Groupe TVA inc. et Syndicat des employé(e)s de TVA, section locale 687, SCFP (grief syndical) |
2020 QCTA 178 |
TRIBUNAL D’ARBITRAGE
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
No de dépôt :
Date : 24 mars 2020
DEVANT L’ARBITRE : Me PIERRE-GEORGES ROY
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Groupe TVA inc.
Ci-après appelé « l’employeur »
et
Syndicat des employé(e)s de TVA, section locale 687, SCFP
Ci-après appelé « le syndicat »
Griefs no 19-18, 19-19 et 19-21
Nature du litige : Sous-contrats
Convention collective :
Pour l’employeur : Me Richard Lacoursière
Pour le syndicat : Me Marie-Christine Morin
Mandat : 19 février 2019
Dernières représentations écrites : 23 mars 2020
Décision : 24 mars 2020
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SENTENCE ARBITRALE INTÉRIMAIRE
GESTION DE L’INSTANCE
(Art.
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I- CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES
J’ai été mandaté par les parties pour décider du bien-fondé de griefs concernant des sous-contrats octroyés par l’employeur, qui seraient en contravention avec l’article 5 de la convention collective qui les lie. Ces griefs requièrent de l’employeur qu’il cesse d’accorder de tels contrats et conserve ainsi à son emploi ses salariés œuvrant dans la conception et le développement de plateformes numériques.
Des audiences concernant les questions de fond soulevées par ces griefs sont prévues les 25 mars et 26 mai 2020.
Le 20 février 2020, la partie syndicale a présenté une demande d’ordonnance de sauvegarde invoquant que les délais importants qu’implique le processus d’arbitrage risquaient de rendre caduc toute décision favorable à ses prétentions. Les circonstances pertinentes et les assises juridiques de la demande d’ordonnance ont été évoquées dans le texte de la requête. Me Morin a suggéré que cette demande devrait être discutée lors de la journée d’audience du 25 mars 2020, afin qu’une décision puisse être rendue rapidement et ainsi préserver les intérêts des salariés en cause.
Lors d’un entretien téléphonique en date du 5 mars 2020, l’employeur s’est opposé à une telle façon de faire, au motif qu’il serait plus approprié de procéder immédiatement sur le fond du dossier et ainsi permettre de trancher les griefs de façon définitive. Le risque pour les salariés encore en poste de perdre leur emploi ne serait pas imminent et la nécessité d’une ordonnance de sauvegarde ne s’impose donc pas.
J’ai à nouveau discuté de la demande syndicale lors d’une conférence téléphonique tenue avec les procureurs le 12 mars 2020. Ils ont alors réitéré ce qui sous-tend leurs positions respectives. J’ai alors rendu une décision qui encadrait ainsi la suite du déroulement de ce dossier :
[18] Dans un premier temps, je suis d’avis que l’exposé des faits, qui constitue le corps de la demande syndicale, attestée par la déclaration assermentée de François Boulais, peut servir de base à sa preuve. Me Morin pourra évidemment poser toutes questions pertinentes additionnelles et Me Lacoursière sera libre de contre-interroger M. Boulais, s’il le désire.
[19] La partie syndicale devra par ailleurs, au plus tard le 17 mars 2020, indiquer si d’autres témoins doivent être entendus afin d’établir ses prétentions. Le cas échéant, une courte déclaration assermentée provenant de cette personne devra être produite dans le même délai. Par ailleurs, tout document pertinent devra alors être déposé.
[20] L’employeur devra, de son côté, mentionner, au plus tard le 23 mars 2020, s’il a l’intention de faire entendre des témoins. Le cas échéant, un court résumé de leur témoignage, ainsi que toutes les pièces pertinentes, devront être communiqués à l’intérieur du même délai.
[21] Lorsque la preuve aura été présentée, les parties feront part de leur argumentation, accompagnée de la jurisprudence utile. Une décision sera alors rendue rapidement concernant la demande d’émission d’une ordonnance de sauvegarde.
II- DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS
Depuis que j’ai rendu cette décision, les conséquences liées à la pandémie de COVID-19 se sont accrues graduellement, de telle façon qu’il est maintenant presque impossible, ou à tout le moins inappropriée, d’envisager la tenue de séances d’arbitrage en présence des parties.
Le 19 mars 2020 je transmettais en conséquence aux procureurs un courriel qui indiquait ce qui suit :
Suite à la décision rendue le 12 mars dernier et considérant l'audience du 25 mars prochain au sujet de la demande d'ordonnance de sauvegarde présentée par le syndicat, je me permets la présente démarche, qui s'inscrit évidemment dans le contexte actuel particulier. Elle présume par ailleurs que les parties n'auront pas trouvé une solution alternative.
Je comprends que la preuve de la partie syndicale repose entièrement sur le témoignage de François Boulais et des documents déposés avec la demande. L'essentiel de son témoignage est d'ailleurs contenu dans le document qui détaille les prétentions du syndicat. L'employeur, de son côté, est tenu de faire part du nom de ses témoins et d'un résumé de leur témoignage au plus tard le 23 mars. Afin de tenter de fonctionner plus efficacement, et conformément aux pouvoirs qui me sont conférés par le Code canadien du travail, je propose que l'employeur produise, au plus tard le 30 mars 2020, une déclaration solennelle provenant de chacun de ses témoins, qui décrit les faits qui paraissent pertinents, accompagnée de tous les documents utiles.
À ce moment, nous pourrions tenir rapidement une conférence téléphonique afin de nous assurer du déroulement ordonné de la suite du processus. Vraisemblablement, je demanderais alors aux procureurs de présenter leur argumentation, par écrit, dans le cadre d'une conférence téléphonique ou par tout autre moyen approprié, dans des délais relativement courts. Les autorités pertinentes pourraient m'être transmises par voie électronique si elles ne sont pas trop nombreuses ou volumineuses, ou en version papier. La demande d'ordonnance de sauvegarde pourrait alors être prise en délibéré et une décision pourrait être rendue dans les meilleurs délais.
Je vous demande de me communiquer dès que possible tous commentaires à cet égard.
Après que Me Morin ait succinctement répondu être favorable à une telle approche, Me Lacoursière a fait état des considérations suivantes :
Suite à la décision intérimaire rendue le 12 mars 2020, l’employeur-intimé prend acte de la déclaration du syndicat-requérant à l’effet qu’il n’entend pas avoir recours à d’autres témoins que M. François Boulais pour établir ses prétentions au stade de la demande de sauvegarde. En ce qui concerne les pièces déposées au soutien des allégations, le syndicat-requérant a transmis le curriculum vitae de M. Boulais comme nouvelle pièce devant s’ajouter aux dix (10) documents déposés simultanément avec la demande originale du 21 février 2020.
Notre compréhension est donc à l’effet que la preuve syndicale est close; sujet par le syndicat-requérant d’administrer une contre preuve lorsque l’employeur-intimé aura complété sa preuve.
Sous toutes réserves de faire valoir tout argument de droit quant au rejet de la demande, l’employeur-intimé a l’intention de faire entendre les témoins suivants :
- M. Martin Dalpé, directeur principal ressources humaines et relations de travail. M. Dalpé témoignera en réponse aux faits allégués par le syndicat-requérant dans sa demande d’ordonnance de sauvegarde signifiée le 21 février 2020, sur les organigrammes de Québécor et Groupe TVA Inc., sur l’application de certains articles de la convention collective et sur l’inapplicabilité des conclusions recherchées par le syndicat-requérant.
- M. Alex Fournier, directeur technologies Groupe TVA Inc. M. Fournier témoignera sur certaines allégations de faits contenues à la déclaration assermentée de M. François Boulais.
- M. Guillaume Ber, directeur stratégie numérique télévision; NumériQ. M. Ber témoignera relativement au courriel expédié à M. François Boulais le 14 janvier 2020 et déposé comme pièce R-9.
Quant à votre courriel daté du 19 mars 2020 à 9h08, nous vous soumettons les commentaires suivants :
- Au moment où nous vous transmettons le présent courriel, le premier ministre du Québec vient d’annoncer la fermeture de toutes les entreprises non essentielles pour les trois prochaines semaines. Vous trouverez ci-joint un courriel reçu ce matin de Me Dominique Launay qui donne la situation actuelle de notre cliente Groupe TVA inc. quant à la disponibilité de ses représentants.
- Quant à votre courriel, nous avons la même compréhension relativement à la preuve syndicale administrée et nous demanderons à la partie syndicale de formellement déclarer sa preuve close afin que nous puissions encadrer les futures déclarations assermentées des témoins de l’employeur-intimé.
- La procédure proposée prive l’employeur-intimé de son droit de contre-interroger le témoin du requérant, mais compte tenu des circonstances exceptionnelles nous accepterons volontiers de procéder par voie de déclarations assermentées lorsque cela sera possible.
- Cependant, considérant la crise actuelle, les difficultés accrues qu’elle crée, la fermeture de notre cabinet, nous proposons d’attendre une période de deux semaines, soit jusqu’au lundi 6 avril 2020 afin de tenir alors une conférence téléphonique pour discuter des suites à donner au présent dossier. Cette demande est en ligne avec toutes les demandes formulées au Conseil canadien des relations industrielles, au Tribunal administratif du travail et autres. De plus, cette demande est rendue nécessaire par la situation d’urgence que vivent les entreprises du Québec et leurs employés.
Nous sommes tout à fait disposés à discuter de la présente situation avec les intervenants au présent au dossier et nous sommes convaincus que vous comprenez le caractère exceptionnel de la présente situation.
La procureure syndicale a réagi à ces propos en mentionnant que les parties discutaient de la façon de traiter la demande syndicale et qu’elles devraient être à même de discuter de la situation de façon plus certaine la semaine prochaine.
III- DÉCISION CONCERNANT LA SUITE DU DOSSIER
A- La mise en veilleuse du dossier pour quelques semaines
J'ai analysé avec attention les commentaires des procureurs concernant la suite des audiences dans le cadre de ce dossier.
Je conviens évidemment que la situation actuelle n’est pas propice à des interventions immédiates en regard de la demande d’ordonnance de sauvegarde présentée par le syndicat. Les conditions qui ont cours ne permettent en effet pas la tenue d’audiences formelles et rendent parfois difficiles les démarches de préparation qui requièrent la présence active des représentants des parties. C’est d’ailleurs le cas en l’espèce pour la partie patronale, comme l’explique Me Lacoursière dans son courriel. Il mentionne en effet que les employés de Groupe TVA inc. sont sollicités de façon significative par la crise actuelle et ne peuvent donc consacrer du temps à la préparation de ce dossier.
La suggestion du procureur patronal de reporter les discussions au sujet de la suite du dossier au 6 avril 2020, me paraît donc appropriée. Elle est d’ailleurs confortée par la démarche autonome des parties qui a cours en ce moment afin de déterminer la meilleure façon d’aborder la demande d’ordonnance de sauvegarde du syndicat.
L’audience prévue le 25 mars doit en conséquence être annulée et, à moins d’un avis contraire, des échanges afin de faire les constats appropriés auront lieu seulement à compter du 6 avril.
B- Les paramètres entourant le déroulement du dossier
Cela dit, une entente entre les parties au sujet de la demande d’une ordonnance de sauvegarde n’est pas garantie. Dans ce contexte, je crois que, conformément aux pouvoirs qui me sont conférés par le Code du travail, il m’incombe de chercher à déterminer des règles permettant un déroulement ordonné du dossier. Il est donc pertinent que j’indique aux parties la manière dont la suite des discussions à ce sujet pourrait être encadrée.
Puisque la demande d’ordonnance dont je suis encore saisi est d’une nature qui impose une intervention rapide, et que la tenue d’audiences formelles au mois de mai prochain n’est pas encore acquise, il importe que le dossier puisse continuer à cheminer dans toutes circonstances, et en particulier si la période de confinement perdure. Je me permets en conséquence d’évoquer des éléments qui pourraient structurer les discussions à venir dans le cadre de ce dossier, si aucune entente n’intervient entre les parties.
Les règles usuelles dictent normalement que la preuve soit faite par le témoignage de tous les témoins utiles en présence des parties. Il importe d’entrée de jeu de souligner que je comprends les préoccupations fréquentes des parties lorsqu’elles sont confrontées à des situations qui les empêchent d’agir ainsi. Il est en effet légitime qu’elles désirent pouvoir procéder à des contre-interrogatoires afin de s’assurer de l’exactitude des propos de tous les témoins. Toutefois, afin de concilier les intérêts de tous, et dans le contexte décrit précédemment, je suis d’avis qu’il faut explorer des modes alternatifs de présentation de la preuve et de l’argumentation.
Cela impose généralement, selon moi, deux étapes. Dans un premier temps, les parties peuvent être appelée à préparer des résumés du témoignage de toutes les personnes qu’elles désirent faire entendre dans le cadre de la demande d’ordonnance de sauvegarde et qu’elles ont déjà identifiées comme témoins. Ce document devrait prendre la forme d’une déclaration solennelle émanant de la personne concernée. Dans le contexte déjà décrit, il n’est toutefois pas requis que ces documents soient l’objet d’une assermentation formelle. Je crois qu’il est suffisant que les procureurs déclarent, sous leur serment d’office, que les personnes concernées leur ont affirmé avoir pris connaissance du document et qu’elles reconnaissent qu’il représente fidèlement leur version des faits.
Je me permets de souligner que les moyens technologiques dont nous disposons tous dorénavant permettent généralement de procéder à un tel exercice sans que cela représente des difficultés considérables.
Les déclarations ainsi produites constitueraient alors le témoignage de ces personnes aux fins de l’audience. Au moment de leur réception, les procureurs devraient indiquer rapidement si le contre-interrogatoire de ces témoins est nécessaire. Le cas échéant, ils devraient indiquer, au moins de façon générale, les parties de chaque déclaration assermentée qui font l’objet de questionnements.
S’il est nécessaire que des témoins soient ainsi contre-interrogés, ils pourraient l’être dans le cadre d’une vidéoconférence, qui aurait lieu au moment approprié. Prenez note que le système de vidéoconférence Zoom permet la présence active de tous les intervenants et qu’il est par ailleurs facile à opérer et paraît offrir des garanties de fiabilité suffisantes pour nos fins. Je souligne également qu’il est possible d’enregistrer la vidéoconférence afin qu’elle puisse ensuite être visionnée par toutes les personnes intéressées.
Au terme de cet exercice, il serait possible d’envisager que les procureurs puissent présenter leur argumentation de la même façon, soit par voie de vidéoconférence.
Je m’attendrai donc, si une entente n’intervient pas entre les parties, à ce que les procureurs puissent faire état de leur position concernant l’utilisation de telles méthodes alternatives de traitement du dossier. Dans tous les cas, l’objectif visé est évidemment de ne pas retarder indûment le déroulement de la présentation de la demande d’émission d’une ordonnance de sauvegarde par le syndicat.
IV- CONCLUSIONS
Considérant le dépôt d’une demande d’émission d’une ordonnance de sauvegarde par la partie syndicale, la situation particulière qui prévaut à l’heure actuelle, les représentations des procureurs à ce sujet et après avoir sur le tout délibéré :
- J’ANNULE l’arbitrage prévu le 25 mars 2020;
- JE DÉCLARE qu’une conférence préparatoire aura lieu, si nécessaire, le 6 avril 2020 à 9h00, ou à tout autre moment convenu avec les procureurs, selon des modalités que je communiquerai aux parties dans les meilleurs délais, afin de traiter du cheminement de ce dossier en fonction, notamment, de paramètres tels ceux identifiés dans ma décision.
Me Pierre-Georges Roy, arbitre
Pour le syndicat : Me Marie-Christine Morin
Pour l’employeur : Me Richard Lacoursière
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.