Melikh c. Jodoin | 2024 QCTAL 17744 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Montréal | ||||||
| ||||||
No dossier : | 777342 31 20240322 G | No demande : | 4252856 | |||
|
| |||||
Date : | 31 mai 2024 | |||||
Devant la juge administrative : | Francine Jodoin | |||||
| ||||||
Nurdin Melikh |
| |||||
Locateur - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Frédérique Jodoin
Raymond Daigneault-Christopher |
| |||||
Locataires - Partie défenderesse | ||||||
| ||||||
D É C I S I O N
| ||||||
[1] Le locateur demande la résiliation du bail et l’expulsion des défendeurs et des autres occupants au motif de retard depuis plus de trois semaines dans le paiement du loyer et les retards fréquents. On demande, aussi, le recouvrement du loyer soit 780 $ et le loyer dû au moment de l’audience, l’exécution provisoire de la décision et les frais.
ANALYSE
[2] L’article
« 1971. Le locateur peut obtenir la résiliation du bail si le locataire est en retard de plus de trois semaines pour le paiement du loyer ou, encore, s'il en subit un préjudice sérieux, lorsque le locataire en retarde fréquemment le paiement. »
-LE NON-PAIEMENT DU LOYER
[3] Les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2023 au 30 juin 2024, au loyer mensuel de 810 $.
[4] Le codéfendeur Christopher Raymond-Daigneault habite avec la locataire, mais n’est pas signataire du bail.
[5] Il n’y a aucun lien de droit contractuel entre le locateur et ce dernier, la demande est rejetée à son égard.
[6] Lors de l’audience, tous les loyers sont payés.
[7] La locataire n’est pas en retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer et la résiliation du bail est justifiée en application de l’article
-LES RETARDS FRÉQUENTS
[8] Pour obtenir la résiliation du bail sur le deuxième motif invoqué, soit les retards fréquents, la loi exige la preuve de retards fréquents qui sont généralement démontrés par le caractère régulier et chronique des retards.
[9] La locataire admet avoir fréquemment retardé le paiement du loyer.
[10] La résiliation du bail étant une conséquence grave des retards fréquents dans le paiement du loyer, la loi exige la démonstration de l’existence d’un préjudice sérieux en lien avec les retards de paiement. Il n’y a aucune présomption à cet égard[1] et il ne peut évidemment s'agir de simples inconvénients résultant de la gestion d'un immeuble locatif.
[11] Bien que le Tribunal n'exige pas la preuve d'un péril financier, une réelle incapacité de rencontrer ses obligations financières ou une situation économique précaire, la preuve doit, à titre d'exemple, révéler, par une preuve probante, un alourdissement anormal de la gestion de l'immeuble, la multiplicité des démarches auprès du locataire ou du Tribunal, des coûts supplémentaires.
[12] Il faut, de surcroit, la preuve que les retards causent un préjudice sérieux.
[13] Le locateur a transmis une mise en demeure le 20 mars 2024 à ce sujet.
[14] Le 22 mars 2024, il introduisait son recours.
[15] Le loyer d’avril a été payé en deux fois et celui de mai le 1er du mois.
[16] Le locateur dépose une lettre de son institution financière datée du 2 février 2024 au sujet d’un retard dans le paiement du prêt hypothécaire qu’il attribue au retard de paiement de la locataire.
[17] Le locateur a aussi démontré un alourdissement anormal de la gestion de l’immeuble et des difficultés financières associées aux retards de paiement, ce qui cause un préjudice sérieux justifiant la résiliation du bail.
[18] De plus, dans une affaire récente, la Cour du Québec[2] précise :
« [57] La jurisprudence enseigne que le préjudice sérieux dont il est question ne se limite pas à une perte ou une menace pécuniaire. D’ailleurs, dans le contexte de l’application possible de l’article
[58] Le préjudice sérieux dont il est question peut être d’une nature autre que pécuniaire [20] : alourdissement anormal de la gestion de l'immeuble, multiplicité des démarches auprès du locataire ou du tribunal pour percevoir les loyers ou coûts supplémentaires [21];
soucis et tracas causés par l’entêtement du locataire à retenir son loyer, temps et énergie consacrés pour les vacations devant la Régie du logement, notes comptables et suivi des démarches effectuées [22] ;
démarches constantes et multipliées pour se faire payer, demandes répétées à la Régie du logement afin d'obtenir le paiement du loyer, gestion de trois décisions de la Régie du logement [23] ;
nombreux avis envoyés au locataire pour lui rappeler ses retards, remise u dossier à ses avocats pour récupérer le loyer dû et frais ainsi engagés [24] ;
multiplication des démarches pour obtenir les loyers dus et paiement de frais bancaires pour de nombreux chèques retournés [25] ;
impossibilité de disposer des sommes dues, procédures de recouvrement et pertes d’intérêts sur l’argent non reçu [26] ; » [Références omises] [Notre soulignement]
[19] Dans l’affaire Montréal (Office municipal d'habitation de) c. Nantel,
« [31] Sachant ce qu'un recours judiciaire implique comme préoccupation, inquiétude, préparation, déplacements, frais, etc…, on ne peut que conclure qu'une démarche judiciaire est un préjudice sérieux, à moins qu'on démontre qu'un locateur a abusé de ses recours, qu'il a entrepris ses recours avec une rapidité telle qu'il n'a pas tenté un règlement du problème. Ici, nous pouvons multiplier la démarche judiciaire par quatre. » [Notre soulignement]
[20] La locataire étant consciente de ses obligations et ayant pris l’engagement de se conformer dorénavant à son obligation, le Tribunal estime, qu’il y a lieu de substituer à la résiliation immédiate du bail, une ordonnance conformément à l’article
« 1973. Lorsque l'une ou l'autre des parties demande la résiliation du bail, le tribunal peut l'accorder immédiatement ou ordonner au débiteur d'exécuter ses obligations dans le délai qu'il détermine, à moins qu'il ne s'agisse d'un retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer.
Si le débiteur ne se conforme pas à la décision du tribunal, celui-ci, à la demande du créancier, résilie le bail. »
[Notre soulignement]
[21] L'auteur Me Pierre-Gabriel Jobin[4] mentionne ce qui suit :
« En matière de louage résidentiel, d'une part, une disposition expresse confère au tribunal le pouvoir discrétionnaire de refuser la résiliation demandée et d'ordonner plutôt l'exécution en nature de l'obligation violée; si, toutefois, le locataire, ensuite, persiste dans son défaut et que le locateur formule une seconde demande de résiliation, elle sera alors accordée automatiquement. Il s'agit d'une sorte d'ultimatum lancé au locataire. »
[Notre soulignement].
[22] La locataire doit, donc, réaliser qu’elle n’a d’autre choix que de se conformer à l’ordonnance ainsi rendue.
[23] On constate, par ailleurs, un certain flottement jurisprudentiel quant à la durée que doit comporter l'ordonnance émise. On peut, cependant, comprendre que celle-ci ne doit pas être illimitée dans le temps ni imprécise[5].
[24] La preuve soumise ne justifie pas l'exécution provisoire de la décision telle que prévu à l'article 82.1 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[6].
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[25] CONDAMNE la locataire à payer au locateur les frais de 112,50 $;
[26] ORDONNE à la locataire Frédérique Jodoin de payer le loyer le 1er jour de chaque mois à compter du 1er juillet 2024, ladite ordonnance étant effective jusqu’au 30 juin 2025;
[27] REJETTE la demande contre Christopher Raymond-Daigneault pour absence de lien de droit.
|
| ||
|
Francine Jodoin | ||
| |||
Présence(s) : | le locateur la locataire Frédérique Jodoin | ||
Date de l’audience : | 6 mai 2024 | ||
| |||
| |||
[1] Seth c. Sylvestre,
[2] Allaire c. Bourdeau,
[3] Voir également, Cohen c. F.D.L. Cie,
[4] Pierre-Gabriel Jobin,
[5] Marcellus c. Rosito,
[6] RLRQ c. R-8.1.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.