R. c. Gagnon | 2024 QCCA 343 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
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N° : | |||||
(100-01-025753-233) (100-01-025757-234) | |||||
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DATE : | 26 mars 2024 | ||||
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SA MAJESTÉ LE ROI | |||||
APPELANT – poursuivant | |||||
c. | |||||
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NELSON GAGNON | |||||
INTIMÉ – accusé | |||||
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ARRÊT
RECTIFICATIF | |||||
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[1] Par inadvertance, une erreur d’écriture s’est glissée dans le paragraphe [1] de l’arrêt de la Cour du 19 mars 2024.
[2] En conséquence, la Cour CORRIGE le paragraphe [1] de l’arrêt du 19 mars 2024 en y remplaçant « 4 mois de probation » par « 24 mois de probation », afin qu’il se lise comme suit :
[1] L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 27 juillet 2023 par la Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, district de Rimouski (l’honorable Andrée St-Pierre), lequel condamne l’intimé à purger une peine d’emprisonnement totale de 18 mois avec sursis, suivie de 24 mois de probation, pour des infractions de harcèlement et de voies de fait commises aux dépens de sa conjointe durant la vie commune et de harcèlement à l’égard de cette dernière et de son nouveau conjoint 6 ans après la rupture[1].
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| STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A. | |
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| MICHEL BEAUPRÉ, J.C.A. | |
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| ÉRIC HARDY, J.C.A. | |
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Me Alex Turcotte | ||
DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMNELLES ET PÉNALES | ||
Pour l’appelant | ||
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Me Maryse Beaulieu | ||
BÉRUBÉ LAMBERT AVOCATES | ||
Pour l’intimé | ||
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Date d’audience : | 23 février 2024 | |
R. c. Gagnon | 2024 QCCA 343 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
| QUÉBEC | ||||
N° : | 200-10-700065-233 | ||||
(100-01-025753-233) (100-01-025757-234) | |||||
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DATE : | 19 mars 2024 | ||||
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FORMATION : | LES HONORABLES | STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A. MICHEL BEAUPRÉ, J.C.A. ÉRIC HARDY, J.C.A. | |||
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SA MAJESTÉ LE ROI | |||||
APPELANT – poursuivant | |||||
c. | |||||
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NELSON GAGNON | |||||
INTIMÉ – accusé | |||||
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ARRÊT RECTIFIÉ | |||||
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[1] L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 27 juillet 2023 par la Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, district de Rimouski (l’honorable Andrée St-Pierre), lequel condamne l’intimé à purger une peine d’emprisonnement totale de 18 mois avec sursis, suivie de 24 mois de probation, pour des infractions de harcèlement et de voies de fait commises aux dépens de sa conjointe durant la vie commune et de harcèlement à l’égard de cette dernière et de son nouveau conjoint 6 ans après la rupture[2].
[2] L’appelant propose essentiellement que la juge a commis des erreurs de principe, d’une part, en omettant d’apprécier correctement le risque que posait l’intimé pour la collectivité s’il devait bénéficier d’une peine avec sursis et, d’autre part, en concluant que l’imposition de cette dernière répond aux objectifs et principes de détermination de la peine. Ultimement, l’appelant soumet qu’une peine d’emprisonnement ferme s’imposait et demande à la Cour de déterminer celle qui est juste et appropriée dans les circonstances.
[3] La Cour conclut que la juge a commis des erreurs de principe ayant eu une incidence sur la peine. Cette dernière n’ayant pas été suspendue durant l’instance d’appel et l’intimé en ayant purgé les 8 premiers mois environ à la date de dépôt du présent arrêt, la Cour substitue aux 10 mois d’emprisonnement avec sursis restants une peine d’emprisonnement de 9 mois, de laquelle sont soustraits 3 mois de détention préventive, pour une peine totale d’emprisonnement ferme de 6 mois. Cette peine sera suivie de la période de probation de 24 mois telle qu’imposée par la juge, avec toutes ses conditions et autres ordonnances liées.
[4] Une brève revue du contexte sera d’abord utile à la compréhension de ce dispositif et des raisons qui le sous-tendent.
Le contexte
[5] L’intimé et la victime, J.M., ont fait vie commune durant une période de 16 ans, soit de 2001 à 2017. La rupture est survenue dans les circonstances dont il sera brièvement question ci-après. Le divorce est prononcé en 2018.
[6] Sur la culpabilité, l’intimé a, dans deux dossiers distincts :
- été déclaré coupable au terme d’un procès de voies de fait et de harcèlement à l’égard de J.M., en lien avec plusieurs événements survenus durant la vie commune (dossier 100-01-025757-234; « 234 »); et,
- plaidé coupable à des accusations de harcèlement à l’égard de J.M. et du conjoint de celle-ci, de possession d’une arme à feu sans détenir le permis requis et d’entreposage négligent d’une arme à feu, le tout entre le 26 et le 29 mai 2023 (dossier 100-01-025753-233; « 233 »).
[7] Dans son jugement sur la culpabilité rendu le 19 juillet 2023 dans le dossier 234[3], auquel elle réfère dans le jugement entrepris[4], la juge souligne au passage le manque de crédibilité et les contradictions de l’intimé[5] et retient le témoignage « clair et sincère »[6] de J.M. suivant lequel les insultes dégradantes (ex : « putain sale »), menaces et gestes violents ont été fréquents durant la vie commune. L’intimé lui a notamment donné un coup de poing au ventre alors qu’elle était enceinte de leur enfant, cassé des œufs sur la tête parce qu’elle refusait de lui faire à déjeuner, craché au visage, parfois avec de la nourriture dans la bouche, donné un coup de poing si fort au visage qu’elle en a perdu son piercing nasal, lancé des cigarettes allumées, dont une dans les cheveux, une tasse de café bouillant, l’a « harcelée en la traitant de nom et en lançant ses choses personnelles dehors » et a tenté de l’étrangler alors qu’elle se berçait; c’est l’intervention de leur fille mineure qui a mis fin à l’agression. J.M. quitte le même jour pour aller vivre chez sa mère[7]; elle assume dès lors la garde de l’enfant et l’intimé bénéficie de droits de visite[8].
[8] Quant au harcèlement à l’égard de J.M. et de son nouveau conjoint dans le dossier 233, survenu six ans après la rupture, la juge retient essentiellement ce qui suit :
L’accusé communique avec [J.M.] de qui il est séparé depuis deux-mille-dix-sept (2017) à plusieurs reprises en mai deux-mille-vingt-trois (2023).
Il le fait par textos et par téléphone. L’accusé est hors de lui et lui dit qu’il n’a pas peur de la Loi, que ce n’est pas ce qui va l’empêcher de faire ce qu’il a à faire, soit d’égrener la plaignante et son conjoint à coups de bat de baseball.
Il dit qu’il n’a rien à perdre, qu’il est prêt à tout, que la plaignante et son conjoint ne seront jamais tranquilles avec lui.[9]
[Soulignements ajoutés]
[9] C’est en lien avec la plainte relative à ces derniers évènements que, le 29 mai 2023, l’intimé est placé en état d’arrestation et qu’il remet volontairement aux autorités trois armes qu’il avait en sa possession, alors que son permis était expiré depuis près d’un an. Il entreposait ces armes sous un lit, sans autre précaution[10]. Il comparaît le 30 mai 2023 et demeure détenu jusqu’au prononcé de la sentence en litige le 27 juillet suivant.
[10] L’intimé n’a pas témoigné lors des observations sur la peine et aucun rapport pré-sentenciel n’a été requis par lui ou ordonné par la juge.
Le jugement entrepris
[11] Usant parfois de formulations douteuses, comme on le verra ci-après, la juge réfère d’abord, quant aux faits dans le dossier 234, à son jugement sur la culpabilité rendu une semaine plus tôt, puis résume le contexte pertinent au dossier 233.
[12] Elle reprend ensuite les suggestions des parties. L’appelant propose une peine de détention ferme de 18 mois, alors que l’intimé est d’avis qu’une peine de détention de 30 jours pour le harcèlement dans le dossier 233 est appropriée, avec une amende sur les chefs relatifs aux armes, et qu’une peine de 6 à 12 mois dans la collectivité dans le dossier 234 répondrait aux principes de détermination de la peine.
[13] La juge retient ensuite les facteurs aggravants suivants :
- (i) la longue période durant laquelle le harcèlement a été commis, soit « tout au long de la vie commune »[11];
- (ii) la période de huit ans en ce qui concerne la violence physique, « ce qui n’est pas négligeable […] On ne peut certes pas parler de gestes isolés »[12];
- (iii) que les évènements sont survenus dans un contexte de violence conjugale et postconjugale, ce qui constitue une circonstance aggravante selon la loi[13];
- (iv) que l’intimé a un antécédent judiciaire en semblable matière à l’égard d’une précédente conjointe, pour lequel il s’était vu imposer une amende de 500 $ et 24 mois de probation, qu’il « n’a pas compris qu’on ne peut se comporter comme on le souhaite à l’égard d’une partenaire intime. L’accusé n’a pas compris l’importance du respect »[14];
- (v) que l’intimé « ne semble avoir aucune introspection à l’égard de ses comportements et même s’il reconnaît sa culpabilité […] pour les événements survenus en mai deux-mille-vingt-trois (2023) le Tribunal ne peut conclure qu’il comprend comment il doit se comporter dorénavant »[15];
- (vi) que les gestes posés par l’intimé sont « sérieux, dégradants, portent atteinte à l’intégrité de la plaignante », qu’ils ont des « conséquences psychologiques importantes pour la plaignante » qui « vit encore aujourd’hui des conséquences des gestes posés par l’accusé. Elle est encore très affectée par ses comportements, par ses propos »[16].
[14] Quant à la gravité subjective des infractions, la juge la qualifie ainsi :
Sans minimiser l’ampleur des gestes posés par l’accusé, le Tribunal doit reconnaître qu’il s’agit de gestes dont la subjectivité n’est ni très légère, ni très importante.
[…]
L’étrangler et lui donner un coup de poing dans le ventre, alors qu’elle est enceinte, sont des comportements plus sérieux que, par exemple, la pousser, mais sont d’une gravité moindre que, par exemple, la ruer à coups de poings.
C’est pour cette raison que le Tribunal considère que les gestes sont d’une gravité subjective moyenne. Les gestes ont cependant des conséquences psychologiques importantes pour la plaignante, élément qui n’est pas à négliger pour le Tribunal.
[…]
Le Tribunal a parlé de la période pendant laquelle les gestes se sont déroulés. Le Tribunal doit donc, doit ici cependant faire une précision à l’effet que les gestes n’étaient pas posés de façon continue pendant toutes ces années-là.
[…]
Mais le Tribunal réitère que la preuve n’est pas à l’effet que l’accusé s’est livré à des comportements inadéquats sur la plaignante de façon hebdomadaire ou même mensuelle.[17]
[Soulignements ajoutés]
[15] En ce qui concerne la gravité objective, la juge note que le harcèlement est punissable d’une peine maximale de 10 ans d’emprisonnement et les voies de fait, d’une peine maximale de 5 ans; la gravité est donc « médiane », ajoute-t-elle[18].
[16] La juge ne retient par ailleurs « aucun facteur atténuant »[19].
[17] Elle passe ensuite aux critères de la peine avec sursis prévus à l’article 742.1 C.cr. Sur le premier critère, elle note qu’aucune peine minimale n’est prévue pour les infractions de voies de fait et de harcèlement[20]. Sur le second, elle annonce qu’elle entend infliger à l’intimé une peine de moins de deux ans[21]. Sur le troisième critère, elle « considère que le fait que l’accusé purge sa peine au sein de la collectivité ne met pas en danger la sécurité de celle-ci » et s’en explique ainsi :
Le Tribunal ne veut pas minimiser les gestes reprochés à l’accusé, bien au contraire. Mais le Tribunal constate que ces gestes surviennent dans un contexte conjugal.[22]
[Soulignement ajouté]
[18] Finalement, sur le quatrième critère, qui consiste à déterminer si une peine d’emprisonnement avec sursis est conforme aux objectifs et principes de détermination de la peine, la juge mentionne être consciente qu’elle doit mettre un accent particulier sur la dénonciation et la dissuasion afin de dénoncer les crimes de violence conjugale[23]. Au bout du compte, elle conclut :
L’accusé est un homme de cinquante-trois (53) ans qui a un emploi stable depuis de nombreuses années, qui n’a pas de problèmes de consommation ou de drogue.
Le Tribunal n’a aucun élément lui permettant de croire qu’il ne se soumettra pas aux conditions qui lui sont imposées. Il n’a aucun antécédent de bris d’engagement, de bris de probation.
Les tribunaux reconnaissent qu’il doit y avoir une augmentation progressive des peines et le Tribunal constate que l’accusé n’a, à ce jour, été condamné à aucune peine de détention.
Imposer à l’accusé une peine de détention avec sursis à cette étape-ci augmente progressivement la peine qui lui avait été imposée antérieurement et sera certainement dissuasive.
Le Tribunal estime que l’emprisonnement avec sursis n’est pas inapproprié dans le présent dossier puisqu’il permettra malgré tout à l’accusé d’approfondir sa réflexion quant à ses comportements et de les modifier, tout en lui permettant de maintenir son activité sur le marché du travail.
Pour tenir compte du fait que la détention avec sursis est quand même moins sévère que la détention ferme, le Tribunal imposera à l’accusé une peine de détention totale de dix-huit (18) mois, soit de douze (12) mois pour les infractions [dans le dossier 234] et de six (6) mois consécutifs pour les infractions survenues [dans le dossier 233].[24]
[Soulignements ajoutés]
[19] À cette peine, la juge ajoute 24 mois de probation, le tout assujetti à de nombreuses conditions, dont l’assignation à résidence[25] durant les 6 premiers mois du sursis et un couvre-feu durant les 12 mois suivants.
Les questions en litige
[20] Lors de l’audience, l’appelant mentionne avec raison que la juge n’a pas erré sur le premier critère applicable à la peine avec sursis, soit qu’aucune peine minimale n’est prévue pour les infractions de voies de fait et de harcèlement. Il ajoute qu’elle n’a pas davantage erré sur le deuxième critère en déterminant qu’une peine de moins de 2 ans de détention était juste et appropriée dans les circonstances, lui-même ayant suggéré une peine de détention totale de 18 mois.
[21] Cela étant, dans son exposé, l’appelant formule trois questions en litige. La Cour conclut qu’il y a lieu de regrouper les deux premières et que les questions suivantes permettent de décider adéquatement de l’issue de l’appel :
- La juge a-t-elle commis une erreur de principe sur le troisième critère ayant eu une incidence sur la peine dans son appréciation du risque que l’intimé pouvait poser pour la collectivité s’il devait purger sa peine au sein de celle-ci?
- La juge a-t-elle commis une erreur de principe sur le quatrième critère ayant eu une incidence sur la peine en concluant qu’en l’espèce la peine avec sursis répond aux principes de détermination de la peine?
Analyse
[22] Il n’est pas contesté que les infractions reprochées à l’intimé n’étaient pas de celles prévues aux paragraphes 742.1c) et d) C.cr., pour lesquelles la peine avec sursis n’est pas possible. En conséquence, les extraits de l’article 742.1 C.cr. pertinents à notre propos sont les suivants :
742.1 Le tribunal peut ordonner à toute personne qui a été déclarée coupable d’une infraction de purger sa peine dans la collectivité afin que sa conduite puisse être surveillée — sous réserve des conditions qui lui sont imposées en application de l’article 742.3 —, si elle a été condamnée à un emprisonnement de moins de deux ans et si les conditions suivantes sont réunies :
a) le tribunal est convaincu que la mesure ne met pas en danger la sécurité de la collectivité et est conforme à l’objectif essentiel et aux principes énoncés aux articles 718 à 718.2;
b) aucune peine minimale d’emprisonnement n’est prévue pour l’infraction;
[…]
[Soulignements et caractère gras ajoutés] | 742.1 If a person is convicted of an offence and the court imposes a sentence of imprisonment of less than two years, the court may, for the purpose of supervising the offender’s behaviour in the community, order that the offender serve the sentence in the community, subject to the conditions imposed under section 742.3, if
(a) the court is satisfied that the service of the sentence in the community would not endanger the safety of the community and would be consistent with the fundamental purpose and principles of sentencing set out in sections 718 to 718.2;
(b) the offence is not an offence punishable by a minimum term of imprisonment;
[…]
[Underlinings and emphasis added] |
[23] Cela étant, la norme d’intervention applicable en matière de peine est élevée et bien connue. Une cour d’appel ne peut intervenir pour modifier une peine que si (1) le juge de la peine a commis une erreur de principe qui a eu une incidence sur la détermination de la peine ou (2) la peine n’est manifestement pas indiquée[26].
[24] Dans l’arrêt Friesen, la Cour suprême identifie parmi les erreurs de principe l’erreur de droit, l’omission de tenir compte d’un facteur pertinent ou encore la considération erronée d’un facteur aggravant ou atténuant. Elle ajoute que la manière dont le juge de la peine a soupesé ou mis en balance des facteurs peut constituer une erreur de principe seulement s’il a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon déraisonnable, en insistant trop sur un facteur ou en omettant d’accorder suffisamment d’importance à un autre[27]. Si le juge d’instance a commis une erreur de principe qui a eu une incidence sur la détermination de la peine, la Cour doit effectuer sa propre analyse pour fixer une peine juste, en appliquant de nouveau les principes de la détermination de la peine, sans faire preuve de déférence envers la peine existante même si celle‑ci se situe dans la fourchette applicable[28], mais en s’en remettant aux conclusions de fait du juge et aux facteurs aggravants et atténuants qu’il a relevés, pourvu qu’ils ne soient pas entachés d’une erreur de principe[29]. Par ailleurs, si une erreur de principe n’a eu aucun effet sur la peine, cela met un terme à l’analyse et l’intervention de la Cour ne se justifie que si la peine n’est manifestement pas indiquée[30].
[25] Cela dit quant aux principes, qu’en est-il de leur application en l’espèce?
- La juge a-t-elle commis une erreur de principe sur le troisième critère ayant eu une incidence sur la peine dans son appréciation du risque que l’intimé pouvait poser pour la collectivité s’il devait purger sa peine au sein de celle-ci?
[26] Dans l’arrêt Proulx[31], le juge en chef Lamer établit un cadre d’analyse permettant d’apprécier le danger que l’imposition d’une peine avec sursis peut poser pour la collectivité :
69. À mon avis, pour apprécier le risque que le délinquant poserait pour la collectivité s’il purgeait sa peine au sein de celle‑ci, deux facteurs doivent être pris en compte: (1) le risque que le délinquant récidive; (2) la gravité du préjudice susceptible de découler d’une récidive. Si le tribunal conclut que le risque de récidive est réel, le délinquant doit être incarcéré. Il est évident qu’il y a toujours un certain risque que le délinquant récidive. Si le tribunal estime que ce risque est minime, la gravité du préjudice susceptible de découler d’une récidive doit également être prise en considération. Dans certains cas, quoique le risque de récidive soit minime, la possibilité d’un préjudice considérable aura pour effet de faire obstacle au prononcé de l’emprisonnement avec sursis.
[Caractères gras et soulignements ajoutés]
[27] En l’espèce, la juge de première instance a commis deux erreurs de principe ayant eu une incidence sur la peine en omettant d’évaluer correctement le risque que l’imposition d’une peine avec sursis à l’intimé poserait pour la collectivité.
[28] Premièrement, la juge a limité de façon déraisonnable la portée de « la collectivité » concernée. Rappelons ses motifs succincts à ce sujet :
Le Tribunal ne veut pas minimiser les gestes reprochés à l’accusé, bien au contraire. Mais le Tribunal constate que ces gestes surviennent dans un contexte conjugal.[32]
[Soulignement ajouté]
[29] Quoi qu’en dise l’intimé, il n’y a pas autre chose à comprendre de ces motifs que parce qu’il a commis les voies de fait et le harcèlement à l’égard de sa conjointe « dans un contexte conjugal », la collectivité n’est pas concernée, ou l’est insuffisamment.
[30] Certes, la Cour est consciente de la lourdeur de la tâche des juges de la peine, du volume de dossiers dont ils ont à traiter et des circonstances dans lesquelles ils doivent rendre leurs jugements, souvent oralement et dans une forme qui ne participe pas de la perfection, ce qui, au demeurant, n’est pas leur obligation. La Cour est aussi consciente qu’il faut présumer que les juges de la peine comprennent les principes de droit applicables[33]. Mais ici le jugement sur la peine a été rendu une semaine après les observations et il y a des limites à inviter la Cour à lire entre les lignes pour trouver dans les motifs fort succincts de la juge une explication additionnelle, ou autre, qui n’en ressort tout simplement pas.
[31] Or, selon la jurisprudence, la sécurité de la collectivité ne concerne pas exclusivement la collectivité dans son ensemble, mais peut ne concerner qu’une seule personne. Les mots « ne met pas en danger la sécurité de [la collectivité] » au paragraphe 742.1a) C.cr. doivent être interprétés largement[34]. Il n’est pas nécessaire que le risque de danger affecte l’ensemble de la collectivité : « “the safety of the community” can include a small group, even one victim »[35] :
[64] […] It is not necessary that the risk of danger affect the whole community; it may affect any particular person or persons in it. The mere fact that an offender aims his misconduct at selected victims does not make the danger any less a community safety issue. Everyone is part of the larger community.[36]
[Soulignements ajoutés]
[32] Le jugement entrepris permet de constater que la juge n’a pas pris cette réalité en compte et qu’elle a ainsi dénaturé le test applicable. Cette omission a manifestement influé sur sa conclusion qu’une peine d’emprisonnement avec sursis était appropriée dans les circonstances.
[33] Deuxièmement, l’appelant a raison d’avancer que la juge a commis une autre erreur de principe dans l’analyse du troisième critère en n’évaluant pas le risque de récidive de l’intimé ou, à tout le moins, en omettant d’accorder suffisamment d’importance à un cumul d’éléments pertinents établis par la preuve.
[34] Le risque de récidive doit être évalué au cas par cas, selon les faits propres à chaque affaire[37]. Les facteurs suivants, développés dans le contexte de demandes de mise en liberté provisoire, sont utiles, quoique non exhaustifs :
1) la nature de l’infraction, 2) les circonstances pertinentes de celle‑ci, ce qui peut mettre en cause les événements antérieurs et postérieurs, 3) le degré de participation de l’inculpé, 4) la relation de l’inculpé avec la victime, 5) le profil de l’inculpé, c’est‑à‑dire son occupation, son mode de vie, ses antécédents judiciaires, son milieu familial, son état mental, 6) sa conduite postérieurement à la commission de l’infraction, […].[38]
[35] Or, comme on l’a vu, les motifs de la juge concernant le troisième critère ne contiennent rien sur le risque de récidive proprement dit, contrairement au cadre d’analyse établi par le juge en chef Lamer dans l’arrêt Proulx[39]. Si, par ailleurs, comme il se doit, on considère globalement le jugement entrepris, d’aucuns pourraient penser à la rigueur que la juge traite de ce risque lorsqu’elle conclut ce qui suit dans deux extraits non consécutifs de son jugement concernant les objectifs de dénonciation et de dissuasion :
L’accusé […] n’a pas de problèmes de consommation ou de drogue.
Le Tribunal n’a aucun élément lui permettant de croire qu’il ne se soumettra pas aux conditions qui sont imposées. Il n’a aucun antécédent de bris d’engagement, de bris de probation.
[…]
Le Tribunal estime que l’emprisonnement avec sursis n’est pas inapproprié dans le présent dossier puisqu’il permettra malgré tout à l’accusé d’approfondir sa réflexion quant à ses comportements et de les modifier, tout en lui permettant de maintenir son activité sur le marché du travail.
[36] Mais même si l’on devait considérer qu’il s’agit là de facteurs que la juge a pris en compte pour évaluer le risque de récidive de l’intimé, ce que la Cour ne conclut pas, ils ne contrebalanceraient aucunement les facteurs défavorables et déterminants suivants :
- les infractions dont l’intimé a été déclaré coupable se sont déroulés sur une période de plusieurs années;
- l’intimé a un antécédent en matière de violence conjugale à l’endroit d’une précédente conjointe et, malgré qu’il se soit alors vu imposer une amende et deux années de probation, la juge conclut qu’il « n’a pas compris qu’on ne peut se comporter comme on le souhaite à l’égard d’une partenaire intime » et qu’il « n’a pas compris l’importance du respect »;
- l’intimé a été trouvé coupable de harcèlement à l’égard de son ex-conjointe et du nouveau conjoint de cette dernière pour une conduite répétée durant trois jours en mai 2023, le tout six ans après la rupture;
- la juge retient qu’à cette occasion, l’intimé a affirmé à son ex-conjointe et au conjoint de cette dernière qu’il n’a pas peur de la loi, que ce n’est pas ce qui va l’empêcher de faire ce qu’il a à faire, qu’il va les égrener à coups de bâton de baseball, qu’il n’a rien à perdre, qu’il est prêt à tout et qu’ils ne seront jamais tranquilles avec lui[40];
- la juge conclut qu’il « ne semble avoir aucune introspection à l’égard de ses comportements » constitutifs du harcèlement commis entre le 26 et le 29 mai 2023;
- l’intimé est demeuré détenu durant son procès;
- la juge ne bénéficiait d’aucun rapport présentenciel, lequel aurait pu se prononcer notamment sur le risque de récidive de l’intimé, ou faire état de ses remords ou de démarches de consultation.
[37] L’omission de la juge de considérer ces éléments pertinents ou de leur donner l’importance qu’ils revêtent constitue donc aussi une erreur de principe qui, faut-il le dire, ne peut s’expliquer que par l’omission pure et simple d’analyser adéquatement le risque de récidive en soi au regard de l’ensemble de la preuve. Cette conclusion est d’autant plus supportée que le jugement entrepris ne comporte non plus aucune analyse de la gravité du préjudice susceptible de découler d’une récidive, à supposer que la juge aurait conclu à un risque de récidive même minime[41].
[38] En somme, ces erreurs de principe ont manifestement eu une incidence sur la détermination de la peine et justifient l’intervention de la Cour.
- La juge a-t-elle commis une erreur de droit ou de principe sur le quatrième critère ayant eu une incidence sur la peine en concluant qu’en l’espèce la peine avec sursis répond aux principes de détermination de la peine?
[39] Compte tenu de la réponse de la Cour à la question précédente, il n’est pas nécessaire de trancher celle-ci afin de justifier davantage son intervention.
- En cas de réponse positive à l’une ou l’autre de ces deux questions, quelle devrait être la peine juste et appropriée compte tenu des principes applicables et de l’ensemble des circonstances?
[40] Lors de l’audience aucune des parties ne conteste la peine quantitative de 18 mois d’emprisonnement imposée par la juge. En appel, leurs positions divergent quant à la façon dont cette peine doit être purgée : en détention selon l’appelant, dans la collectivité selon l’intimé, tel qu’en a décidé la juge.
[41] Parmi les objectifs et principes de détermination de la peine prévus aux articles 718 à 718.201 C.cr., mentionnons les suivants :
Objectifs — infraction à l’égard d’une personne vulnérable
718.04 Le tribunal qui impose une peine pour une infraction qui constitue un mauvais traitement à l’égard d’une personne vulnérable en raison de sa situation personnelle, notamment en raison du fait qu’elle est une personne autochtone de sexe féminin, accorde une attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion de l’agissement à l’origine de l’infraction.
Principe fondamental
718.1 La peine est proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant.
Principes de détermination de la peine
718.2 Le tribunal détermine la peine à infliger compte tenu également des principes suivants :
a) la peine devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du délinquant; sont notamment considérées comme des circonstances aggravantes des éléments de preuve établissant :
[…]
(ii) que l’infraction perpétrée par le délinquant constitue un mauvais traitement soit de son partenaire intime soit d’un membre de la famille de la victime ou du délinquant,
[…]
b) l’harmonisation des peines, c’est-à-dire l’infliction de peines semblables à celles infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables;
c) l’obligation d’éviter l’excès de nature ou de durée dans l’infliction de peines consécutives;
d) l’obligation, avant d’envisager la privation de liberté, d’examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient;
[…]
Considération additionnelle — vulnérabilité accrue
718.201 Le tribunal qui impose une peine pour une infraction qui constitue un mauvais traitement à l’égard d’un partenaire intime prend en considération la vulnérabilité accrue des victimes de sexe féminin, en accordant une attention particulière à la situation des victimes autochtones de sexe féminin.
[Soulignements ajoutés] | Objectives — offence against vulnerable person
718.04 When a court imposes a sentence for an offence that involved the abuse of a person who is vulnerable because of personal circumstances — including because the person is Aboriginal and female — the court shall give primary consideration to the objectives of denunciation and deterrence of the conduct that forms the basis of the offence.
Fundamental principle
718.1 A sentence must be proportionate to the gravity of the offence and the degree of responsibility of the offender.
Other sentencing principles
718.2 A court that imposes a sentence shall also take into consideration the following principles:
(a) a sentence should be increased or reduced to account for any relevant aggravating or mitigating circumstances relating to the offence or the offender, and, without limiting the generality of the foregoing,
[…]
(ii) evidence that the offender, in committing the offence, abused the offender’s intimate partner or a member of the victim or the offender’s family,
[…]
(b) a sentence should be similar to sentences imposed on similar offenders for similar offences committed in similar circumstances;
(c) where consecutive sentences are imposed, the combined sentence should not be unduly long or harsh;
(d) an offender should not be deprived of liberty, if less restrictive sanctions may be appropriate in the circumstances; and
[…]
Additional consideration — increased vulnerability
718.201 A court that imposes a sentence in respect of an offence that involved the abuse of an intimate partner shall consider the increased vulnerability of female persons who are victims, giving particular attention to the circumstances of Aboriginal female victims.
[Underlinings added] |
[42] Par ailleurs, dans l’arrêt Lacasse[42], la Cour suprême rappelait l’importance et les contours du principe de proportionnalité dans l’exercice de détermination de la peine :
[12] […], la proportionnalité demeure le principe cardinal qui doit guider l’examen par une cour d’appel de la justesse de la peine infligée à un délinquant. Plus le crime commis et ses conséquences sont graves, ou plus le degré de responsabilité du délinquant est élevé, plus la peine sera lourde. En d’autres mots, la sévérité de la peine ne dépend pas seulement de la gravité des conséquences du crime, mais également de la culpabilité morale du délinquant. […], tant les peines trop clémentes que les peines trop sévères peuvent miner la confiance du public dans l’administration de la justice. […]
[Soulignement ajouté]
[43] Cela étant, la Cour conclut qu’une peine d’emprisonnement de six mois ferme à compter du moment où l’intimé se livrera aux autorités carcérales selon les conclusions du présent arrêt est juste et appropriée dans les circonstances. Voici pourquoi.
[44] D’abord, la Cour ne remet pas en question les conclusions de la juge concernant les facteurs aggravants précités, son appréciation à ce sujet ne révélant aucune erreur de droit ou de principe. La commission des voies de fait consistant en la tentative d’étranglement en présence de l’enfant mineur des parties constitue par ailleurs un facteur aggravant additionnel[43].
[45] Quant aux facteurs atténuants, il n’y a pas lieu non plus de remettre leur absence en question, tel qu’en a conclu la juge.
[46] La gravité objective moyenne des crimes de voies de fait et de harcèlement est reflétée par les peines maximales d’emprisonnement de 5 ans et de 10 ans respectivement prévues par le législateur[44].
[47] Concernant la gravité subjective et le degré de culpabilité morale de l’intimé, une mise au point s’impose compte tenu de l’erreur de principe qu’a commise la juge en la qualifiant de « ni très légère, ni très importante », puis de « moyenne », et ce, indistinctement en regard de chacun des gestes infractionnels de l’intimé.
[48] Le degré de culpabilité morale de l’intimé en lien avec les voies de fait, incluant celles consistant à avoir porté un coup de poing au ventre de la victime durant sa grossesse et d’avoir tenté de l’étrangler alors qu’elle se berçait, est élevé, notamment parce qu’elles sont survenues durant une longue période ponctuée d’autres gestes de violence physique et dont la preuve a établi, selon la juge, qu’« [o]n ne peut certes pas parler de gestes isolés »[45]. Il doit être clair, et les délinquants concernés doivent le comprendre, que frapper violemment et sciemment une conjointe enceinte, au ventre au surplus, dans la foulée d’autres gestes de violence physique posés au long cours, entraîne le degré de gravité subjective du crime et la culpabilité morale de son auteur au niveau supérieur.
[49] Dans la même veine, la Cour doit prendre en compte, selon l’intention législative, les circonstances aggravantes découlant d’un crime commis dans un contexte de violence conjugale et/ou post-conjugale[46] et l’importance des objectifs de dissuasion et de dénonciation en la matière[47], jointe aux considérations additionnelles associées à la vulnérabilité des victimes de violence conjugale de sexe féminin[48].
[50] Non seulement les objectifs de dénonciation et de dissuasion doivent recevoir l’importance qui leur est due, y compris quant au crime de harcèlement, mais une infraction commise aux dépens d’un.e conjoint.e puis/ou ex-conjoint.e constitue au surplus des circonstances aggravantes. Ces considérations revêtent par ailleurs une importance particulière lorsque des voies de fait sont commises aux dépens d’une femme enceinte et d’autant plus vulnérable, ce qu’ont déjà souligné la Cour, d’autres cours d’appel au pays et les tribunaux d’instance québécois[49].
[51] Cela étant, dans son opinion majoritaire dans l’arrêt R. c. L.P.[50], le juge Ruel, non contredit en cela par la juge dissidente, commente ainsi les objectifs de détermination de la peine énoncés aux articles 718.04 et 718.201 :
[76] In 2019, sections 718.04 and 718.201 were added to the sentencing provisions of the Criminal Code to further emphasize the need to give proper consideration and weight to the increased vulnerability of female victims in cases of abuse, with particular attention to the circumstances of Indigenous female victims.
[Soulignement ajouté]
[52] Par ailleurs, dans le récent arrêt Mignault[51], la Cour réitère l’importance accrue des objectifs de dénonciation et de dissuasion en matière de violence conjugale :
[83] Il est par ailleurs opportun de réitérer qu’en matière de violence conjugale, incluant dans le cas d’ex-conjoints, les objectifs de dénonciation et de dissuasion revêtent une importance accrue, conformément à l’intention exprimée par le législateur. La Cour l’a fréquemment souligné au cours des dernières années, de même que d’autres cours d’appel au pays ainsi que la doctrine. Ces objectifs sont importants au point où même lorsque le délinquant démontre des signes encourageants de réhabilitation, cela doit faire l’objet d’une démonstration particulièrement convaincante (…). Par exemple, l’objectif de réhabilitation doit certes être considéré, mais il ne doit pas avoir préséance sur celui de dénonciation et de dissuasion associé à la violence conjugale.[52]
[Soulignements ajoutés]
[53] Dans le même arrêt, la Cour ajoute ce qui suit concernant le crime de harcèlement commis aux dépens d’une conjointe ou ex-conjointe ou d’autres personnes de son entourage immédiat :
[90] […], en matière de harcèlement criminel, il est bien établi que les objectifs de dénonciation et de dissuasion méritent une attention particulière, à plus forte raison dans un contexte de violence conjugale. À ce sujet, je fais miens, avec les adaptations qui s’imposent, les propos suivants de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Finnessey, citant avec approbation ceux des juges Moldaver et Feldman dans Bates :
Domestic violence and harassment cases most often involve conduct directed by a male spouse or partner against a woman. Yet offenders who feel empowered to harass a partner or former partner with impunity will not necessarily confine their behaviour to that person, but may also harass and terrorize her friends and family members. […]
[…]
The number of recent cases continuing to reach this court emphasizes the extent of the problem with criminal harassment and the need for sentencing courts to respond to this type of offence in the most forceful and effective terms, sending the message of denunciation and general deterrence to the community and specific deterrence to individual offenders.
[Soulignements ajoutés; renvois omis]
[54] Enfin, comme le soulignait la Cour dans l’arrêt Tiberghien concernant le harcèlement d’un ex-conjoint :
[5] Dans les cas de violence conjugale et de harcèlement d'un ou d'une ex-conjointe, il est important de rappeler que les conjoints ont le droit de mettre fin à une relation sans craindre pour leur sécurité et leur paix d'esprit. La loi se doit de les protéger. […]
[Soulignement ajouté; renvoi omis]
[55] Quant aux fourchettes de peines, dans le récent arrêt Migneault, une affaire de violence conjugale où le harcèlement s’était étalé de façon soutenue sur une période d’environ 15 mois post-rupture, la Cour a résumé ainsi les paramètres de la fourchette applicable, étant entendu que les fourchettes ne sont que des « repères », les circonstances particulières de l’affaire, les facteurs pertinents et les principes de détermination de la peine devant primer[53] :
[91] La consultation de la jurisprudence en matière de harcèlement criminel permet par ailleurs de constater que les peines varient grandement. L’auteur Ruby précise que si une période de détention de moins de six mois paraît être une peine typique pour le délinquant qui n’a aucun casier judiciaire, « [t]he middle range of sentence for criminal harassment is between six months and two years ». La Cour, dans l’arrêt El Hami c. R., réfère avec approbation aux fourchettes de peines recensées par Ruby, ajoutant que la jurisprudence démontre une variation à la hausse selon la durée du harcèlement et la persistance du comportement malgré les avertissements. Les auteurs Parent et Desrosiers relèvent aussi la grande variabilité des peines imposées, que les peines de plus courte durée vont de l’absolution conditionnelle jusqu’à 12 mois de prison et que les peines de 9 mois sont parmi les plus fréquentes.
[Soulignements ajoutés; renvois omis]
[56] En ce qui concerne le crime de voies de fait simples poursuivi par mise en accusation, selon les auteurs, les peines pour les crimes comportant un mélange de facteurs aggravants et atténuants (ex : jeune âge de l’accusé, acte isolé, plaidoyer de culpabilité, reconnaissance des torts, etc.), ce qui n’est pas le cas en l’espèce, oscillent entre l’absolution conditionnelle et l’emprisonnement sans sursis de 3 à 10 mois environ[54]. Lorsque le crime est commis par un délinquant présentant un haut degré de culpabilité morale et est marqué de plusieurs facteurs aggravants (ex : longue période d’actes infractionnels, violence conjugale, antécédents en semblable matière, absence ou manque de conscientisation, etc.) non mitigés par le peu de facteurs atténuants, les peines vont de la sentence suspendue à l’emprisonnement ferme de 6 à 12 mois et plus[55].
[57] Les peines les plus lourdes, jusqu’à deux ans d’emprisonnement, sont observées par exemple dans le cas d’infractions commises sur une longue période, hebdomadairement, en l’absence de peu ou pas de circonstances atténuantes, et ayant causé des préjudices physiques importants à la victime[56].
[58] Enfin, dans R. c. Guerrero Silva[57], la Cour constate la grande variabilité des peines infligées en matière de violence conjugale, en tenant compte des diverses circonstances à considérer :
[94] La violence conjugale génère une jurisprudence abondante aux circonstances très variées, tant en ce qui a trait à la perpétration du crime qu’aux caractéristiques du délinquant. L’analyse de la jurisprudence en fonction de chaque crime pris individuellement offre une grande variété de réponses. Par conséquent, elle est d’une aide relative. […].
[59] Étant donné ce qui précède, la Cour estime d’abord qu’une peine d’emprisonnement totale de 18 mois, soit 12 mois pour les voies de fait et 9 mois concurrents pour le harcèlement criminel durant la vie commune dans le dossier 234 et 6 mois consécutifs dans le dossier 233 pour le harcèlement post-rupture, constitue une peine juste et appropriée au regard de l’ensemble des circonstances, des facteurs pertinents et des principes de détermination de la peine.
[60] Pour les motifs énoncés plus avant au soutien de la réponse positive à la première question en litige, la Cour conclut que le risque que l’intimé poserait pour la collectivité s’il purgeait sa peine au sein de celle‑ci, particulièrement en raison des éléments de preuve permettant de conclure au risque de récidive, écarte la possibilité de lui imposer cette peine avec sursis.
[61] Cela dit, actuellement l’intimé a toutefois purgé environ 8 mois de la peine de 18 mois avec sursis que la juge lui a imposée, incluant les 6 premiers mois d’assignation à résidence et environ 2 mois avec couvre-feu.
[62] Dans les circonstances, la Cour estime juste et approprié de substituer aux 10 mois de peine avec sursis qu’il resterait environ à l’intimé à purger une peine de 9 mois d’emprisonnement. Il y a toutefois lieu de prendre en compte, ce que la juge n’a pas fait, les 59 jours de détention provisoire qu’il a purgés à compter du 30 mai 2023 et jusqu’au jugement entrepris, multipliés par un facteur de 1,5, pour un total arrondi de 90 jours, ou 3 mois, au total. Au bout du compte, la Cour impose à l’intimé une peine d’emprisonnement ferme de 6 mois. Au terme de cette nouvelle peine, l’intimé demeurera assujetti à la période de probation de 24 mois ordonnée par la juge et aux conditions dont elle est assortie et aux autres ordonnances liées à la peine, le tout demeurant inchangé.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[63] ACCUEILLE l’appel;
[64] INFIRME la peine de 18 mois d’emprisonnement avec sursis imposée à l’intimé par le jugement rendu le 27 juillet 2023 par la Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, dans les dossiers 100-01-025753-233 et 100-01-025757-234;
[65] SUBSTITUE à la partie restante de cette peine avec sursis une peine d’emprisonnement ferme de 6 mois;
[66] ORDONNE à l’intimé de se livrer aux autorités carcérales dans les 72 heures du présent arrêt;
[67] ORDONNE à l’intimé, durant sa période de détention, de s’abstenir de communiquer directement ou indirectement avec les victimes, J.M. et son conjoint lors des évènements du 26 au 30 mai 2023;
[68] DÉCLARE que l’ordonnance de probation de 24 mois et toutes ses conditions et les autres ordonnances prononcées le 27 juillet 2023 par la Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, dans les dossiers 100-01-025753-233 et 100-01-025757-234, demeurent inchangées et s’appliqueront au terme de la période de 6 mois d’emprisonnement imposée par le présent arrêt.
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| STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A. | |
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| MICHEL BEAUPRÉ, J.C.A. | |
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| ÉRIC HARDY, J.C.A. | |
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Me Alex Turcotte | ||
DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMNELLES ET PÉNALES | ||
Pour l’appelant | ||
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Me Maryse Beaulieu | ||
BÉRUBÉ LAMBERT AVOCATES | ||
Pour l’intimé | ||
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Date d’audience : | 23 février 2024 | |
[1] R. c. Gagnon, C.Q. Rimouski, n° 100-01-025753-233 et 100-01-025757-234, la transcription du jugement rendu oralement est reproduite dans l’exposé de l’appelant (« E.A. ») aux pages 12 à 38 (le « jugement entrepris »). La juge impose aussi 500 $ d’amende à l’intimé sur chacun de deux autres chefs de possession d’arme à feu sans détenir le permis requis, d’une part, et d’entreposage négligent d’une arme à feu, d’autre part; ces peines ne font pas l’objet d’un appel.
[2] R. c. Gagnon, C.Q. Rimouski, n° 100-01-025753-233 et 100-01-025757-234, la transcription du jugement rendu oralement est reproduite dans l’exposé de l’appelant (« E.A. ») aux pages 12 à 38 (le « jugement entrepris »). La juge impose aussi 500 $ d’amende à l’intimé sur chacun de deux autres chefs de possession d’arme à feu sans détenir le permis requis, d’une part, et d’entreposage négligent d’une arme à feu, d’autre part; ces peines ne font pas l’objet d’un appel.
[3] La transcription du jugement sur culpabilité est reproduite dans l’E.A. aux pages 86 à 95 (le « jugement sur culpabilité »).
[4] Jugement entrepris, p. 14, lignes 4 à 7.
[5] Jugement sur culpabilité, p. 90, lignes 14 à 17, p. 91, ligne 11, à p. 92, ligne 7.
[6] Id., p. 93, ligne 22, voir aussi p. 94, lignes 3 à 7.
[7] Id., p. 88, 94 et 95, lignes 1 à 18.
[8] Id., p. 87, lignes 21-22.
[9] Jugement entrepris, p. 14.
[10] Id., p. 14, ligne 21, à p. 15, ligne 1.
[11] Id., p. 15.
[12] Id., p. 15-16.
[13] Id., p. 16; Art. 718.2a) (ii) C.cr.).
[14] Id., p. 17.
[15] Id., p. 24.
[16] Id., p. 16.
[17] Id., p. 16-17.
[18] Id., p. 17, ligne 24, à p. 18, ligne 2.
[19] Id., p. 18.
[20] Id., p. 22.
[21] Ibid.
[22] Id., p. 23, ligne 23, à p. 24, ligne 4.
[23] Id., p. 22, lignes 9 à11, et p. 24, lignes 13-15.
[24] Id., p. 25, ligne 14, à p. 26, ligne 16.
[25] Sauf pour rencontrer un agent de surveillance, pour se présenter à la cour, pour un traitement médical, pour l'achat de nourriture ou de bien ou de services nécessaires, pour faire de l'exercice chaque jour pour une période d'au plus une heure et sans s'éloigner de plus de 100 m de sa résidence, pour les fins de son travail, ou pour tout motif sérieux ou urgent suivant une autorisation écrite préalable de l'agent de surveillance : jugement entrepris, p. 28-29.
[26] R. c. Friesen,
[27] Ibid.
[28] Id., paragr. 27.
[29] Id., paragr. 28.
[30] Id., paragr. 29.
[31] R. c. Proulx,
[32] Jugement entrepris, p. 23, ligne 23, à p. 24, ligne 4.
[33] R. c. G.F.,
[34] R. c. Proulx, supra, note 30, paragr. 76; voir aussi R. v. Brady, 1998 ABCA 7, paragr. 64.
[35] R. v. McKinnon, 2005 ABCA 8, paragr. 39, au même effet : R. v. MacDonald, 2003 NSCA 36, paragr. 32; R. v. McClelland, 2001 ABCA 182, paragr. 8; R. v. Brady, supra, note 33, paragr. 64.
[36] R. v. Brady, supra, note 33, paragr. 64.
[37] R. c. Proulx, supra, note 30, paragr. 71.
[38] Id., paragr. 70.
[39] Supra, paragr. 26 des présents motifs.
[40] Jugement entrepris, p. 14.
[41] R. c. Proulx, supra, note 30, paragr. 69.
[42] R. c. Lacasse,
[43] R. v. B.S.R., 2006 CanLII 29082, paragr. 84 (ON CA); Clayton Ruby, Sentencing, 10e éd., Toronto, LexisNexis, 2020, n° 23.330.
[44] Art. 266a) et 264(3) C.cr.
[45] Jugement entrepris, p. 15-16.
[46] Art. 718.2 C.cr.
[47] Art. 718.04 C.cr.
[48] Art. 718.201 C.cr.
[49] R. c. Pilon,
[50] R. c. L.P.,
[51] Migneault c. R.,
[52] Au même effet, voir aussi R. c. Davidson,
[53] R. c. Parranto,
[54] Hugues Parent et Julie Desrosiers, Traité de droit criminel, t. 3 « La peine », 3e éd., Montréal, Thémis, 2020, p. 786, n°603.
[55] Id., p. 689, n°604.
[56] Hugues Parent et Julie Desrosiers, Traité de droit criminel, supra, note 54, n°605.
[57] R. c. Guerrero Silva, supra, note 52.
AVIS :
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