Décision

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Ouellet c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique

2022 QCCS 4643

COUR SUPÉRIEURE

(Chambre civile)

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MÉGANTIC

 

DATE :

14 décembre 2022

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

MARTIN BUREAU, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

No :

480-06-000001-132

 

GUY OUELLET

et

SERGE JACQUES

et

LOUIS-SERGES PARENT

Demandeurs-Représentants

c.

COMPAGNIE DE CHEMIN DE FER CANADIEN PACIFIQUE

et

MONTREAL, MAINE & ATLANTIC CANADA COMPANY

Défenderesses

 

______________________________________________________________________

 

No :

480-17-000096-162

 

PROMUTUEL CENTRE SUD

et

DESJARDINS ASSURANCES GÉNÉRALES INC.

et

LA PERSONNELLE ASSURANCES GÉNÉRALES INC.

et

L’UNIQUE ASSURANCES GÉNÉRALES INC.

et

LA CAPITALE ASSURANCES GÉNÉRALES INC.

et

INTACT ASSURANCE

et

LA COMPAGNIE D’ASSURANCE BÉLAIR INC.

et

LA GARANTIE COMPAGNIE D’ASSURANCE DE L’AMÉRIQUE DU NORD

Demanderesses

c.

COMPAGNIE DE CHEMIN DE FER CANADIEN PACIFIQUE

et

MONTREAL, MAINE & ATLANTIC CANADA COMPANY

Défenderesses

 

______________________________________________________________________

 

No :

480-17-000070-159

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

Demandeur

c.

COMPAGNIE DE CHEMIN DE FER CANADIEN PACIFIQUE

et

MONTREAL, MAINE & ATLANTIC CANADA COMPANY

Défenderesses

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

 

 

Table des matières

Table des matières...........................................................2

1. APERÇU...............................................................6

2. LES PARTIES IMPLIQUÉES DANS LES ACTES DE PROCÉDURE ET CELLES EN ATTENTE DU JUGEMENT              7

3. LE DÉROULEMENT DES PROCÉDURES ET LE PROCÈS...................9

a) Les actes de procédure..............................................9

b) Les interrogatoires au préalable......................................11

c) Les pièces produites...............................................11

d) Les jugements interlocutoires........................................11

e) Les admissions....................................................12

f) Les expertises.....................................................12

g) Les témoignages...................................................14

h) Les plans d’argumentation..........................................14

4. LES CIRCONSTANCES DE L’ACCIDENT.................................15

5. LE SYSTÈME FERROVIAIRE AUX ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE ET AU CANADA20

a) Les principales dispositions législatives et réglementaires américaines qui peuvent être pertinentes au litige              22

b) Les principaux organismes américains................................23

c) Les principales dispositions législatives et réglementaires canadiennes qui peuvent être pertinentes au litige              24

d) Les principaux organismes canadiens................................26

e) L’évolution de l’industrie et la déréglementation commerciale............28

f) Les principales règles de base dans le transport ferroviaire tant aux États-Unis qu’au Canada              29

g) Les transporteurs..................................................31

h) Les autres intervenants habituels en matière de transport ferroviaire......33

6. LES CIRCONSTANCES RELATIVES AUX CONTRATS DE TRANSPORT ET LES LIENS À CE SUJET ENTRE WFS, CP, MMA ET IOL              34

a) Les principaux intervenants..........................................34

b) Les ententes de transport...........................................38

c) L’implication des divers « partenaires »...............................44

7. LES FAUTES REPROCHÉES AU CP.....................................45

a) Par les représentants...............................................45

b) Par le PGQ........................................................46

c) Par les assureurs..................................................47

8. LES FAUTES REPROCHÉES AUX AUTRES INTERVENANTS..............47

a) Thomas Harding...................................................48

b) MMA.............................................................48

c) TC...............................................................49

d) WFS.............................................................50

e) IOL...............................................................50

9. LES PRINCIPES FONDAMENTAUX DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE.......50

a) La Faute..........................................................51

b) Le lien de causalité.................................................60

c) La notion de « Novus actus interveniens ».............................64

d) Les fautes multiples, le partage de responsabilité et la solidarité..........65

e) La responsabilité pour le fait d’autrui..................................68

10. ANALYSE ET DISCUSSION.............................................77

A) Les fautes reprochées au CP...............................................77

a) Absence d’analyse de risques.......................................78

b) Recommandation de MMA comme transporteur de liaison...............88

c) Mauvaise classification et dangerosité du produit transporté.............97

d) Absence d’intervention quant aux pratiques opérationnelles dangereuses de MMA              117

B) Les fautes reprochées aux autres intervenants..............................134

a) Thomas Harding..................................................135

b) MMA............................................................137

c) TC..............................................................144

d) WFS............................................................150

e) IOL.............................................................152

11. LES CAUSES DE L’ACCIDENT ET LES OCCASIONS OU CIRCONSTANCES DE CELUI-CI              154

a) Les véritables causes de l’accident..................................156

b) Les occasions ou circonstances de l’accident.........................158

12. LA SOLIDARITÉ, LES QUITTANCES ET REMISES DE DETTES............165

13. CONCLUSION........................................................166

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :........................................170

ANNEXE 1 : INTERROGATOIRES PRÉALABLES..............................173

ANNEXE 2 : LISTE DES JUGEMENTS.......................................175

ANNEXE 3 : ADMISSIONS (CP-616).........................................179

ANNEXE 4 : RAPPORTS D’EXPERTS........................................209

ANNEXE 5 : TÉMOINS ENTENDUS AU PROCÈS.............................212

ANNEXE 6 : SIGLES UTILISÉS DANS LE JUGEMENT.........................216

 

 


1.                 APERÇU

[1]               Dans la nuit du 6 juillet 2013, les citoyens de la ville de Lac-Mégantic vivent l'une des pires tragédies ferroviaires de l'histoire canadienne. Un convoi de wagons-citernes qui circule à une vitesse de plus de 100 km/h, sans conducteur ni équipage, déraille en plein cœur du centre-ville de Lac-Mégantic causant le décès de 47 personnes, occasionnant des blessures physiques ou psychologiques à des centaines d'autres, tout en détruisant directement ou indirectement presque tout le coeur commercial et économique de cette municipalité. Cette tragédie a encore aujourd'hui des répercussions majeures tant sur la population de Lac-Mégantic et des environs que sur un grand nombre d'activités sociales et économiques de cette communauté.

[2]               Le présent jugement vise à déterminer si la compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (CP) est responsable en tout ou en partie de cet accident et des très nombreuses conséquences qui en résultent. Bien qu'il apparaît évident, à la lecture du présent jugement, que de nombreux intervenants impliqués dans le transport du pétrole brut provenant du Dakota du Nord et destiné à une raffinerie de Saint-Jean au Nouveau-Brunswick ont une certaine responsabilité dans ce sinistre, ceux-ci ne sont pas impliqués directement dans le présent litige puisqu'ils bénéficient de quittances obtenues en échange de leur participation et de leur contribution à un plan d'arrangement et à un fonds d'indemnisation de plus de 430 millions de dollars qui a été constitué et distribué pour indemniser les nombreuses victimes de cet accident.

[3]               Outre la compagnie ferroviaire Montréal, Maine et Atlantique Canada Compagnie (MMA), toutes les autres parties liées d'une façon quelconque à ce transport de marchandises dangereuses, qu'il s'agisse des producteurs du pétrole brut, de l'expéditeur de celui-ci, de l'acheteur ou importateur, des propriétaires ou locateurs des wagons-citernes utilisés, des entreprises impliquées dans le transport initial par camions-citernes ou dans les opérations de transbordement du pétrole dans les wagons-citernes et même Transports Canada (TC), bénéficient de quittances définitives pour toute réclamation provenant de toute victime de cette tragédie en raison de leur contribution à ce fonds d'indemnisation[1].

[4]               Les parties demanderesses, dans les trois dossiers concernés par le présent jugement, reprochent à CP de nombreuses fautes et considèrent que cette entreprise doit être tenue responsable solidairement de l'ensemble des dommages résultant de cet accident et plus spécialement, en raison des compensations déjà reçues par plusieurs victimes, des dommages pour lesquels elles n'ont pas encore été indemnisées.

[5]               Le Tribunal entend, dans le cadre du présent jugement et après avoir évalué l'ensemble de la preuve qui lui est présentée de part et d'autre, déterminer, en vertu des règles du droit civil québécois, quelle est la responsabilité du CP dans cet accident. Tout l'aspect relatif aux dommages n'est pas abordé puisqu'il y a une scission d'instance afin que les parties ne débattent d'abord que de l'aspect responsabilité.

[6]               Ce sont donc essentiellement les dispositions de l'article 1457 du Code civil du Québec (C.c.Q.) qui s'appliquent et qui guideront l'analyse de ce dossier.

[7]               Toutefois et puisque l'ensemble des opérations ferroviaires ayant résulté de cette tragédie débute au Dakota du Nord, l'un des États-Unis d'Amérique (États-Unis), et qu'une bonne partie du chemin emprunté par le convoi de wagons-citernes se déroule aux États-Unis avant de se poursuivre au Canada, il s'avère ainsi important et opportun d'examiner, dans une certaine mesure, les textes législatifs et réglementaires régissant le transport ferroviaire et le transport de matières dangereuses tant aux États-Unis qu'au Canada.

[8]               Bien qu'à plusieurs égards la législation et la réglementation de chacun de ces pays soient, sinon identiques, à tout le moins fort semblables et que les usages et les règles de conduite de l'industrie ferroviaire et du transport de marchandises dangereuses soient aussi fort semblables dans les deux juridictions, elles comportent toutefois certaines distinctions.

[9]               L'analyse faite par le Tribunal de l’ensemble des circonstances liées à cette tragédie et qui sont mises en preuve, ainsi que l’application des règles et usages ou coutumes de l’industrie ferroviaire et du transport de matières dangereuses, de même que les dispositions législatives et réglementaires applicables, l'amènent à conclure que la défenderesse CP n’a pas de responsabilité légale dans cet accident tragique. Les agissements qui lui sont reprochés par les trois parties demanderesses, qu’ils soient fautifs ou non, ne sont pas la cause directe, immédiate et logique des préjudices subis par l’ensemble des victimes.

[10]           Cette responsabilité repose essentiellement sur l’ingénieur de locomotives et dernier conducteur du convoi, M. Thomas Harding, et sur l’entreprise qui l’emploie et qui a la charge de ce convoi au moment de son déraillement, soit la défenderesse MMA.

[11]           Voici pourquoi.

2.                 LES PARTIES IMPLIQUÉES DANS LES ACTES DE PROCÉDURE ET CELLES EN ATTENTE DU JUGEMENT

[12]           Trois dossiers différents sont l'objet du présent jugement. Il y en a également deux autres qui sont tenus en suspens et dans lesquels les parties impliquées conviennent, de manière formelle, qu'elles se soumettront à toute décision définitive rendue dans les trois premiers dossiers.

[13]           Il y a d'abord l'action collective autorisée par une décision initiale du Tribunal le 8 juin 2015[2] et une autorisation modifiée du 24 octobre 2016[3]. Dans cette demande introductive d'instance, les Représentants agissent au nom d'une catégorie importante de victimes de cette tragédie. Le montant réclamé pour les dommages n'est pas encore déterminé.

[14]           Il y a aussi le recours intenté par le Procureur général du Québec (PGQ) pour l'ensemble des dommages subis par l'État québécois en raison de cette tragédie. Cette réclamation, d'abord pour plus de 320 millions de dollars, est réduite en raison d'un montant de plus de 93.4 millions de dollars reçus du fonds d'indemnisation. Elle s’élève actuellement à plus de 231 millions de dollars.

[15]           Il y a enfin l'action intentée par un groupe d'assureurs dans laquelle ceux-ci réclament l'ensemble des indemnités versées à leurs assurés, soit plus de 15 millions de dollars moins les sommes reçues du fonds d'indemnisation, laissant ainsi un solde d'un peu moins de 14 millions de dollars.

[16]           Ces trois dossiers sont joints par une décision du Tribunal[4] et, par cette même décision, l'instance est scindée.

[17]           Deux autres recours en dommages-intérêts font l'objet d'une entente et d’ordonnances[5] pour qu'ils soient gardés en suspens et qu'éventuellement tout jugement final rendu dans les trois premiers dossiers s'applique à leur réclamation. Ces recours sont intentés ultérieurement par un autre groupe d'assureurs pour un montant de plus de 3.4 millions de dollars (dossier CS #480-17-000102-168) et par une autre catégorie de victimes (dossier CS #480-17-000139-186) qui se sont soustraites à l'action collective. Cette dernière réclamation est pour un montant de plus de 5 millions de dollars.

[18]           Il y a donc, dans les dossiers à l'étude, trois parties demanderesses désignées dans le présent jugement de la façon suivante : pour l'action collective, ce sont les Représentants; dans le recours du gouvernement du Québec, le PGQ; et dans celui des assureurs, Promutuel et als.

[19]           Bien que l'action collective soit d'abord intentée non seulement contre le CP ainsi que MMA, mais aussi contre le dernier conducteur des locomotives de MMA, M. Thomas Harding, celle-ci ne concerne plus maintenant que les deux compagnies ferroviaires. Les Représentants ont été autorisés à se désister contre Thomas Harding[6]. Les deux mêmes défenderesses sont également parties dans les recours intentés par Promutuel et als ainsi que le PGQ.

3.                 LE DÉROULEMENT DES PROCÉDURES ET LE PROCÈS

a)       Les actes de procédure

[20]           Après avoir déposé, en juillet 2013, moins de deux semaines après la tragédie, une première demande d’autorisation d’exercer une action collective, les Représentants, à la suite d’un long processus qui s’échelonne sur un peu moins de deux ans et au cours duquel de nombreuses décisions interlocutoires sont rendues et une audition de près de deux semaines se tient, obtiennent l’autorisation d’exercer leur recours à l’encontre de plusieurs entités impliquées de diverses façons dans le transport du pétrole brut à partir du Dakota du Nord aux États-Unis vers Saint-Jean au Nouveau-Brunswick[7].

[21]           Le cheminement judiciaire d’autorisation est alors, en cours d’instance et à la demande de nombreuses parties, tenu en suspens pendant que le processus découlant d’un plan d’arrangement et impliquant la compagnie soeur de MMA, Montreal, Maine & Atlantique Railway (MMAR) se poursuit.

[22]           C’est dans le cadre de ces procédures résultant de l’insolvabilité envisagée de MMAR que la très grande majorité des entreprises impliquées de près ou de loin dans le transport du pétrole brut contenu dans les wagons-citernes qui déraillent le 6 juillet 2013 à Lac-Mégantic conviennent de participer monétairement, et à des niveaux fort différents, à la constitution d’un fonds d’indemnisation devant servir à compenser, jusqu’à un certain point, l’ensemble des victimes de dommages résultant de ce déraillement[8].

[23]           La première version de l’action collective est ainsi déposée et ensuite signifiée au mois d’août 2015. Celle-ci est par la suite modifiée à quelques reprises afin de tenir compte, entre autres, de la participation de certaines compagnies impliquées dans le fonds d’indemnisation et par voie de conséquence, de l’obtention par celles-ci, initialement poursuivies, de quittances.

[24]           À un certain moment, les Représentants ajoutent également à leur demande initiale la défenderesse MMA et le défendeur Thomas Harding[9]. Cet ajout est essentiellement justifié par la nécessité que ces deux principaux participants aux événements qui provoquent la tragédie puissent être interrogés ou que les autres parties au litige obtiennent de la documentation détenue par les contrôleurs judiciaires de MMA ou MMAR.

[25]           La preuve révèle que tant MMA que Thomas Harding n’ont, d’aucune façon, la capacité financière d’assumer ou de participer de quelque manière que ce soit à l’indemnisation des victimes.

[26]           En cours d’instance, les Représentants obtiennent la permission du Tribunal de se désister de leur action collective contre Thomas Harding puisque celui-ci convient avec eux, en échange d’une quittance et d’un désistement de leur part, de collaborer à la préparation et à la présentation de leur preuve à l’encontre de CP[10].

[27]           Parallèlement aux démarches judiciaires faites par les Représentants, le PGQ d’abord et ensuite Promutuel et als déposent aussi des demandes introductives d’instance à l’encontre de CP et de MMA.

[28]           Ces demandes introductives d’instance font aussi l’objet de modifications ultérieures, entre autres pour tenir compte de certaines indemnisations reçues par ces parties demanderesses à partir du fonds d’indemnisation.

[29]           Puisque les fautes reprochées tant par les Représentants que par le PGQ et Promutuel et als sont de même nature et que les événements ayant causé des dommages à ces trois parties demanderesses résultent du même incident, il est déterminé, à une certaine étape dans le déroulement des procédures, qu’il est approprié de joindre les trois instances et aussi de scinder leur déroulement conjoint afin de ne procéder, dans une première étape, qu’à la détermination de la responsabilité de CP, MMA et Thomas Harding et de ne traiter des dommages que dans une étape ultérieure[11].

[30]           La défenderesse MMA ne comparaît pas par procureur dans ce dossier et ne pose aucun geste dans cette instance judiciaire. Elle ne présente évidemment aucune défense ni aucune preuve.

[31]           Le défendeur Thomas Harding n’est plus, tel que plus haut décrit, partie au dossier et, bien quà une certaine époque il comparaisse par procureur, il ne présente pas, lui non plus, quelque défense ni ne soumet quelque preuve, sauf pour contester certaines requêtes interlocutoires en divulgation de la preuve et qui le concernent[12].

[32]           Le CP produit des défenses particularisées à l’encontre de chacune des requêtes introductives d’instance dans les trois dossiers.

b)       Les interrogatoires au préalable

[33]           Dans le cadre du déroulement de l’instance, treize interrogatoires au préalable hors cour, de plusieurs représentants de MMA, MMAR, CP, Irving Oil limitée (IOL), du PGQ et de M. Thomas Harding se tiennent[13]. Les parties les produisent ensuite au dossier.

c)       Les pièces produites

[34]           À l’appui de leurs actes de procédure et aussi en prévision du procès ou encore pendant le déroulement de celui-ci, les parties produisent plus de 2 800 pièces ou documents différents. Les pièces produites par l’une ou l’autre des parties demanderesses sont toutes cotées sous la lettre P. Elles s’échelonnent de P-1 à P-576a). Celles déposées par le CP portent l’identification CP et sont classées de CP-1 à CP-699. Un nombre considérable de documents contiennent des annexes ou sous-sections et plusieurs d’entre eux comportent plusieurs dizaines et parfois des centaines de pages.

[35]           Pour faciliter le déroulement de l’audience et simplifier la présentation de la preuve et la consultation, en cours d’interrogatoires, des différentes pièces produites, tous les actes de procédure, toutes les pièces produites et tout ce qui est contenu dans l’un ou l’autre des trois dossiers judiciaires sont numérisés dans les semaines précédant l’audience et par la suite déposés dans un dossier judiciaire civil numérisé (DNC) auquel ont accès les parties et le Tribunal.

d)       Les jugements interlocutoires

[36]           Depuis le jugement sur la demande d’autorisation d’exercer un recours collectif rendu le 8 mai 2015[14], le Tribunal se prononce à plus de 35 reprises, à la demande de l’une ou l’autre des parties, sur divers moyens préliminaires liés soit aux actes de procédure mêmes ou au déroulement de l’instance, soit sur la divulgation de la preuve, sur la recevabilité de rapports d’experts ou sur des objections relatives à des questions posées lors d’interrogatoires préalables.

[37]           Une liste, la plus complète possible, avec la date de ces jugements et dans la très grande majorité des cas une description sommaire de leur contenu ainsi que la référence officielle à ces jugements, apparaît en annexe au présent jugement[15].

e)       Les admissions

[38]           Avant le début de l’audience, les parties s’entendent sur un nombre considérable d’admissions qu’elles soumettent au Tribunal en bloc dans un document intitulé Admissions. Ce document comporte trente pages et plus de quarante paragraphes différents[16]. Vu l’importance de ces reconnaissances conjointes, formulées par toutes les parties en lien avec de nombreux éléments liés à plusieurs des événements qui précèdent ou suivent la tragédie, il apparaît approprié de joindre en annexe au présent jugement cette liste d’admissions aussi produite comme pièce CP-616[17].

[39]           De plus, afin d’éviter le déplacement et le témoignage de certains témoins secondaires ou traitant d’aspects techniques, les parties déposent aussi, en cours d’instance et en lieu et place de certains témoignages, des admissions spécifiques relatives à des documents que ces témoins auraient produits ou des précisions qu’ils auraient pu apporter sur divers aspects des événements liés au déraillement. Le témoignage de onze témoins et leur déplacement inutile sont ainsi évités.

[40]           Cela est d’autant utile ou important puisqu’une bonne partie de l’audience se tient du milieu septembre 2021 jusqu’à la mi-juin 2022, soit pendant la pandémie reliée au coronavirus.

[41]           Les parties et leurs procureurs collaborent ainsi  et accomplissent un travail remarquable pour soumettre un nombre considérable d’informations secondaires, mais importantes au Tribunal, sans créer de désagréments ou d’inconvénients inutiles à de nombreux témoins impliqués de manière assez secondaire dans le déroulement du processus judiciaire.

f)         Les expertises

[42]           Les parties demanderesses déposent, dans le processus préalable à l’audition, cinq rapports d’experts différents. En réaction à la production de ces rapports, le CP présente, à l’encontre de deux d’entre eux, une requête en rejet total ou partiel. Le Tribunal se penche ainsi, plusieurs mois avant l’audience, sur ces rapports d’experts et rend jugement à leur sujet[18]. Un de ces rapports est par la suite modifié par les parties demanderesses en lien avec les ordonnances qui le concernent.

[43]           De son côté, le CP dépose lui aussi huit rapports d’experts portant, pour la plupart, sur des sujets traités dans les rapports déjà déposés par les parties demanderesses, mais aussi sur d’autres sujets connexes. Les demanderesses présentent à leur tour une demande de rejet total de trois de ces rapports et de rejet partiel des cinq autres. Encore là, dans une décision concernant ces demandes de rejet, le Tribunal analyse chacun des huit rapports. Il accueille partiellement la requête en rejet quant à six des huit rapports et ordonne ainsi que ceux-ci soient modifiés[19]. Le CP produit ultérieurement, comme demandé, des rapports modifiés.

[44]           En réponse aux huit expertises déposées par le CP, les parties demanderesses transmettent et déposent au dossier quatre expertises additionnelles. Deux d’entre elles sont rédigées par des experts qui ont déjà soumis un premier rapport alors que les deux autres sont préparés par de nouveaux experts. Le CP demande alors, par une nouvelle requête, le rejet de ces quatre rapports additionnels.

[45]           Le Tribunal prononce ensuite, en lien avec cette requête, un jugement par lequel il ordonne le rejet complet d’un des rapports additionnels et le rejet partiel de deux autres. Les parties demanderesses déposent ensuite, en lien avec les ordonnances du Tribunal, trois rapports modifiés et l’un des rapports additionnels est considéré comme étant retiré du dossier.

[46]           Lors du procès chacun des experts, sauf deux, ayant préparé et déposé un rapport soit pour les parties demanderesses soit pour le CP, témoignent. Tous les rapports produits et pour quelques-uns modifiés font partie de la preuve. Toutefois, deux d’entre eux, soit ceux de Maurice Gaudet pour la demande et de Douglas W. Kittle pour le CP, ne sont plus considérés comme faisant partie du dossier.

[47]           Le Tribunal, en cours d’instance, considère ainsi, dans le cadre d’un voir-dire concernant l’un des témoins experts des parties demanderesses, M. Gaudet, que celui-ci n’a pas l’expérience, les qualifications et l’expertise appropriées pour l’éclairer sur les sujets traités dans son rapport[20]. Ce rapport ne fait donc plus partie de la preuve en demande.

[48]           À la suite de cette décision, le CP décide de ne pas faire témoigner son expert, M. Kittle, ni d’utiliser son rapport, puisque celui-ci concerne essentiellement les points traités par M. Gaudet dont le rapport et le témoignage ne font plus partie du dossier.

[49]           Toujours dans le cadre des voir-dire tenus lors de l’audience, les champs d’expertise et les sujets pouvant être traités par certains des experts font l’objet de précisions ou de détermination, parfois à la suite de jugements prononcés par le Tribunal et d’autres fois en raison d’ententes et d’admissions faites par les parties.

[50]           Une liste de chacun des rapports d’experts et qui résume très sommairement leurs champs d’expertise est produite en annexe du jugement[21].

g)       Les témoignages

[51]           Malgré la tenue de plus d’une douzaine d’interrogatoires au préalable et la production d’un nombre considérable de pièces ainsi que l’importance des admissions convenues par les parties, celles-ci doivent quand même, pour présenter les éléments de preuve qu’elles considèrent justifiés afin de démontrer leurs points de vue respectifs, faire entendre plus de 50 témoins ordinaires ou experts.

[52]           Les parties demanderesses font entendre 6 experts et environ 30 témoins ordinaires. Le CP de son côté fait témoigner une vingtaine de personnes, 7 d’entre elles sont des témoins experts et les autres des témoins ordinaires.

[53]           Une bonne partie des témoignages est faite en salle de cour, mais plusieurs d’entre eux se font à distance en utilisant des moyens technologiques tels TEAMS ou ZOOM. Dans certains cas, les parties qui veulent faire entendre des témoins ayant leur lieu de résidence aux États-Unis doivent d’abord obtenir des lettres rogatoires[22]. Par la suite et compte tenu des règles de procédure en application, entre autres dans les états de Floride et du Maine, certains témoins sont entendus dans le cadre d’interrogatoires hors cour, tenus hors la présence officielle du Tribunal, bien que celui-ci y assiste quand même en direct en tant que commissaire rogatoire en utilisant la technologie ZOOM. Les quelques questions posées dans le cadre de ces interrogatoires hors cour et qui soulèvent des objections font par la suite l’objet de décisions quant à leur pertinence ou à leur légalité.

[54]           Tous les témoignages entendus dans le cadre de ce procès, qu’il s’agisse d’interrogatoires préalables à l’audience, d’interrogatoires hors cour tenus à distance ou de témoignages en salle de cour, sont transcrits et chacune des parties ainsi que le Tribunal y ont accès. Certains des témoignages hors cour sont aussi disponibles sur un support audiovisuel. Une liste des témoins entendus est jointe comme annexe 5.

h)       Les plans d’argumentation

[55]           En fin de procès, à la suite d’une cinquantaine de jours d’audience, les parties produisent des plans d’argumentation écrits et soumettent ensuite, pendant une période totale d’environ huit jours, leurs arguments verbaux.

[56]           Les plans d’argumentation pour les parties demanderesses totalisent près de 1 440 pages, comportent plus de 1 180 paragraphes et environ 1 120 notes de bas de page. Celles-ci réfèrent soit à des pièces, soit à des extraits de témoignages ou à de la doctrine et de la jurisprudence.

[57]           Le plan d’argumentation de CP s’étend sur 672 pages, comporte 1 996 paragraphes et contient des centaines de références à des extraits de témoignages, à des pièces ainsi qu’à des citations provenant de la doctrine et la jurisprudence.

[58]           Ces arguments écrits illustrent très bien la très grande qualité du travail accompli par tous les procureurs impliqués dans ce dossier. Ils démontrent également l’ampleur de la tâche à laquelle ils faisaient face afin de couvrir, de la meilleure façon possible et malgré de très nombreuses embûches, tous les éléments pertinents pour que le Tribunal ait en sa possession une preuve élaborée et la plus complète possible en lien avec le très grand nombre de facteurs liés aux causes de cette horrible tragédie du 6 juillet 2013.

4.                 LES CIRCONSTANCES DE L’ACCIDENT

[59]           Les parties résument elles-mêmes dans leurs admissions[23], de manière quand même assez détaillée, la chronologie et divers éléments du transport du pétrole brut[24] à partir de New Town au Dakota du Nord en direction prévue de Saint-Jean au Nouveau-Brunswick. C’est à cet endroit qu’il doit être raffiné par le destinataire et acheteur, Irving Oil Company (IOL). Elles s’entendent également, par ces admissions, sur plusieurs éléments concernant les circonstances du déraillement lui-même.

[60]           Voici ce que la preuve et les admissions démontrent.

[61]           Le 30 juin 2013, un convoi ferroviaire comprenant 78 wagons-citernes chargés de pétrole brut de classe 3 quitte les installations de transbordement de Strobel Straroska Transfer (SST). C’est le CP qui assure, à partir des installations de cette filiale de World Fuel Services (WFS), le transport de ce train unitaire.

[62]           Le document de transport, soit le connaissement (Bill of lading ou BOL) daté du 30 juin 2013, indique que l’expéditeur est une filiale de WFS et le destinataire IOL.

[63]           Le convoi traverse plusieurs états américains ainsi que d’importantes communautés au Minnesota, au Wisconsin, en Illinois et au Michigan. Il arrive au Canada par Windsor en Ontario et se dirige vers Toronto. À cet endroit, des tests de freins sont faits par un inspecteur qualifié de TC le 4 juillet 2013. Le convoi quitte ensuite Toronto alors que les wagons-citernes sont joints à d’autres wagons contenant d’autres matières pour former un ensemble de 120 wagons tirés par deux locomotives.

[64]           Lorsque le convoi arrive à Montréal, il est soumis à une inspection mécanique et de sécurité faite le 5 juillet 2013 par des employés de CP. On y détecte alors certaines problématiques quant à 5 wagons-citernes, lesquels sont retirés du convoi.

[65]           À un certain moment, alors que les employés de MMA sont sur place, à Côte-Saint-Luc sur les voies ferrées de CP, afin de prendre livraison des wagons-citernes, un nouveau convoi est constitué, lequel comporte alors 72 wagons-citernes et 5 locomotives. Ces locomotives appartiennent à MMA.

[66]           Les employés de MMA dirigent alors le convoi, à partir de Côte-Saint-Luc, vers Farnham. Une partie du trajet s’effectue sur les voies du CP jusqu’à ce que débutent celles de MMA, près de Saint-Jean-sur-Richelieu. En gare à Farnham, un inspecteur de TC effectue une inspection mécanique et un test de freinage. Des défectuosités mineures sont constatées sur des wagons et sont immédiatement corrigées sur place par les employés de MMA.

[67]           Au départ de Farnham, le train, désormais identifié comme « MMA-002 », a une longueur approximative de 4 700 pieds. Il pèse environ 10 290 tonnes, contient approximativement 7.7 millions de litres de pétrole brut et est constitué de 5 locomotives, de 2 wagons spéciaux et de 72 wagons-citernes. Il s’agit donc, selon les termes généralement utilisés dans le domaine, d’un train unitaire[25].

[68]           La destination ultime de ce convoi est Saint-Jean, Nouveau-Brunswick. Il doit d’abord, à partir de Farnham, circuler sur les voies de MMA jusqu’à Nantes, municipalité située à quelques kilomètres avant Lac-Mégantic. Il est prévu qu’à cet endroit, le convoi fasse un arrêt pour permettre tant à l’équipage américain devant en prendre la responsabilité le lendemain pour l’amener vers le Nouveau-Brunswick qu’à Thomas Harding qui le laissera à Nantes et qui doit repartir lui aussi le lendemain matin en direction de Farnham avec un convoi de retour comportant des wagons-citernes vides de prendre une pause obligatoire pour la nuit.

[69]           À partir de Farnham, le train est conduit et opéré par une seule personne, un ingénieur de locomotive, M. Harding, qui le contrôle à partir de la locomotive de tête identifiée MMA5017. Il s’agit d’une manière d’opérer que les habitués nomment SPTO, c’est-à-dire un train opéré par une personne seule[26].

[70]           Pendant le trajet, M. Harding signale qu’il éprouve certaines difficultés mécaniques avec la locomotive de tête, ce qui affecte la capacité du convoi de maintenir sa vitesse. D’ailleurs, à l’arrivée du train à Nantes, endroit où il est prévu qu’il sera immobilisé pour la nuit, une fumée blanche et noire ainsi que des gouttelettes d’huile provenant de la locomotive de tête sont observées[27].

[71]           À son arrivée à Nantes vers 22h50, M. Harding immobilise le train en utilisant le système de freinage automatique. Il stationne le convoi pour la nuit sur la voie principale qui comporte une pente descendante. M. Harding applique les freins indépendants et commence ensuite l’application des freins à main sur l’ensemble des locomotives, le wagon spécial[28] et le wagon tampon[29]. Ces freins à main sont ainsi appliqués sur un nombre total de sept unités.

[72]           Certaines vérifications des roues des locomotives, faites après l’accident, indiquent que plusieurs des freins à main qui sont appliqués ne l’auraient pas été de manière sécuritaire ou auraient pu ne pas avoir été appliqués de manière sécuritaire. Cela tend à confirmer que ce sont les freins indépendants qui, au moment où M. Harding quitte le convoi, fournissent l’essentiel de la force de retenue qui immobilise le train sur la pente à Nantes.

[73]           Par la suite, M. Harding arrête le fonctionnement des quatre autres locomotives, ne laissant fonctionner que le moteur de celle de tête.

[74]           Au moment où M. Harding procède à l’application des freins à main, il relâche le système automatique de freins à air, mais le système de freins indépendants demeure toutefois en fonction.

[75]           Les sept freins à main appliqués pour sécuriser le train sont insuffisants pour l’empêcher de bouger sans l’utilisation de la force additionnelle provenant des freins indépendants de la locomotive. Lorsque le moteur de celle-ci est arrêté en raison de l’incendie, aucune autre locomotive n’est mise en fonction et en conséquence, il n’y a plus aucune pression d’air pour le fonctionnement des freins indépendants.

[76]           M. Harding contacte ensuite le contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF) de MMA à Bangor dans le Maine aux États-Unis. C’est celui-ci qui contrôle les convois en direction des États-Unis à partir de Mégantic. M. Harding lui indique qu’il a éprouvé des problèmes avec la locomotive de tête. Ils conviennent alors qu’il laisse le convoi tel quel et que l’on discuterait le lendemain matin des problématiques à ce sujet.

[77]           M. Harding contacte également le CCF situé à Farnham et qui, lui, supervise les mouvements ferroviaires entre Farnham et Lac-Mégantic. Il lui indique que le train est immobilisé et sécurisé. Il l’informe aussi de l’heure à laquelle il termine son quart de travail.

[78]           À peu près au même moment, vers 23h40, un appel est fait au service 911 pour signaler un incendie dans un train à Nantes. Les pompiers de Nantes répondent à l’appel et parviennent à éteindre le feu. Ils arrêtent aussi le fonctionnement du moteur de la locomotive de tête.

[79]           Le CCF à Farnham, Richard Labrie, est avisé par la Sûreté du Québec (SQ) de cet incendie. Il réussit finalement à rejoindre un employé de MMA qui travaille comme contremaître à l’entretien des voies ferrées. Celui-ci se présente à Nantes et est informé, sur les lieux par les pompiers, qu’ils ont utilisé le système d’urgence pour fermer le moteur de la locomotive de tête. Cela a eu pour effet d’arrêter l’incendie. Les pompiers l’informent aussi qu’ils ont fermé des commutateurs électriques dans la locomotive de tête pour éliminer toutes sources potentielles d’incendie.

[80]           Après que le CCF de Farnham soit informé de l’incendie et du fait que le moteur de la locomotive de tête est arrêté, il communique avec M. Harding et l’informe des événements. M. Harding indique au CCF que seule la locomotive de tête a été laissée en fonctionnement et il lui demande s’il doit retourner à Nantes pour mettre en fonction une autre locomotive. Le CCF informe M. Harding que cela n’est pas nécessaire de sorte que celui-ci ne retourne pas sur les lieux et qu’il ne reste plus de locomotive en fonction pour fournir la pression d’air permettant le fonctionnement du système de freinage indépendant.

[81]           En l’absence de fonctionnement du moteur de la locomotive de tête et des autres locomotives, le système de freins indépendants du convoi se relâche lentement faisant en sorte que le convoi n’a plus d’éléments pouvant retarder ou arrêter son déplacement.

[82]           Le nombre de freins à main appliqués par M. Harding fournit alors environ 48 600 livres de force de rétention, soit approximativement 1/3 des 146 700 livres nécessaires pour garder immobilisé le convoi, et ce, en fonction de la pente des voies ferrées, du poids du convoi et de la force de rétention estimée.

[83]           Au moment où M. Harding quitte les lieux, en raison du fonctionnement des freins indépendants qui procurent alors 215 500 livres de force de rétention et du fonctionnement des freins à main appliqués sur sept unités, il y a alors un total de force de rétention de 264 100 livres.

[84]           C’est environ une heure après que le moteur de la locomotive de tête soit arrêté et lorsque la pression provenant des freins indépendants se trouve réduite à environ 97 400 livres, pour un total approximatif d’environ 146 000 livres, que le convoi commence à se déplacer dans la pente.

[85]           Vers 1h00, le 6 juillet 2013, le train commence donc à descendre la pente menant à Lac-Mégantic située à environ 7.2 milles (11.58 km) plus loin. Vers 1h15, le convoi déraille près du centre-ville, laissant ainsi s’écouler près de 6 millions de litres de pétrole brut et occasionnant, par le fait même, un incendie majeur et de multiples explosions.

[86]           Au moment où le train déraille, dans une courbe au centre-ville de Lac-Mégantic, il circule alors à 65 milles à l’heure (104.6 km/h), ce qui est plus de trois fois la vitesse acceptable à cet endroit. La vitesse est ainsi un facteur contributif majeur dans le déraillement.

[87]           En fonction des dommages et de l’endroit se retrouvent les premiers wagons qui déraillent, il est permis de conclure que le déraillement se produit avant le 6e wagon-citerne.

[88]           Ce sont 63 wagons-citernes du convoi, remplis de pétrole, qui déraillent alors. Les 9 derniers wagons-citernes ne déraillent pas. Les locomotives s’immobilisent à environ 4 440 pieds (1 341 km) à l’Est du lieu de déraillement.

[89]           Les voies ferrées entre Farnham et Lac-Mégantic et ensuite vers les États-Unis à partir de Lac-Mégantic sont la propriété de MMAR et c’est MMA qui les exploite. Elles ont été auparavant exploitées par le CP et ensuite par une autre entreprise ferroviaire, Québec-Sud, laquelle les a acquises dans les années1980 de CP.

[90]           Ces voies ferrées sont alors classées par TC, en fonction des règles de la sécurité des voies ferrées, sous la classe 3. La vitesse maximale permise pour les trains de marchandises sur ces voies est donc de 40 mph (64.37 km/h). Toutefois, en raison de certaines conditions desdites voies, la vitesse est réduite temporairement à certains endroits à 25 mph (40.23 km/h) et à certains autres à 10 mph (16.09 km/h).

[91]           Entre Nantes et la gare de Lac-Mégantic située au centre-ville, la pente descendante moyenne est de 0.94 %. La portion la plus abrupte est à 1.32 %.

[92]           M. Harding, l’ingénieur de locomotive responsable du convoi, est qualifié selon les règles applicables, il respecte les normes quant à ses horaires de travail et ses périodes obligatoires de repos. Il a, au cours des 12 mois qui précèdent la tragédie, fait une soixantaine de voyages entre Farnham et Lac-Mégantic et une vingtaine de ceux-ci le sont alors sous le programme SPTO.

[93]           À Nantes, les voies ferrées de MMA sont situées en territoire rural. Elles sont constituées d’une voie principale et d’une voie d’évitement. Les deux sont parallèles à un chemin public.

[94]           À l’endroit où M. Harding immobilise et stationne le convoi, la pente de la voie principale est de 0.92 %.

[95]           Les cinq locomotives en fonction à partir de Côte-Saint-Luc et ensuite de Farnham appartiennent toutes à MMA. La locomotive de tête, MMA5017, est en service depuis 1979.

[96]           Tous les wagons-citernes dans lesquels le pétrole brut est transvidé directement à partir de camions-citernes à New Town au Dakota du Nord sont des wagons de classe 111, communément désignés DOT-111. En 2013, il y a approximativement 228 000 wagons-citernes de ce type en service en Amérique du Nord. De ce nombre, plus de 141 000 sont utilisés pour le transport de matières dangereuses. 98 000 d’entre eux sont particulièrement utilisés pour transporter des matières dangereuses de classe 3 (liquides inflammables).

[97]           Les wagons-citernes utilisés par WFS sont tous loués et ils sont chargés par WFS. Le CP ne possède aucun des wagons-citernes impliqués dans le déraillement.

[98]           Selon le document de transport, soit le connaissement (BOL) daté du 30 juin 2013, l’expéditeur des wagons-citernes est WFS et le destinataire est IOL. Le produit transporté est identifié selon sa dénomination internationale et en anglais de la manière suivante : « UN1267, petroleum crude oïl, Class 3, PG-III ». Il s’agit donc, selon l’identification du produit, de « pétrole brut de classe 3 et du groupe d’emballage III ».

[99]           Le Tribunal aura l’occasion, dans d’autres sections du jugement, de revenir sur certains éléments liés aux circonstances préalables au transport lui-même du pétrole brut et entre autres sur les nombreux échanges et les démarches préliminaires aux ententes conclues entre les intervenants impliqués.

5.                 LE SYSTÈME FERROVIAIRE AUX ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE ET AU CANADA

[100]      Le convoi ferroviaire qui déraille à Lac-Mégantic provient du Dakota du Nord aux États-Unis. Au moment où ce convoi est constitué, par le chargement avec du pétrole brut de plus de 70 wagons-citernes, ces opérations se font aux États-Unis. Les ententes contractuelles en vue du transport de ce pétrole brut à partir des États-Unis vers le Canada sont négociées dans les années et mois qui précèdent le transport. Ces négociations et les ententes qui les suivent se font entre une compagnie américaine, World Fuel Company (WFC), ou sa filiale WFS et le CP, une compagnie canadienne qui exerce toutefois certaines de ses activités ferroviaires aux États-Unis par une filiale qu’elle détient à part entière. MMA ainsi que IOL participent aussi à certains égards à ces discussions.

[101]      Lorsque les documents préalables au transport sont complétés par WFS ou pour son compte par un sous-traitant (SST), ces entreprises doivent évidemment respecter les dispositions de la législation et de la réglementation américaines concernant le transport par voie ferroviaire et de façon plus spécifique, le transport de marchandises dangereuses.

[102]      Lorsque ce convoi entre au Canada et qu’il y circule par la suite, la législation et la réglementation canadiennes doivent évidemment être respectées. Puisque le transport transfrontalier par voie ferroviaire est très fréquent, les autorités gouvernementales américaines et canadiennes s’assurent, en autant que faire se peut, tout en conservant leur juridiction respective et leur autonomie, que les règles puissent être les plus semblables possibles et que différentes mesures de complémentarité et réciprocité soient mises en place.

[103]      À une certaine étape dans le cadre du déroulement des actes de procédure, et bien que la tragédie se soit produite au Québec alors que le pétrole brut est transporté par une compagnie canadienne qui emploie des Québécois pour ces opérations, le Tribunal incite spécifiquement les parties afin qu’elles l’éclairent, de la meilleure façon possible, sur la législation et la réglementation américaines concernant le transport ferroviaire de marchandises dangereuses.

[104]      Le CP obtient alors et dépose deux rapports d’experts portant sur certains de ces aspects. Le premier, préparé par un avocat américain spécialisé dans le domaine du transport, M. Paul Cunningham (le « rapport Cunningham »)[30], établit ce que cet expert, jurisconsulte, considère être, au moment de la tragédie, la loi, la réglementation et l’application jurisprudentielle aux États-Unis quant à divers aspects du transport par train de matières dangereuses. Le CP demande, dans le mandat qu’il lui confie, qu’il réponde à diverses questions pour établir les normes juridiques américaines.

[105]      De plus, le CP produit au dossier une expertise additionnelle d’un ancien dirigeant de compagnies ferroviaires américaines qui a, entre autres pendant sa carrière, œuvré comme avocat et conseiller juridique (le « rapport Marshall »)[31]. Dans son rapport, cet expert traite du développement, au fil des ans, du système ferroviaire en Amérique du Nord ainsi que de l’évolution du domaine réglementaire et des diverses normes et pratiques de cette industrie.

[106]      De leur côté, les parties demanderesses, en réponse à ces rapports d’experts, demandent elles aussi à un juriste américain pratiquant à titre d’avocat dans le domaine du transport aux États-Unis, Peter A. Pfhol, d’éclairer le Tribunal concernant diverses questions juridiques relatives à l’application des tarifs et de la facturation, au choix de trajets, à certains aspects contractuels et à la nature des obligations légales d’un transporteur public (le « rapport Pfhol »)[32]. Ce juriste commente aussi, dans son rapport, diverses affirmations formulées par les experts choisis par le CP, Messieurs Marshall et Cunningham. M. Cunningham réplique ensuite à ce rapport (le « rapport réplique Cunningham »)[33].

[107]      Lors de l’audience, chacune des parties ainsi que le Tribunal ont l’opportunité d’interroger chacun de ces trois experts sur le contenu de leurs rapports respectifs ainsi que sur divers aspects de la législation américaine.

[108]      Sur certains aspects très spécifiques, leurs opinions de ce qui constitue la loi, la réglementation, la doctrine et la jurisprudence américaines diffèrent et ils arrivent également à des conclusions divergentes quant à l’interprétation de certaines dispositions ou quant à l’application de celles-ci, ainsi que concernant certaines règles ou certains usages de l’industrie.

[109]      Le Tribunal considère toutefois que leur implication dans le dossier lui permet d’être bien éclairé sur les principales règles juridiques qui s’appliquent aux États-Unis et leur évolution en ce qui concerne le transport par voie ferroviaire de matières dangereuses et, de façon plus spécifique, du pétrole brut.

[110]      C’est en tenant compte de leurs rapports et de leurs témoignages, mais aussi en fonction des textes législatifs et réglementaires déposés au dossier et de leurs applications jurisprudentielles et doctrinales qu’il est maintenant possible au Tribunal de traiter de divers aspects des règles légales qui s’appliquent aux États-Unis concernant le transport ferroviaire de produits dangereux. Toutes les règles ne sont pas examinées de façon précise, mais les principales, qui ont un lien direct avec le dossier, sont abordées dans ce chapitre.

[111]      D’autre part, en ce qui a trait à l’ensemble de la législation et de la réglementation canadiennes, les parties ne manquent pas, pendant tout le processus judiciaire et lors de leurs diverses interventions pendant et à la fin du procès, de souligner l’ensemble des règles légales applicables au transport ferroviaire de marchandises dangereuses. La législation est ainsi traitée par les parties lorsque pertinente à ce dossier.

[112]      Voici donc un résumé des principales dispositions légales pertinentes au présent litige.

a)       Les principales dispositions législatives et réglementaires américaines qui peuvent être pertinentes au litige

[113]      L’essentiel des lois fédérales aux États-Unis est regroupé et codifié sous l’appellation « United States Code » à laquelle on réfère communément comme « USC ». Les lois fédérales américaines sont divisées par sujet sous 53 titres différents. Le titre 49 s’intitule « Transportation » et il inclut la codification des lois et de la réglementation américaines relatives au transport.

[114]      Le chapitre 49 du USC comporte un nombre considérable de dispositions réglementaires relatives à l’organisation générale du transport ferroviaire entre les divers états des États-Unis ou un pays étranger tel le Canada, ainsi que de très nombreuses dispositions liées à la sécurité des opérations ferroviaires dont, entre autres, celles qui s’appliquent en cas de transport de matières dangereuses.

[115]      Toutes ces dispositions ont entre autres comme objectif d’organiser et de faciliter, par des règles générales, le transport par voie ferrée dans l’ensemble des États-Unis, mais aussi vers et en provenance entre autres du Canada.

[116]      Pour s’assurer que les échanges commerciaux se fassent de la meilleure manière possible, la réglementation établit diverses obligations que doivent respecter les transporteurs ferroviaires pour gérer la fluidité du transport, mais aussi s’assurer qu’il se fasse non seulement de manière efficace, mais également de façon sécuritaire.

b)       Les principaux organismes américains

[117]      Plusieurs organismes supervisent et ont un rôle dans l’application de la législation aux divers intervenants. Il y a, entre autres, le « Surface Transportation Board » (STB). C’est un organisme décisionnel indépendant, une sorte de Tribunal administratif qui a juridiction sur le transport par rail aux États-Unis. Cet organisme a juridiction pour développer de nouvelles règles, établir certaines politiques et émettre diverses ordonnances ou recommandations. Il peut entreprendre des enquêtes et décider de sanctions à la suite de plaintes formelles faites à l’encontre des compagnies ferroviaires dans des matières sous sa juridiction. Ses décisions sont contraignantes et peuvent être exécutées par cet organisme lui-même ou par le Procureur général du Ministère de la justice américaine.

[118]      On y retrouve aussi la « Federal Railroad Administration » (FRA). Cet organisme est établi et œuvre au sein du Ministère du transport américain. Son rôle essentiel est de superviser et d’inspecter l’ensemble des opérations des compagnies ferroviaires aux États-Unis afin de faire respecter les lois concernant la sécurité du transport ferroviaire de juridiction fédérale. Il a donc l’autorité pour mettre en place et faire respecter l’ensemble des règles relatives à la sécurité du transport ferroviaire incluant celles relatives aux voies ferrées, aux wagons, aux opérations et aux heures de service.

[119]      Un autre organisme gouvernemental, lui aussi établi sous la supervision du Ministère américain des transports, est particulièrement dédié à superviser toute la sécurité concernant la manipulation et spécifiquement le transport de marchandises dangereuses. Il voit à faire respecter toutes les lois relatives à la sécurité du transport fédéral de matières dangereuses. Il s’agit du « Pipeline and Hazardous Material Safety Administration »(PHMSA).

[120]      D’autre part, l’ensemble des compagnies ferroviaires américaines qui œuvrent dans le domaine du transport de marchandises, qu’il s’agisse de très grandes entreprises, tels le CP ou de chemins de fer de moindre envergure dits régionaux ou d’intérêt local (CFIL), ainsi que plusieurs transporteurs de passagers sont, pour la plupart, membres d’une association qui se nomme « Association of American Railroad » (AAR) et dont la mission est de veiller à leurs intérêts.

c)       Les principales dispositions législatives et réglementaires canadiennes qui peuvent être pertinentes au litige

[121]      En 2013, le transport ferroviaire au Canada et plus particulièrement l’essence de ses règles de sécurité sont régies par trois textes principaux, soit : la Loi sur la sécurité ferroviaire (LSF)[34], le Règlement sur le système de gestion de la sécurité ferroviaire (Règlement sur la sécurité)[35] et enfin le Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (Règlement d’exploitation)[36].

[122]      Évidemment, tout se fait en lien avec les principes fondamentaux décrits dans la Loi sur les transports au Canada (LTC)[37]. C’est de façon très spécifique en vertu de cette loi qu’il est prévu que pour exploiter un chemin de fer au Canada, il faut être détenteur d’un certificat d’aptitude, lequel est délivré par l’Office des transports du Canada (OTC). C’est aussi en vertu de cette LTC que sont déterminés les principes essentiels qui gouvernent le transport ferroviaire et plus spécifiquement, entre autres, les prix et les conditions visant les services offerts par les transporteurs ferroviaires.

[123]      Des règles semblables à celles appliquées aux États-Unis concernant les contrats confidentiels, les obligations du transporteur public, les règles applicables au trafic d’entier parcours et les règles dinterconnexions s’y retrouvent. Les règles relatives au transfert d’une ligne de chemin de fer ou à la cessation de l’exploitation d’une telle ligne sont également précisées dans cette LTC.

[124]      Différentes dispositions de cette loi concernent l’encadrement de la construction et des modifications d’installations ferroviaires ainsi que divers programmes de subventions dédiées aux travaux concernant la sécurité ferroviaire.On retrouve également dans cette loi diverses règles de nature générale quant à l’exploitation et l’entretien des installations et du matériel ferroviaire.

[125]      C’est sous l’égide de la LSF que le gouvernement peut adopter toute réglementation relative non seulement à l’exploitation ou l’entretien des lignes de chemin de fer, mais de façon plus spécifique quant à tout ce qui concerne la sécurité ferroviaire[38]. C’est aussi en raison de certaines dispositions de cette loi que le ministre peut enjoindre à une compagnie d’établir des règles relatives à la sécurité ferroviaire[39] et ensuite les approuver ou les refuser[40]. À défaut par une compagnie ferroviaire d’établir des règles adéquates et adoptées par le ministre, celui-ci peut en établir lui-même.

[126]      Tout ce processus relatif à la mise en place d’une réglementation ou de règles est sujet à divers modes de consultation et d’approbation.

[127]      C’est aussi en vertu de cette LSF que sont créées les fonctions d’inspecteur de la sécurité ferroviaire et que sont établis les pouvoirs de ceux-ci[41].

[128]      Il est également prévu à cette LSF que le ministre peut prononcer diverses ordonnances relatives à la construction, la modification ou l’entretien d’installations ferroviaires. Il peut aussi intervenir en cas de violation d’un règlement et il peut même, s’il est convaincu que la sécurité ferroviaire est compromise, ordonner la prise de mesures immédiates. Il est également prévu que le ministre peut, s’il estime que le système de gestion de la sécurité  (SGS)  établi par une compagnie présente des lacunes qui risquent de compromettre la sécurité, ordonner à celle-ci d’apporter les mesures correctives nécessaires. Cela va même jusqu’à une possibilité d’intervention immédiate de nature injonctive s’il estime qu’une activité, exercée dans le cadre de l’exploitation ferroviaire, est une menace importante à la sécurité des personnes ou des biens ou à l’environnement[42].

[129]      Cette LSF prévoit aussi que le ministre, sur simple avis, peut enjoindre de mettre fin à toute pratique concernant l’entretien ou l’exploitation d’installation ou de matériel ferroviaire qui risque de compromettre, de façon imminente, la sécurité ferroviaire[43].

[130]      C’est enfin en vertu de cette LSF qu’il est prévu que le gouvernement peut adopter une réglementation concernant la mise en place par une compagnie ferroviaire d’un SGS[44].

[131]      En vertu du Règlement sur la sécurité, les compagnies ferroviaires de compétence fédérale, tels le CP et MMA, ont donc l’obligation d’élaborer et de mettre en application un SGS. Ce Règlement sur la sécurité a pour principal objectif que chaque compagnie ferroviaire établisse un système visant à identifier les risques en matière de sécurité de ses propres activités et à mettre en place les mécanismes adéquats pour minimiser de tels risques. C’est en vertu de ces règles qu’en cas de « modification d’importance apportée aux opérations ferroviaires », une compagnie ferroviaire doit procéder à des évaluations du risque.

[132]      L’implantation de cette réglementation sur la sécurité s’ajoute aux très nombreuses règles établies dans la réglementation fédérale concernant la sécurité des opérations ferroviaires soumises à la juridiction fédérale. Plusieurs de ces règles, prévues dans le Règlement d’exploitation, sont aussi incluses par les diverses compagnies ferroviaires dans leurs propres documentations internes relatives à la sécurité et à l’opération de leurs convois ferroviaires[45].

[133]      Se retrouvent, entre autres dans ces règles, celles relatives à l’immobilisation d’un convoi ferroviaire, à l’application des mesures de freinage et aux tests qui doivent être effectués dans de telles circonstances[46].

[134]      En plus de toute la réglementation relative à l’exploitation ferroviaire sécuritaire au Canada, des dispositions spécifiques s’appliquent au transport de marchandises dangereuses. Les autorités législatives et réglementaires canadiennes ont adopté une législation spécifique à ce sujet dans la Loi de 1992 sur le transport des marchandises dangereuses (LTMD)[47], ainsi qu’une réglementation particulière dans le Règlement sur le transport des marchandises dangereuses (Règlement TMD)[48].

[135]      La loi et la réglementation en matière de transport de marchandises dangereuses imposent différentes responsabilités aux intervenants impliqués dans les opérations de transport. Qu’il s’agisse de l’expéditeur, du transporteur, de l’importateur ou du destinataire, ou de toute personne ou entité impliquée dans la manipulation de ces produits dangereux, les divers intervenants se voient imposer le respect de normes et règles. De plus, en vertu de ces textes législatifs et réglementaires, le ministre désigne des inspecteurs chargés de voir au respect des règles de sécurité relatives à ce transport de matières dangereuses. Les pouvoirs de ces inspecteurs sont étendus tant au niveau de leurs activités de surveillance qu’en ce qui concerne leurs possibilités d’intervention, d’enquête et de poursuite.

[136]      L’ensemble des mesures législatives et réglementaires adoptées au Canada et les pouvoirs accordés à TC, lesquels sont exercés par les inspecteurs ferroviaires et ceux consacrés aux marchandises dangereuses, permettent de conclure que le transport ferroviaire, et de façon plus particulière le transport de marchandises dangereuses par chemin de fer, est largement réglementé bien que, sur plusieurs aspects, le législateur compte sur une participation active et bien organisée des transporteurs ferroviaires.

d)       Les principaux organismes canadiens

[137]      Deux organismes gouvernementaux ont la responsabilité, dans tous les domaines du transport, dont entre autres dans celui du transport ferroviaire, d’établir des règles et d’en assurer le respect, soit TC et l’OTC.

[138]      Selon la politique de TC[49] et en fonction de son rôle déterminé dans la LSF, cet organisme doit voir à la promotion et à la réglementation des pratiques de chemins de fer de juridiction fédérale et aussi voir à leur application.

[139]      TC, en plus d’exercer ses pouvoirs législatifs et réglementaires dans la surveillance des opérations des compagnies ferroviaires, doit s’assurer que les entreprises ont elles-mêmes mis en place leur propre SGS de leurs opérations.

[140]      Les responsabilités du ministre des Transports sont précisées à l’article 3.1 de la LSF. Un mécanisme pour favoriser et assurer l’implication des compagnies ferroviaires dans l’élaboration des règles qui sont adoptées par TC est prévu aux articles 19 et 20 de la LSF.

[141]      Il est toutefois de la responsabilité de TC, évidemment de concert et en collaboration avec les compagnies ferroviaires, de superviser la sécurité de leurs opérations en s’assurant de la promotion, de la surveillance et, si nécessaire, de la réaction et de la sanction en cas de manquement aux règles.

[142]      La politique de TC, en ce qui concerne ces aspects relatifs à la supervision, établit clairement les rôles et objectifs de celle-ci[50].

[143]      Cette supervision, qui n’est évidemment pas quotidienne en ce qui concerne les opérations ferroviaires, s’effectue par l’entremise d’inspecteurs spécialisés, fort souvent d’anciens employés de compagnies ferroviaires. Ceux-ci ont pour rôle d’identifier, de façon générale, les risques à la sécurité ferroviaire et ils ont pour ce faire des pouvoirs étendus, particulièrement lorsqu’ils constatent ou identifient des irrégularités. Ils ont alors à leur disposition une panoplie d’outils d’intervention diversifiés[51].

[144]      Il est même prévu qu’en l’absence d’une contravention spécifique à une exigence réglementaire, les inspecteurs de TC ont quand même la possibilité d’intervenir s’ils identifient un risque imminent[52].

[145]      En vertu de la LTMD, c’est aussi TC qui a la responsabilité de désigner des inspecteurs spécialisés, différents des inspecteurs ferroviaires, pour veiller à ce qu’entre autres, en matière de transport ferroviaire, de telles opérations de transport de produits dangereux se fassent de manière sécuritaire. Ces inspecteurs ont de larges pouvoirs de vérification quant aux contenants utilisés, quant à la marchandise elle-même et quant à la manière dont elle est identifiée, manipulée ou entreposée. Ils détiennent aussi des outils, non seulement de vérification, mais également d’enquête et de dénonciation en vue du dépôt d’accusations pénales en cas de non-respect des règles de sécurité mettant en danger la population ou les intervenants[53].

[146]      Les diverses compagnies ferroviaires canadiennes sont regroupées dans une association qui voit à leurs intérêts et s’occupe aussi de la formation de celles-ci dans plusieurs domaines. Il s’agit de lAssociation des Chemins de fer du Canada (ACFC).Celle-ci a un rôle semblable à l’AAR aux États-Unis.

e)       L’évolution de l’industrie et la déréglementation commerciale

[147]      La preuve révèle qu’il y a plusieurs années tout le système ferroviaire en Amérique du Nord est fortement réglementé et que les compagnies ferroviaires ont, à cette époque, assez peu de marge de manœuvre quant à leur organisation et quant à leurs options contractuelles face à leur clientèle.

[148]      Une déréglementation intervient à la fin des années 1970 aux États-Unis ainsi qu’un peu plus tard au Canada. Ces modifications législatives permettent ainsi aux principales entreprises de transport ferroviaire de se départir plus facilement d’une partie de leurs réseaux, particulièrement ceux qu’elles considérent moins profitables, tout en provoquant, si l’on peut dire, la création de nouvelles compagnies de moindre envergure et souvent plus faciles à gérer.

[149]      Ces compagnies de chemin de fer de type régional ou d’intérêts locaux (CFIL) acquièrent ainsi une multitude de sections de voies ferrées que veulent délaisser ou dont veulent se départir les principales entreprises alors existantes.

[150]      Cela a comme conséquences l’arrivée d’un nombre considérable de nouveaux joueurs dans le domaine du transport ferroviaire, mais aussi, jusqu’à un certain point, la consolidation et la survie de certaines entreprises.

[151]      Cette déréglementation organisationnelle n’a toutefois pas de conséquences spécifiques sur l’ensemble des règles qui existent déjà et sur la création de nouvelles relatives à la sécurité du transport ferroviaire. Des obligations additionnelles sont toutefois imposées aux entreprises ferroviaires avec l’objectif qu’elles se responsabilisent encore plus dans le respect et parfois la mise en place de pratiques opérationnelles sécuritaires.

f)         Les principales règles de base dans le transport ferroviaire tant aux États-Unis qu’au Canada

[152]      Les opérations ferroviaires, particulièrement en ce qui concerne la sécurité dans les opérations, sont largement réglementées. Un nombre considérable d’obligations statutaires relatives à de nombreux éléments opérationnels de sécurité apparaissent tant dans la réglementation américaine que dans celle du Canada.

[153]      Bien qu’il y ait eu une certaine déréglementation organisationnelle et la possibilité, entre autres, pour les compagnies ferroviaires de conclure des ententes particulières et parfois confidentielles avec leur clientèle, diverses obligations liées à la nécessité d’assurer le transport initial de marchandises, mais aussi l’échange de celles-ci avec d’autres transporteurs afin qu’elles se rendent à destination dans l’ensemble de l’Amérique du Nord, demeurent applicables.

[154]      Plusieurs des règles opérationnelles imposées par les autorités gouvernementales ou mises en place parfois de façon conventionnelle par les compagnies ferroviaires sont fondées sur deux principes fondamentaux du transport ferroviaire, soit les obligations du transporteur public et celles relatives aux échanges entre les divers transporteurs.

[155]      Il est assez généralement reconnu, en droit américain ainsi qu’en droit canadien, qu’une compagnie ferroviaire doit transporter toute marchandise qui lui est confiée par un expéditeur en autant que sa demande soit raisonnable. Cette obligation est clairement codifiée au chapitre 49, article 11101 de l’USC, ainsi qu’aux articles 113 et 114 de la LTC.

[156]      Cette obligation du transporteur public est interprétée, à différentes reprises, par les tribunaux et organismes réglementaires comme obligeant les compagnies ferroviaires à accepter de transporter des produits toxiques, des explosifs et même des produits radioactifs.

[157]      Il est aussi reconnu dans le domaine du transport ferroviaire que des compagnies ferroviaires, dont les voies ferrées sont juxtaposées ou reliées entre elles, doivent fournir les installations et les services permettant l’échange des marchandises transportées. Encore là, il semble assez clair que ce n’est qu’en présence de circonstances extraordinaires qu’une compagnie ferroviaire puisse refuser d’échanger la marchandise transportée avec une autre compagnie ferroviaire. Cette obligation est elle aussi codifiée dans la réglementation américaine[54] et elle est l’objet de directives à ce sujet dans des documents émis par l’AAR afin que ses membres en soient bien informés.

[158]      Il ressort également des législations américaine et canadienne que le transport ferroviaire s’effectue généralement au niveau contractuel de deux manières. Le transporteur peut être soumis aux règles générales du transporteur public et à l’obligation de fournir ses services en vertu de coûts publiés sous la forme de tarifs ou d’autres modalités de facturation.

[159]      Il est également permis à une compagnie ferroviaire de conclure des ententes commerciales particulières et parfois confidentielles avec un expéditeur. En règle générale, ce genre d’entente n’est pas soumis à la réglementation du STB ou de TC et de l’OTC.

[160]      Les experts en droit américain qui produisent des rapports et témoignent dans le présent dossier ne s’entendent pas complètement quant au maintien des obligations d’un transporteur public ferroviaire qui conclut ce genre d’entente spécifique avec un expéditeur[55].

[161]      Le Tribunal considère, quant à lui, en fonction des explications données par les experts Cunningham, Marshall et Pfhol, ainsi que de ce qui ressort de la législation et des usages prouvés dans ce domaine, que malgré qu’une compagnie ferroviaire qui conclut une entente confidentielle ne soit pas soumise, quant à celle-ci, à la juridiction du STB ou de l’OTC, cela n’empêche toutefois pas qu’elle demeure obligée, en vertu des principes relatifs aux obligations d’un transporteur public, d’accepter le transport qui lui est demandé, sous des conditions raisonnables, lorsqu’une entente particulière ne peut être conclue.

[162]      En de telles circonstances, le transporteur doit alors faire le transport en utilisant, comme méthode de facturation et de détermination des modalités de celui-ci, un tarif public. En cas de refus, le tout peut être soumis au STB ou à l’OTC.

[163]      Les principes généraux du transport de marchandises par voie ferrée aux États-Unis et au Canada permettent ainsi d’obliger, si aucune entente n’est possible, un transporteur ferroviaire à accepter de livrer, malgré tout, les biens ou marchandises même dangereuses qu’on veut lui confier.

[164]      Cette façon d’offrir ses services en concluant des ententes particulières et même confidentielles, par une compagnie ferroviaire, est relativement récente puisque, jusqu’en 1980, de telles ententes non soumises à la juridiction du STB ou de l’OTC ne sont pas possibles.

[165]      Les législations américaine et canadienne déterminent aussi certaines règles applicables au transport ferroviaire en ce qui concerne la documentation nécessaire pour l’usage des différentes parties aux opérations de transport. Certaines règles établissent des exigences quant à la préparation et à l’utilisation des connaissements ou, selon le terme fréquemment utilisé dans l’industrie, « BOL ».

[166]      Il est assez généralement reconnu que le connaissement sert à prouver l’existence d’un contrat de transport. Il est toutefois aussi reconnu que ce connaissement est souvent complété par des ententes contractuelles additionnelles relatives au prix du transport ou aux tarifs qui s’y appliquent. Ces ententes comportent habituellement les termes et modalités imposés par le transporteur ainsi que les taux du transport.

[167]      Il est aussi reconnu que le connaissement sert à identifier la nature des marchandises transportées et qu’il fournit au transporteur les indications quant à la destination et au parcours. Il indique également, lorsque des produits dangereux sont transportés, que l’expéditeur en a certifié la classification, l’emballage et l’identification adéquate en vue d’un transport sécuritaire.

[168]      Les différentes règles relatives aux mesures de sécurité qui doivent être mises en place dans le cas d’un transport de matières dangereuses ainsi que les normes et obligations réglementaires à leur sujet sont également, pour la plupart, codifiées dans l’USC aux sections 105 à 180 et dans le Règlement TMD de la législation canadienne, aux parties 2, 3 et 4 et plus spécifiquement quant au transport ferroviaire à la partie 10 qui fait largement référence à la législation américaine.

[169]      On y retrouve particulièrement une description des obligations de ceux qui ont des responsabilités préalables au transport comme tel, entre autres quant à l’emballage du produit, la classification de celui-ci, son étiquetage, la préparation des documents d’expédition et la fourniture des informations relatives aux interventions en cas d’urgence.

[170]      Les textes réglementaires américains et canadiens prescrivent aussi les obligations du transporteur, particulièrement en lien avec le transport lui-même, le chargement ou le déchargement des marchandises et lorsquapplicable, l’entreposage de celles-ci.

[171]      Les législations américaine et canadienne établissent aussi les exigences générales qui s’appliquent à toute personne impliquée dans le transport de marchandises dangereuses et particulièrement les expéditeurs et les consignataires.

[172]      Bien qu’il existe parfois des distinctions entre les deux législations, on y retrouve de manière générale des dispositions sinon identiques à tout le moins fort semblables. Cela facilite et simplifie le transport transfrontalier des marchandises, qu’elles soient considérées dangereuses ou non.

g)       Les transporteurs

[173]      La preuve présentée au Tribunal, qu’elle provienne du témoignage de divers témoins impliqués de toutes sortes de façons dans le transport ferroviaire, ou encore d’experts appelés à l’éclairer, entre autres sur l’organisation générale du transport ferroviaire en Amérique du Nord et sur le rôle et les relations entre les transporteurs ferroviaires, permet d’établir que le transport ferroviaire en Amérique du Nord s’effectue par des centaines d’entreprises distinctes. Seulement au Canada, il y en aurait plus d’une soixantaine.

[174]      Parmi celles-ci, on en retrouve quelques-unes (moins de dix) que l’on désigne communément comme des chemins de fer de classe 1. Deux de ces entreprises effectuent une grande partie des opérations ferroviaires au Canada, soit le Canadien National (CN) et la défenderesse, le CP.

[175]      Les compagnies de classe 1 opèrent des réseaux ferroviaires forts étendus, possèdent de très nombreuses voies ferrées, généralement dans plusieurs régions, et ont un chiffre d’affaires impressionnant qui excède pour chacune 440 millions de dollars par année. Ce sont généralement des leaders de l’industrie ferroviaire et leurs organisations respectives sont sophistiquées.

[176]      Les activités de ces compagnies ferroviaires de classe 1 sont, à de très nombreuses reprises, précédées ou suivies dans l’exécution du transport de marchandises par de plus petites entreprises appelées parfois chemins de fer régionaux[56] ou également chemins de fer d’intérêt local (CFIL)[57]. Certains de ces CFIL ont eux aussi des chiffres d’affaires importants. Aux États-Unis, ceux dont le chiffre d’affaires est moins de 447 millions, mais plus de 35 800 000 $, sont considérés de classe 2 et ceux de moins de 35 800 000 $ de classe 3.

[177]      Plusieurs des CFIL sont créés à la suite ou proviennent du démembrement de certaines lignes ferroviaires qui appartenaient aux compagnies de classe 1 avant la déréglementation commerciale permise aux États-Unis au début des années 1980 et un peu plus tard au Canada.

[178]      C’est essentiellement ce qui se produit en ce qui concerne MMA. À l’origine, le réseau ferroviaire de cette compagnie au Canada appartient au CP. Celui-ci obtient la permission de le céder à un autre CFIL et après des difficultés financières de celui-ci, les fiduciaires de la faillite de cette entreprise cèdent, quelques années plus tard, ce même réseau à MMAR et MMA et leur compagnie mère (Rail World Inc.).

[179]      Cette façon de faire est semblable à celles qui se produisent à de très nombreuses reprises au Canada et aux États-Unis il y a une trentaine d’années. C’est ainsi que, profitant de cette déréglementation commerciale, les compagnies de classe 1 cèdent plusieurs lignes de chemin de fer qui sont devenues moins profitables ou moins intéressantes. Les entreprises qui les acquièrent sont plus petites et souvent plus faciles à gérer et elles permettent probablement un meilleur service de proximité et de meilleurs tarifs.

[180]      À plusieurs occasions, les contrats de cession de lignes ferroviaires par des compagnies de classe 1 à des CFIL comprennent des ententes contractuelles prévoyant divers échanges, l’utilisation de droits de passage, des règles et protocoles d’interconnexion ainsi que des ententes de collaboration, de marketing et parfois des limites compétitives. Lorsque MMA acquiert les voies ferrées au Sud-Est de Saint-Jean, de telles ententes interviennent entre MMA, MMAR et CP[58].

[181]      Plusieurs de ces CFIL sont des filiales d’entreprises de gestion ferroviaire. MMA fait elle-même partie d’un conglomérat qui possède plusieurs voies ferrées de type régional aux États-Unis, en Europe et au Canada. Son siège social est situé aux États-Unis[59].

[182]      La preuve révèle que compte tenu de l’étendue de son réseau et du fait qu’elle exerce ses activités ferroviaires au Canada et aux États-Unis[60], MMA peut être considérée comme un chemin de fer régional[61].

h)       Les autres intervenants habituels en matière de transport ferroviaire

[183]      Bien que les intervenants principaux en matière de transport ferroviaire demeurent les entreprises ferroviaires elles-mêmes qui reçoivent, transportent, parfois entreposent et finalement livrent les marchandises qui leur sont confiées en vertu d’ententes contractuelles, confidentielles ou publiques, ou de tarifs publics, d’autres parties sont des intervenants majeurs et sont elles aussi soumises à diverses dispositions législatives ou réglementaires concernant le transport de marchandises, qu’elles soient dangereuses ou non.

[184]      Parmi ces intervenants, il y a évidemment l’expéditeur. C’est souvent lui qui fabrique ou prépare la marchandise, l’emballe ou la met dans des contenants appropriés après en avoir fréquemment fait lui-même l’acquisition ou la location. C’est aussi l’expéditeur qui en fait la classification spécifique, la certifie, procède à l’étiquetage et finalement prépare les documents de transport, soit le connaissement (BOL). C’est aussi, de façon assez régulière, l’expéditeur qui paie les frais de transport.

[185]      Il faut également considérer la présence du destinataire ou consignataire des biens transportés. C’est lui qui est souvent l’acheteur de ces biens et qui évidemment en reçoit la livraison. Il arrive parfois que ce soit lui qui paie les frais de transport. Dans certains cas, lorsqu’il s’agit de biens importés, il assume, avec l’expéditeur, certaines responsabilités qui découlent d’obligations particulières relatives aux marchandises dangereuses.

[186]      Dans le présent dossier, l’expéditeur est WFS. C’est cette entreprise qui paye les frais de transport. Le destinataire ou consignataire, qui agit également au niveau légal comme importateur, est IOL.

6.                 LES CIRCONSTANCES RELATIVES AUX CONTRATS DE TRANSPORT ET LES LIENS À CE SUJET ENTRE WFS, CP, MMA ET IOL

a)       Les principaux intervenants

[187]      Le Tribunal considère, en fonction de l’ensemble de la preuve qui lui est présentée, qu’elle provienne des admissions, des témoignages, des rapports d’experts et de leurs témoignages ou encore des pièces produites[62], et en vertu des principes de la prépondérance de preuve[63], que les circonstances suivantes sont, après analyse, l’essentiel de ce qu’il faut retenir quant aux relations entre les principaux intervenants impliqués dans toute l’opération du transport du pétrole brut à partir du Dakota du Nord en direction de Saint-Jean au Nouveau-Brunswick et quant aux circonstances pertinentes préalables à la tragédie du 6 juillet 2013.

[188]      Il est bien établi que ce pétrole brut provenant de la formation de Bakken, dont une partie est située au Dakota du Nord, est extrait du sol, tel un gaz de schiste, par divers producteurs qui exploitent des centaines de puits de forage. De nombreux témoins, qu’il s’agisse d’employés de WFS, du CP, de IOL ou de MMA, réfèrent, lors de leurs témoignages ou dans le cadre d’échanges écrits produits au dossier, à ce pétrole comme étant du pétrole léger en opposition au pétrole lourd qui, lui, proviendrait plus de l’Ouest canadien ou de la région des sables bitumineux.

[189]      Ce pétrole brut est ensuite, selon diverses circonstances, traité afin d’être d’abord chargé dans des camions-citernes pour être ensuite transporté par ceux-ci vers des centres de transbordement intermodaux. C’est dans ce genre d’installations que le pétrole brut est ainsi transvidé dans des wagons-citernes.

[190]      WFS est une compagnie de classe mondiale, spécialisée dans diverses formes d’énergie et un acteur important dans l’acquisition, le transport et la vente de produits pétroliers de diverses catégories.

[191]      Dans le cadre de ses opérations régulières, WFS acquiert des producteurs pétroliers de très grandes quantités de pétrole brut, supervise elle-même ou par l’un de ses sous-traitants, SST, les opérations de transbordement entre les camions-citernes et les wagons-citernes et conclut des ententes avec divers transporteurs ferroviaires, principalement aux États-Unis, afin d’acheminer les produits pétroliers vers les acheteurs. Ceux-ci sont, en règle générale, des compagnies pétrolières qui possèdent des raffineries qui transforment le pétrole brut. IOL est l’une de ces compagnies pétrolières, cliente de WFS.

[192]      Pour réussir à acheminer le pétrole brut vers les installations de sa clientèle, WFS doit ainsi conclure de nombreuses ententes, que ce soit pour louer les wagons-citernes, procéder à leur chargement dans des installations spécifiques à cette opération, en faire la classification et l’étiquetage et ensuite le faire livrer par voie ferroviaire.

[193]      Avant que le pétrole brut ne soit remis dans des wagons-citernes au transporteur ferroviaire, WFS procède donc elle-même ou par des sous-traitants à la classification du produit, à sa certification, à l’étiquetage des contenants ainsi qu’à la préparation des connaissements (BOL).

[194]      IOL est une compagnie diversifiée, mais qui est principalement reconnue comme spécialisée dans la transformation et la vente de produits pétroliers. Sa raffinerie principale est située à Saint-Jean au Nouveau-Brunswick. Elle y reçoit par voies terrestre, maritime et ferroviaire des produits pétroliers bruts, les transforme et, par la suite, les revend en gros ou au détail. Elle est constamment à la recherche de sources d’approvisionnement pour alimenter sa raffinerie.

[195]      Dans cette optique, IOL entreprend et poursuit elle-même, en 2011, 2012 et même en 2013, diverses démarches auprès de MMA, de CP, de CN et même d’autres compagnies ferroviaires américaines pour vérifier leur intérêt et leur capacité à transporter, vers ses installations, des quantités qu’elle envisage de plus en plus importantes de pétrole brut provenant de l’Ouest canadien et de l’Ouest américain. Les produits qu’elle prévoit transformer peuvent être du pétrole lourd ou du pétrole plus léger[64].

[196]      Le CP est une compagnie ferroviaire d’importance. Elle est qualifiée de compagnie de classe 1. Elle possède tant au Canada qu’aux États-Unis de nombreuses voies ferrées et installations ferroviaires. Son réseau s’étend au Canada, de Vancouver à Montréal et dans de nombreux états américains. Ses opérations américaines s’effectuent par des filiales contrôlées par Soo Line Railway Company, elle-même une filiale américaine entièrement controlée par le CP.

[197]      Le CP se spécialise évidemment dans le transport de nombreux produits dans des trains de marchandises mixtes ou variées communément nommés « trains manifestes » et parfois dans des trains unitaires. Le CP a déjà eu des voies ferrées à l’Est et au Sud de Montréal en direction des États-Unis et des provinces atlantiques, mais s’est départi de celles-ci. En 2013, pour desservir sa clientèle à l’Est ou au Sud de Montréal, le CP doit faire affaire avec le CN, MMA ou d’autres CFIL.

[198]      Au Canada, la principale concurrente de CP est la compagnie ferroviaire du CN. Aux États-Unis, elle est en compétition avec plusieurs autres compagnies de classe 1 dont, entre autres, Burlington Northern and Santa Fe Railway (BNSFR), particulièrement dans le Midwest américain dont le Dakota du Nord. De par la nature fondamentale des opérations ferroviaires, le CP est en constante relation avec de nombreuses compagnies ferroviaires avec lesquelles il se doit de procéder à des interconnexions afin de desservir la clientèle.

[199]      MMA est une compagnie ferroviaire qui fait partie d’un conglomérat américain d’une certaine importance, Rail World Inc. Ce conglomérat exploite diverses voies ferrées régionales dont, entre autres, certaines situées à l’Est et au Sud de Montréal en direction de l’état du Maine et par la suite vers le Nouveau-Brunswick. MMA et sa compagnie sœur MMAR sont des CFIL.

[200]      MMA a un chiffre d’affaires de plusieurs millions de dollars. Ses dirigeants sont des anciens employés ou dirigeants de compagnies ferroviaires d’importance. Ils sont reconnus dans le milieu comme des dirigeants compétents et bien informés de tout ce qui concerne le trafic ferroviaire et sa gestion.

[201]      MMA et le CP ont des relations commerciales fréquentes puisque leurs voies respectives sont interconnectées au Sud de Montréal. MMA a même, par des ententes contractuelles avec le CP, accès à la gare de triage de celui-ci à Côte-Saint-Luc à Montréal afin d’y procéder à des opérations d’interconnexion avec des convois du CP. Les voies ferrées situées au Sud et à l’Est de Montréal et qui sont la propriété de MMA étaient auparavant, pour certaines, la propriété de CP. Une entendre cadre (« Master agreement »[65]) existe entre le CP et MMA et prévoit diverses conditions pour faciliter et promouvoir leurs échanges commerciaux.

[202]      MMA a toutefois également des liens commerciaux avec l’autre compagnie de classe 1 au Canada, le CN, ainsi qu’avec d’autres CFIL avec lesquels elle interconnecte entre autres à Sherbrooke.

[203]      MMA ou MMAR ont aussi des liens commerciaux avec d’autres compagnies ferroviaires de classe 1 ou CFIL aux États-Unis, tels Pan Am, CFX ou BNSFR.

[204]      Parmi les clients réguliers de MMA se trouve IOL. Il lui est arrivé régulièrement de transporter, en direction de ou à partir de Saint-Jean au Nouveau-Brunswick, divers produits, dont du pétrole ou d’autres produits dangereux entre autres vers les installations portuaires de IOL situées dans le Maine.

[205]      Vers la fin des années 2000, l’exploration pétrolière, particulièrement de pétrole de schiste dans la région de Bakken, connaît une croissance fulgurante. Il devient alors impérieux pour les compagnies productrices et les intervenants commerciaux, tel WFS entre autres, en raison de l’insuffisance de véritables pipelines, d’augmenter la capacité de transport de ces produits pétroliers vers les diverses raffineries situées, pour plusieurs d’entre elles, dans le Sud ou l’Est des États-Unis et en ce qui concerne IOL, dans l’Est du Canada au Nouveau-Brunswick.

[206]      Toutes les compagnies de transport ferroviaire, dont évidemment le CP, s’intéressent à ce nouveau marché. Elles y voient toutes une occasion d’affaires des plus intéressantes.

[207]      Jusque-là, le transport de produits pétroliers par wagons-citernes sur les voies ferrées s’effectue régulièrement et depuis de très nombreuses années, mais pas avec l’ampleur que connaîtra cette activité en 2012 et 2013.

[208]      Les compagnies productrices ou les intermédiaires commerciaux, tel WFS, investissent des sommes considérables dans la construction d’installations de transbordement afin que le pétrole brut, au départ placé dans des camions-citernes et transporté sur d’assez courtes distances, soit ensuite transvidé dans des wagons-citernes pour effectuer de longs parcours vers les raffineries.

[209]      Les compagnies pétrolières investissent, elles aussi, pour adapter leurs réseaux ferroviaires afin de desservir ces centres de transbordement.

[210]      WFS, par l’entremise d’une filiale dans laquelle elle détient une participation importante, procède à l’aménagement à New Town au Dakota du Nord d’un tel centre de transbordement, soit Dakota Plains Terminal Services (DPTS). Le CP, qui possède un réseau ferroviaire dans cette région, adapte ses voies ferrées pour être en mesure d’aller chercher les wagons-citernes que WFS voudrait lui confier pour le transport vers les raffineries.

[211]      De nombreux investissements dans des centres de transbordement ou dans l’aménagement de voies ferrées sont ainsi faits à cette époque par plusieurs entreprises pétrolières et par d’autres compagnies ferroviaires, tel BNSFR.

[212]      L’importance grandissante de cette activité de transport de produits dangereux en grande quantité, tout en suscitant un intérêt très marqué chez les différents transporteurs ferroviaires, amène aussi les autorités gouvernementales canadiennes à s’intéresser au phénomène et à s’interroger sur les enjeux de sécurité liés à ce genre de transport. Des comités du Sénat canadien convoquent ainsi de nombreux intervenants, dont entre autres des représentants du CP, afin d’être mieux éclairés sur divers aspects de cette activité et sur ses conséquences diverses.

b)       Les ententes de transport

[213]      Bien que la preuve ne révèle pas trop de détails quant aux négociations préalables à la conclusion de celui-ci, c’est en février 2012 que le premier contrat qui lie le CP avec WFS entre en vigueur pour une durée de cinq mois. Ce contrat, désigné sous la numérotation 166309, prévoit le transport du pétrole brut de New Town vers St. James en Louisiane sur une route partagée entre CP et Union Pacific avec une interconnexion à Chicago[66].

[214]      Les parties concluent à l’époque un contrat confidentiel. Il s’agit d’une entente portant sur le prix et les conditions du transport que les parties conviennent de garder confidentielle entre elles. De telles ententes sont prévues et permises tant aux États-Unis qu’au Canada[67]. Elles permettent aux parties d’éviter que leur entente soit officiellement publicisée dans le cadre d’un tarif public et qu’ainsi toute partie puisse en prendre connaissance.

[215]      À ce stade-ci, le Tribunal tient à préciser que même si les parties demanderesses plaident qu’il n’est permis ou possible au Canada de convenir d’ententes relatives au transport ferroviaire que par des contrats confidentiels ou des tarifs publics, cela n’est pas la réalité[68].

[216]      Les dispositions de l’article 113 (4) de la LTC permettent non seulement la conclusion de contrats confidentiels, mais aussi de tout autre accord écrit. C’est d’ailleurs ce que feront WFS et CP lorsquincapables, après plusieurs mois de négociations et l’utilisation de diverses formes de tarifs, de s’entendre sur tous les termes d’un contrat confidentiel. Elles conviennent quand même, par l’échange de courriels, de plusieurs modalités relatives aux conditions du transport ainsi que du prix pour celui-ci et elles publient par la suite les prix convenus dans ce que CP appellera finalement un tarif à distribution limitée ou, en anglais, « limited distribution tarif » (LDT).

[217]      En mai 2012, à la suite de discussions et négociations avec MMA, une nouvelle annexe est ajoutée au contrat. C’est alors que l’on prévoit le transport du pétrole brut, toujours en partance de New Town, mais en direction de Saint-Jean au Nouveau-Brunswick où IOL possède une raffinerie. L’entente prévoit aussi le transport à partir de Stoughton en Saskatchewan vers Saint-Jean. Dans les deux cas, une interconnexion avec MMA est prévue à Montréal[69].

[218]      La preuve ne permet pas de déterminer clairement si des discussions préalables à la conclusion du premier contrat se font entre CP et WFS quant à la participation de MMA à titre de transporteur de liaison. La preuve révèle par contre qu’avant même de mettre en place cette entente, MMA a des discussions avec l’acheteur potentiel du pétrole, IOL, parfois à la connaissance de CP et parfois sans que celui-ci ne soit d’aucune façon informé ou impliqué dans ces discussions[70].

[219]      Bien que le CP soit considéré, en lien avec l’expéditeur du pétrole WFS, comme le transporteur d’origine et que la très grande majorité des discussions se font entre les représentants de WFS et ceux de CP, il y a à l’occasion des échanges directs qui se font entre WFS et MMA[71]. De plus, la conclusion d’ententes de transport entre WFS et CP n’empêche d’aucune façon WFS de communiquer directement avec l’acheteur du produit transporté, IOL, lorsque cela est utile ou nécessaire et parfois sans que le CP ne participe à ces échanges[72].

[220]      Les discussions entre tous les intervenants portent sur les coûts du transport, mais aussi sur la capacité des transporteurs et de l’acheteur et même du vendeur d’expédier, de transporter ou de recevoir des quantités considérables de pétrole et parfois par « train unitaire ». Il y a même, à un certain moment, des interrogations pour déterminer qui paiera les coûts de transport[73].

[221]      Le contrat initial 166309 expire en juillet 2012. Toutefois, WFS continue d’utiliser les services de CP pour expédier son pétrole vers sa cliente IOL.

[222]      Alors que des discussions se continuent quant au renouvellement du contrat 166309, le CP, en collaboration avec MMA, accepte de poursuivre le transport et utilise alors, aux fins de facturation et en fonction des prix soumis et convenus autant avec MMA pour sa portion du trajet qu’avec WFS, des tarifs qu’il met en place d’une manière plus ou moins claire. Les préposés à la facturation chez CP utilisent alors comme outils de facturation ce qu’ils qualifient de « contrat sans signature » ou de « contrôle d’autorisation post-mouvement »[74].

[223]      Pendant toute cette période, la facturation faite par le CP, à titre de transporteur d’origine, à WFS comprend évidemment la portion du trajet effectué par MMA. WFS accepte les prix facturés et les acquitte régulièrement.

[224]      Pendant l’automne 2012, les échanges se poursuivent entre les responsables chez WFS et ceux chez CP en vue de conclure la signature d’un nouveau contrat confidentiel.

[225]      Vers la fin du mois d’août 2012, IOL manifeste, à certains égards, son insatisfaction quant au service qui lui est offert par MMA. Il met en doute l’efficacité de cette entreprise et envisage de retenir les services du CN à partir de Montréal[75]. Les installations d’IOL à Saint-Jean sont accessibles soit par des voies ferroviaires exploitées par le CN, soit par celles utilisées par MMA. IOL désire donc vérifier les possibilités d’utiliser les services du CN plutôt que ceux de MMA.

[226]      Puisque IOL exprime sa volonté d’avoir une alternative pour remplacer MMA et qu’elle en fait part au CP et à WFS, le CP, à titre de transporteur d’origine, fait des démarches auprès du CN pour obtenir de cette entreprise une tarification pour le transport, sur les voies ferrées de celle-ci et avec ses équipements, du pétrole brut à partir de Montréal vers le Nouveau-Brunswick, mais en passant plus au Nord et plus à l’Est[76].

[227]      Le CP n’est pas très enthousiaste de devoir collaborer avec le CN pour acheminer le pétrole brut qu’il transporte lui-même du Dakota du Nord vers Montréal. Le CN est son principal compétiteur. Le CP craint, s’il fait des affaires avec le CN pour le transport du pétrole vers le Nouveau-Brunswick, que cette entreprise, avec l’aide d’autres transporteurs ferroviaires aux États-Unis, en vienne à lui subtiliser cette opportunité d’affaires très lucrative. Le CP a donc, et de toute évidence, de très nombreux motifs pour favoriser le maintien de son entente avec MMA. Cette entente lui permet entre autres d’avoir un accès vers l’Est du Canada ainsi que vers la côte Est américaine sans devoir transiger avec le CN.

[228]      Malgré tout, après plusieurs contacts, le CP obtient un tarif du CN et détermine lui-même, pour sa portion du trajet en fonction d’une interconnexion avec le CN à Montréal, un nouveau taux[77].

[229]      WFS est loin d’être satisfaite des premières propositions qui lui sont faites par le CP avec la collaboration du CN. Le CP discute de nouveau avec le CN et les deux entreprises, en vue de satisfaire autant que faire se peut les exigences tarifaires de WFS, formulent une nouvelle proposition qui sera éventuellement incluse dans un tarif officiellement offert à WFS et accepté par celle-ci.

[230]      Il en résulte qu’à l’automne 2012, deux trajets sont désormais disponibles à partir de New Town au Dakota du Nord vers Saint-Jean au Nouveau-Brunswick. Celui utilisant les voies de MMA et le nouveau négocié avec le CN. Le tarif avec le CN est plus élevé de 800 $ le wagon-citerne. Le CP justifie cette différence en raison des tarifs différents soumis par MMA et le CN pour leur portion respective du trajet, mais aussi parce qu’il prévoit lui-même un taux plus élevé pour sa portion de trajet s’il doit faire l’interconnexion avec le CN plutôt que MMA.

[231]      La preuve révèle que pour l’essentiel, le CP justifie cette augmentation de tarifs pour sa portion parce qu’il n’est pas intéressé à collaborer avec le CN afin de protéger ses parts de marché, mais aussi en partie parce qu’une interconnexion avec le CN à Montréal implique des dépenses additionnelles par rapport à une interconnexion avec MMA qui vient elle-même chercher les wagons directement dans la gare de triage à Côte-Saint-Luc.

[232]      Bien que ce nouveau trajet soit maintenant offert, suite à leur demande, à WFS et par voie de conséquence IOL qui s’était plainte du service de MMA, ces deux entreprises continuent à utiliser le trajet qui implique les services de MMA.

[233]      La preuve révèle que les plaintes de IOL sont discutées non seulement par cette entreprise avec le CP, mais aussi directement avec les responsables chez MMA. Les explications fournies par cette dernière ainsi que les engagements qu’elle prend face à IOL résultent dans la continuation de l’utilisation des services de MMA et la non-utilisation de ceux du CN.

[234]      Il n’y aura donc, à partir de l’automne 2012 jusqu’au moment de la tragédie, aucun transport de produits pétroliers en provenance de New Town qui sera transféré, à partir de Montréal, par le CP au CN malgré les discussions à ce sujet.

[235]      La preuve démontre que MMA réussit, entre autres sur l’insistance du CP et en adoptant diverses mesures quant à ses opérations, à améliorer la qualité de son service. Il faut évidemment constater qu’il en coûte passablement moins cher à WFS, et par voie de conséquences à l’acheteur IOL, d’utiliser les services de MMA et ses voies ferrées que celles du CN.

[236]      En janvier 2013, alors que les discussions s’éternisent et que le CP semble peu enclin à continuer de facturer selon les méthodes temporaires utilisées à l’automne 2012, divers échanges de courriels entre les responsables chez CP et chez WFS[78] permettent de constater que même si certains éléments spécifiques semblent encore faire l’objet de désaccords profonds, il y a quand même un accord évident de volonté sur plusieurs autres éléments. En conséquence, le CP informe WFS que jusqu’à la conclusion d’un contrat confidentiel officiel, il procédera aux opérations du transport du pétrole brut en vertu de ces ententes et d’un tarif à distribution limitée identifié comme LDT-2248[79].

[237]      Le Tribunal conclut, de l’analyse des échanges de courriels survenus à l’automne 2012 ainsi qu’en janvier 2013, des documents produits et des témoignages entendus, que les parties impliquées dans la négociation du contrat de transport en viennent à des ententes claires quant à l’essentiel de leurs droits et obligations respectifs.

[238]      Après avoir fait parvenir, à la fin décembre 2012, un document corrigé quant aux propositions du CP pour le renouvellement de l’entente de transport, de nouvelles discussions entre Carlos Cuervo, principal responsable des négociations chez WFS, et Keegan Loxam, porte-parole de CP auprès de WFS, permettent aux parties de limiter considérablement leurs points de désaccord et de s’entendre sur une façon de fonctionner dans l’intérim jusqu’à ce que l’on finalise ce qui reste en suspens.

[239]      Il ressort clairement de l’échange des courriels sur le sujet en janvier 2013 que les parties contractantes conviennent de laisser le soin à leurs procureurs de finaliser les discussions sur l’aspect responsabilité et qu’entre-temps, tout cet aspect est régi par les Tarifs généraux du CP qui traitent de ce sujet.

[240]      Il y a également entente quant à la durée du contrat, la manière de structurer les taux de transport, entre autres en ce qui concerne la définition de train unitaire, les rabais devant être accordés, les clauses d’indexation requises par certains transporteurs de connexion, dont MMA, les engagements quant à un volume minimum, et celles quant à diverses conditions relatives au niveau de service. Il s’agit de la grande majorité des sujets ayant fait l’objet de discussions.

[241]      De façon très claire, tous ces éléments font l’objet d’un accord et les coûts du transport, à partir de New Town au Dakota du Nord vers une dizaine de destinations où se trouvent les clients de WFS, sont spécifiquement précisés et font ainsi l’objet d’une entente.

[242]      Conformément aux discussions et à l’engagement pris par le CP, tous ces éléments sont ainsi convenus et ceux essentiels à la facturation et au partage entre les différents transporteurs sont inscrits dans un Tarif temporaire (LDT), jusqu’à la conclusion finale d’un contrat définitif et complet. Cela est nécessaire afin que la facturation du transport et le partage des paiements entre les divers transporteurs se fassent par le système centralisé Interline Settlement System (ISS)[80]. Ce LDT porte l’identification LDT2248 et sera mis en place et utilisé à compter du 16 janvier 2016. Avant cette date, les dernières facturations pour le transport fait vers Saint-Jean à la demande de WFS le sont par une prolongation temporaire du contrat 168598[81].

[243]      Dans cet échange entre les représentants de CP et de WFS, il est spécifiquement précisé que ce LDT sera soumis à tous les paramètres des « Tarifs » du CP[82].

[244]      Il y a donc, aux yeux du Tribunal, une convention claire entre WFS et CP afin que le transport de pétrole brut à partir de New Town vers Saint-Jean, ainsi que vers d’autres destinations aux États-Unis où se trouvent les installations des clients de WFS, se réalise en vertu d’un accord sur les coûts et plusieurs conditions, tant et aussi longtemps que tous les termes d’un nouveau contrat ne seront pas finalisés. Des coûts différents sont prévus pour chaque wagon-citerne transporté, s’ils le sont dans des convois de « train unitaire » ou de « train manifeste ».

[245]      WFS est clairement d’accord quant aux conditions du transport, particulièrement quant aux coûts et aux règles qui s’y appliquent.

[246]      WFS reconnaît d’ailleurs, dans un document interne contemporain à la tragédie et que le Tribunal accepte en preuve du consentement des parties, tout en le conservant sous scellés[83], que c’est elle qui doit identifier les convois, le nombre de wagons, la date d’expédition et sa destination.

[247]      WFS reconnaît aussi que cet accord quant au transport des produits pétroliers réfère à d’autres documents qui décrivent en détail les conditions gouvernant le service, dont entre autres le « Tarif 1 ». Elle reconnaît aussi que d’autres conditions que l’on retrouve dans les tarifs 1, 2, 5, 6 et 8 s’appliquent à l’entente de transport convenue avec le CP.

[248]      WFS affirme aussi dans ce document qu’elle poursuit encore, en début juillet 2013, la négociation d’un contrat devant couvrir tous ses liens avec le CP dans les années futures. Ce contrat devait éventuellement remplacer les différents accords de tarifs en place au moment de l’accident.

[249]      Le Tribunal considère donc que tous les éléments importants et significatifs relatifs au transport du pétrole brut entre New Town et Saint-Jean, Nouveau-Brunswick, sont, en ce qui concerne les coûts, couverts par les ententes reproduites dans les échanges de courriels et quant aux conditions dans le LDT-2248, et que ce transport de pétrole est aussi soumis aux différentes conditions générales exigées ou imposées par le CP à sa clientèle générale par ses tarifs publiés. Ce ne sont que pour les éléments qui peuvent faire l’objet de conditions particulières différentes et négociées spécifiquement entre le CP et WFS, et dont il est question dans leur échange de courriels, que les règles prévues dans ses tarifs peuvent ne pas s’appliquer.

c)       L’implication des divers « partenaires »

[250]      Le Tribunal considère donc que toutes les parties impliquées dans cette opération de transport du pétrole brut à partir de New Town vers Saint-Jean y jouent un rôle important et qu’elles participent ainsi, d’une manière ou de l’autre, à la conclusion des ententes relatives aux coûts du transport et aux conditions de celui-ci. Aucun des coûts ni aucune des conditions ne sont imposés sans que chacune des parties n’ait eu la possibilité de faire valoir ses propres exigences.

[251]      Certes, les rôles de WFS et de CP, en tant qu’expéditeur et transporteur d’origine, sont, en raison des règles ainsi que des us et coutumes en matière de transport ferroviaire, plus importants quant à la mise en place des ententes et la complétion de la documentation nécessaire au transport (tarifs, contrats confidentiels, certification de la marchandise et étiquetage, préparation des documents d’expédition (BOL), facturation) que celui de IOL ou de MMA.

[252]      Toutefois, l’implication du consignataire et du transporteur de liaison dans le présent litige est réelle et active. L’importance pour IOL d’assurer ses sources d’approvisionnement et un flux régulier de pétrole brut vers sa raffinerie et pour MMA de protéger, jusqu’à un certain point, sa survie financière par l’exécution de ce contrat de transport important et lucratif font en sorte que ni l’une ni l’autre ne laisse à WFS ou à CP l’entière responsabilité de la négociation ni carte blanche.

[253]      Lorsque l’une ou l’autre de ces quatre entreprises le jugent nécessaire, soit dans le cadre des négociations initiales ou par la suite lors de celles relatives à un renouvellement du contrat ou encore dans le cadre de l’exécution de celui-ci, elles n’hésitent pas à communiquer entre elles et à se parler directement. La preuve révèle qu’elles le font pour discuter des coûts de transport et des conditions de celui-ci, mais qu’elles le font aussi pour gérer le respect des horaires ainsi que l’arrivée et le départ des wagons[84]. MMA le fait aussi directement avec IOL lorsque cette dernière se plaint de la qualité du service[85]. MMA le fait encore directement auprès de IOL lorsqu’elle désire obtenir plus de précisions quant à la nature du produit transporté, particulièrement quant à sa viscosité et les problématiques en cas de déversement[86]. IOL répond d’ailleurs aux interrogations de MMA à ce sujet.

[254]      Bien que l’essentiel des discussions a lieu entre l’expéditeur WFS et le transporteur d’origine CP et que les ententes, eu égard aux us et coutumes ainsi qu’aux règles en matière de transport ferroviaire, se font principalement entre le transporteur d’origine et l’expéditeur, il n’en demeure pas moins que le consignataire CP ainsi que le transporteur de connexion MMA ont leur mot à dire et participent directement à plusieurs échanges en tant que parties prenantes à ce transport. Elles doivent être considérées comme de véritables « partenaires » dans le sens utilisé par les habitués du transport ferroviaire.

7.                 LES FAUTES REPROCHÉES AU CP

[255]      Tout le processus judiciaire par lequel les parties demanderesses recherchent la responsabilité de MMA, mais surtout de CP, débute d’abord par les démarches afin d’obtenir l’autorisation d’exercer une action collective. Lorsqu’à la suite d’auditions relatives à cet aspect le Tribunal autorise cette action collective, plusieurs éléments fautifs différents sont invoqués par les Représentants de sorte que plusieurs questions communes sont alors posées afin que le Tribunal puisse y répondre.

[256]      Parallèlement à cette action collective intentée par les Représentants, les deux autres parties demanderesses invoquent, elles aussi, dans leur requête introductive d’instance initiale et par la suite modifiée, un ensemble de gestes fautifs reprochés à MMA et au CP.

[257]      Tout au cours du déroulement du procès, en raison de la preuve présentée et ensuite particulièrement lors de la présentation des arguments, l’ensemble des parties demanderesses ciblent mieux les fautes reprochées par l’une ou l’autre au CP.

[258]      Il en résulte que les gestes fautifs maintenant reprochés par les parties sont généralement de même nature, mais présentés toutefois par chacune d’elles d’un point de vue un peu différent.

[259]      Il apparaît approprié, avant d’entreprendre initialement l’analyse de chacun des reproches formulés à l’encontre du CP et ensuite des autres parties impliquées, d’en faire un résumé le plus spécifique possible.

[260]      Voici donc ce que les parties demanderesses reprochent d’abord à la partie défenderesse CP. La description est présentée en fonction de chacune de ces parties demanderesses.

a)       Par les représentants

[261]      Dans le cadre de la présentation de leurs arguments écrits, les Représentants confirment qu’ils réduisent la liste des fautes spécifiques reprochées aux CP à deux éléments principaux, soit :

a) le choix du trajet en raison des pratiques non sécuritaires de MMA à la connaissance du CP;

b) les fautes du CP en lien avec la mauvaise classification du pétrole brut provenant de la région de Bakken.

[262]      Les représentants considèrent ainsi que les fautes désormais reprochées sont couvertes par cinq des questions communes précisées dans le jugement d’autorisation, soit celles décrites spécifiquement de la manière suivante :

1. CP a-t-il été négligent dans le cadre de ses discussions et négociations avec WFS pour le choix du trajet afin d’acheminer les liquides de schiste de New Town au Dakota du Nord vers Saint-Jean au Nouveau-Brunswick et a-t-il eu un rôle prépondérant et fautif dans la détermination finale du trajet et par voie de conséquence, du transporteur utilisé?

2. CP a-t-il été négligent en choisissant, suggérant, recommandant ou permettant que les liquides de schiste acheminés à partir de New Town au Dakota du Nord vers Saint-Jean au Nouveau-Brunswick le soient sur la voie ferrée propriété du transporteur ferroviaire MMA?

3. CP savait-il ou aurait-il dû savoir que les liquides de schiste acheminés à partir de New Town au Dakota du Nord vers Saint-Jean au Nouveau-Brunswick, dans les wagons-citernes DOT-111, étaient mal classifiés et identifiés?

4. CP savait-il ou aurait-il dû savoir que les liquides de schiste acheminés par transport ferroviaire à partir de New Town au Dakota du Nord vers Saint-Jean au Nouveau-Brunswick étaient plus volatils, explosifs et inflammables que du pétrole brut typique?

5. Si les liquides de schiste transportés à la demande de WFS étaient mal classifiés et identifiés conformément à la législation en vigueur et aux règlements d’application, ces erreurs de classification et d’identification sont-elles la cause ou ont-elles favorisé l’incendie, les explosions et la contamination qui ont suivi le déraillement du 6 juillet 2013 à Lac-Mégantic?

b)       Par le PGQ

[263]      Dans son plan d’argumentation écrit, soumis lors de la dernière étape du procès, le PGQ décrit la faute reprochée à CP de la manière suivante :

« Ne pas avoir procédé à une analyse des risques qu’impliquait le transport de pétrole brut de Bakken au Dakota du Nord jusqu’à la côte est canadienne. »

[264]      De façon plus précise, le PGQ considère que le CP, compte tenu des changements opérationnels significatifs qui découlent de l’opportunité d’affaires que constitue le transport massif de pétrole brut, se devait, avant d’entreprendre la réalisation de ce contrat, de procéder à une analyse de risques à titre de transporteur d’origine qui met en place un tarif d’entier parcours.

[265]      Le PGQ affirme que cette analyse de risques, prévue au Règlement sur le système de gestion de la sécurité ferroviaire (Règlement SGSF)[87] est nécessaire en fonction de la dangerosité du produit transporté, du fait que l’on envisage un envoi massif par trains unitaires, des risques découlant des voies ferrées opérées par MMA et de la mauvaise réputation, connue du CP, de cette compagnie en matière de sécurité ferroviaire et de pratiques opérationnelles.

c)       Par les assureurs

[266]      De façon générale, Promutuel et als reprochent au CP diverses fautes dans la gestion de l’ensemble de l’opération de transport en lien avec le manque de renseignements obtenus et transmis quant à la classification et la dangerosité du produit et quant aux risques liés au transporteur de connexion, soit MMA.

[267]      De façon plus spécifique, Promutuel et als affirment que le CP commet des fautes en ne se renseignant pas adéquatement sur la nature du produit transporté même s’il y a des indices que celui-ci est mal classifié par WFS. Pour ces demanderesses, CP omet de tenir compte des multiples éléments spécifiques qui lui permettent d’identifier cette mauvaise classification du produit.

[268]      Promutuel et als considèrent aussi que le CP omet de renseigner adéquatement MMA sur la dangerosité du produit transporté.

[269]      Promutuel et als plaident aussi que le CP commet des fautes en confiant du pétrole brut mal classifié à MMA, d’autant que le CP sait ou doit savoir que cette entreprise opère dans des conditions qui ne correspondent pas aux risques encourus par ce transport de matières dangereuses.

[270]      Enfin, Promutuel et als reprochent au CP d’omettre d’aviser WFS des risques d’opérer avec MMA vu les difficultés financières et opérationnelles de cette dernière.

8.                 LES FAUTES REPROCHÉES AUX AUTRES INTERVENANTS

[271]      À l’exception de MMA, l’ensemble des autres parties intervenantes, d’une façon ou de l’autre, dans le transport du pétrole brut de New Town vers Saint-Jean, ne sont pas impliquées directement dans ce dossier en raison des quittances obtenues suite à leur participation dans le fonds d’indemnisation.

[272]      Malgré cela, la preuve faite lors du procès et les arguments présentés ensuite par chacune des parties demanderesses font état et réfèrent à plusieurs éléments fautifs reprochés ou non à l’ingénieur de locomotive Thomas Harding, à son employeur MMA, à l’organisme qui supervise la réglementation et la sécurité du transport ferroviaire au Canada (TC), à l’expéditeur des produits pétroliers (WFS), qui a entre autres la responsabilité de classifier et de certifier la nature du produit dangereux transporté, et finalement à IOL, le consignataire, acheteur et importateur du pétrole brut en vue d’en faire le raffinage.

[273]      Pour l’essentiel, voici pour chacun de ces participants liés à cette opération de transport ou à sa surveillance les fautes reprochées.

a)       Thomas Harding

[274]      Les principales fautes reprochées, parfois par les parties demanderesses, mais surtout par le CP, à l’ingénieur de locomotive Thomas Harding sont :

1.  De ne pas appliquer suffisamment de freins d’urgence en contravention avec la règle 112 du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada.

2. De ne pas effectuer les tests appropriés et nécessaires pour s’assurer de la suffisance des freins appliqués et de leur efficacité.

3. De ne pas retourner sur les lieux lorsqu’il est informé que la locomotive de tête, la seule encore en fonction au moment où il laisse le train sans surveillance, n’est plus en opération parce son fonctionnement est arrêté par les pompiers lorsqu’ils interviennent pour faire cesser le feu dans la cheminée de cette locomotive.

b)       MMA

[275]      L’ensemble de la preuve soulève quant à MMA divers reproches ou diverses fautes formulés par l’une ou l’autre des parties :

1. D’abord en tant qu’employeur de Thomas Harding, les fautes commises par celui-ci.

2. À cela s’ajoutent des reproches concernant ses lacunes institutionnelles dans la gestion, la supervision et l’organisation de la sécurité de ses opérations ferroviaires.

3. Également les négligences dans l’entretien de son matériel roulant, particulièrement ses locomotives.

4. Enfin, certaines manières d’opérer dont, entre autres, l’utilisation du système SPTO et le stationnement sans surveillance, sur la voie principale en haut d’une côte, de convois importants comportant une grande quantité de matières dangereuses.

c)       TC

[276]      Confronté d’abord par les allégations dans les actes de procédure et ensuite lors du procès par les reproches à son encontre en lien avec les fautes commises par MMA dans ses opérations, le CP plaide que ce n’est aucunement de sa responsabilité de superviser les opérations de MMA ou d’inspecter la condition des voies ferrées de cette entreprise.

[277]      Le CP considère plutôt que cette responsabilité relève clairement du mandat consacré à TC en vertu des lois et de la réglementation gouvernant la sécurité du transport ferroviaire au Canada.

[278]      Le CP affirme que TC a tous les pouvoirs et toute la juridiction nécessaires et appropriés pour superviser tous les aspects sécuritaires des opérations des compagnies ferroviaires canadiennes et que cet organe gouvernemental détient aussi les pouvoirs de développer la réglementation, les règles de fonctionnement et les exigences à ce sujet.

[279]      Le CP plaide que TC possède également les moyens législatifs et réglementaires pour superviser le respect, par l’industrie ferroviaire, des règles et normes d’opération et de sécurité par l’entremise d’inspections et de vérifications faites par ses inspecteurs et qu’il lui est également possible de mettre en place et d’appliquer les mesures incitatives ou coercitives adéquates pour favoriser le respect des règles.

[280]      Le CP reproche à TC de mal exercer ses obligations réglementaires et de ne pas intervenir en temps utile et approprié lorsqu’il constate, au fil des ans et de façon récurrente, les nombreux manquements de MMA et de ses employés en matière de sécurité. Le CP soumet également que TC ne s’assure pas, alors qu’il en a la possibilité et l’obligation, que les SGS au sein de MMA sont implantés correctement et ensuite suivis adéquatement.

d)       WFS

[281]      S’il est un fait qui s’avère à peu près incontestable dans le présent dossier, c’est la mauvaise classification donnée par WFS, dont c’est la responsabilité initiale à titre d’expéditeur, quant au groupe d’emballage du pétrole brut expédié par train.

[282]      À peu près tous les intervenants dans ce dossier reconnaissent que le pétrole brut qui s’échappe des wagons-citernes le 6 juillet 2013 aurait dû être classifié comme produit pétrolier de Classe 3, Groupe d’emballage II ou I (Classe 3, PG-II ou PG-I), alors qu’il est plutôt classé comme Classe 3, PG-III.

[283]      Cette mauvaise classification apparaît sur les documents de transport préparés par WFS ou son sous-contractant.

e)       IOL

[284]      IOL est l’acheteur ou consignataire du pétrole brut expédié par WFS. À ce titre, cette entreprise en tant qu’importateur assume, en vertu des lois canadiennes, au même titre que l’expéditeur, la responsabilité de la classification des produits dangereux qui lui sont expédiés.

[285]      La mauvaise classification du produit est donc aussi de sa responsabilité.

9.                 LES PRINCIPES FONDAMENTAUX DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE

[286]      Aucune des parties impliquées dans le présent dossier ne conteste ni ne met en doute que ce sont les règles de la responsabilité civile québécoise et donc fondamentalement celles d’abord établies en vertu du Code civil du Québec et ensuite interprétées par les tribunaux de droit civil qui s’appliquent pour déterminer la responsabilité des intervenants et particulièrement celle de MMA et de CP dans cette tragédie du 6 juillet 2013.

[287]      Ce sont donc à prime abord les dispositions de l’article 1457 C.c.Q. qui doivent guider le Tribunal dans son analyse des circonstances qui précèdent cet accident. Il apparaît opportun de reproduire les dispositions de cet article fondamental en droit civil québécois :

« 1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s’imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.

Elle est, lorsqu’elle est douée de raison et qu’elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu’elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu’il soit corporel, moral ou matériel.

Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d’une autre personne ou par le fait des biens qu’elle a sous sa garde.

1991, c. 64, a. 1457. »

[288]      Les dispositions du premier alinéa de cet article 1457 C.c.Q. établissent de façon concise, mais très spécifique, ce que doivent analyser les tribunaux dans la détermination de la responsabilité d’une personne, physique ou morale, lorsqu’un préjudice survient.

a)       La Faute

[289]      Cet article impose un devoir de respecter les règles de conduite. Ces règles de conduite s’analysent à la lumière des circonstances, des usages ou de la loi.

[290]      Dans leur traité, qui constitue une référence majeure auprès des juristes québécois, les auteurs Jean-Louis Baudouin, Patrice Deslauriers et Benoît Moore décrivent ainsi ce devoir général de respecter les règles de conduite :

« La conduite est donc appréciée par rapport à la norme générale d'un comportement humain socialement acceptable, même si toute transgression de la norme sociale n'est pas constitutive de faute civile. La conduite reprochée doit avoir été contraire soit au standard imposé par le législateur, soit à celui reconnu par la jurisprudence. C'est donc la violation d'une conduite jugée acceptable législativement ou jurisprudentiellement qui emporte l'obligation de réparer le préjudice causé. L'article 1457 C.c. donne cependant une indication en précisant que cette norme de conduite peut résulter des usages, ou de la loi. Le terme « loi » doit être entendu dans un sens large, incluant à la fois les normes législatives et réglementaires. Il en va de même du terme « usage » lequel ne doit pas être restreint à son seul sens technique, comme source formelle du droit, mais inclut aussi, par exemple, les normes établies par la jurisprudence dans certaines circonstances données ou encore les normes professionnelles. La jurisprudence a également souvent recours, à juste titre, à diverses règles de « soft law » ou droit mou, que ce soit des règlements d'associations ou de fédérations sportives ou des recommandations de sécurité d'une association ou d'un ministère. »[88]

(Références omises)

[291]      La Cour suprême du Canada, dans une décision assez récente, a eu l’occasion de revisiter ces règles de la responsabilité civile en droit québécois et elle définit ainsi ce qu’est une faute extracontractuelle :

« En droit civil québécois, l’art. 1457 C.c.Q. impose à toute personne « le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s’imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui ». Une faute civile extracontractuelle survient lorsqu’une personne douée de raison manque à ce devoir en se comportant d’une manière qui s’écarte de la conduite qu’une personne raisonnable, prudente et diligente aurait eue dans les mêmes circonstances (Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette, 2008 CSC 64, [2008] 3 R.C.S. 392, par. 21; Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR inc., 2011 CSC 9, [2011] 1 R.C.S. 214, par. 24; J.L. Baudouin, P. Deslauriers et B. Moore, La responsabilité civile (8e éd. 2014), vol. 1, no 1-182 et 1-195; V. Karim, Les obligations (4e éd. 2015), vol. 1, par. 2505, 2508 et 2514-2515). En ce sens, la faute est un « concept universel » qui s’applique à toute action en justice fondée sur l’art. 1457 C.c.Q. (Ciment du Saint-Laurent, par. 33, citant P.G. Jobin, « La violation d’une loi ou d’un règlement entraîne-t-elle la responsabilité civile? » (1984), 44 R. du B. 222, p. 223).

La norme de conduite dont le respect est attendu de la personne raisonnable correspond à une obligation de moyens (Ciment du Saint-Laurent, par. 21 et 34; voir P.A. Crépeau, L’intensité de l’obligation juridique ou Des obligations de diligence, de résultat et de garantie (1989), p. 7 et 55). Le régime général de la responsabilité civile extracontractuelle n’exige pas l’« infaillibilité totale » ni d’ailleurs le « comportement d’une personne douée d’une intelligence supérieure et d’une habileté exceptionnelle, capable de tout prévoir et de tout savoir et agissant bien en toutes circonstances » (Baudouin, Deslauriers et Moore, vol. 1, no 1-195).

Il va de soi, par ailleurs, que le critère de la personne raisonnable prend en compte la nature de l’activité en cause. L’exercice 1-164d’une activité professionnelle sera ainsi apprécié à l’aune du professionnel normalement prudent, diligent et compétent placé dans les mêmes circonstances (voir Roberge c. Bolduc, [1991] 1 R.C.S. 374, p. 393-395; Baudouin, Deslauriers et Moore, vol. 1, no 1-196; Karim, par. 2510-2513). Il s’ensuit que « la détermination des connaissances et de l’habileté requises doit être basée sur les qualités existant au sein même du groupe particulier, soit celui des personnes exerçant la même profession que le défendeur » (H.-R. Zhou, « Le test de la personne raisonnable en responsabilité civile » (2001), 61 R. du B. 451, p. 488). »[89]

(Nos soulignements)

[292]      Ces enseignements de la Cour suprême complètent ce qu’indiquent les auteurs Baudouin, Deslauriers et Moore sur les éléments qui constituent le fondement de la notion de faute. Ceux-ci s’expriment ainsi à ce sujet :

« 1-165 – Synthèse des éléments – Ces deux éléments, que sont le manquement à un devoir et la violation d'une norme de conduite, fondent, ensemble, la notion de faute. Celle-ci consiste donc en la violation, par une conduite se situant en dehors de la norme, du devoir de se « bien » comporter à l'égard d'autrui, tel que fixé par le législateur ou évalué par le juge. La notion de faute, constamment façonnée et définie par la loi et la jurisprudence à travers chaque cas d'espèce, est ainsi soumise à une évolution dynamique, fonction des transformations de la société elle-même. Elle est le reflet relativement fidèle de la norme de conduite socialement acceptable à un moment précis de l'histoire d'un peuple. Pour n'en prendre qu'un exemple, on pouvait considérer, au début de l'ère de l'automobile, qu'une personne conduisant à 30 kilomètres à l'heure commettait une faute sérieuse, alors que de nos jours, dans les mêmes circonstances, une telle conduite serait probablement considérée comme celle d'une personne prudente ou même peut-être imprudente, soit de ne pas rouler assez vite ! L'analyse de la faute est donc centrée autour de l'examen du comportement de l'auteur du dommage, par rapport au standard et à la mesure fixés par les tribunaux et le législateur à un moment particulier de l'évolution sociale. »[90]

(Nos soulignements)

[293]      Évidemment, compte tenu de la nature des activités que l’on retrouve dans le présent dossier, la conduite des principaux intervenants, particulièrement celle du CP, mais aussi de MMA, doivent être appréciées en fonction de ce que doit être un transporteur ferroviaire raisonnable en 2013.

[294]      Il importe de souligner que le domaine du transport ferroviaire, et particulièrement lorsqu’il concerne le déplacement des produits dangereux, est largement réglementé tant par la législation et la réglementation américaines que celles en vigueur au Canada.

[295]      Au surplus, la preuve révèle que, fortes de plusieurs dizaines d’années d’expérience, les compagnies ferroviaires en Amérique du Nord développent des normes de pratique, des façons de faire, des usages et des coutumes dans plusieurs secteurs de leurs activités, entre autres parce que ces compagnies se doivent non seulement de collaborer entre elles, mais aussi d’échanger de nombreuses marchandises qui sont contenues dans des wagons qui circulent sur l’un ou l’autre de leurs réseaux ferroviaires respectifs.

[296]      Plusieurs de ces normes sont écrites et il arrive fréquemment qu’elles se ressemblent d’une compagnie à l’autre. À titre d’exemple, soulignons que plusieurs normes de pratique adoptées ou mises en place chez MMA sont tirées de celles en vigueur chez CP[91].

[297]      Il est maintenant bien reconnu que le domaine du transport ferroviaire n’est pas exempté du respect des règles de responsabilité civile telles qu’elles s’appliquent généralement à l’ensemble des activités civiles ou commerciales.

[298]      La Cour suprême a l’occasion, dans le cadre de dossiers traitant de la responsabilité des transporteurs ferroviaires, d’indiquer que même si une compagnie respecte toutes les obligations légales ou réglementaires qui lui sont imposées ainsi que les usages généralement reconnus, cela n’implique pas nécessairement une absence de faute.

[299]      Ainsi en 1979, dans un dossier impliquant l’application des anciennes dispositions de l’article 1053 C.c.Q. sur la responsabilité civile, la majorité des juges s’exprime ainsi :

« Il faut dire dès maintenant que le verdict ne reproche à l’appelante aucune violation de la Loi sur les chemins de fer, (S.C.R., 1970, chap. R-2) ou des ordonnances de la Commission canadienne des transports. Il s’agit plutôt de savoir si l’appelante, même si elle a observé toutes les prescriptions statutaires ou réglementaires spéciales auxquelles elle est assujettie ne s’est pas néanmoins rendue coupable de négligence au sens des art. 1053 et suivants du C.c. Les dispositions particulières qui régissent l’appelante n’ont certes pas pour effet de la soustraire au régime de droit commun en matière de responsabilité civile. »[92]

(Nos soulignements)

[300]      La majorité précise ensuite son raisonnement comme suit :

« Donc, même s’il est acquis que l’appelante n’a violé aucune disposition statutaire ou réglementaire, la question demeure de savoir si elle ne s’est pas rendue coupable d’un quasi-délit susceptible d’engager sa responsabilité à l’égard de l’intimée. Selon Mazeaud et Tunc (Responsabilité civile délictuelle et contractuelle, (6e éd.) t. 1, no 439, aux pp. 504 et 505), la faute quasi délictuelle est une erreur de conduite telle qu’elle n’aurait pas été commise par une personne avisée et soucieuse des intérêts d’autrui placée dans les mêmes circonstances externes que l’auteur du dommage.

Pour déterminer si, dans l’espèce, l’appelante a commis une faute, il faut comparer sa conduite avec celle qu’aurait tenue «une personne avisée et soucieuse des intérêts d’autrui placée dans les mêmes circonstances externes»; il s’agit en somme de savoir si l’appelante s’est conduite comme une personne prudente et raisonnable, consciente à la fois de ses obligations à l’égard de sa clientèle comme à l’égard du public en général, et tenant compte du danger que présentent certaines de ses installations. »[93]

(Nos soulignements)

[301]      Par la suite, vingt ans plus tard en 1999, la Cour suprême reprend l’analyse des interactions entre la norme de diligence en common law et le respect des normes législatives et réglementaires. Elle résume ainsi les principes à ce sujet tout en indiquant que les compagnies ferroviaires semblent avoir été soustraites, à une certaine époque, à l’obligation ordinaire de prudence :

« 28 Une conduite est négligente si elle crée un risque de préjudice objectivement déraisonnable. Pour éviter que la responsabilité ne soit engagée, une personne doit agir de façon aussi diligente que le ferait une personne ordinaire, raisonnable et prudente placée dans la même situation. Le caractère raisonnable d’une conduite dépend des faits de chaque espèce, y compris la probabilité qu’un préjudice connu ou prévisible survienne, la gravité de ce préjudice, et le fardeau ou le coût qu’il faudrait assumer pour le prévenir. En outre, on peut se fonder sur des indices externes de conduite raisonnable tels que l’usage, la pratique dans l’industrie concernée et les normes législatives ou réglementaires.

29 Les normes législatives sont pertinentes à l’égard de la norme de diligence en common law, mais leur portée ne coïncide pas nécessairement. Le fait qu’une loi prescrive ou interdise certaines activités peut contribuer à établir ce qui constitue une conduite raisonnable dans une situation donnée, mais cela n’éteint pas l’obligation sous-jacente d’agir de façon raisonnable. Voir La Reine du chef du Canada c. Saskatchewan Wheat Pool, [1983] 1 R.C.S. 205. Ainsi, le fait qu’une personne manque à une loi n’entraîne pas automatiquement sa responsabilité civile; ce fait n’est qu’un élément de preuve tendant à établir la négligence. Voir, par exemple, Stewart c. Pettie, [1995] 1 R.C.S. 131, au par. 36; Saskatchewan Wheat Pool, à la p. 225. De même, le seul fait que la loi ait été observée n’empêche pas en soi de conclure à la responsabilité civile. Voir Linden, op. cit., à la p. 219. Cependant, les normes législatives peuvent être hautement pertinentes pour déterminer ce qui constitue une conduite raisonnable dans un cas particulier, et elles peuvent, en fait, rendre raisonnable un acte ou une omission qui, autrement, paraîtrait négligent. En conséquence, les tribunaux peuvent examiner le cadre législatif dans lequel les personnes et les sociétés doivent agir, tout en reconnaissant qu’il est impossible de se soustraire à l’obligation sous-jacente de diligence raisonnable simplement en s’acquittant de ses obligations légales.

30 Bien que ce point de vue soit généralement accepté, on a pendant longtemps refusé de l’appliquer dans les affaires mettant en cause les entreprises ferroviaires. Depuis plus de 90 ans, les compagnies ferroviaires bénéficient d’une «règle spéciale» en common law qui les privilégie en matière de droit de la négligence. En effet, dans la mesure où elles se conforment aux obligations qui leur sont faites par les lois, règlements et ordonnances administratives applicables, les compagnies ferroviaires n’ont pas en l’absence de circonstances extraordinaires d’autre obligation que celle d’agir d’une manière objectivement raisonnable. On exprime généralement cette règle en disant qu’elle a pour effet de limiter l’«obligation de diligence» des compagnies ferroviaires envers le public. Elle est toutefois plus facile à saisir si on dit qu’elle réduit la norme de diligence à laquelle les compagnies ferroviaires doivent se conformer pour respecter une obligation légale existante. Sous l’une ou l’autre de ces approches, l’effet de la règle est la même: les compagnies ferroviaires sont, dans la plupart des cas, soustraites à l’obligation ordinaire de prudence qui incombe aux autres membres de la société »[94]

(Nos soulignements)

[302]      Après avoir fait ce constat, la majorité de la Cour indique que « cette règle spéciale » doit désormais être écartée. Voici l’argumentaire développé à ce sujet :

« 34 Les compagnies ferroviaires soutiennent que la règle établie dans les arrêts McKay et Barclay doit être maintenue par déférence pour l’expertise de la Commission des Chemins de fer du Canada (maintenant l’Office des transports du Canada) en matière de sécurité ferroviaire. Cet argument n’est pas convaincant. Les ordonnances d’une commission administrative peuvent être pertinentes pour déterminer ce qui constitue une conduite raisonnable dans des circonstances particulières. Cependant, comme il a été souligné, de telles ordonnances n’ont pas pour effet d’écarter la norme sous-jacente du caractère raisonnable imposée par la common law. À l’instar de tout autre entreprise ou personne, les compagnies de chemin de fer sont assujetties aux principes généralement applicables en matière de négligence, et elles ne doivent pas jouir d’une protection spéciale lorsque leurs actes ou omissions causent un préjudice à d’autres membres de la société. Voir Harris c. Canadian Pacific Ltd. (1989), 1989 CanLII 2916 (BC CA), 59 D.L.R. (4th) 151 (C.A.C.-B.), aux pp. 154 et 155. »[95]

(Nos soulignements)

[303]      Toujours dans cette décision, la majorité des juges de la Cour suprême précise toutefois que :

« 36 () L’observation d’une norme de diligence d’origine législative n’a pas pour effet d’abroger ni de remplacer l’obligation de respecter la norme de diligence prévue par la common law. Il s’agit d’obligations concomitantes, comportant chacune sa propre sanction en cas de manquement. Toutefois, il est possible que, dans des circonstances appropriées, l’observation de normes législatives satisfasse entièrement à la norme de diligence prévue par la common law et dégage donc le défendeur de toute responsabilité fondée sur la négligence. Voir Bux c. Slough Metals Ltd., [1974] 1 All E.R. 262 (C.A.) »[96]

(Nos soulignements)

[304]      Pour clarifier les différences qui peuvent exister entre les règles de la common law et celles du droit civil québécois, les juges ajoutent ce qui suit à leur analyse :

« 37 Cette approche est compatible avec la décision rendue dans Compagnie des Chemins de fer nationaux du Canada c. Vincent, [1979] 1 R.C.S. 364. Même s’il s’agissait d’une affaire de droit civil du Québec, l’analyse du juge Pratte est instructive, en particulier parce que la norme de diligence prévue par la common law est analogue à l’obligation de prudence raisonnable du Code civil. Les faits de cette affaire étaient simples. Une enfant avait été frappée par un train en franchissant à bicyclette un passage à niveau situé dans un secteur à forte densité de population. Il n’était pas contesté que la compagnie de chemin de fer avait pris toutes les mesures de sécurité utiles prescrites par la loi et son règlement d’application. La question en litige était de savoir si la compagnie de chemin de fer en cause aurait dû prendre des précautions supplémentaires dans les circonstances de l’affaire. Le juge Pratte a dit ceci, aux pp. 372 et 373 :

Il faut dire dès maintenant que le verdict ne reproche à l’appelante aucune violation de la Loi sur les chemins de fer … ou des ordonnances de la Commission canadienne des transports. Il s’agit plutôt de savoir si l’appelante, même si elle a observé toutes les prescriptions statutaires ou réglementaires spéciales auxquelles elle est assujettie, ne s’est pas néanmoins rendue coupable de négligence au sens [du Code civil]. Les dispositions particulières qui régissent l’appelante n’ont certes pas pour effet de la soustraite au régime de droit commun en matière de responsabilité civile. Savatier, Traité de la responsabilité civile en droit français, t. 1, no 181, à la p. 225, s’exprime comme suit sur ce point :

181. La faute en dépit de l’observation des règlements.

Quand l’autorité réglementaire intervient pour prescrire certaines mesures de précaution, elle le fait dans l’intérêt des tiers, et non pas à leur préjudice. Sauf disposition contraire du texte, on doit donc considérer que les précautions qu’elle prescrit ne sont nullement limitatives, et n’empêchent pas les personnes soumises au règlement d’être également tenues, en dehors de lui, de toutes autres obligations de prudence.

38 Ce point de vue est également étayé par le par. 367(4) de la Loi sur les chemins de fer, qui est ainsi rédigé :

367. … (4) Nulle inspection faite sous le régime ou sous l’autorité de la présente loi […] et rien de ce qui a été fait, ordonné ou commandé, ou exigé ou prescrit, non plus que nulle omission de faire, d’ordonner ou de commander, d’exiger ou de prescrire […] en vertu de [la présente loi], sauf en tant que l’observation de la loi ou de quelque ordonnance, ordre, prescription ou disposition constitue une justification de ce qui autrement serait répréhensible, ne soustrait […] une compagnie à quelque obligations ou responsabilité que la loi lui impose, ni de façon à amoindrir ou atteindre de quelque manière cette obligation ou responsabilité […] par suite de quelque action ou omission de la part de cette compagnie, ou pour quelque tort, négligence ou défaut, abus d’autorité, acte illégal ou non-exécution de la part de cette compagnie.

Le paragraphe 367(4) confirme que, normalement, l’observation de normes législatives ne soustrait pas une compagnie ferroviaire aux obligations qui lui incombent en vertu des principes de la négligence. Voir Vincent, précité, à la p. 373. Une entreprise ferroviaire est réputée liée par la common law, sauf dans les cas où l’observation de la loi ou des règlements fournit «une justification de ce qui serait autrement répréhensible». Comme toute autre disposition exonératoire limitant des droits reconnus par la common law, ce passage doit être interprété strictement. En l’absence d’indication claire à l’effet contraire, l’observation de normes législatives ne peut être considérée comme ayant pour effet d’écarter l’obligation qu’a une compagnie ferroviaire de prendre toutes les précautions qui s’imposent dans les circonstances. »[97]

[305]      En conclusion, la Cour suprême établit un certain test quant au poids accordé au respect des obligations législatives et réglementaires dans l’appréciation globale du caractère raisonnable des mesures prises. Les juges s’expriment ainsi sur l’approche qui devrait être adoptée en matière de sécurité ferroviaire entre autres :

« 39 Le poids qu’il convient d’accorder à l’observation de la loi dans l’appréciation globale du caractère raisonnable des mesures prises dépend de la nature de la loi en cause et des circonstances de l’affaire. Il faut déterminer si les normes législatives s’appliquent nécessairement aux faits de l’affaire. L’observation de la loi sera un élément plus pertinent dans les affaires «ordinaires» c.àd. les affaires qui relèvent clairement du champ d’application visé par la loi que dans celles comportant des circonstances spéciales ou inhabituelles. Voir les arrêts Paskivski et Anderson, précités. Il faut également déterminer si les normes législatives sont de nature particulière ou générale, et si elles accordent un certain pouvoir discrétionnaire quant aux modalités d’exécution. Suivant un principe bien établi, des poursuites peuvent être intentées contre toute partie, publique ou privée, [TRADUCTION] «qui fait montre de négligence dans l’accomplissement d’un acte autorisé par le législateur». Voir Geddis c. Proprietors of the Bann Reservoir (1878), 3 App. Cas. 430 (H.L.), aux pp. 455 et 456; voir également Kamloops, précité, à la p. 11, et Just, précité, à la p. 1245. Il s’ensuit que la partie qui agit en vertu d’une autorisation du législateur doit néanmoins prendre les précautions raisonnables dans les limites de cette autorisation afin de réduire au minimum les risques susceptibles de résulter de ses actes. Voir Tock, précité (pour l’application de principes analogues dans le contexte de la nuisance).

40 Lorsqu’une loi autorise certaines activités et définit strictement les modalités d’exécution qui doivent être suivies et les précautions qui doivent être prises, il est probable que l’on conclue que l’observation de cette loi vaut diligence raisonnable et qu’aucune autre mesure supplémentaire n’est requise. Par contraste, lorsqu’il s’agit d’une loi de nature générale ou qui accorde un certain pouvoir discrétionnaire quant aux modalités d’exécution, ou encore lorsqu’il existe des circonstances inhabituelles qui ne relèvent pas clairement du champ d’application de la loi, il est peu probable que la simple observation de celleci satisfasse à la norme de diligence applicable. Cette approche établit un juste équilibre entre plusieurs principes importants, notamment le respect des décisions du législateur en matière de sécurité ferroviaire, la protection des entreprises ferroviaires qui satisfont aux normes prescrites et la protection des personnes qui subissent un préjudice résultant de choix déraisonnables faits par ces entreprises dans l’exercice d’une autorisation officielle. »[98]

(Nos soulignements)

[306]      Les auteurs Baudouin, Deslauriers et Moore résument ainsi sommairement ce que le Tribunal considère être l’état général du droit à ce sujet :

« 1-192 Effets Inversement, étant donné l’existence d’un devoir général de prudence et de diligence à l’égard d’autrui, le simple fait qu’à propos d’un incident le défendeur ait respecté les normes législatives ou réglementaires n’exclut pas automatiquement la possibilité que sa responsabilité puisse malgré tout être retenue en vertu du régime de droit commun. Les dispositions réglementaires n’ont donc pas pour effet de limiter l’obligation générale de se bien comporter à l’égard d’autrui et, en contrepartie, il n’est pas nécessaire de démontrer la violation d’une règle statutaire ou légale pour engager la responsabilité d’autrui. »[99]

[307]      Dans l’appréciation de la conduite de toute personne et dans l’objectif d’établir si une faute civile extracontractuelle est commise, les tribunaux reconnaissent qu’il faut en faire une évaluation in abstracto. C’est donc en fonction du modèle abstrait d’une personne raisonnable, prudente et diligente que l’on doit comparer le comportement de la personne à qui on veut imputer une possible faute.

[308]      Il ne s’agit pas de rechercher l’infaillibilité ni considérer qu’il faille exiger une intelligence supérieure, une habilité particulière, une capacité de tout prévoir et un comportement absolument irréprochable quelles que soient les circonstances.

[309]      Cette comparaison in abstracto n’exige pas une infaillibilité ou un comportement absolument exempt de toute erreur. Cette analyse comparative doit se faire en fonction de normes de conduite acceptées ou tolérées par la société.

[310]      Les auteurs Baudouin, Deslauriers et Moore résument cette approche dans les termes suivants :

« () Chercher la faute revient donc à comparer la conduite de l’agent à celle d’une personne normalement prudente et diligente, douée d’une intelligence et d’un jugement ordinaires, et à se demander si elle aurait pu prévoir ou éviter l’événement qui a causé le dommage. Cette prévisibilité du préjudice n’a cependant pas à être absolue, mais relative ou raisonnable. Il ne s’agit pas d’obliger l’individu à prévoir tous les types d’accidents possibles, mais seulement ceux qui, dans les circonstances, sont raisonnablement probables. La notion de « bon père de famille », d’« honnête citoyen », de « personne prudente et diligente », de « personne raisonnable », varie selon des impératifs de temps et de lieu. Les changements sociaux, l’évolution des mœurs affectent la physionomie générale de ce modèle, constamment façonné par l’appréciation souveraine qu’en font les tribunaux, dans chaque cas particulier. »[100]

[311]      Cette appréciation in abstracto doit quand même tenir compte de toutes les circonstances relatives à un événement et des éléments particuliers au domaine d’activités dans lequel celui-ci se produit.

[312]      Il faut aussi être prudent lorsque l’on évalue, a posteriori, les circonstances de l’événement.

b)       Le lien de causalité

[313]      Trois éléments constituent les fondements essentiels en matière de responsabilité. D’abord la faute dont nous venons de traiter, ensuite le préjudice ou les dommages (qu’il convient de garder en suspens dans le présent dossier) et finalement le lien fondamental pour l’existence de toute responsabilité, soit celui de la causalité.

[314]      La doctrine et la jurisprudence se sont évidemment penchées à de multiples reprises et dans toutes sortes de situations générales ou particulières sur ce principe fondamental qui est nécessaire afin de relier un préjudice à une faute.

[315]      De nombreuses théories sont développées et quatre d’entre elles semblent, de manière plus spécifique, faire l’objet, en droit civil et en common law, d’études et d’analyses. Ce que l’on retrouve le plus souvent ce sont des explications ou des analyses portant sur la théorie de « l’équivalence des conditions », celle de la « causalité adéquate », celle de la « causalité immédiate » ou finalement celle de la « prévision raisonnable des conséquences ».

[316]      Dans une décision relativement récente, la Cour d’appel du Québec, siégeant de manière assez exceptionnelle avec un banc de cinq juges, procède à une analyse exhaustive pour résumer de la manière qui suit l’état général du droit civil québécois, en comparaison avec la common law, sur cette question du lien de causalité. Les cinq juges s’expriment ainsi dans cet arrêt portant sur la responsabilité des fabricants de cigarettes[101] :

« [661] En droit civil québécois, il existe plusieurs théories à la fois descriptives et normatives pour aborder la question de la causalité. Les principales, et celles auxquelles la doctrine consacre le plus d’attention, sont celles de l’équivalence des conditions de la causalité adéquate, de la causalité immédiate (ou « proximate cause » en langue anglaise) et de la prévision raisonnable des conséquences.

[662]  La théorie de l’équivalence des conditions consiste essentiellement « à rechercher tous les faits sans la présence desquels le dommage ne se serait pas produit ». En vertu de celle-ci, une valeur causale identique est conférée à tous les faits nécessaires à l’existence du préjudice. Aucun tri n’est donc effectué entre les éléments qui ont pu contribuer à sa réalisation. Établir la cause d’un préjudice selon cette théorie équivaut ainsi à identifier toutes les conditions sine qua non de sa réalisation.

[663]  À la différence de la théorie précédente, la doctrine de la causalité adéquate opère une sélection parmi l’ensemble des circonstances, des comportements ou des événements qui ont pu mener à la réalisation du préjudice. La causalité adéquate cherche ainsi à distinguer la cause véritable du préjudice de la simple occasion de sa réalisation ou des circonstances qui ont coïncidé avec celle-ci. Née « du désir de trouver un critère permettant de discriminer entre toutes les conditions sine qua non » du préjudice, cette théorie fait appel, selon certains, au critère de la possibilité objective du résultat, ou encore, selon d’autres, à celui de l’expérience usuelle. En vertu du premier critère, la cause adéquate est « l’événement qui, par sa simple existence, rend objectivement possible la réalisation du dommage » ; en vertu du second, elle est « le fait qui, dans le cours ordinaire des choses, accroît sensiblement la possibilité de [celui-ci] ».

[664]  Plus sélective encore que la théorie de la causalité adéquate, celle de la causalité immédiate (« proximate causation ») « ne retient comme véritable cause du préjudice que celle qui le précède immédiatement ». Ayant fait de nombreux adeptes dans les ressorts de common law, cette théorie opère ainsi une distinction entre toutes les causes adéquates pour ne retenir que « l’événement qui s’est produit le dernier dans le temps et qui, à lui seul, a pu suffire objectivement à produire la totalité du dommage ».

[665]  La théorie de la prévision raisonnable des conséquences, quant à elle, « retient une relation causale entre l’acte fautif et le dommage, lorsque le type de dommage causé était normalement prévisible pour l’agent ». Issue du droit anglo-américain, elle permet, dans certaines circonstances, « d’écarter des dommages inhabituels, inusités ou qui sont, par rapport à la faute, d’une gravité tout à fait exceptionnelle ».

[666]  De manière générale, les tribunaux québécois concluent à l’existence d’un lien de causalité lorsqu’il est démontré que le dommage est la conséquence logique, directe et immédiate de la faute. Cette conception de la causalité se traduit le plus souvent par le rejet des théories de l’équivalence des conditions et de la causalité immédiate. La théorie de la prévision raisonnable des conséquences est parfois appliquée de concert avec celle de la causalité adéquate, mais c’est cette dernière qui a le plus largement cours en jurisprudence. »

(Références omises) (Nos soulignements)

[317]      Dans une autre décision de la Cour d’appel du Québec, postérieure à celle de Impérial Tobacco, l’honorable juge Lévesque, avec l’accord de ses collègues, revient sur ces notions de causalité et les diverses théories à ce sujet. Il s’exprime ainsi :

« [44]  En vertu de la théorie de l’équivalence des conditions, « est considéré comme causal tout fait sans lequel le dommage n'aurait pas eu lieu ». Or, bien qu'une faute puisse être une cause sine qua non du dommage, elle n'en constitue pas nécessairement la cause adéquate et immédiate. En effet, comme l’explique l’auteur Frédéric Levesque, cette théorie « est difficilement applicable en pratique, car elle aboutirait à reconnaître un rôle causal à des événements n'ayant qu'un rapport très lointain avec le dommage ». Le rejet de cette théorie peut alors s’expliquer par le fait qu’elle ouvre la porte à l’indemnisation d’un préjudice qui résulte indirectement de la faute, ce qui est contraire à l’article 1607 C.c.Q.

[45]  Pour la même raison, le dommage par ricochet, également appelé préjudice en cascade, n’est pas indemnisable : il ne constitue pas une conséquence directe, logique et immédiate de la faute. À titre d’illustration, l’auteur Daniel Gardner propose l’exemple suivant : (référence omise)

[46]  Malgré ce qui précède, les tribunaux empruntent régulièrement à la théorie de l’équivalence des conditions le critère de la « condition sine qua non », également appelé « test du facteur déterminant », critère de la cause nécessaire ou test du « n’eût été »  but-for test », en common law) afin d’établir la causalité factuelle entre la faute et le préjudice. Cela consiste à se demander ce qu’il serait advenu du préjudice, n’eût été la faute.

(47) Toutefois, et c’est là le point le plus important, les tribunaux reconnaissent que ce « test » n’est pas suffisant en soi pour établir le lien de causalité selon la norme juridique applicable. Effectivement, encore faut-il que le dommage soit la conséquence directe, logique et immédiate de la faute.

[48]  Je résume : le test du « n’eût été » permet de déterminer si une faute est susceptible d’avoir occasionné le préjudice « lorsque l’absence de faute n’aurait absolument rien changé au cours des choses, le lien de causalité est évidemment exclu ». Par contre, ce test n’est pas suffisant pour établir le lien de causalité, puisqu’il ne permet pas nécessairement de conclure que le dommage est une conséquence directe, logique et immédiate de la faute.

[49]  La théorie de la causalité adéquate, conjuguée à l’occasion avec celle de la prévisibilité raisonnable des conséquences, peut s’avérer efficace puisqu’elle « opère une sélection parmi l’ensemble des circonstances, des comportements ou des événements qui ont pu mener à la réalisation du préjudice ». Elle permet ainsi de discriminer, parmi toutes les conditions sine qua non du préjudice, celle ou celles qui en constituent véritablement la cause directe, logique et immédiate. La causalité adéquate cherche ainsi à « distinguer la cause véritable du préjudice de la simple occasion de sa réalisation ou des circonstances qui ont coïncidé avec celle-ci ». »[102]

(Références omises) (Nos soulignements)

[318]      Il apparaît donc qu’en vertu de la théorie de la causalité adéquate, il faut distinguer la cause véritable d’un dommage des simples conditions ou des occasions d’un tel dommage.

[319]      C’est ce que précisent les auteurs Baudouin, Deslauriers et Moore :

« 1-687 – Position jurisprudentielle – La jurisprudence québécoise emprunte au système de la causalité adéquate la démarche consistant à séparer la cause véritable des simples circonstances ou occasions du dommage. Ce ne sont donc pas toutes les conditions sine qua non qui peuvent et doivent être retenues, mais seulement celles qui ont rendu objectivement possible la réalisation du préjudice. Dans l'esprit des tribunaux, cette démarche n'implique pas nécessairement la découverte d'une cause unique, mais peut les amener à retenir plusieurs faits comme causals. La séparation entre condition ou occasion et cause véritable n'est évidemment pas toujours facile. »[103]

(Nos soulignements)

[320]      C’est donc à la lumière de ces enseignements et en ayant à l’esprit qu’il faut découvrir, à travers la preuve profane et les témoignages et rapports d’experts, quelles sont la ou les véritables causes directes, logiques et immédiates de l’accident et non seulement celles qui ne sont que des occasions ou des circonstances de celui-ci, que le Tribunal entend faire son analyse afin de déterminer sur qui repose la responsabilité de cette tragédie.

c)       La notion de « Novus actus interveniens »

[321]      Puisque dans le présent dossier les parties demanderesses ainsi que la défenderesse affirment que de nombreux intervenants commettent, chacun de leur côté, des fautes et que celles-ci résultent de gestes ou de faits qui se produisent non pas simultanément, mais plutôt dans une séquence successive, il devient utile d’examiner ce qui peut constituer une rupture du lien de causalité, que les juristes ont l’habitude de qualifier de théorie du « novus actus interveniens ».

[322]      Cette notion implique un événement nouveau qui rompt la relation directe entre la faute reprochée et le préjudice.

[323]      Les auteurs Baudouin, Deslauriers et Moore y réfèrent de façon suivante :

« 1-692 – Critique – Toutefois, l'hypothèse du novus actus interveniens est souvent invoquée dans des circonstances qui ne le justifient pas. Pour que ce principe puisse s'appliquer, deux conditions essentielles sont requises. D'une part, il faut qu'il existe une disparition complète du lien entre la faute initiale et le dommage subi. D'autre part, il faut que ce lien survienne à nouveau, mais cette fois-ci en raison de l'existence d'un acte sans aucun rapport avec la faute initiale. Dans les autres hypothèses, il y a seulement continuation d'un même processus qui peut mener, dans certains cas, à un partage de responsabilité.

1-693 – Rupture à la suite de la faute d'un tiers – Un cas fréquent de rupture du lien est celui où la faute d'un tiers s'interpose entre le premier acte fautif et le dommage. Un exemple jurisprudentiel illustrera cette hypothèse. Des enfants ramassèrent une pièce pyrotechnique abandonnée par le défendeur après un feu d'artifice. Le père de l'un d'entre eux, s'en étant aperçu, confisqua l'objet et le remit à l'un de ses employés en lui demandant de s'en débarrasser. Ce dernier le fit toutefois exploser en compagnie des enfants qui furent grièvement blessés. La cour rejeta la poursuite du tuteur contre celui qui avait abandonné la pièce, au motif que l'acte du préposé constituait une intervention qui rompait le lien unissant la faute première au préjudice. Tel est le cas également du médecin qui commet plusieurs fautes dans le diagnostic et le traitement, mais dont les fautes se trouvent pour ainsi dire causalement effacées par celle plus grave de l'hôpital ou du patient. Il faut cependant, pour qu'il y ait rupture, un temps d'arrêt entre la première et la seconde faute. Autrement il s'agit d'une hypothèse de fautes contributoires. »[104]

(Références omises) (Nos soulignements)

[324]      Ce principe est reconnu de façon non équivoque dans une décision rendue en 2019 par la Cour suprême du Canada. L’honorable juge Gascon, avec l’appui des sept autres juges qui constituent la majorité, traite ainsi des exigences pour invoquer cette notion relative au bris du lien de causalité :[105]

« Je suis également d’accord avec la Cour d’appel pour dire que la fraude n’a pas rompu le lien de causalité entre les fautes de Me Salomon et les pertes des intimées. Il est vrai que l’auteur d’une faute n’est pas responsable des conséquences d’un événement subséquent qui est indépendant de lui et qui est sans rapport avec la faute initiale. Il s’agit d’un principe qui est parfois appelé novus actus interveniens : un tel événement subséquent peut rompre le lien direct que requiert l’art. 1607 C.c.Q. entre la faute et le préjudice. Toutefois, deux conditions doivent être réunies pour que ce principe s’applique. Dans un premier temps, il faut que le lien de causalité entre la faute initiale et le préjudice subi soit complètement rompu. Dans un second temps, il doit exister un lien de causalité entre ce nouvel événement et le préjudice subi. Dans le cas contraire, la faute initiale est une des fautes ayant causé le préjudice, auquel cas une question du partage de la responsabilité peut se soulever (Baudouin, Deslauriers, Moore, nos 1691 à 1692; Laval (Ville de) (Service de protection des citoyens, département de police et centre d’appels d’urgence 911) c. Ducharme, 2012 QCCA 2122, [2012] R.J.Q. 2090, par. 6465; Lacombe c. André, 2003 CanLII 47946 (QC CA), [2003] R.J.Q. 720 (C.A.), par. 5860). »

(Nos soulignements)

d)       Les fautes multiples, le partage de responsabilité et la solidarité

[325]      Tel qu’indiqué précédemment, tant les parties demanderesses que la défenderesse CP invoquent que plusieurs des entreprises ou individus qui participent aux opérations liées au transport du pétrole brut de New Town vers Saint-Jean commettent des fautes, particulièrement dans la classification et l’étiquetage du produit, le choix du trajet et du transporteur de connexion, les opérations de transport entre autres dans l’application des procédures de freinage et dans la décision de stationner le convoi sans surveillance au sommet d’une pente.

[326]      Il devient donc nécessaire d’examiner non seulement les principes relatifs à la faute, au lien de causalité et au bris de celui-ci, ce qui a été fait précédemment, mais également ce qui concerne les fautes multiples, le partage de responsabilité et les règles relatives à la solidarité.

[327]      Ce sont d’abord les dispositions des articles 1478 à 1481 C.c.Q. qui traitent du partage de responsabilité. Elles sont complétées par celles de l’article 1526 C.c.Q. :

« 1478. Lorsque le préjudice est causé par plusieurs personnes, la responsabilité se partage entre elles en proportion de la gravité de leur faute respective.

La faute de la victime, commune dans ses effets avec celle de l’auteur, entraîne également un tel partage.

1479. La personne qui est tenue de réparer un préjudice ne répond pas de l’aggravation de ce préjudice que la victime pouvait éviter.

1480. Lorsque plusieurs personnes ont participé à un fait collectif fautif qui entraîne un préjudice ou qu’elles ont commis des fautes distinctes dont chacune est susceptible d’avoir causé le préjudice, sans qu’il soit possible, dans l’un ou l’autre cas, de déterminer laquelle l’a effectivement causé, elles sont tenues solidairement à la réparation du préjudice.

1481. Lorsque le préjudice est causé par plusieurs personnes et qu’une disposition expresse d’une loi particulière exonère l’une d’elles de toute responsabilité, la part de responsabilité qui lui aurait été attribuée est assumée de façon égale par les autres responsables du préjudice.

(…)

1526. L’obligation de réparer le préjudice causé à autrui par la faute de deux personnes ou plus est solidaire, lorsque cette obligation est extracontractuelle. »

[328]      Dans le présent dossier, ce qui est principalement allégué et invoqué n’est pas de la nature d’une faute commune, mais plutôt de fautes dites contributoires.

[329]      Les reproches invoqués contre l’une ou l’autre des parties traitent plutôt d’actes fautifs distincts. Pour l’essentiel, les parties demanderesses considèrent que ces fautes sont des éléments ayant un lien de causalité direct avec les dommages. La défenderesse CP plaide plutôt, particulièrement en ce qui concerne les agissements de l’expéditeur WFS, qu’il s’agit de faits fautifs sans lien de causalité direct avec les dommages, et en ce qui concerne les agissements de Thomas Harding et de son employeur MMA, comme des fautes qui causent directement ceux-ci.

[330]      La défenderesse CP affirme également que tous les éléments qui lui sont reprochés, même s’ils étaient considérés fautifs, ce qu’elle nie, n’ont aucun lien de causalité avec l’accident et les dommages.

[331]      Il est bien reconnu qu’en présence de fautes dites contributoires, bien qu’il s’agisse d’actes distincts, elles sont reliées directement aux dommages et elles créent donc un lien solidaire entre les auteurs.

[332]      La particularité du présent dossier réside dans le fait que tous les participants à cette opération de transport de pétrole brut entre le Dakota du Nord et le Nouveau-Brunswick sont, sauf le CP et MMA, libérés et quittancés en raison de leur participation dans le plan d’arrangement et la création du fonds d’indemnisation ou en ce qui concerne Thomas Harding, parce que les Représentants l’ont libéré de toute responsabilité.

[333]      Dans de telles circonstances, advenant le cas où la responsabilité du CP est engagée, cela peut avoir des conséquences, vu l’absence de possibilité pour cette défenderesse d’exercer des recours contre ces individus ou entreprises libérés, afin qu’ils partagent cette responsabilité possiblement solidaire.

[334]      Les règles applicables quant à une remise de dette, particulièrement en ce qui concerne sa conséquence sur des débiteurs solidaires, apparaissent particulièrement à l’article 1690 C.c.Q. :

« 1690. La remise expresse accordée à l’un des débiteurs solidaires ne libère les autres codébiteurs que pour la part de celui qui a été déchargé; et si l’un ou plusieurs des autres codébiteurs deviennent insolvables, les portions des insolvables sont réparties par contribution entre tous les autres codébiteurs, excepté celui à qui il a été fait remise, dont la part contributive est supportée par le créancier.

La remise expresse accordée par l’un des créanciers solidaires ne libère le débiteur que pour la part de ce créancier. »

[335]      Les auteurs Baudouin et Jobin, dans leur traité sur les obligations, expliquent ainsi le processus applicable dans de telles circonstances[106] :

« 1104 – Effets en matière de solidarité – La remise de dette accordée à l'un des débiteurs solidaires produit des effets différents selon qu'elle est expresse ou tacite.

Si le créancier accorde une remise de dette expresse à l'un des codébiteurs solidaires, cette remise ne libère que ce dernier et non les autres (art. 1690, al. 1 C.c.Q.). Si le créancier réclame l'exécution de l'obligation à un autre des codébiteurs, il convient de déduire du montant réclamé la part de celui auquel il a fait remise, même si le montant versé par le débiteur pour être libéré est inférieur à cette part. Lorsque la part du débiteur libéré correspondait à la totalité de la dette – une hypothèse que le législateur évoque explicitement en matière de solidarité (art. 1537, al. 2 C.c.Q.) – l'impact de la remise est drastique, puisqu'il prive alors le créancier de tout recours contre les autres débiteurs. Il s'agit là d'un risque non négligeable associé à la remise dans le contexte d'une obligation solidaire. Un autre risque se rapporte à l'insolvabilité possible parmi les débiteurs restants. Ainsi, en cas d'insolvabilité subséquente de l'un d'eux, la part de l'insolvable est répartie entre tous ceux à qui le créancier n'a pas fait remise (art. 1538, al. 1 C.c.Q.), mais il appartient au créancier d'assumer la part d'insolvabilité qui aurait normalement incombé au débiteur auquel il a fait remise (art. 1690, al. 1 in fine C.c.Q.), ce qui constitue une application particulière de l'exception de subrogation (art. 1531 C.c.Q.). Comme ces différentes règles relatives à la remise expresse se rapportent à l'effet principal de la solidarité, il est logique qu'elles trouvent application de la même façon dans le contexte de l'obligation in solidum. »

(Références omises) (Nos soulignements)

[336]      L’analyse des conséquences éventuelles des quittances accordées à certains intervenants dans le transport ou encore celles pouvant résulter de l’insolvabilité de MMA et de Thomas Harding sera faite éventuellement dans un autre chapitre du présent jugement.

e)       La responsabilité pour le fait d’autrui

[337]      Le PGQ allègue dans sa dernière requête introductive d’instance modifiée que le CP est responsable pour les fautes commises par MMA. Les principaux éléments sur lesquels se fonde le PGQ pour faire de telles affirmations apparaissent ainsi :

« 30.5. La défenderesse MMAC, à titre de transporteur de liaison du transport selon un tarif d’entier parcours, a agi pour la défenderesse CP, que ce soit à titre d’associée, de mandataire, d’agente, de préposée ou de cocontractante, et ce, en vertu des différents et nombreux liens de droit qui les unissent.

30.6. Dans ces circonstances, la défenderesse CP est directement responsable des dommages causés par la défenderesse MMAC par ses actes fautifs plus amplement décrits aux présentes. »

[338]      De son côté, Promutuel et als, dans leur dernière requête introductive d’instance modifiée, formulent des allégations et des reproches semblables au CP quant à sa responsabilité pour les fautes de MMA. Voici ce qui est allégué :

« 17.3 Tant par son entente avec I'expéditeur qu'en vertu du fait qu'elle agissait comme transporteur d'origine selon un tarif d'entier parcours, la défenderesse CP avait, en tout temps pertinent au litige la responsabilité du pétrole brut de son point de prise en charge jusqu’à la délivrance;

17.4  La défenderesse MMAC, à titre de transporteur de liaison du transport selon un tarif d'entier parcours, a agi pour la défenderesse CP, que ce soit à titre d'associé, de mandataire, d'agent, de préposé ou de cocontractant;

17.5  Dans ces circonstances, la défenderesse CP est directement responsable des dommages causés par la défenderesse MMAC par ses actes fautifs plus amplement décrits aux présentes. »

[339]      Quant aux Représentants dans l’action collective, ceux-ci, au stade de l’autorisation, invoquent à l’encontre du CP que celui-ci commet des fautes engageant sa responsabilité en raison des dispositions de l’article 1457 C.c.Q., mais aussi que le CP est responsable pour les fautes commises par MMA. Sur cet aspect, toujours au stade de l’autorisation et dans le cadre du jugement portant sur celle-ci, le Tribunal s’est exprimé ainsi[107] :

« 63]  Il est important de souligner que les requérants n’invoquent, à l’encontre de CP aucun lien contractuel et que leur recours contre cet intimé est fondé exclusivement sur une responsabilité extracontractuelle qu’aurait le CP envers eux.

[64] Les requérants, sans même être en mesure de produire ni d’établir autrement qu’en le mentionnant, l’existence d’un véritable sous-contrat entre le CP et MMA invoquent quand même un tel lien de droit entre ces deux transporteurs ferroviaires.

[65] En fonction de la preuve permise par le Tribunal et plus particulièrement eu égard à la déclaration assermentée produite par un représentant de CP, Monsieur James Clément, la preuve est faite que la relation juridique entre le transporteur initial, le CP et le transporteur subséquent MMA est régie par les dispositions de la Loi sur les transports au Canada et par le connaissement dont la preuve a été permise (pièce CP-7).

[66] Les allégations des requérants quant à l’existence d’un réel sous-contrat entre le CP et MMA sont contredites par le témoignage de Monsieur James Clément ainsi que par le connaissement lui-même (pièce CP-7). De plus, le régime législatif qui détermine la majorité des obligations et des règles qui s’appliquent en matière de transport ferroviaire, spécifie l’existence et la nature des liens entre les différentes compagnies de chemin de fer.

[67] Il apparaît donc, à première vue, difficile de reprocher directement à CP les fautes directes qu’aurait commises MMA puisqu’en matière de responsabilité extracontractuelle au Québec, la responsabilité pour la faute d’autrui est limitée aux cas prévus aux articles 1459, 1460, 1461 et 1463 C.c.Q.

[68] Il n’existe pas, en droit québécois, de responsabilité civile extracontractuelle à l’égard des tiers pour une faute commise par un sous-contractant. Toutefois, même si ce genre de responsabilité n’existe pas de prime abord, le Tribunal est d’avis qu’il demeure possible, dans certains cas, de reprocher de manière extracontractuelle, non pas la faute du sous-contractant, mais plutôt la négligence ou l’insouciance du contractant principal dans le choix de celui à qui il confiera une partie de l’exécution du contrat. Cela est possible surtout si le contractant principal sait ou devrait raisonnablement savoir que cet exécutant est particulièrement négligent, est affublé d’une mauvaise réputation ou est mal outillé pour assumer l’exécution d’une partie du contrat. »

(Références omises) (Nos soulignements)

[340]      Dans le cadre de la présentation de la preuve et par la suite au stade des arguments, aucune des parties demanderesses n’insiste ou ne s’attarde à convaincre le Tribunal que le CP doit assumer une responsabilité parce que la défenderesse MMA agit pour elle en tant que mandataire, agent, préposé ou cocontractant.

[341]      Toutefois, le PGQ soulève, lors de la présentation de ses arguments verbaux et écrits, que le CP doit assumer une responsabilité pour les fautes de MMA à titre de cocontractant dans le cadre d’un contrat de société.

[342]      C’est pourquoi il apparaît nécessaire d’établir ce que le Tribunal considère être les principes fondamentaux en matière de responsabilité pour le fait d’autrui, qu’il s’agisse de liens préposé-commettant ou mandataire-mandant, ou encore des liens résultant d’un contrat de transport et enfin de ceux résultant de l’existence d’une société.

La responsabilité découlant d’un lien de commettant-préposé ou mandant-mandataire

[343]      Précisons d’abord que ce sont les dispositions du dernier alinéa de l’article 1457 C.c.Q. qui établissent les premiers éléments de la responsabilité pour le fait d’autrui :

« 1457. () Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d’une autre personne ou par le fait des biens qu’elle a sous sa garde. »

[344]      Par la suite, de façon plus spécifique en ce qui concerne la responsabilité du commettant, le législateur établit ce qui suit :

« 1463. Responsabilité du commettant – Le commettant est tenu de réparer le préjudice causé par la faute de ses préposés dans l’exécution de leurs fonctions; il conserve, néanmoins, ses recours contre eux. »

[345]      D’autre part, en ce qui concerne les obligations ou la responsabilité du mandant envers les tiers, les règles établies par le législateur sont principalement les suivantes :

« 2160. Principe – Le mandant est tenu envers le tiers des actes accomplis par le mandataire, dans l’exécution et les limites du mandat, sauf si, par la convention ou les usages, le mandataire est seul tenu. »

[346]      Évidemment, pour que la responsabilité du commettant, en raison des actes posés par son préposé, ou celle du mandant pour ceux posés par le mandataire, soit engagée, il faut d’abord établir le lien de préposition ou l’existence du mandat puisque ce sont ces éléments qui constituent le lien juridique fondamental entre ces parties.

[347]      L’existence d’une véritable relation commettant-préposé et même celle entre le mandant et le mandataire impliquent l’existence d’un droit de contrôle ou de lien d’autorité. En l’absence d’un tel lien, il ne peut y avoir de responsabilité.

[348]      Les auteurs Baudouin, Deslauriers et Moore, dans leur traité sur la responsabilité civile, affirment ce qui suit[108] :

« 1-740 – Fondement juridique de la responsabilité du fait des autres – La garde, au sens large du terme (c'est-à-dire le pouvoir de surveillance et de contrôle sur autrui), reste le fondement juridique de la responsabilité pour le fait d'autrui. Dans chacun des cas prévus par la loi, le « répondant » a, en effet, sur l'auteur de l'acte dommageable un droit de contrôle qui s'exerce soit sur l'activité de celui-ci (ouvrier, préposé), soit sur sa personne (enfant majeur non doué de raison). Ce droit de contrôle emporte un pouvoir de supervision ou de surveillance, et donc une responsabilité pour le préjudice causé au tiers lorsqu'il y a manquement. »

(Nos soulignements)

[349]      Pour que cette responsabilité du commettant existe, certaines conditions fondamentales sont nécessaires. L’auteur Vincent Karim, dans son traité sur les obligations, les résume ainsi :

« 3053. Les trois conditions essentielles à l’application de la présomption de responsabilité contre le commettant sont les suivantes : la preuve d’une faute personnelle du préposé, la preuve du lien de préposition (pouvoir de contrôle) et la preuve que le préposé se trouvait dans l’exécution de ses fonctions au moment du fait dommageable. La démonstration de ces éléments par le demandeur peut être faite par tous les moyens, y compris par la présomption de fait. »[109]

(Références omises) (Nos soulignements)

[350]      Quant à ce qui constitue ce pouvoir de contrôle du commettant, les auteurs Baudouin, Deslauriers et Moore résument ainsi l’état de la jurisprudence[110] :

« 1-844 – Généralités – D'une façon générale, la jurisprudence considère comme préposé celui qui agit pour le compte d'un autre et sous sa direction. Cette affirmation ne donne cependant aucune indication précise, ni quant au contenu exact de la notion, ni quant aux situations de fait susceptibles de faire naître ce lien. Par contre, il est intéressant d'évaluer le poids respectif des critères ou des facteurs relevés par la jurisprudence comme caractéristiques de la relation préposé-commettant. Certains d'entre eux, tels le contrôle et la surveillance du préposé, son choix, sa rémunération, sa qualité d'expert, apparaissent importants à première vue. D'autres, tel le fait de lui fournir les instruments de travail ou l'existence d'un lien de parenté, peuvent prétendre aussi à un impact moindre.

(…)

1-848 – Analyse – Les tribunaux estiment que le contrôle nécessaire à l'établissement d'un lien de préposition est celui qui permet au commettant de déterminer l'objectif de travail à atteindre et de donner des ordres au préposé sur la façon dont la tâche doit être exécutée. Ce contrôle comporte donc deux volets distincts : d'une part, l'autorité du commettant sur le préposé; d'autre part, l'état de subordination du préposé à l'égard du commettant. Cependant, toute relation d'autorité ou de subordination ne crée pas nécessairement un lien de préposition. De plus, l'intensité de l'autorité et le degré de subordination sont susceptibles de varier selon les espèces. Dans certains cas, l'autorité est totale et la subordination complète. Dans d'autres, au contraire, l'autorité est générale, mais le préposé conserve une marge d'initiative plus ou moins étendue dans l'exécution de ses tâches. »

(Nos soulignements)

[351]      La preuve ne permet aucunement de conclure à l’existence d’une relation de commettant-préposé ni à celle d’un mandat quelconque entre le CP et MMA.

La responsabilité découlant des liens entre le transporteur initial et le transporteur de liaison

[352]      Il est bien établi, et personne ne le conteste, que dans le cadre du transport de pétrole brut à partir de New Town vers Saint-Jean, le CP agit à titre de transporteur initial ou transporteur d’origine et que MMA agit comme transporteur de liaison ou de connexion.

[353]      Cette relation entre le transporteur initial, qui reçoit les biens de l’expéditeur à leur point d’origine, et le transporteur de liaison, à qui ils sont remis en cours de route, a-t-elle pour conséquence de créer à l’égard des tiers une responsabilité civile? En d’autres termes, le transporteur initial est-il responsable de dommages subis par des tierces parties en raison d’une faute commise par un transporteur de liaison?

[354]      L’analyse faite par le Tribunal des dispositions législatives et réglementaires, de la doctrine et de la jurisprudence, ainsi que des rapports d’experts et des témoignages soumis par les jurisconsultes américains, dont les services sont retenus par les parties, l’amène à considérer que les règles juridiques applicables en tel cas, qu’il s’agisse de celles en application aux États-Unis ou de celles applicables au Canada et plus particulièrement dans ce cas-ci au Québec, sont les mêmes. Il n’y a aucune responsabilité du transporteur initial pour des dommages causés à des tiers par un transporteur de liaison.

[355]      En droit canadien, le transporteur initial est responsable de toute perte subie par les marchandises transportées même si celle-ci résulte des agissements des autres transporteurs[111]. Cela ne rend toutefois pas le transporteur initial responsable des fautes ou faits dommageables ayant causé des dommages autres que ceux subis par les marchandises transportées.

[356]      En droit québécois, ce sont les dispositions du C.c.Q. qui s’appliquent. Outre celles relatives à la responsabilité générale, on retrouve, au chapitre VI et plus particulièrement aux articles 2040 C.c.Q. et suivants, les règles relatives au transport de biens. La responsabilité du transporteur y est prévue à l’article 2049 C.c.Q. et celle en cas de transport successif à l’article 2051 C.c.Q. :

« 2049. Le transporteur est tenu de transporter le bien à destination.

Il est tenu de réparer le préjudice résultant du transport, à moins qu’il ne prouve que la perte résulte d’une force majeure, du vice propre du bien ou d’une freinte normale.

(…)

2051. En cas de transport successif ou combiné de biens, l’action en responsabilité peut être exercée contre le transporteur avec qui le contrat a été conclu ou le dernier transporteur. »

[357]      Bien que ces dispositions créent pratiquement une obligation de résultat pour le transporteur et même si les parties ne soumettent au Tribunal aucune décision ou article de doctrine qui en traite spécifiquement, elles ne s’appliquent toutefois, dans l’esprit du Tribunal, qu’aux recours liés à la perte ou à la détérioration des produits transportés et aucunement à la responsabilité envers les tiers. C’est d’ailleurs le sens que l’on retrouve à ce sujet dans les commentaires du Ministre de la justice en lien avec cet article 2051 C.c.Q.

[358]      En droit américain, les règles sont sensiblement les mêmes que celles applicables en droit canadien et en droit québécois. La responsabilité du transporteur d’origine s’applique quant aux pertes ou dommages causés aux marchandises transportées, mais elle ne s’applique pas en ce qui concerne la responsabilité pour des dommages subis par des tierces parties.

[359]      Dans le cas d’un transport successif, l’expéditeur dispose d’un recours non seulement contre le transporteur qui a la possession des biens au moment où ils sont endommagés, mais aussi à l’encontre du transporteur initial. Toutefois, cette responsabilité ne s’étend pas, selon les précédents sur le sujet, aux dommages causés à une tierce partie par un transporteur de liaison[112].

[360]      Le Tribunal conclut donc qu’il n’existe aucun lien de commettant-préposé, de mandant et mandataire ni aucune responsabilité pour le transporteur initial quant aux gestes posés par un transporteur de liaison ou ses employés pour des dommages causés à une tierce partie.

[361]      Cette constatation s’impose malgré les liens évidents qui existent, particulièrement en raison des lois traitant du transport ferroviaire aux États-Unis et au Canada, entre le transporteur d’origine et le transporteur de liaison et les obligations auxquelles l’un et l’autre sont tenus en matière de transport de biens.

La responsabilité découlant de l’existence alléguée d’une société entre les parties

[362]      Dans un argument élaboré de façon plus spécifique en fin de procès, le PGQ plaide l’existence entre le CP et MMA d’une société en participation. Cette société résulterait à la fois d’une entente-cadre, spécifiquement identifiée comme « Master agreement »[113] conclue entre elles en 2002, au moment où MMA acquiert les voies ferrées anciennement détenues par le CP et aussi des opérations conjointes relatives au transport du pétrole brut entre l’Ouest canadien et américain et le Nouveau-Brunswick.

[363]      Sans procéder immédiatement à l’analyse de ces prétentions du PGQ, il apparaît utile d’établir les principales règles relatives à l’établissement d’une société en participation et à la responsabilité de ceux qui la constituent.

[364]      Le Code civil du Québec décrit ainsi ce qu’est un contrat de société et les éléments nécessaires à son existence :

« 2186. Le contrat de société est celui par lequel les parties conviennent, dans un esprit de collaboration, d’exercer une activité, incluant celle d’exploiter une entreprise, d’y contribuer par la mise en commun de biens, de connaissances ou d’activités et de partager entre elles les bénéfices pécuniaires qui en résultent. »

[365]      Quatre formes de sociétés sont prévues à l’article 2188 C.c.Q., soit celles en nom collectif, en commandite, en participation ou par actions.

[366]      Il n’est pas nécessaire, selon les dispositions de l’article 2250 C.c.Q., pour qu’existe une société en participation, qu’une entente écrite soit conclue. L’existence d’une telle société peut résulter de faits manifestes qui indiquent l’intention de s’associer.

[367]      Il faut toutefois, selon la doctrine et la jurisprudence, que l’on retrouve chez ceux qui pourraient constituer un tel genre de société une intention claire et sans équivoque de s’associer. Le simple fait de collaborer, de coopérer, de s’entraider pour réaliser un but commun n’est pas suffisant pour conclure à une intention de former une société.

[368]      Notre collègue, l’honorable Pierre Isabelle, confirmé par la Cour d’appel, résume ainsi les exigences de preuve à ce sujet[114] :

« [64] La formation d'une société exige trois conditions. Un esprit de collaboration; l'apport des parties et le partage des bénéfices pécuniaires résultant de la mise en commun des biens, des connaissances ou des activités.

[65]  Dans l'arrêt récent de Cimon et als v. Arès, la Cour d'appel saisit d'un litige nécessitant l'analyse de la qualification juridique de la relation des parties se réfère à l'enseignement du juge Lamer dans l'arrêt de la Cour suprême du Canada, Beaudoin-Daigneault v. Richard pour déterminer le cadre d'analyse pour apprécier l'intention commune des parties de former une société.

[66]  Le juge Lamer écrit :

Il faut rechercher, pour s'assurer qu'il y a affectio societatis, s'il résulte des faits qu'il y a un ensemble de présomptions interdisant toute contestation sérieuse, encore bien que chacun d'entre eux pris isolément puisse laisser place au doute.

[67]  Dans l'affaire précitée, la Cour d'appel écrit :

Cette intention est encore plus difficile à découvrir dans la société en participation parce qu'elle est soustraite à tout régime de publicité. On doit inférer cette intention de l'attitude des parties car « la seule indivision de biens existant entre plusieurs personnes ne fait pas présumer leur intention de s'associer ».

[68]  À ce sujet, l'auteure, Me Michelle Thériault, écrit ce qui suit :

"L'intention de former une société est primordiale lorsqu'on veut qualifier de contrat de société l'aventure commune des parties."

Elle ajoute :

"Les parties doivent s'associer dans un esprit de collaboration avec l'intention de former une société. En ce sens, les droits et les intérêts collectifs doivent primer sur les droits individuels de chacun des associés. On se réfère à cet élément essentiel sous l'expression latine affectio societatis."

[69]  Cette auteure met les tribunaux en garde de ne pas conclure trop rapidement à un contrat de société lorsque l'intention des parties est ambiguë. L'aventure commune peut, dans certains cas, être qualifiée de contrat de société, mais les parties doivent alors faire la preuve des trois éléments nécessaires à sa formation. »

(Références omises) (Nos soulignements)

[369]      Ces exigences quant à l’existence réelle d’une société sont traitées par la Cour suprême dans l’arrêt Churchill Falls c. Hydro-Québec[115], où l’on fait entre autres référence à l’extrait suivant d’un texte de l’auteur Vincent Karim[116] portant sur la formation et la nature juridique du consortium :

« 47.  Il faut cependant être conscient que dans bien des cas, la situation peut être confuse. En effet, la collaboration et la participation de plusieurs entreprises à la réalisation d’un projet industriel ne constituent pas à elles seules des éléments suffisants à la formation d’un consortium d’entreprises ou joint venture. Il est de l’essence même du consortium qu’il existe une volonté de partager les tâches, les rôles, et, surtout, la responsabilité ainsi que les pertes ou les profits qui résultent de l’exécution de l’ouvrage commandé par le client. Le fait que plusieurs entreprises assument chacune une partie des travaux pour un prix déterminé en offrant la collaboration qu’exige l’exécution des différentes parties du projet, sera insuffisant pour conclure à l’existence d’une entente de joint venture. C’est la volonté d’assumer ensemble la responsabilité qui découle de la réalisation du projet envisagé qui est le facteur déterminant pour que l’on soit en présence d’une telle entente. »

[370]      Lorsque l’existence d’une société en participation est démontrée, la responsabilité des associés de celle-ci à l’égard des tiers est déterminée principalement par les dispositions de l’article 2253 C.c.Q. qui se lisent ainsi :

« 2253 Chaque associé contracte en son nom personnel et est seul obligé à l’égard des tiers.

Toutefois, lorsque les associés agissent en qualité d’associés à la connaissance des tiers, chaque associé est tenu à l’égard de ceux-ci des obligations résultant des actes accomplis en cette qualité par l’un des autres associés. »

[371]      Bien que le PGQ prétende le contraire en suggérant au Tribunal de faire preuve d’ouverture et à ne pas hésiter à créer du droit nouveau, il est assez clairement reconnu et accepté que la responsabilité à laquelle réfèrent les dispositions de l’article 2253 C.c.Q. ne concerne que les obligations contractuelles face aux tiers et ne couvre aucunement la responsabilité extracontractuelle d’un des associés.

[372]      C’est clairement ce à quoi réfèrent les commentaires du Ministre concernant cet article 2253 C.c.Q.

[373]      L’interprétation que le PGQ voudrait donner à ces dispositions de l’article 2253 C.c.Q. n’est appuyée d’aucune autorité jurisprudentielle ni même doctrinale. Elle semble également aller à l’encontre des règles fondamentales relatives à la responsabilité extracontractuelle et à la nature d’une société.

[374]      Le Tribunal ne peut l’accepter de sorte que, même si l’existence d’une société en participation était démontrée entre le CP et MMA quant aux activités de transport du pétrole brut, cela ne créerait pas de responsabilité particulière du CP quant aux gestes posés par MMA ou ses employés.

10.             ANALYSE ET DISCUSSION

A) Les fautes reprochées au CP

[375]      Le Tribunal considère, en fonction des principaux reproches formulés par les parties demanderesses au CP[117], qu’il est approprié de procéder à l’analyse de ceux-ci sous quatre grands thèmes résumés ainsi, soit :

i)            Analyse de risques

Ne pas faire d’analyse de risques avant d’entreprendre le transport massif de pétrole brut, bien que ce nouveau projet comporte des modifications significatives à ses opérations et à celles de MMA, implique un produit particulièrement dangereux et que le trajet envisagé, et qu’elle favorise, comporte des voies ferrées en mauvais état et est sous la responsabilité d’une compagnie ferroviaire peu fiable et peu solvable (MMA) et ayant à sa connaissance un piètre dossier de sécurité.

ii)            Recommandation de MMA comme transporteur de liaison

Malgré sa connaissance des faiblesses du réseau de MMA et généralement de l’entreprise elle-même et de la piètre qualité de la gestion sécuritaire des opérations ferroviaires de celle-ci, incite malgré tout fortement l’expéditeur WFS à accepter ce transporteur de liaison.

iii)            Mauvaise classification et dangerosité du produit transporté

Ne pas poser les gestes adéquats pour constater la mauvaise classification du pétrole brut et ne pas informer adéquatement MMA quant à la nature particulièrement dangereuse du produit et tout cet aspect de la classification.

iv)            Absence d’intervention quant aux pratiques opérationnelles dangereuses de MMA

Ne pas intervenir auprès de MMA et des autorités lorsqu’il constate que cette entreprise a des pratiques opérationnelles dangereuses, particulièrement en laissant des trains unitaires de pétrole brut sans surveillance, la nuit, sur la voie ferrée principale, en haut d’une pente.

a)       Absence d’analyse de risques

Position des parties demanderesses

[376]      Les parties demanderesses, se fondant entre autres sur l’opinion de deux experts, M. David Richard Evans et M. Patrick F. Reilly[118], considèrent que pour de multiples motifs, le CP aurait dû, avant d’entreprendre ses opérations massives de transport de pétrole brut provenant de la région de Bakken, procéder à une analyse des risques tant sur son propre réseau que sur celui du transporteur de liaison MMA.

[377]      Les parties demanderesses plaident que ce transport de pétrole constitue un changement opérationnel significatif pour le CP et pour MMA et affirment ainsi qu’un transporteur de catégorie ou classe 1 a l’obligation de procéder à un tel processus d’analyse de risques, non seulement sur son propre réseau, mais aussi, en collaboration avec tout transporteur de liaison, sur le réseau de ce dernier.

[378]      Les parties demanderesses affirment qu’à titre de transporteur d’origine à qui l’expéditeur WFS demande un tarif d’entier parcours, le CP accepte, en le soumettant, une responsabilité pour l’entièreté de ce parcours.

[379]      Dans le cadre de cette analyse de risques qu’aurait dû faire le CP, celui-ci doit d’abord, selon les parties demanderesses, faire de meilleures vérifications en ce qui concerne la route qu’il entend proposer tant sur ses propres voies ferrées que sur celles du transporteur de liaison. Les parties demanderesses précisent que le CP doit à cet égard mieux vérifier la capacité de MMA de transporter sécuritairement le pétrole brut. Elles ajoutent qu’ensuite, après le début des opérations de transport, le CP doit s’informer d’une manière plus adéquate sur les agissements de MMA lorsqu’il apprend, ou doit apprendre, que celle-ci laisse régulièrement sans surveillance, sur une longue période et en haut d’une pente, les convois de wagons-citernes.

[380]      Les parties demanderesses invoquent que le choix de la route, particulièrement à partir de Montréal vers Saint-Jean, résulte de la volonté du CP plutôt que de celle de l’expéditeur WFS ou du consignataire IOL. Elles allèguent que le CP favorise spécifiquement et ensuite impose presque la participation de MMA à titre de transporteur de liaison.

[381]      Toujours dans le cadre de cette analyse de risques qu’aurait dû faire le CP, celui-ci, vu le caractère nouveau du pétrole en provenance de la formation de Bakken, doit mieux se renseigner sur ce qu’il doit transporter. Il doit ainsi faire des recherches plus approfondies sur la nature exacte de ce produit, sa dangerosité et les mesures de sécurité particulières à mettre en place pour son transport sécuritaire.

[382]      Les parties demanderesses reprochent aussi au CP de ne pas porter une attention adéquate à la classification donnée par l’expéditeur WFS au produit transporté malgré des indices évidents d’erreurs à ce sujet. Les parties demanderesses plaident que des recherches sommaires faites par le CP lui donnent suffisamment d’éléments pour l’inciter à poursuivre ses vérifications et porter une attention plus spécifique à la dangerosité du produit et surtout à sa mauvaise classification.

[383]      De plus, les parties demanderesses reprochent au CP de ne pas transférer au transporteur de liaison MMA une information complète en lien avec les propriétés du produit transporté.

[384]      Pour les parties demanderesses, une simple analyse de risques adéquate aurait permis d’être mieux informés, tant chez le transporteur initial que chez le transporteur de liaison, et ainsi de s’assurer qu’en raison de la volatilité du produit et de sa dangerosité importante, toutes les parties impliquées dans le transport soient plus prudentes et n’acceptent probablement pas ni ne permettent qu’un convoi de plus de 70 wagons-citernes soit laissé seul, sans surveillance, pour une nuit entière sur une voie principale en haut d’une pente.

[385]      Les parties demanderesses considèrent enfin que d’autres changements opérationnels significatifs imposent au CP de procéder à une analyse de risques. Selon elles, l’introduction de trains unitaires de pétrole brut, l’augmentation de volume de pétrole brut transporté et finalement les pratiques opérationnelles adoptées par MMA justifient une telle analyse de risques.

Position du CP

[386]      Le CP, appuyé en cela par l’opinion de son expert, M. Gary P. Wolf[119], et invoquant que dans la présentation de leur preuve les parties demanderesses ne sont pas en mesure de soumettre un seul exemple où une compagnie de chemin de fer de catégorie 1 ou un autre chemin de fer procède à une évaluation des risques relatifs au transport du pétrole brut en 2012 et 2013, plaide qu’une telle analyse de risques ne trouve assise ni dans la réglementation, ni dans les normes et pratiques de l’industrie, ni dans la jurisprudence.

[387]      Le CP affirme que la preuve démontre que le régulateur lui-même, TC, considère, à l’époque pertinente, qu’une telle évaluation du risque n’est pas requise.

[388]      Le CP ajoute que de telles évaluations du risque ne peuvent se faire et ne se font que sur le réseau où les compagnies opèrent elles-mêmes et jamais sur celui d’autres transporteurs, qu’il s’agisse de transporteurs d’origine ou de transporteurs de liaison.

[389]      De façon plus spécifique, le CP plaide que le transport de liquides inflammables, incluant le pétrole brut, est loin de constituer une nouvelle activité pour lui au début des années 2010 et que même s’il s’agit alors d’un marché en pleine expansion, cela ne constitue pas un changement dans ses pratiques opérationnelles.

[390]      De plus, le CP précise qu’il a l’habitude, en 2013 et depuis des dizaines d’années, d’effectuer des opérations de transport par trains unitaires et que MMA en fait également de façon relativement fréquente. Le CP réitère que cette façon de procéder ne constitue pas une modification d’importance à ses opérations ferroviaires ni à celles de MMA.

[391]      Le CP affirme aussi que le trajet utilisé pour le transport du pétrole brut à partir de New Town vers Saint-Jean ne constitue pas, en 2013, une nouvelle route et que tant lui-même que MMA ont, à cette époque, l’habitude de transporter toutes sortes de matières dangereuses sur leurs portions respectives de ce trajet.

[392]      En ce qui concerne ces éléments que le CP peut ou doit découvrir, selon les parties demanderesses, sur la classification du produit ou encore sur les méthodes opérationnelles de MMA, s’il procède à une analyse de risques, le CP affirme que rien n’exige en 2013 qu’il procède à une telle analyse de risques et qu’il ne connaît pas alors et n’a pas à connaître ni à s’informer sur les pratiques utilisées par l’expéditeur pour classifier le produit, ni celles mises en place par un transporteur de liaison pour ses opérations ferroviaires.

[393]      Sur ce dernier point, le CP invoque que la responsabilité à cet égard repose sur TC. Celui-ci, malgré tous les moyens mis à sa disposition par la législation et la réglementation, ne croit pas nécessaire d’intervenir pour que MMA modifie ses manières de faire, même en ce qui concerne le transport de produits pétroliers, particulièrement en ce qui concerne l’utilisation d’un seul employé (SPTO), le stationnement des convois pour de longues périodes sur la voie principale en haut d’une pente ni l’utilisation de trains unitaires.

.      .      .

[394]      Il n’y a rien au début des années 2010 aux États-Unis qui prévoit ou oblige les compagnies ferroviaires à procéder à une analyse de risques en ce qui concerne le transport de pétrole brut. À cette époque, tout ce qui est prévu concerne l’analyse de risques en matière de sécurité et de sûreté relativement aux itinéraires empruntés par des trains transportant des explosifs, des produits radioactifs ou dont l’inhalation est particulièrement dangereuse[120]. Cette obligation, pour une compagnie ferroviaire, d’analyser les routes sur son propre réseau ainsi que l’existence de routes alternatives ne s’applique nullement à d’autres réseaux ferroviaires.

[395]      Cette réglementation est modifiée en 2015, après le déraillement survenu à Lac-Mégantic, afin d’y ajouter les trains unitaires de pétrole brut. L’analyse qui doit être faite par une compagnie ferroviaire ne porte toutefois, comme auparavant, que sur son propre réseau et non sur celui de transporteurs de liaison.

[396]      La preuve ne révèle d’aucune manière, malgré les affirmations faites par les experts, M. Reilly et M. Evans[121], qu’il existe une règle ou une pratique dans l’industrie ferroviaire de procéder à une analyse de risques avant d’effectuer le transport de pétrole brut et encore moins qu’une telle analyse se fasse sur des voies ferrées d’autres compagnies ferroviaires.

[397]      Au Canada, il est prévu, en vertu du Règlement SGS que les compagnies ferroviaires doivent élaborer et mettre en application un SGS pour leurs réseaux respectifs. Il est prévu dans ce règlement SGS, à l’article 2 e), ce qui suit :

« 2 Toute compagnie de chemin de fer doit mettre en oeuvre et conserver un système de gestion de la sécurité qui comporte au moins les composantes suivantes :

(…)

e) un processus qui a pour objet :

(i) d’une part, de déterminer les problèmes et préoccupations en matière de sécurité, y compris ceux qui sont associés aux facteurs humains, aux tiers et aux modifications d’importance apportées aux opérations ferroviaires

(ii) d’autre part, d’évaluer et de classer les risques au moyen d’une évaluation du risque; »[122]

[398]      En avril 2015, les autorités canadiennes adoptent un nouveau règlement nommé Règlement de 2015 sur le système de gestion de la sécurité ferroviaire, qui indique aux compagnies ferroviaires qu’elles doivent désormais effectuer une évaluation du risque en cas d’augmentation du volume des marchandises dangereuses qu’elles transportent. Il s’agit de règles entièrement nouvelles, fort probablement mises en place à la suite de la tragédie de Lac-Mégantic.

[399]      La preuve ne révèle d’aucune façon qu’au début des années 2010, au moment où le transport par voie ferroviaire de pétrole brut subit une croissance très importante, les compagnies ferroviaires considèrent que l’utilisation de trains unitaires pour le transport de pétrole brut constitue un changement significatif dans leurs opérations ni même qu’il s’agit objectivement d’un tel changement.

[400]      De plus, même les inspecteurs et les dirigeants régionaux de TC, dont c’est la responsabilité première de veiller à la sécurité, ne considèrent pas, eux aussi à l’époque, que ce genre d’opérations constitue pour les compagnies ferroviaires, dont MMA, un changement significatif au sens de la réglementation[123].

[401]      Les compagnies ferroviaires, dont CP particulièrement et ensuite MMA, ont l’habitude dans leurs opérations courantes et régulières de transporter toutes sortes de marchandises dangereuses. Elles le font, dans la majorité des cas, en transportant ces marchandises à l’intérieur de « trains manifestes » qui comportent toutes sortes d’autres matières. Elles le font aussi, de manière moins régulière, par des convois de trains unitaires qui sont, si ce n’est entièrement tout au moins en très grande partie, constitués de wagons qui ne contiennent que des matières du même genre.

[402]      La preuve révèle que le transport de marchandises dangereuses par train unitaire ou par « train manifeste » comporte dans les deux cas des enjeux de sécurité. À certains égards, il semble plus facile et moins dangereux, au niveau de la manipulation et des opérations régulières, de ne transporter que des trains unitaires. Toutefois, le nombre considérable de wagons de matières dangereuses soulève d’autres enjeux de sécurité, particulièrement non pas dans les opérations régulières, mais lors d’un déraillement ou d’un déversement.

[403]      Le Tribunal considère que de l’ensemble de la preuve qui lui est présentée, il peut conclure qu’il lui est démontré, de manière prépondérante, qu’au début des années 2010, l’augmentation importante du transport de pétrole brut par trains unitaires ne constitue pas comme tel un changement significatif dans les opérations ferroviaires du CP ni dans celles de MMA.

[404]      Certes, ce nouveau marché nécessite la mise en œuvre d’un plus grand nombre de convois, la circulation plus fréquente de wagons-citernes sur les voies ferrées et impose aux compagnies ferroviaires, dont le CP et MMA, des enjeux organisationnels pour satisfaire la clientèle. Toutefois, eu égard à la législation alors en vigueur, aux règles et aux usages de l’industrie ferroviaire et même aux yeux des autorités réglementaires, cette augmentation du marché ne constitue pas alors un changement significatif nécessitant une analyse de risques au sens du Règlement SGS.

[405]      De toute évidence, à cette époque, le CP a l’habitude, et ce, depuis un très grand nombre d’années, de transporter toutes sortes de produits dangereux. L’ajout de cette opportunité d’affaires n’a pas d’impact significatif sur ses opérations.

[406]      Peut-être que l’impact est plus important pour MMA qui n’a évidemment pas le même volume d’affaires que le CP et qui a des ressources beaucoup moins importantes. Toutefois, cette entreprise n’est pas une néophyte dans le domaine du transport de pétrole brut ni dans celui du transport de marchandises dangereuses. Ses dirigeants ont une longue expérience dans le domaine ferroviaire et ont l’habitude de gérer le transport de marchandises dangereuses.

[407]      De toute façon, le Tribunal considère qu’il ne lui est pas démontré par la preuve que les parties demanderesses lui présentent qu’une compagnie ferroviaire de classe 1, qui agit comme transporteur d’origine, a l’obligation de procéder à une analyse de risques concernant les opérations ferroviaires qui s’effectuent sur le réseau d’un transporteur de liaison à qui elle transfère les wagons-citernes au moment où sa propre portion du transport est terminée.

[408]      Outre les opinions théoriques et appuyées sur aucun fait ou exemple précis formulées par les experts, M. Reilly et M Evans, aucune preuve n’est faite, malgré l’importance du transport de pétrole brut au début des années 2010, qu’une seule compagnie ferroviaire, qu’elle agisse comme transporteur d’origine ou comme transporteur de liaison, ou qu’elle soit de classe 1 ou un CFIL, procède à une telle analyse de risques avant d’entreprendre le transport de pétrole brut.

[409]      De plus, aucune preuve n’est présentée pour démontrer que, dans quelque circonstance que ce soit et quelle que soit la dangerosité du produit transporté, un transporteur initial, à qui l’on demande de soumettre un tarif d’entier parcours, procède alors non seulement sur son propre réseau, mais aussi sur le réseau d’un transporteur de liaison à une analyse de risques impliquant entre autres la qualité des voies ferrées, celle des équipements ou encore les enjeux sécuritaires découlant des opérations de ce transporteur de liaison.

[410]      Rien dans la preuve ne permet de conclure qu’un transporteur d’origine doit s’assurer, dans le cadre d’une analyse de risques, que l’expéditeur procède adéquatement et de manière conforme à la législation en ce qui concerne l’identification et la classification du produit qu’il veut lui confier pour le transport.

[411]      Les voies ferrées sont l’objet d’inspections, de vérifications et de supervisions régulières par les autorités gouvernementales responsables d’assurer la sécurité du transport ferroviaire, particulièrement en ce qui concerne les matières dangereuses.

[412]      Les compagnies ferroviaires elles-mêmes, qu’il s’agisse de transporteurs de classe 1 ou de transporteurs régionaux ou CFIL, sont soumises à l’obligation d’obtenir un certificat d’aptitude délivré par l’OTC pour leurs opérations[124]. Elles doivent ensuite non seulement se soumettre à leurs propres règles internes relatives à la sécurité établies dans le cadre de leurs SGS, mais elles doivent aussi se soumettre à celles prescrites par la législation et la réglementation. Toutes les compagnies ferroviaires sont aussi régulièrement sujettes et soumises aux vérifications de TC.

[413]      Ce n’est pas aux compagnies ferroviaires, même à celles qui agissent comme transporteur d’origine, à entreprendre des vérifications sur les réseaux ou sur les opérations des compagnies avec lesquelles elles font des interconnexions.

[414]      Les compagnies ferroviaires n’ont ni les moyens ni les ressources et surtout pas les possibilités d’intervenir pour procéder à de telles vérifications ou à des interventions à ce sujet.

[415]      Le système ferroviaire nord-américain et particulièrement celui qui existe au Canada n’est ni conçu, ni réglementé, ni géré de façon à ce que des analyses de risques se fassent par un transporteur sur le réseau d’une autre entreprise.

[416]      De plus, la preuve ne démontre pas qu’il fasse partie des règles, des usages ou des coutumes dans la gestion des réseaux ferroviaires canadiens que les transporteurs doivent, avant d’interconnecter avec d’autres transporteurs, se questionner sur la sécurité des opérations de ceux-ci. Il est normal qu’un transporteur puisse se fier, quant à cet aspect, sur les certificats de conformité émis par l’OTC et sur les vérifications et inspections régulières qui sont faites par les inspecteurs à l’emploi de TC.

[417]      Les rapports et les témoignages des experts Wolf et Marshall confirment clairement cette situation[125]. Ils établissent clairement que les obligations auxquelles réfèrent les experts Reilly et Richard[126] dans leurs expertises n’existent pas dans l’industrie ferroviaire.

[418]      Certes, en présence d’une situation claire et évidente concernant la présence d’un risque imminent et sérieux, aucun transporteur ne peut demeurer passif et il est normal en de telles circonstances que l’on considère qu’il doive alors dénoncer de telles situations. Toutefois, cela ne va pas jusqu’à exiger, comme le prétendent les parties demanderesses, qu’un transporteur doive procéder à des analyses de risques hors réseau et surtout pas lorsque les opérations qu’il envisage ne sont pas des changements significatifs en ce qui concerne ses propres opérations, mais aussi, à première vue, en ce qui concerne celles du transporteur de liaison.

[419]      De toute façon, les recherches que les demanderesses auraient voulu que le CP approfondisse quant à la nature du produit transporté n’auraient pas nécessairement permis de conclure que le pétrole brut était autre chose qu’un liquide inflammable de classe 3 et dont le groupe d’emballage pouvait être PG-I, PG-II ou PG-III. Dans l’une ou l’autre de ces classifications, les wagons-citernes nécessaires au transport sont les mêmes que ceux utilisés par les expéditeurs. De plus, les procédures de transport et d’opérations ferroviaires sont les mêmes quel que soit le groupe d’emballage et les mesures de sécurité ne changent pas. Pour l’essentiel, les mesures d’intervention après sinistre sont, sinon identiques, fort semblables.

[420]      La classification du produit selon le groupe d’emballage peut varier, selon la preuve, en fonction de l’endroit d’où provient le pétrole brut. Le groupe d’emballage peut aussi être influencé par l’endroit où le produit est extrait du sol par des puits de forage et probablement aussi en fonction des méthodes utilisées pour l’extraire et le traiter en vue de son transport.

[421]      La preuve révèle que ce n’est qu’une fois le produit extrait du sol et initialement traité en vue de son transport que l’on peut véritablement le classifier quant au groupe d’emballage, et ce, en fonction de certains critères propres au produit lui-même.

[422]      La preuve révèle que dans la majorité des cas, le pétrole brut provenant de la formation de Bakken est classé ou doit l’être dans les groupes d’emballage I ou II. Selon les billets de camionnage, il y en a aussi parfois une partie qui est classifiée dans le groupe d’emballage III.

[423]      Au moment du transbordement, dernière étape avant que ne débute comme tel le transport ferroviaire, le CP peut, à prime abord, se fier à la classification de l’expéditeur. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce point dans un chapitre suivant du présent jugement.

[424]      Quant aux éventuels résultats d’une analyse de risques portant sur le réseau de MMA, cela n’aurait pu être qu’une opération partielle et dont les résultats auraient pu être faussés par l’absence de données accessibles.

[425]      La preuve révèle également que l’essentiel des informations recueillies par les autorités réglementaires et par les inspecteurs de TC est confidentiel et n’est généralement pas accessible au public. Une partie, très sommaire et qui demande des recherches plus pointues, l’est aux États-Unis.

[426]      Le CP n’aurait certainement pas été en mesure d’obtenir plus d’informations que celles détenues par TC lui-même ou peut-être par le ministère des Transports du Québec (MTQ) qui subventionne régulièrement divers travaux effectués par MMA sur son réseau. Cet organisme procède aussi à l’époque à des vérifications de la situation de MMA et procède à l’analyse des états financiers de cette entreprise.

[427]      Ces deux entités gouvernementales ne soulèvent jamais, d’aucune façon avant la tragédie, l’incapacité de MMA d’effectuer du transport de marchandises dangereuses. Elles ne considèrent pas non plus qu’il leur faut intervenir pour faire cesser certaines opérations de cette entreprise en ce qui concerne le transport de marchandises dangereuses.

[428]      De plus, TC ne semble pas considérer nécessaire d’intervenir pendant cette période, tout au moins pas suffisamment, et ce, malgré qu’il sait que MMA opère son réseau et procède au transport de marchandises dangereuses en utilisant qu’un seul opérateur (SPTO).

[429]      TC, qui a beaucoup plus de moyens d’intervention que le CP en ce qui concerne les activités de MMA, ne semble pas non plus considérer qu’il lui faut intervenir pour empêcher MMA de laisser des convois importants de matières dangereuses sur la voie principale à Nantes sans surveillance ni même exiger de MMA des mesures concrètes et particulières pour éviter que ne se reproduisent certaines failles qu’elle a pu constater dans ses opérations.

[430]      Quant aux découvertes qu’aurait pu faire le CP, selon les parties demanderesses, s’il procède à une analyse de risques, rien dans la preuve ne permet de conclure que ces démarches amèneraient une modification de certains des processus mis en place ni à l’élimination de MMA comme transporteur de liaison. Nous aurons l’occasion de revenir sur ces deux derniers aspects.

[431]      En conclusion sur ce reproche quant à l’absence d’analyse de risques, le Tribunal considère que CP n’a pas l’obligation légale ou réglementaire de procéder à une telle analyse spécifique de risques avant d’entreprendre le transport de pétrole brut par train unitaire entre la région de Bakken et le Nouveau-Brunswick. Cette obligation n’existe certainement pas quant à une analyse des opérations de MMA ou de son réseau.

[432]      De plus, puisque le produit transporté est pour l’essentiel, selon la preuve présentée, de même nature que plusieurs autres produits pétroliers inflammables de classe 3 déjà transportés par d’autres compagnies ferroviaires et par le CP, celui-ci n’a pas à pousser plus loin ses vérifications préalables quant à la nature du produit.

[433]      CP a fait sommairement certaines vérifications pour mieux connaître la nature du produit, particulièrement en ce qui concerne les exigences quant à l’usage des wagons-citernes. Pour le reste, l’analyse et la classification finale du produit relèvent de l’expéditeur et de l’importateur. Ces deux entreprises sont des spécialistes des produits pétroliers alors que le CP ne l’est pas, même si plusieurs de ses employés ont des connaissances à ce sujet. Nous aurons aussi l’occasion de revenir sur ce point.

b)       Recommandation de MMA comme transporteur de liaison

Position des parties demanderesses

[434]      Toutes les parties demanderesses reprochent au CP de faire affaire avec MMA afin de couvrir une partie du trajet emprunté pour le transport du pétrole brut à partir du Dakota du Nord vers le Nouveau-Brunswick.

[435]      Tel que le Tribunal l’identifie au paragraphe 262, sous paragraphe 1, du présent jugement, deux des cinq questions que les représentants jugent encore pertinentes et que le Tribunal discute en lien avec les questions communes déterminées dans le jugement d’autorisation portent sur cet aspect du dossier.

[436]      Il apparaît utile de les reproduire de nouveau, à savoir :

  1. CP a-t-il été négligent dans le cadre de ses discussions et négociations avec WFS pour le choix du trajet afin d’acheminer les liquides de schiste de New Town au Dakota du Nord vers Saint-Jean au Nouveau-Brunswick et a-t-il eu un rôle prépondérant et fautif dans la détermination finale du trajet et par voie de conséquence, du transporteur utilisé?
  2.  CP a-t-il été négligent en choisissant, suggérant, recommandant ou permettant que les liquides de schiste acheminés à partir de New Town au Dakota du Nord vers Saint-Jean au Nouveau-Brunswick le soient sur la voie ferrée propriété du transporteur ferroviaire MMA?

[437]      Il ressort clairement de ces deux interrogations que les parties demanderesses reprochent au CP de faire preuve de négligence en choisissant lui-même ou en suggérant, recommandant ou favorisant que le trajet pour le transport du pétrole brut à partir de New Town vers Saint-Jean se fasse sur les voies ferrées de MMA plutôt que sur celles du CN.

[438]      Les parties demanderesses affirment que ce sont des motifs économiques et concurrentiels qui amènent le CP, malgré la piètre réputation de MMA, à tout faire pour éviter d’inclure le CN dans ce transport régulier fort lucratif.

[439]      Les parties demanderesses ajoutent que le CP, à titre de transporteur d’origine ou « d’arrangeur principal » du transport ferroviaire, incite clairement et directement WFS à choisir le trajet de MMA plutôt que celui du CN et qu’en se faisant, le CP fait fi des problèmes organisationnels de MMA ainsi que de ses difficultés financières.

[440]      Les parties demanderesses précisent que malgré les réticences exprimées à une certaine époque tant par IOL que par WFS, quant à la qualité du service offert par MMA, le CP maintient sa position et manœuvre indûment pour soumettre un tarif d’entier parcours peu compétitif, dans sa proposition incluant le CN, par rapport à celui soumis pour le trajet impliquant MMA.

[441]      Les parties demanderesses considèrent que dans les négociations et représentations faites par le CP auprès de WFS, le CP induit cette dernière en erreur quant aux risques encourus en choisissant d’utiliser les services de MMA et d’emprunter ses voies ferrées. Selon les demanderesses, le CP a alors accès à toutes sortes d’informations qui auraient dû l’amener à éviter un tel trajet.

[442]      Les parties demanderesses plaident également qu’après avoir pris connaissance de certaines pratiques opérationnelles de MMA et de certaines difficultés éprouvées par cette dernière dans l’entretien de ses locomotives et dans la gestion de ses équipages, le CP doit intervenir et cesser de faire des interconnexions avec MMA pour le transport du pétrole brut par trains unitaires et que le CP doit alors alerter les autorités. Ce dernier aspect sera plutôt discuté dans une portion ultérieure de ce jugement.

Position du CP

[443]      Il s’agit, dans cette section du jugement, de s’attarder à ce que le CP sait ou doit savoir, au début des années 2010, quant à la culture et aux pratiques opérationnelles de MMA avant de l’inclure dans un tarif d’entier parcours. Il faut aussi examiner jusqu’à quel point le CP doit intervenir auprès de WFS ou de IOL pour leur proposer, comme le suggèrent les parties demanderesses, un trajet plus sécuritaire.

[444]      Le CP plaide qu’avant 2013, il n’a aucun moyen efficace pour connaître les problèmes que peut éprouver MMA dans la gestion sécuritaire de ses opérations ni pour être informé des failles existantes dans la formation de ses employés, la supervision adéquate de leur travail et la mise en place de méthodes pour modifier leur comportement et corriger leurs défaillances.

[445]      Le CP affirme qu’en apparence à tout le moins et certainement aux yeux de l’ensemble de l’industrie, MMA n’est pas particulièrement reconnue à l’époque pour faire preuve de négligence systémique en matière de sécurité ni qu’elle éprouve des problèmes sérieux dans la gestion de ses opérations ferroviaires régulières.

[446]      De plus, le CP considère que si de telles problématiques sérieuses existent, c’est alors le rôle et la mission de TC, par l’entremise de ses inspecteurs, de s’assurer que MMA met en place son SGS et que l’entreprise et ses employés se conforment aux règles de sécurité. Selon le CP, c’est aussi à TC, en cas de violation des règles, d’intervenir soit pour les sanctionner soit pour s’assurer que des mesures adéquates sont appliquées pour éviter leur répétition.

[447]      D’autre part, CP précise que TC ainsi que le MTQ et même la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), un des actionnaires principaux de MMA tout en étant un mandataire du gouvernement du Québec pour la gestion des économies des Québécois, sont en bien meilleure posture et certainement en mesure d’avoir accès beaucoup plus facilement et de façon plus complète aux informations sur la véritable situation financière de MMA, sa capacité à opérer son réseau ferroviaire et à entretenir ses voies ferrées.

[448]      Le CP plaide qu’à sa connaissance et bien que les équipements utilisés par MMA sont loin d’être tout neufs, il n’est pas de son ressort ni sous sa responsabilité de s’assurer de leur qualité, de leur efficacité ou de leur sécurité.

[449]      D’ailleurs, le CP précise à ce sujet que de nombreuses compagnies ferroviaires font face, de manière régulière, à une rareté de ressources matérielles et humaines, mais que cela n’a pas pour effet, de façon directe, d’affecter la sécurité des opérations. De toute façon, plaide le CP, si cela est le cas, les autorités fédérales, mandatées législativement et chargées par la réglementation d’assurer la sécurité des entreprises ferroviaires et de l’inspection de celles-ci, doivent elles-mêmes vérifier ces aspects. Le CP prétend que ce n’est pas à lui de le faire pour MMA quand bien même cette entreprise est un transporteur de liaison.

[450]      Le CP souligne que MMA inspecte et entretient elle-même ses propres locomotives et le fait même, en 2012 et 2013, pour d’autres entreprises ferroviaires.

[451]      Le CP suggère que l’état des voies ferrées de MMA n’affecte aucunement la sécurité de ses opérations à l’époque et que pourvu que les avis de ralentissement et les normes à respecter quant à la vitesse soient suivis, rien n’empêche qu’elle utilise ses voies ferrées pour le transport de matières dangereuses. De plus, même si une partie des voies ferrées de MMA est non signalisée (Dark territory), cela est loin d’être exceptionnel et n’empêche nullement des opérations ferroviaires sécuritaires.

[452]      Le CP considère également que l’utilisation par MMA d’un seul employé (SPTO), pour certaines de ses opérations ferroviaires, ne rend pas celles-ci dangereuses d’autant que TC autorise cette procédure opérationnelle et qu’au surplus, TC la supervise et la « monitorise ». De toute façon, le CP plaide que la preuve révèle que les opérations SPTO n’ont aucune incidence dans le déraillement. D’ailleurs, les parties demanderesses ne semblent plus en faire un argument déterminant.

[453]      Dans un autre ordre d’idées, le CP prétend que tant WFS que IOL connaissent très bien MMA et ont elles-mêmes entrepris des discussions directes avec celle-ci dès les premiers moments où du transport de pétrole brut est envisagé et même après qu’il ne débute par la suite à partir de l’Ouest canadien ou américain vers la raffinerie de IOL au Nouveau-Brunswick.

[454]      CP précise que même si elle favorise, au début des années 2010, une liaison ferroviaire avec MMA plutôt qu’avec le CN pour des motifs concurrentiels évidents, mais justifiés, tant WFS que IOL ont, elles aussi, des raisons pratiques ou économiques d’utiliser les services de MMA comme transporteur de liaison et que ce sont elles qui décident finalement de choisir ce trajet et ce transporteur de liaison.

.      .      .

[455]      WFS est une compagnie fort élaborée et elle a un chiffre d’affaires de plusieurs milliards de dollars américains. Elle se décrit elle-même, à l’époque, comme une compagnie à l’avant-garde dans le domaine de la logistique relative aux produits pétroliers.

[456]      WFS a l’habitude de contracter directement avec des entreprises de transport de toutes sortes, dont des compagnies ferroviaires, pour acheminer son pétrole à partir des lieux de forage vers sa clientèle répartie entre autres en Amérique du Nord.

[457]      WFS est une cliente de CP depuis de très nombreuses années lorsqu’en 2010 débutent certaines opérations de transport plus fréquentes à partir d’abord de l’Ouest canadien à Stoughton et ensuite de l’Ouest américain à New Town.

[458]      Les responsables de la conclusion des ententes chez WFS sont des spécialistes du domaine et connaissent très bien les différentes facettes de l’industrie du transport et plus particulièrement du transport ferroviaire. Ils ont aussi une connaissance utile et élaborée des divers intervenants et des manières de faire.

[459]      La preuve révèle que WFS est une entreprise qui négocie avec expérience et de manière serrée et qui connaît fort bien les aspects du transport ferroviaire et ses particularités. Elle connaît le genre de transporteurs, le genre d’ententes possibles (train unitaire, train manifeste), ainsi que les diverses formes de tarification.

[460]      Au début des années 2010, WFS achète ses produits pétroliers de nombreux producteurs qui en font l’extraction pour les lui vendre ensuite. Elle a l’habitude de contracter avec plusieurs entreprises de transport par route ou par rails et elle est elle-même impliquée comme partenaire dans les opérations de transbordement entre les camions-citernes et les wagons-citernes qu’elle loue de divers fournisseurs pour emmagasiner ses produits.

[461]      À l’époque, en plus des installations de transbordement dans lesquelles elle a des intérêts à New Town et auxquelles sont reliées les voies ferrées du CP, il existe plusieurs autres centres de transbordement qui sont desservis, ceux-là, non par le CP, mais par d’autres transporteurs ferroviaires d’importance dont, entre autres, un des compétiteurs principaux de CP, la compagnie ferroviaire BNSFR.

[462]      D’ailleurs, pendant cette période, WFS fait affaire non seulement avec le CP pour le transport de ses produits, mais aussi avec plusieurs autres transporteurs d’origine.

[463]      Bien que les parties demanderesses affirment que WFS est captive du CP à New Town pour le transport de son pétrole, cela n’est pas démontré. Certes, si WFS désire utiliser ses installations de New Town dans lesquelles elle a investi des sommes importantes en copartenariat, elle doit alors retenir les services de CP. Toutefois, rien ne l’empêche d’acheminer, comme elle le fait dans d’autres circonstances, ses produits à partir d’autres centres auxquels le CP n’a pas un accès direct. De toute évidence, si WFS n’est pas satisfaite des services offerts par le CP, cela demeure une alternative.

[464]      En 2012, alors que WFS veut ajouter une destination à celle déjà existante avec le CP à partir de Stoughton vers Saint-Jean, elle entreprend des démarches pour ouvrir un autre trajet, celui-là à partir de ses installations de New Town.

[465]      WFS demande alors au CP de lui soumettre des propositions d’entier parcours. Le CP étant le transporteur d’origine à partir de New Town, il est d’usage régulier dans l’industrie ferroviaire que ce soit à lui que l’on s’adresse et que, par la suite, ce soit encore lui qui fasse les démarches auprès de tous les transporteurs de liaison impliqués afin de préparer une grille de tarifs.

[466]      Il est normal alors que le CP, qui dessert déjà WFS et IOL à partir de Stoughton vers Saint-Jean en utilisant les services de MMA comme transporteur de liaison, envisage d’abord d’établir un trajet qui implique encore MMA.

[467]      Il faut préciser que le CP tire évidemment des avantages de cette relation avec MMA et qu’il ne posera certainement pas de gestes pour favoriser les activités de son principal compétiteur, le CN.

[468]      Toutefois, il faut aussi constater que IOL reçoit déjà du pétrole par l’entremise de MMA du côté Ouest de sa raffinerie et qu’elle fait auparavant des démarches et entreprend des discussions et des échanges directement avec MMA pour maximiser ses capacités d’approvisionnement en pétrole.

[469]      Si WFS requiert, en 2012, une tarification du CP pour un tarif d’entier parcours couvrant même des opérations par train unitaire, c’est d’abord parce que IOL est fortement intéressée à acheter son pétrole pour ses installations de raffinage, mais aussi parce qu’une nouvelle voie d’expédition pour WFS permettrait d’augmenter le volume de ses ventes, compte tenu des limites de chaque installation de transbordement et d’expédition et aussi du peu de possibilités d’utiliser des pipelines.

[470]      À cette époque, WFS veut maximiser ses ventes et IOL veut augmenter ses approvisionnements. Le CP, quant à lui, est évidemment disponible pour satisfaire les exigences de sa clientèle et entend bien le faire, particulièrement en raison de la forte concurrence dans le domaine.

[471]      Il est pertinent de souligner que les démarches de WFS afin de trouver de nouveaux débouchés pour son pétrole brut et celles de IOL pour augmenter ses approvisionnements et s’assurer que ses installations de raffinage à Saint-Jean fonctionnent à plein régime débutent avant même que le CP ne soit impliqué comme transporteur d’origine.

[472]      À cette époque, IOL a des discussions depuis un bon bout de temps avec MMA pour connaître son intérêt, ses capacités et les possibilités qu’elle participe à ce transport. WFS a elle aussi des discussions avec IOL. Celle-ci envisage même, un certain moment, de payer elle-même les coûts de transport, lesquels de toute façon font partie du prix de vente que lui facture WFS.

[473]      Puisque WFS envisage d’expédier son pétrole vers IOL, plusieurs trajets sont possibles. À partir de New Town, il n’y a comme transporteur d’origine que le CP. Toutefois, d’autres transporteurs d’origine, tel BNSFR, sont disponibles dans la région de la formation de Bakken pour faire ce genre de transport. WFS les utilise déjà d’ailleurs.

[474]      À partir du moment où WFS détermine qu’elle veut expédier du pétrole brut à partir de New Town vers Saint-Jean, il y a encore là plusieurs trajets qui sont disponibles ou possibles. D’ailleurs, dans les années antérieures, IOL reçoit divers produits pétroliers provenant de l’Ouest américain, lesquels empruntent entre autres les voies de Pan AM pour leur transport.

[475]      Pour que le pétrole circule à travers l’état du Maine, avant de se rendre au Nouveau-Brunswick où le transporteur local, New Brunswick Southern Railway (NBSR), est en connexion avec MMA, il faut absolument que les services de MMA soient utilisés. IOL peut recevoir du pétrole à l’Est de ses installations industrielles en utilisant les services de CN, mais il lui est nécessaire, si elle veut recevoir son pétrole par l’Ouest, d’utiliser les services de MMA.

[476]      Ainsi, alors que IOL peut accueillir le pétrole qui lui est acheminé soit par l’Est ou par l’Ouest de ses installations, WFS peut quant à elle expédier ce pétrole à partir de plusieurs endroits différents. Évidemment, si WFS choisit le CP comme transporteur d’origine, ce sera nécessairement, pour le Dakota du Nord, à partir de New Town.

[477]      De la même façon, si IOL préfère recevoir, pour divers motifs, ses produits à l'Est, elle doit utiliser le CN. Toutefois, si elle préfère un accès par l’Ouest, il lui faut alors, comme déjà établi, nécessairement utiliser les services de MMA. Ainsi, pour une livraison du pétrole par l’Ouest, que le transporteur d’origine ou d’interliaison soit le CP, BNSFR ou Pan AM, il faut nécessairement qu’IOL utilise les voies de MMA.

[478]      Pendant les années antérieures à 2010, la preuve tend à démontrer que la très grande majorité des wagons-citernes contenant du pétrole acheminé par WFS vers l’Est canadien ou américain, par l’entremise du CP, est insérée dans des convois manifestes. Pour ce faire, WFS n’utilise pas seulement les services de CP. Elle fait régulièrement des ententes avec d’autres entreprises, dont le CN.

[479]      De son côté, IOL reçoit quant à elle, avant 2012, des produits pétroliers provenant de l’Ouest canadien ou de l’Ouest américain, soit par les voies ferrées du CN ou par celles de MMA en connexion avec NBSR.

[480]      En raison de l’augmentation du volume exigé par IOL pour ses installations de Saint-Jean, WFS requiert en 2012 de CP, avec lequel elle fait déjà des affaires à partir de Stoughton au Canada, de nouveaux tarifs d’entier parcours, cette fois-ci à partir de New Town pour des trains unitaires, mais aussi pour des convois manifestes.

[481]      Selon les usages de l’industrie ferroviaire, il apparaît tout à fait normal que WFS, suite à ses discussions avec IOL, demande de tels tarifs au CP puisque celui-ci, en interconnexion avec MMA, livre déjà du pétrole brut de même nature à partir de Stoughton.

[482]      Les premières propositions faites par le CP pour les tarifs d’entier parcours à partir de New Town vers Saint-Jean impliquent donc MMA puisque l’autre parcours, à partir de Stoughton, est déjà à la connaissance et à la demande de WFS et IOL effectué par le CP et MMA.

[483]      Il apparaît pertinent d’indiquer dès à présent, même si le Tribunal entend y revenir de façon plus approfondie dans une autre partie du présent jugement, que MMA est, avant 2012, une entreprise de transport ferroviaire avec laquelle IOL fait régulièrement  affaire, soit pour recevoir, soit pour expédier des produits et des marchandises parfois dangereuses acquises ou vendues par IOL dans le cadre de ses opérations à Saint-Jean.

[484]      Pour le CP, il est alors normal et non exceptionnel de soumettre des tarifs qui impliquent MMA à IOL et WFS, d’autant que l’autre possibilité de trajet implique un concurrent direct de CP, le CN.

[485]      De plus et de toute évidence en raison de la plus grande longueur du trajet si les services du CN sont utilisés, cela a certainement une incidence sur les coûts totaux chargés à WFS, mais évidemment assumés en fin de compte par IOL.

[486]      Par la suite et avant même que ne débutent de façon importante et régulière les convois de trains unitaires entre New Town et Saint-Jean, IOL et par voie de conséquence WFS, qui accorde et finalise les contrats de transport, expriment une certaine insatisfaction contre MMA pour des problèmes d’efficacité et de qualité du service. Ce sont directement IOL et WFS qui requièrent du CP un changement de trajet et en conséquence, demandent un nouveau tarif impliquant, à l’Est de Montréal, l’utilisation des voies ferrées du CN.

[487]      Cette situation illustre bien, quelles que soient les prétentions des parties demanderesses, que ce sont l’expéditeur WFS et le consignataire-acheteur IOL qui ont le dernier mot quant à la détermination du trajet. Cela semble normal parce que, d’une part, IOL peut recevoir les wagons-citernes soit de MMA en interconnexion avec NBSR soit du CN selon ce qui lui convient le mieux. D’autre part, c’est WFS qui paie le transport et qui demande en conséquence, suite aux plaintes de IOL, de lui soumettre de nouvelles options.

[488]      La preuve révèle même qu’à un certain moment, en septembre 2012, la possibilité pour l’expéditeur WFS ou le consignataire acquéreur IOL d’utiliser les services de MMA semble exclue vu l’insatisfaction d’IOL. C’est pourquoi WFS demande alors au CP de contacter le CN afin d'obtenir ses taux pour sa portion de trajet entre Montréal et Saint-Jean. Pendant cette période, il y a même des échanges par lesquels WFS se montre insatisfaite des coûts exigés par le CN pour sa portion du trajet ainsi que ceux exigés conjointement par le CN et le CP pour l’entier parcours.

[489]      Les échanges entre WFS et le CP, ainsi qu’entre le CP et le CN, semblent jusqu’à un certain point porter fruit puisqu’après la proposition d’une certaine réduction conjointe par CP et CN, un tarif d’entier parcours, qui semble satisfaire WFS, est ajouté en annexe aux ententes contractuelles temporaires alors utilisées pour le transport du pétrole même si l’entente initiale est expirée.

[490]      La preuve révèle que le CN ne semble pas vraiment intéressé ou à tout le moins certainement pas pressé de soumettre une proposition impliquant une interconnexion avec le CP. De toute évidence, pour le CP, ce trajet nécessitant une utilisation des voies du CN n’est pas non plus ce qu’il favorise compte tenu des enjeux concurrentiels.

[491]      La preuve révèle toutefois que MMA, informée entre autres par le CP de la décision de IOL de privilégier le trajet sur les voies du CN, fait elle-même de nombreuses démarches, directement avec le CP, mais aussi avec WFS, pour maintenir cette activité. MMA fait donc ses propres représentations pour convaincre WFS, mais surtout le CP, que cette décision de les retirer du trajet n’est pas la bonne. MMA travaille surtout à convaincre le CP de sa capacité à recevoir, à transporter et à livrer un nombre accru de wagons-citernes dans des trains unitaires le plus fréquemment possible et dans des délais raisonnables.

[492]      Ces démarches, faites de façon intense en septembre et octobre 2012, sont fructueuses de sorte qu’IOL, qui reçoit les wagons, doit les gérer avant leur déchargement et doit ensuite les retourner, décide de poursuivre ses opérations avec MMA comme transporteur de liaison plutôt qu’avec le CN.

[493]      Il importe de souligner que dans les récriminations d’IOL ou de WFS contre MMA, l’enjeu de sécurité n’est jamais abordé. Les plaintes sont plutôt fondées sur l’inefficacité de MMA et parfois la piètre qualité de son service.

[494]      Tout cela illustre bien que ce sont finalement WFS et IOL qui déterminent le trajet et, par voie de conséquence, le transporteur de connexion. Parmi les critères de sélection de ces entreprises, les coûts, mais aussi les enjeux de délais et de service sont importants. Pendant toute cette période d’incertitude, MMA a certainement l’appui du CP qui a lui aussi intérêt à ce que MMA soit partie prenante de ce transport. Finalement, MMA réussit, par ses représentations particulièrement avec IOL, à la rassurer.

[495]      WFS et IOL ne sont certes pas des étrangers pour MMA et MMA n’est pas elle non plus une entreprise inconnue de WFS et d’IOL. Dans le cadre de l’ensemble des discussions, WFS connaît le fait que MMA a ses propres exigences particulières quant aux tarifs soumis et, entre autres, quant au volume minimum requis pour établir des taux sur une plus longue période.

[496]      En raison de la preuve qui lui est présentée en ce qui concerne les démarches et négociations, d’abord préalables à la conclusion d’une première entente entre WFS et le CP et ensuite dans le cours des discussions qui se poursuivent pour la prolongation de cette entente, le Tribunal considère que ce n’est pas le CP qui fait le choix final du trajet et qui impose à WFS ou à IOL d’utiliser les services de MMA.

[497]      De plus, rien dans la preuve ne permet de conclure de façon suffisamment précise que le CP a accès ou peut avoir accès facilement à des informations troublantes ou inquiétantes concernant les façons d’opérer de MMA avant la conclusion de l’entente initiale.

[498]      La preuve ne révèle pas que, à la connaissance du public ni même à la connaissance des entreprises impliquées dans le transport ferroviaire, MMA opère un réseau dont les voies ferrées sont tellement vétustes et mal entretenues, avec des équipements dont l’entretien est si négligé ou que la formation et la supervision de ses employés sont déficientes à un tel point que tout cela constitue en soi un danger imminent que se doit de connaître le CP et donc, qu’il doit intervenir soit comme transporteur d’origine ou comme transporteur de classe 1 pour s’opposer à l’utilisation des services de MMA.

[499]      D’abord, avant la tragédie, le CP n’a pas accès à des informations spécifiques et publiques concernant des failles précises dans le réseau de MMA, dans ses équipements ni dans sa manière de gérer sécuritairement ses opérations. De telles informations peuvent certainement être à la connaissance de TC, mais elles ne sont ni publiques, ni facilement accessibles, ni publiées.

[500]      Comme précédemment déjà mentionné, ce n’est pas au CP à surveiller les activités de MMA ni même à agir de façon à déceler des failles dans ses opérations pouvant l’amener à agir de sorte que cette entreprise soit exclue des trajets envisagés pour le transport de matières dangereuses.

[501]      Le Tribunal considère que toutes les règles, toutes les manières de fonctionner et tous les usages de l’industrie ferroviaire ne permettent pas de conclure que le CP doit intervenir et, par la suite, soit vérifier, soit s’inquiéter, avant de confier des marchandises dangereuses, quant à la condition de ses voies ferrées, de la vétusté de ses équipements ou de la mauvaise performance sécuritaire de ses opérations.

[502]      Le Tribunal considère que c’est le rôle de TC et de ses inspecteurs de faire de telles vérifications et si nécessaire, d’intervenir comme le lui permettent la législation et la réglementation.

[503]      Le Tribunal considère également qu’il n’y a aucune obligation légale ou même coutumière qui impose à CP, qu’il agisse soit comme transporteur d’origine ou qu’il soit considéré comme transporteur de classe 1, de s’assurer qu’un transporteur de liaison, à qui il transfère des wagons-citernes, opère de manière adéquate et sur des voies sécuritaires avec des équipements en bonne condition. Cette obligation n’existe pas, que le transporteur de liaison soit lui-même un transporteur de classe 1 ou qu’il soit plutôt un transporteur régional ou même un CFIL.

[504]      En fonction de toutes ces circonstances et en fonction de la preuve présentée, le Tribunal conclut que le CP n’est pas négligent dans le cadre de ses discussions et négociations avec WFS, ni même avec IOL, pour le choix du trajet entre New Town et Saint-Jean et qu’il n’a pas non plus, même si son rôle est important, eu un impact fautif dans la décision finale quant au trajet.

[505]      Le Tribunal considère que le CP se doit d’offrir ou de suggérer, parmi les trajets possibles pour acheminer le pétrole vers Saint-Jean, celui nécessitant d’utiliser les voies ferrées de MMA, surtout que la preuve révèle que cette entreprise a déjà à l’époque des liens d’affaires fréquents avec IOL et un accès pratiquement direct avec les installations de cette entreprise à Saint-Jean en utilisant le transporteur local NBSR.

c)       Mauvaise classification et dangerosité du produit transporté

[506]      Les parties demanderesses, chacune de leur côté, tant dans leurs actes de procédure que dans leurs plans d'argumentation, reprochent divers éléments fautifs au CP quant à ce qui concerne la mauvaise classification et la dangerosité du pétrole brut qui doit être transporté de New Town vers Saint-Jean.

[507]      Le Tribunal aura l'occasion de revenir de manière plus élaborée sur tous les éléments reprochés et sur l'analyse qu'il faut en faire.

Les principales règles et pratiques de l’industrie

[508]      Il apparaît toutefois important, dès à présent et pour une meilleure compréhension, de préciser les principales règles établies de manière législative ou réglementaire ainsi que les pratiques courantes instaurées au fil des ans quant à la classification, aux fins de transport entre autres ferroviaire, des produits ou matières dangereuses.

[509]      Les règles en ce domaine tant aux États-Unis qu'au Canada se ressemblent. Certaines distinctions existent, mais pour l'essentiel, surtout afin de faciliter le commerce international, elles sont de manière fondamentale complémentaires.

[510]      Il y a une certaine importance à préciser les règles américaines parce que c'est dans ce pays que débutent les opérations du transport ferroviaire du pétrole brut même si, par la suite, elles se font au Canada et que la tragédie survient au Québec, avant que le convoi ne finisse son trajet prévu en partie dans l'état du Maine aux États-Unis et ensuite au Nouveau-Brunswick jusqu'à sa destination finale à Saint-Jean.

[511]      Tel que déjà mentionné, le transport de marchandises dangereuses est principalement réglementé par le chapitre 49 CFR et principalement aux parties §105 à 180. Dans la législation américaine, le terme anglais employé pour identifier la réglementation concernant les marchandises dangereuses est « Hazardous Materials Regulations » (HMR).

[512]      Cette réglementation américaine spécifie que les tâches préalables au transport et qui concernent la classification et l'emballage des marchandises dangereuses sont sous la responsabilité de l'expéditeur. Celui-ci est la personne qui offre la cargaison au transporteur et/ou celle qui effectue l'une des fonctions préalables au transport.

[513]      C'est également, selon la réglementation, l'expéditeur qui a la responsabilité de préparer la documentation en s'assurant d'indiquer adéquatement le code numérique international approprié, la dénomination précise de la marchandise, la classe, le groupe d'emballage et la quantité du produit transporté.

[514]      C'est aussi l'expéditeur qui doit, selon la réglementation, certifier la conformité de la cargaison. Toutes ces informations apparaissent généralement dans un connaissement (Bill of lading « BOL »).

[515]      En vertu de la législation et de la réglementation au Canada, il est d'abord prévu qu'une marchandise dangereuse qui arrive par transport au Canada n'a pas besoin d'obtenir une nouvelle classification et celle établie aux États-Unis ainsi que la documentation préparée et l'affichage demeurent les mêmes. En résumé, si la réglementation américaine est suivie, le transport peut se poursuivre au Canada.

[516]      De toute façon, le Règlement sur le transport des marchandises dangereuses, (Règlement TMD), au Canada, établit, comme aux États-Unis, que la responsabilité de la classification des matières dangereuses incombe à l'expéditeur. C'est aussi, selon cette réglementation, l'expéditeur qui doit compléter la documentation relative au transport et afficher les placards. La réglementation canadienne prévoit toutefois que les responsabilités imposées à l'expéditeur quant à la classification reposent aussi sur les épaules de l'importateur de marchandises dangereuses. Cela permet certainement, en cas de manquements, de rechercher la responsabilité réglementaire non seulement de l'expéditeur qui risque d'être une compagnie étrangère, mais aussi celle d'une compagnie ayant des opérations canadiennes.

[517]      Il est également prévu, tant dans la législation et la réglementation américaines que dans celles qui prévalent au Canada qu'un transporteur a le droit de se fier à la classification des marchandises certifiées par l'expéditeur ou un transporteur antérieur.

[518]      Toutefois, cette possibilité de se fier aux informations fournies par l'expéditeur comporte, tant aux États-Unis qu'au Canada, une certaine limite. Les deux réglementations prévoient que si une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances et agissant avec une diligence raisonnable doit savoir que l'information fournie est incorrecte, le transporteur doit alors cesser le transport, informer l'expéditeur de ses soupçons quant à la classification de la marchandise dangereuse et demander à ce que celui-ci vérifie ou rectifie la classification soupçonnée d'être incorrecte.

[519]      Il apparaît approprié de reproduire ici les textes pertinents tels qu'ils existent en 2013 aux États-Unis et au Canada.

[520]      Aux États-Unis, ce sont principalement les articles suivants tirés de l’USC :

« § 171.1 Applicability of Hazardous Materials Regulations (HMR) to persons and functions.

(a) Packagings. Requirements in the HMR apply to each person who manufactures, fabricates, marks, maintains, reconditions, repairs, or tests a packaging or a component of a packaging that is represented, marked, certified, or sold as qualified for use in the transportation of a hazardous material in commerce, including each person under contract with any department, agency, or instrumentality of the executive, legislative, or judicial branch of the Federal government who manufactures, fabricates, marks, maintains, reconditions, repairs, or tests a packaging or a component of a packaging that is represented, marked, certified, or sold as qualified for use in the transportation of a hazardous material in commerce.

(b) Pre-transportation functions. Requirements in the HMR apply to each person who offers a hazardous material for transportation in commerce, causes a hazardous material to be transported in commerce, or transports a hazardous material in commerce and who performs or is responsible for performing a pre-transportation function, including each person performing pre-transportation functions under contract with any department, agency, or instrumentality of the executive, legislative, or judicial branch of the Federal government. Pre-transportation functions include, but are not limited to, the following:

(1) Determining the hazard class of a hazardous material.

(2) Selecting a hazardous materials packaging.

(3) Filling a hazardous materials packaging, including a bulk packaging.

(4) Securing a closure on a filled or partially filled hazardous materials package or container or on a package or container containing a residue of a hazardous material.

(5) Marking a package to indicate that it contains a hazardous material.

(6) Labeling a package to indicate that it contains a hazardous material.

(7) Preparing a shipping paper.

(8) Providing and maintaining emergency response information.

(9) Reviewing a shipping paper to verify compliance with the HMR or international equivalents

(10) For each person importing a hazardous material into the United States, providing the shipper with timely and complete information as to the HMR requirements that will apply to the transportation of the material within the United States.

(11) Certifying that a hazardous material is in proper condition for transportation in conformance with the requirements of the HMR.

(12) Loading, blocking, and bracing a hazardous materials package in a freight container or transport vehicle.

(13) Segregating a hazardous materials package in a freight container or transport vehicle from incompatible cargo.

(14) Selecting, providing, or affixing placards for a freight container or transport vehicle to indicate that it contains a hazardous material

(c) Transportation functions. Requirements in the HMR apply to transportation of a hazardous material in commerce and to each person who transports a hazardous material in commerce, including each person under contract with any department, agency, or instrumentality of the executive, legislative, or judicial branch of the Federal government who transports a hazardous material in commerce. Transportation of a hazardous material in commerce begins when a carrier takes physical possession of the hazardous material for the purpose of transporting it and continues until the package containing the hazardous material is delivered to the destination indicated on a shipping document, package marking, or other medium, or, in the case of a rail car, until the car is delivered to a private track or siding…

171.2 General requirements.

(…)

(e) No person may offer or accept a hazardous material for transportation in commerce unless the hazardous material is properly classed, described, packaged, marked, labeled, and in condition for shipment as required or authorized by applicable requirements of this subchapter or an exemption or special permit, approval, or registration issued under this subchapter or subchapter A of this chapter.

(f) No person may transport a hazardous material in commerce unless the hazardous material is transported in accordance with applicable requirements of this subchapter, or an exemption or special permit, approval, or registration issued under this subchapter or subchapter A of this chapter. Each carrier who transports a hazardous material in commerce may rely on information provided by the offeror of the hazardous material or a prior carrier, unless the carrier knows or, a reasonable person, acting in the circumstances and exercising reasonable care, would have knowledge that the information provided by the offeror or prior carrier is incorrect.

(…)

i) No person may certify that a hazardous material is offered for transportation in commerce in accordance with the requirements of this subchapter unless the hazardous material is properly classed, described, packaged, marked, labeled, and in condition for shipment as required or authorized by applicable requirements of this subchapter or an exemption or special permit, approval, or registration issued under this subchapter or subchapter A of this chapter. Each person who offers a package containing a hazardous material for transportation in commerce in accordance with the requirements of this subchapter or an exemption or special permit, approval, or registration issued under this subchapter or subchapter A of this chapter, must assure that the package remains in condition for shipment until it is in the possession of the carrier.

(j) No person may, by marking or otherwise, represent that a container or package for transportation of a hazardous material is safe, certified, or in compliance with the requirements of this chapter unless it meets the requirements of all applicable regulations issued under Federal hazardous material transportation law. »

(Nos soulignements et emphases)

[521]      Au Canada, la version française de certaines de ces principales règles établies par le législateur canadien est la suivante :

Règlement sur le transport des marchandises dangereuses[127]

« 2.2 Responsabilité concernant la classification.

L’expéditeur est responsable de la détermination de la classification des marchandises dangereuses. En règle générale, cette activité est effectuée par une personne qui comprend la nature des marchandises dangereuses, ou en consultation avec une telle personne, notamment un fabricant, une personne qui prépare des mélanges ou des solutions de marchandises ou, dans le cas de matières infectieuses, un médecin, scientifique, vétérinaire, épidémiologiste, généticien, microbiologiste, pathologiste, infirmier, coroner ou technologue ou technicien de laboratoire.

(1) Avant de permettre à un transporteur de prendre possession de marchandises dangereuses en vue de leur transport, un expéditeur en détermine la classification conformément à la présente partie.

(2) Un expéditeur qui importe des marchandises dangereuses au Canada veille à ce que leur classification soit la bonne avant leur transport au Canada.

(…)

(5) Si une erreur de classification est constatée ou s’il existe des motifs raisonnables de soupçonner une telle erreur, l’expéditeur ne peut permettre au transporteur de prendre possession des marchandises dangereuses en vue de leur transport jusqu’à ce que la classification ait été vérifiée ou rectifiée.

(6) Un transporteur qui constate une erreur de classification ou qui a des motifs raisonnables de soupçonner une telle erreur pendant que les marchandises dangereuses sont en transport en avise l’expéditeur et cesse de transporter les marchandises dangereuses jusqu’à ce que l’expéditeur en ait vérifié ou rectifié la classification. L’expéditeur vérifie ou rectifie immédiatement la classification et veille à ce que le transporteur reçoive la classification ainsi vérifiée ou rectifiée.

En lisant les articles 2.3 à 2.6, il est à noter que le mot « classification » est défini à la partie 1, Entrée en vigueur, abrogation, interprétation, dispositions générales et cas spéciaux, et qu’il comprend, selon le cas, l’appellation réglementaire, la classe primaire, le groupe de compatibilité, la classe subsidiaire, le numéro UN, le groupe d’emballage et les catégories des matières infectieuses. DORS/2008-34

(…)

3.1 Responsabilités de l’expéditeur

Une personne peut être à la fois l’expéditeur et le transporteur d’un même envoi, par exemple, dans le cas d’un fabricant qui transporte les marchandises dangereuses qu’il produit.

(1) Avant d’autoriser un transporteur à prendre possession de marchandises dangereuses en vue de leur transport, l’expéditeur établit et remet un document d’expédition au transporteur ou, avec l’accord de celui-ci, une copie électronique du document d’expédition.

(2) Dans le cas de marchandises dangereuses importées au Canada, l’expéditeur doit s’assurer que, avant leur transport au Canada, le transporteur possède un document d’expédition ou, avec l’accord de celui-ci, une copie électronique du document d’expédition qui contient les renseignements exigés par le présent règlement.

3.2 Responsabilités du transporteur

Selon les définitions de « transporteur » et « en transport », une personne qui est, par exemple, un transitaire en possession de marchandises dangereuses en transport est considérée comme étant un transporteur pour l’application du présent règlement.

(1) Il est interdit à tout transporteur de prendre possession de marchandises dangereuses en vue de leur transport à moins d’avoir le document d’expédition pour ces marchandises dangereuses.

(2) Un transporteur qui accepte une copie électronique d’un document d’expédition produit, avant de prendre possession des marchandises dangereuses en vue de leur transport, un document d’expédition à partir de la copie électronique.

(3) Les marchandises dangereuses en transport sont en possession du transporteur depuis le moment où celui-ci en prend possession en vue de les transporter jusqu’au moment où une autre personne en prend possession.

(4) Pendant que les marchandises dangereuses sont en transport et qu’elles sont en sa possession, le transporteur conserve le document d’expédition à l’emplacement prévu aux articles 3.7 à 3.10.

(5) Au plus tard au moment du transfert de possession à un autre transporteur des marchandises dangereuses, le transporteur remet le document d’expédition, ou une copie de celui-ci, à cet autre transporteur ou, avec son accord, lui remet une copie électronique du document d’expédition.

(6) Au plus tard au moment où une personne, autre qu’un autre transporteur de marchandises dangereuses, prend possession des marchandises dangereuses, le transporteur des marchandises dangereuses remet à cette personne un document sur lequel les marchandises dangereuses sont indiquées ou, avec son accord, une copie électronique d’un document sur lequel les marchandises dangereuses sont indiquées.

(7) Un transporteur peut remplacer un document d’expédition fourni par l’expéditeur par un nouveau document d’expédition ou par une copie de celui-ci ayant une présentation différente.

(…)

3.5 Renseignements devant figurer sur le document d’expédition

(1) Les renseignements suivants doivent figurer sur un document d’expédition :

a) les nom et adresse de l’établissement de l’expéditeur au Canada;

b) la date à laquelle le document d’expédition, ou une copie électronique de celui-ci, a été établi ou remis en premier à un transporteur;

c) la description de chaque marchandise dangereuse dans l’ordre suivant :

(i) l’appellation réglementaire suivie, à moins qu’elle n’en fasse déjà partie :

(A) dans le cas de marchandises dangereuses assujetties à la disposition particulière 16 de l’annexe 2, de l’appellation technique, entre parenthèses, de la matière la plus dangereuse reliée à la classe primaire,

(B) dans le cas d’un gaz de pétrole liquéfié sans odorisant, de la mention « Sans odorisant » ou « Not Odorized » ou « Not Odourized »,

(ii) la classe primaire, qui peut figurer soit comme chiffre seulement, soit sous la rubrique « Classe » ou « Class » ou à la suite de la mention « Classe » ou « Class », DORS/2002-306

(iii) dans le cas des marchandises dangereuses dont la classe primaire est la classe 1, Explosifs, la lettre du groupe de compatibilité à la suite de la classe primaire,

(iv) la ou les classes subsidiaires, entre parenthèses, qui peuvent figurer soit sous forme de chiffre seul, soit sous la rubrique « classe subsidiaire » ou « subsidiary class », soit à la suite de la mention « classe subsidiaire » ou « subsidiary class », sauf pour le transport par aéronef ou par navire, auquel cas la ou les classes subsidiaires peuvent figurer à la suite des renseignements exigés par le présent alinéa, DORS/2008-34

(v) le numéro UN,

(vi) le chiffre romain du groupe d’emballage, qui peut figurer sous la rubrique « GE » ou « PG » ou être précédé des lettres « GE » ou « PG » ou de la mention « Groupe d’emballage » ou « Packing Group », DORS/2008-34

(vii) Abrogé DORS/2008-34

ESSENCE, 3, UN1203, II

ESSENCE, Classe 3, UN1203, GE II

ISOBUTYLAMINE, Classe 3, Classe subsidiaire (8), UN1214, II

ISOBUTYLAMINE, Classe 3(8), UN1214, Groupe d’emballage II

DORS/2008-34

(…)

4.4 Responsabilités de l’expéditeur

(1) Avant d’importer des marchandises dangereuses ou de permettre à un transporteur au Canada d’en prendre possession en vue du transport, l’expéditeur doit :

a) apposer les indications de danger — marchandises dangereuses exigées sur chaque petit contenant dans lequel sont placées les marchandises dangereuses ou veiller à ce qu’elles soient apposées;

b) apposer les indications de danger — marchandises dangereuses exigées sur chaque grand contenant dans lequel sont placées les marchandises dangereuses ou veiller à ce qu’elles soient apposées; DORS/2008-34

c) fournir au transporteur les indications de danger — marchandises dangereuses à l’égard des marchandises dangereuses dont il demande le transport ou qu’il importe et qui sont destinées à être transportées dans un grand contenant.

(2) L’expéditeur n’est pas tenu de fournir les indications de danger — marchandises dangereuses mentionnées à l’alinéa (1)c) dans les cas suivants :

a) elles sont déjà apposées sur le grand contenant;

b) ce ne sont pas les bonnes indications de danger — marchandises dangereuses à apposer parce que d’autres marchandises dangereuses se trouvent dans le grand contenant.

Lorsque l’expéditeur fournit le grand contenant, il appose les indications de danger — marchandises dangereuses. Lorsque le transporteur fournit le grand contenant, l’expéditeur lui fournit les indications de danger — marchandises dangereuses appropriées. »

(Nos soulignements et emphases)

Position des parties demanderesses

[522]      Les parties demanderesses considèrent que le CP avait, compte tenu d'un certain nombre d'éléments spécifiques, de très nombreux motifs ou qu'il est en présence de suffisamment d'indices ou d'informations de sorte qu'il a ou doit, en 2012 et 2013, avoir connaissance que le produit transporté est mal classifié et qu'il est beaucoup plus dangereux que ne le laisse croire le groupe d'emballage utilisé lors de la classification.

[523]      De façon plus spécifique, les parties demanderesses suggèrent que de nombreux fanions rouges (red flags) ou indices auraient certainement dû amener le CP à se questionner sérieusement sur la classification donnée par l'expéditeur WFS au pétrole brut provenant de la région de Bakken. Voici de façon sommaire ces éléments :

a)     Le fait que le pétrole brut, provenant de plusieurs puits différents et transporté par camions-citernes jusqu'au centre de transbordement à New Town, est mélangé juste avant le transport ferroviaire.

b)     Aucun document interne chez le CP ne classe le pétrole brut de la région de Bakken sous le groupe d'emballage PG-III.

c)     Plusieurs employés ou responsables de divers secteurs chez le CP savent que le pétrole léger et le pétrole « Sweet » ne peuvent être du groupe d'emballage PG-III.

d)     Certains formulaires MSDS circulent auprès d'employés du CP avant le déraillement et indiquent que le pétrole brut de la région de Bakken est classé dans les groupes d'emballage PG-I ou PG-II.

e)     Le CP sait que le pétrole brut de la région de Bakken nécessite une classification dans le même groupe d'emballage que l'éthanol et qu'il ne peut donc être classé PG-III.

f)       Les billets de transport par camionnage indiquent très majoritairement un groupe d'emballage autre que PG-III.

g)     Les formulaires MSDS connus du CP et concernant du pétrole brut de la région de Bakken identifient de manière fortement majoritaire que celui expédié par WFS ne peut être classifié sous PG-III.

h)     Quelques jours avant la tragédie, le CP est informé par un responsable des installations de transbordement de SST, M. Eli Jasso, que le pétrole brut transporté pouvait être mal classifié.

i)        Le CP ne respecte pas ses responsabilités concernant la vérification de la déclaration de l'expéditeur.

j)        Il est connu par l'industrie que le pétrole brut de la région de Bakken est volatile et dangereux lors de son transport.

k)     WFS est la seule cliente du CP qui classifie le pétrole brut de la région de Bakken sous le groupe d'emballage PG-III.

l)        Des employés du CP savent que les formulaires MSDS soumis par certains fournisseurs de pétrole brut de la région de Bakken sont imprécis.

[524]      Les parties demanderesses considèrent donc que le CP se renseigne mal auprès de l'expéditeur WFS quant à la classification donnée par celui-ci au pétrole brut et par voie de conséquence, il ne transfère pas des informations adéquates au transporteur de liaison MMA quant à la dangerosité du produit transporté.

[525]      Les parties demanderesses affirment que le CP, en fonction de toutes les démarches qu'il effectue dans les mois qui précèdent le début de ses opérations de transport de pétrole pour WFS et IOL et aussi de celles qu'il poursuit par la suite, doit avoir connaissance que le pétrole brut de la région de Bakken ne peut être du pétrole portant la classification du groupe d'emballage PG-III.

[526]      Cette connaissance d'une fort probable mauvaise classification ou les indices permettant de soupçonner une telle mauvaise classification doivent ainsi amener le CP à refuser de transporter le pétrole brut qui lui est remis par WFS, et ce, tant et aussi longtemps que cette entreprise ne vérifie pas la classification et lui confirme ensuite la véritable classification qui doit être utilisée.

Position du CP

[527]      En réponse à ces nombreux reproches qui lui sont formulés concernant son inaction et même sa négligence à réagir malgré les nombreux indices quant à la mauvaise classification donnée par WFS au produit transporté, mais aussi quant à la dangerosité réelle du produit transporté, le CP affirme, d'une part, qu'il agit toujours en tant que transporteur raisonnable et prudent et que, d'autre part, ni la loi ni les pratiques reconnues dans l'industrie ferroviaire ne lui imposent de poser les gestes ou de prendre les mesures suggérées par les parties demanderesses.

[528]      Le CP ajoute que, de toute façon, ses pouvoirs ou sa capacité d'intervention comme transporteur sont limités et qu'en fin de compte, l'expéditeur WFS, même s'il est déjà sensibilisé par d’autres interventions à ce sujet à une possible problématique quant à la classification du produit qu'il expédie, n'a jamais voulu modifier le groupe d'emballage.

[529]      Le CP précise qu'en fonction de toutes les exigences et de toutes les facettes du transport de marchandises dangereuses, particulièrement dans le domaine ferroviaire, les règles ou pratiques que les demanderesses veulent qu'il respecte sont inapplicables en plus d'être irréalistes.

[530]      De façon plus spécifique, le CP affirme que les législations et réglementations américaines et canadiennes lui permettent de se fier à la classification donnée au produit dangereux par l'expéditeur WFS et que la preuve ne démontre rien qui peut raisonnablement l'amener à douter sérieusement de cette classification.

[531]      Le CP plaide que la quantité considérable de marchandises dangereuses transportées par l'ensemble des compagnies ferroviaires en Amérique du Nord et de façon plus spécifique par lui-même, ainsi que la très grande diversité de produits dangereux, font en sorte qu'il est impossible, pour un transport efficace, d'exiger du transporteur qu'il vérifie lui-même la classification ou qu'il doive adopter des mesures impossibles à gérer.

[532]      Le CP précise que de toute évidence, c'est l'expéditeur qui est le mieux placé pour procéder à la classification des marchandises dangereuses puisqu'il est certainement le sinon l'un des intervenants qui a ou doit avoir une connaissance adéquate du produit transporté.

[533]      Le CP ajoute qu'il serait illusoire d'envisager que les transporteurs ferroviaires aient les connaissances nécessaires pour s'assurer de la classification adéquate des produits dangereux, entre autres en raison de la diversité de ces produits, de la multitude de caractéristiques et des mesures fort variées pour permettre leur classification.

[534]      De plus, le CP souligne que, généralement, les marchandises dangereuses sont transportées dans des contenants scellés et que les transporteurs n'ont ni la compétence ni les qualifications pour ouvrir et encore moins pour en contrôler la classification. C'est d'ailleurs pour cette raison, selon le CP, que lorsqu'un transporteur soupçonne une erreur de classification, ses obligations d'intervenir sont limitées à refuser de transporter ou de poursuivre le transport du produit dangereux jusqu'à ce que l'expéditeur vérifie et rectifie lui-même la classification s'il y a lieu.

[535]      Le CP soumet que rien dans la législation et la réglementation, ni dans les manières de procéder dans l'industrie ferroviaire, ne suggère ni ne permet de considérer qu'un transporteur ferroviaire qui a des doutes sur la classification doive exiger de l'expéditeur des preuves spécifiques ou la production de résultats de tests ou de la documentation pertinente. Selon le CP, tout ce que le transporteur raisonnable doit faire dans de telles circonstances c'est d'indiquer à l'expéditeur qu'il a des doutes et de lui demander de vérifier et de corriger s'il y a lieu la classification. Le CP considère que ce n'est pas au transporteur à évaluer la qualité des méthodes employées ni celles des démarches effectuées ou des tests faits par l'expéditeur pour conclure quant à la classification d'un produit.

[536]      Le CP ajoute qu'il n'est pas raisonnable de s'attendre à ce qu'un transporteur soit en mesure de recevoir et d'interpréter les informations portant sur la classification de milliers de produits, ni d'envisager qu'un transporteur puisse posséder les connaissances et les ressources adéquates pour se déclarer satisfait de l'exactitude d'une classification que ferait un expéditeur après qu'on lui soulève des doutes.

[537]      De plus, questionne le CP, que se passera-t-il en cas de désaccord entre l'expéditeur dont c'est la responsabilité première de classifier le produit et le transporteur qui a des obligations de transporteur public? Jusqu'où doit aller le transporteur dans ses exigences auprès de l'expéditeur quant à une reclassification et une révision de celle-ci?

.      .      .

[538]      La preuve prépondérante permet au Tribunal de considérer les principaux éléments suivants comme des faits prouvés relativement à la classification et la dangerosité du pétrole brut transporté par le CP et MMA à la réquisition de WFS et pour livraison à IOL.

[539]      Ce sont ces mêmes éléments qui amènent le Tribunal à faire les constatations et tirer les conclusions suivantes sur ce sujet de la connaissance et de la responsabilité du CP dans la classification erronée du pétrole brut qui se déverse lors du déraillement à Lac-Mégantic.

[540]      Au cours des années 2011, 2012 et 2013, divers employés du CP, occupant des responsabilités diverses et de niveaux différents et œuvrant dans plusieurs secteurs ou services distincts, accèdent à une multitude d'informations, très souvent générales et parfois un peu plus spécifiques et certainement de différentes natures, concernant le pétrole brut provenant de la formation de Bakken.

[541]      Certaines de ces informations sont recueillies ou rassemblées afin de permettre à des représentants officiels du CP de faire des présentations[128] auprès d'un comité du sénat canadien qui étudie l'émergence, assez récente, du transport en grande quantité de pétrole à partir de l'Ouest vers l'Est canadien. Ces présentations visent à démontrer le caractère sécuritaire du transport ferroviaire comparativement aux pipelines.

[542]      Les vérifications faites pour obtenir ces informations ne comportent toutefois aucune analyse scientifique ni recherches fondamentales concernant les caractéristiques spécifiques et particulières des divers produits transportés, qu'il s'agisse de pétrole léger (light crude) ou de pétrole lourd (heavy crude). Elles sont faites de façon générale sur Internet[129] pour mieux comprendre sommairement les différentes caractéristiques du pétrole brut entre autres quant à sa consistance et ses divers types.

[543]      La documentation préparée par le service dédié aux marchandises dangereuses du CP permet de constater que celui-ci semble bien conscient des différents types de pétrole brut et de ses principales caractéristiques et établit clairement une certaine distinction entre le pétrole brut et le pétrole brut léger. Il est également possible de constater que ce service considère que le type de pétrole brut léger est du groupe d'emballage I ou II. Ce service est aussi fort conscient que le pétrole brut est un produit dangereux dont le transport constitue un risque substantiel[130].

[544]      D'autres informations concernant le pétrole brut, plus particulièrement en lien avec les opportunités d'affaires, sont également recueillies, mais généralement de façon assez sommaire. Elles le sont principalement pour que le CP soit en mesure d'établir certaines stratégies de marketing et de facturation et pour permettre de mieux connaître les enjeux commerciaux découlant de ce marché en voie de croissance importante au début des années 2010[131].

[545]      En raison de ces démarches, demandes d'informations et vérifications, plusieurs employés et dirigeants du CP en apprennent alors un peu plus sur le pétrole brut que l'entreprise envisage et espère transporter sur une plus grande échelle.

[546]      Certains employés ou dirigeants du CP apprennent aussi que ce pétrole brut ne peut être transporté dans certaines catégories de wagons-citernes et doit absolument l'être dans des wagons-citernes identifiés DOT-111 ou dans des wagons-citernes encore plus résistants que ces derniers.

[547]      Il arrive également, dans d'autres circonstances et dans le cadre de leur travail, que certains employés du CP accèdent à des informations provenant de fiches MSDS ou suggèrent même à leur clientèle expéditrice d'utiliser de telles fiches pour vérifier certaines propriétés des produits qu'ils expédient, particulièrement pour faire un choix adéquat des wagons-citernes qu'ils entendent utiliser[132].

[548]      Il n'y a toutefois, au sein du CP, aucun spécialiste désigné pour vérifier, contrôler, tester ou classifier les marchandises dangereuses. Le CP considère, tel que la législation et la réglementation l’établissent, que cela concerne principalement et surtout les expéditeurs.

[549]      Il n'y a pas non plus, au sein des divers secteurs dans l'organisation du CP, de responsable dédié à l'analyse, la vérification, la conformité ni même à la cueillette d'informations relatives à la fabrication, à la transformation, à l'identification et à la classification des marchandises dangereuses.

[550]      Il n'y a pas non plus, chez le CP, d'employé ni de service dédié à s'informer ni à vérifier quelles sont les sources d'approvisionnement ni quels sont les endroits d'où proviennent les marchandises dangereuses que la clientèle demande au CP de transporter. La preuve présentée ne permet pas de conclure que ce genre de poste ou de responsabilités existe au sein de quelque entreprise de transport ferroviaire que ce soit.

[551]      Les employés du CP et particulièrement ceux du service des marchandises dangereuses approfondissent leurs connaissances quant à la nature du produit, mais jamais de façon ni avec la volonté de devenir des spécialistes de ce produit. Leurs fonctions respectives n'exigent aucunement qu'ils soient en mesure de tester les produits transportés ni même de les classifier. Aucune norme ni aucune pratique de l'industrie ferroviaire ne prévoit ni n'exige cela.

[552]      Une partie importante du travail de ce service des matières dangereuses consiste plutôt à être en mesure d'établir des protocoles d'intervention en cas d'incident ou d'accident et de collaborer avec les autorités civiles dans de tels cas. Ce service doit aussi s'assurer que les normes de sécurité établies par les autorités gouvernementales pour le transport des marchandises dangereuses soient mises en place et respectées par les employés de l'entreprise.

[553]      Il se peut que certains employés ont eu accès à de la documentation ou à des informations qui peuvent permettre à des gens qualifiés ou à des experts de comprendre ou de découvrir certains indices relatifs à des composantes ou des particularités ayant une certaine importance dans la classification du pétrole brut.

[554]      Toutefois, ceux qui font ces « découvertes » chez le CP n'ont aucune responsabilité ni aucune tâche liées directement à la classification des marchandises dangereuses. Ce sont des employés dédiés à la mise en marché, à la facturation, aux relations avec la clientèle, aux relations publiques, aux relations gouvernementales et aussi aux interventions après sinistres ou au respect des normes de sécurité, mais certainement pas des responsables de la classification ni de l’emballage des marchandises dangereuses.

[555]      Le personnel du service des marchandises dangereuses du CP connaît de façon approfondie les règles et les normes relatives au transport de celles-ci et des obligations qui sont imposées au CP par les autorités législatives et réglementaires dans leur gestion aux fins de transport ferroviaire.

[556]      Le Tribunal considère toutefois que ces personnes n’ont ni la charge ni la responsabilité, au sein du CP, de se préoccuper particulièrement des aspects relatifs à la classification du produit transporté. Certes, elles ont des obligations liées à celles qui incombent au CP lui-même, mais elles peuvent considérer que l’aspect fondamental de la classification des produits dangereux repose sur ceux qui les connaissent bien, c’est-à-dire généralement les fabricants, les vendeurs et les expéditeurs de ces marchandises dangereuses.

[557]      Il existe également, en ce qui concerne le pétrole brut, beaucoup trop d'éléments qui influencent sa classification pour que le Tribunal conclue que des employés, dont ce n'est ni la fonction ni la responsabilité, doivent être alertés quant à une possible mauvaise classification ou à une dangerosité particulière du produit parce qu'il s'agit de pétrole léger ou « Sweet » ou qu'il ne peut généralement être classé comme faisant partie du groupe d'emballage PG-III.

[558]      De plus, ce type d'employés, qui n'ont aucun lien direct ni relation avec des services techniques ou scientifiques de classification, n'ont pas nécessairement à se préoccuper de la présence d'indices pouvant suggérer à de véritables spécialistes qu'il faut classifier le produit autrement que dans le groupe d'emballage PG-III.

[559]      Ces employés n'ont pas non plus à être préoccupés du fait que le pétrole provient de divers puits de forage et qu'il est mélangé au moment de son transbordement.

[560]      Toutes ces informations, sauf pour de véritables spécialistes, ne constituent pas, de manière claire, des alertes particulièrement pour des employés dont ce n'est pas la responsabilité ni la fonction de classifier les matières dangereuses et dont le travail ne consiste aucunement à vérifier les produits transportés, sauf pour en établir la facturation ou la gestion administrative ou encore les processus d'intervention après sinistre.

[561]      Le Tribunal considère également qu'il faut être prudent dans le cadre d'une analyse faite après coup quant à ce qui doit véritablement être considéré comme des indices sérieux d'une certaine situation dangereuse.

[562]      La preuve ne permet pas de conclure qu'il est évident, au début des années 2010, que le pétrole brut provenant de la région de Bakken est plus dangereux que d'autre pétrole brut du même type alors transporté par de nombreuses entreprises ferroviaires tant aux États-Unis qu'au Canada.

[563]      Des études, postérieures à la tragédie de Lac-Mégantic, semblent à certains égards contradictoires à ce sujet. Il existe avant 2013, à la connaissance du public et de l’industrie ferroviaire, très peu sinon pratiquement aucune information disponible sur ce sujet[133]. Peut-être que pour certains spécialistes ou scientifiques des informations sont accessibles quant à la possible dangerosité accrue de ce pétrole provenant de la région de Bakken par rapport à celui provenant d'autres régions, mais la preuve ne révèle pas que ces informations sont ou doivent être généralement connues de tout transporteur ferroviaire raisonnable.

[564]      Certes, il est assez bien connu en 2013 que le pétrole léger peut et est très souvent plus volatile que le pétrole lourd et que ses points d'ignition et d'ébullition sont en règle générale plus bas. Toutefois, tous les experts sont d'avis qu'il faut, pour bien classifier le pétrole et établir adéquatement son groupe d'emballage, procéder à des tests et des analyses assez spécifiques et qu'il ne faut pas se fier uniquement aux fiches signalétiques qui sont souvent préparées de façon générale et par type de produits[134].

[565]      D'ailleurs, le simple fait que, parmi les billets de camionnage déposés par les parties demanderesses[135] et qui concernent le pétrole brut qui est chargé dans les wagons-citernes qui déraillent, certains portent la classification PG-III alors que la majorité sont classés PG-I ou PG-II démontre la difficulté, pour des non-spécialistes, à interférer dans le processus de classification de matières dangereuses, surtout lorsqu'elles proviennent de l'extraction à partir du sol et qu'elles peuvent souvent être traitées en vue de leur transport.

[566]      Le Tribunal considère que la preuve révèle clairement que c'est, entre autres, pour ce genre de motifs que les autorités législatives et réglementaires américaines et canadiennes font reposer sur les épaules de l'expéditeur la responsabilité de la classification et de l'emballage ainsi que de l'étiquetage des marchandises dangereuses.

[567]      De plus, la preuve révèle aussi de façon prépondérante que c'est de cette façon que fonctionne l'essentiel du transport de marchandises dangereuses, non seulement dans le domaine ferroviaire, mais dans tous les domaines, et que c'est également dans cette optique que tous les intervenants impliqués dans le transport des marchandises dangereuses comprennent leurs rôles et leurs responsabilités.

[568]      L'expéditeur WFS a clairement la responsabilité, à l'époque, de classer le pétrole brut qu’elle accumule dans les wagons-citernes loués par elle-même et qui est transbordé par son sous-traitant SST. C'est WFS qui a aussi accès à toutes les informations pouvant lui permettre de classer adéquatement ces matières dangereuses et cette entreprise est évidemment responsable de le faire adéquatement.

[569]      La preuve révèle que WFS affirme et considère détenir des expertises ou des recommandations adéquates de ses spécialistes[136] pour décider de classer le pétrole brut de la région de Bakken sous le groupe d'emballage PG-III. WFS procède à cette classification, qui s’avère erronée, même si les autorités gouvernementales américaines, en 2012, considèrent qu'il serait préférable d'utiliser le groupe d'emballage PG-II.

[570]      WFS confirme également cette classification même après que son sous-traitant, SST, chargé de procéder au transbordement du produit, à sa certification et à son identification adéquate, lui soulève par l’entremise de M. Jasso certaines inquiétudes à ce sujet.

[571]      Comment reprocher, dans de telles circonstances, au CP et à ses employés leur négligence ou leur inaction lorsque la preuve établit que, malgré des interventions gouvernementales et celles faites par les responsables sur le terrain de la certification, l’expéditeur WFS, dont c’est la responsabilité légale, refuse de modifier le groupe d’emballage et considère que sa décision est fondée sur l’opinion de spécialistes dans le domaine.

[572]      D'autre part, la preuve est contradictoire quant à ce qui concerne les informations qu'aurait obtenues le CP d'un des employés de la firme SST, responsable du transbordement et de la classification du pétrole brut. Le témoignage de M. Eli Jasso, quant aux communications qu'il aurait eues avec le service à la clientèle du CP et les constatations qu'il aurait faites en tentant de vérifier la possibilité de modifier la classification et le groupe d'emballage sur la documentation électronique, sont loin d'être clairs et les conclusions que peut en tirer le Tribunal sont fort limitées.

[573]      Le Tribunal retient essentiellement de ce témoignage, dont certains aspects sont ambigus et certaines parties parfois contradictoires, que M. Jasso constate, peu de temps après être entré au service de l'entreprise SST, chargée du transbordement et de l'identification du pétrole brut, que le groupe d'emballage jusqu'alors utilisé par WFS pour la documentation remise au CP (PG-III) n'est peut-être pas le bon en fonction de ceux qui apparaissent en majorité sur les billets de camionnage (PG-I ou PG-II) remis au moment de la livraison par les camionneurs qui amènent le pétrole brut au site de transbordement.

[574]      De plus, le Tribunal retient que M. Jasso communique avec le service du CP, dédié à la clientèle qui utilise certaines de ses plates-formes informatiques, pour la préparation en ligne de la documentation nécessaire au transport, soit les services informatiques liés à la préparation des connaissements (BOL).

[575]      Le Tribunal considère que certaines des affirmations faites par M. Jasso ne concordent pas avec la preuve présentée quant à la façon dont fonctionne ce système informatisé de préparation des connaissements et quant aux possibilités offertes à l’expéditeur d’y inscrire les informations pertinentes à la classification des marchandises dangereuses et aux indications relatives au groupe d’emballage[137].

[576]      Il est envisageable, en raison d’une certaine incompatibilité causée possiblement par l’utilisation d’une version antérieure du système d’exploitation par SST, qu’il y ait eu des difficultés de fonctionnement de ce système informatisé de SST. Toutefois, les explications données par M. Jasso, en regard de celles offertes par le responsable de ce service, M. Hickie, sont incompatibles. De plus, M. Jasso, après certaines hésitations et malgré l’insistance des procureurs des parties demanderesses, confirme qu’il n’informe jamais, de façon claire, le CP que le pétrole brut dont il a la responsabilité de classifier est effectivement auparavant mal classifié ni qu’il tente véritablement, mais sans succès, de modifier cette classification. M. Jasso affirme d’ailleurs la même chose dans un interrogatoire hors cour tenu dans le cadre d’un dossier judiciaire concernant les mêmes événements, mais avec un enjeu différent, aux États-Unis[138].

[577]      Ces démarches de M. Jasso auprès du service d’assistance pour les usagers des services électroniques du CP ne peuvent, dans ces circonstances et compte tenu de la preuve incertaine et contradictoire à leur sujet, être considérées comme des indices d’une mauvaise classification ou comme des fanions rouges qui devaient amener le CP à s’interroger sur des problématiques liées à la classification du produit transporté.

[578]      De toute façon, quelles que soient les interventions faites par M. Jasso auprès du CP, la preuve révèle qu’une fois qu’il fait part de ses inquiétudes ou de ses questionnements quant à la classification du produit et au choix du groupe d’emballage à la personne responsable de cet élément chez WFS, Mme Dietzler, celle-ci lui indique clairement, sans qu’il n’ait lui-même de doute ou de préoccupations quant à la bonne foi de celle-ci, que le groupe d’emballage utilisé est adéquat et qu’il n’y a rien à changer quant à celui-ci[139].

[579]      M. Jasso, dont c’est le travail et la responsabilité de superviser les activités de transbordement et ensuite de finaliser l’emballage, la classification et la certification du produit dangereux en vue de son transport par rail, procède ensuite, comme indiqué par ses mandants chez WFS, à la préparation de la documentation et il certifie alors, rassuré par les instructions de la personne responsable chez WFS, que le produit transporté est du groupe d’emballage PG-III.

[580]      Le Tribunal en arrive à la conclusion que les parties demanderesses ne sont donc pas en mesure de démontrer, de manière prépondérante, que le CP sait ou doit savoir que la classification donnée par WFS au pétrole brut est inadéquate ou qu’il a, en raison de certains indices, des motifs raisonnables de contester cette classification.

[581]      Le fonctionnement de l’ensemble du transport de matières dangereuses qui s’est établi aux États-Unis et au Canada depuis des décennies et qui résulte à la fois des processus mis en place par les divers intervenants, mais aussi des normes et règles établies législativement ou par voies réglementaires, n’impose pas au transporteur des obligations qui font en sorte que le CP aurait nécessairement dû agir autrement ou intervenir auprès de WFS quant à la classification donnée par celle-ci aux produits dangereux qu’elle lui confie pour le transport.

[582]      La preuve révèle que différents employés ou dirigeants du CP accèdent à certaines informations qui peuvent, à première vue, apparaître comme des indices de la mauvaise classification du produit transporté. Toutefois, l’analyse de ces informations disparates ne permet pas de conclure qu’elles constituent des éléments qui doivent créer des soupçons sérieux nécessitant pour le CP, à titre de transporteur, de procéder comme le suggèrent les parties demanderesses, c’est-à-dire de refuser de faire le transport et d’exiger non seulement que WFS révise sa classification, mais aussi qu’elle lui soumette des preuves convaincantes de la justesse de celle-ci.

[583]      Le Tribunal ne considère pas que les obligations créées par les dispositions des législations américaine et canadienne imposent de telles interventions[140].

[584]      Le Tribunal est loin d’être convaincu que le législateur a voulu ainsi imposer le genre de responsabilité suggéré par les parties demanderesses.

[585]      Le transporteur, en règle générale, peut se fier aux informations fournies par l’expéditeur de matières dangereuses ou un transporteur antérieur, à moins qu’il connaisse ou qu’une personne raisonnable agissant dans les mêmes circonstances et exerçant une diligence raisonnable aurait dû connaître cette mauvaise classification ou, à tout le moins, aurait dû suspecter raisonnablement qu’elle est incorrecte.

[586]      Certes, le transporteur ne peut se fermer les yeux face à des erreurs évidentes dans la documentation d’expédition ou à des éléments suffisamment clairs quant à une incompatibilité entre la documentation soumise par l’expéditeur et les indications qui apparaissent sur l’emballage dans lequel se trouvent les marchandises dangereuses.

[587]      Toutefois, lorsque l’expéditeur, qui est censé être le spécialiste en ce qui concerne les marchandises confiées au transport, choisit un groupe d’emballage et procède à l’identification du produit et à sa certification conforme au groupe d’emballage et que les méthodes permettant la classification des produits nécessitent des analyses, des études, des tests et surtout lorsque les produits dangereux sont empaquetés dans des contenants scellés, le transporteur n’a pas, selon ce que le Tribunal retient de la preuve, à exiger de consulter les analyses ou les tests ni à se questionner sur les processus d’extraction, de fabrication, de traitement et de classification du produit.

[588]      Exiger d’un transporteur ferroviaire qu’il pousse ses démarches et ses vérifications jusqu’à ce point excède ce qu’une personne raisonnable, placée dans les mêmes circonstances et agissant avec une diligence raisonnable, doit faire ou doit exiger de l’expéditeur.

[589]      Même si les dispositions de la législation américaine ainsi que celles de la législation canadienne couvrent non seulement les gestes posés par les équipages des compagnies ferroviaires qui participent directement à la manipulation des wagons-citernes et qu’elles concernent même, dans certaines circonstances, d’autres services de ces entreprises de transport, comme entre autres ceux impliqués à un plus haut niveau dans l’établissement, la mise en place et la supervision des règles relatives à la sécurité des marchandises dangereuses, le Tribunal conclut que la preuve ne lui permet pas de considérer que le CP, en ce qui a trait au transport de pétole brut de New Town vers Saint-Jean, ne respecte pas ses obligations et n’agit pas de manière prudente et raisonnable dans l’appréciation, la gestion et l’évaluation des données auxquelles il a accès concernant la dangerosité particulière de ce produit et la classification de celui-ci.

[590]      Le Tribunal se permet de réitérer que tout le processus de classification du pétrole brut nécessite un niveau d’expertise particulier ainsi que des analyses et des tests fondés sur un trop grand nombre d’éléments différents et fort complexes pour conclure qu’un transporteur raisonnable se doit d’être à l’affût de toutes les informations à ce sujet.

[591]      De plus, le Tribunal ne peut se convaincre qu’un transporteur raisonnable doit s’assurer que tout ce processus de classification, qui s’effectue évidemment avant l’emballage du produit et sa remise au transporteur, doit être vérifié ou examiné par le transporteur en exigeant de l’expéditeur des preuves spécifiques relatives à son processus de classification.

[592]      La preuve révèle que tout le domaine du transport de matières dangereuses incluant évidemment le transport ferroviaire nécessite, pour qu’il puisse s’effectuer de manière non seulement efficace mais sécuritaire, que les rôles et responsabilités de chacun des intervenants soient bien définis, mais aussi que chacun de ceux-ci se limite à ses champs de compétences et d’expertises sans intervenir de manière indue dans ceux des autres.

d)       Absence d’intervention quant aux pratiques opérationnelles dangereuses de MMA

Position des partie demanderesses

[593]      Parmi les éléments fautifs ou les négligences reprochées au CP par les parties demanderesses, plusieurs concernent ce qu’elles qualifient d’absence d’intervention quant aux pratiques opérationnelles dangereuses de MMA.

[594]      Les parties demanderesses affirment qu’à titre de transporteur d’origine, responsable de la mise en place d’un tarif d’entier parcours à la demande de WFS, le CP a des obligations non seulement face à WFS, mais également de manière générale envers tous quant à tous les aspects permettant un transport sécuritaire de cette matière particulièrement dangereuse qu’est le pétrole brut de la région de Bakken.

[595]      D’abord, les demanderesses Promutuel et als considèrent qu’au moment de préparer et ensuite de proposer le parcours et les tarifs à WFS, le CP, à titre d’organisateur de cet entier parcours, doit se renseigner adéquatement sur le transporteur de connexion MMA et il doit aussi, en vertu des dispositions des articles 114 (1) et 114 (3) de la LTC, faire en sorte que « le public désirant se servir de ces chemins de fer comme voie ininterrompue de communication n’y trouve pas d’obstacle à la circulation et puisse ainsi s’en servir en bénéficiant à tout moment de toutes les installations raisonnables de transport par les chemins de fer de ces diverses compagnies »[141].

[596]      Promutuel et als précisent qu’en raison de cette obligation, le CP doit se renseigner de façon spécifique sur les opérations du transporteur de liaison MMA et en ajoute qu’en faisant des vérifications préliminaires adéquates, il aurait ainsi découvert ou aurait dû découvrir que cette entreprise éprouve à l’époque des problèmes de locomotives, des problèmes de personnel, qu’elle utilise un système d’employé unique pour ses opérations (SPTO) et qu’en plus, dans le cadre de ses opérations régulières, elle stationne régulièrement ses convois ferroviaires sur la voie principale en haut d’une pente, sans surveillance.

[597]      De plus, Promutuel et als ajoutent que par la suite, dans le cadre de l’exécution de ce contrat de transport, le CP sait ou doit savoir que MMA laisse ses convois de wagons-citernes remplis de pétrole sans surveillance pendant de longues périodes, puisque le CP participe quotidiennement, avec tous les autres intervenants tels IOL, WFS et MMA, à des conférences téléphoniques en vue d’assurer le cheminement adéquat du transport. Ces demanderesses précisent que le temps considérable consacré par MMA à la portion du trajet qui lui est confié doit certainement ou devrait susciter chez le CP des interrogations quant à la façon dont MMA gère ses opérations.

[598]      Promutuel et als considèrent aussi que le CP sait que MMA opère avec un seul employé (SPTO) et a certainement connaissance ou doit avoir connaissance que MMA éprouve des problèmes sérieux avec ses locomotives qui sont mal entretenues et désuètes.

[599]      Promutuel et als soumettent aussi que le CP, en tant qu’ancien propriétaire des voies ferrées de MMA, connaît certainement les risques que celles-ci comportent et les enjeux soulevés quant à leur sécurité.

[600]      Devant tous ces éléments, Promutuel et als concluent que le CP agit avec aveuglement volontaire en ne relevant pas toutes ces failles de sécurité évidentes et en ne les soulevant pas à l’expéditeur WFS, mais aussi à MMA et à l’autorité réglementaire, TC.

[601]      De plus, les difficultés financières et opérationnelles qu’éprouve MMA à cette époque sont, de l’avis de Promutuel et als, connues du CP ou doivent être connues par lui. Cette connaissance doit l’amener à aviser WFS des risques sérieux d’utiliser les services de cette entreprise et d’emprunter ses voies ferrées pour acheminer le pétrole brut vers sa cliente IOL.

[602]      De son côté, le PGQ affirme que le CP agit de manière négligente au moment où il fait ses démarches en vue de présenter à WFS un trajet d’entier parcours en ne collectant pas d’informations sur les activités de MMA ni sur son bilan de sécurité. Le PGQ précise que le CP, à titre de transporteur d’origine et de responsable de l’organisation de cet entier parcours, a la responsabilité de s’assurer que le transporteur de liaison est en mesure, de manière non seulement efficace, mais aussi sécuritaire, d’effectuer le transport sans danger. Même si le PGQ reconnaît que cette façon de faire est loin d’être répandue au sein de l’industrie ferroviaire, il plaide que de ne pas l’avoir fait constitue une négligence.

[603]      Le PGQ ajoute qu’au fur et à mesure où se déroulent les opérations de transport du pétrole brut, le CP doit être plus attentif aux manières de faire de MMA et doit l’interroger sur ses opérations, particulièrement en raison de l’implantation par MMA d’un système à un seul employé (SPTO), surtout que le CP, à cette époque, sait ou doit savoir, en raison de sa proximité avec MMA, que cette entreprise manque de ressources, que le temps de parcours utilisé pour sa section de parcours est trop long, que ses locomotives sont vieillissantes et désuètes et que son réseau comporte des faiblesses évidentes.

[604]      Le PGQ allègue que le CP ne peut avoir comme philosophie d’opération d’un trajet d’entier parcours dont il est « l’arrangeur » que « tant que les opérations ne se font pas sur mes voies ferrées, ce n’est pas de ma responsabilité ».

[605]      En résumé, le PGQ plaide que le CP doit refuser de faire affaire avec MMA pour ce transport de marchandises dangereuses ou, au minimum, doit intervenir auprès de cette entreprise une fois les opérations commencées, afin qu’elle modifie ses pratiques ferroviaires qui se sont avérées finalement inefficaces et dangereuses.

[606]      Enfin, les Représentants dans l’action collective soumettent que le CP, en tant « qu’arrangeur » de cette opération de transport de pétrole brut par un entier parcours, doit nécessairement exercer une supervision du mouvement des convois ferroviaires.

[607]      Cette supervision s’effectue entre autres lors des téléconférences quotidiennes de sorte que le CP est ainsi informé, ou à tout le moins doit raisonnablement savoir, que MMA, dans le cadre de ses opérations, plutôt que de procéder à un changement immédiat d’équipage, stationne le convoi pendant la nuit sans surveillance, en haut d’une pente, sur la voie principale, sans mesure de sécurité supplémentaire adéquate, et ce, afin de permettre à l’unique employé opérateur (SPTO) de se reposer.

[608]      Les Représentants ajoutent que le CP n’accepte pas lui-même un tel genre d’opérations sur ses voies ferrées et qu’il doit ainsi intervenir d’abord auprès de MMA et, si celle-ci ne réagit pas, ensuite soumettre ces pratiques dangereuses auprès des autorités réglementaires, soit TC. Le PGQ précise que le CP doit également avertir WFS des risques engendrés par ces pratiques ferroviaires dangereuses.

[609]      Les Représentants considèrent aussi que le CP ne doit pas accepter que MMA se fie uniquement au système de freins à main pour garder le convoi de wagons-citernes arrêté sans surveillance la nuit et doit alors insister auprès de MMA pour que cette entreprise ajoute des mesures additionnelles de sécurisation, telles l’immobilisation sur une voie de desserte et l’installation de dérailleurs portatifs ou permanents.

[610]      Les Représentants soutiennent que le CP ne doit pas non plus, comme transporteur d’origine de classe 1, tolérer que, pour le transport de cette marchandise dangereuse, MMA opère ses convois avec un seul employé, d’autant que le CP connaît les difficultés opérationnelles provoquées par la vétusté du réseau de MMA et les risques d’erreurs et d’inattention dans l’application des freins à main lorsqu’un seul employé s’en occupe.

[611]      Les Représentants affirment que le CP est à l’époque le mieux placé pour soulever toutes les problématiques reliées à l’opération non sécuritaire de MMA, d’autant que le CP connaît très bien la dangerosité du produit transporté et ne peut, compte tenu des indices portés à sa connaissance, ignorer l’existence des risques importants provoqués par les pratiques non sécuritaires de MMA.

[612]      Les Représentants précisent que dans de telles circonstances, le CP doit agir en intervenant d’abord auprès de MMA et ensuite, si cette entreprise ne modifie pas ses processus, en aviser TC ainsi que l’expéditeur WFS.

[613]      Enfin, les Représentants concluent leur position quant aux reproches formulés au CP en affirmant que d’aucune façon il est possible, et ce, à la connaissance du CP, de stationner de manière suffisamment sécuritaire de tels convois aussi importants de wagons-citernes en haut d’une pente, sans surveillance, sur la voie principale. Selon eux, le CP ne doit jamais tolérer que MMA, avec qui il collabore pour le transport du pétrole brut, procède ainsi compte tenu de la dangerosité particulière du produit transporté et de toutes les circonstances.

Position du CP

[614]      En réponse aux nombreux reproches qui lui sont formulés par l’ensemble des parties demanderesses pour son absence d’intervention quant aux pratiques opérationnelles de MMA, le CP affirme d’abord que tous les éléments opérationnels, considérés risqués, sont soumis à la supervision du régulateur TC et non à celle du CP.

[615]      Le CP ajoute que, contrairement au régulateur, il n’a pas accès au dossier confidentiel de sécurité de MMA et ne détient aucun pouvoir lui permettant de vérifier les opérations de celle-ci, d’autant que ce n’est pas son rôle même à titre de transporteur d’origine et d’organisateur d’un entier parcours.

[616]      Le CP affirme qu’avant la tragédie, il n’a aucune raison sérieuse de remettre en question la sécurité des opérations de MMA et que, de toute façon, même après le déraillement, bien qu’il tente d’éviter d’utiliser les services de MMA en imposant un embargo pour le transport de pétrole brut sur les voies ferrées de celle-ci, il est empêché de le faire par les autorités canadiennes[142].

[617]      Le CP plaide que les pratiques opérationnelles de MMA, identifiées par les parties demanderesses comme devant être à sa connaissance et qui doivent, selon elles, l’inciter à intervenir, bien qu’elles soient fort probablement connues du régulateur TC, ne le sont pas en ce qui le concerne et surtout, ne lui permettent pas d’intervenir ou ne justifient pas qu’il doive le savoir et doive intervenir.

[618]      D’abord, le CP affirme que dans la mesure où les règles de sécurisation sont adéquatement suivies, l’immobilisation de convois sur une voie principale sans surveillance sur une pente n’est pas considérée comme une pratique illégale et non sécuritaire. D’ailleurs, cette pratique est acceptée par TC et par l’industrie. Le CP précise toutefois qu’il n’est aucunement responsable des pratiques suivies par MMA sur son propre réseau et qu’il n’a aucune obligation de les connaître, ne les connaît pas à l’époque et n’a aucune obligation de quelque nature que ce soit de les superviser.

[619]      Ensuite, le CP considère qu’il n’a aucune raison de remettre en question le caractère sécuritaire de la culture et des pratiques opérationnelles de MMA et que de toute façon, si de telles lacunes existent à l’époque, c’est le régulateur TC qui doit intervenir et non le CP. Le CP ajoute qu’il n’a, au début des années 2010, aucune connaissance de quelque négligence systémique ou non au sein de MMA en matière de sécurité.

[620]      D’autre part, le CP soutient que les problématiques éprouvées par MMA quant à la rareté de certaines ressources opérationnelles ne sont pas exceptionnelles dans l’industrie ferroviaire et surtout ne remettent pas en question la sécurité de ses opérations et ne constituent pas d’indices à cet effet.

[621]      En ce qui concerne l’état dans lequel se trouvent, avant la tragédie, les locomotives de MMA, le CP soumet que cette entreprise inspecte et entretient elle-même ses propres locomotives, que celles-ci sont soumises aux vérifications et à la supervision de TC. En conséquence, le CP n’a aucune raison de remettre en question leur sécurité et la possibilité pour MMA de les utiliser. De toute façon, plaide le CP, les problèmes éprouvés par la locomotive de tête MMA5017, le 5 juillet 2013, ne sont pas la cause du déraillement.

[622]      Le CP ajoute qu’il en est de même en ce qui concerne l’état des voies ferrées de MMA. Il affirme que ces voies ferrées sont sous la supervision de TC, qu’elles sont adéquates pour le transport de marchandises dangereuses moyennant certaines conditions et que de toute façon, elles ne sont nullement la cause du déraillement.

[623]      Le CP plaide également que même si une partie du réseau ferroviaire de MMA est constituée de voies ferrées non signalisées (« Dark territory »), cela n’est pas exceptionnel et permet quand même des opérations sécuritaires, d’autant que cette situation est acceptée et autorisée par les autorités réglementaires fédérales.

[624]      Enfin, le CP affirme que l’utilisation par MMA, pour ses opérations, d’une méthode avec un seul employé chargé de conduire les trains, soit le système SPTO, est acceptée dans l’industrie et autorisée par TC. Cette pratique est légale et peut être utilisée de manière sécuritaire. Le CP n’a aucune raison de remettre en question la sécurité de cette pratique sur le réseau de MMA d’autant qu’elle est, en principe, supervisée et permise par TC.

[625]      Voilà donc pour l’essentiel les positions respectives des parties demanderesses et de la défenderesse CP quant à la négligence alléguée du CP parce qu’il n’est pas intervenu en regard des pratiques opérationnelles du transporteur de connexion MMA, soit auprès de MMA elle-même ou de l’expéditeur WFS et de l’importateur IOL ou encore auprès des autorités réglementaires, soit TC.

[626]      Le Tribunal procède maintenant à l’analyse de ces prétentions.

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[627]      La preuve présentée, de part et d'autre, démontre que deux visions particulièrement opposées s'affrontent quant aux réelles responsabilités d'un transporteur d'origine à qui un expéditeur demande de lui soumettre des propositions pour acheminer, dans le cadre d'un entier parcours, de la marchandise jusqu'à destination, surtout lorsqu'une partie du trajet implique la participation de transporteurs de connexion. Deux visions également différentes s'affrontent en ce qui concerne les responsabilités d'un transporteur de classe 1 qui remet, lors d'une interconnexion, des wagons à un transporteur régional ou local (CFIL).

[628]      D'une part, les parties demanderesses et leurs experts affirment qu'un transporteur d'origine, particulièrement s'il est un transporteur de classe 1, doit, avant d'inclure un transporteur de liaison dans sa proposition d'entier parcours, s'assurer que celui-ci est en mesure, de manière non seulement efficace, mais également sécuritaire, de prendre à sa charge le convoi sur ses rails sans risques sérieux et qu'il est en mesure avec ses équipements et son personnel d'assumer cette partie du trajet.

[629]      Les parties demanderesses considèrent ainsi qu'un transporteur d'origine a l'obligation, particulièrement dans le cas d'une nouvelle opportunité d'affaires et surtout si elle concerne le transport de marchandises dangereuses, de s'assurer que les voies ferrées et les équipements ferroviaires d'un transporteur de connexion ainsi que ses pratiques opérationnelles et son dossier de sécurité sont adéquats et qu'ils ne comportent pas de risques pour aucune des parties impliquées et pour le public en général.

[630]      D'autre part, la partie défenderesse CP et ses experts plaident que le système de transport, et particulièrement en matière ferroviaire, est largement réglementé et surveillé ensuite dans ses opérations par les autorités réglementaires. Ils ajoutent que les normes d'opérations et les règles de fonctionnement établies depuis un nombre considérable d’années, soit par les pratiques habituelles dans le domaine ou par les dispositions législatives et réglementaires, n'exigent d'aucune façon qu'un transporteur d'origine vérifie, quelle que soit la nature de la marchandise transportée, les opérations, les manières de fonctionner ou le dossier sécuritaire d’un transporteur de connexion, qu'il s'agisse d'un transporteur de classe 1 ou d'un CFIL.

[631]      Le CP précise qu’en plus des règles de sécurité habituelles, des règles particulières s’ajoutent en matière de transport de produits dangereux et, encore là, aucune des règles établies ni des pratiques reconnues ne suggèrent ni n’imposent une telle responsabilité au transporteur d'origine face à tout transporteur de connexion.

[632]      Le CP affirme que de toute façon, il a l'obligation de collaborer avec de tels transporteurs de connexion en raison des obligations largement connues et établies depuis fort longtemps pour les transporteurs publics. Le CP ajoute que c’est la responsabilité et le rôle fondamental des autorités régulatrices de s’assurer et de vérifier que les entreprises ferroviaires, à qui elles permettent d’opérer des réseaux ferroviaires et de transporter des matières dangereuses, et qui sont détentrices de certificats de conformité, exploitent leurs réseaux sécuritairement et non aux autres transporteurs de le faire.

[633]      La preuve révèle que plusieurs centaines d’entreprises ferroviaires exercent leurs opérations en Amérique du Nord et que parmi celles-ci, quelques-unes sont des entreprises de grande importance alors que plusieurs autres, de moindre envergure, constituent quand même une part considérable des activités de transport ferroviaire.

[634]      Tout le système ferroviaire s’est établi de façon à ce que les échanges ou interconnexions entre les diverses entreprises se fassent le plus facilement possible et afin que la clientèle qui désire expédier ou recevoir des marchandises par voie ferroviaire bénéficie de services efficaces, à des coûts raisonnables et dans des conditions optimisées.

[635]      Pour que le réseau ferroviaire, tant aux États-Unis qu’au Canada, fonctionne adéquatement, les transporteurs ferroviaires doivent se conformer à un ensemble de lois et règlements ainsi qu’à des règles et pratiques reconnues. Ces entreprises sont justifiées de présumer que non seulement elles-mêmes, mais aussi toutes les entreprises qui constituent le réseau et détiennent l’autorisation réglementaire d’y participer respectent l’ensemble des règles.

[636]      Bien évidemment, en raison de l’importance de leurs activités et de l’étendue de leurs réseaux, les principales compagnies ferroviaires qui sont qualifiées comme des entreprises de classe 1 détiennent une part considérable du marché et elles ne peuvent fonctionner sans l’apport des transporteurs régionaux et des CFIL. Elles doivent ainsi, pour desservir la clientèle dans toutes les parties de l’Amérique du Nord, collaborer avec ces entreprises de moindre importance et s’assurer que les interconnexions avec celles-ci soient efficaces.

[637]      Les entreprises de classe 1, comme le CP, possèdent un nombre considérable de voies ferrées, utilisent des centaines si ce n’est des milliers d’équipements de toutes sortes, retiennent les services de très nombreux employés et transportent des marchandises de toute nature et fort diversifiées au bénéfice de milliers d’expéditeurs et de destinataires.

[638]      Ces entreprises de classe 1, comme le CP d’ailleurs, sont certainement des leaders dans leur domaine et leurs pratiques opérationnelles sont de toute évidence des éléments fort importants pour l’établissement des normes d’opérations incluant celles relatives à la sécurité. Ce sont souvent elles qui influencent les normes de conduite et les pratiques industrielles.

[639]      Ces entreprises de classe 1 sont généralement reconnues à titre de spécialistes dans plusieurs domaines du transport ferroviaire et particulièrement dans celui du transport de matières dangereuses. Elles participent, dans le cadre de leurs activités régulières, à des associations telles l’AAR et l’ACFC qui les représentent et qui ont pour objectifs non seulement d’améliorer l’efficacité du transport ferroviaire, mais aussi de s’assurer que ce mode de transport s’effectue de manière la plus sécuritaire possible en tenant compte évidemment des règles, du marché, des coûts d’implantation de telles mesures et de la capacité de payer de la clientèle.

[640]      Les autorités législatives et réglementaires américaines et canadiennes reconnaissent, depuis fort longtemps, l’importance du transport par réseaux ferroviaires et ont toujours favorisé et encouragé non seulement le maintien de l’existence de tels réseaux, mais aussi, lorsqu’utile et nécessaire, leur expansion.

[641]      Il y a une quarantaine d’années environ, des modifications importantes sont apportées à la réglementation commerciale et organisationnelle des réseaux ferroviaires américains et canadiens. Cela permet désormais à des entreprises, déjà largement implantées dans toute l’Amérique du Nord, de ne conserver que certaines de leurs activités et d’en transférer plusieurs, parfois beaucoup moins payantes ou profitables, à de nouveaux joueurs dans le secteur[143].

[642]      Toute cette réforme se fait sous la juridiction, la surveillance et avec l’approbation des autorités législatives et réglementaires américaines et canadiennes.

[643]      Dans la foulée de cette réforme, de nouvelles entreprises, créées très souvent par d’anciens employés ou dirigeants de grandes entreprises qui désirent profiter de ces nouvelles opportunités, s’implantent un peu partout en Amérique du Nord et demandent et obtiennent des autorités réglementaires les autorisations et les certificats leur permettant d’agir comme transporteur ferroviaire.

[644]      Puisque plusieurs de ces nouvelles entreprises acquièrent des voies ferrées, des équipements et des marchés antérieurement détenus par des entreprises de classe 1, de nombreuses ententes de collaboration, de coopération et de marketing interviennent alors au bénéfice de l’une ou l’autre des parties impliquées.

[645]      C’est, jusqu’à un certain point, de cette manière que les activités ferroviaires de MMA sont créées et que cette entreprise ainsi que le conglomérat dont elle fait partie prennent vie et, par la suite, participent activement au transport ferroviaire dans plusieurs régions.

[646]      Les règles législatives et réglementaires en matière de transport imposent, depuis presque toujours, des obligations aux compagnies ferroviaires en tant que transporteurs publics. Ces règles existent pour s’assurer que les entreprises peuvent, dans des circonstances raisonnables, expédier leurs produits à leur clientèle à peu près n’importe où aux États-Unis et au Canada.

[647]      Pour ce faire, tel que déjà mentionné, les compagnies ferroviaires ont l’obligation d’offrir à leur clientèle des tarifs d’entier parcours et elles se doivent, pour faciliter les opérations de transport, d’offrir à leur clientèle un service complet incluant la préparation de tarifs raisonnables en collaboration avec toutes les autres entreprises de transport ferroviaire dont les voies ferrées sont ou peuvent être utilisées à partir des installations de l’expéditeur jusque vers celles du destinataire.

[648]      Les parties demanderesses plaident que le transporteur d’origine, à qui l’expéditeur demande de fournir un tarif d’entier parcours, a non seulement l’obligation d’obtenir de tous les transporteurs de connexion jusqu’à destination leurs propositions de tarifs, mais doit aussi s’assurer de la capacité de ces transporteurs de faire le travail et également de le faire de manière sécuritaire.

[649]      Le Tribunal ne considère pas que la preuve qui lui est présentée permet d’en arriver à cette conclusion.

[650]      D’une part, exiger d’un transporteur d’origine qu’il fasse dans tous les cas de telles vérifications imposerait à celui-ci une charge beaucoup trop lourde qui aurait pour conséquences de réduire, si ce n’est d’annuler complètement, toute l’efficacité recherchée pour le transport de marchandises.

[651]      D’autre part, même exiger qu’un transporteur d’origine fasse de telles vérifications dans le cas de nouveaux marchés ou d’augmentation considérable de ce marché, tel que cela est vécu pour le transport du pétrole brut provenant de la région de Bakken, imposerait aussi à celui-ci de faire des enquêtes, de faire des vérifications, d’entreprendre des démarches parfois beaucoup trop complexes concernant des entreprises sur lesquelles il n’a ni contrôle ni possibilité de faire de telles vérifications de manière adéquate.

[652]      Le Tribunal considère aussi, comme le suggère le CP, que tout l’aspect sécuritaire des voies ferrées, de l’équipement, de la formation du personnel et de l’ensemble des opérations d’un transporteur de connexion doit être sous la juridiction et le contrôle des autorités réglementaires. Ce sont ces autorités qui ont, tant législativement que réglementairement ou administrativement, les pouvoirs et la responsabilité, si elles font leur travail correctement, de procéder à de telles vérifications.

[653]      Le Tribunal est d’avis que ce n’est ni le rôle ni la responsabilité d’une entreprise ferroviaire, quand bien même elle est de grande envergure, de s’assurer qu’un transporteur de liaison qui détient toutes les autorisations nécessaires pour exploiter un chemin de fer et dont les activités en matière de transport de marchandises dangereuses se font à la connaissance et très souvent sous la surveillance ou la supervision des autorités régulatrices, tel TC, de procéder à des enquêtes. Ce n’est pas non plus de sa reponsabilité de s’assurer que ce transporteur de connexion respecte les règles, que ses employés sont bien formés, que ses voies ferrées sont en bonne condition, que ses équipements sont adéquats et que de façon générale, cette entreprise respecte les normes de sécurité.

[654]      Certes, dans des cas flagrants ou en présence d’indices non équivoques ou informé de situations en soi certainement dangereuses, quelque transporteur que ce soit, placé dans une telle situation, peut avoir une certaine obligation d’intervenir.

[655]      Toutefois, tout transporteur ferroviaire qui a des activités d’interconnexion avec un autre transporteur ferroviaire n’a aucunement l’obligation, aux yeux du Tribunal et en raison des règles législatives et réglementaires ni même des pratiques courantes de l’industrie, de se questionner outre mesure sur les pratiques opérationnelles de ce transporteur ni sur ses capacités ou ses compétences, surtout lorsqu’elles sont considérées suffisantes par les autorités réglementaires.

[656]      Les parties demanderesses et leurs experts ne sont d’aucune façon en mesure, par leur preuve, de démontrer ni de convaincre le Tribunal qu’une telle façon de voir les obligations d’un transporteur d’origine existe dans le domaine. Elles ne sont pas non plus en mesure de démontrer un seul cas, une seule circonstance, permettant de conclure qu’une telle obligation d’enquête, de surveillance, d’intervention, fait partie des obligations d’un transporteur d’origine, quand bien même il est de classe 1 et que le transporteur de connexion est un transporteur régional ou CFIL.

[657]      Il n’y a aucun texte législatif ou réglementaire, tant aux États-Unis qu’au Canada, qui prévoit de quelque manière que ce soit une responsabilité particulière d’un transporteur d’origine quant à la manière dont un transporteur de connexion opère son réseau ferroviaire.

[658]      Les affirmations formulées par Promutuel et als selon lesquelles le CP doit se renseigner sur MMA et en informer WFS en raison des dispositions des articles 114 (2) et 114 (3) de la LTC sont incompatibles avec le texte même de ces dispositions ainsi qu’avec la preuve prépondérante relative aux normes et aux pratiques existantes en matière de transport ferroviaire. Rien dans la preuve ne permet de conclure que ces dispositions s’appliquent en ce qui concerne un transporteur ferroviaire sur le réseau d’un autre transporteur ferroviaire.

[659]      D’autre part, les parties demanderesses ne soumettent aucun précédent qui appuie de quelque manière que ce soit leurs affirmations selon lesquelles un transporteur, qu’il soit d’origine ou non, peut être trouvé responsable face aux tiers pour ne pas vérifier à l’avance la manière dont un autre transporteur exploite son propre réseau ou pour ne pas avoir vérifié ensuite, en cours d’opération, les activités d’un autre transporteur sur son réseau.

[660]      D’ailleurs, outre le témoignage peu convaincant des experts Reilly et Richard sur ce sujet, lesquels ne réfèrent pas non plus dans leurs rapports[144] à des cas précis ou à des exemples spécifiques, aucun témoin ou représentant d’autres transporteurs ferroviaires n’a fait de telles affirmations dans le cadre de la preuve. Au contraire, même les représentants de MMA reconnaissent que cette manière de fonctionner n’existe pas et n’est d’aucune façon mise en application[145].

[661]      Cette absence de preuve provenant d’autres entreprises ferroviaires étonne à première vue en fonction des opinions exprimées à l’effet contraire par les experts Reilly et Richard. Toutefois, après réflexion, elle est logique si on reconnaît que ces experts ne soumettent eux-mêmes aucun exemple ni aucune circonstance précise pouvant confirmer leurs affirmations. Il est ainsi normal que personne ne vienne faire de telles affirmations lorsque les experts eux-mêmes ne peuvent en apporter la démonstration.

[662]      D’autre part, la preuve révèle que les compagnies ferroviaires n’ont pas la capacité ni les outils pour exiger ou obtenir, de manière sérieuse et adéquate, des renseignements sur les pratiques d’exploitation ou de sécurité des autres compagnies ferroviaires avec lesquelles elles ont des interconnexions.

[663]      De plus, certains experts reconnaissent, soit dans leurs rapports ou lors de leur témoignage[146], qu’une telle pratique est loin d’être coutumière dans l’industrie et qu’évidemment, chaque entreprise ferroviaire a la responsabilité de respecter les règles qui lui sont applicables, mais que ces obligations ne vont pas jusqu’à s’assurer que les autres avec lesquelles elle a des échanges s’assurent qu’elle respecte elle aussi les exigences réglementaires.

[664]      Le Tribunal retient que, de façon prépondérante, la preuve, qu’elle provienne des rapports, des témoignages des experts ou encore des faits établis, démontre qu’il n’existe aucune règle ou pratique à cet effet. Cela n’est pas surprenant parce qu’une telle règle causerait probablement plus de problèmes qu’elle n’apporterait de solutions puisque cela risquerait d’amener des interprétations qui pourraient être fort divergentes. Il apparaît plus approprié de laisser aux autorités, tel TC, le soin, le rôle et la responsabilité de s’assurer que les opérations des transporteurs ferroviaires respectent les règles, les normes ainsi que la législation et la réglementation, particulièrement en matière de sécurité, mais aussi de transport de matières dangereuses.

[665]      Il est d’ailleurs fort possible que des transporteurs ferroviaires aient des manières de fonctionner différentes, qu’ils acceptent parfois de s’imposer des règles particulières ou qu'ils instaurent des processus de contrôle, de vérification ou d’analyse qui pourraient apparaître superflus ou excessifs aux yeux d’un autre transporteur ferroviaire. Ce n’est pas à un transporteur ferroviaire que l’on doit demander d’analyser, de vérifier et de surveiller les activités d’un autre transporteur, mais plutôt aux autorités chargées par la loi et la réglementation d’assurer la sécurité non seulement des usagers, mais de l’ensemble de la population.

[666]      La preuve révèle que TC lui-même, par le témoignage de certains de ses dirigeants ou enquêteurs, considère que la tâche de veiller à ce que les opérations de chacun des transporteurs soient sécuritaires est très grande et que ce régulateur suffit à peine, malgré ses obligations législatives et réglementaires, à respecter les mandats qui lui sont confiés[147]. Dans de telles circonstances et malgré les outils et les moyens auxquels ce régulateur a accès, comment peut-on envisager qu’un transporteur d’origine qui n’a pas les mêmes outils de vérification ou les mêmes moyens d’enquête doive ou puisse exercer un tel rôle?

[667]      Le Tribunal considère qu’une telle obligation n’existe pas au moment où la tragédie survient le 6 juillet 2013 et constate que malgré toutes les conséquences de celle-ci, les autorités législatives et réglementaires américaines et canadiennes n’ont nullement modifié les obligations des transporteurs d’origine dans le sens de ce qu’invoquent les parties demanderesses.

[668]      Quoi qu’il en soit et quand bien même une telle obligation de vérification préalable et ensuite de surveillance par le CP concernant les activités de MMA existerait, le Tribunal considère qu’il n’est nullement démontré que le CP doit connaître, en 2012 et 2013, toutes les informations qui sont maintenant disponibles concernant les opérations de MMA.

[669]      Le Tribunal considère que la preuve ne lui permet pas de conclure que le CP sait, ou a les moyens de savoir, qu’à l’époque, MMA est mal organisée, que ses employés sont mal formés, que son SGS est inefficace, que ses moyens de contrôle et de vérification concernant l’application des mesures de sécurité par ses employés sont déficients, que de nombreux incidents sont survenus au cours des dernières années en lien avec les mesures relatives à l’application des freins à main, qu’elle ne s’occupe pas adéquatement de ses employés chargés d’opérer seuls certains de ses convois (SPTO), qu’elle n’est pas suffisamment vigilante lorsqu’elle permet que soient immobilisés certains convois sur la voie principale en haut d’une pente, qu’elle n’a peut-être pas une connaissance approfondie des produits pétroliers qu’elle accepte de transporter malgré ses liens fréquents et directs avec l’importateur de ces produits dangereux (IOL) et malgré son expérience dans le transport de matières dangereuses.

[670]      D’autre part, le Tribunal ne peut se convaincre que l’autorité régulatrice chargée de la surveillance de MMA au Canada, soit TC, n’est pas elle-même informée de l’ensemble de ces éléments ou ne peut l’être malgré tous les pouvoirs et tous les outils d’intervention mis à sa disposition. Et si TC connaît ou doit connaître, en raison de son rôle et de ses moyens d’inspection et d’enquête, les éléments mentionnés au paragraphe précédent, comment reprocher à CP de ne pas intervenir si le régulateur lui-même considère qu’il n’a pas à intervenir pour que MMA corrige la situation dans les domaines où elle doit être corrigée.

[671]      Malgré les conclusions auxquelles en arrive le Tribunal en ce qui concerne l’absence d’obligation, pour un transporteur d’origine, de faire des vérifications préalables à la mise en place d’un entier parcours et aussi quant à l’absence d’obligation de s’assurer par la suite que les transporteurs de connexion agissent de manière sécuritaire, il apparaît quand même approprié d’analyser les reproches spécifiques faits au CP par les parties demanderesses quant aux fautes de MMA ou de ses employés.

Responsabilité du CP pour ne pas intervenir face aux agissements de MMA ou de ses employés

[672]      Ce qu’il s’agit ainsi de déterminer concerne la connaissance par le CP de ces agissements reprochés à MMA ou à ses employés et d’évaluer, en fonction de toutes les circonstances, si le CP agit avec négligence en n’intervenant pas.

[673]      Cette analyse doit évidemment se faire en fonction des principes fondamentaux de la responsabilité civile et en lien avec les responsabilités qui peuvent être imposées en fonction des normes et règles législatives et réglementaires et des usages dans le domaine du transport ferroviaire.

[674]      Il importe aussi dans cette analyse de s’assurer que les éléments traités sont prouvés adéquatement et d’être prudent, puisque la connaissance et la perspective que l’on peut avoir aujourd’hui de plusieurs comportements peuvent être biaisées en raison des conséquences dramatiques du déraillement.

[675]      Le Tribunal considère qu’il convient d’abord de reconnaître qu’au moment où surviennent les événements, MMA apparaît, à plusieurs égards, comme une compagnie sérieuse, reconnue dans son domaine, dont les dirigeants apparaissent compétents, et qui bénéficie de l’appui et du soutien de partenaires ou d’investisseurs très sérieux et impliqués activement dans sa gestion.

[676]      Au moment où survient la tragédie, la CDPQ est un actionnaire important de MMA et elle est représentée, sur son conseil d’administration et sur des comités importants de gestion, par des administrateurs chevronnés. De plus, le gouvernement du Québec, par l’entremise du MTQ, collabore régulièrement et de toutes sortes de manières pour promouvoir les activités de MMA et également pour que celle-ci améliore la sécurité de ses voies ferrées.

[677]      MMA est aussi une entreprise qui détient toutes les autorisations appropriées et les certificats nécessaires pour exercer ses activités de transport ferroviaire tant au Canada qu’aux États-Unis. MMA est membre des associations de transporteurs ferroviaires et elle est évidemment soumise, comme les autres entreprises ferroviaires, particulièrement au Canada, à la surveillance et à l’autorité de l’OTC et de TC.

[678]      De plus, MMA exerce ses activités depuis près de 10 ans et elle agit comme transporteur de liaison non seulement pour le CP, mais aussi pour le CN et d’autres transporteurs américains de classe 1. À ce titre, MMA transporte toutes sortes de matières et de façon régulière, elle prend en charge des matières dangereuses.

[679]      Enfin MMA, comme tous les autres transporteurs, quelle qu’en soit l’envergure ou de quelque façon qu’ils soient catégorisés, est soumise aux mêmes règles législatives et réglementaires et doit suivre les mêmes normes et pratiques opérationnelles. Il n’y a pas de distinction entre des entreprises ferroviaires de classe 1 et les entreprises régionales ou CFIL. Il en est de même pour les employés de MMA qui doivent, au même titre que ceux d’autres entreprises ferroviaires, recevoir les formations obligatoires, obtenir leurs certifications et évidemment respecter, dans le cadre de leur travail, les mêmes règles de fonctionnement et de sécurité.

[680]      Dans cette optique, le Tribunal considère qu’à première vue, le CP peut considérer que si MMA, dans ses opérations antérieures ou dans ses processus opérationnels actuels, ne respecte pas les règles fondamentales de sécurité et transgresse celles-ci, les autorités régulatrices sont intervenues ou vont intervenir comme c’est leur rôle.

[681]      De plus, le CP, à moins d’indications claires, d’indices évidents ou de constatations spécifiques, est en droit de considérer et de s’attendre que les dirigeants de MMA et aussi ses cheminots ont les connaissances appropriées pour exercer leurs fonctions, qu’ils sont suffisamment formés, qu’ils sont adéquatement supervisés et que dans l’ensemble, ils respectent les normes de sécurité, particulièrement celles fondamentales pour les opérations quotidiennes, telles l’immobilisation et la sécurisation adéquate de quelque convoi que ce soit et particulièrement lorsqu’il s’agit de matières considérées dangereuses en raison de la législation et de la réglementation sur le sujet.

[682]      La preuve révèle de manière très claire et non équivoque que si le convoi de wagons-citernes se déplace dans la nuit du 6 juillet 2013, c’est parce que l’ingénieur de locomotive qui a la responsabilité de l’immobiliser ne fait pas son travail adéquatement et qu’il omet d’abord d’apposer suffisamment de freins d’urgence et qu’ensuite, il ne fait pas les tests obligatoires et nécessaires pour vérifier et s’assurer qu’un nombre suffisant de freins à main sont apposés. De plus, en ne retournant pas sur les lieux après qu’il soit informé que la locomotive qui procure au système de freinage à air la pression nécessaire est arrêtée, cet employé, de manière fautive, ignore alors les conséquences de cette situation.

[683]      La preuve révèle aussi que même s’il est certainement préférable de ne pas laisser des trains immobilisés sur une voie principale[148], particulièrement en haut d’une pente, cela peut se faire sans danger pourvu que l’on mette en place les mesures appropriées pour s’assurer que le convoi est immobilisé adéquatement et qu’il le demeurera, quelles que soient les circonstances[149].

[684]      Les règles exigent, lorsque l’on immobilise un convoi, qu’il ne faille pas se fier sur le fonctionnement d’une locomotive et du système de freins à air ou du système automatique pour conclure qu’il est immobilisé adéquatement[150]. La règle de base qui doit absolument être respectée c’est que le train demeure immobilisé uniquement par les freins à main[151].

[685]      Il est évident que si en plus des freins à main l’on maintient, comme l’a fait M. Harding le 5 juillet 2013, le fonctionnement d’une locomotive et par voie de conséquence, du système de freins à air automatique, il y a encore moins de risques que le train ne se déplace. Toutefois, ce n’est pas la manière adéquate et recommandée d’immobiliser un train.

[686]      Il est difficile de considérer que le CP peut raisonnablement s’attendre à ce que, dans ses opérations quotidiennes et lorsqu’elle doit immobiliser pour une longue période un de ses convois, MMA ou ses employés ne connaissent pas ces règles de sécurité fondamentales et surtout ne les mettent pas en application.

[687]      Peut-être qu’il n’est pas nécessairement recommandé, comme processus opérationnel, de laisser pendant de longues périodes et surtout sans surveillance un convoi de marchandises dangereuses en haut d’une pente. Peut-être que cette manière de gérer ses opérations n’est pas la plus sécuritaire, mais la preuve révèle que même s’il n’est pas habituel de procéder ainsi, cela peut quand même se faire de façon sécuritaire si les règles habituelles et fondamentales concernant l’immobilisation d’un train sont respectées.

[688]      La preuve révèle que le CP, dans le cadre de ses propres opérations ferroviaires, ne favorise pas une telle manière de fonctionner et agit de façon à ce que cela ne se produise pas. C’est évidemment la meilleure façon d’éviter qu’un accident se produise. Toutefois, cela n’implique pas, compte tenu de toutes les circonstances, que cette pratique ne doive jamais exister. Toutefois si elle est utilisée, il faut alors, de manière encore plus prudente, s’assurer qu’elle se fasse de façon sécuritaire.

[689]      La preuve révèle que MMA, en raison entre autres de l’occupation de la voie d’évitement à Nantes par des wagons utilisés par une autre de ses clientes[152] et aussi probablement parce que ses convois sont sous la responsabilité d’un seul employé, prend l’habitude, pour les trains unitaires transportant du pétrole brut à destination de Saint-Jean, de les laisser la nuit entière sans surveillance en haut de la pente.

[690]      La preuve révèle également qu’à cet endroit, il n’y a pas de dérailleur permanent et que MMA n’utilise pas non plus de dérailleur portatif. Il est toutefois démontré que pour éviter de devoir refaire des tests de freinage, imposés par la réglementation américaine, le lendemain matin, les ingénieurs de locomotive de MMA, malgré certaines recommandations à l’effet contraire de leurs superviseurs, laissent à chaque fois une locomotive en fonctionnement de sorte qu’en plus des freins à main qui sont appliqués, le convoi est aussi immobilisé par le système de freins à air.

[691]      Il est établi que dans le cadre des opérations régulières du transport de pétrole entre New Town et Saint-Jean, toutes les parties impliquées participent, presque chaque jour, à des conférences téléphoniques dont l’objectif est d’ajuster leurs participations respectives en fonction de l’endroit où se situent les wagons à tel ou tel moment[153]. Cela est important de s’assurer du moment où les wagons arriveront à destination, mais aussi du moment où ils repartiront, puisque plusieurs intervenants différents sont impliqués et qu’il faut ajuster les horaires et évidemment les interconnexions.

[692]      La preuve ne révèle toutefois nullement que, dans le cadre de ces conférences quasi journalières, l’on discute de processus opérationnels ni de mesures de sécurité spécifiques. Il est plutôt essentiellement question d’endroits où se trouvent les convois, d’horaires, d’ajustements en vue d’interconnexions et de délais.

[693]      Le Tribunal ne considère pas qu’en raison des informations obtenues par le CP lors de ces conférences téléphoniques, celui-ci sait ou doit savoir qu’au moment où le train est immobilisé dans la région de Nantes ou de Lac-Mégantic, cette immobilisation se fait sur la voie principale et que des mesures de sécurité additionnelles à celles normales en cas d’immobilisation d’un convoi sont ou non implantées, ni même que le train est laissé sans aucune surveillance, qu’il s’agisse de l’opérateur ou d’autres employés ferroviaires.

[694]      Le Tribunal n’est pas non plus d’avis, en fonction de la preuve qui lui est présentée, que le CP doit nécessairement savoir, en raison des informations obtenues lors de ces conférences téléphoniques, que les processus utilisés pour la sécurisation du train sont inadéquats ni même qu’il doit s’en inquiéter.

[695]      De plus, il n’y a rien dans la preuve qui permette d’affirmer que le CP sait ou doit savoir que MMA a un mauvais dossier au niveau de la sécurité de ses opérations. Outre certaines informations qui peuvent être obtenues auprès des autorités américaines quant aux opérations exercées aux États-Unis par MMA, le CP n’a pas accès au dossier de sécurité de MMA ni aux inspections ou aux reproches qui peuvent lui être formulés par TC, à moins que celui-ci entreprenne des poursuites pénales, ce qui, selon la preuve, n’est pas le cas.

[696]      Il n’est pas non plus possible de conclure que le CP sait ou doit savoir que MMA a une mauvaise culture d’entreprise en ce qui concerne la sécurité ou qu’elle n’a pas mis en place, de manière adéquate, son SGS ni qu’elle ne supervise pas adéquatement son personnel.

[697]      La preuve révèle que MMA n’est peut-être pas une entreprise ferroviaire dont le dossier est parfait sur ces sujets, mais il n’en demeure pas moins que l’autorité réglementaire, qui a la responsabilité de vérifier, contrôler et intervenir lorsque nécessaire sur ces aspects, n’a d’aucune façon, à quelque moment que ce soit, considéré qu’il lui faut intervenir pour suspendre les activités de MMA, l’empêcher de transporter certaines matières, lui imposer des restrictions quelconques ou des conditions dans ses opérations.

[698]      La preuve ne permet pas non plus de considérer que les éléments que peut ou doit connaître le CP quant à l’état des voies ferrées de MMA, ou celui de ses locomotives, doit l’inciter à intervenir ou à agir.

[699]      MMA, à la connaissance du CP, possède des installations qui lui permettent non seulement de procéder à l’inspection et à la réparation de ses locomotives, mais lui permettent aussi d’offrir de tels services à d’autres transporteurs. De plus, même si les équipements possédés et utilisés par MMA ne sont peut-être pas les plus récents ou les plus performants, il n’en demeure pas moins que MMA semble en mesure de respecter ses obligations face à sa clientèle et surtout que les autorités réglementaires ne jugent pas devoir intervenir pour l’empêcher d’utiliser de tels équipements.

[700]      Le Tribunal ne considère pas que ce sont le rôle ni la responsabilité du CP de s’inquiéter ni même de superviser ou de conseiller MMA quant à l’utilisation ou l’entretien de ses équipements, sauf peut-être lorsque celle-ci utilise les voies ferrées du CP dans le cadre dactivités d’interconnexions à Côte-Saint-Luc. Outre dans ces circonstances, le CP n’a nullement une telle responsabilité.

B) Les fautes reprochées aux autres intervenants

[701]      Bien que les parties demanderesses se soient principalement attardées, dans le cadre de la présentation de leur preuve, à démontrer que le CP commet plusieurs fautes et agit négligemment à plusieurs égards dans sa manière de gérer le transport de pétrole brut à partir de New Town vers Saint-Jean, il n’en demeure pas moins que les éléments mis en preuve servent aussi, compte tenu de l’ensemble des circonstances, à illustrer de possibles fautes ou négligences commises par d’autres parties impliquées dans toute cette logistique de transport par voies ferrées du pétrole brut de la région de Bakken.

[702]      Le Tribunal résume, de manière générale au chapitre 8 du présent jugement, les principaux éléments fautifs reprochés à chacun des intervenants.

[703]      Le présent jugement n’a évidemment pas pour objectif de conclure à une condamnation des parties qui bénéficient de quittances totales et finales en vertu de leur participation au fonds d’indemnisation et de leur engagement dans ce plan d’arrangement.

[704]      De plus, dans le cadre du présent processus judiciaire, les parties demanderesses se sont désistées contre l’ingénieur de locomotive Thomas Harding et il est assuré qu’une condamnation contre MMA ne serait que symbolique vu l’état évident d’insolvabilité de celle-ci et la constatation que son existence n’est que théorique puisqu’elle n’exerce plus aucune activité, n’a aucun actif et est, à toutes fins utiles, dans un état juridique que l’on peut qualifier pratiquement de « végétatif ».

[705]      D’autre part, bien que le Tribunal établisse, dans les chapitres précédents, que les fautes reprochées au CP par les parties demanderesses ne sont pas reconnues comme telles et qu’en conséquence, la responsabilité de cette entreprise est ainsi inexistante, il apparaît quand même utile, d’abord pour établir ce que le Tribunal considère être les véritables causes de cette tragédie, d’analyser les fautes reprochées aux autres intervenants, mais aussi de porter attention à celles-ci en regard des principes fondamentaux de causalité et de solidarité.

[706]      C’est pourquoi le Tribunal traite dans le présent chapitre des fautes reprochées aux autres intervenants dans cette opération de transport de pétrole par train unitaire.

a)       Thomas Harding

[707]      Rappelons tout d’abord, comme déjà indiqué dans le présent jugement, quelles sont les fautes reprochées à l’ingénieur de locomotive Thomas Harding. Elles se décrivent de manière générale ainsi :

1. De ne pas appliquer suffisamment de freins d’urgence en contravention avec la règle 112 du Règlement d’exploitation.

2. De ne pas effectuer les tests appropriés et nécessaires pour s’assurer de la suffisance des freins à main appliqués et de leur efficacité.

3. De ne pas retourner sur les lieux lorsqu’il est informé que la locomotive de tête, la seule encore en fonction au moment où il laisse le train sans surveillance, n’est plus en service parce que son fonctionnement est arrêté par les pompiers lorsqu’ils interviennent pour faire cesser le feu dans la cheminée de cette locomotive.

[708]      Lors du procès, le Tribunal a l’occasion de constater que les parties reconnaissent à peu près toutes, de façon assez claire, que l’ingénieur de locomotive Thomas Harding ne respecte pas les règles fondamentales et les pratiques opérationnelles reconnues lorsqu’il procède, dans le cadre de ses fonctions, à l’immobilisation du convoi ferroviaire.

[709]      Bien que les parties demanderesses affirment que les règles de sécurisation de base peuvent être imprécises et possiblement d’une efficacité incertaine, il n’en demeure pas moins que M. Harding ne les respecte pas. Il admet clairement, lors de son témoignage, qu’il les connaît et les comprend très bien. D’ailleurs, il fait des aveux extrajudiciaires à ce sujet en plaidant coupable aux infractions statutaires portées contre lui et qui concernent précisément ces règles[154].

[710]      M. Harding fait défaut en premier lieu de respecter la règle 112 (a) du Règlement d’exploitation en n’appliquant pas le nombre de freins à main minimum exigé compte tenu de la longueur du convoi ferroviaire. Il importe de noter que le nombre minimum est de neuf freins à main et qu’il n’en applique, selon ses dires, que sept.

[711]      De plus, il faut souligner que ce nombre constitue un minimum et qu’il doit être augmenté lorsqu’un ou plusieurs des quatre facteurs énumérés à la règle 9210 (i) des Règlements de sécurité de MMA sont présents[155]. La preuve révèle que le convoi dirigé par M. Harding comporte certainement trois des quatre éléments énumérés à cette règle, soit un nombre important de wagons, le fait qu’ils sont chargés et la pente sur les voies ferrées à l’endroit où il immobilise le convoi.

[712]      M. Harding fait ensuite défaut de respecter la règle 112 (b) du même Règlement d’exploitation qui impose, pour s’assurer qu’un nombre suffisant de freins à main est appliqué, de procéder à un test d’efficacité de ceux-ci après avoir relâché au préalable tous les freins à air. La preuve révèle qu’à défaut de relâcher l’ensemble des freins à air avant de procéder au test d’efficacité des freins à main, il n’est pas possible de savoir si un nombre suffisant de freins à main est appliqué pour garantir l’immobilisation adéquate du convoi.

[713]      Bien que M. Harding confirme, lors de son témoignage, connaître ces deux règles fondamentales pour une immobilisation sécuritaire d’un convoi ferroviaire, il reconnaît aussi ne pas les avoir respectées.

[714]      De toute évidence, et la preuve le démontre clairement, M. Harding est expérimenté et il connaît très bien le réseau et l’ensemble des voies ferrées sur lesquelles circulent les convois de MMA. Il est très bien informé de la charge importante constituée par l’ensemble des wagons-citernes et aussi de la configuration des voies ferrées à l’endroit où il immobilise le convoi et celle qui se trouve par la suite entre cet endroit et le centre-ville de Lac-Mégantic.

[715]      Il n’y a ainsi rien qui puisse justifier qu’il n’appose pas le nombre suffisant de freins et qu’il ne fasse pas les tests d’efficacité nécessaires dans de telles circonstances. D’ailleurs, lors de son témoignage, il ne fournit aucune explication ni aucune justification pour que l’on puisse comprendre ses gestes et le fait qu’il n’ait pas respecté ces règles fondamentales de sécurité.

[716]      De plus, M. Harding ne peut certainement pas ignorer toutes les circonstances, d’autant qu’il est le seul à savoir qu’un nombre suffisant de freins n’est pas appliqué et qu’aucun test d’efficacité adéquat n’est fait. Malgré cela, il décide quand même de ne pas retourner sur les lieux lorsqu’informé par le CCF de Farnham, M. Richard Labrie, que les pompiers, après avoir éteint le feu qui a pris naissance dans la locomotive de tête, ont aussi arrêté le fonctionnement de celle-ci, faisant en sorte qu’il n’y a plus aucune pression d’air qui est alors générée par les systèmes de cette locomotive.

[717]      Il ne retourne donc pas sur place pour faire de nouveaux tests d’efficacité ni pour mettre en fonction une nouvelle locomotive afin que celle-ci alimente le système de freins à air. Au surplus, bien qu’il ne puisse certainement pas ignorer à ce moment que le convoi est probablement dans un état vulnéable, M. Harding n’en avise pas son CCF, M. Labrie, et retourne se coucher.

[718]      Ces agissements, encore inexpliqués de M. Harding et pour l’essentiel encore inexplicables de la part d’un ingénieur de locomotive ayant son expérience, sont sans contredit des fautes graves et ils ont une importance capitale dans le déraillement du convoi.

b)       MMA

[719]      Au chapite 8 du présent jugement, les divers reproches ou diverses fautes soulevés à l’encontre de MMA par l’une ou l’autre des parties sont ainsi résumés :

1. D’abord, en tant qu’employeur de Thomas Harding, les fautes commises par celui-ci.

2. À cela s’ajoutent des reproches concernant les lacunes institutionnelles dans la gestion, la supervision et l’organisation de la sécurité de ses opérations ferroviaires.

3. Également les négligences dans l’entretien de son matériel roulant, particulièrement ses locomotives.

4. Enfin, certaines manières d’opérer dont, entre autres, l’utilisation du système SPTO et le stationnement sans surveillance, sur la voie principale en haut d’une côte, de convois importants comportant une grande quantité de matières dangereuses.

[720]      Le Tribunal entend donc reprendre chacun de ces éléments pour établir s’il les considère comme des fautes ou des négligences.

Les fautes de leur employé

[721]      D’abord, en ce qui concerne les fautes commises par l’employé de MMA, M. Harding, les règles de la responsabilité du fait d’autrui dans le droit civil québécois amènent clairement à retenir que MMA doit assumer la responsabilité des gestes de son employé d’autant que rien ne démontre qu’il excède ses fonctions lors de ces agissements[156].

Les fautes ou négligences de MMA elle-même

[722]      D’autre part, en ce qui concerne les lacunes institutionnelles alléguées en lien avec la gestion, la supervision et l’organisation de la sécurité de ses opérations ferroviaires, la preuve révèle à divers égards que plusieurs peuvent être considérées comme des éléments fautifs.

[723]      En apparence et à première vue, la preuve révèle que MMA a, comme prescrit par la réglementation, mis en place un SGS et divers outils non seulement pour établir diverses règles d’opération, mais aussi pour s’assurer que ses employés connaissent et appliquent celles-ci. En théorie, un système nommé OTIS[157] et qui doit servir à de telles fins de formation et de supervision existe chez MMA[158].

[724]      Toutefois, la preuve révèle que MMA n’implante pas véritablement son SGS entre 2003 et 2010 et que de nombreuses lacunes ou erreurs sont identifiées en ce qui concerne la formation des employés. Celle-ci est déficiente et n’assure pas véritablement que les employés comprennent les règles. De plus, elles ne sont pas à jour à l’interne et au niveau organisationnel, et ceux qui doivent assumer certaines responsabilités quant à la sécurité et voir à sa supervision sont mal informés de ce qui concerne tout cet aspect.

[725]      Tous ces éléments factuels apparaissent dans un document préparé dans le cadre des poursuites pénales intentées contre des dirigeants et des employés de MMA. Cette reconnaissance constitue de leur part des aveux extrajudiciaires de leurs fautes ou négligences[159]. Ces éléments fautifs sont d’ailleurs le résultat de constatations faites d’abord par TC à la suite de nombreuses inspections et constats réalisés par ses inspecteurs au fil des ans[160].

[726]      Il est, à première vue, assez surprenant que ces nombreuses déficiences ou irrégularités constatées par l’organisme chargé d’inspecter la mise en place adéquate et l’application des règles de sécurité ne se concrétisent pas à l’époque par des constats d’infraction et des plaintes pénales. Toutefois, cela s’explique par un des aspects de la philosophie adoptée par TC qui est de favoriser la conscientisation, la prise en charge et la collaboration avec l’industrie ferroviaire plutôt que la répression et la pénalisation des manquements constatés[161].

[727]      MMA est une compagnie en apparence généralement bien organisée et dirigée par des spécialistes du transport ferroviaire. Ses employés semblent régis par des règles internes conformes aux exigences réglementaires. Il n’en demeure pas moins que de nombreuses lacunes existent et que la preuve révèle que malgré plusieurs incidents constatés par les inspecteurs de TC ou par des superviseurs internes chez MMA, cette entreprise ne donne qu’une formation assez faible à ses cheminots et qu’elle ne s’assure pas suffisamment que ceux-ci comprennent adéquatement les règles fondamentales relatives à l’immobilisation sans danger de convois ferroviaires d’importance.

[728]      M. Harding reconnaît clairement lors de son témoignage qu’il connaît bien les règles et ne les applique toutefois pas adéquatement. Le Tribunal constate toutefois que ces règles ne font pas l’objet de suffisamment d’enseignements et, par la suite, de supervision quant à leur respect par les responsables chez MMA de la sécurité du transport ferroviaire.

[729]      Le Tribunal, comme le souligne d’ailleurs l’expert Brault en indiquant que « MMA, c’était pas des étoiles montantes en termes de sécurité »[162], n’hésite pas à conclure que cette négligence généralisée dans la supervision d’opérations, somme toute quotidiennes et fréquentes d’immobilisation et de sécurisation de convois ferroviaires, constitue chez MMA un des éléments fautifs qui contribuent à la négligence ou à l’insouciance que l’on retrouve dans les agissements de son préposé, M. Harding.

[730]      Les parties demanderesses soulèvent que, de manière assez généralisée, les locomotives de MMA sont vétustes et mal entretenues. La preuve révèle qu’elles ne sont certainement pas des modèles récents et que leur aspect révèle une certaine insouciance dans le maintien de leur propreté et que leur performance laisse parfois à désirer.

[731]      Il est toutefois également mis en preuve que MMA a à son service des employés d’entretien et de réparation expérimentés[163] et que les autorités, chargées de l’inspection et de la vérification des normes quant à l’état d’entretien des équipements et des voies ferrées, ne demande jamais ou n’exige pas que MMA cesse certaines de ses activités en raison de la mauvaise qualité des équipements, bien que certains de ses trajets soient l’objet de limitations quant à la vitesse à laquelle les trains pouvaient y circuler.

[732]      La preuve révèle que la journée qui précède le déraillement, l’ingénieur de locomotives, M. Harding, éprouve des difficultés avec la locomotive de tête identifiée MMA5017[164]. Certains employés de MMA la décrivent comme étant dans un piteux état auparavant[165]. Il semble aussi qu’un an avant, elle a également éprouvé des problèmes importants[166].

[733]      La preuve ne révèle toutefois pas qu’elle est en mauvais état au moment où le convoi quitte Farnham le 5 juillet 2013. C’est plutôt pendant le trajet qu’elle fait des siennes et que M. Harding souligne cette situation à ses contrôleurs de Farnham et de Bangor.

[734]      Bien que l’on puisse envisager que cette locomotive n’est pas en bon état, le Tribunal considère qu’il n’est toutefois pas en mesure de conclure qu’elle ne devait pas être en service avant qu’elle n’éprouve ces dernières difficultés ni que, de manière générale, les entretiens et les réparations faits par MMA sur l’ensemble de sa flotte de locomotives sont généralement inadéquats ou insuffisants.

[735]      La preuve permet certainement d’affirmer que le jour de la tragédie, la locomotive de tête MMA5017 fait défaut pendant son trajet vers Lac-Mégantic, mais il n’y a pas d’éléments qui permettent toutefois d’affirmer qu’avant qu’elle ne brise, celle-ci est dans une condition telle qu’elle ne doit pas être utilisée. D’ailleurs, la journée même, le convoi fait l’objet d’inspections et de vérifications par des employés de TC ainsi que par ceux de MMA lorsqu’il se trouve en gare à Farnham et rien n’indique que des problèmes avec l’une ou l’autre des locomotives sont alors constatés[167].

[736]      Les problèmes éprouvés par la locomotive de tête MMA5017 ont une influence certaine sur l’éventuel déraillement parce que si la locomotive ne prend pas feu et que les pompiers ne la mettent pas hors fonction, le système de freinage à air continue de faire son travail d’immobilisation du convoi. Toutefois, si l’ingénieur de locomotive respecte les règles fondamentales d’immobilisation de tout convoi ferroviaire, celui stationné à Nantes, avec ou sans le fonctionnement de la locomotive de tête, ne se déplace pas et il n’y a ainsi aucun accident qui survient.

[737]      Il est fort possible que MMA et son service d’entretien de réparation des équipements aient pu être plus efficaces ou vigilants dans l’entretien et la réparation des locomotives, mais le Tribunal ne peut conclure que cela est démontré par une preuve prépondérante.

[738]      Il en résulte qu’aux yeux du Tribunal, l’état d’entretien ou de réparation de la locomotive qui prend feu le 5 juillet 2013 ne peut être considéré comme le résultat ou la conséquence de fautes spécifiques de MMA. C’est plutôt ce qui précède et ce qui suit la mise hors service de cette locomotive qui constituent de véritables fautes.

[739]      Parmi les autres fautes reprochées à MMA, l’on retrouve l’utilisation par celle-ci, pour le transport de wagons-citernes par trains unitaires, d’un système impliquant un seul employé à bord, soit le système communément nommé SPTO.

[740]      Toutes les parties reconnaissent que l’utilisation par MMA du mode d’opération de ses trains à un seul employé (SPTO) n’est pas interdite au Canada ni aux États-Unis et qu’elle ne requiert pas d’approbation spécifique. Toutefois, TC, lorsqu’informé que MMA veut implanter ce système au Canada après en avoir débuté l’application aux États-Unis, exige de celle-ci qu’elle procède d’abord à une analyse de risques complète. Il l’informe ensuite qu’il a l’intention de vérifier avec beaucoup d’attention son implantation, de lui exiger la mise en place d’une formation adéquate et qu’il entend même « monitorer » cette opération pendant un certain temps[168].

[741]      Les parties demanderesses soutiennent d’abord que MMA ne respecte pas ses engagements envers TC quant à la formation de ses employés en ce qui concerne les procédures particulières lorsque les convois circulent, mais aussi en ce qui concerne les opérations d’immobilisation et de sécurisation des convois.

[742]      Les Représentants ajoutent que l’utilisation d’un seul employé augmente les risques d’accident parce que celui-ci travaille seul et ne peut alors utiliser certaines opérations qui peuvent parfois être utiles ou nécessaires, tel de reculer sur une voie de desserte. De plus, lorsqu’un employé a non seulement la responsabilité de conduire le convoi, mais qu’il doive aussi, seul, poser tous les gestes nécessaires à l’immobilisation de celui-ci, cela lui impose une charge de travail considérable, surtout que ce genre de manœuvres s’effectue généralement en fin de journée. Cela risque de provoquer des erreurs ou de faire en sorte que l’employé n’est pas en mesure d’accomplir son travail de manière efficace.

[743]      Il est fort possible que ce soient ces considérations qui font en sorte que, très peu de temps après la tragédie du 6 juillet 2013, les autorités canadiennes modifient les règles quant à l’utilisation de ces systèmes d’opération SPTO. Dans une mesure d’urgence mise en place dès juillet 2013, elles imposent aux compagnies ferroviaires de ne pas utiliser un tel système SPTO lorsque plus d’un wagon contenant des marchandises dangereuses se retrouvent dans un convoi[169].

[744]      Une nouvelle réglementation, adoptée ultérieurement, exige aussi désormais, de façon claire, qu’une équipe responsable d’un train comportant plusieurs wagons-citernes chargés de matières dangereuses doit être composée[170] d’au moins deux membres d’équipage.

[745]      La preuve révèle toutefois que MMA n’est jamais empêchée ni découragée ou même déconseillée par TC d’utiliser une telle manière d’opérer, même si cet organisme sait qu’elle manipule régulièrement des trains unitaires de produits pétroliers de cette façon[171].

[746]      Le Tribunal considère que ce n’est pas tellement le fait d’utiliser ce système d’opération qui constitue une faute, mais plutôt de ne pas former adéquatement les employés qui y sont assignés et surtout de ne pas mettre en place, comme MMA l’a d’ailleurs déjà envisagé à un certain moment, un système permettant de s’assurer qu’un nombre suffisant de freins est appliqué lorsque le convoi est laissé sans surveillance[172].

[747]      Enfin, l’un des principaux reproches formulés par l’ensemble des parties demanderesses à l’encontre de MMA consiste dans le fait que cette entreprise décide d’instaurer, de manière assez générale, dans le cours de ses opérations relatives au transport de trains unitaires de pétrole brut en direction de Saint-Jean, une étape à Nantes au cours de laquelle le convoi est immobilisé en haut d’une pente, pour la nuit entière, sans surveillance et sans que des mesures de sécurité additionnelles ne soient mises en place.

[748]      Cette étape dans le cheminement des convois est nécessaire, selon les explications données par MMA, parce que la durée du trajet entre Farnham et Saint-Jean nécessite un nombre trop considérable d’heures de travail pour que cela puisse s’accomplir dans une seule journée de travail normale pour des employés. Une pause statutaire et obligatoire permettant aux employés de se reposer après un certain nombre d’heures de travail doit être prévue.

[749]      Une telle pause doit donc être faite pendant le parcours. L’endroit choisi, vu la longueur du parcours sur les voies ferrées de MMA ainsi que les vitesses permises sur lesdites voies ferrées et la durée des quarts de travail, se situe nécessairement, autant pour l’aller vers Saint-Jean que pour le retour de Saint-Jean, approximativement dans la région de Lac-Mégantic.

[750]      Pour des motifs de gestion de son personnel et d’efficacité et peut-être aussi en raison de problématiques reliées à la disponibilité de personnel et le fait que les mécaniciens de locomotives ont leur résidence soit dans la région de Bangor où MMA a son siège social, ou encore dans la région de Farnham où elle a établi ses bureaux d’affaires au Canada, les dirigeants de MMA décident de mettre en place ce système de pause prolongée et en conséquence, d’immobiliser le convoi pour la durée de cette pause obligatoire pour les employés. Celle-ci permet ainsi aux ingénieurs de locomotives qui arrivent avec leur convoi en fin de journée de dormir et ensuite de repartir dès le lendemain matin avec un nouveau convoi en sens inverse. Les changements d’équipage se font donc à proximité de Lac-Mégantic.

[751]      L’alternative aurait été de changer complètement d’équipage dès que les trains qui arrivent de Saint-Jean ou de Farnham se trouvent près de Lac-Mégantic et de faire en sorte que les convois poursuivent leur chemin sans arrêt et surtout sans qu’ils soient immobilisés de longues heures. Cela comporte toutefois nécessairement des enjeux organisationnels particuliers.

[752]      À peu près tous les intervenants reconnaissent qu’au niveau sécuritaire, il est certainement préférable que des convois de marchandises dangereuses ne soient jamais laissés immobilisés pour de longues périodes et surtout, qu’ils ne le soient pas, en autant que possible, en haut d’une pente.

[753]      Les parties divergent toutefois d’opinion, tant elles-mêmes que leurs experts, sur la dangerosité intrinsèque de laisser des trains de marchandises dangereuses immobilisés sur une voie principale, sans surveillance et pour de longues périodes.

[754]      Les experts dont les services sont retenus par les parties demanderesses affirment qu’il s’agit d’une pratique excessivement dangereuse, que les compagnies responsables n’utilisent à peu près pas, sauf dans des circonstances exceptionnelles, et qu’une telle pratique ne devrait jamais faire partie d’un processus opérationnel régulier. Ces mêmes experts considèrent qu’un transporteur d’origine ne devrait jamais accepter qu’un transporteur de connexion adopte une telle manière de procéder[173].

[755]      Les experts retenus par les parties défenderesses considèrent quant à eux qu’une telle pratique n’est pas nécessairement exceptionnelle, qu’elle peut être exercée de manière entièrement sécuritaire si les règles fondamentales relatives à la sécurisation des convois sont appliquées correctement et, en principe, il n’y a pas lieu de s’inquiéter outre mesure de telles pratiques et certainement pas de les considérer en soi comme nécessairement dangereuses ou fautives. Ces experts précisent qu’un transporteur d’origine est en droit de s’attendre à ce qu’un transporteur de connexion qui utilise un tel processus agisse de manière à ce que toutes les mesures de base soient mises en place et que, si nécessaire, des mesures de sécurisation additionnelles soient apportées sans que le transporteur d’origine n’ait à intervenir ou à s’impliquer à ce niveau[174].

[756]      Le Tribunal considère que cette pratique utilisée par MMA pour accorder du repos à ses employés et qui implique de ne faire le changement d’équipage qu’après cette période de repos n’est peut-être pas la meilleure, ni celle qui permet, de la meilleure façon, de réduire tous les risques d’un accident, mais constate toutefois que si les règles de base quant à la sécurisation des convois sont mises en place et que si, au surplus, des mesures additionnelles de protection sont ajoutées, une telle pratique n’est pas nécessairement fautive ou génératrice de responsabilité.

[757]      Le Tribunal, en fonction de la preuve qui lui est présentée, constate que ce n’est pas tant d’avoir laissé un convoi de marchandises dangereuses sans surveillance, la nuit, en haut d’une pente sur une voie principale, qui doit être considéré comme une faute en soi, mais plutôt, lorsqu’une telle décision d’opération est prise, de ne pas s’assurer que toutes les mesures de sécurisation nécessaires, compte tenu des circonstances, sont mises en place pour pallier aux erreurs humaines ou bris d’équipement qui peuvent se produire pendant que les convois sont sans surveillance.

[758]      La preuve révèle qu’il est possible d’immobiliser, quels que soient la longueur, le poids des wagons, la condition des voies ferrées ou d’autres circonstances, un convoi ferroviaire sur une voie principale, et ce, de manière sécuritaire.

[759]      Il est certes préférable que l’immobilisation se fasse sur une voie de desserte, mais lorsque cela n’est pas possible, ou plus difficile à réaliser pour différents motifs, l’application adéquate d’un nombre suffisant de freins à main, la mise en place de mesures de sécurité additionnelles, tels des dérailleurs permanents ou portatifs, la réalisation de tests d’efficacité adéquats et aussi le maintien du fonctionnement d’une locomotive assurant ainsi l’approvisionnement adéquat d’air comprimé pour les freins automatiques et les freins habituels, sont toutes des mesures efficaces, faciles à mettre en place, simples à réaliser et sans effort inhabituel.

[760]      De plus, l’instauration d’un processus opérationnel permettant, avant que le train ne soit laissé sans surveillance, de transmettre au contrôleur des informations relatives au nombre de freins appliqués et à la réalisation des tests adéquats, apparaît être une mesure additionnelle et suffisante et qui aurait pu être adoptée pour pallier aux risques d’erreurs humaines.

[761]      MMA, en tant que responsable de la sécurité des convois qui lui sont confiés sur ses voies ferrées et aussi à titre de responsable pour les agissements de ses employés, n’a pas pris toutes les mesures appropriées pour s’assurer qu’au moment où le train est laissé sans surveillance, les mesures de base sont appliquées par ses employés et également pour s’assurer, au cas où une erreur humaine ou un bris d’équipement survient, que d’autres mesures de sécurité sont en fonction.

[762]      Le Tribunal conclut que ce n’est pas en soi le fait d’avoir laissé le train sans surveillance sur la voie principale à Nantes qui constitue une faute, mais c’est plutôt, une fois que la décision est prise d’agir ainsi, de ne pas instaurer toutes les mesures appropriées pour s’assurer que, malgré les circonstances, le train demeure immobilisé, comme cela est possible et assez facilement réalisable, si toutes les règles et normes sont respectées.

c)       TC

[763]      Dans les étapes initiales et préliminaires en vue d’obtenir l’autorisation d’intenter une action collective contre un nombre considérable de parties défenderesses, les Représentants allèguent de nombreux reproches à l’encontre de TC et de l’OTC. Les fautes alléguées concernent principalement la manière dont ces entités gouvernementales exercent leurs rôles de contrôle, de surveillance et d’inspection du transport ferroviaire de marchandises dangereuses et particulièrement quant à la mise en place par les entreprises ferroviaires de leurs SGS et quant à la supervision de l’implantation de ceux-ci.

[764]      Le gouvernement du Canada, au même titre que l’ensemble des parties pouvant être impliquées dans la tragédie de Lac-Mégantic, sauf le CP, a contribué au fonds d’indemnisation et ainsi obtenu une quittance totale et finale. Cela fait en sorte que TC et l’OTC ne peuvent être poursuivis en dommages par les victimes, quelle que puisse être leur responsabilité dans la survenance des événements qui les ont provoqués.

[765]      Lors du procès, toutes les parties demanderesses minimisent le rôle et la responsabilité des autorités gouvernementales canadiennes et plus particulièrement de TC dans la survenance du déraillement.

[766]      Les parties défenderesses reconnaissent que le rôle de TC, déterminé par la LTC, est de promouvoir la sécurité, de réglementer les pratiques des entreprises ferroviaires de juridiction fédérale et de voir à leur application.

[767]      Pour bien remplir son rôle, TC a adopté une politique[175] dont les objectifs sont, entre autres, de promouvoir et assurer la sécurité du public lors d’opérations ferroviaires, d’encourager la collaboration et la participation des parties intéressées dans l’amélioration de la sécurité ferroviaire, de reconnaître la responsabilité des compagnies ferroviaires dans leurs propres mesures de sécurité et de faciliter l’instauration d’une réglementation efficace, flexible et moderne afin d’assurer la constante amélioration de la sécurité ferroviaire.

[768]      La preuve révèle qu’il fait partie de la philosophie générale des régimes ferroviaires américains et canadiens de compter sur la participation et l’implication des compagnies ferroviaires elles-mêmes, pour qu’elles mettent en place des normes et pratiques opérationnelles sécuritaires, qu’elles les améliorent régulièrement et qu’elles en assurent à l’interne la surveillance.

[769]      Au Canada, c’est TC qui s’occupe de veiller au respect de la réglementation. C’est aussi TC qui doit, à ce titre, recueillir de l’information, faire des inspections, des enquêtes et des audits. D’ailleurs, la législation et la réglementation prévoient, pour que TC puisse remplir son rôle, de nombreux pouvoirs d’enquête et d’intervention ainsi qu’une panoplie de mesures fort diversifiées, allant de lettres de non-conformité à des constats d’infraction et même jusqu’à des injonctions ou ordonnances judiciaires, lorsque les inspecteurs de TC ou ses employés responsables le jugent nécessaire.

[770]      Les autorités gouvernementales canadiennes ont ainsi instauré un régime dont les objectifs fondamentaux sont d’assurer la sécurité de tous en matière de transport ferroviaire.

[771]      Le CP affirme que le système ferroviaire canadien est fortement réglementé et que TC détient un réel pouvoir de supervision et de sanction des transporteurs en lien avec la sécurité de leurs opérations et qu’il joue à ce titre un rôle crucial dans le respect de cette sécurité.

[772]      Les parties demanderesses considèrent de leur côté que, malgré l’étendue des pouvoirs et des mesures dont dispose TC, le nombre assez restreint de ses inspecteurs et la diversité de leurs responsabilités quant aux opérations, aux équipements, aux passages à niveau, à la signalisation et aux voies ferrées, limitent leurs connaissances approfondies des opérations ferroviaires de chaque transporteur et ne leur permettent pas de connaître suffisamment les opérations quotidiennes de ceux-ci.

[773]      Le CP plaide que TC, malgré les pouvoirs qui lui sont conférés et l’information qu’il détient ou qu’il doit détenir au sujet de MMA, ne cherche jamais à restreindre les opérations de celle-ci. Le CP ajoute qu’au surplus, TC ne considère jamais non plus, malgré l’historique de défaillances constatées en matière d’immobilisation de convois, de formation des employés, de documentation des accidents ou incidents et blessures, ainsi que l’incapacité de MMA à mettre en place de manière adéquate son SGS, que cette situation doit l’amener à imposer des sanctions sérieuses à MMA. D’ailleurs, TC n’intervient jamais de façon sérieuse quand bien même MMA ne met pas en place les mesures identifiées dans des lettres de préoccupations (2), des lettres de non-conformité (62) et des avis formels (3) pour remédier aux déficiences[176].

[774]      Le CP précise que malgré toutes les constatations faites par les inspecteurs de TC ainsi que les visites et inspections fréquentes par ceux-ci à divers endroits sur le réseau de voies ferrées de MMA et bien que TC sache que MMA transporte des marchandises dangereuses, dont du pétrole brut, et qu’elle fait de telles opérations avec un seul employé (SPTO), jamais TC n’envisage que de telles pratiques sont en soi dangereuses et qu’elles créent un risque important de sorte qu’il faut prohiber à MMA de telles opérations sur ses voies ferrées.

[775]      Le CP ajoute que TC ne peut certainement pas ignorer, compte tenu de son rôle et de sa mission, que MMA utilise la voie principale à Nantes pour y stationner pendant de longues périodes ses convois afin d’accorder des périodes de repos statutaires à ses employés[177].

[776]      Les parties demanderesses considèrent quant à elles que TC n’a pas les effectifs suffisants pour superviser de façon aussi approfondie les opérations de MMA et que cette dernière ne lui transmet pas nécessairement toutes les informations adéquates quant aux produits transportés ou quant à sa décision de laisser les convois sans surveillance pour de longues périodes à Nantes.

[777]      Les parties demanderesses affirment aussi que le CP, entre autres en raison de son rôle de transporteur d’origine et « d’arrangeur » du transport de pétrole par trains unitaires vers Saint-Jean, a ou doit nécessairement avoir plus d’informations que TC sur les manières d’opérer de MMA et par voie de conséquences, sur les risques générés par de tels agissements.

.      .      .

[778]      L’ensemble de la preuve présentée au Tribunal quant aux rôles et aux responsabilités de TC en règle générale et quant au fonctionnement et à l’organisation du système ferroviaire en Amérique du Nord, particulièrement au Canada, amène pour l’essentiel aux conclusions suivantes.

[779]      D’abord, les compagnies ferroviaires ont un rôle important et essentiel dans l’implantation, pour leur propre réseau ferroviaire, de mesures d’opérations sécuritaires. Elles doivent s’assurer, au Canada, de mettre en place un SGS qui leur permette de toujours être en constant éveil quant à la sécurité, autant pour le public que pour leurs propres employés, ainsi que pour l’environnement de leurs opérations ferroviaires.

[780]      Toutefois, les compagnies ferroviaires nont aucune obligation ni aucun rôle quant à la vérification, la supervision ou l’intervention dans les opérations ferroviaires des autres compagnies avec lesquelles elles ont des opérations d’interconnexions.

[781]      TC a un rôle essentiel et largement détaillé pour assurer le respect, par les différents transporteurs ferroviaires, de leurs obligations en matière d’opérations sécuritaires. Pour ce faire, TC dispose de nombreux moyens d’intervention, lesquels semblent peu limités. Toutefois, malgré l’importance et le volume du transport ferroviaire et particulièrement celui de matières dangereuses au Canada, les effectifs consacrés à ces opérations de vérification et de surveillance semblent assez limités, surtout lorsque l’on tient compte de l’étendue des voies ferrées, du nombre de passages à niveau, de ponts ferroviaires, de wagons qui circulent et de locomotives qui sont impliquées dans les opérations.

[782]      La preuve révèle que généralement les entreprises de classe 1, tels le CN et le CP au Canada, sont beaucoup mieux organisées à l’interne que les chemins de fer régionaux ou CFIL en ce qui concerne les mesures de surveillance, de contrôle et de formation de leurs employés et qu’elles sont aussi généralement beaucoup mieux équipées pour répondre à toutes les exigences et normes réglementaires ou opérationnelles relatives à la sécurité de leurs opérations. Elles ont généralement des services plus complets, des programmes plus spécifiques et elles disposent d’un personnel plus nombreux et souvent mieux formé et mieux informé de tous ces aspects.

[783]      Cela a ou doit avoir comme conséquences que les autorités et les inspecteurs de TC, chargés de la surveillance, du respect et de l’application des normes de sécurité, soient plus attentifs et consacrent des efforts et des moyens plus importants, toutes proportions gardées, à la surveillance de ces entreprises moins bien organisées. Aux yeux du Tribunal, c’est une question de logique et de sécurité publique.

[784]      Le Tribunal considère aussi que le public en général, mais aussi les autres compagnies ferroviaires sont en droit de s’attendre à ce que l’organisme chargé d’assurer la surveillance et le contrôle général de la sécurité du transport ferroviaire (TC) et celui dont c’est la responsabilité d’émettre les certificats d’aptitude (l’OTC) fassent leur travail de manière adéquate et suffisamment approfondie pour que cette surveillance s’exerce de manière efficace.

[785]      Bien qu’il y ait ou puisse y avoir des différences considérables dans les niveaux organisationnels entre les diverses catégories de transporteurs, il n’y a toutefois aucune différence en ce qui concerne l’application et l’importance du respect des normes de sécurité. Lorsqu’une compagnie ferroviaire détient un certificat d’aptitude lui permettant d’exercer des opérations ferroviaires, elle est considérée et peut s’attendre à être considérée par les autres intervenants comme étant en mesure d’exercer adéquatement ses responsabilités de transporteur public.

[786]      Il est toutefois raisonnable de s’attendre à ce que, vu l’importance accordée par la législation et la réglementation à l’implantation de processus internes concernant les mesures obligatoires sur la sécurité des opérations, les autorités gouvernementales, dont c’est le rôle et la responsabilité de contrôler et de vérifier cet aspect, soient particulièrement vigilantes lorsque les entreprises disposent de moyens et de ressources moins élaborés ou moins importants.

[787]      Le Tribunal considère, en fonction de la preuve qui lui est présentée, que ce n’est pas aux grandes entreprises de s’assurer que celles de moindre envergure, et avec lesquelles elles ont des interconnexions nécessaires pour assurer un transport ferroviaire efficace pour la clientèle, respectent les normes de sécurité et mettent en place, dans leurs opérations régulières, les processus exigés par les normes de l’industrie et par la législation et la réglementation pertinentes.

[788]      De toute évidence, c’est le rôle de TC de faire cette surveillance et de poser les gestes appropriés, lorsque nécessaire, qu’il s’agisse de collaborer ou d’inciter ces entreprises au respect des règles ou qu’il s’agisse d’intervenir en suspendant leurs opérations lorsque les manquements sont trop répétitifs ou lorsque les inspecteurs constatent que les entreprises sont trop négligentes ou réticentes à changer leur façon de faire.

[789]      Le Tribunal constate qu’il ne lui est pas possible de conclure, de façon certaine, que TC manque à ses obligations fondamentales, en fonction des ressources que les autorités gouvernementales décident de lui consacrer pour qu’elle procède à la surveillance et qu’elle fasse les interventions appropriées au sujet de la sécurité des opérations de MMA.

[790]      Certes, le CP tente dans une certaine mesure et avec l’aide de l’expert, M. Sparrow, de démontrer que la supervision de TC quant aux opérations de MMA est déficiente et que celle-ci n’aurait jamais dû être autorisée à opérer ou que ses opérations auraient dû être restreintes en raison des nombreuses constatations faites par les inspecteurs de TC au cours des dernières années.

[791]      La preuve révèle que, plutôt d’intervenir de manière forte et directe auprès de MMA lorsque ces inspecteurs constatent des manquements à la sécurité, TC préfère procéder avec un esprit de collaboration et de sensibilisation. La preuve révèle par contre que cette méthode adoptée par TC n’apporte certainement pas des solutions efficaces et à de maintes reprises, les mentions faites par TC quant aux manquements à la sécurité sont de nouveau réitérées par les inspecteurs, puisque MMA ne semble pas intervenir adéquatement pour que la situation change.

[792]      Il ressort également de la preuve que TC n’est pas très proactive et certainement pas suffisamment ferme auprès de MMA lorsqu’elle constate que son SGS n’est pas véritablement implanté et qu’il y a des lacunes importantes et à plusieurs égards dans la formation des employés, mais aussi dans la supervision et le contrôle de leurs activités.

[793]      Puisque le Tribunal en vient précédemment à la conclusion que le CP, même en tant que transporteur d’origine, « arrangeur » d’un entier parcours et transporteur de classe 1, n’a pas d’obligations de supervision et de contrôle quant aux activités de MMA, il est ainsi moins nécessaire qu’il se prononce clairement sur la responsabilité de TC, d’autant que cette responsabilité potentielle ne change rien quant aux conclusions relatives à la responsabilité de CP.

[794]      Bien qu’à première vue, il apparaisse assez évident que TC, dans son rôle de « régulateur », aurait dû être plus vigilant face aux déficiences constatées chez MMA en lien avec la sécurité de certaines de ses opérations, et que TC aurait fort probablement dû intervenir auparavant et de manière plus forte auprès de MMA, cela n’implique pas nécessairement que des fautes sont commises par TC ou ses inspecteurs en lien avec leurs responsabilités et le mandat qui leur est confié par la législation et la réglementation.

[795]      Le Tribunal peut par contre conclure que si des fautes existent quant à la supervision des activités de MMA, elles se retrouvent non pas chez le CP, mais plutôt chez TC. D’ailleurs, le Tribunal réitère que la preuve faite quant aux usages et coutumes de l’industrie ferroviaire ainsi que la législation et la réglementation qui concernent cette industrie établit que le CP n’a aucune responsabilité dans la supervision ou la surveillance des activités de MMA.

d)       WFS

Classification du pétrole

[796]      Parmi les faits mis en preuve et qui semblent être reconnus comme prouvés sans susciter aucune contestation d’aucune des parties impliquées dans le présent dossier, l’on retrouve la mauvaise classification du pétrole brut. Il apparaît très clair que les produits pétroliers transportés dans les wagons-citernes qui déraillent le 6 juillet 2013 à Lac-Mégantic auraient dû être classifiés, en vertu des normes reconnues, comme des produits de classe 3 et du groupe d’emballage PG-I ou PG-II, mais sûrement pas PGIII.

[797]      La preuve révèle qu’après la tragédie, les enquêteurs et les parties découvrent que ces produits pétroliers sont plutôt classés et identifiés erronément dans le groupe d’emballage PG-III.

[798]      Il n’y a personne qui tente, dans le cadre du processus judiciaire, de quelque manière que ce soit, de contredire ces constatations faites par des experts et reconnues par toutes les parties.

[799]      Les législations américaines et canadiennes ainsi que la réglementation qui en découle, de part et d’autre des frontières, établissent clairement que la responsabilité du classement ou de la classification des produits dangereux repose initialement sur les épaules de l’expéditeur. Le Tribunal expose, dans une section précédente du présent jugement, ses conclusions en lien avec les textes législatifs et réglementaires pertinents et la preuve présentée en regard de cette responsabilité[178].

[800]      WFS, à titre de vendeur et surtout d’expéditeur du pétrole brut devant être transporté par convoi ferroviaire jusqu’à Saint-Jean, a sans aucun doute la responsabilité de la classification du pétrole et également de son emballage dans des contenants appropriés. C’est d’ailleurs WFS, par l’entremise d’un sous-traitant, SST, qui procède au transbordement du pétrole brut à partir de camions-citernes vers des wagons-citernes. Ces wagons-citernes sont loués par WFS elle-même de diverses entreprises spécialisées dans le domaine. C’est aussi WFS, toujours par l’entremise de son sous-traitant SST, qui procède à la classification du pétrole ainsi qu’à son identification et finalise aussi, comme c’est sa responsabilité, la préparation de tous les documents nécessaires à son transport, dont les connaissements (BOL).

[801]      De toute évidence, WFS identifie et classifie mal le pétrole brut qu’elle se prépare à expédier à sa cliente IOL.

[802]      Cette classification erronée est faite par WFS malgré qu’en 2012, à la suite d’inspections réalisées par la FRA, elle est avisée par les autorités américaines que cette classification, dans le groupe d’emballage PG-III, est probablement erronée et aussi malgré que, dans les jours qui précèdent la tragédie de Lac-Mégantic, un employé de son sous-traitant SST, M. Jasso, l’informe qu’il a des doutes quant à l’utilisation de cette classification parce que la très grande majorité des tickets de transport fournis par les camionneurs sur les lieux du transbordement indiquent que le pétrole brut est du groupe d’emballage PG-II ou même PG-I plutôt que PG-III.

[803]      Il s’agit donc, de la part de WFS et de ses mandataires, d’une erreur importante et d’une faute évidente en ce qui concerne leurs responsabilités comme expéditeur de marchandises dangereuses.

Choix des wagons-citernes DOT-111

[804]      Les parties demanderesses consacrent beaucoup d’efforts, particulièrement dans les étapes préalables à l’enquête et l’audition, pour démontrer que l’utilisation de wagons-citernes du type DOT-111 n’est pas appropriée pour le transport de ce type de marchandises dangereuses et qu’en conséquence, WFS n’aurait jamais dû les louer et ensuite s’en servir pour y charger le pétrole brut.

[805]      Cette décision quant à l’utilisation de ce type de wagons-citernes constitue, aux yeux des parties demanderesses, une autre faute commise par cette entreprise. Le même genre de reproche est formulé à l’encontre du CP parce qu’il n’aurait jamais dû, selon les parties demanderesses, accepter que du pétrole brut soit transporté dans ce type de wagons-citernes.

[806]      Dans ces étapes préliminaires au procès, les parties demanderesses soulèvent que ce type de wagons-citernes comporte des faiblesses de conception et de fabrication qui font en sorte qu’ils ont tendance à se briser trop facilement lors de déraillements, laissant ainsi s’écouler, sans protection suffisante, les liquides qu’ils contiennent.

[807]      Le type de wagons utilisé par WFS pour acheminer son pétrole brut vers sa cliente, soit des wagons-citernes nommés DOT-111, sont clairement autorisés par les autorités américaines et canadiennes au moment de la tragédie et ils sont également largement utilisés, à l’époque, dans l’industrie pour le transport de pétrole brut.

[808]      L’utilisation de tels wagons-citernes DOT-111 par WFS et leur transport par CP ne semblent plus être maintenant considérés par les parties demanderesses comme un élément fautif pouvant leur être reproché. Il semble désormais assez clair que les seules erreurs encore alléguées à l’encontre de WFS concernent la problématique de la classification et de l’identification inadéquates et erronées du pétrole brut.

[809]      Le lien de causalité entre ces fautes de WFS et les dommages causés à la suite du déraillement font l’objet d’une analyse dans une section subséquente du présent jugement même si, comme le Tribunal le souligne précédemment à quelques reprises dans le présent jugement, la contribution de WFS au fonds d’indemnisation et sa participation au plan d’arrangement lui procurent une quittance totale et finale.

e)       IOL

[810]      L’entreprise IOL, dont il est fait mention à plusieurs reprises dans le présent jugement, est celle à qui sont destinés les convois de pétrole brut provenant de New Town. Pour alimenter ses installations de raffinage situées à Saint-Jean au Nouveau-Brunswick, elle fait venir d’importantes quantités de produits pétroliers presqu’à longueur d’année. Certains convois lui arrivent par bateau, mais plusieurs sont acheminés vers ses installations par voie ferroviaire. Une partie provient d’exploitations pétrolières situées dans l’Ouest canadien et, au début des années 2010, elle acquiert, en quantité de plus en plus importante, du pétrole brut provenant de la région de Bakken, et ce, à partir de sites d’exploitation situés au Canada, mais aussi aux États-Unis[179].

[811]      En vertu de la législation et de la réglementation dans le domaine du transport de marchandises dangereuses au Canada, IOL, en tant qu’importateur des produits pétroliers, est considéré ou assimilé, en ce qui concerne divers aspects de sa responsabilité, comme l’expéditeur de ces produits et doit ainsi assumer, au même titre que celui-ci, les obligations reliées à la classification et à l’identification des marchandises dangereuses[180].

[812]      La preuve révèle, et le Tribunal en a déjà discuté dans le présent jugement, qu’IOL participe activement à plusieurs démarches non seulement pour s’approvisionner auprès des producteurs ou fournisseurs de produits pétroliers, mais aussi pour faciliter l’organisation du transport de ces produits pétroliers vers sa raffinerie de Saint-Jean[181].

[813]      IOL, avant même que ne débute auprès de WFS l’achat important de produits pétroliers, discute et négocie avec MMA pour s’assurer que cette entreprise, avec laquelle elle fait régulièrement des affaires, est en mesure d’agir comme transporteur de ses produits pétroliers pour la dernière partie du trajet, soit celle entre Montréal et Saint-Jean ou entre d’autres sites d’interconnexion situés aux États-Unis (Chicago) et Saint-Jean[182].

[814]      IOL est une entreprise spécialisée dans la transformation de produits pétroliers et elle établit fréquemment des ententes contractuelles avec une variété de transporteurs de marchandises dangereuses, que ceux-ci soient spécialisés dans le transport terrestre ou maritime.

[815]      IOL a ou doit avoir nécessairement une connaissance approfondie de la marchandise qu’elle acquière et de celle qu’elle transforme.

[816]      IOL, comme tous les autres intervenants impliqués d’une façon ou d’une autre dans le transport des produits pétroliers qui se déversent et prennent feu ou explosent lors du déraillement de Lac-Mégantic, participe à un certain moment au plan d’arrangement et contribue au fonds d’indemnisation. Elle obtient ainsi des quittances totales et finales faisant en sorte qu’elle ne peut plus être poursuivie, quelle que soit ou quelle quait pu être sa responsabilité dans cette tragédie.

[817]      Puisque le Tribunal en arrive à la conclusion que le CP ne peut être tenu responsable des dommages survenus lors de cette tragédie, il n’apparaît plus aussi nécessaire de déterminer de façon approfondie les fautes ou négligences commises par IOL et les conséquences de celles-ci.

[818]      Le Tribunal considère toutefois qu’il peut être utile de souligner qu’IOL, en tant qu’acquéreur et importateur des produits pétroliers, ne juge pas nécessaire de souligner à qui que ce soit qui est impliqué dans le transport de ces produits que WFS ne les classifie pas adéquatement, surtout qu’IOL a une responsabilité légale en cas de mauvaise classification.

[819]      Cela peut paraître encore plus particulier lorsque l’on constate que MMA, avec qui IOL a des relations d’affaires assez importantes, la questionne par l’entremise de l’un des responsables de la sécurité du transport ferroviaire quant à la nature du produit transporté et les risques en cas de déversement. IOL transmet alors à MMA, sur ce sujet, des renseignements assez généraux portant particulièrement sur la viscosité du produit[183]. Elle ne lui souligne toutefois pas qu’il peut y avoir une erreur dans la classification du produit que MMA transporte déjà.

[820]      Peut-être qu’IOL considère que cette information n’a pas nécessairement une grande importance puisque de toute façon, le produit peut être transporté dans le type de wagons utilisés (DOT-111) par l’expéditeur et qu’en plus, le placardage des wagons demeure le même quel que soit le groupe d’emballage.

[821]      Quoi qu’il en soit, IOL, qui a une responsabilité directe comme importateur pour la classification des produits dangereux, n’avise personne que WFS, dont c’est la responsabilité initiale et première, ne classifie pas adéquatement le pétrole brut qu’elle lui expédie.

[822]      La preuve est assez sommaire sur la connaissance réelle que peut avoir IOL des particularités du pétrole brut provenant de la région de Bakken, de sa volatilité et de sa dangerosité intrinsèque, mais IOL ne peut certainement pas ignorer l’essentiel des caractéristiques fondamentales de celui-ci, puisque c’est elle qui raffine ce produit dangereux.

[823]      IOL, bien plus que le CP, sait ou doit savoir que la marchandise que le CP et MMA transportent est mal classifiée en ce qui concerne le groupe d’emballage. Le Tribunal considère qu’à un moindre degré au niveau factuel, mais de manière équivalente au niveau légal, IOL commet une faute semblable à celle de WFS en regard de la mauvaise classification du pétrole brut transporté dans les wagons-citernes qui déraillent à Lac-Mégantic.

11.             LES CAUSES DE L’ACCIDENT ET LES OCCASIONS OU CIRCONSTANCES DE CELUI-CI

[824]      Au chapitre 9 du présent jugement, le Tribunal expose ce qu’il considère être les principes juridiques fondamentaux applicables à la recherche de la responsabilité des divers intervenants impliqués, de quelque manière que ce soit, dans le déraillement du convoi ferroviaire qui transporte des marchandises dangereuses le 6 juillet 2013.

[825]      Après avoir déterminé, en fonction de l’ensemble de la preuve présentée de part et d’autre, ce qu’il considère être les gestes fautifs posés par les parties impliquées dans cette opération de transport de marchandises dangereuses, le Tribunal se doit maintenant de rechercher quel est ou quels sont le ou les éléments qui doivent être considérés comme la ou les causes immédiates, directes et logiques du déraillement des wagons-citernes. Il est essentiel que le Tribunal distingue les fautes ou négligences qui ne sont que des circonstances ou des occasions de l’accident de celles qui en sont la ou les véritables causes.

[826]      Dans cette recherche des véritables causes, le Tribunal doit porter attention et vérifier particulièrement si certains gestes fautifs ou éléments de négligence qui peuvent avoir un lien avec l’accident sont l’objet d’une rupture du lien de causalité en raison de l’existence d’une séquence successive de divers éléments fautifs.

[827]      Cette recherche du lien de causalité est une étape essentielle dans la détermination de la responsabilité lorsqu’un accident survient. De nombreux éléments peuvent faire en sorte qu’en raison de toutes les circonstances, un accident se produise. L’existence de conditions préalables ou d’occasions particulières ne constitue pas nécessairement des gestes fautifs et même lorsque des gestes fautifs ou des comportements négligents existent, cela n’implique pas nécessairement qu’ils sont la cause directe, immédiate et logique d’un accident.

[828]      À titre d’exemple et en lien avec le présent dossier, il est certain que si aucune marchandise dangereuse n’était transportée par voie ferroviaire, il n’y aurait pas eu cet accident spécifique. De la même manière, si des règles prescrivaient qu’il est interdit de transporter des matières dangereuses sur des voies ferrées qui traversent les centres-villes ou les quartiers populeux d’une municipalité, l’accident n’aurait pas eu lieu. Il est possible d’en arriver à la même conclusion si l’extraction de produits pétroliers et leur consommation étaient interdites parce que cela est très dommageable pour l’environnement. Il n’y aurait pas eu non plus d’accident si les produits pétroliers ne pouvaient être déplacés qu’en utilisant des pipelines.

[829]      Il pourrait également être possible de conclure qu’aucun accident ne serait survenu si les autorités gouvernementales ou les règles de fonctionnement et de sécurité de l’industrie ferroviaire imposaient l’application de mesures beaucoup plus importantes et contraignantes concernant l’immobilisation de convois de matières dangereuses ou s’il était absolument nécessaire que de tels convois soient continuellement sous la surveillance d’employés ou encore qu’ils doivent être toujours supervisés par des inspecteurs gouvernementaux. Dans de telles conditions ou circonstances, l’accident ne se serait probablement jamais produit.

[830]      Voilà autant de circonstances ou d’exemples, et on peut en imaginer des dizaines d’autres, qui font en sorte que dans un monde idéal et dans des conditions quasi parfaites, de tels accidents n’arriveraient jamais. Évidemment, il est difficile d’envisager l’implantation d’autant de mesures et elles ne servent qu’à illustrer, peut-être de manière plus ou moins adéquate, les principes fondamentaux de causalité.

[831]      De façon plus spécifique dans le présent dossier, l’on pourrait facilement invoquer que le déraillement ne serait pas survenu si IOL n’avait pas décidé de s’approvisionner en produits pétroliers à partir de New Town ou qu’il n’y aurait pas eu d’accident si le parcours choisi avait été celui sur les voies du CN plutôt que sur les voies de MMA. Il est possible aussi d’envisager qu’un tel accident ne se serait jamais produit si le CP avait refusé, dans le cadre de l’entier parcours, de faire une interconnexion avec MMA ou que le train ne serait jamais parti à la dérive si MMA avait modifié ses façons de faire en raison d’une meilleure connaissance de la dangerosité du produit transporté.

[832]      On peut aussi prétendre qu’il n’y aurait jamais eu d’accident si TC et l’OTC étaient intervenus de manière plus importante dans le contrôle et la surveillance des activités de MMA et si ces autorités gouvernementales s’étaient mieux assurées du respect, par MMA et ses employés, des règles fondamentales de sécurisation en cas d’immobilisation de convois de marchandises dangereuses.

[833]      Il est donc essentiel, en raison de toutes ces circonstances, de toutes ces hypothèses et de toutes ces occasions, que le Tribunal établisse, évidemment en fonction de l’ensemble de la preuve et des déterminations déjà faites quant aux gestes fautifs ou négligences de l’une ou l’autre des parties impliquées dans le transport de ce pétrole brut, quelles sont les causes directes et immédiates, selon toute logique, de cet accident.

.      .      .

a)       Les véritables causes de l’accident

[834]      Sur tout cet aspect de la causalité et de l’influence que peuvent avoir eue les différentes fautes, manquements ou négligences soulevés contre l’une ou l’autre des parties dans le cadre du procès, le Tribunal considère et conclut qu’en fin de compte, la seule cause logique, directe et immédiate du déraillement du train MMA-002, et par voie de conséquences des incommensurables dommages qui en résultent, se trouve dans les fautes de son ingénieur de locomotive Thomas Harding et des employeurs de celui-ci, soit MMA.

[835]      Les autres reproches formulés à l’encontre de WFS, IOL, TC et le CP, qu’ils soient retenus et considérés par le Tribunal comme de véritables fautes ou qu’il n’en soit pas ainsi, ne sont que l’occasion de cette tragédie ou font partie des circonstances non directement causales de l’accident.

[836]      Les faits mis en preuve et les expertises soumises par Messieurs Callaghan et Wolf[184] établissent clairement que le déraillement résulte directement des agissements de M. Harding et du fait qu’il n’applique pas suffisamment de freins à main, qu’il n’effectue pas les tests prescrits pour vérifier l’efficacité de ceux qu’il applique et qu’ensuite, il ne retourne pas sur les lieux en apprenant qu’il n’y a plus aucune locomotive en fonction pour alimenter les systèmes de freins à air.

[837]      Le Tribunal considère que l’ensemble des éléments suivants, qu’ils soient analysés individuellement ou globalement, ne peuvent être considérés comme la véritable cause de l’accident et des préjudices qui en résultent. Il s’agit plutôt d’éléments circonstanciels ou d’occasions n’ayant pas de lien direct et immédiat avec l’accident. Bien qu’il puisse s’agir d’agissements négligents ou de comportements inappropriés ou fautifs, ces éléments ne sont nullement la cause du déraillement.

[838]      Le Tribunal réfère ainsi à l’état des voies ferrées de MMA et aux restrictions de vitesse qui s’y appliquent. Il en est de même quant au fait que lesdites voies ferrées sont non signalées (Dark territory) ou que MMA éprouve des difficultés à se procurer des ressources matérielles ou du personnel pour ses opérations. Les mêmes constatations concernent les reproches formulés à MMA et les lacunes relatives à la formation de ses employés puisque M. Harding reconnaît, lors de son témoignage, connaître les règles et avoir reçu les formations appropriées[185].

[839]      Le Tribunal est aussi d’opinion que l’utilisation par MMA des services d’un seul employé (SPTO) pour la conduite de ses convois n’est pas un élément causal, mais une circonstance de cet accident.

[840]      Au surplus, les problématiques liées à la vétusté ou à l’entretien des équipements utilisés par MMA, bien qu’elles fassent partie des circonstances ou conditions liées à l’accident, ne sont pas des éléments que l’on puisse considérer causals dans celui-ci.

[841]      D’autre part, tout ce qui concerne le type de wagons-citernes utilisés, la classification et le groupe d’emballage erronément utilisé pour le pétrole brut constituent aussi des éléments circonstanciels, mais nullement causals.

[842]      Le Tribunal est toutefois d’avis que certains éléments dans le comportement de MMA constituent, au même titre que les fautes commises par M. Harding et précédemment décrites, des actes fautifs qui ont une incidence directe et immédiate dans l’accident. Il s’agit particulièrement de l’absence de mise en place par MMA de mesures de sécurité additionnelles et adéquates pour s’assurer qu’en cas d’erreur humaine commise par le seul employé en fonction, dans l’exécution des procédures d’immobilisation et de sécurisation du train, celui-ci demeurera quand même immobile.

[843]      Le Tribunal considère que lorsque les responsables des opérations chez MMA décident que les convois de pétrole brut seront immobilisés pendant plusieurs heures sur la voie principale en haut d’une pente, sans surveillance, et qu’ils savent qu’un seul employé a la charge d’immobiliser les convois et ensuite de les sécuriser, ils auraient alors dû faire en sorte que des mesures de sécurisation additionnelles et des processus de vérification supplémentaires soient implantés pour s’assurer que les risques que les convois se déplacent soient pratiquement et totalement éliminés.

[844]      Dans de telles circonstances, les responsables des opérations chez MMA ne peuvent ignorer la charge de travail additionnelle exigée de leur personnel lorsque leurs convois sont conduits par un seul employé. Ils ne peuvent non plus ignorer qu’à de nombreuses reprises, certains de leurs employés ne respectent pas toutes les mesures imposées pour l’immobilisation adéquate des convois. Ils doivent aussi être pleinement conscients qu’à l’endroit où ils déterminent que doivent s’immobiliser de manière fréquente les trains unitaires de pétrole brut, la voie principale se situe en haut d’une pente.

[845]      Le Tribunal considère que MMA aurait alors dû implanter, comme elle l’a déjà envisagé[186], un système obligeant ses ingénieurs de locomotives à confirmer le nombre de freins à main appliqués lors de la sécurisation du convoi. MMA aurait aussi dû mettre en place des mesures additionnelles pour faire en sorte que si le convoi se déplace accidentellement, ce ne serait que pour une très courte distance, en installant des dérailleurs portatifs ou permanents, si la voie de desserte n’est pas accessible.

[846]      Ces derniers éléments sont tous, aux yeux du Tribunal, des fautes qui ont un lien de causalité direct avec le déraillement.

b)       Les occasions ou circonstances de l’accident

[847]      Le Tribunal conclut également que même s’il en était arrivé à la conclusion, ce qui n’est pas le cas, que le CP eût commis des fautes à certains égards, l’ensemble de celles-ci n’aurait quand même pas été considéré comme des éléments causals directs et immédiats de l’accident. Les reproches formulés par les parties demanderesses au CP ne constituent, dans l’opinion du Tribunal, que des éléments circonstanciels qui ne sont pas la cause directe et immédiate de l’accident, d’autant que ces éléments surviennent antérieurement aux agissements reprochés au CP et après que MMA et M. Harding prennent la charge et la responsabilité du convoi ferroviaire.

[848]      Le Tribunal constate que les reproches formulés au CP en ce qui concerne :

i)          l’absence d’évaluation des risques en lien avec le transport de pétrole brut de New Town vers Saint-Jean;

ii)        l’omission prétendue d’aviser WFS des risques liés à l’intervention de MMA dans le trajet d’entier parcours entre New Town et Saint-Jean;

iii)      l’omission alléguée de ne pas avoir avisé MMA des risques liés à la dangerosité inhérente du pétrole brut bien que le CP en eût ou dût en avoir connaissance;

iv)      l’omission par le CP d’intervenir et d’arrêter le transport du pétrole brut parce qu’il sait ou doit savoir que celui-ci est mal classifié;

v)        ainsi que ceux formulés, à une certaine époque, par les parties demanderesses quant à l’utilisation de wagons-citernes de type DOT-111 pour transporter le pétrole brut;

sont tous suivis par les fautes commises par M. Harding et MMA.

[849]      Ces fautes de M. Harding et MMA sont clairement des événements subséquents à ceux reprochés au CP. Ces actes supposément fautifs sont aussi indépendants des gestes posés par le CP et n’ont aucun lien avec ceux-ci. Enfin, les fautes commises par M. Harding et MMA ont, de toute évidence, un lien de causalité direct, immédiat et logique avec l’accident.

[850]      Il en résulte que même si le CP, comme le plaident les parties demanderesses, pose des gestes fautifs ou agit avec négligence, ce que le Tribunal ne retient pas, tout lien de causalité qui pourrait exister entre l’accident et de telles fautes alléguées est rompu par les agissements grossièrement fautifs de M. Harding et ceux de MMA.

Absence d’évaluation des risques

[851]      La preuve présentée par les parties demanderesses et les arguments par la suite soulevés en ce qui concerne l’absence, par le CP, d’un processus d’évaluation du risque avant de procéder au transport de pétrole brut de l’Ouest américain et canadien vers le Nouveau-Brunswick, ne permettent pas de conclure, de manière prépondérante, qu’une telle évaluation aurait permis au CP de connaître les pratiques opérationnelles spécifiques de MMA et d’être informé du risque que les employés de MMA ne respectent pas les règles fondamentales de sécurité quant à l’usage des freins à main.

Absence d’informations données à WFS quant à MMA

[852]      D’autre part, le Tribunal considère que les parties demanderesses ne démontrent pas, de manière prépondérante, que WFS et IOL auraient refusé de confier une partie du transport du pétrole brut à MMA s’ils avaient connu les risques résultant des lacunes sécuritaires de cette entreprise dans ses opérations ferroviaires.

[853]      Le seul témoin qui aborde très sommairement cet aspect, soit M. Hornaday, le représentant désigné par WFS pour être interrogé hors cour dans le cadre du procès, ne convainc nullement le Tribunal qu’il a une connaissance appropriée du transport ferroviaire de matières dangereuses ni même qu’il a une connaissance suffisamment approfondie de ce qui constitue l’ensemble du dossier à l’époque des événements, pour que le Tribunal considère son témoignage comme crédible et qu’il  lui accorde une force probante suffisante pour conclure de la manière suggérée par les parties demanderesses.

[854]      Le Tribunal est loin d’être convaincu que WFS, une compagnie de classe mondiale largement impliquée dans le commerce de plusieurs types de produits pétroliers avec une clientèle fort diversifiée et par voie de conséquence, impliquée comme expéditeur dans le transport de produits pétroliers et qui a aussi des liens directs, lorsque nécessaire, avec MMA, se serait réellement préoccupée de cet aspect. MMA détient, à cette époque, un certificat d’aptitude des autorités canadiennes et américaines et est assurément autorisée à faire le transport de marchandises dangereuses et a déjà une certaine expérience dans ce domaine.

[855]      La preuve révèle que le parcours impliquant l’intervention de MMA est le plus court et le moins dispendieux pour WFS et sa cliente IOL et que MMA a déjà des liens commerciaux importants et fréquents avec IOL qui achète et importe le pétrole de WFS.

[856]      Le Tribunal a aussi de la difficulté à se convaincre que WFS qui, sciemment, ne suit pas les recommandations de la FRA[187] et par la suite de son sous-traitant SST[188], lesquels lui suggèrent tous les deux, à des époques différentes et à environ un an d’intervalle, que la classification qu’elle donne au pétrole brut de la région de Bakken est incorrecte et qu’elle devrait être modifiée pour indiquer un groupe d’emballage destiné à des produits plus dangereux, se serait véritablement préoccupée des enjeux de sécurité possibles chez MMA, un transporteur de liaison.

[857]      Compte tenu de toutes ces circonstances, rien ne permet de conclure que l’omission alléguée d’informer WFS des risques liés à la participation de MMA a un lien causal direct avec le déraillement.

Omission d’informer MMA quant aux risques liés au pétole brut de Bakken

[858]      Dans un autre ordre d’idées, les reproches formulés par les parties demanderesses au CP en ce qui concerne l’omission de prévenir MMA des risques particuliers et spécifiques liés au pétrole brut de la région de Bakken n’apparaissent pas non plus, aux yeux du Tribunal, comme des éléments ayant un lien causal direct avec l’accident.

[859]      Les parties demanderesses fondent leurs arguments à ce sujet sur le témoignage au préalable du président de MMA, M. Grindrod[189]. Celui-ci affirme, en réponse à des questions posées à ce sujet et en lien avec un courriel échangé entre lui et le président de la compagnie-mère de MMA, M. Burkhardt, que MMA aurait opéré son train différemment si elle avait su ou connu que le pétrole brut qu’elle transportait était du groupe d’emballage PG-II plutôt que PG-III.

[860]      M. Grindrod affirme alors que si son entreprise avait été informée adéquatement de la volatilité plus importante du pétrole brut de la région de Bakken et des risques plus importants d’explosions, il n’aurait alors pas accepté, en tant que chef d’entreprise, que les trains soient laissés sans surveillance et pour de longues périodes. Il ajoute que sur ses instructions, MMA aurait alors plutôt procédé à des changements d’équipage immédiats de sorte que les convois n’auraient jamais été immobilisés sans surveillance et surtout pour de longues périodes.

[861]      Le Tribunal doute fortement de la véracité des propos tenus par M. Grindrod et considère plutôt que l’ensemble de la preuve établit que MMA a, avant les événements, une meilleure connaissance du produit transporté et de certaines de ses caractéristiques que ce que certains de ses employés et dirigeants reconnaissent. De plus, les processus internes de sécurité et d’opération chez MMA n’indiquent ni n’appuient d’aucune façon les affirmations faites après la tragédie par M. Grindrod à l’effet que l’entreprise aurait modifié ses pratiques opérationnelles.

[862]      Bien que certains employés décrivent les convois de pétrole brut transporté comme des « Mud train » pour indiquer qu’il s’agit d’un produit dense, visqueux et assez peu inflammable[190], ils reconnaissent quand même que sa classification et le placardage qui l’accompagne indiquent clairement qu’il s’agit de produits, par leur nature même, inflammables[191]. D’autres employés, directement impliqués dans son transport, affirment le contraire et vont même jusqu’à dire que le convoi est une « bombe ambulante »[192].

[863]      Le responsable de la sécurité chez MMA, M. Strout, dont le témoignage a lieu hors cour et à distance pendant l’audition, affirme qu’il reçoit, à une certaine époque, des informations d’IOL quant à la nature du pétrole brut transporté sur les voies ferrées de MMA[193]. La preuve révèle que MMA sait très bien qu’il y a une différence de viscosité et de densité entre les produits pétroliers provenant de la région des sables bitumineux dans l’Ouest canadien et le pétrole brut qu’elle transporte et provenant de la région de Bakken.

[864]      MMA sait aussi très bien que le pétrole transporté depuis un certain temps provient de cette région de Bakken et qu’il est plutôt du type « Light Crude » ou « Light Sweet » que du type « Heavy Crude » ou « Heavy Sour ». Il en résulte que MMA peut, à certains moments, avoir transporté du pétrole lourd, mais depuis un certain temps, c’est plutôt du pétrole léger qui circule sur ses voies ferrées, et ce, à sa connaissance.

[865]      La documentation connue des employés de MMA, parce qu’elle fait partie de leur formation[194], et produite par les gouvernements canadiens, américains et mexicains et dont se servent les services d’urgence en cas d’incidents impliquant des matières dangereuses, indique, sans faire de distinction entre les groupes d’emballage PG-I ou PGII ou PG-III, que celles-ci sont hautement inflammables, peuvent avoir un point d’éclair très bas et exploser ou prendre en feu si elles sont exposées à des sources de chaleur[195].

[866]      La preuve révèle aussi que dans ses opérations habituelles, MMA n’applique pas de processus opérationnels différents en fonction de la dangerosité du produit transporté et cette entreprise reconnaît qu’elle n’opère pas non plus les convois différemment, même lorsque ceux-ci comportent des produits appartenant au groupe d’emballage PGI ou PG-II[196].

[867]      Le Tribunal conclut donc que l’affirmation faite par M. Grindrod, dans un interrogatoire préalable hors cour et dont l’extrait vidéo a été visionné attentivement et à plusieurs reprises par le Tribunal, ne démontre pas de manière prépondérante que MMA aurait modifié sa façon de procéder si elle avait su que le pétrole brut était du groupe d’emballage PG-I ou PG-II plutôt que PG-III.

[868]      Cette position, prise par le président de MMA longtemps après la tragédie, n’est pas supportée adéquatement par l’ensemble des circonstances. Le Tribunal considère ainsi qu’il s’agit d’une déclaration faite possiblement de bonne foi, mais qui demeure peu crédible, parce que non supportée adéquatement par le reste de la preuve relative à l’ensemble des comportements de MMA.

Omission par le CP d’arrêter le convoi en raison de la mauvaise classification

[869]      Sur un autre aspect des fautes reprochées par les parties demanderesses, le Tribunal considère qu’il n’y a pas de lien de causalité entre le déraillement et le fait que le CP aurait pu ou aurait dû arrêter le convoi parce qu’il ne peut ignorer, selon les parties demanderesses, que le pétrole brut transporté dans les wagons-citernes est mal classifié par WFS et que le groupe d’emballage aurait dû être PG-II au lieu de PG-III.

[870]      D’abord, le Tribunal a déjà déterminé que le CP n’a pas commis de faute en ce sens. Toutefois, même si la conclusion était différente à ce sujet et que le CP avait effectivement dû arrêter le convoi et signaler ses constatations et inquiétudes à WFS, la preuve révèle que celle-ci aurait, selon toute probabilité, confirmé la classification comme elle l’a déjà fait antérieurement à deux autres reprises.

[871]      Le CP aurait alors poursuivi le transport sans qu’aucune modification de quelque nature que ce soit devienne nécessaire.

[872]      La preuve révèle que même si WFS corrige le groupe d’emballage, ce dont doute très fortement le Tribunal puisque la preuve tend à démontrer le contraire, il n’y aurait eu que des changements dans les documents d’expédition, mais aucun autre.

[873]      Malgré le changement de groupe d’emballage, le pétrole peut continuer à être transporté dans les mêmes wagons-citernes qui portent les mêmes placards et sans qu’aucune modification ne doive être apportée à l’ensemble des opérations ferroviaires.

[874]      Le Tribunal considère donc, en fonction de la preuve, être en présence de deux  situations qui peuvent se produire si le CP questionne WFS sur la classification du pétrole, comme le suggèrent les parties demanderesses.

[875]      Dans la première, WFS maintient la classification initiale, comme elle l’a déjà fait antérieurement, d’autant que ses représentants affirment que celle-ci est faite à la suite de consultations auprès de spécialistes sur le sujet. Dans ce cas, le CP n’a d’autre choix que de se fier à l’entreprise dont c’est la responsabilité de faire cette classification et elle poursuit ainsi, après avoir reçu ladite confirmation, le transport du pétrole.

[876]      Dans la deuxième, WFS modifie la classification pour ainsi changer le groupe d’emballage et choisir PG-II. Dans de telles circonstances, WFS modifie les documents de transport et les transmet à CP. Il n’y a alors aucune autre modification qui se fait. Le transport se poursuit, tel que cela est permis et d’usage, dans le même type de wagons-citernes. Les placards apposés sur ceux-ci sont identiques, quels que soient les groupes d’emballage. De plus, il n’y a aucune modification qui doit être faite en ce qui concerne les règles opérationnelles, incluant celles relatives à la sécurisation du convoi.

[877]      C’est pourquoi le Tribunal conclut que même si des fautes sont commises quant à la classification du pétrole brut, ce que le Tribunal ne reconnaît pas en ce qui concerne le CP, celles-ci n’ont pas l’effet causal suggéré par les parties demanderesses quant au déraillement lui-même.

Utilisation des wagons-citernes DOT-111

[878]      Enfin, et même si les parties demanderesses n’insistent plus à l’étape des argumentations verbales et écrites sur cet aspect du litige pour lequel toutefois des efforts et du temps considérables sont consacrés, particulièrement dans les étapes préalables au procès, le Tribunal considère approprié de discuter, quand bien même cela est fait assez sommairement, des reproches formulés aux parties impliquées à différentes étapes du transport du pétrole brut en lien avec l’utilisation de wagons-citernes de type DOT-111.

[879]      De nombreux éléments de preuve se rapportent à ce sujet et permettent au Tribunal de faire les constatations suivantes.

[880]      D’abord, bien que leur solidité et leur comportement, particulièrement en cas de déraillement, sont critiqués à de nombreuses reprises et depuis assez longtemps par plusieurs intervenants dans le domaine du transport ferroviaire et particulièrement par les compagnies ferroviaires elles-mêmes, les wagons-citernes de type DOT-111 sont autorisés à l’époque par la réglementation applicable, tant aux États-Unis qu’au Canada, pour le transport de pétrole brut, quel que soit sa catégorie ou son groupe d’emballage.

[881]      D’autre part, l’utilisation par WFS de ce type de wagons-citernes pour « emballer » le pétrole brut en vue de son transport n’a aucune influence dans le déraillement du convoi.

[882]      L’expert Philippe J. Daum établit, de façon catégorique dans son rapport préparé pour le CP, que la détermination des normes et spécifications relatives à la construction de wagons-citernes nécessite un exercice d’équilibre entre la sécurité de ceux-ci et les besoins de la clientèle qui désire s’en servir. Il souligne qu’en augmentant la rigidité et la solidité de tels wagons, leur poids s’en trouve augmenté, leur capacité de contenance diminuée et cela implique alors, pour le transport du même volume de marchandises dangereuses, un nombre accru de wagons-citernes. Il en résulte ainsi une augmentation des risques d’accidents et par voie de conséquences de déraillements. De plus, il souligne que pour augmenter la sécurité de tels wagons-citernes, les coûts sont importants et peuvent avoir comme conséquence d’affecter sérieusement toute l’industrie qui les utilise et, en fin de compte, les consommateurs à qui ces produits sont ultimement destinés[197].

[883]      Le même expert souligne, toujours dans son rapport, qu’aucun type de wagons-citernes utilisés dans l’industrie en 2013 pour le transport de marchandises dangereuses n’aurait permis, même s’ils avaient été utilisés en lieu et place des wagons-citernes DOT111, d’éviter le déraillement et les conséquences qui s’ensuivent[198], compte tenu des circonstances particulières à cet accident.

[884]      Cette opinion est confirmée par celle de l’expert Wolf qui précise dans son rapport que même s’il a été impliqué dans des enquêtes concernant des milliers de déraillements, dont plusieurs à haute vitesse, il n’a pas connaissance de l’existence d’aucune conception possible de wagons-citernes qui auraient pu supporter les conséquences d’un déraillement qui se produit à plus de soixante milles à l’heure. Il ajoute que l’utilisation des wagons-citernes DOT-111 n’est pas un élément qui cause le déraillement[199].

[885]      L’un des experts dont les services sont retenus par les parties demanderesses, M. Reilly, indique que certains wagons, dont ceux de type DOT-105 et DOT-112 et qui sont autorisés pour le transport de produits pétroliers, auraient peut-être dû être utilisés au lieu des wagons-citernes DOT-111 et qu’ainsi l’utilisation de wagons plus solides aurait pu permettre d’éviter ou de réduire substantiellement le déraillement et le feu qui s’ensuit.

[886]      Cette opinion est carrément contredite par celle de l’expert Daum. Soulignons que celui-ci, à la différence de M. Reilly, est un véritable expert dans la fabrication de wagons-citernes à titre d’ingénieur mécanique et que, par la suite, à titre de spécialiste dans les accidents impliquant des wagons-citernes, il enquête sur un nombre considérable de déraillements. Il indique dans son rapport que l’opinion de M. Reilly n’est fondée sur aucun élément factuel ni sur aucun test et que ses conclusions sont dénuées de rationalité. Le Tribunal n’a aucune hésitation à préférer la position exprimée par l’expert Daum.

[887]      Il résulte de tout ceci que rien dans la preuve ne permet de conclure que l’utilisation de wagons de type DOT-111 joue un rôle causal quelconque dans le déraillement ou dans les manœuvres préalables au moment de l’immobilisation du convoi.

[888]      À titre de conclusion à ce chapitre portant sur les causes de l’accident, le Tribunal constate que même si de nombreuses problématiques reliées à toute cette opération de transport de pétrole brut à partir de New Town vers Saint-Jean sont soulevées et mises en preuve et que plusieurs choses auraient pu être faites différemment ou de meilleure manière par certaines des parties impliquées, cette tragédie et ses conséquences résultent directement et immédiatement des fautes commises et de la négligence de Thomas Harding et de son employeur MMA. Tous les autres éléments, bien qu’ils puissent être fautifs et/ou liés d’une manière ou de l’autre à cet accident, ne constituent que des occasions ou des circonstances de celui-ci.

12.             LA SOLIDARITÉ, LES QUITTANCES ET REMISES DE DETTES

[889]      Puisque le Tribunal considère que les agissements du CP et les reproches qui lui sont formulés par les parties demanderesses ne constituent pas des fautes ou des éléments ayant un lien de causalité avec le déraillement et ses conséquences, il n’apparaît plus nécessaire qu’il se prononce sur les conséquences qu’aurait pu avoir une responsabilité du CP en raison des principes de solidarité en cas de faute contributoire.

[890]      C’est la même situation en ce qui concerne les conséquences sur cette responsabilité et l’indemnisation qui en découle lorsque d’autres débiteurs solidaires ne peuvent plus être poursuivis en raison d’une remise de dette, d’une quittance obtenue ou d’un désistement.

[891]      Bien que le Tribunal discute des principes juridiques applicables en de telles circonstances dans une autre partie du présent jugement, il n’apparaît pas approprié, vu les conclusions auxquelles il en arrive quant à la responsabilité du CP, d’élaborer de manière plus approfondie sur ce sujet.

[892]      Le Tribunal considère qu’il suffit que les parties impliquées soient conscientes que même s’il en était arrivé à la conclusion que certains des gestes du CP étaient des fautes ayant pu contribuer au déraillement, ce qui n’est pas le cas, et aux préjudices qui s’ensuivent, la contribution du CP à ceux-ci aurait certainement été réduite de manière considérable en raison des termes spécifiques inclus dans le jugement du juge Dumas approuvant le plan d’arrangement et par l’effet des quittances qui en découlent.

[893]      Toutefois, tel que déjà indiqué et en raison des conclusions auxquelles en arrive le Tribunal quant à l’absence de faute du CP ayant contribué de manière directe, immédiate et logique aux dommages qui résultent de cette tragédie, le Tribunal n’entend pas se prononcer plus amplement sur cet aspect.

13.             CONCLUSION

[894]      Tout le processus judiciaire dans les trois dossiers qui sont l’objet du présent jugement a comme objectif ultime de déterminer si les défenderesses MMA et CP ont une responsabilité dans la tragédie du 6 juillet 2013 à LacMégantic et dans les conséquences de celle-ci sur les innombrables victimes.

[895]      De façon plus spécifique, en raison de l’insolvabilité évidente de MMA et du fait que, d’une part, elle n’est plus en exercice et, d’autre part, elle n’a qu’une existence que l’on peut qualifier de théorique, c’est essentiellement sur les reproches formulés par les trois parties demanderesses à l’encontre du CP qu’ont porté les efforts considérables consacrés par celles-ci depuis plus de neuf ans.

[896]      Un nombre considérable de développements et d’événements sont survenus depuis le déraillement du train MMA-002 et plusieurs découvertes ont été faites à la suite des nombreuses démarches entamées tant par les parties elles-mêmes que par les organismes chargés d’améliorer la sécurité du transport de marchandises dangereuses.

[897]      Les parties ont eu l’occasion, de part et d’autre au cours de ces nombreuses années, d’approfondir leurs enquêtes, de préciser leurs positions et d’obtenir l’opinion d’experts dans plusieurs domaines reliés aux causes et conséquences du déraillement. Un nombre considérable de circonstances, de documentation, d’opinions de spécialistes ont été analysées et elles ont permis à chacune des parties de défendre leurs positions respectives et de faire valoir leurs arguments devant le Tribunal. Elles ont ainsi tenté de le convaincre de ce qui constitue, selon elles, les véritables causes de cet accident et de la responsabilité du CP dans celui-ci.

[898]      Cet exercice de recherches factuelles, d’analyses scientifiques et juridiques et de présentation de la preuve apparaît, aux yeux du Tribunal, comme une étape très importante et essentielle pour l’ensemble des victimes, mais aussi pour toutes les parties impliquées dans cette opération de transport par voie ferroviaire de marchandises dangereuses.

[899]      Le rôle du Tribunal n’est évidemment pas celui d’une commission d’enquête. Il se limite à la recherche, uniquement en fonction de la preuve qui lui est présentée, des causes directes et immédiates des préjudices subis à la suite du déraillement et de déterminer les fautes commises et leur lien avec les dommages.

[900]      Le Tribunal, tel qu’il l’a déjà mentionné précédemment, en arrive à la conclusion que les agissements du CP, à toutes les étapes du processus lié au transport ferroviaire du pétrole brut à partir de New Town vers Saint-Jean, ne sont pas la cause directe et immédiate de l’accident et des dommages occasionnés aux parties demanderesses. Il en résulte que l’action collective, l’action intentée par le PGQ, ainsi que celle entreprise par Promutuel et als doivent être rejetées contre le C.P.

Les frais de justice

[901]      Il est prévu dans les dispositions du premier alinéa de l’article 340 C.p.c., concernant les frais de justice, que la partie qui a gain de cause y a droit, de sorte qu’en principe, les parties qui succombent devraient les assumer. De fait, cet article prescrit ce qui suit :

« 340. Les frais de justice sont dus à la partie qui a eu gain de cause, à moins que le Tribunal n’en décide autrement. (...) »

[902]      Dans le présent dossier, toutes les parties ont encouru des honoraires juridiques très importants, sans compter les innombrables déboursés judiciaires et extrajudiciaires nécessaires à la recherche des faits, à leur analyse, à leur interprétation par des experts spécialistes et à leur présentation dans le cadre du processus judiciaire.

[903]      Le Tribunal considère qu’il serait, dans une certaine mesure, inapproprié que les Représentants, qui agissent à titre de porte-parole et de mandataires pour l’ensemble des victimes, soient condamnés à payer des frais de justice au CP même si leur recours est rejeté. Leur imposer le paiement de tels frais de justice, en plus des innombrables dommages subis en conséquence de cet accident, n’apparaît pas, compte tenu de toutes les circonstances, être une mesure équitable. Leur recours sera donc rejeté sans frais de justice.

[904]      En ce qui concerne les deux autres parties demanderesses, soit le PGQ et les assureurs, Promutuel et als, bien qu’elles ont évidemment elles aussi subi des dommages considérables, le même sentiment d’iniquité résultant du paiement des frais de justice n’existe pas et par voie de conséquence, rien n’incite le Tribunal à ne pas appliquer contre elles la règle habituelle quant au paiement des frais de justice. Leurs actions seront donc rejetées avec frais de justice.

Réponses aux questions communes

[905]      Les conclusions auxquelles en arrive le Tribunal en ce qui concerne la non-responsabilité du CP et les déterminations qu’il fait, en lien avec les éléments mis en preuve, l’amènent donc à répondre de la manière suivante aux questions communes identifiées au paragraphe 34 du jugement d’autorisation du 24 octobre 2016[200] et portant sur la question de la responsabilité.

[906]      Le Tribunal reproduit  le texte apparaissant à ce jugement même si, dans le cadre du présent jugement, MMACC est plutôt identifiée comme MMA et CPR comme CP.

1.     Les liquides de schistes acheminés par transport ferroviaire à la demande de World Fuel étaient-ils adéquatement classifiés et étiquetés?   Non.

2.     Si les liquides de schistes transportés à la demande de World Fuel étaient mal classifiés et identifiés conformément à la législation en vigueur et aux règlements d’application, ces erreurs de classification et d’identification sont-elles la cause ou ont-elles favorisé l’incendie, les explosions et la contamination qui ont suivi le déraillement du 6 juillet 2013 à Lac-Mégantic?   Non.

3.     Les défendeurs MMACC et CPR savaient-ils ou auraient-ils dû savoir que les liquides de schiste acheminés à partir de New Town, Dakota du Nord vers StJohn au Nouveau-Brunswick dans les wagons-citernes DOT-111 étaient mal classifiés et identifiés?   Non.

4.     Les défendeurs MMACC et CPR savaient-ils ou auraient-ils dû savoir que les liquides de schiste acheminés par transport ferroviaire à partir de New Town Dakota du Nord vers St-John au Nouveau-Brunswick étaient plus volatiles, explosifs et inflammables que du pétrole brut typique?   Non.

5.     Les défendeurs MMACC et CPR ont-ils été négligents en permettant que les liquides de schistes acheminés à partir de New Town au Dakota du Nord vers St-Jean au Nouveau-Brunswick le soient dans des wagons-citernes DOT-111?   Non.

6.     Les wagons-citernes DOT-111 utilisés pour transporter les liquides de schiste étaient-ils appropriés et la décision d’utiliser ces wagons-citernes a-t-elle causé ou favorisé l’incendie, les explosions et la contamination qui ont suivi le déraillement survenu le 6 juillet 2013 à Lac-Mégantic?   Oui et Non.

7.     Le défendeur CPR a-t-il été négligent dans le cadre de ses discussions et négociations avec World Fuel pour le choix du trajet afin d’acheminer les liquides de schiste de New Town, Dakota du Nord vers St-John au Nouveau-Brunswick et a-t-il eu un rôle prépondérant et fautif dans la détermination finale du trajet et par voie de conséquence, du transporteur utilisé?   Non.

8.     Le défendeur CPR a-t-il été négligent en choisissant, suggérant, recommandant ou permettant que les liquides de schiste acheminés à partir de New Town au Dakota du Nord, vers St-John au Nouveau-Brunswick le soient sur la voie ferrée propriété du transporteur ferroviaire MMACC?   Non.

9.     Le défendeur MMACC a-t-il exercé un contrôle effectif sur le train qui a déraillé?   Oui.

10.  Est-ce que le défendeur MMACC a failli à ses obligations de développer et mettre en œuvre des politiques et procédures avant le déraillement du train qui a déraillé?   Oui.

11.  Est-ce que l’intimé MMACC a failli à son devoir d’employer des personnes qualifiées, de les former et de les superviser adéquatement par rapport aux procédures appropriées à utiliser dans la sécurisation de leurs trains?   Oui.

12.  Est-ce que le défendeur Thomas Harding a, par ses faits et gestes, causé ou contribué au déraillement du train?   Oui.

13.  Quelle est la nature de l’étendue des dommages et autres remèdes que peuvent réclamer les membres du recours collectif?   Réponse à venir.

14.  Les membres du recours collectif ont-ils le droit à des dommages et intérêts corporels, moraux et matériels? Si oui, quel est le montant de ces dommages?   Réponse à venir.

[907]      Les réponses données par le Tribunal aux douze premières questions confirment que l’action collective est rejetée à l’encontre du CP et qu’elle est toutefois accueillie à l’encontre de la seule autre partie défenderesse, MMA.

[908]      Ces mêmes réponses font en sorte que les recours intentés par le PGQ et Promutuel et als sont rejetés contre le CP, mais accueillis contre MMA.

[909]      Il en résulte, vu la scission d’instance ordonnée dans les trois dossiers selon les dispositions de l’article 211 C.p.c., qu’une deuxième étape dédiée à la détermination des dommages en vue d’une condamnation contre MMA devrait se tenir.

[910]      Toutefois, avant de fixer la suite en ce qui concerne cette partie défenderesse et puisque les trois recours à l’encontre de l’autre défenderesse, CP, sont rejetés, il conviendra probablement, cela reste à être discuté avec les parties et déterminé par la suite, de suspendre cette deuxième étape relative aux dommages, le temps que les parties demanderesses déterminent ce qu’elles entendent faire possiblement au niveau de l’appel concernant la défenderesse CP.

[911]      Le Tribunal, puisqu’il demeure saisi du dossier en ce qui concerne la défenderesse MMA, entend aussi demeurer disponible pour toute conférence de gestion requise en raison de la suite des procédures.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[912]      ACCUEILLE PARTIELLEMENT la Demande introductive d’instance amendée des Représentants, datée du 13 janvier 2017, et ce, à l’encontre de la défenderesse MMA, dans le dossier de la Cour supérieure no 480-06-000001-132 et DÉCLARE que cette défenderesse est responsable des dommages subis par les membres du groupe décrits dans cette Demande introductive d’instance amendée.

[913]      ACCUEILLE PARTIELLEMENT la cinquième Requête introductive d’instance modifiée du PGQ, datée du 16 août 2021, et ce, à l’encontre de la défenderesse MMA dans le dossier de la Cour supérieure no 480-17-000070-159 et DÉCLARE que la défenderesse MMA est responsable des dommages subis par le PGQ et réclamés dans cette Requête introductive d’instance modifiée.

[914]      Accueille partiellement la Demande introductive d’instance réamendée, datée du 18 décembre 2017, des demanderesses Promutuel et als dans le dossier de la Cour supérieure no 480-17-000096-162 et Déclare que la défenderesse MMA est responsable des dommages subis par ces parties demanderesses et réclamés dans cette Requête introductive d’instance réamendée.

[915]      Ordonne aux parties demanderesses dans chacun des trois dossiers, ainsi qu’à la défenderesse MMA, de participer, à une date qui reste à être déterminée, à une conférence de gestion afin que soit déterminées les modalités et démarches pour procéder à la deuxième étape de ces recours judiciaires, c’est-à-dire la détermination des dommages subis par toutes les parties demanderesses.

[916]      Rejette, en ce qui concerne la défenderesse CP, la Demande introductive d’instance amendée des Représentants, datée du 13 janvier 2017, dans le dossier de la Cour supérieure no 480-06-000001-132, et ce, sans aucuns frais de justice à l’encontre de ceux-ci.

[917]      Rejette, en ce qui concerne la défenderesse CP, la cinquième Requête introductive d’instance modifiée du PGQ, datée du 16 août 2021, dans le dossier de la Cour supérieure no : 480-17-000070-159, avec frais de justice à l’encontre de cette demanderesse.

[918]      Rejette, en ce qui concerne le CP, la Demande introductive d’instance réamendée des demanderesses Promutuel et als, datée du 18 décembre 2017, dans le dossier de la Cour supérieure no : 480-17-000096-162, avec frais de justice à l’encontre de ces parties demanderesses.

 

 

 

__________________________________MARTIN BUREAU, j.c.s.

 

Me Daniel E. Larochelle

Daniel E. Larochelle, L.L.b. Avocat inc.

Avocat des demandeurs Ouellet, Jacques et Parent

 

Me Joël Rochon

Me Ron Podolny

Me Karine Bédard

Rochon Genova LLP

Avocats des demandeurs Ouellet, Jacques et Parent

 

Me Jeff Orenstein

Consumer Law Group

Avocat des demandeurs Ouellet, Jacques et Parent

 

Me Nathalie Dubé

Me Michel Huart

Langlois Avocats

Avocats de Promutuel Centre Sud et als (assureurs)

 

Me Ruth Arless-Frandsen

Me Laurence Saint-Pierre-Harvey

Me Charles-Étienne Bélanger

Bernard, Roy (Justice-Québec)

Avocats du Procureur général du Québec

 

Me Guy J. Pratte

Me François Grondin

Me Patrick Plante

Me Anaïs Bussières-McNicoll

Me Maude Lamoureux-Bisson

Me Jean-François Bilodeau

Me Antoine Gamache

Me Kirsten Crain

Me Laura Robinson

Me Veronica Sjolin

Me Julien Boudreault

Me François Hawkins

Me Marie-Ève Froment

Borden Ladner Gervais, s.e.n.c.r.l., s.r.l.

Avocats de la défenderesse

Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique

 

Dates d’audience :

21, 22, 27, 28, 29, 30 septembre 2021

7, 8, 19, 21, 22, 25, 26, 29 octobre 2021

2, 3, 15, 16, 17, 23, 24, 25, 26 novembre 2021

11,17, 18, 19, 20, 21, 24, 25, 31 janvier 2022

1er, 4, 10, 11, 16, 17 février 2022

8, 9, 11, 15, 16, 18, 23, 24 mars 2022

6, 7, 8, 12, 13, 14, 20 avril 2022

4, 5, 6, 25, 26, 30 mai 2022

7, 8, 9 et 15 juin 2022

 

 

Dates des interrogatoires hors Cour pendant l’audience :

 

19 et 20 octobre 2021,

10 janvier 2022,14 mars 2022 et 11 avril 2022

 


 

ANNEXE 1 : INTERROGATOIRES PRÉALABLES

 

Date

Nom

Titre

2018-10-16 et

2018-10-17

Thomas R. Harding

Ancien défendeur et ex-ingénieur de locomotives pour MMA

2018-12-18

Richard Labrie

Ex-CCF pour MMA

2019-02-12 et

2019-02-13

Joseph McGonigle

Ex-vice-président ventes et

marketing MMA

2019-03-19 et

2019-03-20

Christopher Caldwell

Ex-vice-président adjoint marketing CP

2019-04-25, 2019-08-29, 2019-11-05 et

2019-11-15

James Michael Kozey

Directeur du programme des marchandises dangereuses CP

2019-07-17 et

2019-11-19

Keegan Edward Loxam

Ex-directeur de comptes pétrole brut CP

2019-08-28 et

2019-11-20

Guido DeCiccio

Ex-vice-président sénior opérations Ouest CP

2019-10-16

Yves Bourdon

Ex-membre du c.a. de MMA

(CDPDQ)

2019-10-29

Josée Hallé

Ex-Directrice Transports Québec

2019-11-13 et

2019-11-14

Glen Donald Wilson

Vice-président, sécurité, environnement et affaires règlementaires CP

2020-01-09 et

2020-01-10

Edward A. Burkhardt

Président de MMAR

2020-01-16 et

2020-01-17

Robert Grindrod

Président de MMA

2020-10-13

Shawn Cormier

Représentant désigné de IOL et Directeur sénior

 

 

INTERROGATOIRES HORS COUR PENDANT L’AUDIENCE

 

2021-10-19

Paul Budge

Ex-surintendant É.-U. de MMA

2021-10-20

Lynne Labonté

Ex-directrice générale des opérations de MMA

2022-01-10

David Hornaday

Représentant désigné de WFS

2022-03-14

et

2022-04-11

Ken Strout

Ex-directeur des pratiques opérationnelles de MMA


 

ANNEXE 2 : LISTE DES JUGEMENTS

 

 

Date

Jugement

Référence

  1.    

2015-05-08

Jugement sur demande d’autorisation d’exercer un recours collectif (art. 1003 C.p.c.)

Ouellet c. Rail World inc., 2015 QCCS 2002

  1.  

2016-10-07

Jugement sur rejet de l’action collective contre les intimés et/ou défendeurs quittancés

Ouellet c. Rail World inc., 2016 QCCS 6977

  1.  

2016-10-24

Jugement sur demande d’autorisation d’exercer un recours collectif art. 576 C.p.c.

Ouellet c. Canadian Pacific Railway Company, 2016 QCCS 5087

  1.  

2016-12-09

Jugement sur demande pour directions

Ouellet c. Canadian Pacific Railway Company, 2016 QCCS 6450

  1.  

2017-01-25

Jugement (autorise les modifications dans la demande d’instance modifiée

Ouellet c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, 2017 QCCS 6435

  1.  

2017-01-25

Jugement (Avis aux Membre du Groupe)

Ouellet c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, 2017 QCCS 6434

  1.  

2017-02-06

Jugement sur demande de divulgation de documents

Ouellet c. Montreal Maine & Atlantic Canada Company, 2017 QCCS 374

  1.  

2017-03-30

Jugement sur un protocole d’instance et une demande de divulgation de preuve

Ouellet c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, 2017 QCCS 1181

  1.  

2017-09-15

Jugement sur demande en modification de la demande introductive d’instance, art. 207 C.p.c.

Procureure générale du Québec c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, 2017 QCCS 4125

  1.  

2017-12-11

Jugement sur demandes pour jonction des instances (art. 210 C.p.c. al.2), demandes pour scinder l’instance (art. 211 C.p.c.) et demande pour suspendre l’instance (art. 49 C.p.c.)

Ouellet c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, 2017 QCCS 5674

  1.  

2018-02-06

Corrigé

2018-02-20

Jugement corrigé (art. 338 C.p.c.) sur demandes de cassation partielle d’une demande de documents formulée par les demandeurs à l’encontre de la défenderesse Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (CP)

Ouellet c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, 2018 QCCS 5836

  1.  

2018-06-05

Jugement sur demande de précisions formulée par la défenderesse CP sur certaines allégations de la demande introductive d’instance de la demanderesse PGQ (art. 169 al. 2 C.p.c.)

Ouellet c. Montreal Maine & Atlantic Canada Company, 2018 QCCS 2395

  1.  

2018-09-06

Request for international judicial assistance (letters rogatory) with respect to Mr. Robert C. Grindrod

Non répertorié

  1.  

2018-09-06

Request for international judicial assistance (letters rogatory) with respect to Mr. Joseph McGonigle

Non répertorié

  1.  

2018-09-06

Request for international judicial assistance (letters rogatory) with respect to Mr. Christopher M. Caldweell

Non répertorié

  1.  

2019-01-11

Jugement sur la demande de suspension des procédures des demandeurs

9020-1468 Québec inc. c. Canadian Pacific Railway Company, 2019 QCCS 366

  1.  

2019-02-05

Jugement sur demande de levée partielle de l’obligation de confidentialité formulée par la demanderesse Procureure générale du Québec (PGQ)

Ouellet c. Montreal Maine & Atlantic Canada Compagny, 2019 QCCS 367

  1.  

2019-06-13

Jugement sur la demande de communication documentaire formulée par la défenderesse Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique à l’égard du Ministère des transports du Canada et de l’Office des transports du Canada

Ouellet c. Montreal, Maine & Atlantic Canada Company, 2019 QCCS 2338

  1.  

2019-08-13

Judgment (communication de documents)

Ouellet c. Canadian Pacific Railway Company, 2019 QCCS 6020

  1.  

2019-10-18

Jugement sur la demande de la défenderesse Compagnie de chemin de fer canadien pacifique (CP) pour communication documentaire et interrogatoire d’une tierce partie

Ouellet c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, 2019 QCCS 6021

  1.  

2019-10-28

Jugement sur une demande des demandeurs de l’action collective pour recevoir copie de la documentation communiquée par l’Office des transports du Canada, Transport Canada et Irving Oil à la défenderesse Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (CP)

Ouellet c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, 2019 QCCS 4509

  1.  

2019-11-28

Jugement sur la demande des demandeurs dans l’action collective pour permission de se désister de leur recours contre le défendeur Thomas Harding

Ouellet c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, 2019 QCCS 5051

  1.  

2019-11-28

Jugement sur une demande de la défenderesse Compagnie de chemin de fer canadien pacifique (CP) pour obtenir de la Sûreté du Québec (S.Q.) la communication de documents

Ouellet c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, 2019 QCCS 5047

  1.  

2020-03-20

Jugement sur la demande de la défenderesse, Compagnie de chemin de fer canadien pacifique (CP), pour obtenir le rejet de deux rapports d’experts (Art. 241 C.p.c.)

Ouellet c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, 2020 QCCS 1005

  1.  

2020-04-15

Corrigé

2020-04-22

Jugement corrigé (art. 338 C.p.c.) sur une demande de la défenderesse, Compagnie de chemin de fer canadien pacifique (CP), pour obtenir du Bureau de la sécurité des transports (BST) la communication de certaines déclarations (art. 30(5) L.C. 1989 c.3)

Ouellet c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, 2020 QCCS 1188

  1.  

2020-12-04

Jugement sur requête pour rejet de rapports d’expert (art. 241 C.p.c.)

Ouellette c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, 2020 QCCS 4145

  1.  

2020-12-14

Jugement sur demande par la demanderesse Procureur général du Québec (PGQ) de levée partielle l’obligation implicite de confidentialité

Ouellet c. Compagnie de chemin de fer canadien pacifique, 2020 QCCS 4308

  1.  

2021-01-06

Jugement sur demande formulée par les trois parties demanderesses et la défenderesse CP pour faire trancher des objections à la suite d’interrogatoires préalables (art. 228 C.p.c.)

Ouellet c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, 2021 QCCS 9

  1.  

2021-04-29

Jugement sur la demande de la défenderesse, Compagnie de chemin de fer canadien pacifique (CP), pour obtenir le rejet de quatre rapports d’experts (Art. 241 C.p.c.)

Ouellet c. Compagnie de chemin de fer canadien pacifique, 2021 QCCS 1668

  1.  

2021-08-09

Jugement sur demandes formulées par les trois parties demanderesses et la défenderesse CP pour faire trancher des objections, essentiellement fondées sur la pertinence, dans le cadre d’interrogatoires préalables (art. 228 C.p.c.)

Ouellet c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, 2021 QCCS 3324

  1.  

2021-09-27

Jugement sur demande formulée par les parties demanderesses pour faire témoigner une enquêteuse du BST

Ouellet c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, 2021 QCCS 3957

  1.  

2021-10-12

Ordonnance relative aux témoignages de deux résidents de l’état du Maine aux États-Unis d’Amérique

Ouellet c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique et al., 2021 QCCS 4207

  1.  

2021-10-12

Corrigée

2021-10-15

Ordonnance corrigée quant à une citation à comparaître d’un témoin situé dans l’état de la Floride aux États-Unis d’Amérique pour qu’il apporte divers documents

Ouellet c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, 2021 QCCS 4279

  1.  

2022-01-17

Jugement sur qualification à titre d’expert d’un témoin assigné par les parties demanderesses

Ouellet c. Compagnie de chemin de fer canadien pacifique, 2022 QCCS 62

  1.  

2022-01-24

Jugement sur demande résultant d’un voir-dire concernant l’expertise de M. Patrick F. Riley

Ouellet c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, 2022 QCCS 137

  1.  

2022-02-22

Jugement sur des objections formulées dans le cadre d’interrogatoires hors Cour des témoins Paul Budge et David Hornaday

Ouellet c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, 2022 QCCS 561

  1.  

2022-04-11

Motifs révisés d’un jugement rendu séance tenante le 7 avril 2022 concernant les champs d’expertise de M. Charles N. Marshall (Art. 231 et suivants C.p.c.)

Ouellet c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, 2022 QCCS 1181

 


 

ANNEXE 3 : ADMISSIONS (CP-616)


 



 


 

 


 


 


 


 


 


 


 


 

 

 


 

 

 

 


 


 

 

 


 


 


 

 

 


 


 


 


 


 


 


 


 


 

ANNEXE 4 : RAPPORTS D’EXPERTS

 

Date du rapport

Nom de l’expert

Pièce

Titre et entreprise

2019-11-28

Mario Brault

P-540

Ing., ASC – relations entre chemins de fer de catégorie 1 et les chemins de fer d’intérêt local (CFIL); négociations de tarifs et choix de routes; l’organisation du transport

2019-12-02

2021-01-18

Ramanan Krishnamoorti et

Réplique

P-572

 

P-572A

Professor of Chemical and Biomolecular Engineering

2019-12-02

David Richard Evans

P-575

MBA, DRE… Transportation Solutions inc. - Business administration and railway operations management, including train accident cause finding and safety management and international trade, with a focus in the heavy-haul rail and port terminal sectors

2019-12-02

Maurice Gaudet

Retiré

Gaudet and Associates Consulting - Laws and regulations applicable to the handling by Canadian Pacific Railway Company and Montreal, Maine & Atlantic Canada Company of dangerous commodities by rail, including the requirements for the importation of same from the US into Canada, the placarding of tank cars, the interchange of traffic from CP to MMA, and all other Canadian and US legal requirements relevant to the Proceeding

2020-03-25

Frits Wybenga

CP-690

President, Dangerous Goods Transport Consulting inc. - Expert in classification and transportation of hazardous materials / dangerous goods in North America and characteristics of petroleum crude oil relevant to transportation

2020-03-31

Patrick F. Reilly

P-573

The expert report addresses the risk assessment, planning and operational failures which led to the derailment and explosion of a Montreal, Maine & Atlantic Railway, train on July 6, 2013, at Lac-Mégantic, Quebec

2020-07-10

Malcolm K. Sparrow

CP-696

Expert in regulatory practice, regulatory strategy and tactics and choice of regulatory instruments

2020-07-10

2021-09-16

Paul A. Cunningham et

Réplique

CP-679

CP-680

Lawyer at Harkins Cunningham LLP - Expert in railway law of the United States (jurisconsult)

2020-12-11

Steven Callaghan

CP-698

JSC Trains Consultant - Expert en règles et standards applicables à la conduite des ingénieurs de locomotive, règles opérationnelles canadiennes, opération et sécurisation de trains et enquête sur la cause de déraillements

2020-12-14

Douglas W. Kittle

Retiré

Practical Preparedness Services Corp - Expert in practices of a Transport Canada inspector under the Canadian Transportation of Dangerous Goods Regulations and emergency response to dangerous goods accidents

2020-12-14

Charles N. Marshall

CP-689

Railway Consultant - Expert in the historical development of railway operations in North America and commercial practices, rules and norms of the North American railway industry

2020-12-15

Gary P. Wolf

CP-697c)

Wolf Railway Consulting LLC - U.S railroad law expert on the provision of railroad transportation service and the applicable terms and conditions governing rail movements under American railway law, including those pertaining to rates and service, rate structure, confidential contracts, public tariffs, Limited Distribution Tariffs, bills of lading, route selection and the common carrier obligation

2020-12-17

Philip J. Daum

CP-694

Principal, Director of rail - Expert in means of containment for transportation of hazardous materials / dangerous goods and practices in the railway industry concerning the use of tank cars and their regulation

2021-01-18

Robert A. Richard

P-574

Président, Hazmat Safety Consulting, LLC - Expert witness opinion to assist with litigation in a legal case that involves the transportation of crude oil by rail a

2021-05-31

Peter A. Pfohl

P-576

U.S railroad law expert

 


 

ANNEXE 5 : TÉMOINS ENTENDUS AU PROCÈS

 

 

DATE

TÉMOINS

OCCUPATION

  1.  

2021-09-27

Richard Labrie

Ex-employé MMA (CCF)

  1.  

2021-09-28

Jean Demaître

Ex-employé MMA (Superviseur)

  1.  

Jean Laporte

Ex-employé BST (Administrateur en chef)

  1.  

2021-09-29

Jonathan Couture

Ex-employé de MMA (Chef de train)

  1.  

Kevin Demers

Ex-employé de MMA, (Ingénieur de locomotives)

  1.  

2021-09-30

Josée Hallé

Ex-directrice Transports Québec

  1.  

2021-10-07

Guillaume Charrette

Employé CP (Wagonnier)

  1.  

David Coulombe

Employé CP (Wagonnier)

  1.  

2021-10-08

Jason Ross

Vice-président des opérations pour le CP

  1.  

Kim Wachs

Ex-employé du CP (Gérant des pratiques opérationnelles 2013)

  1.  

2021-10-19

 

 

Paul Budge*

Ex-employé de MMA (Surintendant États-Unis)

  1.  

2021-10-20

Lynne Labonté*

Ex-employé de MMA (Directrice générale des opérations)

  1.  

2021-10-21

Jane O’Hagan

Ex-vice-présidente CP

  1.  

2021-10-22

Tracy Robinson

Ex-employée CP (Transportation executive)

  1.  

2021-10-25

Arthur Feygelson

Ex-employé CP (Directeur de comptes)

  1.  

2021-10-29

Chris Bunce

Ex-employé CP (Ingénieur directeur de l’environnement)

  1.  

2021-10-29

Darlene Naggy

Employée CP (Directrice du programme de marchandises dangereuses)

  1.  

2021-11-02

Keith Wayne Shearer

Ex-employé CP (Directeur affaires règlementaires)

  1.  

Jeffrey Mickael Franczak

Ex-V-P exécutif CP

  1.  

2021-11-03

Anne-Marie Davies

Ex-employée CP (Ventes produits énergie)

  1.  

Chantal Renaud

Manager of transportation and logistics CP

  1.  

Lisa Thom

Pricing publication analyst for CP Railway

  1.  

2021-11-15

Brent Dornian

Ex-employé CP (Directeur général des ventes produits chimiques)

  1.  

2021-11-16

Eli Jasso

Ex-employé SST (Gérant de « terminal »)

  1.  

2021-11-16

2021-11-17

Elizabeth Hucker

Ex-V-P Marketing et ventes CP

  1.  

2021-11-23

Don Kraft

Gérant et spécialiste en opérations de transport produits pétroliers CP

  1.  

Christopher Jones

Ex-employé CP (Directeur planification des réseaux)

  1.  

2021-11-24

Ron Griswold

Ex-employé CP (Directeur de stratégie des réseaux)

  1.  

Adolph Gameiro

Directeur des accords d’interconnexions (2013) Directeur gestionnaire

  1.  

2021-11-25

Guido de Ciccio

Ex-V-P senior des operations Ouest Canadien CP

  1.  

2022-01-10

David Hornaday*

Représentant désigné par WFS

  1.  

2022-01-17

Maurice Gaudet

Expert, Président de compagnie

  1.  

2022-01-18

Robert (Bob) Richard

Expert, Président de Hazmat Safety Consulting LLC

  1.  

2022-01-19

Patrick Francis Riley

Expert, Retired and do railway investigations

  1.  

2022-01-20

2022-01-21

David Richard Evans

Expert, President of DRE transportation and solutions inc.

  1.  

2022-01-24

Ramanan Krishnamoorti

Expert, Professor

  1.  

2022-01-25

Peter Pfhol

Expert, Attorney

  1.  

2022-01-31

2022-02-01

Patrick Reilly

Expert, Retired and do railway investigations

  1.  

2022-02-04

Farrah Fleurimond

Directrice régionale des services généraux à Transports Canada

  1.  

2022-02-10

2022-02-11

Mario Brault

Expert, Ingénieur à la retraite, .

  1.  

2022-02-16

Keith Hickie

Manager at Canadian Pacific Railway

  1.  

Paul Weiss

Specialist in dangerous goods documentation

  1.  

2022-02-17

Paul Cunningham

Expert, Attorney of law

  1.  

2022-03-08

James Clements

Executive CP

  1.  

2022-03-09

James Michael Kozey

Director at materials for CP

  1.  

2022-03-11

Lori Kennedy

Managing director of regulatory affairs CP

  1.  

2022-03-15

2022-03-16

Luciano Martin

Directeur gional Groupe surface pour la gion du Québec à Transports Canada

  1.  

2022-03-18

Keegan Loxam

Développement de affaires CP

  1.  

2022-03-23

2022-03-24

Glen Wilson

Vice-président ,sécurité ,environnement et affaires règlementaires CP

  1.  

2022-04-06

2022-04-14

Philip Daum

Expert, Consulting engineer

  1.  

2022-04-07

2022-04-08

Charles Marshall

Expert, consultant

  1.  

2022-04-12

2022-04-13

Frits Wybenga

Expert, Common law engineer consultant in transport of dangerous goods

  1.  

2022-04-14,

2022-05-04

2022-05-05

Gary Wolf

Expert, President of Wolf Railway Consultant LLC

  1.  

2022-04-20

Malcom Keith Sparrow

Expert, Professor at Harvard Kennedy school of government

  1.  

2022-05-05

2022-05-06

Steven Callaghan

Expert, Employé président de JSC Trains Consultant

 


 

ANNEXE 6 : SIGLES UTILISÉS DANS LE JUGEMENT

 

AAR

Association of American Railroad

ACFC

Association des chemins de fer du Canada

BNSFR

Burlington Northern and Santa Fe Railway

BOL

Bill of lading

CCF

Contrôleur de la circulation ferroviaire

C.c.Q.

Code civil du Québec

CDPQ

Caisse de dépôt et placement du Québec

CFIL

Chemin de fer d'intérêt local

CN

Canadien National

CP

Canadien Pacifique

DNC

Dossier judiciaire civil numérisé

DPTS

Dakota Plains Terminal Services

FRA

Federal Railroad Administration

HMR

Hazardous Materials Regulations

IOL

Irving Oil Limited

ISS

Interline Settlement System

LDT

Limited distribution tariff

LSF

Loi sur la sécurité ferroviaire

LTC

Loi sur les transports au Canada

LTMD

Loi de 1992 sur le transport des marchandises dangereuses

MMA

Montréal, Maine et Atlantique Canada Compagnie

MMAR

Montreal, Maine & Atlantique Railway

MSDS

Material Safety Data Sheet

MTQ

Ministère des transports du Québec

NBSR

New Brunswick Southern Railway

OTC

Office des transports du Canada

OTIS

Operational Tests and Inspections

PHMSA

Pipeline and Hazardous Material Safety Administration

PGQ

Procureur général du Québec

Règlement d’exploitation

Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada

Règlement TMD

Règlement sur le transport des marchandises dangereuses

Règlement SGSF

Règlement sur le système de gestion de la sécurité ferroviaire

SGS

Système de gestion de la sécurité

SPTO

Single-person train operations

S.Q.

Sûreté du Québec

SST

Strobel Straroska Transfer

STB

Surface Transportation Board

TC

Transports Canada

USC

United States Code

WFC

World Fuel Company

WFS

World Fuel Services

 

 

 


[1]  Au moins six jugements concernent ce plan d’arrangement et certains sont produits : CP-355.001 (plan d’arrangement); CP-355.002, par. 97 et suiv.; CP-355.003, par. 5; CP-355.004, par. 99 et suiv.

[2]  Ouellet c. Rail World inc., 2015 QCCS 2002.

[3]  Ouellet c. Canadian Pacific Railway Company, 2016 QCCS 5087.

[4]  Ouellet c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, 2017 QCCS 5674.

[5]  Ouellet c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, préc., note 4; 9020-1468 Québec inc. c. Canadian Pacific Railway Company, 2019 QCCS 366.

[6]  Ouellet c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, 2019 QCCS 5051.

[7]  Préc., notes 2 et 3.

[8]  CP-355.003 et CP-355.004.

[9]  Préc., note 3.

[10]  Ouellet c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, préc., note 6.

[11]  Ouellet c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, préc., note 4.

[12]  Ouellet c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, 2019 QCCS 5047; Ouellet c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, 2020 QCCS 1188.

[13]  Voir la liste en Annexe 1.

[14]  Ouellet c. Rail World inc., préc., note 2.

[15]  Voir Annexe 2.

[16]  CP-616.

[17]  Annexe 3 (Admissions).

[18]  Ouellet c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, 2020 QCCS 1005; Ouellet c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, 2020 QCCS 4145.

[19]  Ouellet c. Compagnie de chemin de fer canadien pacifique, 2021 QCCS 1668.

[20]  Ouellet c. Montreal Maine & Atlantic Canada Compagny, 2019 QCCS 367.

[21]  Annexe 4 (Liste des expertises).

[22]  Voir Annexe 2, jugements #13,14,15; Ouellet c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique et al., 2021 QCCS 4207; Ouellet c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, 2021 QCCS 4279.

[23]  CP-616.

[24]  Les termes utilisés par de nombreux témoins anglophones pour décrire ce produit sont « Petroleum Crude oil » ou « Crude oil ».

[25]  Les témoins anglophones utilisent le terme « Unit train ».

[26]  Abréviation de la description anglophone de ce genre d'opération, soit « single-person train operations » (SPTO).

[27]  Il est admis que cette fumée résulte d'un défaut d'entretien par MMA.

[28]  Les termes anglais utilisés par les témoins pour identifier celui-ci sont « Caboose » ou « VB car ».

[29]  Le terme anglais utilisé par les témoins est « buffer car ».

[30]  Le rapport principal est produit comme CP-679.

[31]  Le rapport Marshall est produit comme CP-689.

[32]  Le rapport Pfhol est produit comme P-537.

[33]  Le rapport réplique Cunningham est produit comme CP-680.

[34]  Loi sur la sécurité ferroviaire, L.R.C. (1985), ch. 32 (4e suppl.).

[35]  Règlement sur le système de gestion de la sécurité ferroviaire, DORS/2001-37.

[36]  Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada, TC O 0-114), CP-021.

[37]  Loi sur les transports au Canada, L.C.1996, c.10.

[38]  Art. 18 (1) et (2.1) LSF.

[39]  Art. 19 (1) LSF.

[40]  Art. 19 (4) LSF.

[41]  Art. 27 et 28 LSF.

[42]  Art. 32 LSF.

[43]  Art. 33 LSF.

[44]  Art. 47.1 LSF.

[45]  Instructions spéciales générales de MMA (P-001.005), ainsi que les Règlements de sécurité de MMA (P-001.006).

[46]  Art. 112 du Règlement d’exploitation.

[47]  LC 1992, ch. 34, CP-004.002.

[48]  DORS/2001-286, CP-004.001.

[49]  CP-006.004.

[50]  CP-006.004, ainsi que CP-544a), CP-544b) et CP-544c).

[51]  Art. 27, 28, 31, 32 et 33 de la LSF, ainsi que CP-478 e), g), h), i) et j).

[52]  Art. 33 LSF.

[53]  LSF, art. 28-30 et 31-33.

[54]  49 USC §10742, §10744.

[55]  Rapport Pfhol (P-576); Rapport Cunninghan (CP-679) et Rapport réplique (CP-680).

[56]  Ce terme est utilisé lorsque le réseau de voies ferrées opérées par ces entreprises comporte plusieurs dizaines de kilomètres.

[57]  Aux États-Unis, pour désigner ces compagnies qui ne sont pas de classe 1, on utilise plutôt le terme « Short Line ».

[58]  Master agreement, P-051.

[59]  La compagnie mère de MMA étant Rail World Inc.

[60]  Par l’entremise de sa compagnie sœur MMAR.

[61]  Expertise de Mario Brault, P-540.

[62]  Art. 2811 C.c.Q.

[63]  Art. 2804 C.c.Q.

[64]  Les témoins, pour la plupart anglophones, utilisent généralement le terme « heavy crude » pour du pétrole dont la viscosité est plus élevée et qui provient généralement de l'Ouest canadien et de la région des sables bitumineux et pour le pétrole provenant de la région de Bakken en Saskatchewan ou au Dakota du Nord, ils utilisent plutôt les termes « light crude » ou « sweet crude ».

[65]  P-51.

[66]  P-177.

[67]  Expertise de Peter Pfohl, P-576, par. 24-26.

[68]  Toute cette problématique liée aux contrats confidentiels et aux tarifs, publiés ou non, a d'ailleurs fait l'objet d'études et d'analyses par L’Office de transports du Canada (OTC) en novembre 2011. Voir P404.

[69]  P364 ou CP70a).

[70]  Voir à titre d'exemples : P-025, P-182, CP-619, CP-623, CP-258, CP-39 et CP-237.

[71]  Voir aussi à titre d'exemples : CP-255, CP-257, CP-283, CP-306 et CP-132.

[72]  Voir à ce sujet CP-271 à CP-275.

[73]  CP-036 et CP-038, ainsi que CP-059 et CP-059a).

[74]  CP-082 et CP-109.

[75]  CP-083a) et CP-290.

[76]  CP-083 et CP-095.

[77]  CP-102 et CP-102a).

[78]  CP-113, CP-116, CP-120, CP-122.

[79]  CP-106, CP-116, CP-120, CP-122, CP-123a).

[80]  P-540, rapport Brault, p. 27.

[81]  CP-124.

[82]  CP-122.

[83]  Pièce CP-667. Cette pièce, en vertu d'une entente intervenue entre tous les procureurs au dossier et ceux représentant WFS, est produite sous scellés parce qu'elle est peut-être couverte à titre d'échanges protégés par le secret professionnel. Toutefois, les procureurs de WFS et tous ceux impliqués dans le dossier ont convenu que le Tribunal peut en tenir compte même si elle demeure, aux yeux du public, sous scellés.

[84]  P-293 à P-296.

[85]  P-194.

[86]  CP-325.

[87]  DORS/2001-37.

[88]  La Responsabilité civile, 9e éd., vol. 1 : Principes généraux, Cowansville, Les éditions Yvon Blais inc., 2020, no 1-164.

[89]  Kosoin c. Société de transport de Montréal, 2019 CSC 59, par. 42 à 44.

[90]  La responsabilité civile, préc., note 87, par. 1-165.

[91]  D’ailleurs, les entreprises ferroviaires au Canada et aux États-Unis sont regroupées sous l’égide d’associations telles l’AAR ou l’ACFC, lesquelles consacrent des efforts réguliers et continus en vue d’améliorer les conditions générales de sécurité ainsi que les normes à ce sujet et la transmission d’informations à chacun des membres, qu’il s’agisse d’entreprises ferroviaires de classe 1 ou des entreprises régionales ou CFIL.

[92]  Compagnie des chemin de fer nationaux du Canada c. Vincent, [1979] 1 R.C.S. 364, p. 372.

[93]  Id., p. 374.

[94]  Ryan c. Victoria(Ville), (1999) R.C.S. 201, par. 28 à 30.

[95]  Id., par 34.

[96]  Id., par 36.

[97]  Id., par. 37 et 38.

[98]  Id., par. 39 et 40.

[99]  La responsabilité civile, préc., note 87, par 1-192.

[100]  Id., par. 1-195.

[101]  Imperial Tobacco Canada ltée c. Conseil québécois sur le tabac et la santé, 2019 QCCA 358, par. 661-666.

[102]  Hogue c. Procureur général du Québec, 2020 QCCA 1081, par. 44 à 49.

[103]  La responsabilité civile, préc., note 87, par. 1-687.

[104]  Id.,1-692 et 1-693.

[105]  Salomon c. Matte-Thompson, 2019 CSC 14, par. 91.

[106]  Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, Les Obligations, 7e éd., par Pierre-Gabriel Jobin et Nathalie Vézina, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, no 1104.

[107]  Ouellet c. Rail World inc., préc., note 2.

[108]  La responsabilité civile, préc., note 87, par. 1-740.

[109]  Vincent Karim, Les Obligations, 4e éd., vol. 1, Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, par. 3053.

[110]  La responsabilité civile, préc., note 87, par. 1-844 et 1-848.

[111]  Règlement sur la responsabilité à l'égard du transport ferroviaire des marchandises, DORS/91-488, art. 8 (1).

[112]  Voir à ce sujet les rapports de l'expert Cunningham, pièce CP-680, par. 12 et CP-679, par. 23 et 24; ainsi que Louisville & N. R. Co. v. Sloss-Sheffield Steel & Iron Co., 269 U.S. 217, 232 (1925), pièce CP680.005.

[113]  P-051.

[114]  Lauzon (Thurso) - Ressources forestières Inc. c. Electro mécanique Waters Inc., 2005 CanLII 16805 (QC CS), par. 64 à 69, confirmé à 2007 QCCA 619.

[115]  2018 CSC 46, par. 63-64.

[116]  Le consortium d'entreprise, joint venture : nature et structure juridique : rapport contractuel, partage des responsabilités, modes alternatifs de règlement des différends : médiation et arbitrage, 2e éd., Montréal, Wilson et Lafleur, 2016, par. 47.

[117]  Voir chapitre 7, par. 255 à 270 du présent jugement.

[118]   P-575 et P-573.

[119]  CP-697.

[120]  49 C.F R. § 172.820, pièce CP-002.002.

[121]  P-573 et P-575.

[122]  DORS/2001-37.

[123]  Témoignage de M. L. Martin, directeur régional pour le Québec du transport chez TC, 15 mars 2022, p. 253-255.

[124]   LTC, art. 90(1).

[125] Rapport Wolf, CP-697; Rapport Marshall, CP-689.

[126] Rapport Reilly, P-573; Rapport Richard, P-574.

[127]  DORS/2012-245, CP-008-006.

[128]  P-226 et P-214.

[129]  P-132.

[130]  P-154 et P-155.

[131]  P-93.

[132]  P-22, P-23 et P-24.

[133]  Témoignage de l’expert Krishnamoorti, 24 janvier 2022, p. 133 à 143.

[134]  Témoignages de F. Wybenga, 12 avril 2022, p. 85-86 et R. Krishnamoorti, 24 janvier 2022, p. 85,105-106,168-169.

[135]  P-276.

[136]  Témoignage de M. Hornaday, représentant de WFS, 10 janvier 2022, p. 19-20 et 136, ainsi que pièce CP-666 (sous scellés).

[137]  Témoignage de M. Jasso, 16 novembre 2021, p. 4-6 et p. 15-16, ainsi que celui de M. Hickie, 16 février 2022, p. 140-142, p. 117-118, 122 et 147.

[138]  Pièce CP-668 et témoignage de M. Jasso, 16 novembre 2021, p. 133-134.

[139]  Témoignage de M. Jasso dans le dossier américain, CP-668, p. 16.

[140]  Pièces CP-002.002, CFR, 49, art. 171.2(f) et CP-008.006, Règlement TMD, art. 2.2(1) et art. 2.2(5) et (6).

[141]  Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c. 10.

[142]  CP-003.005, Décision de l’OTC, LET-R-99-2013.

[143]  Rapport M. Brault, P-540, p. 7-8.

[144]  P-573 et P-574.

[145]  Interrogatoire préalable de E. Burkhardt, 9 janvier 2020, p. 397.

[146]  CP-689, par. 52; CP-698, p. 29; CP-697c), par. 22, 43-44 et 50.

[147]  Témoignage de L. Martin, 16 mars 2022, p. 26-30 et 33-34.

[148]  Témoignage de G. De Ciccio, 25 novembre 2021, p. 198 et 203-206.

[149]  Témoignage de L. Martin, 16 mars 2022, p. 54 à 58.

[150]  Rapport de G.P. Wolf, CP-697c), par. 83.

[151]  R-112 du Règlement d’exploitation.

[152]  Interrogatoire préalable de R. Grindrod, 16 janvier 2020, p. 86 et 17 janvier 2020, p. 248.

[153]  P-293 à P-296.

[154]  CP-001.015.

[155]  CP-001.006, p. 46.

[156]  Art. 1463 C.c.Q.

[157]  Operationnal Tests and Inspections.

[158]  CP-006.152.

[159]  CP-548.

[160]  CP-006.005 et CP-696, Annexe au rapport de M. Sparrow, 10 juillet 2022, par. 21-23 et 28-29.

[161]  Témoignage de L. Martin, 16 mars 2022, p. 22-24.

[162]  Témoignage du 11 février 2022, p. 17, lignes 5-16.

[163]  CP-633; Interrogatoires hors cour de P. Budge, 19 octobre 2021, p. 106-107 et de J. Demaitre, 28 septembre 2021, p. 110-111.

[164]  Témoignage de Thomas Harding, 22 septembre 2021, p. 46.

[165]  Témoignage de Jonathan Couture, 29 septembre 2021, p. 46.

[166]  Pièces P-524, P-303 et P-288.

[167]  CP-603 et Annexe 3 (Admissions, CP-616, par. 41).

[168]  CP-442 et CP-482.

[169]  P-556.

[170]  P-569, p.16, M (iii).

[171]  CP-483.

[172]  Témoignage de K. Strout, 14 avril 2022, p. 34-46 et P-310.

[173]  P-573, Rapport Reilly et P-574, Rapport Richard.

[174]  CP-697c), Rapport G. Wolf, par. 82; CP-698, Rapport S. Callaghan, p. 33.

[175]  CP-006.004.

[176]  Rapport d'expertise de M. K. Sparrow, CP-696, par. 30 et Annexe A, ainsi que CP-006.005.

[177]  CP-251.

[178]  Section 10 A c), par. 589 et suiv.

[179]  Interrogatoire préalable de S. Cormier, directeur principal de l'approvisionnement stratégique chez IOL au moment du déraillement, 13 octobre 2020.

[180]  Règlement TMD, art. 1.4 et 2.2.

[181]  CP-643A et CP-644.

[182]  Interrogatoire préalable de R. Grindrod, 9 janvier 2020, p. 57-59, CP-233 et CP-237.

[183]  CP-313 et CP-325.

[184]  Rapport Callaghan, CP-698; Rapport Wolf, CP-697 c).

[185]  Contre interrogatoire de M. Harding, 22 septembre 2021, p. 117 et 143-144.

[186]  Voir note 172, par. 746.

[187]  CP-666 et CP-667 (pièces sous-scellés).

[188]  Témoignage de M. Jasso, 16 novembre 2021, p. 138.

[189]  Interrogatoire préalable de R. Grindrod, 16 janvier 2020, p. 144-146.

[190]  Témoignage de T. Harding, 22 septembre, p. 152-154.

[191]  CP-647.

[192]  CP-636, transcription de conversations dans la nuit du 6 juillet 2013, session 10, par. 24-25, et interrogatoire de M. Labrie, 27 septembre 2021, p. 65.

[193]  CP-321, CP-322 et CP-325.

[194]  Interrogatoires de Mme Labonté, employée-cadre de MMA, 20 octobre 2021, p. 95; de M. Couture, cheminot de MMA, 29 septembre 2021, p.11; et interrogatoire préalable de G Wilson, de CP, 13 novembre 2019, p.17-18.

[195]  CP-008.021, p. 194-195.

[196]  Interrogatoire préalable de M. Grindrod, 17 janvier 2020, p. 304-305.

[197]  CP-694, rapport d'expert, M. Daum, par. 25-26.

[198]  Id., par. 24.

[199]  CP-697 c), rapport Wolf, par. 102.

[200]  2016 QCCS 5087.

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