Décision

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Chérémond c. Youness

2024 QCTAL 24181

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Longueuil

 

No dossier :

708318 37 20230518 G

No demande :

3909102

 

 

Date :

24 juillet 2024

Devant la juge administrative :

Danielle Deland

 

GERMAINE CHÉRÉMOND

 

Locatrice - Partie demanderesse

c.

Aman YOUNESS

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         La locatrice demande « l’annulation » du bail conclu le 1er juillet 2022, la résiliation du bail et l’éviction du locataire et de tous les occupants du logement, l’exécution provisoire de la décision nonobstant d et les frais.

[2]         La partie demanderesse motive sa demande par le fait que la partie défenderesse contrevient au bail, sans préciser quelle est la contravention.

[3]         Les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2022 au 30 juin 2023 pour un loyer mensuel de 820 $, bail reconduit au 30 juin 2024 pour un loyer de 855 $ par mois et de nouveau au 30 juin 2025 pour un loyer mensuel de 905 $.

[4]         Le bail prévoit que le locataire n’a pas le droit à des animaux et la preuve a démontré que le locataire a un chien.

Question en litige

[5]         La locatrice a-t-elle démontré qu’elle subit un préjudice sérieux justifiant la résiliation du bail?

Règles de preuve

[6]         Selon les dispositions de l'article 2803 du Code civil du Québec, il revient à la partie demanderesse de faire la preuve des faits allégués dans sa demande :

« 2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée. »

[7]         La locatrice a le fardeau de démontrer, par prépondérance de preuve, que les faits qu'elle présente sont probables, conformément à l'article 2804 du Code civil du Québec :

« 2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante. »


[8]         Quant à l'appréciation du témoignage, elle est laissée à l'appréciation du tribunal :

« 2845. La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du tribunal. »

[9]         Dans le cas présent, le Tribunal doit se demander si la locatrice a démontré de manière suffisante le bien-fondé de sa réclamation en justice.

[10]     Les auteurs Nadeau et Ducharme ont analysé les conséquences de l’absence de preuve ou de son insuffisance[1] :

« Celui sur qui repose l’obligation de convaincre le juge supporte le risque de l’absence de preuve, c’est-à-dire qu’il perdra son procès si la preuve qu’il a offerte n’est pas suffisamment convaincante ou encore si la preuve offerte de part et d’autre est contradictoire et que le juge se trouve dans l’impossibilité de déterminer où se trouve la vérité. »

La preuve de la locatrice

[11]     Cette preuve qui s’est bornée au témoignage de la locatrice à l’effet que le locataire avait un petit chien dont il ne ramassait pas les excréments qui jonchaient le terrain. La locatrice n’a cependant déposé aucune photo au dossier du Tribunal.

[12]     La locatrice a également témoigné que le chien jappait, mais elle n’a fourni aucun enregistrement sonore et n’a fait témoigner personne à l’appui de son allégation, admettant qu’elle n’habitait pas l’immeuble et qu’elle n’était pas sur place pour constater les jappements.

[13]     La locatrice a simplement affirmé que par le passé, dans des cas semblables, elle n’avait eu à prouver au Tribunal que la clause d’interdiction au bail et le fait qu’un locataire était en contravention avec cette clause.

En défense

[14]     En défense, le locataire a témoigné que le 10 janvier 2023 sa conjointe et lui ont vécu un drame puisque sa conjointe a accouché d’un nouveau-né qui est décédé à la naissance.

[15]     À la suite de ce drame, sa conjointe a souffert d’une dépression et peu après l’accouchement, le locataire a pensé qu’un voyage leur ferait du bien et il a acheté des billets d’avion pour le Maroc.

[16]     Entre-temps, la belle-mère du locataire est arrivée avec un petit chien « pug » (Carlin) pour réconforter sa fille. Pendant le séjour du couple au Maroc, le locataire admet que c’est sa belle-sœur qui est venue occuper le logement et s’occuper du petit chien alors qu’elle avait elle-même un plus gros chien. Il admet qu’il se peut que les excréments des chiens n’aient pas été ramassés pendant cette période, mais il assure que depuis leur retour, il ramasse les excréments du petit chien.

[17]     En ce qui concerne les jappements, le locataire a témoigné que le petit chien est un chien calme qui ne jappe que si quelqu’un se présente à la porte du logement et que même , les jappements sont peu importants et ne durent pas longtemps.

[18]     Le locataire a déposé au dossier du Tribunal un certificat médical signé par la Dre Lisanne Papin le 26 avril 2023 qui se lit comme suit :

« En tant que médecin traitant, la présente a pour but de solliciter votre précieuse collaboration afin que vous permettiez la présence d’un chien dans la demeure de Madame Chavez Garcia. Il s’agit d’un chien de thérapie afin de l’aider dans son processus de deuil pour la perte de son nouveau-né décédé à la naissance. Nous vous remercions à l’avance de l’attention que vous porterez à cette demande. » (sic)

Analyse

[19]     La locatrice n’a certes pas rencontré son fardeau de preuve en ce qui concerne le préjudice sérieux qu’elle subirait. Elle n’a pas fait la preuve d’un préjudice, qu’il soit sérieux ou non.

[20]     Elle n’a pas démontré que le problème des excréments a perduré après le retour du locataire de son voyage au Maroc à l’hiver 2023 et elle n’a pas fait la preuve que les jappements troublaient la jouissance paisible des voisins.


[21]     Tout au plus, la locatrice a-t-elle expliqué que si elle tolérait le chien du locataire, elle aurait de la difficulté à faire respecter la clause interdisant les animaux par les 15 autres locataires de l’immeuble.

[22]     Une défense de zoothérapie ne pourra pas être retenue en l'absence d'une preuve médicale plus précise et en l’absence d’une preuve que le petit chien a reçu un entraînement en ce sens. Mais le Tribunal retient néanmoins que le petit chien apporte à la conjointe du locataire un bien-être qui l'aide à gérer sa dépression.

[23]     Le juge Gabriel de Pokomandy écrivait dans l'affaire Office municipal d'habitation c. Luce[2] :

« [62] Devant le non-respect de la clause du bail interdisant la présence d'animaux dans le logement, il est maintenant bien établi que le locateur a le choix de demander la résiliation du bail et l'éviction du locataire, ou encore demander purement et simplement l'exécution en nature de l'obligation de son locataire et une ordonnance lui intimant de se débarrasser de son animal.

[63] Dans le premier cas, le locateur doit prouver non seulement qu'il y a inexécution de l'obligation, mais que cette inexécution cause un préjudice sérieux (8).

[64] Ce n'est donc que si la preuve permet de conclure que le locateur subit un préjudice sérieux justifiant la résiliation du bail, par le fait de son locataire de posséder un animal en contravention d'une clause de celui-ci, qu'il y a lieu d'accorder sa résiliation. »

Référence : (8) Ducharme Léo, Précis de la preuve, 6e éd., Montréal, Éditions Wilson & Lafleur, 2005, à la page 435, par. 1075.

[24]     Puisqu'il n'y a eu aucune preuve de préjudice sérieux, il n'y a pas de motif de résiliation de bail ni d'ordonnance au locataire de se départir de son chien en vertu de l'article 1973 du Code civil du Québec :

« 1973. Lorsque l'une ou l'autre des parties demande la résiliation du bail, le tribunal peut l'accorder immédiatement ou ordonner au débiteur d'exécuter ses obligations dans le délai qu'il détermine, à moins qu'il ne s'agisse d'un retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer.

Si le débiteur ne se conforme pas à la décision du tribunal, celui-ci, à la demande du créancier, résilie le bail. »

[25]     Le Tribunal doit-il cependant ordonner au locataire de se conformer à la clause du bail et de se départir de son chien?

[26]     La position majoritairement adoptée par ce Tribunal par le passé suggérerait une réponse positive à cette question. Cependant, cette position évolue.

[27]     Dans l'affaire Tremblay c. Québec (Commission des affaires sociales)[3], la juge L'Heureux-Dubé écrivait :

« [40] L'être humain évolue et le droit, par conséquent, en fait autant ; ce qui fait que ce qui semblait être tout à fait raisonnable et parfaitement légal, à une certaine époque, devient parfois illégal et discutable, avec le passage du temps. Rappelons-nous qu'à une certaine époque, il était parfaitement acceptable et légal de conduire sa voiture en buvant une bière ; cela est tout à fait inadmissible et illégal aujourd'hui.

[41] Le droit est à sa façon une « branche de la philosophie » qui codifie une façon particulière de voir les choses, à une époque précise de l'histoire de l'humanité ; il est donc normal, raisonnable et sain qu'il y ait parfois, plus d'une façon de voir les choses et qu'un débat d'idées en découle. C'est d'ailleurs pour cela que le Législateur a, avec sagesse, laissé une discrétion au Tribunal.18 »

[28]     L'auteur Jean Turgeon a écrit un article intitulé : « la Régie du logement, l'interdiction d'un animal de compagnie et son expulsion sans préjudice sérieux : abus de droit ou droit d'abus ? »[4] dont la soussignée reproduira plusieurs extraits :

« Les fondements du droit québécois peuvent-ils justifier des ordonnances de la Régie du logement forçant des locataires à se départir de leur animal de compagnie en l'absence de tout problème causé par cette présence sous le seul prétexte qu'une clause du bail interdit les animaux?

....


Cependant, cette approche systématiquement défavorable à la présence d'animaux, qui fut d'abord adoptée sans discussion antérieurement à l'entrée en vigueur du Code civil du Québec et suivie par la suite, est de plus en plus adéquatement contestée par une nouvelle approche plus respectueuse des principes fondamentaux du droit québécois d'aujourd'hui. Ce nouveau courant rejette l'argument de la cohérence entre les décisions administratives pour refuser de suivre le courant défavorable :

Le premier courant jurisprudentiel, plus conservateur, est à l'effet que la clause restrictive doit être respectée à la lettre, étant donné qu'elle émane de la liberté contractuelle des parties que le tribunal doit faire respecter, sans se questionner.

Le second courant, plus récent, est à l'effet qu'une clause restrictive relativement à la présence d'animaux, en l'absence de preuve de préjudices sérieux faite par le locateur, peut être réduite ou même annulée par le tribunal, par le biais de l'article 1901 du Code civil du Québec, lorsqu'une défense sérieuse présentée par le locataire démontre au tribunal, d'une manière crédible et probable, que le locataire subirait, en tenant compte des circonstances particulières mises en preuve, un préjudice sérieux et déraisonnable par l'application de la clause restrictive.(17)

.....

L'abus de droit et la clause abusive ont en commun la manière excessive et déraisonnable allant à l'encontre de la bonne foi. Il faut aussi noter en matière de logement que l'article 1901 C.c.Q. donne une définition particulière de la clause abusive en énonçant que la clause « qui impose au locataire une obligation qui est, compte tenu des circonstances, déraisonnable » est abusive. La clause n'a donc pas besoin d'être excessive pour être abusive, mais simplement déraisonnable dans les circonstances... un auteur émet l'avis que des décisions relatives aux clauses prohibitives de garder des animaux dans des logements, ne les considèrent généralement pas abusives, mais qu'elles le deviennent quand on les applique à des personnes qui « ressentent un bienfait tout particulier de la présence d'un animal de compagnie. » (47)

...

Aussi, il peut falloir apprécier la clause dans le contexte de son application et les conséquences qui en découlent, car les circonstances peuvent influencer le caractère abusif de la clause(49) et faire en sorte qu'une clause qui ne semble pas abusive le devienne dans son application(50). Par exemple, même si on considère qu'une clause interdisant les animaux dans un bail de logement ne serait pas abusive en principe, son application peut le devenir si on en demande le respect contre une personne ressentant un bienfait particulier produit par la présence d'un animal de compagnie(51). Il faut, bien sûr, respecter le bien-être des autres occupants et ne pas leur causer préjudice, ce qui est la norme du bon sens(52). D'ailleurs, même en l'absence d'une clause prohibitive, un locataire ne peut avoir un animal qui cause un préjudice aux autres locataires ou aux autres occupants d'un immeuble.

....

Il faut que ce droit d'exiger le respect de la clause s'exerce de bonne foi(53), sans intention ou résultat de nuire au locataire et cela, selon la perspective d'une personne raisonnable. L'exercice déraisonnable des droits fait perdre toute légitimité à celui qui veut en forcer l'exécution et le tribunal doit dans ce cas refuser d'accueillir le recours.

.......

Des arguments relatifs à la validité de la clause deviennent non pertinents pour expulser l'animal sans préjudice sérieux lorsqu'il est question de l'exercice raisonnable des droits. Les arguments tels l'acceptation de la clause qui a été librement consentie, l'effet d'entraînement si on tolère la dérogation à la clause, la nécessité d'une saine gestion des lieux etc., ne sont pas pertinents pour déterminer si le locateur exerce ses droits de manière raisonnable sans intention, ou effet, de nuire aux droits du locataire. Pour écarter l'animal, le locateur doit nécessairement invoquer une violation des règles applicables au bail de logement comme le préjudice sérieux, le trouble de jouissance, la nuisance causant des troubles de voisinage etc., et il ne peut se contenter simplement de l'existence de la clause pour en demander l'exécution. »

Références : (17) Coop. D'habitation La Maisonnée c. Boutin, 2010 QCRDL44956; (47) B. MOORE, « les clauses abusives : 10 ans après », (2003) 63 R. du B. 59, p. 71.; (49) L'appréciation du caractère abusif peut se faire par l'examen intrinsèque de la clause pour voir si, par sa nature même, elle est excessive et déraisonnable. On peut aussi voir si la combinaison de cette clause avec les autres clauses du contrat ne crée pas les faits excessifs et déraisonnables : J-L Beaudoin, P-G Jobin et N. Vézina, Les Obligations, 6 éd.. par J.B. Jobin avec la collaboration de N. Vézina, Cowansville, Éditions Blais, 2005, no 115; (50)  V. Karim, Les obligations, 3e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2009, vol. 1, p. 667; (51) D. Lluelles et B. Moore, Droit des obligations, 2e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2012, No 1841; (52) Id. note 111; (53) Girard c. Savoie, 2010, QCRDL, 32932 (R.L.), par. 2.6.


[29]     Le Tribunal conclut donc que dans ce dossier, même si la clause interdisant les chiens n'est pas en soi excessive, son application en l'espèce serait déraisonnable et qu'en conformité des dispositions de l'article 1901 du Code civil du Québec, elle peut être réduite, puisque son application ferait subir au locataire un préjudice déraisonnable.

[30]     CONSIDÉRANT que la locatrice n'a pas fait la preuve d'un préjudice sérieux;

[31]     CONSIDÉRANT que la sanction de l'inexécution de l'obligation contractuelle n’est d’une part demandée et que d’autre part, elle serait déraisonnable dans les circonstances;

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[32]     REJETTE la demande.

 

 

 

 

 

 

 

 

Danielle Deland

 

Présence(s) :

la locatrice

le locataire

Date de l’audience : 

17 juillet 2024

 

 

 


 


[1]  Nadeau André et Ducharme Léo, Traité de droit civil du Québec, vol. 9, 1965, Montréal, Wilson & Lafleur, page 99.

[2]  2012 QCCQ 15422.

[3]  C.S. Joliette, 70505000903834.

[4]  Turgeon Jean, Revue du Barreau, tome 72, p. 302.

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