Droit de la famille — 162757 |
2016 QCCS 5517 |
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JL4437 |
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(Chambre familiale) |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
QUÉBEC |
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N° : |
200-04-025070-168 |
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DATE : |
Le 11 novembre 2016 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
MANON LAVOIE, j.c.s. |
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J... L... |
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Demandeur |
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c. |
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C... G... et M... D... |
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JUGEMENT |
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[1] La demande dont est saisi le Tribunal met en cause la filiation paternelle d’un enfant, X, né le [...] 2013, que se disputent deux hommes, soit J... L... (le demandeur), et l’un des défendeurs, M... D... (le défendeur). Par cette demande en contestation d’état, en reconnaissance de paternité et en droits d’accès, le demandeur cherche à démontrer l’absence de possession d’état du défendeur et à être déclaré le père de l’enfant. Deux tests d’ADN en date du 12 juin 2013 et du 18 juillet 2013 révèlent que le défendeur n’est pas le père biologique de l’enfant, et ce, selon une probabilité de 99,99 %.
[2] Toutefois, la mère, C... G... (Madame), la grand-mère maternelle, la grand-mère paternelle ainsi que le défendeur, dont le nom apparaît au certificat de naissance de l’enfant en tant que père, s’opposent à cette demande. Ils allèguent que l’enfant a une possession d’état conforme à son acte de naissance, ce qui empêche toute contestation de sa filiation.
[3] Enfin, si le Tribunal fait droit à cette demande, le demandeur réclame que le certificat de naissance de l’enfant soit modifié pour refléter sa filiation et également de procéder à une analyse afin d’établir définitivement sa filiation avec l’enfant.
LES FAITS
[4] Madame est en couple avec le défendeur, et ce, depuis 2011. Aujourd’hui encore, ils forment un couple.
[5] Toutefois, la preuve révèle que Madame a fréquenté le demandeur à l’été 2012 alors qu’elle effectuait un stage à [la Compagnie A], et ces derniers ont des relations sexuelles lors de la période de conception de l’enfant.
[6] Le [...] 2013 est né X, l’enfant dont la filiation est contestée.
[7] Le défendeur est présent lors de l’accouchement. D’ailleurs, à la naissance de l’enfant, la déclaration signée à l’hôpital tant par Madame que par le défendeur indique ce dernier comme étant le père de l’enfant[1]. De plus, c’est le défendeur qui est inscrit, à titre de père, au certificat de naissance[2]. Quant au choix du nom de famille de l’enfant, le défendeur souhaitant que celui-ci porte son nom, il est alors convenu entre les parties de donner le nom de famille D... à l’enfant.
[8] Toutefois, en mai 2013, le demandeur voit des photos d’un nouveau-né sur le compte Facebook de Madame. Surexcité, ce dernier la contacte afin de savoir s’il est le père de l’enfant. Il désire alors avoir une confirmation à cet effet et voir l’enfant. Toujours en mai, Madame accepte de faire effectuer un test d’ADN à son conjoint, en se gardant d’informer ce dernier sur les motifs réels de ce test, prétextant une vérification médicale.
[9] Le 12 juin 2013, Madame reçoit les résultats du test génétique : le défendeur n’est pas le père génétique du garçon. Elle informe immédiatement le demandeur de sa paternité, ce dernier insiste alors pour qu’elle avise son conjoint de la situation réelle quant à sa paternité biologique. Madame désire cependant obtenir du temps afin de trouver les mots pour lui en faire l’annonce. Elle se sent alors menacée par le demandeur, qui lui réitère que si elle ne le fait pas, il parlera lui-même avec le défendeur.
[10] Entretemps, Madame organise, toujours à l’insu de son conjoint, une rencontre entre le demandeur et l’enfant. C’est ainsi que le 16 juin 2013, le demandeur rencontre pour la première fois son fils X lors de la fête des Pères, chez la grand-mère maternelle. Lors de ce contact, Madame informe le demandeur qu’elle a donné le nom de famille de son conjoint à l’enfant.
[11] Finalement, le 22 juin 2013, Madame annonce au défendeur par message texte qu’il n’est pas le père biologique de l’enfant. Ce dernier réagit avec étonnement. Il publie un texte sur Facebook relatant que sa conjointe l’a trompée et qu’il n’est pas le père du garçon, annonce qu’il retirera quelques heures plus tard. Le même jour, il communique avec le demandeur afin de le féliciter sarcastiquement de sa paternité. Toutefois, en soirée, le défendeur contacte à nouveau le demandeur, s’étant alors positionné sur la situation et lui indique formellement qu’il est dans les faits le père de l’enfant et entend le demeurer. Le défendeur avise formellement le demandeur que s’il veut faire valoir ses droits de paternité, il doit entreprendre des procédures.
[12] Par la suite, afin de dissiper ses doutes, le défendeur prend l’initiative de faire effectuer un second test d’ADN. Le 18 juillet 2013, il est alors informé que les marqueurs montrent l’absence d’allèles en commun entre son fils et lui, ce qui tend à exclure un lien de parenté avec une probabilité supérieure à 99,99 %[3]. Ce résultat ne change rien à son attitude envers l’enfant. Bien qu’il sache qu’il n’est pas le père biologique, le défendeur continue à s’occuper de l’enfant comme s’il était le sien.
[13] Le 29 juillet 2013 ont lieu les derniers échanges entre Madame et le demandeur au cours desquels ce dernier revendique le droit de revoir son fils, par messages texte[4], ce qui lui est refusé.
[14] À la même période, un ami du demandeur, S... De..., intervient auprès de Madame afin qu’elle change d’avis et donne accès à l’enfant. Il ajoute que Madame lui fait part qu’elle est alors prise entre deux feux : soit elle donne accès au demandeur et perd son conjoint, soit elle refuse les accès et maintient la stabilité de son couple.
[15] Par la suite, le demandeur n’a jamais recontacté Madame, si ce n’est le [...] 2014, ou il écrit alors à Madame sur Facebook afin de souligner le premier anniversaire de l’enfant. En effet, ce n’est qu’en mars 2016 que le demandeur entreprend le recours dont est saisi le Tribunal. Il s’est alors écoulé 32 mois depuis la naissance de l’enfant.
[16] Lors de cette audition, Madame reconnaît que le demandeur est le père biologique de l’enfant. Cet aveu judiciaire de la mère constitue une preuve indéniable que le demandeur est le père biologique.
[17] Il est à noter également que les versions diffèrent quant à l’annonce de la grossesse et la connaissance de l’identité du père biologique. Pour sa part, le demandeur mentionne que Madame lui annonce qu’elle est enceinte de lui à l’automne 2012. À cette époque, il n’est pas intéressé à être en couple avec elle. Madame lui annonce alors qu’elle désire se faire avorter, procédure avec laquelle le demandeur est en désaccord. Il l’avise qu’il est prêt à prendre ses responsabilités face à l’enfant. Madame maintient toutefois sa décision. Le demandeur est alors fâché, et coupe les contacts avec cette dernière. Il n’a aucune nouvelle d’elle, si ce n’est le 6 janvier 2013, où Madame lui écrit un message texte lui faisant part qu’elle s’ennuie de lui, ainsi que le 5 mars 2013, lui indiquant qu’elle pense à lui et lui laissant entendre qu’elle ne voulait pas gâcher son avenir sachant qu’il est à l’université. Le demandeur interprète ce dernier message comme le fait que Madame a mis un terme à sa grossesse. Ce n’est ainsi qu’en mai 2013 qu’il apprend l’existence de l’enfant. Selon lui, Madame a toujours su qu’il en était le père biologique. Il soulève alors que la déclaration de paternité et la signature de l’acte de naissance ont été motivées par le dol de Madame, qui a omis délibérément de le déclarer à titre de père de son fils X.
[18] De son côté, Madame atteste plutôt qu’au moment de l’accouchement de son fils, elle croit sincèrement que le père de l’enfant est le défendeur. Ce n’est que trois jours après la naissance du garçon que les doutes s’installent lorsque le demandeur la contacte afin de s’enquérir auprès d’elle pour savoir s’il est le père de l’enfant. Face à l’insistance du demandeur, elle accepte de faire effectuer un test d’ADN à son conjoint. Elle se dit très étonnée du résultat du test génétique.
[19] Il s’agit donc de se demander si juridiquement, il y a lieu de déclarer que le conjoint de Madame n’est pas le père de l’enfant, mais bien que le demandeur l’est.
L’ANALYSE ET DÉCISION
[20]
L’article
[21]
À cet égard, l’article
« 524. La possession constante d’état s’établit par une réunion suffisante de faits qui indiquent les rapports de filiation entre l’enfant et les personnes dont on le dit issu. »
[22]
Le deuxième alinéa de l’article
[23] À ce sujet, la Cour d’appel dans l’arrêt Droit de la famille-1528 indique que lorsque l’acte de naissance et la possession d’état pointent dans la même direction, la filiation devient inattaquable, parfois au détriment de la réalité biologique et même dans les situations de possession dites involontaires, soit la possession fondée sur le mensonge quant à la paternité biologique.
[24]
L’article
[25]
La Cour d’appel, dans Droit de la famille-09358, rappelle que le
législateur a choisi de conférer à celui qui a une possession d’état conforme à
son acte de naissance une filiation qui ne peut être contestée d’aucune façon.
Il découle de ce choix que le titre accompagné de la possession d’état conforme
ne laisse aucune place pour la réalité biologique, advenant que l’on puisse
prouver à l’aide d’un test d’ADN que le nom du père inscrit sur l’acte de
naissance n’est pas celui du père biologique de l’enfant. Il a ainsi préféré la
stabilité des familles plutôt qu’à la réalité biologique. Pour illustrer ce
principe, la Cour d’appel prend l’exemple d’une mère abandonnée pendant sa
grossesse par le père biologique. Elle peut, par la suite, rencontrer un homme
avec lequel elle établit une relation amoureuse. Lors de la naissance de
l’enfant, les parties conviennent alors d’inscrire le nom de ce nouveau
conjoint comme étant le père de l’enfant et ce dernier se comporte par la suite
comme tel. Dans cette hypothèse, l’article
[26] Il ne saurait en être autrement dans le cas en l’espèce. Indépendamment de la réalité biologique, le défendeur accepte de jouer le rôle de père auprès de l’enfant.
[27]
De ce qui précède, une conclusion inéluctable se dégage quant à
l’interprétation du second aliéna de l’article
[28] Ce débat est alors juridique.
[29] Il est alors pertinent de rappeler les trois conditions devant être réunies pour conclure à une possession d’état constante puisque si une telle possession est conforme à l’acte de naissance, la filiation est alors inattaquable[6]. Cette possession d’état conforme s’établit par la présence de trois critères, soit :
¨ L’enfant porte le nom de celui à l’égard duquel la possession d’état est invoquée (Nomen);
¨ L’enfant a toujours été traité par ce prétendu parent comme s’il s’agissait du sien (Tractatus);
¨ L’enfant a toujours été considéré dans la société et dans la famille comme étant celui du prétendu parent (Fama).
[30] En plus, ces faits constitutifs doivent être établis depuis assez longtemps pour valoir une possession constante. En effet, la jurisprudence établit que la possession d’état doit remonter à la naissance de l’enfant et être constante, ininterrompue et d’une durée assez longue pour être significative[7]. Elle met un seuil variant entre 16 à 24 mois.
[31] Enfin, s’il y a une contradiction entre le Tractatus et le Fama, on ne peut pas conclure à une possession d’état. Par exemple, une personne n’étant pas le père biologique de l’enfant et qui n’est pas considéré comme tel par son entourage ne peut se prévaloir du titre de la possession d’état, et ce, même s’il prenait soin de l’enfant. Dans tous les cas, le fait d’être reconnu dans l’entourage comme étant le père ou la mère de l’enfant est nécessaire, car la preuve par possession d’état nécessite la présence d’un caractère public. De surcroit, cette preuve de possession d’état se fait par tout moyen[8]. Celui qui conteste a alors le fardeau de preuve par prépondérance.
[32] D’entrée de jeu, précisons que le nom du défendeur inscrit sur l’acte de naissance comme étant le père de l’enfant l’a été en toute connaissance de cause puisque ce dernier a été informé le 22 juin 2013 qu’il n’est pas le père biologique de l’enfant. Il a alors choisi de le demeurer. L’acte de naissance établit alors que le défendeur est le père de l’enfant. Cela étant, le nom de famille porté par l’enfant ne pose aucun problème puisque l’enfant porte le patronyme du défendeur. De plus, le demandeur ne nie pas que le défendeur ait traité l’enfant comme s’il s’agissait du sien.
[33] Les deux premières conditions nécessaires à la possession d’état sont donc remplies.
[34] Toutefois, le demandeur soutient que les faits mis en preuve ne démontrent pas une possession constante d’état conforme à cet acte de naissance. À ce titre, afin de se décharger de son fardeau de preuve, il soulève que dès le 22 juin 2013, plusieurs personnes sont informées de la situation. Selon lui, la possession d’état n’est pas perçue comme telle par la famille et l’entourage.
[35] Qu’en est-il alors du troisième critère, soit la renommée ou la réputation?
[36] En l’espèce, la preuve révèle que le défendeur a toujours agi comme étant le père de l’enfant, tant à la garderie qu’à ses activités parascolaires, tels les cours que l’enfant suit à l’École A.
[37] Toutefois, le 22 juin 2013, suite à l’annonce de Madame qu’il n’est pas le père génétique, le défendeur avise sa mère ainsi que son frère et sa sœur de la situation. Personne ne lui reparle de ce fait. Quant à Madame, elle a avisé uniquement sa mère. Elle ajoute qu’il n’était pas nécessaire que cela se sache, préférant attendre le déroulement des évènements. Suite à la réception des procédures, elle avise également le médecin de l’enfant afin de vérifier certaines dates.
[38] À ce sujet, notre cour rappelle que le fait que l’un des parents ait révélé à quelques personnes de l’entourage, sous le sceau du secret, que l’enfant n’est pas celui de l’autre, n’est pas de nature à faire disparaître la possession d’état lorsque ces révélations sont faites « de façon à ne pas déranger ou à ne pas remettre en question le scénario officiel » dans lequel ce parent jouait le rôle de père, car la possession d’état se fonde justement sur les faits et gestes de ceux qui se comportent comme des parents « au vu et au su de tous »[9].
[39] Certes, la famille rapprochée est au courant que le défendeur n’est pas le père génétique de l’enfant, mais ces derniers se sont toujours comportés comme si c’était le cas. Les grands-mères, Sy... C... et D... R..., agissent comme des grands-parents à l’égard de l’enfant. Leurs témoignages sont d’ailleurs éloquents quant à la place de leur petit-fils dans leur vie. Il est évident que chacun des membres de la famille immédiate qui sont au courant ont tous décidé de garder secret le fait que le défendeur n’est pas le père biologique, en se comportant comme s’il est le père de l’enfant.
[40] Quant à la famille élargie, personne n'est au courant de la situation. C’est un secret de famille. Aux yeux de tous, le défendeur est le père biologique du garçon.
[41] En ce qui a trait à la parution du 22 juin 2013 sur la page Facebook du défendeur dans laquelle il exprime son état d’âme eut regard au fait qu’il ne soit pas le père biologique, annonce qui ne fut affichée une seule journée, cela ne serait être suffisant pour lui faire perdre sa commune renommée. D’ailleurs, aujourd’hui, personne n’est même en mesure de déposer celle-ci, qui demeure introuvable par l’écoulement du temps. Cette parution ne saurait suffire à étayer la prétention selon laquelle il est de commune renommée que le défendeur n’est pas le père de l’enfant. Cette réalité de l’instantanéité des parutions sur Internet prend alors tout son sens, et ne saurait effacer plus de 32 mois de commune renommée.
[42] Quant à la période requise pour être en présence d’une possession d’état, la loi n’en prévoit pas, mais la jurisprudence établit la durée de cette possession entre 16 et 24 mois, qui se calcule à partir de la naissance de l’enfant jusqu’à l’introduction du recours. Dans le présent cas, la période de possession d’état jusqu’au dépôt des procédures, tel que mentionné, est de plus de 32 mois.
[43] En l’occurrence, bien que le demandeur ait acquis la conviction qu'il est le père biologique de l’enfant en juillet 2013, il a attendu jusqu’en mars 2016 pour en revendiquer l’état, et ce, bien que Madame et son conjoint lui aient indiqué clairement leur position. De plus, celui-ci n’était pas dans l’impossibilité d’agir.
[44] Le Tribunal estime donc que cette période de 32 mois est suffisante pour établir la constance de la possession d’état.
[45] Par conséquent, le Tribunal rejette la demande en contestation d’état du demandeur. Toutefois, vu les circonstances particulières de la présente affaire, le Tribunal reconnait qu’il y avait lieu de définir le lien de paternité du défendeur avec l’enfant, il convient donc de ne pas octroyer les frais de justice.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
[46] REJETTE la demande en contestation d’état du demandeur, J... L...;
[47] Sans frais de justice.
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__________________________________ MANON LAVOIE, j.c.s. |
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Me Mokthar Sallami |
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Héroux & Associés Procureur du demandeur |
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Me Annie Quimper |
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Poitras Quimper Avocats Procureure des défendeurs |
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Date d’audience : |
7 et 8 novembre 2016 |
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[1] Pièce D-2, Déclaration de naissance concernant l’enfant X.
[2] Pièce D-1, Certificat de naissance de l’enfant X.
[3] Pièce D-3, Résultats d’analyse génétique concernant l’enfant X.
[4] Pièce D-5, Dernier échange par texto du demandeur à Madame.
[5]
Droit de la famille-09358,
[6]
Droit de la famille-1528,
[7]
J.P. c. M.G.,
[8]
Articles
[9]
Droit de la famille-989,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.