son recours judiciaire en 2016, quelque 15 ans après l’Entente de 2001, à peine plus de 10 % des actions de classe B-1 ont fait l’objet d’un rachat par PPI. De fait, pendant les six premières années d’application de la nouvelle formule bonifiée de 2008, soit de 2009 à 2014, les rachats annuels ne s’effectuent qu’au rythme annuel de 87 328 $, soit bien en deçà de l’attente raisonnable de l’appelante. Il est donc manifeste que lorsque l’appelante entreprend son recours judiciaire le 28 septembre 2016, l’attente raisonnable quant au rythme des rachats est totalement frustrée depuis près de 15 ans.

Le comportement abusif ou injuste

[67]        Étant ainsi établi que l’attente raisonnable n’est pas rencontrée, il faut maintenant décider si cela résulte d’un comportement abusif ou injuste des intimés.

[68]        La prétention de l’appelante est que les intimés auraient usé de leur immense influence à titre d’actionnaires de contrôle afin que Québecor privilégie le rachat d’actions au cours de la période concernée au détriment du versement de dividendes. Quant aux intimés, ils soutiennent plutôt que le niveau des dividendes reçus de Québecor est la résultante des décisions d’affaires de son conseil d’administration afin de tenir compte du déclin de ses activités liées à l’imprimerie et de l’achat du câblodistributeur Vidéotron, un achat qui a mobilisé une grande partie de ses ressources financières pendant plusieurs années.

[69]        Québecor a assurément eu à affronter des défis financiers au cours des dernières années, ce qui pourrait certes expliquer le bas niveau des dividendes versés. Par contre, bien que les difficultés liées aux flux monétaires de Québecor soient une cause possible du bas niveau des dividendes, il demeure néanmoins que la preuve dans le dossier révèle que la politique favorisant le rachat d’actions au détriment de la déclaration de dividendes en est une cause déterminante. Ainsi, le rapport d'expertise de Markon Services-Conseils inc. (« Markon ») du 8 février 2017 établit le constat suivant[41] :

En résumé, la direction et le conseil d’administration de Québecor ont alloué, depuis 2011, un montant supérieur pour le rachat d’actions par rapport au versement de dividendes, soit 137,6 M$ comparativement à 81,4 M$. Tel qu’illustré au Tableau 2, 37,2 % des FM alloués aux actionnaires ont été redistribués sous forme de dividendes, alors que 62,8% ont servi à racheter des actions de Québecor. La majeure partie de ce rachat a été effectuée lors des exercices 2011 à 2013 (76,2 %), alors que durant cette période, le versement de dividendes était gelé à 0,10 $/action depuis 2005.

Nous avons également analysé les fonds consacrés par les sociétés comparables du Tableau 1 au rachat d’actions par rapport aux dividendes et la proportion des FM alloués au rachat d’actions sont toutes inférieures à ceux de Québecor pour la même période.

[Soulignement ajouté]

[70]        Les intimés lient les rachats importants d’actions au sein de Québecor, du moins pour 2017-2018, au rachat de la participation que la Caisse de dépôt et de placement du Québec détenait dans Québecor Média et à la conversion des débentures convertibles détenues par la Caisse dans Québecor[42]. C’est fort plausible pour 2017-2018, mais cela n’explique en rien la politique antérieure de rachat d’actions établie depuis 2011 et constatée par Markon.

[71]        Les intimés expliquent encore le bas niveau des dividendes par l’acquisition de Vidéotron pour plus de cinq milliards de dollars et le besoin de faire des investissements majeurs en immobilisation afin de soutenir son plan de transformation d’une entreprise d’imprimerie commerciale à un acteur important du secteur des télécommunications et de la câblodistribution[43]. Ici aussi, il s’agit d’explications plausibles quant à l’utilisation des flux monétaires de l’entreprise, mais qui ne justifient en rien pourquoi la politique de rachat d’actions fut toujours favorisée sur celle de la déclaration de dividendes durant toutes ces années.

[72]        Il est plausible que cette politique de Québecor fut établie par le conseil d’administration de cette dernière dans l’intérêt à long terme de ses actionnaires et de la société elle-même. La prétention de l’appelante voulant que cette politique ait été établie par Québecor dans le but de sciemment frustrer l’Entente de 2001 et celle de 2008 ne trouve pas appui dans la preuve. Cela étant, cette politique a aussi eu pour effet de frustrer les attentes raisonnables de l’appelante quant au rachat des actions de classe  B-1 dans PPI. Or, comme je l’ai déjà signalé, l’intention de nuire ou de porter atteinte n’est pas un élément essentiel pour déterminer si un comportement est abusif ou injuste aux fins des articles 450 et s. L.s.a.Q. Il suffit que ces intérêts n’aient pas été pris en compte dans le processus décisionnel, ce qui est le cas en l’espèce.

[73]        Il incombait alors aux intimés de prendre des mesures afin de corriger la situation. Ainsi, tel que le soulignait le juge Émond, alors à la Cour, dans Premier Tech Ltée c. Dolo[44] :

[163]     Ce n’est pas la clause qui crée l’oppression, mais plutôt le refus du conseil d’administration, lorsqu’il est en présence d’une injustice découlant de son application, de passer outre à la règle qu’elle renferme. En pareilles circonstances, il appartient au conseil d’administration de corriger la situation. S’il ne le fait pas et que son omission porte atteinte aux attentes légitimes, la responsabilité de la société peut être retenue.

[Soulignement ajouté]

[74]        Dans ce cas-ci, on ne peut que constater que la politique de favoriser le rachat d’actions au détriment de la déclaration de dividendes a eu pour effet concret d’accroître la valeur des intérêts des intimés dans Québecor, tout en suspendant de fait les rachats des actions de classe B-1 auxquels ils s’étaient engagés. Que ce constat résulte ou non d’une stratégie concertée des intimés ne change en rien au fait qu’il s’agit là d’une forme d’oppression visée par les articles 450 et s. de la L.s.a.Q. qu’il incombe de corriger.

[75]        Dans les circonstances particulières de ce dossier, le fait que les formules de rachat de l’Entente de 2001 et de l’Entente de 2008 ont été suivies n’empêche pas non plus d’ordonner un redressement en vertu des articles 450 et s. de la L.s.a.Q. Les commentaires du juge Hamilton, alors à la Cour supérieure, dans Baril c. Primeau, s’appliquent d’ailleurs assez bien au présent cas[45] :

[62]        Enfin, demeure la question de savoir si un rachat conforme à la convention entre actionnaires peut néanmoins constituer un abus.

[63]        Le Tribunal conclut que oui. Le recours en redressement pour abus existe pour les situations qui sont légales, mais qui constituent néanmoins un abus ou un préjudice injuste. Même si la clause de rachat d’actions est prévue dans la convention entre actionnaires, le Tribunal peut intervenir dans un cas approprié et ordonner un redressement lorsque l’exercice de la clause est abusif ou cause un préjudice injuste.

[Soulignement ajouté]

Le remède approprié

[76]        Les pouvoirs conférés au tribunal par l’article 451 L.s.a.Q. afin de corriger une situation d’oppression sont vastes. Ces pouvoirs permettent au tribunal de trouver des solutions logiques et équitables afin de pallier aux situations d’oppression lorsqu’elles sont établies. Ils comprennent notamment le pouvoir d’enjoindre la société d’acheter des valeurs mobilières d’un détenteur et de modifier, résilier ou annuler un contrat auquel la société est partie[46]. C’est là la conclusion principale du recours entrepris par l’appelante, soit une ordonnance de rachat immédiat de la totalité de ses actions de classe B-1 détenues dans PPI, et ce, sans égard à la formule de rachat prévue dans l’Entente de 2008.

[77]        Par contre, dans le cas d’une ordonnance de rachat, la société ne peut effectuer aucun paiement s’il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle ne peut ou ne pourrait, de ce fait, acquitter son passif à échéance[47]. Malgré la prétention contraire de ses procureurs, la preuve ne révèle pas que PPI ne pourrait acquitter son passif à échéance si l’ordonnance de rachat sollicitée est prononcée. Le solde des actions à racheter de l’appelante en date du 1er mai 2021 s’établit à 4 280 363 $[48], tandis que les dividendes reçus par PPI de Québecor pour le seul premier trimestre de 2021 se chiffrent à 19 233 570 $[49], auxquels s’ajoutent des actifs en actions de Québecor de près de deux milliards de dollars selon les derniers états financiers dans le dossier.  

[78]        C’est plutôt l’effet d’une telle ordonnance sur les autres ententes convenues entre PPI et les membres de la fratrie Péladeau qui préoccupe les intimés, de même que la volonté de ces derniers de ne pas se départir d’actions de Québecor afin de générer des flux monétaires pour satisfaire leurs obligations. Ainsi, selon la preuve dans le dossier, tant Esther, Anne-Marie et Érik peuvent se prévaloir, directement ou indirectement, de droits importants sur les dividendes versés[50] . De plus, par l’effet du jugement du 30 avril 2020 du juge Dugré dans le litige opposant Anne-Marie à PPI, cette dernière a dû débourser 19 049 328 $ afin de satisfaire l’ordonnance d’exécution provisoire y prévue[51]. Les dividendes reçus de Québecor sont donc sujets à plusieurs ponctions financières importantes.

[79]        Par contre, le niveau de ces dividendes s’est considérablement accru depuis l’introduction du recours judiciaire en 2016, soit 7 343 727 $ pour 2017, 13 464 020 $ pour 2018, 27 451 551 $ pour 2019 et 55 952 205 $ pour 2020, et ceux-ci ne cessent de s’accroître depuis. Si ce rythme se maintient, le rachat du solde de toutes les actions de classe B-1 devrait s’effectuer d’ici le 30 juin 2022, soit dans près de 12 mois.

[80]        Bien que l’accroissement des dividendes versés par Québecor à PPI depuis l’institution du recours judiciaire puisse laisser croire que les intimés ont pris, consciemment ou non, les mesures qui s’imposent afin de corriger la situation d’oppression subie par l’appelante, il m’apparaît néanmoins utile et même nécessaire de mettre un terme définitif à ce litige par une intervention judiciaire ciblée et fondée sur les larges pouvoirs discrétionnaires conférés par l’article 451 L.s.a.Q.

[81]        Vu l’accélération considérable du rythme du rachat des actions de classe B-1 et tenant compte de l’ensemble des circonstances, je suis d’avis qu’il y a lieu de permettre au mécanisme de rachat prévu dans l’Entente de 2008 de s’appliquer jusqu’au 30 juin 2022. Si, d’ici là, le solde du rachat de l’ensemble des actions de classe B-1 n’est pas complété, PPI devra procéder au rachat du solde de ces actions à cette date.

La demande subsidiaire

[82]        L’appelante demande aussi, mais à titre subsidiaire, de fixer un terme à l’Entente de 2008 conformément à l’article 1512 C.c.Q. et de condamner les intimés à la « payer immédiatement » pour le « rachat immédiat de la totalité des actions » de classe B-1 qu’elle détient[52]. Le procureur de l’appelante précise à l’audience que le terme recherché est la date d’introduction du recours judiciaire, soit le 28 septembre 2016. Or, dans sa déclaration d’appel et son mémoire d’appel, l’appelante soutient plutôt que le terme devrait être fixé à la date du jugement de première instance, soit le 12 novembre 2019[53]. La nouvelle position de l’appelante quant à la date du terme est opportuniste et vise manifestement à se calquer sur les conclusions du juge Dugré dans son jugement du 30 avril 2020 concernant Anne-Marie[54], lequel fut prononcé après le dépôt de la déclaration d'appel dans le présent dossier.

[83]        Pour leur part, les intimés soutiennent que l’article 1512 C.c.Q. ne s’applique pas puisque l’Entente de 2008 prévoit une condition de rachat et non pas un terme. Ils ajoutent que même si l’article 1512 C.c.Q. s’appliquait, le terme demandé serait inapproprié vu que l’attente raisonnable invoquée par l’appelante est de 25 ans.

[84]        Qu’en est-il?

[85]        L’article 1512 C.c.Q. est inséré au chapitre V (« Des modalités de l’obligation ») du livre cinquième (« Des obligations ») du Code civil du Québec. Il dispose de ce qui suit :

1512. Lorsque les parties ont convenu de retarder la détermination du terme ou de laisser à l’une d’elles le soin de le déterminer et qu’à l’expiration d’un délai raisonnable, elles n’y ont point encore procédé, le tribunal peut, à la demande de l’une d’elles, fixer ce terme en tenant compte de la nature de l’obligation, de la situation des parties et de toute circonstance appropriée.

1512. Where the parties have agreed to delay the determination of the term or to leave it to one of them to make such determination and where, after a reasonable time, no term has been determined, the court may, upon the application of one of the parties, fix the term according to the nature of the obligation, the situation of the parties and any appropriate circumstances.

Le tribunal peut aussi fixer ce terme lorsqu’il est de la nature de l’obligation qu’elle soit à terme et qu’il n’y a pas de convention par laquelle on puisse le déterminer.

The court may also fix the term where a term is required by the nature of the obligation and there is no agreement as to how it may be determined.

[86]        À la lecture de l’article 1512 C.c.Q., on constate que la demande subsidiaire de l’appelante se heurte à un obstacle juridique de taille. Ainsi, l’appelante reconnaît que son attente raisonnable quant au terme du rachat des actions de classe B-1 est de 20 à 25 ans à compter de la conclusion de l’Entente de 2001, le 28 novembre 2001. Le terme maximal envisagé par l’appelante lors de la signature de l’Entente de 2001 était donc le 28 novembre 2026.

[87]        Ainsi, ce n’est pas la fixation du terme selon l’article 1512 C.c.Q. que recherche l’appelante, mais plutôt la fixation d’un autre terme plus court afin de la compenser pour les années où les rachats n’ont pas été effectués ou ont été moindres que ce à quoi elle pouvait s’attendre. Or, il s’agit là d’une demande fondée sur l’équité ou, tout au plus une demande indirecte de compensation afin de faire courir des intérêts sur les sommes dues pour le rachat des actions à compter de l’introduction du recours judiciaire. Une telle demande ne peut se fonder sur l’article 1512 C.c.Q., ce qui explique que le fondement principal du recours entrepris s’appuie plutôt sur les articles 450 et s. de la  L.s.a.Q.

[88]        Ainsi, pour fixer le terme d’une obligation conformément à l’article 1512 C.c.Q., le tribunal doit tenir compte de l’ensemble des circonstances, de la nature de l’obligation et de la situation des parties, ce qui comprend manifestement l’intention de celles-ci et leurs attentes raisonnables[55]. Or, dans l’hypothèse où l’article 1512 C.c.Q. s’applique au présent cas - ce sur quoi il n’y a pas lieu de se prononcer vu la conclusion à laquelle j’arrive - le seul terme qui pourrait être fixé est celui du 28 novembre 2026, puisque c’est ce terme qui est invoqué par l’appelante pour soutenir son recours judiciaire fondé sur l’article 450 L.s.a.Q.

[89]        L’analogie que souhaite tirer l’appelante avec les circonstances d’Anne-Marie ne peut non plus être retenue. Quoiqu’il existe des similitudes entre les circonstances d’Anne-Marie et le cas de l’appelante, particulièrement en regard de la formule de rachat, les deux situations se distinguent à plusieurs égards.

[90]        Ainsi, contrairement à l’appelante, Anne-Marie n’a pas fondé son recours sur l’article 450 L.s.a.Q.; elle invoque plutôt que l’entente de 2000 la concernant constitue un contrat de vente. Elle soutient aussi que la formule de rachat y prévue établit les modalités du versement du prix de vente[56]. Le recours d’Anne-Marie se fonde donc principalement sur le Code civil du Québec. Dans le cas de l’appelante, son recours se fonde principalement sur son statut d’actionnaire de PPI et sur l’oppression dont elle fait l’objet, donnant ainsi ouverture au recours en vertu de l’article 450 L.s.a.Q.

[91]        Quant au terme de l’obligation, Anne-Marie soutient qu’il est de 13 ans, se fondant sur ses attentes raisonnables découlant de l’entente de 2000. Puisque ce terme est échu sans que le plein paiement du prix de vente convenu ait été versé, elle demande donc au tribunal de fixer le terme de 13 ans conformément à l’article 1512 C.c.Q.[57]. L’appelante soutient plutôt que, selon ses attentes raisonnables, le terme du rachat de ses actions est de 25 ans et qu’il y a lieu de le réduire pour la compenser des inconvénients qu’elle a pu subir à ce jour résultant du délai dans les rachats. Il s’agit donc de deux demandes fortement distinctes dont les fondements juridiques sont différents.

[92]        Finalement, le dossier d’Anne-Marie s’inscrit dans le cadre du régime de protection auquel elle est assujettie. L’approbation de l’entente de 2000 par la Cour supérieure s’inscrit d’ailleurs dans ce régime de protection[58]. Ce n’est pas le cas de l’appelante ou de Simon-Pierre.

[93]        Il n’y a donc pas lieu de faire droit à la demande subsidiaire de l’appelante.

Les frais de justice et les honoraires extrajudiciaires

[94]        Le paragraphe 451(14) L.s.a.Q. confère une large discrétion au tribunal quant au paiement des honoraires extrajudiciaires dans le cadre d’une demande judiciaire fondée sur l’article 450 L.s.a.Q., comme c’est le cas en l’espèce. Tant dans sa Demande introductive d’instance réamendée datée du 24 septembre 2019 que dans sa déclaration d’appel, l’appelante demande, en plus des frais de justice, le remboursement des honoraires extrajudiciaires encourus.

[95]        Cela étant, dans sa plaidoirie écrite en première instance, elle n’a pas repris cette demande[59]. De plus, dans son mémoire d’appel, elle n’énonce aucun argument à l’appui du remboursement des honoraires extrajudiciaires. Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu de faire droit à cette demande.

[96]        En l’occurrence, l’appelante aura droit aux seuls frais de justice tant en appel qu’en première instance, ce qui comprend les frais d’expertise[60].

CONCLUSIONS

[97]         Pour ces motifs, je propose donc à la Cour d’accueillir l’appel, d’infirmer le jugement de première instance, d’accueillir en partie la Demande introductive d’instance réamendée en date du 24 septembre 2019, d’ordonner à PPI de procéder, au 30 juin 2022, au rachat à 1,00 $ l’action du solde des actions de classe B-1 de son capital-actions dont l’appelante serait toujours propriétaire après l’application de la formule de rachat prévue dans l’Entente de 2008, le tout avec frais de justice tant en première instance qu’en appel.

 

 

 

ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.

 



[1]     Gestion Simon-Pierre Péladeau inc. c. Placements Péladeau inc., 2019 QCCS 5828 (« jugement de première instance »).

[2]     Loi sur les sociétés par actions, RLRQ, c. S-31.1.

[3]     Liste des admissions conjointes, par. 7.

[4]     Pièce D-52 : Convention-cadre concernant Érik Péladeau, datée du 6 août 2009.

[5]     Pièce P-9 : Convention de rachat d’actions intervenue le 15 octobre 2008, art. 1.1.

[6]     Péladeau c. Placements Péladeau  inc., 2015 QCCA 1724.

[7]     Id., par. 65.

[8]     Péladeau c. Placements Péladeau inc., 2020 QCCS 1373.

[9]     Placements Péladeau inc. c. Péladeau, 2020 QCCA 869 (juge unique). Péladeau c. Placements Péladeau, supra, note 8, par. 347 et 349.

[10]    Jugement de première instance, par. 19-22.

[11]    Id., par. 23.

[12]    Id., note de bas de page 15.

[13]    Id., par. 28-29 et 40.

[14]    Id., par. 24 et 31.

[15]    Id., par. 35.

[16]    Id., par. 43-44.

[17]    Id., par. 47-53.

[18]    Id., par. 54.

[19]    Id., par. 55-56.

[20]    Id., par. 66.

[21]    Id., par. 75-76.

[22]    Id., par. 78-79.

[23]    Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. 1985, ch. C-44.

[24]    Turcotte c. Turcotte, 2021 QCCA 567, par. 32; Paul Martel, La société par actions au Québec, vol. 1 « Les aspects juridiques », Montréal, Wilson & Lafleur, 2011 (feuilles mobiles, mise à jour no 106, janvier 2021), no 31-510.

[25]    BCE Inc. c. Détenteurs de débentures de 1976, 2008 CSC 69, [2008] 3 R.C.S. 560.

[26]    Turcotte c. Turcotte, supra, note 24, par. 50; Spitzer c. Magny, 2017 QCCA 1943, par. 20-22; Softmedical inc. c. Daabous, 2017 QCCA 1270, par. 79-80, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada rejetée, 4 avril 2019, no 37820.

[27]    BCE Inc. c. Détenteurs de débentures de 1976, supra, note 25, par. 58.

[28]    Id., par. 59.

[29]    Id., par. 62.

[30]    Id., par. 72.

[31]    Id., par. 75.

[32]    Id., par. 67.

[33]    Softmedical inc. c. Daabous, supra, note 26, par. 82.

[34]    BCE Inc. c. Détenteurs de débentures de 1976, supra, note 25, par. 92-94.

[35]    Vanier c. Lucien Vanier et Fils inc., 2018 QCCA 796, par. 44-45; Premier Tech Ltée c. Dollo, 2015 QCCA 1159, par. 149-151, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 21 avril 2016, no 36643.

[36]    Péladeau c. Placements Péladeau inc., supra, note 6, par. 37.

[37]    Colombie-Britannique (Procureur général) c. Malik, 2011 CSC 18, [2011] 1 R.C.S. 657, par. 37-48; Union des consommateurs c. Bell Canada, 2012 QCCA 1287, par. 62, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 17 janvier 2013, no 34994.

[38]    Péladeau c. Placements Péladeau inc., supra, note 6, par. 39, 51, 57, 63-66.

[39]    Jugement de première instance, par. 75-76.

[40]    Pièce P-13 : Opinion de Wise Blackman sur le caractère juste et raisonnable de la contrepartie offerte à Mme Anne-Marie Péladeau datée du 9 août 2000.

[41]    Pièce P-16 : Expertise de Markon Services-Conseils inc. du 8 février 2017, p. 20.

[42]    Plaidoirie écrite des défendeurs en première instance, datée du 18 octobre 2019, par. 273-276.

[43]    Id., par. 280-282.

[44]    Premier Tech ltée c. Dollo, supra, note 35, par. 163.

[45]    Baril c. Primeau, 2016 QCCS 5814, par. 62-63.

[46]    Par. 451 (6) et (8) L.s.a.Q.

[47]    Second alinéa de l’art. 451 L.s.a.Q.

[48]    Ajouts à la liste d’admissions conjointes réamendée (Annexe B du jugement dont appel), datée du 3 mai 2021.

[49]    Ibid.

[50]    À titre d’exemple, pour l’année 2018, les montants suivants ont été soustraits des dividendes de 13 464 020 $ reçus par PPI de Québecor : (a) 673 201 $ pour l’appelante; (b) 673 201 $ pour Gestion Esther; (c) 3 821 000 $ pour la société d’Anne-Marie; (d) 7 298 150 $ pour la société d’Érik (Plaidoirie écrite des défendeurs en première instance, datée du 18 octobre 2019, par. 258 et les références à la preuve qui y sont énoncées).

[51]    Péladeau c. Placements Péladeau inc., supra, note 8, par. 347 et 349; Placements Péladeau inc. c. Péladeau, supra, note 9, par. 16-17.

[52]    Demande introductive d’instance réamendée datée du 24 septembre 2019, p. 20; Déclaration d’appel datée du 19 décembre 2019, p. 14.

[53]    Mémoire de l’appelante, Partie II - Les questions en litige, par. (d); Déclaration d’appel datée du 19 décembre 2019, p. 12, titre (d);

[54]    Péladeau c. Placements Péladeau inc., supra, note 8.

[55]    Ministère de la Justice, Commentaires du ministre de la Justice - Le Code civil du Québec, t. 1, Québec, Les Publications du Québec, 1993, art. 1512; Jean Addy Construction ltée c. 151245 Canada inc., 1997 CanLII 8259 (QC CS), par. 80; Placements Jepiam ltée c. Crépin Bâtitou ltée, 2007 QCCS 1189, par. 40; Giroux c. Bouthillette, 2007 QCCQ 5501, par. 15; Tellalian c. Khoderian, 2018 QCCQ 3937, par. 15-17.

[56]    Péladeau c. Placements Péladeau inc., supra, note 8, par. 2, 46, 83, 86, 98, 104-105, 110, 112, 154; Péladeau c. Placements Péladeau inc., supra, note 6, par. 27, 48, 51, 59.

[57]    Péladeau c. Placements Péladeau inc., supra, note 8, par, 218-219, 232-233, 248-249, 252, 272-273.

[58]    Trust Général du Canada et Anne-Marie Péladeau c. Érik Péladeau et al., C.S. Montréal, no 500-05-050112-992, 500-14-011700-894 et 500-14-004063-921, 6 septembre 2000, Cohen, j.c.s.

[59]    Plaidoirie écrite de la demanderesse Gestion Simon-Pierre Péladeau inc., datée du 8 octobre 2019, par. 221.

[60]    Art. 339 du Code de procédure civile.

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