Décision

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Décision

Brunet c. Henry

2021 QCTAL 22792

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Salaberry-de-Valleyfield

 

No dossier :

570906 27 20210511 G

No demande :

3246854

 

 

Date :

14 septembre 2021

Devant le juge administratif :

Michel Huot

 

Ronald Brunet

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Colette Henry

 

Joseph Clément

 

Locataires - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Le locateur dépose une demande le 11 mai 2021 contre les locataires. Il demande la résiliation du bail et le recouvrement de tous les loyers dus au moment de l’audience. Comme deuxième motif de résiliation, il invoque que les locataires paient fréquemment leur loyer en retard. Il demande également l’exécution provisoire de la décision malgré l’appel et de condamner les locataires au paiement des frais.

[2]      La notification de la demande a été faite aux locataires par la remise en mains propres de la demande et la signature d’un accusé de réception par chacun d’eux.

[3]      Bien que dûment notifiés et convoqués, les locataires sont absents lors l’audience.

[4]      Les parties sont liées initialement par un bail[1] pour la période du 1er novembre 2019 au 31 octobre 2020, au loyer mensuel de 635 $, reconduit pour valoir jusqu’au 30 juin 2022 au loyer mensuel de 640 $.

[5]      Le bail ne prévoit pas que les locataires sont solidairement responsables envers le locateur.

[6]      La preuve présentée permet de conclure que les locataires doivent 200 $, soit une balance du loyer du mois d’août 2021.

[7]      Les locataires sont en retard de plus de trois semaines dans le paiement de leur loyer, ce premier motif de résiliation de bail est donc justifié.

[8]      Le bail ne sera toutefois pas résilié si le loyer dû, les intérêts et les frais de justice sont payés avant la date du présent jugement, conformément aux dispositions de l’article 1883 du Code civil du Québec.


[9]      Quant au deuxième motif de résiliation, le locateur invoque les retards fréquents des locataires à payer leur loyer. Pour obtenir cette conclusion, la loi impose qu’il fasse également la preuve du préjudice sérieux que ces retards lui occasionnent. Le locateur témoigne que le loyer a été payé en retard à 10 reprises au cours des 12 derniers mois.

[10]   Ces défauts des locataires étant réguliers et continuels, la fréquence de ces retards satisfait les critères de l’article 1971 C.c.Q.

[11]   Le locateur a mentionné les nombreuses démarches qu’il a dû faire auprès des locataires pour percevoir le loyer.

[12]   La Cour du Québec, sous la plume du juge Alain Breault, dans l’affaire Allaire c. Bourdeau[2], traitait de la question de la résiliation de bail pour retards fréquents. Il y a lieu de reprendre son analyse :

« [40] Les articles 1851, 1854, 1903 et 1971 C.c.Q. énoncent ce qui suit :

« 1851. Le louage, aussi appelé bail, est le contrat par lequel une personne, le locateur, s’engage envers une autre personne, le locataire, à lui procurer, moyennant un loyer, la jouissance d’un bien, meuble ou immeuble, pendant un certain temps.

Le bail est à durée fixe ou indéterminée. »

« 1854. Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.

Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l’usage pour lequel il est loué, et de l’entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail. »

« 1903. Le loyer convenu doit être indiqué dans le bail.

Il est payable par versements égaux, sauf le dernier qui peut être moindre ; il est aussi payable le premier jour de chaque terme, à moins qu’il n’en soit convenu autrement. »

« 1971. Le locateur peut obtenir la résiliation du bail si le locataire est en retard de plus de trois semaines pour le paiement du loyer ou, encore, s’il en subit un préjudice sérieux, lorsque le locataire en retarde fréquemment le paiement. »

[41] Dans un contrat de bail, ainsi que le révèlent les articles précités, l’obligation principale du locataire est celle de payer le loyer. Un auteur écrit que cette obligation est de l’essence même du contrat de bail. Il s’agit de la principale contrepartie à l’obligation du locateur de procurer la jouissance du logement loué.

[54] Pour pouvoir obtenir la résiliation du bail en raison des retards dans le paiement du loyer, les Intimés devaient prouver trois éléments qui sont cumulatifs : 1) que les retards étaient fréquents, 2) qu’ils en ont subi un préjudice et 3) que le préjudice subi était sérieux.

[55] La preuve ne fait aucun doute ici. Les retards de l’Appelante étaient plus que fréquents. Ils sont devenus la norme pour cette dernière, sa façon de faire à elle, sans égard à ses obligations contractuelles.

[56] Par ailleurs, de la preuve présentée par les Intimés, le Tribunal conclut qu’ils ont non seulement subi un préjudice de cette situation, mais aussi que ce préjudice est sérieux.

[57] La jurisprudence enseigne que le préjudice sérieux dont il est question ne se limite pas à une perte ou une menace pécuniaire. D’ailleurs, dans le contexte de l’application possible de l’article 1971 C.c.Q., le fait de payer les arrérages de loyer en tout temps avant jugement n’est pas pertinent. Il faut mais il suffit que les retards soient fréquents et que la situation cause un préjudice sérieux au locateur.

[58] Le préjudice sérieux dont il est question peut être d’une nature autre que pécuniaire :

- alourdissement anormal de la gestion de l’immeuble, multiplicité des démarches auprès du locataire ou du tribunal pour percevoir les loyers ou coûts supplémentaires ;

- soucis et tracas causés par l’entêtement du locataire à retenir son loyer, temps et énergie consacrés pour les vacations devant la Régie du logement, notes comptables et suivi des démarches effectuées ;

- démarches constantes et multipliées pour se faire payer, demandes répétées à la Régie du logement afin d’obtenir le paiement du loyer, gestion de trois décisions de la Régie du logement ;


- nombreux avis envoyés au locataire pour lui rappeler ses retards, remise du dossier à ses avocats pour récupérer le loyer dû et frais ainsi engagés ;

- multiplication des démarches pour obtenir les loyers dus et paiement de frais bancaires pour de nombreux chèques retournés ;

- impossibilité de disposer des sommes dues, procédures de recouvrement et pertes d’intérêts sur l’argent non reçu ;

[59] En l’espèce, on ne peut pas parler de simples inconvénients occasionnés par les retards de l’Appelante. Les Intimés, par prépondérance de preuve, ont démontré, selon ce que par la jurisprudence enseigne, qu’ils ont effectivement subi un préjudice sérieux en raison de la conduite de l’Appelante. »

[13]   Le Tribunal, après avoir analysé les pièces produites et le témoignage du locateur, doit conclure que le locateur a démontré, selon la balance des probabilités, avoir subi un préjudice sérieux occasionné par les retards fréquents des locataires à payer leur loyer.

[14]   Dans les circonstances, le bail liant les parties est résilié. L’article 1883 du Code civil du Québec ne pourra trouver application puisque le bail est résilié sur la base des retards fréquents des locataires à payer leur loyer.

[15]   L’exécution provisoire de la présente décision n’est pas justifiée aux termes de l’article 82.1 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[16]   RÉSILIE le bail et ORDONNE l’expulsion des locataires et de tous les occupants du logement ;

[17]   CONDAMNE les locataires à payer au locateur les frais de la demande de 79 $ ;

[18]   REJETTE la demande quant aux autres conclusions.

 

 

 

 

 

 

 

 

Michel Huot

 

Présence(s) :

le locateur

Date de l’audience :  

24 août 2021

 

 

 


 



[1] Pièce P-2.

[2] Allaire c. Bourdeau, 2017 QCCQ 4963.

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